04.07.2025 à 07:30
Olivier Petitjean
Face à la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises, les grands patrons auditionnés ont accepté de donner certains chiffres sur les aides touchées par leurs groupes. Un aperçu qui reste lacunaire, mais qui illustre par défaut l'immense déficit de transparence dans ce domaine.
On pourrait croire que l'État, particulièrement avec ses difficultés budgétaires actuelles, serait soucieux de savoir où va l'argent public et de rendre compte aux citoyens de l'usage (…)
Face à la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises, les grands patrons auditionnés ont accepté de donner certains chiffres sur les aides touchées par leurs groupes. Un aperçu qui reste lacunaire, mais qui illustre par défaut l'immense déficit de transparence dans ce domaine.
On pourrait croire que l'État, particulièrement avec ses difficultés budgétaires actuelles, serait soucieux de savoir où va l'argent public et de rendre compte aux citoyens de l'usage qu'il fait des taxes et impôts qu'ils acquittent. Eh bien non. L'absence générale de transparence sur les montants et les bénéficiaires est l'une des principales critiques adressées au système actuel des aides publiques aux entreprises, et la défaillance de l'État dans ce domaine est à nouveau apparue au grand jour dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale sur ce sujet (lire Aides publiques aux entreprises : l'indispensable débat).
Mis à part quelques grosses subventions, comme celles accordées à ArcelorMittal ou STMicroelectronics dans le domaine de la décarbonation ou des batteries, on en est réduit jusqu'ici à des conjectures. Pour les aides à caractère automatique, comme les allégements de cotisations sociales, quelle est la proportion qui bénéficie aux grands groupes, et quelle proportion aux petites entreprises ? Impossible de le savoir. Divers signes laissent à penser que les dispositifs comme le crédit impôt recherche ou le crédit impôt mécénat sont surtout utilisés par un petit nombre de grosses firmes, mais les données manquent pour le confirmer. Cette opacité participe de la difficulté à effectuer une véritable évaluation de l'efficacité des aides aux entreprises.
Les auditions de la commission d'enquête ont permis de mettre sur la table quelques chiffres, la plupart des patrons ayant joué le jeu de la transparence (lire Transparence, conditions, compétitivité, dividendes... Que retenir de la commission d'enquête sur les aides aux entreprises ?). Ces données sont à prendre avec prudence, car elles sont souvent incomplètes voire très incomplètes, ou mêlent différentes aides, et elles ont été établies de manière différente selon les entreprises.
Si l'on se fie aux montants annoncés durant les auditions, ce sont donc au total au moins 4,9 milliards d'euros qui sont touchés annuellement par 32 sociétés auditionnées (sur 33, Google France ayant refusé de donner un quelconque chiffre). Soit plus de 150 millions d'euros en moyenne.
Ce chiffre ne représente qu'une fraction réduite des 150 milliards d'euros annuels annoncés par le ministre de l'Economie, ce qui laisse à penser soit que les aides bénéficient beaucoup à des entreprises plus petites, soit que ces données sont incomplètes. Le périmètre de calcul (quelles filiales ou franchises sont incluses ou non dans les chiffres donnés au niveau du groupe) n'est pas toujours très clair.
De fait, à y regarder de plus près, on observe des trous énormes dans les calculs selon ce que les entreprises concernées choisissent de considérer ou non comme une aide publique. Le régime fiscal dérogatoire dont bénéficie le transporteur CMA-CGM, la taxe au tonnage, représentait ainsi un manque à gagner de 5,7 milliards d'impôts supplémentaires au titre des résultats 2022, et de 583 millions de plus pour les résultats 2023. Beaucoup n'hésitent pas à le considérer comme une forme d'aide.
ArcelorMittal, Stellantis et TotalEnergies ont choisi de ne pas inclure dans leur décompte les 850 millions d'euros promis pour les actions de décarbonation du premier (les projets étant en suspens) et les 850 millions alloués au projet de « gigafactory » de batteries des deux autres à travers leur filiale commune ACC.
Patrick Pouyanné n'a pas souhaité non plus divulguer au public le montant – probablement très élevé – dont a bénéficié TotalEnergies au titre du « bouclier tarifaire », pour compenser le gel provisoire des prix de l'électricité. Plusieurs groupes dont Sanofi, Air Liquide et Thales ont similairement platement refusé de donner des chiffres sur les montants touchés ou économisés grâce aux dispositifs de type « IP Box » sur ses brevets.
Last but not least, beaucoup de groupes et non des moindres (Renault et EDF) n'ont pas donné de chiffre sur les réductions de cotisations fiscales dont ils bénéficiaient.
Bref, les éléments fournis aux sénateurs ne sont en un sens que la pointe émergée de l'iceberg.
Toujours selon les chiffres (donc très partiels) dévoilés lors des auditions de la commission d'enquête sénatoriale, la palme de l'entreprise la plus aidée revient à la SNCF avec 656 millions d'euros et à ST Microelectronics, avec 487 millions d'euros reçus en 2023. Suivent Safran (390 millions), TotalEnergies (362 millions), Carrefour (325 millions), ArcelorMittal (298 millions) et Thales (290 millions).
Ces entreprises ne touchent pas les mêmes aides dans les mêmes quantités. La SNCF, comme Carrefour, bénéficient surtout des réductions de cotisations sociales pour les bas salaires, à hauteur de plusieurs de centaines de millions d'euros par an. Cela représente 90% des aides dont bénéficie l'entreprise ferroviaire publique. TotalEnergies et ArcelorMittal ont surtout capitalisé sur les aides à l'achat d'électricité, tandis que des entreprises comme Safran ou Thales profitent avant tout du crédit impôt recherche et des aides spécifiques à l'aéronautique.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donEn termes quantitatifs, les aides les plus importantes sont les réductions et exonérations de cotisations sociales, avec 1,68 milliard d'euros. Et encore, comme indiqué précédemment, certains poids lourds n'ont pas donné de chiffre dans ce domaine. Selon les éléments fournis à la Commission par le ministre Éric Lombard, ces exonérations représentent aujourd'hui plus de la moitié des aides publiques aux entreprises en France.
Vient ensuite le crédit impôt recherche avec 1,1 milliard d'euros déclarés, principalement pour Thales (171 millions), Safran (152 millions), Renault (134 millions), STMicroelectronics (119 millions) et Sanofi (108 millions).
En troisième position, les aides visant à compenser le coût de l'énergie, pour 464 millions d'euros, profitent essentiellement à TotalEnergies et ArcelorMittal. Les chiffres déclarés sur les aides à l'aéronautique, le crédit d'impôt mécénat et les aides à l'apprentissage avoisinent les 200 millions d'euros chacun.
Au final, ces chiffres très partiels livrent donc quelques aperçus nouveaux sur des entreprises que l'on n'a pas forcément l'habitude d'évoquer à propos d'aides publiques, mais ils ont surtout valeur de confirmation. Confirmation que quelques formes d'aides, notamment les exonérations de cotisations sociales, représentent le gros du coût pour les finances publiques. Confirmation aussi que des poids lourds très profitables touchent tout de même des centaines de millions d'euros supplémentaires sur le dos des contribuables français. Et confirmation enfin qu'il serait parfaitement possible, si la volonté politique était là et avec des règles claires sur ce qu'il faut déclarer, de faire toute la transparence sur les aides publiques aux entreprises.
