08.12.2023 à 09:33
Condamnation de La Poste sur son devoir de vigilance : "C'est le début d'une nouvelle ère"
08.12.2023 à 09:22
"Il est temps de protester contre l'assassinat de masse des journalistes à Gaza"
Arthur Neslen
07.12.2023 à 13:50
Au Soudan, la guerre à laquelle le monde a tourné le dos se poursuit
La violence est un trait structurel caractéristique du Soudan, et ce, pratiquement depuis sa création en 1956. Une violence qui, depuis la nouvelle flambée du 15 avril, a fait des milliers de morts et de blessés, 1,3 million de réfugiés (principalement vers le Tchad), plus de 5 millions de personnes déplacées de force et 25 millions de personnes qui dépendent de l'aide humanitaire pour survivre (sur une population totale de 45,6 millions d'habitants).
Et malgré le caractère brutal de cette tragédie (...)
La violence est un trait structurel caractéristique du Soudan, et ce, pratiquement depuis sa création en 1956. Une violence qui, depuis la nouvelle flambée du 15 avril, a fait des milliers de morts et de blessés, 1,3 million de réfugiés (principalement vers le Tchad), plus de 5 millions de personnes déplacées de force et 25 millions de personnes qui dépendent de l'aide humanitaire pour survivre (sur une population totale de 45,6 millions d'habitants).
Et malgré le caractère brutal de cette tragédie (qui place le Soudan au premier rang des crises humanitaires de la planète), l'attention internationale reste limitée. Il n'est pas surprenant qu'aujourd'hui, en réponse à la demande formulée le 16 novembre par les autorités de Khartoum, le Conseil de sécurité des Nations unies ait adopté une résolution (avec abstention de la Russie) mettant à la MINUATS (Mission intégrée des Nations Unies pour l'assistance à la transition au Soudan), le 3 décembre dernier.
Cette mission, qui a débuté en 2020, un an après la chute du dictateur Omar el-Bechir, avait pour objectif de soutenir la transition vers la démocratie, très peu de temps avant le coup d'État d'Abdel Fattah al-Burhan, en octobre de la même année, qui a profité de sa position de chef des Forces armées, alors que la MINUAD (Opération hybride Nations unies-Union africaine au Darfour) arrivait au terme de son mandat.
On est ainsi passé d'une force de maintien de la paix confinée au Darfour, avec quelque 20.000 hommes déployés sur le terrain, à une mission politique comptant à peine 250 hommes et ayant reçu pour mandat d'être opérationnelle dans l'ensemble du pays.
Simultanément, la même tendance à la baisse a été observée dans le domaine humanitaire, si bien que le récent appel des Nations unies pour répondre aux besoins fondamentaux de 18,1 millions de personnes n'a couvert qu'à peine un tiers des 2,6 milliards de dollars US demandés (2,41 milliards d'euros).
À l'origine, ce sont les Britanniques qui ont provoqué l'étincelle en créant ce qui a longtemps été le plus grand pays d'Afrique en fonction de leurs intérêts et en forçant à vivre ensemble des populations qui ne le souhaitaient aucunement.
À ce défaut structurel sont venus s'ajouter d'autres facteurs qui, pendant près de 30 ans de dictature d'Omar el-Bechir, ne sont parvenus qu'à donner une image de fausse stabilité, ponctuée de violences et de répressions, avec des épisodes aussi tragiques que celui qui affecte encore le Darfour, puis l'indépendance du Soudan du Sud (2011).
Le renversement du dictateur en avril 2019 venait à peine d'apporter une lueur d'espoir, avec les Forces pour la liberté et le changement menant un processus civil de transition vers la démocratie, que celle-ci était brutalement avortée par les militaires en 2021. Ceux-là mêmes qui sont aujourd'hui à nouveau en conflit direct les uns avec les autres, animés d'un zèle prédateur insensible aux souffrances de la grande majorité de la population.
D'un côté, le général Abdel Fattah al-Burhan, chef des Forces armées soudanaises, principal protagoniste du renversement d'Omar el-Bechir avec son rôle de leader du coup d'État évoqué plus haut et actuellement dirigeant suprême du pays, à la tête du Conseil de souveraineté. Face à lui, le général Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom d'Hemeti, chef des Forces de soutien rapide, désormais déclarées rebelles, et second de la chaîne de commandement du Conseil de souveraineté. Ils étaient tous deux clairement alignés sur M. el-Bechir pendant la dictature et impliqués dans les atrocités commises au fil des années au Darfour (sans que ni l'un ni l'autre n'ait été formellement inquiété par la Cour pénale internationale, contrairement au dictateur) et aucun des deux ne s'est distingué par sa ferveur démocratique.
Même si tous deux tiennent à la présenter autrement, leur confrontation actuelle n'est pas le fruit de divergences idéologiques de quelque nature que ce soit. Au premier abord, le conflit pourrait être interprété comme le résultat de désaccords entre les deux militaires sur deux points centraux de l'agenda national :
1) un accord éventuel avec les acteurs civils afin de remettre le processus politique sur les rails, par la mise en œuvre de ce qui a été convenu en novembre 2021 pour entamer une nouvelle période de transition avec un gouvernement civil à la barre ;
2) le processus d'intégration des Forces de soutien rapide aux Forces armées soudanaises, mettant fin à l'existence d'une force paramilitaire indépendante, dérivée des très violentes milices Janjawid renforcées par M. el-Bechir lui-même en vue de réprimer la révolte au Darfour et peu enclines à se plier à la discipline de Khartoum. Toutefois, au fond, tout semble indiquer qu'il s'agit d'une grossière lutte pour le pouvoir entre les deux personnages.
Complexifiant encore davantage la confrontation interne, de nombreux voisins et puissances extérieures tentent de s'immiscer dans les affaires du pays.
