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07.05.2024 à 05:30

Comment la guerre en Ukraine a bouleversé le monde syndical et la vie des travailleurs

Inès Gil

« Depuis la première agression russe, nous sommes aux côtés des travailleurs ». Sur l'écran de son ordinateur, Yevgen Drapiatyi, vice-président de la Fédération des Syndicats d'Ukraine (Федерація професійних спілок України, en ukrainien, connu sous l'acronyme FPU), fait défiler les images de la Révolution de Maïdan. « Dès février 2014, la Russie voulait nous garder dans son giron, les Ukrainiens ont refusé. La fédération a activement soutenu les manifestants. Après cela, il y a eu l'invasion de la Crimée par les Russes, et la guerre (...)

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Texte intégral (2380 mots)

« Depuis la première agression russe, nous sommes aux côtés des travailleurs ». Sur l'écran de son ordinateur, Yevgen Drapiatyi, vice-président de la Fédération des Syndicats d'Ukraine (Федерація професійних спілок України, en ukrainien, connu sous l'acronyme FPU), fait défiler les images de la Révolution de Maïdan. « Dès février 2014, la Russie voulait nous garder dans son giron, les Ukrainiens ont refusé. La fédération a activement soutenu les manifestants. Après cela, il y a eu l'invasion de la Crimée par les Russes, et la guerre du Donbass a commencé. Depuis, nous soutenons les travailleurs victimes des agressions russes et suite à l'invasion de février 2022, nous avons redoublé d'efforts ».

Situé en plein cœur de Kiev, sur la place Maïdan, le bâtiment massif de l'organisation, coloré d'un beige sobre, rappelle l'ère soviétique. La fédération a été fondée en 1990, un an avant l'indépendance de l'Ukraine. Dans son bureau, garni d'objets à l'effigie du poète ukrainien Taras Shevchenko, Yevgen Drapiatyi porte un pull orné d'un trident, symbole du nationalisme ukrainien, qui rappelle que le patriotisme traverse le monde syndical qui se mobilise pour le pays et ses habitants. « Nous avons créé des points d'accueil pour les déplacés de guerre dans l'ouest de l'Ukraine. Jusqu'à aujourd'hui, nous leur apportons un soutien à Lviv, Rivne, Dnipro et Zaporijia ».

En parallèle, la FPU distribue une aide financière aux familles des travailleurs syndiqués qui ont été blessés ou tués sur le front. Pour répondre aux besoins immenses des adhérents, la FPU a bénéficié d'une aide financière d'organisations syndicales solidaires, à hauteur de « 127 millions de hryvnia (environ 3 millions d'euros) en 2022 », et « 72 millions de hryvnia (environ 1,7 millions d'euros) en 2023 », selon la FPU. « Nos camarades à l'étranger se sont aussi mobilisés et nous soutiennent depuis le début de l'invasion. Sans eux, on ne s'en sortirait pas », affirme encore Yevgen Drapiatyi.

Depuis le 24 février 2022, de nombreux syndicats ukrainiens ont bénéficié, comme la FPU, du soutien de syndicats internationauxet européens à travers des collectes de fonds et des dons humanitaires. À l'occasion du deuxième anniversaire de l'entrée en guerre, la FPU a rappelé la nécessité vitale de continuer ce soutien, dans une appel conjoint avec la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (конфедерація вільних профспілок україни en ukrainien, connu sous l'acronyme KVPU).

Car la guerre a en effet lourdement affecté tout le monde syndical. Avant février 2022, la FPU, qui chapeaute une quarantaine de syndicats répartis selon les secteurs, regroupait près de 3,5 millions de membres dans les territoires non-occupés.

« Mais avec les blessés, les populations déplacées, les Ukrainiens enlevés ou tués par l'armée russe, la fermeture des entreprises à l'est et la mobilisation de 10% de nos membres par l'armée ukrainienne, nous avons perdu des milliers d'adhérents. Sans compter les bâtiments de nos sections locales détruits par les missiles russes, comme à Kharkiv. Cela nous empêche de fonctionner normalement. »

Quand Equal Times rencontre en février dernier, Mykhaïlo Volynets, le président de la KVPU, celui-ci est alors particulièrement préoccupé par la situation des mineurs de la ville de Myrnograd, située dans l'oblast de Donetsk. La veille, une frappe russe a endommagé les infrastructures industrielles, empêchant des dizaines de travailleurs de sortir de la mine.