03.07.2025 à 12:49
Pauline Gensel
Comment des entreprises qui touchent des aides publiques peuvent-elles continuer à supprimer des emplois tout en augmentant leurs dividendes ? Une commission d'enquête sénatoriale s'est chargée de répondre à cette question.
- Aides publiques aux entreprises : l'indispensable débat / L'État au service des entreprises, France, aides publiques, transparenceComment des entreprises qui touchent des aides publiques peuvent-elles continuer à supprimer des emplois tout en augmentant leurs dividendes ? Une trentaine de grands patrons ont été auditionnés dans le cadre d'une commission d'enquête sénatoriale chargée de répondre à cette question. L'occasion de passer au crible le « pognon de dingue » consacré au secteur privé alors même que la France s'enfonce dans la crise budgétaire.
Selon les calculs de l'IRES dans son rapport « Un capitalisme sous perfusion », publié en 2022, le montant des aides aux entreprises a plus que triplé entre 1999 et 2019, passant de 50 à 157 milliards d'euros, soit 30% des dépenses du projet de loi de finances 2021 – trois fois plus que le budget de l'Éducation nationale. S'y sont ajoutés les dispositifs d'urgence liées à la crise Covid, estimées par Bruno Le Maire à 240 milliards d'euros en août 2021, auxquels se sont plus ou moins additionnés le plan de relance (100 milliards d'euros) ou encore le plan France 2030 (34 milliards).
Il est un autre chiffre qui a augmenté au même rythme, sinon plus rapidement encore : les dividendes versés par les grands groupes à leurs actionnaires. Après avoir augmenté de 265% entre 2000 et 2019 pour atteindre 49,2 milliards d'euros, ils ont battu des records historiques ces dernières années, jusqu'à culminer à 74 milliards d'euros au titre de l'année 2023, à quoi s'ajoutent plus de 20 milliards d'euros en rachats d'actions.
En 2024, 564 plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) ont été validés et/ou homologués, soit 41% de plus qu'en 2023.
En face, les effectifs des grandes entreprises en France fondent comme neige au soleil. Ils ont diminué de 12% pour les sociétés du CAC 40 entre 2000 et 2019. Et la situation ne va pas en s'améliorant. Michelin, Auchan, Valeo, Vencorex, Exxon… En 2024, 564 plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) ont été validés et/ou homologués d'après les statistiques de la Dares, soit 41% de plus qu'en 2023. Près de 56 000 emplois directs sont concernés. De quoi pousser le Premier ministre Michel Barnier, en novembre dernier, à s'interroger sur « ce qu'on a fait, dans ces groupes, de l'argent public qui leur a été donné ».
C'est tout l'objet de la commission d'enquête mise en place au début de l'année par le Sénat que de comprendre comment on a pu en arriver là [1] : comment sont utilisées les aides publiques aux entreprises, si elles répondent à des objectifs précis (économique, social, environnemental), si elles sont efficaces, si elles sont suffisamment suivies, contrôlées et évaluées. Les sénateurs s'interrogent aussi sur d'éventuelles conditions ou contreparties qui pourraient être exigées par la puissance publique, notamment en termes d'emploi et de niveau de dividendes.
Lire aussi Allô Bercy
Les auditions qui se sont étirées sur trois mois ont permis aux sénateurs d'entendre des experts, des hauts fonctionnaires, des responsables publics et des patrons de grandes entreprises [2]. Elles ont aussi permis de confirmer que certains constats étaient très largement partagés : le trop grand nombre d'aides publiques et leur complexité, les carences de l'évaluation, les difficultés à établir un chiffrage fiable et consensuel du coût des différentes aides pour les finances publiques.
Les discours convenus du patronat ont parfois été battus en brèche y compris par certains représentants du monde économique.
Interpellés sur le montant faramineux des soutiens publics aux entreprises en France, les patrons tout comme les hauts fonctionnaires de Bercy ont brandi les antiennes habituelles sur le coût élevé du travail en France, le poids comparativement élevé de la fiscalité et des régulations, et le besoin de défendre les entreprises tricolores face à la compétition internationale féroce. Mais ces discours convenus ont parfois été battus en brèche y compris par certains représentants du monde économique.
Les patrons auditionnés par les sénateurs ont accepté de donner des chiffres - certes très partiels – sur les aides publiques que reçoivent leur groupe (à l'exception de Google France) et ont entrouvert la porte à une plus grande transparence sur ce point. Beaucoup d'entre eux se sont même déclarés en accord avec le principe d'introduire certaines formes de conditionalités aux aides publiques, voire de les rembourser dans certains cas. Ils ont cependant été unanimes dans leur opposition à toute mesure qui entraverait leur liberté de supprimer des emplois s'ils le jugent nécessaires, ainsi qu'à toute disposition qui établirait un lien entre aides publiques reçues et dividendes versés aux actionnaires.
Sur tous ces points, lire Transparence, conditions, compétitivité, dividendes... Que retenir de la commission d'enquête sur les aides aux entreprises ?
Ce n'est pas la première fois que ces débats ont lieu. Tout au long de l'année 2020, syndicats de salariés et élus de l'opposition ont demandé des contreparties contraignantes en matière d'emploi et d'écologie en échange des aides d'urgence et des 10 milliards de baisse d'impôts de production prévus dans le plan de relance. Sans succès, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire s'opposant à ce que des conditions strictes soient imposées aux entreprises.
Au printemps 2021, la Convention citoyenne pour le climat a à nouveau proposé de conditionner les aides (hors celles destinées aux TPE et PME) « à un engagement solide sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Comme la plupart de leurs demandes, cette proposition n'a pas été retenue.
La même année, un rapport parlementaire sur les aides publiques aux entreprises, porté par Stéphane Viry (LR à l'époque, LIOT aujourd'hui), pointait l'insuffisance des conditionalités et appelait à « un objectif politique et un ciblage clairement définis, une réelle traçabilité des aides publiques, des indicateurs de suivi consolidés et partagés, des mécanismes d'accompagnement et de contrôle (voire de sanction) ». Il proposait de créer un Office parlementaire commun d'évaluation des aides publiques nationales aux entreprises. Là encore, rien n'a été fait.
Les mesures de soutien au secteur privé se sont multipliées durant les deux derniers quinquennats, suivant le dogme de la politique de l'offre défendu par Emmanuel Macron.
Au contraire, les mesures de soutien au secteur privé se sont multipliées durant les deux derniers quinquennats, suivant le dogme de la politique de l'offre défendu par Emmanuel Macron. Son ministre Bruno Le Maire a d'ailleurs fièrement déroulé, lors de son audition par les sénateurs, la liste de mesures de soutien aux entreprises qu'il a portées : réduction de l'impôt sur les sociétés de 33,3 à 25%, mise en place de la « flat tax » à 30%, baisse des impôts de production, suppression progressive de la contribution sur la valeur ajoutée (aujourd'hui reportée), plan de décarbonation pour les secteurs les plus polluants, création d'un crédit d'impôt pour l'industrie verte. En contrepartie, il a expliqué avoir « réduit les aides aux chambres de commerce et d'industrie », « transformé les CICE en allègements de charges pérennes » - pour un coût identique pour les finances publiques comme l'indiquait le Conseil d'analyse économique dans une note de 2019 - et « encadré le CIR » en supprimant le doublement de la prime pour les jeunes doctorants et en excluant les dépenses non directement liées à la R&D. « Si c'était à refaire, je referais exactement la même chose », a-t-il déclaré, concernant les aides Covid.