Ainsi, d'une part, l'Égypte (dirigée elle aussi par un autre putschiste, Abdel Fattah al-Sissi) tente de préserver l'influence historique qu'elle a exercée sur son voisin du sud, tant pour garantir la stabilité de sa frontière méridionale que pour se doter d'un allié dans ses efforts visant à contrecarrer les répercussions négatives sur ses intérêts que pourrait avoir la construction du Grand barrage de la Renaissance que l'Éthiopie est déterminée à concrétiser. Si sa préférence pour M. al-Burhan paraît évidente, il a également veillé à maintenir un contact avec Hemeti.
Pour sa part, Hemeti ne dispose pas uniquement de ses propres forces armées, dont les effectifs sont estimés à environ 100.000 hommes très bien équipés grâce à sa fortune personnelle et au contrôle qu'il exerce
sur les mines d'or et sur de puissants réseaux de contrebande. Il bénéficie également du soutien d'acteurs extérieurs importants tels que les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite.
En effet, Hemeti s'est impliqué dans la guerre au Yémen en engageant ses combattants aux côtés des forces d'Abu Dhabi et de Riyad, ce qui lui a apporté un soutien financier et politique considérable qu'il cherche aujourd'hui à exploiter à son avantage.
Pendant ce temps, la Russie est également très active, se positionnant de plus en plus en faveur de Hemeti, et fournissant même des mercenaires du groupe Wagner (bien que Moscou l'ait nié). Moscou a depuis longtemps manifesté son désir de disposer d'une base navale à Port-Soudan, ce qui explique son intérêt croissant pour le pays. Le tout en gardant un dialogue direct avec M. al-Burhan.
Enfin, pour la Chine, soucieuse de sa sécurité énergétique, le principal attrait du Soudan reste son pétrole (sachant que la propriété de celui-ci reste à définir, dans l'attente d'un accord définitif sur la frontière entre Khartoum et Djouba). Cela explique son appel à la retenue des deux parties, étant entendu que la stabilité est son principal objectif. C'est également la ligne que suivent l'Union européenne et les États-Unis, même si leur insistance constante sur la retenue et la stabilité n'est pas incompatible avec l'acceptation d'un gouvernement contrôlé par les militaires, comme c'est d'ailleurs le cas depuis la fin de la dictature de M. el-Bechir.
Rien n'indique, en somme, que l'un des deux généraux soit disposé à s'incliner dans la lutte pour le butin, du moins tant qu'ils n'auront pas vu ce que leurs fidèles sont capables de faire les armes à la main. D'ailleurs, pour ne rien arranger au pessimisme de la situation actuelle, les médiateurs des pourparlers de paix (Arabie saoudite, États-Unis et Autorité intergouvernementale pour le développement) qui ont débuté en octobre dernier ont décidé de suspendre indéfiniment les contacts devant l'absence totale de volonté des deux parties de rapprocher leurs positions.
04.12.2023 à 10:54
Malgré une forte percée de l'électrification des transports en Amérique latine, elle reste inégale
Au cours des cinq dernières années, la mobilité électrique s'est progressivement installée dans de nombreuses régions des Amériques. Plusieurs gouvernements ont présenté des stratégies visant à promouvoir l'électrification de leurs systèmes de transport en vue de respecter les engagements en matière de réduction des émissions de carbone, ce qui implique, notamment, une réduction du nombre de véhicules et de parcs automobiles utilisant des combustibles fossiles comme source d'énergie.
Compte tenu du fait que (...)
Au cours des cinq dernières années, la mobilité électrique s'est progressivement installée dans de nombreuses régions des Amériques. Plusieurs gouvernements ont présenté des stratégies visant à promouvoir l'électrification de leurs systèmes de transport en vue de respecter les engagements en matière de réduction des émissions de carbone, ce qui implique, notamment, une réduction du nombre de véhicules et de parcs automobiles utilisant des combustibles fossiles comme source d'énergie.
Compte tenu du fait que le secteur des transports (aussi bien publics que privés) constitue le principal générateur d'émissions de gaz à effet de serre dans la région (à hauteur de 39 % des émissions totales), la mise en place d'une transition juste est un objectif qui pose de nombreux défis.
En 2019, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) indiquait que l'Amérique latine pourrait économiser 621 milliards de dollars par an et réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 1,1 milliard de tonnes si elle électrifiait complètement tous ses réseaux de transport (maritimes et terrestres) d'ici à 2050. En 2021, deux ans plus tard, malgré la pandémie, un rapport publié par la même organisation indiquait que 27 pays d'Amérique latine et des Caraïbes sur 33 avaient déjà accordé la priorité à ce secteur à titre de composante majeure de leur stratégie visant à atteindre les objectifs de réduction des émissions.
Les données fournies par E-Bus Radar (une plateforme qui surveille la pénétration des bus électriques dans les systèmes de transport public en Amérique latine, développée par des organisations telles que l'International Council on Clean Transportation [ICCT, Conseil international pour des transports propres]) reflètent une partie de cet engagement : en six ans, le nombre de bus électriques a pratiquement été multiplié par sept dans la région, passant de 725 en 2017 à 4.998 en 2023. Même si la croissance de ces parcs de véhicules ne suit pas celle des villes, le PNUE précise que c'est précisément cette « urbanisation rapide » qui crée les circonstances opportunes de prioriser les autobus électriques.
Mayra Madriz, experte en mobilité durable, a indiqué à Equal Times qu'il conviendrait d'intégrer les systèmes de transport électrique à d'autres systèmes, en y incluant les vélos et les trottinettes électriques. « Les gens doivent pouvoir se dire “Bon, en descendant du bus je peux compter sur une trottinette pour terminer mon trajet, ou alors je l'utilise pour atteindre mon moyen de transport suivant ou encore j'utilise mon vélo pour une distance plus limitée” ». Cet objectif passe notamment par le réaménagement des voies de circulation pour permettre d'effectuer ces trajets. Cela passe également par un renforcement du nombre de stations de recharge, faute de quoi l'intérêt pour les véhicules électriques s'en trouve réduit.