« Certains sont des membres du Syndicat indépendant des mineurs ukrainiens [Незалежна профспілка гірників України, NPGU] rattaché à la KVPU. En tant que représentants des travailleurs, nous devons suivre leur situation, la documenter, les soutenir sur le plan physique et psychologique, et apporter une aide pour réparer les dégâts causés par le bombardement », explique-t-il après avoir interrompu l'interview pour accepter un appel téléphonique. « Notre représentant local vient de m'informer qu'ils sont tous sortis, il n'y a pas eu de victime », indique-t-il, sourire aux lèvres. Depuis le début de l'invasion russe, 1.300 travailleurs membres de la KVPU ont été victimes des frappes russes. Parmi eux, 400 ont été tués, selon la Confédération.

Dans les territoires occupés désormais par la Russie, qui correspondent à 20% de l'Ukraine, les syndicats ne peuvent plus s'entretenir avec leurs adhérents. « Nous tentons de maintenir un contact, mais c'est dangereux, Moscou fait pression pour qu'ils rejoignent les syndicats russes », déplore Yevgen Drapiatyi. Les travailleurs de ces régions font également face à des violations de leurs droits, comme le dénonçait une enquête de l'Organisation internationale du travail, en mai 2023.

À quelques kilomètres, dans les bureaux de la Fédération des syndicats des travailleurs des petites et moyennes entreprises (PME) (федерація профспілок працівників малого та середнього підприємництва україни, en ukrainien), le président, Roi Viacheslav, s'alarme pour la sécurité de ses adhérents. « Avant la guerre, nous comptions au moins 150.000 membres. Aujourd'hui, ils sont seulement 100.000. Face aux attaques russes, les employés des petites et moyennes entreprises sont plus vulnérables que les travailleurs des grosses usines, ils ne bénéficient pas toujours d'une protection sur leur lieu de travail. »

Dans le contexte de guerre de haute intensité, la question sécuritaire est devenue une priorité pour les salariés. Régulièrement, les adhérents de la Fédération des syndicats des travailleurs des PME réclament des formations aux premiers secours en cas d'attaque de missile sur leur lieu de travail. Certains souhaitent aussi être orientés pour « obtenir un soutien psychologique », affirme Roi Viacheslav. « Aider les travailleurs à faire face à la guerre est aujourd'hui le cœur de nos activités, car nous ne pouvons plus jouer notre rôle d'acteur du dialogue social, comme c'était le cas avant l'invasion. Les lois adoptées ces deux dernières années en Ukraine retirent leurs prérogatives traditionnelles aux syndicats. »

Des nouvelles législations menacent les droits des travailleurs

Depuis le début de l'invasion russe, la Rada (le nom du parlement ukrainien) a adopté une succession de lois qui fragilisent gravement le droit du travail. Les textes votés immédiatement après l'invasion ont contraint le pays à s'adapter au contexte nouveau de guerre : la loi martiale interdit toute manifestation, mais elle n'a pas vocation à durer une fois les combats terminés.

En revanche, les lois votées à l'été 2022 pourraient installer les salariés ukrainiens dans une précarité durable. Un premier texte controversé a introduit les contrats dits « zéro heure », qui ne garantissent aucune sécurité d'emploi ni de salaire. S'en est suivi la loi 5371, qui soustrait les salariés des entreprises de moins de 250 employés de la couverture des accords collectifs. À cela s'ajoute, l'augmentation de la durée légale du travail dans les secteurs stratégiques et la facilitation des retards de paiement des salaires et des ruptures de contrat. « Cette loi est en contradiction avec les Conventions 87 et 158 de l'Organisation internationale du Travail », dénonce Mykhaïlo Volynets.

« Avant, pour changer les termes d'un contrat de travail, les employeurs avaient pour obligation d'entamer des négociations avec le syndicat. Mais maintenant, ils peuvent faire ce qu'ils veulent. C'est un terrible recul », affirme Roi Viachesla.

Le responsable syndical arbore un pin's représentant le drapeau européen. Selon lui, ces lois « dictées par le patronat ukrainien dont les intérêts sont portés par le pouvoir » nuisent aux chances de l'Ukraine d'entrer dans l'Union Européenne, « depuis plusieurs années, l'Ukraine a fait beaucoup de progrès dans de nombreux domaines pour s'adapter aux normes européennes. Mais maintenant, à l'heure où les Ukrainiens ont plus que jamais soif d'Europe, c'est le rétropédalage. Cette législation est en désaccord total avec les exigences européennes en matière de protection du droit du travail. » En témoignent ainsi les menaces pesant sur le droit de grève, et qui pourrait être limité par amendement législatif.