Bruno Le Maire a même invité les sénateurs à aller encore plus loin, en allégeant encore « le poids des prélèvements et des impôts » sur les entreprises et en augmentant le soutien à l'investissement dans la décarbonation, dans l'industrie et dans la recherche, dans un contexte de « mondialisation cannibale » : « Je ne vous propose pas d'être des cannibales parmi les cannibales, je propose juste de ne pas nous laisser dévorer tout cru en prenant un certain nombre de mesures en matière de soutien aux entreprises et d'aides aux entreprises. »
Alors que le gouvernement cherche 40 milliards d'économie budgétaire pour 2026 – après avoir rogné dans les finances des collectivités territoriales (2,2 milliards d'euros), dans les aides en faveur de la transition écologique (21 milliards) ou encore dans le budget de la recherche et de l'enseignement supérieur (1 milliard) en 2025 –, la proposition interroge. D'autant que le bilan de la politique de l'offre en matière d'emploi, de réindustrialisation ou de partage des richesses – les auditions de la commission l'ont abondamment rappelé – n'apparaît pas aujourd'hui comme une réussite spectaculaire.
Réduire les aides publiques aux grandes entreprises pourrait au contraire être une hypothèse mise sur la table. François Bayrou l'a dit lui-même dans un entretien au JDD le 3 avril : il demandera « des efforts à tout le monde ».
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donAu-delà de l'urgence de boucler le budget 2026, les travaux de la commission d'enquête sénatoriale seront-ils l'occasion de remettre un peu d'ordre dans le maquis des aides aux entreprises ? Beaucoup de préconisations ont été mises sur la table durant les auditions, que l'on pourrait retrouver dans le rapport final des sénateurs : donner une définition de ce que l'on entend par « aides publiques », mieux contrôler, mieux évaluer…
Du côté des dirigeants d'entreprises, on a surtout mis l'accent sur la simplification, qui pourrait passer par un guichet unique chargé de distribuer les aides. « Il faut simplifier et rendre plus lisible l'accès aux aides, a suggéré Stéphane Hayot, directeur général du groupe Bernard Hayot. Il n'existe pas de base de données unique et complète permettant de recenser de manière exhaustive l'ensemble des dispositifs disponibles pour un territoire donné. »
Un constat que partage auprès de l'Observatoire une sénatrice membre de la commission : « Nous avons l'art de la complexité des dossiers et des délais extrêmement longs. Les grands groupes ont du personnel chargé de monter ces dossiers, mais beaucoup de TPE, de PME et d'ETI ne peuvent pas se le permettre. Si nous voulons que nos aides soient efficaces, il faut aussi qu'elles soient accessibles et que les mécanismes soient simples, ce qui permettra aussi à l'administration de mieux contrôler. »
Les aides pourraient être limitées aux entreprises qui respectent la loi, en terme d'embauche de travailleurs handicapés ou d'égalité femmes-hommes par exemple, à celles qui s'inscrivent dans une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Concernant les conditions qui pourraient être mises à l'obtention d'une aide publique, en revanche, aucun consensus ne semble se dégager. Pour Laurent Cordonnier, économiste qui a contribué au rapport « Un capitalisme sous perfusion », les critères de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises sont des indicateurs simples qui pourraient être suivis. « L'avantage d'un tel système, où l'État verserait des aides en indiquant l'objectif d'amélioration attendu s'agissant d'un critère RSE précis - ces indicateurs sont parfaitement mesurables et contrôlables, puisqu'ils sont déjà utilisés par les entreprises -, serait de montrer que l'argent public a été utilisé à bon escient. »
Pour d'autres, les aides pourraient être limitées aux entreprises qui respectent la loi, en terme d'embauche de travailleurs handicapés ou d'égalité femmes-hommes par exemple, à celles qui s'inscrivent dans une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou encore à celles qui paient leurs impôts en France et n'ont pas recours à des dispositifs d'optimisation, voire de fraude fiscale.
Concernant les dividendes, le sénateur centriste Daniel Fargeot a été jusqu'à suggérer de déduire les aides publiques versées aux entreprises de leurs résultats distribuables. Le président de la commission, Olivier Rietmann, a déjà indiqué qu'il ne souscrivait pas à cette proposition. Pas plus que les grands patrons et le ministre de l'Économie Éric Lombard, totalement d'accord pour séparer la question des aides et celle des versements aux actionnaires : « Il faut distinguer la rentabilité courante d'une entreprise et le rôle des aides publiques, qui peuvent l'augmenter ou pas. Il revient aux dirigeants de l'entreprise, avec les actionnaires, de décider ce qu'ils font du résultat après impôt qui est dégagé. »
L'idée a aussi été avancée de créer une commission nationale des aides publiques, rattachée au Parlement, qui pourrait être chargée d'évaluer l'efficience des mécanismes de soutien aux entreprises. Elle pourrait réaliser des études d'impact avant qu'un dispositif ne soit mis en place et supprimer des dispositifs qui n'ont aujourd'hui aucun effet, comme les exonérations de cotisations sociales sur les salaires dépassant 1,6 fois le Smic - ce qui pourrait permettre de récupérer 20 milliards d'euros sur les 75 milliards d'exonérations annuelles, selon les estimations de Laurent Cordonnier.
En 2000, l'Assemblée nationale avait validé la création d'une commission nationale et de vingt-deux commissions régionales chargées de contrôler l'utilisation des aides publiques aux entreprises.
Une telle instance a déjà existé. En 2000, l'Assemblée nationale avait adopté la proposition de loi du député communiste Robert Hue instaurant la création d'une commission nationale et de vingt-deux commissions régionales chargées de contrôler l'utilisation des aides publiques aux entreprises. Cette initiative faisait suite à l'annonce simultanée par Michelin d'une progression de 17% de son résultat net et de la suppression de 7500 emplois en Europe, alors que le groupe avait perçu, en 15 ans, 10 milliards de francs d'aides publiques à l'emploi. Composée de parlementaires, de représentants de l'État, de délégués syndicaux et patronaux, d'associations de chômeurs et de personnalités issues de la Cour des comptes et de la Banque de France, la commission était chargée d'évaluer l'impact économique et social des dispositifs de soutien aux entreprises et pouvait exiger de suspendre, supprimer ou exiger le remboursement des aides si le bénéficiaire ne respectait pas ses engagements. Elle n'a jamais été convoquée par le gouvernement de l'époque et a été supprimée deux ans plus tard. « On a considéré qu'elle risquait d'être trop interventionniste, a pointé Anémone Cartier-Bresson, auteur du livre Droit des aides publiques aux entreprises (2020). Le contexte a peut-être changé depuis… »
Le sujet semble en tout cas remis sur le devant de la scène. À l'Assemblée nationale, une commission d'enquête parallèle, à l'initiative du député Génération.s Benjamin Lucas, se penche aussi sur la question des aides publiques aux entreprises face à la multiplication des plans de licenciements. « Si l'on arrive à des consensus sur certains points, comme le plafonnement et le conditionnement des aides publiques ou le remboursement en cas de mauvais usage, ce serait une belle avancée, imagine Benjamin Lucas. Et nous pourrions arriver à la rentrée parlementaire en septembre avec une proposition de loi d'urgence face aux licenciements, portée collectivement. »
Le député écologiste Nicolas Bonnet a quant à lui déposé une proposition de loi visant à instituer une transparence des aides publiques aux entreprises de plus de 10 000 euros, afin de connaître précisément les sommes distribuées et de les rendre accessibles à tous. L'idée ? Que chaque organisme d'État, lorsqu'il verse une aide, la renseigne directement en ligne, afin que les montants soient agrégées sur une seule et même plateforme. En tant qu'ancien ingénieur en informatique, il estime qu'il n'y aurait aucun frein technique à un tel dispositif. « Cela permettrait d'avoir un suivi des grandes masses versées année après année, de pouvoir ensuite faire du reporting, de voir si on a maintenu artificiellement en vie une entreprise, de constater les domaines qui ont été plus aidés et s'ils en avaient besoin ou non, pour pouvoir peut-être redistribuer différemment, sur des activités où la France a perdu sa souveraineté par exemple. »
Reste bien sûr à voir si ces rapports et propositions de loi seront suivis d'effets et s'ils ne serviront pas, comme l'indiquait l'économiste (et compagnon de route de l'Observatoire des multinationales) Maxime Combes durant son audition, « à caler une armoire au fin fond des bureaux du Sénat ». Au vu de la situation budgétaire, ce serait une opportunité gâchée.