« En Amérique latine, les autobus et la voiture privée étaient en grande partie associés à des niveaux économiques différents. Dans une conception moderne de la mobilité, fondamentalement, cette notion est abandonnée. En lieu et place, ce sont des cadres de mobilité qui sont adoptés en guise de système, incorporant une gamme de modes de transport propres, notamment les déplacements à pied comme mode de transport légitime, et des investissements sont réalisés dans les infrastructures les étayant, du vélo aux transports de masse ou transports publics, et à leurs différentes échelles, les petits bus électriques, les trains, etc. », détaille la spécialiste en urbanisme.
Un bulletin des Nations unies sur le dialogue public-privé en matière de mobilité électrique appuie ses propos. Le document souligne que la mise en œuvre de la mobilité par le secteur public passe par le remplacement des parcs de véhicules et l'extension de la couverture des différentes modalités de transport électrique, telles que le métro ou les trolleybus, tant au niveau national que régional. Cela permettrait une plus grande accessibilité qui, à son tour, doit être accompagnée d'un financement gouvernemental ou de subventions permettant de garantir que ces services ne sont pas considérés comme un luxe en raison de leur coût élevé.
« L'amélioration de l'accès au système s'avère indispensable. Toute tentative d'amélioration de la qualité par l'intermédiaire d'augmentations de prix qui rendent les tarifs inaccessibles à une certaine population présentant des différences marquées de pouvoir d'achat porte atteinte à son caractère de service public », met en garde le document.
En Argentine, par exemple, afin de remédier aux inégalités au sein du secteur, la Banque mondiale a accordé des prêts pour l'électrification des services de transport desservant les zones à faibles revenus, les plus vulnérables, de Buenos Aires, ainsi que les banlieues nord et ouest de la ville.
Pendant ce temps, la Colombie s'efforce de créer des trajets qui soient utiles aux personnes aux ressources les plus modestes. À Bogota, par exemple, la société de transport public La Rolita, dont le parc est composé à 100 % de bus électriques, dessert 21 quartiers de Ciudad Bolívar, le plus grand district de Bogota, considéré comme une zone rurale à faibles revenus.
Par ailleurs, conformément au rapport « La mobilité électrique dans les transports publics d'Amérique latine », les villes de Santiago (Chili) et Montevideo (Uruguay) évaluent actuellement les ajustements technologiques et infrastructurels à apporter afin de s'assurer qu'elles ont la capacité de terminer les itinéraires actuels, de manière à ce qu'aucune localité ne soit privée de service.
Edgar Díaz, secrétaire responsable de l'Amérique latine à la Fédération internationale des ouvriers du transport, a déclaré que son organisation avait promu des « systèmes multimodaux [une combinaison de différents moyens de transport] », avec des transports électriques spécifiques pouvant atteindre les zones les plus reculées. « Nous évoquons la mobilité électrique des pays ou des régions, mais nous oublions les asymétries à l'intérieur même des villes où le progrès ne se répand pas de manière uniforme », indique-t-il.
Qui plus est, même si « la quasi-totalité des pays d'Amérique latine et des Caraïbes dispose d'une législation favorisant l'introduction et l'utilisation de véhicules électriques au niveau national », le rapport des Nations unies estime que cela ne suffit pas à assurer une transition juste (c.-à-d. qu'elle est respectueuse de l'environnement, mais pas des travailleurs, qui pourraient perdre leur emploi). Dans ce sens, M. Díaz estime qu'il est essentiel que les syndicats soient représentés et que la parole des travailleurs soit entendue dans la prise de décision, surtout parce que la transition vers les transports verts, tout en créant des emplois, en détruit d'autres dans certains secteurs.
Le rapport conjoint « El empleo en un futuro de cero emisiones netas en América Latina y el Caribe » (L'emploi dans un avenir sans émissions nettes en Amérique latine et dans les Caraïbes) de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de la Banque interaméricaine de développement (BID), même s'il évoque le potentiel de création de millions d'emplois dans le monde si la fabrication de véhicules électriques venait à être stimulée et si les investissements dans les transports publics étaient multipliés par deux, ne fait pas l'impasse sur le fait qu'« il y aura des gagnants et des perdants dans cette transition, mais que l'impact net sera positif ».
À ce propos, Edgar Díaz a fait remarquer que « la question de la reconversion [recyclage et relocalisation des travailleurs] est importante parce que le progrès technologique fait qu'à un moment donné certaines personnes dans certains départements deviennent superflues ». Il est donc important que ces employés ne perdent pas leur poste, mais qu'un poste parallèle soit créé avec les mêmes avantages et conditions que ceux du poste actuel.
L'OIT a insisté sur l'importance de la participation des organisations des employeurs et des travailleurs (surtout des travailleurs informels qui ont peu d'accès à la protection sociale et ceux qui occupent des postes de niveau inférieur) à la planification des projets de transport durable, sachant que le dialogue social est un facteur déterminant pour parvenir à une transition véritablement juste qui comprend des « mécanismes de requalification et de perfectionnement des compétences des travailleurs ». Malgré ses propres recommandations, l'organisation affirme que « la majorité des organisations de travailleurs de l'économie informelle des transports prennent la forme de groupes d'entraide coopératifs, qui ne sont ni reconnus ni enregistrés à titre de syndicats. Ils sont très rarement inclus dans les processus ou les structures tripartites officielles ».
La Colombie a déjà fait l'expérience d'une situation de ce type. Après la création de TransMilenio, avec l'incorporation de bus électriques, ce sont entre 1.900 et 2.800 emplois qui ont été créés. Ces emplois en ont remplacé d'autres qui relevaient de la définition du travail informel et peu sûr. Cependant, tous les travailleurs n'ont pas été retenus et de nombreux chauffeurs de minibus ont perdu leur emploi.
M. Díaz explique que les syndicats ont encouragé le dialogue entre les principaux acteurs, à savoir les gouvernements, les employeurs et les transporteurs. Toutefois, des progrès plus ou moins réels ont été réalisés en termes de conditions de travail et de protection sociale en fonction de la situation politique et de la culture du transport propre dans chaque pays.