Selon Denys Gorbach, chercheur associé au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po qui travaille sur la situation socio-économique en Ukraine, les partisans d'une ligne ultralibérale profitent du contexte de guerre pour fragiliser le droit du travail, « les lois votées à l'été 2022 ne sont pas limitées par un cadre temporel, elles ont vocation à se maintenir après la fin de la guerre. Elles sont le reflet d'une vision néo-libérale portée par Volodymyr Zelensky et son parti Serviteur du peuple depuis son arrivée à la présidence en 2019. Ces néo-libéraux s'appuient sur des arguments fallacieux, affirmant que le code du travail est soviétique, et qu'il doit être totalement remodelé. Certes, le code du travail date de 1971, mais il a connu des modifications considérables pendant des décennies pour s'adapter à la modernité, notamment après l'indépendance de l'Ukraine. »

Plus préoccupant encore, d'après les Confédérations européenne et internationale, « les dirigeants syndicaux font l'objet de différentes enquêtes, de campagnes de diffamation et d'intimidation, tandis que les locaux syndicaux sont visités par des représentants de l'État, que les documents syndicaux sont examinés, que les représentants syndicaux sont convoqués à des interrogatoires. Cela distrait et rend difficile, voire impossible, le travail de fond que mènent les syndicats ».

La priorité de la guerre

Depuis deux ans, la situation de guerre a affecté tous les pans de l'économie nationale, détruisant des millions d'emplois, et notamment les secteurs métallurgique et minier, principalement concentrés à l'est. Dans la cité industrielle de Kryvyi Rih, à 70 kilomètres du front, ArcelorMittal représente un des derniers piliers de l'économie régionale.

À l'entrée du complexe industriel, une immense affiche envahit l'espace. Elle représente une fillette entourée par un soldat et un métallurgiste, avec l'inscription en ukrainien : « Ensemble jusqu'à la victoire ». Implanté depuis l'époque soviétique à Kryvyi Rih, le groupe sidérurgique est le premier producteur d'acier de la ville. « Un tiers des revenus de Kryvyi Rih proviennent des taxes payées par ArcelorMittal », affirme avec fierté Volodymyr Haidash, responsable de la communication auprès de l'entreprise. « En aidant l'économie locale, l'entreprise participe à l'effort de guerre. »

Dans un hangar, un groupe d'ouvriers surveille le passage de l'acier laminé à chaud. Une épaisse fumée se dégage des machines. Elle s'échappe par un trou formé dans le toit après une attaque russe sur le site en décembre dernier.

« Malgré le danger, nous travaillons dur, nous contribuons à faire entrer l'argent dans les caisses de l'État et d'ArcelorMittal », affirme Oleksandr, un ouvrier métallurgiste, « donc il faudrait que nos salaires suivent l'inflation, car nous n'arrivons plus à vivre décemment ».

Le syndicat de la métallurgie et des mineurs, dont les bureaux se trouvent dans l'enceinte d'ArcelorMittal depuis les années 1930, a entamé des négociations pour augmenter les salaires, affirme sa présidente, Natalya Mariniuk : « Ils n'ont pas été augmentés depuis deux ans, alors que l'inflation a explosé de plus de 35% après l'invasion russe. » Le syndicat souhaite également obtenir un treizième mois de salaire en bonus, qui avait été « supprimé unilatéralement en 2023 par ArcelorMittal. » La présidente du syndicat de la métallurgie et des mineurs semble optimiste, « mais il faut se méfier », affirme Mykhaïlo Volynets, « les syndicats héritiers de l'époque soviétique sont proches du pouvoir, ils prétendent qu'il existe encore un dialogue social en Ukraine ».

Lors d'un sommet qui a eu lieu le 23 avril dernier, à Lublin, en Pologne, cette question de la restauration du dialogue social a été abordée par les syndicats ukrainiens et leurs homologues européens, tout comme le rôle des syndicats dans les discussions sur l'avenir et la reconstruction du pays. Le soutien international se poursuit ainsi dans les échanges que peuvent avoir les acteurs syndicaux avec les responsables politiques d'Ukraine et de l'UE.

Selon le président de la KVPU, l'amélioration des conditions de travail en Ukraine passe par « la fin de l'agression russe, l'adhésion à l'Union Européenne et le vote par la Rada de nouvelles lois respectueuses des droits des travailleurs ».

