12.12.2025 à 00:08
À l'occasion du dixième anniversaire de l'Accord de Paris sur le climat, bilan des progrès accomplis (ou non) par les groupes du CAC 40 en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
- Dix ans après l'accord de Paris, le CAC 40 a-t-il avancé ? / Climat et greenwashing, Airbus, ArcelorMittal, Danone, BNP Paribas, Carrefour, Engie, LVMH, L'Oréal, Michelin, Renault, Saint-Gobain, TotalEnergies, gaz à effet de serre, greenwashing, transparence, normes et régulations
À l'occasion du dixième anniversaire de l'Accord de Paris sur le climat, l'Observatoire des multinationales dresse le bilan des progrès accomplis - ou non - par les groupes du CAC 40 en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Le chemin semble encore très long pour décarboner réellement le modèle productif et commercial des grandes entreprises françaises, et rares sont celles qui ont pris des mesures concrètes à la hauteur de leurs discours.
Le 12 décembre 2025, nous fêterons le dixième anniversaire de l'adoption de l'Accord de Paris sur le climat. Pour l'occasion, l'Observatoire des multinationales s'est penché sur la performance climatique d'un échantillon de douze entreprises du CAC 40, représentatives de différents secteurs d'activité : Airbus, ArcelorMittal, BNP Paribas, Carrefour, Danone, Engie, L'Oréal, LVMH, Michelin, Renault, Saint-Gobain et TotalEnergies. Avec une question simple : comment ont évolué les émissions de gaz à effet de serre déclarées par ces groupes français depuis 2015 ? Ont-elles baissé drastiquement, comme semblait le promettre la floraison d'engagements et d'initiatives qui ont accompagné la COP21 et la signature de l'Accord de Paris ? Ou bien constate-t-on un écart entre les discours et les promesses et la réalité concrète ?
Principales conclusions de l'étude :
Il y a dix ans, en amont de la conférence climat parisienne, l'Observatoire des multinationales avait publié avec le Basic un rapport intitulé « Gaz à effet de serre : doit-on faire confiance aux entreprises pour sauver le climat ? », portant sur un échantillon de dix grandes entreprises françaises (dont sept que l'on retrouve dans notre nouvel échantillon). Ce rapport soulignait les limites de la transparence des entreprises françaises sur leurs émissions, la mauvaise prise en compte des émissions au niveau de toute la chaîne de valeur (amont et aval), et l'absence d'alignement sur les objectifs européens à long terme de réduction des émissions, avec souvent des paris sur des solutions technologiques incertaines pour atteindre ces objectifs. La présente étude confirme, dix ans plus tard, une grande partie de ces constats.
Si aucune n'a officiellement abandonné ses objectifs climatiques, on assiste chez certaines entreprises à un mouvement de recul ou du moins de plus grande prudence par rapport aux objectifs et aux engagements affichés au moment de l'Accord de Paris et dans les années qui ont suivi. Au-delà du contexte politique immédiat, cette baisse relative d'enthousiasme affiché s'explique peut-être aussi par la prise de conscience par ces entreprises des difficultés concrètes à réduire véritablement leurs émissions et à atteindre la neutralité carbone en 2050, et les coûts induits.
09.12.2025 à 10:08
En 1980, en guise de premier acte de sa réouverture économique, la Chine inaugure la zone économique spéciale de Shenzhen, destinée à attirer les multinationales du monde entier. La ville deviendra la capitale de la mondialisation dans les années 1990, avec son côté obscur en termes d'exploitation des travailleurs, et le berceau de multinationales chinoises comme Huawei et BYD. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
En 1979, la Chine décide d'ouvrir son économie (…)
En 1980, en guise de premier acte de sa réouverture économique, la Chine inaugure la zone économique spéciale de Shenzhen, destinée à attirer les multinationales du monde entier. La ville deviendra la capitale de la mondialisation dans les années 1990, avec son côté obscur en termes d'exploitation des travailleurs, et le berceau de multinationales chinoises comme Huawei et BYD. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
En 1979, la Chine décide d'ouvrir son économie au monde. Deng Xiaoping se rend en visite aux États-Unis où il rencontre des investisseurs et des patrons de grandes entreprises. L'année suivante, le gouvernement chinois officialise l'ouverture d'une première zone économique spéciale, à Shenzhen, à proximité immédiate de Hong Kong et de Macao – ces deux territoires sont encore sous administration britannique pour le premier (jusqu'en 1997) et portugaise pour le second (jusqu'en 1999) – pour attirer les investissements occidentaux. Aujourd'hui, Shenzhen abrite une population de 17,5 millions de personnes (chiffre 2020) et est devenue la troisième ville de Chine après Pékin et Shanghai.