Il considère le Mexique et le Chili comme les pays les plus avancés d'Amérique latine, car ils ont encouragé l'adoption des véhicules électriques au moyen de mécanismes de financement et de crédit ainsi que de mesures incitatives. Et, même s'ils restent confrontés à des défis liés aux coûts pour parvenir à une adoption massive de ce type de transport, les deux gouvernements ont favorisé la conclusion d'accords avec les compagnies en vue de l'électrification de leurs parcs de véhicules. En outre, l'OIT indique que les deux pays ont fait participer toutes les parties prenantes, des exploitants aux percepteurs, aux processus de prise de décision relatifs aux plans et aux projets d'électrification des transports.
L'essor de la mobilité électrique a également entraîné l'émergence d'une question cruciale, celle de l'égalité des sexes dans le secteur des transports, où les femmes représentent entre 8 % et 21 % des effectifs régionaux.
En vue de combler les écarts entre les sexes dans ce secteur, ou du moins de tenter d'y parvenir (puisqu'il s'agit de l'un des piliers du développement pour les Amériques), la BID a créé le Transport Gender Lab (TGL), un réseau de 12 villes au sein duquel un dialogue technique est encouragé concernant l'intégration des femmes dans les systèmes de transport, tant dans leur rôle d'usagères que dans celui de prestataires de services.
L'organisation a recommandé aux gouvernements d'Amérique latine de promouvoir des programmes spéciaux de formation et d'éducation pour que davantage de femmes se consacrent à la conduite, à la mécanique et à la fabrication d'autobus et de véhicules électriques voire de concevoir des politiques qui encouragent les entreprises de transport à promouvoir une mobilité électrique inclusive en employant davantage de femmes à des postes de gestion et d'exploitation.
Dans le cadre de la plateforme Moviliblog – Idées sur le transport et la mobilité pour l'Amérique latine, les consultants de la BID soulignent que « l'avenir de la mobilité » créera de nouveaux emplois qui pourraient s'adresser à un plus grand nombre de femmes ; emplois qui vont de la fabrication de batteries et de moteurs électriques aux postes de conductrices, en passant par les postes d'experts en réparation ou encore l'innovation numérique.
À Bogota, ville membre du TGL, la mise en œuvre de ces recommandations a commencé.
Catherine Contreras a débuté comme conductrice de camionnettes scolaires et de véhicules sanitaires qui fonctionnaient tous au diesel et dont l'entretien était très fastidieux. Depuis l'année dernière, cependant, sa vie professionnelle s'est améliorée à certains égards, puisque, grâce à un projet de la mairie, elle a aujourd'hui rejoint La Rolita, la société (de transport en commun) du district.
Elle a suivi des cours organisés conjointement par le Secrétariat aux femmes et le Secrétariat à la mobilité du district dans le cadre du programme Éco-conduite qui prévoyait la formation de conductrices mères ou chefs de famille à la conduite et à la mobilité électrique. Elle a passé des entretiens et suivi une formation pour figurer parmi les 450 femmes dont le permis de conduire a été requalifié et qui ont rejoint la société.
« Au sein de La Rolita, des femmes ont été intégrées aux effectifs et c'est la raison pour laquelle d'autres entreprises privées s'adaptent et forment davantage de femmes. Ici, nous encourageons l'autonomisation et les opportunités sont plus nombreuses ; on a une plus grande estime de soi et un plus grand sentiment de fierté lorsqu'on excelle dans un travail qui était autrefois réservé aux hommes. Aujourd'hui, nous faisons partie du bon service public et de la mobilité de la ville », déclare Mme Contreras à Equal Times.
Pour cette conductrice, un autre avantage est que La Rolita opère dans le sud de la métropole, dans des zones « vulnérables » comme Ciudad Bolívar, qui étaient desservies par peu de lignes parce que, « en raison de la fraude liée aux billets, les opérateurs privés ne généraient que peu de revenus ». Ces personnes peuvent désormais se déplacer en bus électriques sur les 10 différentes lignes qui couvrent ce secteur de la ville.
Néanmoins, ces mêmes travailleuses considèrent que certains aménagements devraient être apportés au niveau des rythmes de travail et des salaires. « Nous avons demandé que les heures de travail ne soient pas si longues, parce que la plupart d'entre nous sommes mères ou chefs de famille, et que nous élevons de jeunes enfants », ajoute-t-elle.
Contractuellement, chaque employé est censé travailler huit heures par jour, mais nombre d'entre eux accumulent jusqu'à 14 voire 16 heures par jour, une situation qui affecte aussi bien les hommes que les femmes. De fait, comme l'ont rapporté des médias locaux tels que El Espectador, en février de cette année, La Rolita a licencié un chauffeur (réintégré par la suite) parce qu'il s'était plaint auprès du Conseil municipal de Bogota des mauvaises conditions de travail au sein de la société. Il s'était plaint qu'ils devaient effectuer de très longues journées de travail en raison d'un « manque de personnel » et avait également demandé une rémunération fixe pour l'ensemble des conducteurs.
À l'heure actuelle, plus de huit pays sur dix des Amériques se sont engagés dans des plans de mobilité électrique destinés à réduire les émissions de CO2 et à avancer ainsi sur la voie de la décarbonisation. Des améliorations ont ainsi pu être apportées aux infrastructures qui permettent au secteur de rester opérationnel. Même si, selon la Chambre chilienne du commerce automobile (Cavem), un pays comme le Chili dispose aujourd'hui du deuxième plus grand parc mondial de bus électriques derrière la Chine, nombreux sont ceux pour qui l'électrification des transports reste un défi. Malgré les progrès réalisés en matière d'éducation et de sensibilisation aux avantages environnementaux de l'électrification des transports, l'investissement dans ce secteur balance entre défi et nécessité.