01.05.2024 à 05:00

Rappelons-nous, en cette journée internationale du travail 2024, qu'il n'y a pas de démocratie sans syndicats

L'année 2024 est décrite comme une « super année électorale » historique, et pour cause : près de quatre milliards de personnes se rendront aux urnes dans plus de 40 pays. Pourtant, si nous examinons l'état de la démocratie dans le monde, a fortiori à l'aune des droits syndicaux, nous constatons qu'elle est gravement malade et qu'elle a besoin de soins urgents. Le mouvement syndical international est le plus grand mouvement social au monde. Nous constituons un maillon essentiel de tout système (...)

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Texte intégral (1573 mots)

L'année 2024 est décrite comme une « super année électorale » historique, et pour cause : près de quatre milliards de personnes se rendront aux urnes dans plus de 40 pays. Pourtant, si nous examinons l'état de la démocratie dans le monde, a fortiori à l'aune des droits syndicaux, nous constatons qu'elle est gravement malade et qu'elle a besoin de soins urgents. Le mouvement syndical international est le plus grand mouvement social au monde. Nous constituons un maillon essentiel de tout système démocratique qui se veut efficace, et nous possédons les valeurs démocratiques et l'expérience nécessaires pour prendre position « Pour la démocratie ».

La détérioration de la démocratie est évidente. Son affaiblissement peut être observé dans toutes les régions du monde. Chaque année depuis 2018, plus de pays connaissent un recul net plutôt qu'une amélioration des processus démocratiques, selon le rapport 2023 Global State of Democracy de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (International Institute for Democracy and Electoral Assistance, IDEA), basé à Stockholm.

Le classement annuel des démocraties (Democracy Index) établi par The Economist Intelligence Unit a attribué au monde une note globale de 5,22 en 2023, contre 5,29 en 2022, à mesure que les guerres et les conflits aggravent les tendances antidémocratiques négatives existantes. Selon cette enquête, si 45,5 % de la population mondiale vit dans une forme de démocratie, seuls 7,8 % des personnes, soit moins d'une sur dix, vivent dans une « démocratie complète », et 39,4 % vivent sous un régime autoritaire.

Cette tendance antidémocratique va de pair avec des attaques antisyndicales à l'échelle mondiale. L'Indice des droits dans le monde 2023 préparé par la Confédération syndicale internationale (CSI) montre que les violations des normes fondamentales ont atteint des niveaux inédits : 87 % des pays ont violé le droit de grève, tandis que 79 % ont violé le droit de négociation collective. L'Indice CSI a suivi l'aggravation de ces chiffres sur une période de dix ans.

Cette hausse notable des atteintes aux droits syndicaux s'est doublée d'une augmentation parallèle des inégalités économiques et de l'insécurité.

Dans les pays où le taux de syndicalisation et la portée des conventions collectives sont élevés, les richesses et le pouvoir sont répartis plus équitablement et la confiance des citoyens dans la démocratie est plus grande.

En 2023, l'Institut V-Dem a identifié la Norvège – où le taux de syndicalisation atteint 49 % et la couverture des conventions collectives 72,5 % – comme la démocratie la plus délibérative et la plus égalitaire au monde. Toutefois, les chercheurs ont également relevé que « le taux de syndicalisation a diminué dans l'ensemble des pays développés et que, dans la plupart des pays, l'avantage salarial lié à la syndicalisation a, lui aussi, reculé ».

Par ailleurs, l'essor de nouvelles formes de fascisme, de nationalisme, de populisme et de xénophobie se serait vu conforté par les politiques d'austérité du capitalisme. Selon une étude de 2022 qui portait sur 200 élections en Europe, les politiques d'austérité auraient, en effet, entraîné « une augmentation significative de la part de voix remportées par des partis extrêmes, une baisse de la participation électorale et une augmentation de la fragmentation politique ». Au lieu de conduire à des économies plus fortes à même de soutenir un État social plus inclusif, les profits ont été privatisés et les pertes socialisées.

Cela revient à trahir la confiance de l'électorat. L'histoire nous montre que les travailleurs recherchent invariablement des alternatives qui promettent de répondre à leurs besoins et que les populistes exploitent cette situation pour remporter les élections et ensuite démanteler les éléments de la démocratie qui leur ont permis d'accéder au pouvoir.

Aucune région du monde n'est épargnée par cette recrudescence des forces antidémocratiques, et ce, alors que nous assistons à une convergence de crises mondiales. Les conflits armés se multiplient, l'urgence climatique s'accélère, la crise de la dette ne peut plus être ignorée et la croissance non régulée des technologies pose d'énormes risques sociaux.