[1] Portée par le sénateur communiste Fabien Gay et présidée par le républicain Olivier Rietmann, la commission d'enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises a démarré ses travaux début février. Elle se concentre sur les grandes entreprises, définies comme celles employant plus de 1000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros, tout en évoquant aussi le sujet des sous-traitants, TPE et PME. 32 patrons d'entreprises ont été auditionnés, dont 19 à la tête de groupes cotés au CAC40. Elle doit rendre son rapport le 8 juillet.
[2] Maxime Combes et Olivier Petitjean de l'Observatoire des multinationales ont également été auditionnés par la commission.
03.07.2025 à 12:49
Pauline Gensel
Qu'ont apporté de nouveau les trois mois d'auditions de la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grands groupes ? Un consensus assez large sur le constat, des différences de positionnement parmi les entreprises elles-mêmes, et une défense acharnée par les grands patrons de leur liberté de supprimer des emplois et de prioriser les actionnaires. Bilan en neuf temps avant que la commission ne rende son rapport le 8 juillet.
Premier enseignement : un accord quasi (…)
Qu'ont apporté de nouveau les trois mois d'auditions de la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grands groupes ? Un consensus assez large sur le constat, des différences de positionnement parmi les entreprises elles-mêmes, et une défense acharnée par les grands patrons de leur liberté de supprimer des emplois et de prioriser les actionnaires. Bilan en neuf temps avant que la commission ne rende son rapport le 8 juillet.
Les auditions qui se sont étirées sur trois mois ont été marquées par de nombreux débats et désaccords, mais aussi par un très large consensus sur les problèmes et les carences du « maquis » des aides publiques aux entreprises tel qu'il existe actuellement.
Premier point d'accord : les dispositifs de soutien aux entreprises sont trop nombreux et passent par trop de canaux différents. Ils sont plus de 2200 et peuvent relever de la compétence de l'État, de ses opérateurs (Bpifrance, Ademe, etc.), des organismes de Sécurité sociale, des collectivités territoriales, de l'Union européenne… Ils sont aussi de natures diverses : subventions, crédits d'impôts, exonérations fiscales, exonérations de cotisations sociales, prêts garantis par l'Etat, aides à l'embauche, et ainsi de suite. Certains interagissent entre eux et peuvent être comptabilisés de différentes manières : 11 milliards d'euros entrent ainsi à la fois dans les 100 milliards de France relance et dans les 54 milliards de France 2030, comme le soulignait le rapport du comité d'évaluation du plan de relance de décembre 2022 (lire notre propre bilan et notamment France relance : un plan opaque, un bilan impossible). Un gloubi-boulga qui rend le système complètement illisible.
Seul ou presque, le ministre de l'Économie Éric Lombard a affirmé que « toutes les aides publiques aux entreprises sont contrôlées, suivies et évaluées. »
Deuxième constat assez largement partagé, celui des lacunes des pouvoirs publics en matière de contrôle et d'évaluation des aides. Seul ou presque, le ministre de l'Économie Éric Lombard a affirmé que « toutes les aides publiques aux entreprises sont contrôlées, suivies et évaluées. Contrôlées par l'administration, qui vérifie systématiquement que les règles d'octroi sont bien respectées. Évaluées comme toute politique publique car la loi prévoit un dispositif d'évaluation. » Le ministre a donné comme exemple les rapports rendus sur France 2030, France relance, ou encore le rapport Bozio-Wasmer sur le CICE. Mais ces évaluations restent en réalité parcellaires.
« On ne peut pas contrôler 2000 dispositifs d'aide, qui sont attribués à des dizaines de milliers d'entreprises, grandes ou petites. L'appareil administratif n'y suffit pas », a constaté Louis Gallois, ancien patron d'Airbus, d'EADS et de la SNCF et ancien commissaire général à l'investissement, à l'origine du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). D'autant que les contrôles sont là aussi éclatés entre diverses autorités. La cheffe par intérim du service de sécurité juridique et du contrôle fiscal de la Direction générale du Trésor, Carole Maudet, a comptabilisé « des centaines de milliers » de contrôles sur pièces et « entre 39 000 et 40 000 » contrôles sur place effectués chaque année par ses services, mais elle a dû le reconnaître : « Nous ne contrôlons pas l'entièreté des entreprises bénéficiant de tels dispositifs. Nous n'en avons tout simplement pas les moyens humains et matériels. »
Même constat à l'Assemblée nationale durant la commission d'enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciement. « La Cour des comptes a reconnu qu'il n'y avait pas du tout la même vigilance de l'État à l'égard des aides aux entreprises qu'à l'égard des aides sociales, raconte à l'Observatoire Benjamin Lucas, porte-parole du groupe Ecologiste et social et rapporteur de cette commission parallèle. Cela m'a surpris. À des droits doivent correspondre des devoirs quand vous êtes au RSA, mais pas quand vous touchez des millions d'euros d'argent public ? »
La Cour des comptes a reconnu qu'il n'y avait pas du tout la même vigilance de l'État à l'égard des aides aux entreprises qu'à l'égard des aides sociales
Les fraudes, et donc les sommes à récupérer, pourraient pourtant être considérables. Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a récemment fourni une liste d'entreprises contrôlées dans le cadre du crédit impôt recherche (CIR), comme l'a souligné Evens Salies, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Résultat : près de 30% d'entre elles ont reçu des avis défavorables, pour un redressement fiscal de 271 millions d'euros au total. « En extrapolant ces résultats, si toutes les entreprises avaient été contrôlées, ce serait un peu inquiétant », a constaté l'enseignant-chercheur.
« Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'en France, il n'y a pas de contrôle fiscal, a estimé Marc Auberger, inspecteur général des finances. Néanmoins, “contrôlé” ne veut pas dire “suivi”. c'est un sujet totalement différent. Les aides sont très contrôlées du point de vue des critères. Elles ne sont pas pour autant suivies. » Une fois les fonds versés aux entreprises, l'État peine à savoir comment ils ont été utilisés. Et il n'évalue qu'à la marge l'efficacité des dispositifs qu'il a mis en place.