30.11.2023 à 05:00
Par une froide journée de juin, sous une bruine glaçante, un groupe de près de 200 adultes et enfants, sacs au dos et poussettes ou vélos à bout de bras, grimpaient les escaliers pour ensuite traverser le pont Jacques Cartier à Montréal. Celui-ci porte le nom d'un explorateur français du 15e siècle, dont les violentes interactions et l'exploitation des Canadiens autochtones sont bien documentées, et qui est également connu pour avoir été l'un des principaux responsables de l'extinction des grands (...)
- Actualité / Canada, Etats-Unis, Droits humains, Migration, Manifestations, Inégalité, Silvia MendezPar une froide journée de juin, sous une bruine glaçante, un groupe de près de 200 adultes et enfants, sacs au dos et poussettes ou vélos à bout de bras, grimpaient les escaliers pour ensuite traverser le pont Jacques Cartier à Montréal. Celui-ci porte le nom d'un explorateur français du 15e siècle, dont les violentes interactions et l'exploitation des Canadiens autochtones sont bien documentées, et qui est également connu pour avoir été l'un des principaux responsables de l'extinction des grands pingouins.
Escortés par des policiers à vélo, ces manifestants rappellent les images de demandeurs d'asile du Moyen-Orient entrés en Europe en 2015, marchant le long des autoroutes, de migrants latinoaméricains effectuant de longs trajets à pied vers les États-Unis ou encore de migrants africains qui traversent le Sahara pour atteindre l'Europe.
Ce groupe empruntant la route vers la frontière canado-américaine est pourtant bien différent de ceux qui fuient le Moyen-Orient, l'Amérique latine ou l'Afrique : au lieu de chaussures élimées ou de ponchos fabriqués à partir de sacs en plastique, ces personnes sont équipées de chaussures de randonnée, des vestes imperméables et des vêtements chauds.
Le 17 juin, cette foule multiculturelle, composée de différents âges et nationalités, entamait une randonnée de trois jours, sur 73 kilomètres, vers un passage frontalier informel entre les États-Unis et le Canada appelé Roxham Road au Québec. Son objectif était de s'opposer à une extension de l'Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) que la Cour venait de ratifier deux jours plus tôt.
Pour Barbara Haisette, militante pour les droits des femmes à Montréal, cette randonnée symbolise le fort mouvement de contestation s'opposant aux nouvelles politiques qui, dit-elle, vont non seulement renforcer les obstacles pour ceux qui cherchent un refuge, mais permettront aussi aux autorités de les retenir dans des centres de détention ou de les expulser vers d'autres pays.
« Notre marche était surtout symbolique, car nous n'avions que quelques kilomètres à faire au cours de la journée. C'était un témoignage de notre solidarité avec les migrants et les réfugiés qui, eux, doivent parcourir des centaines de kilomètres pendant des mois, voire des années, avant de trouver un endroit où vivre en sécurité », a confié Mme Haisette à Equal Times.
Depuis sa mise en œuvre en 2004, l'ETPS implique que les demandeurs d'asile souhaitant traverser la frontière entre les États-Unis et le Canada sont tenus de présenter leur demande dans le premier des deux pays où ils arrivent. Or, d'après le Migration Policy Institute : « Telle que négociée à l'origine, cette obligation n'entrait en application que dans les points d'entrée officiels et pas ailleurs, ce qui avait permis à Roxham Road de devenir un point d'accès non officiel pour un nombre croissant de demandeurs d'asile du monde entier – et un point de discorde pour la politique intérieure du Canada ».
L'ETPS a été étendu afin d'annuler toute demande d'asile déposée par un migrant ayant franchi illégalement la frontière entre les États-Unis et le Canada. De nombreux militants des droits et groupes d'aide aux réfugiés affirment que de ce fait l'ETPS porte atteinte aux principes des droits humains, privant les immigrants de leur droit fondamental de trouver un refuge. L'une de ces militants est Sandra Cordero, 54 ans, qui, avec sa famille, a fui le Chili après le coup d'État de la CIA de 1973 et, après avoir été bloquée en Équateur pendant cinq ans, s'est finalement installé à Montréal en 1979.
Mme Cordero et d'autres membres de Le Droit De Vivre En Paix Montreal, une ONG de soutien aux réfugiés et aux migrants, ont pris part à la manifestation pour attirer l'attention sur la réduction des droits des demandeurs d'asile au Canada.
« En tant que signataire de la Convention de Genève, le Canada devrait révoquer l'ETPS. En effet, cet accord met à mal les droits fondamentaux des réfugiés tels que consacrés par la Convention, et sape leurs droit à l'asile au Canada », tout en précisant à Equal Times que parmi ces droits figurent le principe du « non-refoulement » et la liberté de circulation, qui sont pourtant inscrits dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
« Je pense que les États-Unis et le Canada se considèrent mutuellement comme des refuges sûrs, et que refuser aux réfugiés leurs droits sur la base de ce postulat est une manœuvre clairement partiale, ancrée dans le colonialisme et l'impérialisme contemporains », ajoute Cordero.
« Ces pays ferment leurs portes aux réfugiés, et pourtant ils contribuent à la situation qui force les gens à se déplacer. La crise environnementale découlant des activités minières du Canada au Chili en est un exemple flagrant, qui pousse des milliers de Chiliens à abandonner leur lieu de résidence », souligne-t-elle, évoquant de la sorte les 53 sociétés minières canadiennes qui ont déclenché la crise écologique, comme observé dans le cadre des projets Vizachitas et Maricunga.
C'est en 2002 que l'Entente sur les pays tiers sûrs est envisagée en Amérique du Nord, lorsque les États-Unis et le Canada sont tombés d'accord dans le cadre de la Déclaration conjointe pour une frontière intelligente. Puis, le 29 décembre 2004, l'ETPS est entré en vigueur.