Il est temps de se mobiliser « Pour la démocratie »

Pour contrer ces tendances, nous avons besoin d'un mouvement véritablement démocratique qui dépasse les frontières et rassemble tous les groupes sociaux, un mouvement qui ait le pouvoir et la responsabilité de modifier l'équilibre des pouvoirs sur chaque lieu de travail, dans chaque pays et dans chaque institution mondiale. Ce mouvement, nous l'incarnons, car la démocratie est le projet des travailleurs.

Il est temps que nous, syndicalistes, assumions notre rôle en tant qu'acteurs, combattants et défenseurs des valeurs démocratiques que nous exerçons chaque jour.

C'est pourquoi la CSI a lancé la campagne « Pour la démocratie », qui vise à défendre les fondements de la démocratie sur trois fronts cruciaux : au travail, au niveau national et au niveau mondial.

– Pour la démocratie au travail : sachant qu'il n'y a pas de démocratie sans syndicats, nous affirmons notre droit à la liberté syndicale, à la syndicalisation et à la grève. Nous revendiquons des négociations collectives et un dialogue social, un traitement égal pour tous les travailleurs, un pouvoir égal dans les décisions qui ont un impact sur notre santé, notre sécurité, notre environnement et nos perspectives d'emploi, la fin de la violence et du harcèlement sur le lieu de travail, ainsi que la démocratie et la représentation au sein de nos structures syndicales.

– Pour la démocratie au niveau sociétal et national : nous revendiquons le droit de manifester et la liberté d'expression. La liberté de la presse joue un rôle essentiel en ce sens. Aussi, devons-nous défendre le rôle des journalistes qui, dans le cadre de démocraties fortes, doivent dénoncer les injustices et sensibiliser l'opinion publique, à l'abri de toutes attaques et persécutions. Nous revendiquons une véritable égalité des genres, des systèmes fiscaux justes, qui soient à même de financer la protection sociale universelle, ainsi qu'une transition juste qui soutienne tous les travailleurs. Nous résistons aux idéologies haineuses d'extrême droite et à la mainmise des entreprises sur l'élaboration des politiques nationales.

– Pour la démocratie au niveau mondial : nous demandons la réforme des structures économiques internationales en vue de la création de systèmes inclusifs qui accordent la priorité au bien-être public, aux droits humains et aux normes du travail plutôt qu'au profit privé. Nous demandons la protection et la promotion d'un multilatéralisme démocratique représentatif et d'une coopération mondiale équitable pour parvenir à la paix universelle et à la sécurité commune.

Au cœur de la campagne « Pour la démocratie » se trouve un nouveau contrat social ; une économie mondiale repensée, centrée sur les voix des travailleurs et fondée sur les piliers de l'emploi, des droits, des salaires, de la protection sociale, de l'égalité et de l'inclusion, pour faire face à la convergence des crises mondiales. Seule une approche démocratique et participative qui permette aux travailleurs d'influer sur leur avenir pourra déboucher sur un nouveau contrat social, et seul un nouveau contrat social permettra de reconstruire durablement la démocratie.

En ce premier mai, nous devons rendre hommage à tout ce que les syndicats ont fait pour la démocratie par le passé et exploiter le pouvoir collectif des syndicats pour défendre et reconstruire la démocratie aujourd'hui et à l'avenir. La campagne « Pour la démocratie » est un appel lancé aux travailleurs, aux syndicats et à leurs alliés dans le monde entier pour qu'ils se mobilisent en faveur d'un changement démocratique.

La démocratie n'est pas seulement un idéal politique, mais une réalité vécue que les travailleurs sont les mieux à même de définir, de défendre et de faire avancer.

26.04.2024 à 05:00

Face au dérèglement climatique, la santé des travailleurs à l'épreuve de nouveaux dangers

Mathilde Dorcadie, Apolline Guillerot-Malick

Sous un soleil à son zénith, transportant d'un côté une lourde glacière et de l'autre, un mini-barbecue, Edimar Santiago arpente la plage Vermelha de Rio de Janeiro de long en large, répétant en boucle une saynète connue sur le bout des doigts : poser son fardeau réfrigéré, en sortir des saucisses ou brochettes au fromage, les faire griller en un temps record, encaisser les plagistes, puis reprendre sa route. « La plage, c'est bien pour ceux qui viennent profiter et se détendre », lance le travailleur (...)