« On procède à des évaluations ponctuelles - on a par exemple instauré un comité national de suivi du plan France Relance -, mais aucune démarche systématique ou pérenne n'est envisagée », a remarqué Anémone Cartier-Bresson, professeure de droit public à l'université Paris Cité et auteure du livre Droit des aides publiques aux entreprises (2020). Pour Sylvain Moreau, directeur des statistiques d'entreprises de l'Insee, cette absence d'évaluation vient notamment du manque d'échantillon de comparaison disponible : « La principale difficulté réside dans la nécessité de disposer d'un contrefactuel, c'est-à-dire d'une population d'entreprises ayant les mêmes caractéristiques que la population des entreprises aidées, mais qui ne soient pas aidées, de façon à analyser les effets des aides en termes d'évolution de l'activité, du chiffre d'affaires et de l'effectif salarié. »
Faute d'évaluation, les parlementaires, lors du vote du projet de loi de finances, se retrouvent à devoir amender ou supprimer une aide principalement pour des raisons de restrictions budgétaires et non en fonction de l'efficacité dudit dispositif.
Là aussi, le constat est amer : l'État est incapable de chiffrer le montant total des aides qu'ils verse aux entreprises. Chaque administration donne des estimations différentes et ne parle pas de la même chose. L'Insee fournit un montant « plancher », 70 milliards d'euros, ne prenant en compte que les aides à l'innovation et les subventions sur la production. Exit les exonérations de charges, les prêts garantis par l'État, ou le bouclier tarifaire, par exemple. Quant aux aides européennes ou celles des collectivités territoriales, le directeur des statistiques d'entreprises, Sylvain Moreau, n'a pas su dire aux sénateurs pas si elles sont comprises dedans ou non.
Quant à la Cour des comptes, elle se base sur la définition européenne des aides d'État, qui ne concerne que les aides « sélectives » de plus de 100 000 euros, et non celles qui s'appliquent à toutes les entreprises, pour aboutir à un chiffrage de… 55,4 milliards d'euros par an entre 2011 et 2021. L'Inspection générale des finances comptabilise quant à elle 88 milliards d'euros d'aides directes, auxquelles il faut ajouter 80 milliards d'euros d'exonérations de charges. Soit un total de 170 milliards d'euros, sans compter les aides des collectivités territoriales ni celles de l'UE. « Je pense qu'on en oublie, a déclaré Marc Auberger, inspecteur général des finances. Si on comptabilise des primes telles que ma Prime Rénov' et tous les dispositifs, il se peut que l'on atteigne 200 milliards d'euros. » Le ministre de l'Économie Éric Lombard estime de son côté le montant à 150 milliards d'euros chaque année : 40 milliards de dépenses fiscales, 30 de dépenses budgétaires, 80 d'allègements de cotisations. Une belle cacophonie.
Nous sommes face à une opacité hallucinante, L'État est incapable de dire combien il a donné et on se retrouve dépendants de la parole des entreprises.
Le rapport de l'Institut de recherches économiques et sociales, « Un capitalisme sous perfusion », commandé à des économistes par la CGT, aboutit quant à lui à un montant de 157 milliards d'euros pour l'année 2019 - avant la pandémie - en incluant les subventions, les exonérations d'impôts et les exonérations de cotisations sociales. Un chiffre qui reste « minimaliste », comme l'a indiqué dans son audition Jordan Melmiès, l'un des auteurs du rapport : « Notre chiffrage est probablement inférieur à la réalité telle qu'elle ressort aujourd'hui des statistiques brutes. Nous avons tenté de mettre en évidence le sens de la marée et non pas le mouvement des vagues. »
L'État n'est pas non plus capable de donner le détail des aides touchées entreprise par entreprise, ni celles qui en bénéficient le plus. « Il s'agirait d'un travail de bénédictin, notamment pour ce qui concerne les très grandes entreprises, a justifié Sylvain Moreau, de l'Insee. Cela impliquerait de regarder chacune des comptabilités, puis de retourner vers l'entreprise pour savoir où elle a affecté telle ou telle dépense - ce qui peut, d'ailleurs, varier d'une année à l'autre. Nous pourrions le faire, mais ce serait très coûteux. »
« Nous sommes face à une opacité hallucinante, déplore le député Benjamin Lucas. L'État est incapable de dire combien il a donné et on se retrouve dépendants de la parole des entreprises, qui disent ce qu'elles ont perçu ou non. »
Si l'on se fie aux montants annoncés durant les auditions, ce sont 4,9 milliards d'euros d'argent public qui ont été versés pour 32 sociétés.
« Nous, on n'a jamais rien à cacher. Rien. Donc la transparence, il me semble qu'en termes de démocratie, c'est la seule manière de faire en sorte d'annoncer les choses », a déclaré Xavier Huillard, président de Vinci, devant les sénateurs. Beaucoup des patrons auditionnés ont d'ailleurs donné des chiffres – plus ou moins complets – sur les aides de diverses formes touchées par leurs groupes. Si l'on se fie aux montants annoncés durant les auditions, ce sont 4,9 milliards d'euros d'argent public qui ont été versés pour 32 sociétés.
Seul Google France a fait figure de mauvais élève, qui a expliqué ne pas connaître le montant des allégements de cotisations sociales dont il bénéficie. « La difficulté principale que nous rencontrons pour calculer le montant des exonérations sociales est que celui-ci n'apparaît pas dans nos comptes : l'entreprise Google ne connait pas l'argent qui ne lui a pas été demandé, a développé son secrétaire général Benoît Tabaka. Le chiffre que vous attendez n'existe pas. » Pourtant, comme l'a rappelé le président de la commission d'enquête Olivier Rietmann, « Google sait traiter des données avec précision ».
Pour Guillaume Darrasse, directeur général d'Auchan, il faudrait ajouter à la divulgation des aides publiques reçues celle des impôts payés par l'entreprise, « de manière à avoir le panorama global de ce qu'elle perçoit et de ce à quoi elle contribue, ce qui est tout à fait normal ». Idem pour Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance et président de STMicroelectronics, qui a accepté la proposition du rapporteur communiste Fabien Gay d'y ajouter le montant des dividendes versés : « Il faut les trois pour que le citoyen lambda comprenne l'environnement naturel d'une entreprise. »
Pour François Jackow, directeur général d'Air Liquide, « c'est dans l'intérêt de tout le monde de montrer à quoi sert l'argent des Français et des concitoyens et à quoi sont utilisés les leviers de l'État », mais « à partir du moment où on ne demande pas un reporting de plus aux entreprises ». « Le point d'attention, c'est trop de reporting ou trop de bureaucratie, à éviter », s'est également inquiétée Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie. Qu'ils soient rassurés : les propositions évoquées par les sénateurs envisagent une transparence assurée par l'État, pas par les entreprises.
Il n'y a pas de raison de cacher au public qu'une entreprise a perçu une aide. Si vous estimez que le fait de percevoir une aide et que les gens le sachent impliquerait de divulguer une information cruciale pour vous, vous ne demandez pas d'aide.
D'autres patrons ont avancé que faire la lumière sur les aides touchées pourrait porter préjudice à leurs entreprises sur la scène internationale et nuire au « secret des affaires ». « Il faut se montrer prudent afin que l'industrie française ne subisse pas d'effet “boomerang”, a estimé Jean-Dominique Senard, président de Renault. Certains États, qui ne publient rien, pourraient se servir de ces chiffres contre nous. » Guillaume Faury, directeur général d'Airbus, a été dans le même sens : « Il ne faut pas que la transparence soit une façon de dire [à nos concurrents] ce qu'on est en train de préparer pour le futur. » Il souhaite donc, comme d'autres, éviter une « transparence pour tout le monde », et privilégier une « transparence vis-à-vis de celui qui donne l'argent, l'État ». Ce à quoi le président Olivier Rietmann (LR) lui a répondu que ce n'était pas parce qu'il serait rendu public que son entreprise a touché 150 millions d'euros d'aides que l'on saurait vers quoi elles sont fléchées.