Cette entente – comportant de nombreuses similitudes avec l'emblématique système de Dublin qui constitue le cadre de l'UE pour les demandes d'asile et a été adopté juste un an avant, en 2003 – stipulait que les immigrants demandant l'asile dans l'un des deux pays ne pouvaient le faire que dans leur premier pays d'arrivée. Jusqu'au 25 mars 2023, les huit kilomètres de la route de Roxham servaient de passage frontalier « irrégulier » pour les personnes se trouvant aux États-Unis mais souhaitant demander l'asile au Canada. D'après le site web d'informations CBC, le gouvernement canadien aurait indiqué qu'entre décembre 2022 et la fermeture de la frontière en mars 2023, quelque 4 500 personnes ont traversé la frontière par la Roxham Road tous les mois.
Le gouvernement canadien affirme que la décision d'extension de l'Entente aiderait « les deux pays à mieux gérer, sur leur territoire respectif, l'accès au système de protection des réfugiés par les personnes qui traversent leur frontière commune », mais Harini Sivalingam, directrice du programme pour l'égalité de l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC), réfute énergiquement cet argument :
« Si les deux gouvernements ont conclu cet accord, c'est pour restreindre la capacité des personnes réfugiées à présenter leur demande dans leur pays », dit-elle à Equal Times, critiquant l'ETPS qui est « un accord, une loi et un processus restrictifs qui limitent les droits de la personne réfugiée à demander la protection et l'asile dans le pays qu'elle juge sûr ».
Harini Sivalingam, qui a également aidé des immigrants et des réfugiés en tant qu'avocate, laisse entendre que pour nombre de demandes d'asile, les États-Unis ne constituent pas un refuge sûr, car ces personnes s'y retrouvent derrière les barreaux ou sont renvoyées dans le pays qu'ils ou elles ont fui.
« En outre, les droits des réfugiés ne sont pas rigoureusement protégés aux États-Unis. Les demandes d'asile fondées sur des persécutions en raison du genre, de l'orientation sexuelle ou de l'identité genrée risquent de ne pas aboutir aux États-Unis, alors que ces mêmes personnes se verraient plus facilement octroyer le statut de réfugié au Canada », ajoute-t-elle.
Lors de l'application de l'Entente de 2002, elle n'avait d'incidence que pour les personnes franchissant les frontières terrestres officielles. C'est la raison pour laquelle des itinéraires alternatifs sont apparus, tels que celui de Roxham Road. En même temps, la frontière aquatique séparant les deux pays, d'une longueur de 2.000 kilomètres, s'est transformée en une voie alternative mais périlleuse pour les réfugiés. Certains d'entre eux ne sont jamais arrivés à destination, comme les Patel, une famille indienne composée de quatre membres, morts de froid en janvier 2022 alors qu'ils essayaient de franchir irrégulièrement la frontière avec les États-Unis.
« Nous avons été témoins de ce phénomène à maintes reprises, les exemples abondent, documentés et glaçants d'effroi, des risques que les gens doivent prendre parce qu'ils empruntent des passages non officiels où, à l'origine, l'Entente n'était pas d'application », dit Mme Sivalingam.
Mais ensuite, le 24 mars 2023, Ottawa et Washington ont changé la donne et fait appliquer l'Entente sur l'ensemble des frontières terrestres et aquatiques entre le Canada et les États-Unis. La Maison Blanche a laissé entendre que cette extension de l'Entente allait « dissuader l'immigration clandestine » à la frontière commune entre ces deux pays.
Cependant, comme le prédisaient les militants et groupes défenseurs des droits des réfugiés, ces mesures se sont révélées inefficaces face aux franchissements irréguliers des frontières. Une semaine après l'extension de l'Entente, la tragédie frappait à nouveau : deux cas distincts de familles tentant d'immigrer, l'une indienne et l'autre roumaine, toutes deux ayant des enfants en bas âge et dont les corps sans vie ont été retrouvés dans le fleuve Saint Laurent presque gelé, au Québec.
« Il est devenu encore plus dangereux pour les demandeurs d'asile de traverser la frontière, et c'est bien là le problème et le danger inhérent à l'Entente. Elle n'empêchera personne de traverser la frontière. Tous ceux qui doivent fuir sous le coup de persécutions dans leur pays d'origine vont toujours chercher refuge, parce qu'il y va de leur vie et de leur sécurité. Pour ces personnes, le risque de rester est supérieur à celui de partir, » souligne Mme Sivalingam.
Le Canada s'est imaginé comme une terre d'accueil pour les immigrants et les réfugiés, en particulier des pays du Sud, et son gouvernement ne rate jamais une occasion d'affirmer que « la réinstallation fait partie intégrante de l'édification de la nation et l'immigration est un élément intrinsèque du patrimoine national ».
L'année dernière, à l'occasion de la Journée mondiale des réfugiés, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a célébré les efforts déployés par son pays pour soutenir les réfugiés, et déclaré que « en 2022, pour la quatrième année de suite, le Canada est le pays qui a accueilli le plus de réfugiés dans le monde ».
Le chiffre mentionné par Trudeau n'est pas erroné, mais il ne montre qu'une facette du phénomène migratoire dans le monde. Car de manière générale, ce pays nord-américain ne figure même pas parmi les dix pays ayant accueilli le plus de réfugiés ou dont la population compte la plus grande proportion de réfugiés au monde.
Ce que le Canada pratique dans le cadre de ses politiques d'immigration, c'est un tri sur le volet des réfugiés qu'il accepte, au moyen de programmes de réinstallation qui s'étendent souvent au-delà de ses propres frontières.
Cette approche a suscité des critiques de la part de nombreux militants et organisations de défense des droits des réfugiés, et Harini Sivalingam laisse entendre que les politiques d'immigration au Canada sont « discriminatoires et racialisées » et que les personnes des pays du Sud, par rapport à celles des pays exemptés de l'obligation de visa, sont confrontées à davantage de difficultés pour entrer au Canada, indépendamment de leur niveau d'éducation, de leur expérience professionnelle et d'autres compétences.
Des rapports récents ont mis en lumière la différence de traitement des réfugiés afghans et syriens par les autorités canadiennes par rapport à ceux qui fuient la guerre en Ukraine, illustrant ainsi l'iniquité au cœur des politiques canadiennes en matière d'immigration.