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Sous un soleil à son zénith, transportant d'un côté une lourde glacière et de l'autre, un mini-barbecue, Edimar Santiago arpente la plage Vermelha de Rio de Janeiro de long en large, répétant en boucle une saynète connue sur le bout des doigts : poser son fardeau réfrigéré, en sortir des saucisses ou brochettes au fromage, les faire griller en un temps record, encaisser les plagistes, puis reprendre sa route. « La plage, c'est bien pour ceux qui viennent profiter et se détendre », lance le travailleur indépendant de 23 ans. « Mais pour nous les vendeurs ambulants qui venons pour nous survivre, c'est dur. Le sable est brûlant et on porte des charges lourdes ».

Si le Brésil est habitué aux fortes chaleurs, certains jours de l'année, les conditions de travail à l'extérieur deviennent de plus en plus souvent insupportables. En mars dernier, la température ressentie a atteint le pic de 62,3°C à Rio de Janeiro, du jamais-vu dans l'histoire des relevés de l'Institut de météorologie brésilien. Le pays enregistre désormais plus de 50 journées par an où le thermomètre dépasse les 40°C. Comme ailleurs dans le monde, l'année 2023 y a été la plus chaude jamais enregistrée. Et tous ces épisodes caniculaires affectent directement la santé des travailleurs.

L'exposition prolongée aux fortes chaleurs augmente en effet les risques d'accident vasculaire-cérébral et favorise le « stress thermique », c'est-à-dire, une situation dans laquelle le corps humain se retrouve dans l'incapacité de réguler sa température. Celui-ci peut se caractériser par un épuisement général, des crampes musculaires, vertiges, évanouissements, maux de têtes, nausées et vomissements. En 2019, l'Organisation internationale du travail prévenait dans un rapport sur le sujet : « D'ici à 2030, l'équivalent de plus de 2% du nombre total d'heures de travail dans le monde devrait être perdu chaque année, soit parce qu'il fait trop chaud pour travailler, soit parce que les travailleurs doivent travailler à un rythme plus lent. […] Les pertes financières cumulées dues au stress thermique devraient atteindre 2 400 milliards de dollars US ».

Selon une étude de l'Université fédérale de Rio de Janeiro, 38 millions de Brésiliens (sur 215 millions) en souffrent près de 25 jours par an. Et d'après le ministère public brésilien du Travail, les professions les plus à risques — outre les vendeurs ambulants — sont les éboueurs, les chauffeurs de bus et de camions, les manutentionnaires, les agents de sécurité, les employés de supermarché et de chaînes de production, les travailleurs agricoles et ceux travaillant sur les chantiers de construction.

« Les chantiers sont déjà des lieux dangereux en temps normal, mais la chaleur extrême décuple le danger. Les travailleurs peuvent s'évanouir ou être pris de vertiges à chaque instant, lâcher leur marteau sur la tête d'un de leurs collègues, s'évanouir au volant d'une machine ou d'un marteau-piqueur », expose Ricardo Nogueira.

Ce représentant du Syndicat des travailleurs des industries de la construction civile (Sintraconst) de Rio de Janeiro et technicien en sécurité au travail fustige également le non-respect par les entreprises de la loi brésilienne votée en 2022 prévoyant « des temps de pause permettant la récupération thermique dans les activités exercées dans des lieux ouverts ». « Parfois, les ouvriers doivent aller à l'encontre des ordres de leurs supérieurs, qui les traitent de fainéants et de faibles quand ils prennent une pause pour s'hydrater », dénonce-t-il.

Sans pour autant avoir pu communiquer à Equal Times des données chiffrées, le ministère public du Travail brésilien a relevé une « augmentation des dénonciations relatives à l'exposition à une chaleur excessive » en 2023, selon Cirlene Luiza Zimmermann, de la Coordination pour la défense de l'environnement du travail et de la santé des travailleurs (CODEMAT), s'appuyant notamment sur des données collectées dans l'état de São Paulo. « Les plaintes font état de déshydratation, de malaises, de vertiges, d'évanouissements, de maux de tête et d'épuisement physique », affirme-t-elle. Dans certaines situations, le risque peut même se révéler mortel avec une réponse extrême du corps : arrêts cardiaques soudain ou syncopes avec complications.