Pour le député écologiste Nicolas Bonnet, auteur d'une proposition de loi visant à instaurer la transparence des aides publiques aux entreprises, l'argument du secret des affaires devrait être mis hors du débat : « Il n'y a pas de raison de cacher au public qu'une entreprise a perçu une aide. Si vous estimez que le fait de percevoir une aide et que les gens le sachent impliquerait de divulguer une information cruciale pour vous, vous ne demandez pas d'aide. C'est un choix. » Il rappelle la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, qui donne le droit de constater « la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Il s'agit pour lui d'un enjeu démocratique : « C'est aussi une question de consentement à l'impôt : de moins en moins de personnes savent vraiment à quoi sert l'argent qu'on leur prélève, ce qui peut entraîner des fantasmes et de la défiance. Il faut qu'ils puissent comprendre comment l'argent public est dépensé, et cela passe par faire la lumière sur ce que l'on donne aux entreprises. »
C'est l'un des arguments qui est revenu le plus souvent durant ces auditions : si les aides sont élevées en France, c'est parce qu'elles viendraient compenser un coût du travail et une fiscalité défavorables aux entreprises. Les dirigeants ont régulièrement mis en parallèle les aides qu'ils perçoivent avec les impôts qu'ils paient en France. Patrick Martin, président du Medef, a même proposé de remplacer le terme d'« aides » par celui de « compensation » : « Parce que, dans notre pays, nous avons une propension singulière, qu'il ne me revient pas de juger, des acteurs publics, de l'État et des collectivités locales à mener des stratégies très encadrées, voire interventionnistes, lesquelles peuvent, au cas par cas, fausser la rationalité économique. Dès lors, des mesures de compensation viennent corriger les effets pervers de certaines législations ou réglementations. »
Le PDG d'Accor Sébastien Bazin propose, pour rendre la France plus attractive, de baisser les cotisations sociales plutôt que d'arbitrer sur les aides publiques : « Franchement, baissez les charges sociales, et vous allez donner beaucoup moins de subventions. C'est tellement simple ! » Tout dépend, cependant, du modèle social que l'on défend.
La fiscalité et les charges sociales pesant sur les ménages ont augmenté, tandis que le poids des prélèvements sur les entreprises dessine un plateau.
L'argument d'une surimposition française est de moins en moins valable, comme l'explique à l'Observatoire Jordan Melmiès, maître de conférences à l'Université de Lille et à Sciences Po Lille et co-auteur du rapport de l'IRES sur les aides publiques aux entreprises : « Il y a quelques écarts qui peuvent perdurer, mais cela s'est réduit ces derniers temps. Sur certains pays, on va observer qu'il reste parfois quelques différences sur les impôts de production, mais on parle de quelques points à chaque fois. »
L'apport des entreprises aux finances publiques reste stable, tandis que les aides dont elles bénéficient explosent. D'après l'étude de l'IRES, elles représentaient environ 11% du budget de l'État entre 1979 et 1999. En 2019, c'est 30%. Et cet effort a principalement été supporté par les ménages, comme l'a expliqué Laurent Cordonnier, co-auteur du rapport, lors de son audition : « La fiscalité et les charges sociales pesant sur les ménages ont augmenté, tandis que le poids des prélèvements sur les entreprises dessine un plateau. »
Sans compter que certaines grandes entreprises n'hésitent pas à « optimiser » leur fiscalité. STMicroelectronics s'est ainsi fait épinglé par le rapporteur Fabien Gay, pour avoir touché 487 millions d'euros d'aides en 2023, pour un impôt sur les sociétés en France de… moins de 100 000 euros, son siège social étant basé en Suisse.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donÀ en croire beaucoup de dirigeants d'entreprises, les aides publiques sont essentielles pour renforcer l'attractivité des groupes français dans un contexte de concurrence internationale accrue. « La France n'est pas une île, a énoncé Alexandre Bompard, PDG de Carrefour. Affaiblir unilatéralement nos outils de compétitivité reviendrait à nous désarmer dans un moment où États-Unis et Chine investissent massivement pour attirer les activités industrielles et technologiques de demain. » Le patron de Michelin Florent Menegaux a lui aussi insisté sur « la compétitivité des aides publiques offertes par la France par rapport à d'autres États », et sur l'importance du crédit impôt recherche dans la localisation de ses activités : « Si on enlève le CIR, bien sûr que Michelin, qui est une entreprise mondiale, pourra décider de rapatrier ou non ses activités de recherche dans tel ou tel pays. »
Certaines aides, en se concentrant sur les bas salaires par exemple, ont incité les entreprises à se maintenir sur des productions à faible valeur ajoutée. L'argument de la compétitivité ne se vérifie pas.
En réalité, selon l'économiste Jordan Melmiès, les aides n'auraient que très peu accru la « compétitivité » des entreprises, contrairement à ce qui est souvent avancé. « Des études commencent à pointer du doigt que cela n'a pas restauré la compétitivité, ou que les effets le sont à un coût démesuré, développe l'économiste. Au contraire, certaines aides, en se concentrant sur les bas salaires par exemple, ont incité les entreprises à se maintenir sur des productions à faible valeur ajoutée. L'argument de la compétitivité ne se vérifie pas. »
D'autres entreprises tiennent d'ailleurs des discours qui s'écartent quelque peu du mantra patronal. Selon Alain Le Grix de la Salle, président d'ArcelorMittal, son groupe est implanté « là où son histoire l'a conduit, et non pas en fonction de là où les aides sont le plus importantes. Nous sommes le résultat des évolutions de nos entreprises, nos sites sont géographiquement localisés par rapport aux marchés que nous souhaitons servir. » Une manière de répondre aux critiques qui mettent en parallèle les subventions touchées par le sidérurgiste - 298 millions en 2023, auxquels devaient s'ajouter 850 millions d'euros pour décarboner les hauts fourneaux de Dunkerque et de Fos-sur-Mer - et les 636 suppressions de postes annoncées en avril, une partie des fonctions support (marketing, ressources humaines, etc.) étant délocalisée en Inde.
Autre positionnement qui dénote : celui de Luc Rémont, l'ex PDG d'EDF. S'il a reconnu que les aides publiques peuvent être nécessaires, notamment pour amorcer des politiques risquées ou en cas de défaut de marché et d'instabilité des prix, il a rappelé qu'« aller chercher de la subvention publique pour réaliser sa mission principale doit être quelque part une forme de renoncement » pour les entreprises et a invité à limiter « la tentation de l'abonnement » aux aides publiques : « C'est ça le pire. Elle existe partout, y compris dans le secteur électrique aujourd'hui. » Une sortie qui n'est sans doute pas son rapport avec le combat mené par Luc Rémont contre des gros industriels français qui exigeaient de pouvoir bénéficier d'un tarif de l'électricité très avantageux de la part de l'opérateur public – et qui ont fini par obtenir son départ.