Comme l'un des participants à la manifestation contre l'ETPS l'a expliqué à Equal Times : « Ma femme vient des Pays-Bas, et ici on la traite comme une ‘expat'. En revanche, le système d'immigration traite tout à fait autrement les nombreuses personnes non Européennes, qui ont pourtant elles aussi un niveau d'études supérieur et une expérience professionnelle précieuse », affirme un jeune homme Canadien qui a dit s'appeler Shawn. « Le Canada est un pays d'immigrés. Certains sont venus d'abord, d'autres plus tard. Mais notre pays ne devrait pas fermer ses portes aux immigrants qui ont besoin de venir maintenant. »
29.11.2023 à 08:54
L'Afrique de l'Ouest est depuis longtemps une région émaillée de défis complexes en matière de paix et de sécurité. Ces dernières années, la région s'est trouvée confrontée à une convergence de menaces multiples, créant une mosaïque encore plus complexe de préoccupations.
La flambée inquiétante de l'extrémisme violent, la piraterie qui sévit dans ses eaux côtières, le gouffre des inégalités sociales et les ombres jetées par les violences électorales sont venus s'ajouter à un contexte déjà extrêmement volatile (...)
L'Afrique de l'Ouest est depuis longtemps une région émaillée de défis complexes en matière de paix et de sécurité. Ces dernières années, la région s'est trouvée confrontée à une convergence de menaces multiples, créant une mosaïque encore plus complexe de préoccupations.
La flambée inquiétante de l'extrémisme violent, la piraterie qui sévit dans ses eaux côtières, le gouffre des inégalités sociales et les ombres jetées par les violences électorales sont venus s'ajouter à un contexte déjà extrêmement volatile résultant des conflits préexistants. L'insécurité entraîne des répercussions multiples et préjudiciables pour les travailleurs et les syndicats, qui vont des préoccupations liées à la sécurité physique aux difficultés économiques, en passant par la baisse de la productivité, les pertes d'emploi et la détresse psychologique.
Face à ces défis, les syndicats de Sierra Leone et du Burkina Faso se sont engagés dans une initiative qui est en train de redessiner le paysage et de redéfinir le rôle des syndicats.
Le projet intitulé « Favoriser le développement durable par le dialogue social dans les États fragiles d'Afrique » est soutenu par le département international de la confédération syndicale néerlandaise FNV Mondiaal et piloté par la CSI-Afrique. Ce projet novateur ne consiste pas seulement à fournir aux syndicats des outils de dialogue social, mais aussi à leur donner les moyens de devenir des champions de la paix.
Lancé en août 2021 et clôturé en septembre 2023, le projet a été mis en œuvre au Burkina Faso en partenariat avec le Sierra Leone Labour Congress (SLLC), la Confédération syndicale burkinabé (CSB), la Confédération nationale des travailleurs burkinabé (CNT-B), l'Organisation nationale des syndicats libres (ONSL) et l'Union syndicale des travailleurs du Burkina (USTB).
L'insécurité au Burkina Faso et en Sierra Leone a eu des répercussions profondes et étendues sur les travailleurs et les syndicats. Depuis 2015, le gouvernement burkinabè est aux prises avec une insurrection djihadiste qui a entraîné le déplacement de plus de deux millions de personnes. Les incidents violents et les attaques terroristes fréquents constituent toujours une menace directe pour la sécurité physique des travailleurs, perturbant par là même les activités économiques et entraînant une baisse de la productivité et une perte de revenus.
Au Burkina Faso, l'insécurité a également entraîné une perte des moyens de subsistance, avec des conséquences dévastatrices pour les familles et les communautés, ce qui a conduit à des difficultés économiques, ainsi qu'à une augmentation de la pauvreté et de la vulnérabilité. La plupart des travailleurs, en particulier ceux du secteur agricole, ont fait l'objet d'un déplacement interne. Les travailleurs et leurs familles ont été contraints de fuir leur foyer et leur communauté en quête de sécurité, laissant derrière eux leur emploi et leurs moyens de subsistance.
Selon l'UNICEF, le jour de la rentrée scolaire 2023-2024 au Burkina Faso, au moins une école sur quatre – soit quelque 6.149 établissements au total – est restée fermée en raison des violences et de l'insécurité persistantes dans certaines parties du pays. En conséquence, plus de 31.000 enseignants et plus d'un million d'enfants ne peuvent plus regagner leurs salles de classe, craignant pour leur sécurité. Hors de l'école, ils restent exposés à de nombreuses menaces.
Depuis que les militaires ont pris le pouvoir en septembre 2022, on a assisté au Burkina Faso à une érosion des droits des travailleurs, l'insécurité étant parfois utilisée comme prétexte pour réprimer les droits des travailleurs et limiter leur capacité à s'organiser, à se syndiquer ou à négocier collectivement.
Les syndicalistes sont dans certains cas victimes de harcèlement, d'intimidation, voire de violence, ce qui rend difficile la protection des droits et des intérêts des travailleurs.
En Sierra Leone, des efforts soutenus ont été menés en faveur de de la paix et la sécurité depuis 2002, année qui a marqué la fin d'une guerre civile interminable. Longtemps en proie aux conflits, le pays a accompli des progrès significatifs en vue de l'établissement et du maintien de la stabilité. Néanmoins, malgré les avancées considérables, la Sierra Leone reste confrontée à de nombreux défis qui ont une incidence sur la paix et à la sécurité dans le pays, tels que le chômage des jeunes, la pauvreté, les violences fondées sur le genre et l'extrémisme, entre autres. Au cours de la campagne électorale en amont des législatives de 2023, le pays a connu plusieurs flambées de violence à caractère politique.
Traditionnellement, les syndicats ont toujours été associés aux revendications salariales, à l'amélioration des conditions de travail et de vie, et à leur rôle de défenseurs des droits des travailleurs. Ce projet novateur au Burkina Faso et en Sierra Leone a cependant incité les organisations syndicales à élargir leurs horizons, en les encourageant à considérer la paix et la sécurité comme des enjeux prioritaires.