Cancers de la peau et maladies infectieuses

Le changement climatique peut impliquer, dans certaines régions, un plus grand nombre de jours d'ensoleillement. Or, la surexposition aux rayons ultraviolets du soleil peut être responsable d'une maladie ophtalmologique fréquente chez les pêcheurs, le ptérygion, qui se caractérise par une croissance anormale de tissu sur le blanc de l'œil, mais surtout, des maladies cutanées. « Soixante-dix pour cent des gens qui travaillent en étant directement exposés au soleil, développent des cancers de la peau », affirme Antonio Oscar Junior, géographe spécialiste des changements climatiques et professeur à l'Institut de géographie de l'Université d'Etat de Rio de Janeiro.

Ton monotone de celle rompue à la vente de barbes à papa et tee-shirt rose peinant à protéger ses bras des rayons, Cione Ribeiro a bien conscience des risques qu'elle encourt en travaillant sur la plage Vermelha. « Ici, tout le monde finit par contracter un cancer de la peau. J'ai peur d'en attraper un, mais j'ai bien besoin de travailler », relate la sexagénaire.

« Plusieurs de mes collègues ne se protègent pas et se plaignent de problèmes de peau. Ils ont le corps blessé par le soleil. Du jour au lendemain, je ne les revois plus. Ils disparaissent », renchérit son collègue Elias Vieira Gonçalves, vendeur ambulant depuis 1997.

Leur situation est d'autant plus précaire qu'en tant que travailleurs indépendants, ils reposent sur leurs propres deniers pour se procurer de la crème solaire. « Parfois, j'en utilise, mais en ce moment, je n'en ai plus. Quand je me retrouve à sec, je n'ai pas de quoi en acheter », déplore Edimar Santiago, le vendeur de brochettes.

L'augmentation de la température et de l'humidité favorise la prolifération de moustiques, vecteurs de maladies infectieuses, comme la dengue. « Actuellement la cinquième cause d'arrêt de travail au Brésil », selon Antonio Oscar Junior. En février dernier, la ville de Rio de Janeiro s'est déclarée en état d'urgence sanitaire en raison d'une épidémie de dengue, plus intense et plus précoce que les années précédentes. Selon le ministère de la Santé, le Brésil a déjà enregistré 2,5 millions de cas (dont une centaine mortels) au premier trimestre 2024.

Si cette maladie n'est pas directement considérée comme « professionnelle », certains lieux de travail, comme les exploitations agricoles ou les chantiers, exposent plus que d'autres les travailleurs à des contaminations. « Dans le secteur de la construction par exemple, il existe un très grand potentiel de développement de moustiques », ajoute le géographe. La fièvre peut durer jusqu'à une semaine, incapacitant les travailleurs pour plusieurs jours. Une situation problématique pour celles et ceux qui travaillent de manière informelle et qui ne disposent pas de couverture santé.

Depuis plusieurs années, les syndicats sectoriels brésiliens sont très engagés dans les actions d'information et de prévention des travailleurs. « La campagne vise à sensibiliser la population, en plus d'encourager la vaccination, mais aussi d'informer contre les ‘fake news' », expliquait Mauri Bezerra dos Santos Filho, vice-président de la Confédération nationale des travailleurs en sécurité sociale (CNTSS/CUT), à Brasilia le 22 février devant le Conseil national de Santé, préoccupé par la propagation d'une autre forme d'épidémie sur les réseaux sociaux : la désinformation.

Événements climatiques extrêmes

Le 28 avril est la date choisie par l'Organisation internationale du travail (OIT) pour promouvoir annuellement la prévention des accidents et les maladies professionnels et commémorer la mémoire des travailleurs morts ou blessés au travail. Cette année, l'OIT a choisi de mettre l'accent sur les effets néfastes et durables du changement climatique sur la sécurité et la santé au travail, en produisant un rapport complet sur le sujet, et publié le 22 avril dernier.

Parmi les impacts, les experts listent, à la suite de ceux précédemment évoqués, les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations et les incendies de forêt, qui devraient augmenter en nombre, en gravité et en intensité. Ces dernières années, ces catastrophes sont de plus en plus présentes dans l'actualité brésilienne : cyclone meurtrier dans le sud, feux infernaux dans le Pantanal ou le Cerrado, pluies torrentielles et glissements de terrain près de São Paulo, etc.

Au Brésil, comme ailleurs, les travailleurs d'urgence et de secours sont ainsi amenés à se retrouver plus souvent en première ligne, augmentant ainsi pour eux les risques de blessures et de décès. La santé des pompiers peut également être affectée par les risques cancérigènes liés aux fumées ; celle du personnel de secours peut être touchée par des pollutions chimiques ou biologiques (liées aux rejets d'égouts) provoquées par les inondations.