La zone économique spéciale de Shenzhen offre aux entreprises du monde entier un territoire d'implantation doté de son propre port et de ses propres règles. Elle leur offre aussi l'accès à une quantité immense de travailleurs migrants venus du monde rural chinois.
Un premier projet de zone industrielle voué à l'exportation est porté sur place par le groupe China Merchants, mais l'ambition est désormais bien plus vaste. Directement inspirée du modèle des zones franches et profitant du développement rapide de la conteneurisation, la zone économique spéciale de Shenzhen offre aux entreprises du monde entier un territoire d'implantation doté de son propre port, de droits de douane réduits, d'une fiscalité avantageuse et de ses propres règles. Elle leur offre aussi l'accès à une quantité immense de travailleurs migrants venus du monde rural chinois, dont les droits sociaux sont réduits à portion congrue et qui logent dans des dortoirs appartenant à leurs employeurs. Le tout est entouré de fils barbelés et de checkpoints pour contrôler les mouvements de population.
Forte de ses atouts, Shenzhen ne tarde pas à attirer entreprises et investisseurs, tout d'abord depuis Hong Kong et Taïwan, puis depuis le reste du monde. Les grandes marques occidentales y sous-traitent progressivement leur production à des entreprises chinoises ou du reste de l'Asie. Le port de Shenzhen devient l'un des plus importants du globe et envoie ses conteneurs aux quatre coins de la planète, approvisionnant notamment les supermarchés et enseignes de vêtements nord-américains et européens. On y produit de tout : des objets de consommation courante, des appareils électroménagers, des machines, des poupées Barbie pour Mattel, des chaussures pour Nike, des vêtements et des jouets pour Disney.
L'installation du groupe taïwanais Foxconn, en 1988, est une étape cruciale dans le développement des industries électroniques à Shenzhen. L'entreprise fondée en 1974 par Terry Gou y ouvre cette année-là sa première usine hors de Taïwan. Elle se spécialise dans la production d'appareils ou de composants pour toutes les grandes marques américaines, européennes, japonaises et chinoises, de BlackBerry et Apple à Xiaomi en passant par Nokia, Samsung, Nintendo, Sega et Sony. Foxconn et Shenzhen se font connaître du grand public occidental dans les années 2000 et 2010 comme l'un des principaux lieux de production de l'iPhone d'Apple. On a estimé en 2012 que le groupe taïwanais fabriquait 40 % de tous les gadgets électroniques vendus dans le monde. Si Foxconn possède désormais des usines également au Brésil, en Inde et en Europe, la Chine reste son principal site de production.
Foxconn et d'autres sous-traitants opérant à Shenzhen sont régulièrement épinglés par des organisations non gouvernementales et des journalistes pour les conditions de vie et de travail drastiques qu'ils imposent à leurs employés, particulièrement à l'approche des ventes de Noël en Occident, ainsi que pour le recours au travail de mineurs.
Le modèle des zones économiques spéciales est ensuite exporté ailleurs dans le monde au bénéfice des entreprises chinoises dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».
L'un des objectifs de la création de la zone économique spéciale était de constituer un terrain d'expérimentation en vue de l'introduction du capitalisme et des marchés internationaux en Chine d'une manière qui soit compatible avec les valeurs du « communisme » étatique chinois et le maintien du contrôle par le parti unique. Le succès de Shenzhen pousse le gouvernement chinois à créer d'autres zones économiques spéciales et d'autres dispositifs similaires le long du littoral et des grands fleuves. L'une des plus connues est le quartier de Pudong à Shanghai. Leur localisation coïncide souvent avec celle des ports sous concession étrangère du XIXe siècle, mais la nature des relations sino-occidentales a radicalement changé. Le modèle des zones économiques spéciales est ensuite exporté ailleurs dans le monde au bénéfice des entreprises chinoises dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donShenzhen est aussi le lieu de naissance et le siège social de nombreuses multinationales chinoises. Huawei y voit ainsi le jour en 1987. L'entreprise s'inspire des équipements téléphoniques occidentaux qui sont produits ou revendus dans la zone économique spéciale pour développer ses propres modèles et partir ensuite, avec le soutien de l'État, à la conquête du marché chinois, puis du marché mondial. Le constructeur de véhicules électriques BYD est également fondé à Shenzhen en 1995, initialement comme producteur de batteries pour le compte de donneurs d'ordres internationaux.