Le projet reconnaît une vérité fondamentale : sans stabilité, tout progrès économique reste illusoire. À ce titre, il convient de souligner le zèle remarquable dont font preuve les syndicats de ces deux pays d'Afrique de l'Ouest à l'heure de s'attaquer à l'enjeu existentiel que représente l'établissement d'une paix durable.
Au cœur de cette transformation, l'accent constant mis par le projet sur l'amélioration de la capacité des syndicats à s'engager efficacement dans le dialogue social. Il s'agit non seulement de favoriser leur accès aux compétences, mais aussi de les doter des connaissances et des ressources nécessaires pour dialoguer de manière constructive avec les employeurs, les fonctionnaires et les autres parties prenantes. Le but ultime ? Promouvoir un environnement dans lequel des discussions franches aboutissent à des résultats qui profitent à toutes les parties concernées, en favorisant une culture de paix durable.
Les forums pour la paix organisés par les syndicats constituent peut-être l'une des réalisations les plus remarquables de ce projet. Ces forums offrent une plateforme dynamique pour un dialogue ouvert et inclusif, réunissant des acteurs de divers secteurs de la société.
Par le biais de ces forums, les syndicats coopèrent activement avec les communautés locales, les organisations de la société civile, les chefs religieux, les artistes et les représentants du gouvernement, pour s'attaquer aux causes profondes des conflits et promouvoir la coexistence pacifique.
Une autre composante essentielle du projet est la formation complète sur les flux financiers illicites (FFI) et l'incidence considérable que ceux-ci ont sur les travailleurs du monde entier. Les syndicats ont acquis des connaissances inestimables sur la manière dont ces opérations financières de l'ombre perpétuent les inégalités, entravent la croissance économique et sapent la stabilité sociale.
Forts de ces connaissances, les syndicats sont aujourd'hui de redoutables défenseurs des politiques visant à lutter contre les FFI, garantissant que les ressources sont réorientées vers la fourniture de services sociaux et l'amélioration de la condition des travailleurs, le renforcement de l'égalité et la création d'un environnement propice à une paix durable.
L'impact de ce projet sur les syndicats du Burkina Faso et de la Sierra Leone a été tout à fait considérable. Ceux-ci ont dépassé leur rôle traditionnel pour s'ériger en défenseurs proactifs de la paix. En se faisant les champions du dialogue social, les syndicats ont joué un rôle crucial dans le désamorçage des tensions, la résolution des conflits et la construction de ponts entre les différents groupes.
En outre, l'accent mis par le projet sur les flux financiers illicites a doté les syndicats d'une compréhension plus complète du système économique mondial, les préparant ainsi à plaider en faveur de politiques qui favorisent la transparence et la responsabilité. Ces politiques, si elles sont mises en œuvre, contribueront à long terme à une croissance économique plus équitable et plus durable.
L'un des résultats notables du projet a été le renforcement de la participation des femmes dans les deux pays. Le projet a créé des espaces où les femmes ont pu trouver leur voix et apporter une contribution inestimable au dialogue sur la paix et la sécurité. Il est à noter que les femmes sont souvent les plus touchées par les ravages de la guerre et que ce projet a permis d'accroître leur participation aux discussions et aux forums sur la paix.
Les femmes sont devenues les gardiennes de la paix et leur engagement actif est en train de modifier le récit.
Le but ultime du projet était de contribuer à une paix et à une sécurité durables au Burkina Faso et en Sierra Leone. Or ce but a non seulement été atteint, mais il a aussi catalysé une expansion significative du mandat des syndicats dans les deux pays.
Traditionnellement, ces syndicats se concentrent principalement sur les défis quotidiens auxquels sont confrontés les travailleurs, tels que la défense de leurs droits, la revendication de salaires équitables et l'amélioration de leurs conditions de travail et de vie. Ce projet a toutefois engendré un changement de paradigme profond. Il ne fait aucun doute que le travail des syndicats dépasse aujourd'hui largement le champ des préoccupations immédiates et qu'il est intrinsèquement lié aux enjeux plus vastes de la paix et de la sécurité, qui ont un impact direct sur la productivité des travailleurs et sur leurs conditions de travail en général.
À la lumière de la situation qui prévaut dans les deux pays sur le plan de la paix et de la sécurité, le projet était d'autant plus pertinent qu'il répondait aux préoccupations réelles des populations, en contribuant à la consolidation de la paix, laquelle est intrinsèquement liée à la prospérité dans toutes les régions.
Pour reprendre les propos du ministre du Travail de la Sierra Leone, Mohamed Rahman Swaray, « le projet a permis d'éduquer les masses, ce qui est crucial pour le développement du pays ». En prenant part activement aux initiatives pour la paix et la sécurité, les syndicats non seulement défendent les intérêts de leurs membres, mais affirment aussi clairement leur engagement en faveur du bien-être global des travailleurs. Le projet a montré que les syndicats peuvent agir comme de puissants catalyseurs pour un changement positif en s'attaquant aux causes profondes des conflits et de l'insécurité, favorisant ainsi un environnement propice à la croissance économique et à la sauvegarde de l'emploi.
Le parcours des syndicats du Burkina Faso et de la Sierra Leone est porteur d'espoir pour les syndicats du monde entier. En donnant la priorité à la paix en plus des intérêts économiques, ces syndicats sont devenus les catalyseurs d'un changement positif dans les États fragiles.
Alors qu'ils continuent à aller de l'avant, le travail accompli par ces syndicats est une véritable source d'inspiration, et montre que grâce à une approche stratégique et à la collaboration, les syndicats sont à même de s'imposer comme de valeureux défenseurs de la paix, de la sécurité et de la prospérité, même dans les contextes les plus difficiles. Le projet laisse une marque durable sur la CSI-Afrique et l'avenir des mouvements syndicaux dans le monde entier, en éclairant la voie vers une paix et un développement durables.