Jean-François Cirelli, président de la filiale française de BlackRock, est même allé plus loin, en expliquant aux sénateurs que le soutien de l'État pouvait être regardé d'un mauvais oeil par les actionnaires : « Nous, ce que l'on cherche, c'est des business qui sont résilients, dans la durée, qui peuvent se passer d'aides. Il peut y avoir des aides au début, ça c'est très bien, mais si on a le sentiment que l'entreprise ne peut vivre que sur un dispositif public, on se dit que ce n'est pas sûr que ça dure autant que les contributions. »
Peu – voire pas – de critères ou de contreparties sont aujourd'hui imposés aux entreprises soutenues par l'État. La même année, elles peuvent toucher des millions d'aides publiques, licencier des milliers de salariés et verser des milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires. Parmi les pistes évoquées durant la commission d'enquête figure donc celle de fixer des conditions pour l'obtention des aides, en matière sociale, fiscale ou encore environnementale.
Première interrogation : faut-il conditionner les aides au maintien ou à la création d'emplois, et refuser les subventions à une société qui licencie ? Là-dessus, toutes les entreprises s'accordent pour répondre « non »... de même que les hauts fonctionnaires de Bercy. Thomas Courbe, à la tête de la Direction générale des entreprises, a fait ainsi valoir les difficultés que peuvent avoir les entreprises à se projeter dans un monde en perpétuelle évolution : « Un certain nombre d'entreprises considèrent qu'au moment où elles demandent une aide, elles ne peuvent pas forcément prendre d'engagement sur l'emploi. Parce qu'elles ne peuvent pas, sur la période qui est traditionnellement de trois ans, cinq ans, sur laquelle se déroulent ses projets, avoir l'assurance que la conjoncture économique ne va pas les conduire à des réductions d'emplois. » Pour Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, une telle mesure serait même contre-productive : « Il faut bien voir que les grandes entreprises réfléchissent à l'échelle du monde, et si vous conditionnez les aides publiques à l'absence de restructuration, les entreprises iront ailleurs. »
Le dividende, c'est le « loyer » versé aux actionnaires– l'expression est revenue dans la bouche de pas moins de cinq dirigeants durant ces auditions –, et il ne saurait être question d'y déroger.
Faudrait-il alors fixer une limite aux dividendes versés par les entreprises aidées ? Pas question non plus. Car le dividende, c'est le « loyer » versé aux actionnaires– l'expression est revenue dans la bouche de pas moins de cinq dirigeants durant ces auditions –, et il ne saurait être question d'y déroger. Pas même en période de crise comme celle du Covid et alors même que l'État prenait en charge une grande partie des salaires (lire Allô Bercy). C'est la raison pour laquelle Vinci, comme la plupart des sociétés du CAC 40, a décidé de continuer à verser des dividendes durant la crise sanitaire, même s'ils ont été abaissés, de 3,05 à 2,04 euros par action. « Je ne suis pas d'accord avec le fait que, sous prétexte d'avoir 100 millions d'aides ici, on devrait mettre le dividende à zéro, a soutenu le patron du géant de la construction. Parce qu'à ce moment-là, vis-à-vis de nos actionnaires, dont je rappelle qu'ils sont à 70% non-Français, on va finir par avoir des gros problèmes. »
Patrick Pouyanné a quant à lui répété que TotalEnergies a fait le choix de renoncer aux aides publiques pour pouvoir maintenir son niveau de dividendes. Selon lui, les entreprises sont capables de se limiter elles-mêmes et mieux vaut les laisser libres de prendre leurs décisions, en leur âme et conscience. « Je crois au capitalisme, à son éthique. Il faut être cohérent : je ne peux pas percevoir de l'argent public que je redistribue en dividendes. C'est bien par cohérence que j'ai décidé, puisque mon conseil d'administration ne voulait pas baisser les dividendes, de renoncer à l'aide de l'État. » En réalité, son groupe a quand même bénéficié pendant la pandémie du programme d'achats d'obligations massif de la Banque centrale européenne ou encore du plan de relance post-covid.
Selon le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou, les aides devraient être mieux ciblées pour répondre à des objectifs dans la durée : « Il faut que l'argent public aide à passer les crises. Mais quand on en sort, il doit servir des politiques publiques de long terme, autour de l'emploi, de l'équipement du pays, de la transition énergétique. »
Dans cette perspective, certains patrons se sont montrés favorables à la mise en place de conditions plus strictes aux aides, à condition qu'ils soient fixés en amont et qu'ils ne demandent pas de travail supplémentaire aux entreprises : « Nous sommes totalement ouvert, tant que le process reste simple, transparent et efficace, a énoncé Nicolas Liabeuf, président d'Unilever France. Il faudrait aussi que lorsqu'un système est mis en place, il soit stable dans le temps, ce qui nous permet de mettre en place ce qu'il faut pour l'avenir et d'avoir une stratégie vis-à-vis de ces aides qui soit inscrite dans la durée. »
Une vision partagée par Emilie de Lombarès, présidente du directoire d'ONET, leader du nettoyage, qui a même invité à repenser les allègements de cotisations sur les bas salaires, en augmentant les cotisations sociales « dans l'idée d'une contribution de tous aux finances publiques » et en mettant en place un taux progressif de cotisation plutôt que des allègements. « Il est primordial de prévoir ces transformations sur un horizon qui ne mette pas en péril nos entreprises. De cette manière, une entreprise comme ONET est capable d'anticiper les propositions faites à nos clients et d'absorber l'extinction d'une telle mesure. »
Alors qu'il est essentiel de transformer l'appareil productif pour répondre à l'urgence climatique, limiter les aides aux entreprises qui s'inscrivent dans une démarche de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre semblerait une proposition de bon sens.
Alors qu'il est essentiel de transformer l'appareil productif pour répondre à l'urgence climatique, limiter les aides aux entreprises qui s'inscrivent dans une démarche de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre semblerait une proposition de bon sens. Mais les dirigeants des entreprises les plus concernées se sont montrés très réticents. Charles Amyot, PDG d'ExxonMobil France, s'est lancé dans une diatribe sur la CSRD et la CS3D, des directives européennes qui obligent les grandes entreprises à publier un rapport de durabilité et qui leur imposent un devoir de vigilance à l'égard de leurs fournisseurs : « Ces directives partent de bonnes intentions, soyons très clairs. Droits humains, respect, environnement, etc., absolument oui, cent fois oui. Le problème, c'est la méthode qui est utilisée pour atteindre ces objectifs. Comment peut-on penser qu'on va diriger une entreprise sur ces sujets RSE sur la base de 1200 indicateurs ? » S'il n'est pas contre « des objectifs contraignants » sur la décarbonation, il a plaidé pour que les entreprises soient libres de choisir les moyens pour y parvenir.