Le contrôle social n'empêche pas des grèves souvent massives.
Aujourd'hui, le PIB de Shenzhen dépasse celui de Hong Kong. La ville est l'une de celles qui abritent le plus de milliardaires de la planète. Les autorités mettent l'accent sur sa spécialisation dans la finance et la haute technologie, en passant sous silence les centaines de milliers d'ouvriers qui continuent à y trimer. Les activités industrielles à faible valeur ajoutée sont de plus en plus délocalisées dans d'autres pays où les salaires sont plus bas. Shenzhen reste aussi extrêmement surveillée, les fils de fer barbelés ayant cédé la place à des milliers de caméras de vidéosurveillance. Ce contrôle social n'empêche pas des grèves régulières souvent massives dans la région, comme dans des ateliers fournissant le groupe textile japonais Fast Retailing (Uniqlo, Comptoir des cotonniers…) en 2005, ou de la part d'ouvrières produisant des chaussures Adidas, Nike ou New Balance en 2011, ou des ouvriers d'IBM en 2014. En 2023, l'organisation indépendante China Labour Bulletin (basée à Hong Kong) recense plus de 500 conflits sociaux dans la région de Guangdong, dont Shenzhen fait partie, soit un tiers des protestations sociales recensées dans l'ensemble de la Chine.
(c) La Découverte, tous droits réservés
09.12.2025 à 10:00
Unilever est aujourd'hui, avec Nestlé, l'un des géants mondiaux de l'agroalimentaire, détenteur de dizaines de grandes marques omniprésentes dans les supermarchés. Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, elle ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
Unilever constitue aujourd'hui l'une des multinationales à laquelle il est difficile d'échapper, tant ses multiples marques (…)
Unilever est aujourd'hui, avec Nestlé, l'un des géants mondiaux de l'agroalimentaire, détenteur de dizaines de grandes marques omniprésentes dans les supermarchés. Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, elle ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
Unilever constitue aujourd'hui l'une des multinationales à laquelle il est difficile d'échapper, tant ses multiples marques sont omniprésentes dans le secteur agroalimentaire (Amora, Ben & Jerry's, Carte d'Or, Knorr, Lipton…), les produits ménagers et l'hygiène (Cif, Dove, Rexona, Signal…). Unilever emploie 128 000 personnes dans le monde, est présente dans quasiment tous les pays et réalise plusieurs milliards d'euros de bénéfices. Elle affiche aussi fièrement son siècle et demi d'histoire, avec à son origine un modèle de réussite à la britannique.
William Lever est l'un des premiers à commercialiser des savons dans des emballages individuels et en soigner le marketing.
Cette histoire commence à Bolton, cœur de l'industrie textile britannique, non loin de Manchester et Liverpool. En 1866, à l'âge de seize ans, William Lever quitte l'école pour travailler à l'épicerie familiale. Il lui vient l'idée de commercialiser des savons dans des emballages individuels – à l'époque le savon se coupe dans des gros blocs et se vend au poids. Il en soigne le marketing, crée la marque Sunlight et fait appel à des artistes pour ses affiches publicitaires. L'entreprise Lever Brothers (que William gère avec son frère) se développe vite, les fabriques de savon se multiplient, notamment grâce aux politiques hygiénistes qui accompagnent l'urbanisation. Il fonde même une petite ville en 1888, Port Sunlight, près de Liverpool qui se veut une cité ouvrière « idéale », avec maisons individuelles, terrains de sport, bibliothèque, sous la surveillance étroite de l'entrepreneur. En 1915, Lever Brothers met la main sur sa principale concurrente, les savons Pears, à l'époque l'une des marques les plus connues dans le monde.