Par ailleurs, ces événements intenses et dangereux peuvent aussi causer des syndromes de stress post-traumatiques (SSPT) chez cette catégorie de travailleurs.

« Nous reconnaissons qu'il s'est agi d'une saison sans précédent et que les pompiers forestiers peuvent être confrontés à des problèmes allant du traumatisme à l'isolement, en passant par le manque de soutien social et l'épuisement physique et émotionnel », affirme ainsi Melissa Story, coordinatrice d'Alberta Wildfire, en septembre 2023, dans un reportage pour le média canadien The Narwhal, sur les soldats du feu en première ligne face aux méga-feux qui ont ravagé les forêts du Canada l'année dernière.

Ceci est un aspect souvent oublié et peu étudié : les aléas climatiques, outre les impacts physiques, affectent de plus en plus la santé mentale des travailleurs. Les températures extrêmes, en affectant l'humeur, augmentent le risque de suicide et ont un impact sur le bien-être des personnes ayant déjà des problèmes de santé mentale. La détresse associée aux bouleversements climatiques et environnementaux, en cours ou anticipés, qui affectent les moyens de subsistance et la cohésion sociale de communautés, peut être à l'origine d'anxiété climatique ( ou « solastalgie »).

Discriminations socioéconomiques et racistes

Comme en atteste la situation particulièrement à risque du secteur de la construction, les maladies liées aux effets du réchauffement climatique sont le reflet de discriminations socioéconomiques. « La majorité des travailleurs de bureau ont accès à de la climatisation et à un environnement à 21 degrés, alors que les travailleurs sur les chantiers sont exposés à des températures avoisinant les 50 degrés : c'est complètement surréaliste ! », s'exclame le représentant syndical Ricardo Nogueira, avant de poursuivre : « La climatisation dans les bureaux est nécessaire pour empêcher le matériel informatique de ‘crasher', alors les entreprises sont plus préoccupées par leur équipement électrique que par leurs travailleurs. Là où il y a un ordinateur, il y aura toujours de la climatisation. En revanche, quand les ouvriers du bâtiment vont déjeuner au réfectoire, il y aura tout au plus un ventilateur. »

Et comme l'ajoute l'universitaire Antonio Oscar Junior : « Ces travailleurs en bas de la pyramide sont aussi ceux exposés à la chaleur une fois rentrés chez eux. La plupart du temps, leurs maisons ne sont pas climatisées. Ils subissent donc potentiellement du stress thermique 24 heures sur 24. Biologiquement parlant, le corps ne peut pas tenir ».

Au Brésil, pays héritier d'un passé esclavagiste, cette discrimination revêt également une dimension raciale. « Quelle est la population qui travaille principalement dans le secteur de la construction, dans les usines et comme chauffeur de bus ? Ce sont les hommes noirs », avance Antonio Oscar Junior.

« Ils sont donc beaucoup plus exposés que les blancs aux effets du changement climatique. Cela relève d'une injustice climatique, mais aussi d'un racisme environnemental. »

Sur la plage Vermelha, rares sont les vendeurs ambulants qui ont déjà consulté un médecin du travail. Le cas d'Edimar Santiago est représentatif. « Il y a deux mois, il faisait si chaud, qu'après une journée à travailler au soleil, j'ai eu une brûlure au visage. Ça a fini par disparaître au fil des jours. Je ne suis pas allé voir de médecin. Je n'ai pas le temps… sauf quand il pleut », se justifie cet habitant de la favela Complexo do Alemão à Rio de Janeiro.

Selon Antonio Oscar Junior, mettre en place des politiques de santé publique nécessiterait de « générer des données adéquates ». Or, le chercheur a observé une sous-déclaration des décès dus à des maladies liées aux effets climatiques. « Les médecins du travail ne sont pas préparés à ce type de diagnostiques. Ils ne mettent pas en cause les températures élevées », explique-t-il. « Dans les dossiers médicaux des travailleurs, les conséquences du réchauffement climatique finissent donc par être occultées. »

Cirlene Luiza Zimmermann relève pour sa part : « Les programmes de santé et de sécurité au travail doivent être mis à jour pour intégrer les questions liées aux changements climatiques, en fournissant des lignes directrices précises pour faire face aux phénomènes météorologiques extrêmes, en prévoyant la mise en œuvre de systèmes d'alerte précoce et la promotion d'une culture organisationnelle qui accorde la priorité à la sécurité et au bien-être des travailleurs dans toutes les conditions météorologiques. »

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