François Jackow, patron d'Air Liquide, a abondé : « Il faut absolument, dans les aides, éviter de fixer à la fois les objectifs et les moyens. Une fois l'ambition fixée par les acteurs publics, il faut laisser le choix des moyens technologiques aux entreprises, sans les enfermer sur une voie prédéterminée. » Pour le patron de Kering François-Henri Pinault, en revanche, c'est l'inverse qui est vrai : « Il ne peut pas y avoir d'obligation de résultat, c'est trop compliqué à mettre en place. En revanche, il doit y avoir une obligation de moyens. » Dans ce cas, les aides pourraient, selon lui, être remboursées en cas de retour à bonne fortune, parce qu'elles seraient alors « très ciblées, très mesurables. Je ne vois pas pourquoi une aide qui aurait réussi sur un projet ne devrait pas donner lieu à des retours sur investissement pour l'État. »
Si des conditions sont fixées aux aides et que des contrôles sont effectués, se pose ensuite la question des sanctions. Exiger d'une entreprise qu'elle rembourse les aides qu'elle a perçues si elle licencie des salariés ? Le secteur de la grande distribution s'y est résolument opposé. Pour Guillaume Darrasse, directeur général d'Auchan, l'un des groupes dénoncés pour ses annonces de suppressions d'emplois, une telle mesure serait contre-productive : « On fait référence à des aides passées, qui ont d'ores et déjà été dépensées, et qui ont servi à investir au moment où nous faisions face à des difficultés bien présentes. Ces aides ont peut-être permis de différer certaines décisions difficiles et de préserver au maximum l'emploi. Nous demander de les rembourser au moment où notre entreprise traverse des difficultés aussi importantes, cela reviendrait à lui infliger une double peine, et finalement, surtout, à infliger cette double peine à nos salariés. »
Le PDG de Carrefour Alexandre Bompard souligne quant à lui l'imprévisibilité du marché : « Il faut aussi avoir à l'esprit que les choses évoluent à une vitesse folle, que parfois, de très bonne foi, des industriels, à des moments aient bénéficié d'aides, aient eu une conviction que leur usine allait pouvoir se développer, allaient rester en France etc. et que le marché se retourne et que tout à coup, telle ou telle usine dans tel ou tel endroit n'est plus du tout compétitive. »
Plusieurs patrons se disent favorables à l'introduction d'une clause de retour à bonne fortune pour les aides versées aux entreprises en difficulté.
Épinglée pour avoir utilisé 4,3 millions d'euros de CICE en 2019 pour l'achat de huit nouvelles machines sur son site de La Roche-sur-Yon, dont six ont été finalement expédiées en Espagne, en Roumanie et en Pologne, la direction de Michelin s'est dit prête à rendre l'aide perçue. « Je n'ai pas le détail, mais sur cette partie-là, je considère qu'on devrait être capable de rembourser, a déclaré Florent Menegaux. Si le CICE n'a pas servi aux machines qui sont restées en France, ce ne serait pas anormal qu'on les rembourse. Mais ce n'est pas le cas sur tous les autres sujets. »
Le directeur France du groupe, Jean-Paul Chiocchetti, avait déjà fait la même déclaration en octobre 2019 suite à l'annonce de la fermeture de l'usine de La Roche-Sur-Yon, qui comptait 619 salariés. Michelin s'était finalement rétracté, arguant que le CICE n'était pas assujetti à des critères spécifiques sur l'emploi mais était destiné à soutenir les entreprises dans leur politique d'investissement.
Plusieurs patrons se disent cependant favorables à l'introduction d'une clause de retour à bonne fortune pour les aides versées aux entreprises en difficulté. L'argent public pourrait ainsi être remboursé une fois la crise passée. « Oui à l'intervention étatique quand c'est nécessaire, mais avec des clauses contractuelles pour un remboursement progressif une fois les bénéfices revenus », a énoncé Patrick Pouyanné, patron de Total. L'avance remboursable est aussi pertinente selon lui pour amorcer de nouveaux investissements risqués : « C'est vertueux pour mobiliser d'autres capitaux et lancer le projet, et le remboursement intervient si le projet réussit et donc quand l'entrepreneur parvient à bonne fortune. » Le directeur général d'Air Liquide, François Jackow, est lui aussi favorable à une telle mesure, mais demande de faire attention à « où on fixe la barre » : « Il faut effectivement qu'in fine, le projet soit profitable, et que s'il est surprofitable ou que les choses se passent particulièrement bien, qu'il y ait un retour pour l'État qui a pris une partie du risque me semble assez normal. » Reste à définir cette notion de « surprofit ».
Deux pays ont souvent été cités durant ces auditions : les États-Unis, comme un exemple à suivre, et la Chine, dont la concurrence déloyale justifierait les aides publiques accordées par le gouvernement français à ses champions..
Pour le premier, c'est surtout l'Inflation Reduction Act (IRA) d'août 2022, mobilisant 369 milliards de dollars sur dix ans pour soutenir l'industrie verte, qui a été pris en exemple. Pour le patron de Renault Jean-Dominique Senard, cette loi a « favorisé l'émergence d'une industrie moins émettrice de CO2 » et constitue « un puissant outil géopolitique qui vise à réduire les dépendances stratégiques » dont l'Europe devrait s'inspirer. Patrick Martin, président du Medef, parle même de « pompe aspirante pour les investissements internationaux ». Cela tient à la simplicité du dispositif selon Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie : « L'IRA avait effectivement cet avantage de la simplicité, avec ces crédits d'impôts qui permettaient très facilement de comprendre les bénéfices qu'on allait pouvoir tirer sur tel projet. »
Mais cette simplicité se fait au détriment des contrôles. « Dans l'IRA, que vous ayez besoin de l'aide pour faire l'investissement, ou que vous l'auriez fait de toute façon, vous l'avez, a expliqué durant son audition Olivier Guersent, directeur général de la Concurrence au sein de la Commission européenne. Il y a des effets d'aubaine absolument gigantesques. C'est d'ailleurs pour ça que les grands patrons adorent ce dispositif, c'est Noël tous les jours, vous touchez l'aide quoi qu'il arrive. »
Combien d'entreprises se sont présentées depuis le 9 mars 2023 ? Une. Pas deux, pas trois, une seule.
Il rappelle que début 2023, plusieurs grands patrons européens menaçaient de quitter le continent suite à la mise en place de l'IRA. Et qu'en réponse, la direction de la Concurrence a introduit une « matching clause » : si une entreprise a monté un dossier pour s'implanter dans un État membre, mais envisage finalement d'opter pour les États-Unis, l'Union européenne acceptera que la même aide soit proposée à l'entreprise, à l'euro près. « Combien d'entreprises se sont présentées depuis le 9 mars 2023 ? Une. Pas deux, pas trois, une seule. Et d'ailleurs nous avons autorisé cette opération. Avec tout le respect que j'ai pour ces très grands patrons, s'il y avait un problème de cette taille-là, je pense qu'on en aurait vu plus d'une. »
Quant à la Chine, les patrons d'entreprises françaises s'accordent pour la désigner comme un concurrent de taille massivement subventionné. Jean-Philippe Imparato, directeur général de Stellantis, prend l'exemple des véhicules électriques : « Les Chinois vendent l'électrique au prix du thermique en Europe. Ce n'est pas possible que cela coûte vraiment moins cher, parce que 45% du prix est fait par la batterie. Donc on a un sujet de compétitivité, et c'est pour ça qu'on se bat. »
« Il n'y a aucun système exonérations ou de niches fiscales qui permet d'être compétitif face à la Chine, réfute Jordan Melmiès. Ne serait-ce qu'en termes de coût du travail, c'est juste impossible. Ce qui signifie que la solution et la bonne mesure des politiques économiques n'est pas là. C'est un piège sans fin. Parce que tous les pays réagissent et tous les pays font la même chose et à la fin, on démantèle l'État social et on n'a rien gagné au passage. »
Si les travaux de la commission d'enquête sénatoriale ont montré une chose, c'est qu'en se plongeant dans le maquis des aides aux entreprises, on se retrouve rapidement à faire le procès des politiques économiques poursuivies par la France depuis maintenant des décennies – et que très peu, au sommet des entreprises ou de l'État, sont prêts à envisager des changements radicaux.