En 1912, William Lever a déjà accumulé une fortune personnelle de trois millions de livres sterling. Au sortir du premier conflit mondial, il est élu maire de Bolton puis est anobli par la Couronne britannique. Lord Lever s'éteint en 1925. Fragilisée par la crise de 1929, son entreprise fusionne alors avec une compagnie néerlandaise de l'agroalimentaire, Margarine Unie, pour former Unilever. À ce récit du petit épicier de Bolton, précurseur en matière de marketing, entrepreneur plutôt philanthrope, devenu un lord millionnaire, il manque cependant un chapitre, et non des moindres. Celui qui permet à la firme de William Lever de prendre un essor sans précédent et de s'imposer sur le marché occidental : celui de ses affaires au Congo belge.
L'huile de palme qui permet la fabrication du savon Sunlight arrive à Liverpool depuis les forêts ouest-africaines et le golfe de Guinée (les huiles d'olive et d'arachide du pourtour méditerranéen arrivant, elles, à Marseille). En 1911, Lever Brothers négocie à des conditions très favorables des concessions au Congo belge (futur Zaïre puis République démocratique du Congo). L'État belge vient d'« hériter » de cet immense territoire qui s'étend de l'Atlantique au centre de l'Afrique. Le Congo belge avait auparavant été reconnu par les empires coloniaux européens, l'Empire ottoman et les États-Unis, comme une possession personnelle de Léopold II de Belgique. La future Unilever se voit octroyer, au cœur des forêts et savanes congolaises, cinq cercles d'un rayon de 60 km chacun, où les palmiers à huile sont foison. L'entreprise loue ainsi un territoire équivalent à deux fois et demie la Belgique.
L'entreprise loue ainsi un territoire équivalent à deux fois et demie la Belgique.
Une filiale dédiée – les Huileries du Congo belge – est créée, et même une ville, Leverville (aujourd'hui Lusanga, à 500 km de la capitale Kinshasa). La population congolaise, déjà fortement éprouvée par l'exploitation et le pillage de ses terres – pour le caoutchouc et l'ivoire notamment – pendant la colonisation privée du roi Léopold II, est mise à contribution avec une brutalité équivalente. Des villageois sont expropriés, des milliers de Congolais sont recrutés de force pour travailler comme porteurs ou récolteurs, pour un salaire misérable de 25 centimes par jour (soit à peine 0,5 % de ce que leur travail rapporte à Unilever sur une journée), trimant souvent sous la menace d'une arme à feu.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donSans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, Unilever ne serait jamais devenue ce qu'elle est.
« Chaque jour, ils devaient se débrouiller pour trouver cinq à huit régimes mûrs [de noix de palme]. Il leur fallait pour cela grimper à des troncs sans branches, souvent à plus de trente mètres de hauteur et, une fois arrivés en haut, détacher un régime à l'aide d'une machette. Les exploitants d'Unilever partaient du principe que tous les Noirs pouvaient se livrer sans difficultés à ce genre d'acrobaties, alors qu'un tel exercice exigeait une adresse particulière que tout le monde était loin de posséder. Il y eut des morts », raconte l'historien David Van Reybrouck dans Congo. Une histoire (Actes Sud, 2012) à partir de témoignages qu'il a recueillis. Une fois les noix de palme récoltées, elles sont transportées par des femmes, à pied, sur des distances pouvant atteindre 30 km le long de chemins forestiers, chaque régime de noix de palme pesant entre 20 et 30 kg. Avec la crise de 1929, le prix de l'huile de palme est divisé par quatre. Unilever répercute cette baisse sur les travailleurs congolais, en divisant le salaire journalier par dix ! Cette situation, en plus du poids de la domination coloniale, provoque en 1931 des révoltes au sein des Bapendé, le peuple dont est issue une large part de la main-d'œuvre pour les palmiers à huile. Des symboles du pouvoir blanc et de l'administration coloniale sont détruits. Un collecteur d'impôts belge est tué dans la région de Kikwit. La répression par l'armée fait plus de 400 morts.
Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, Unilever ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Cent ans plus tard, la multinationale, comme d'autres géants (Nestlé et Colgate notamment), est toujours mise à l'index par les défenseurs des droits humains à cause des conditions de travail dans les plantations, en Afrique mais aussi désormais en Indonésie et en Malaisie. Unilever ne gère plus directement de plantations mais se fournit auprès des nouveaux géants du secteur, comme Wilmar ou Olam.
Un extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain, co-dirigé par Olivier Petitjean et Ivan du Roy, éditions La Découverte, 2025, 860 pages, 28 euros.
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