11.11.2024 à 20:10
Marc Endeweld
Il a mené la contre-enquête pendant 22 ans. Benoît Collombat, grand reporter et responsable des enquêtes à Radio France, nous révèle les ficelles de son métier. Immersion d'une obsession au long cours sur le cas d’un ancien ministre devenu homme à abattre, Robert Boulin.
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C’est l’une des affaires les plus symboliques de la chape de plomb mise en place par la cinquième République sur ses institutions. Selon Benoît Collombat, elle est symptomatique du comportement d’une certaine presse qui accompagne notre régime politique. Dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979 est retrouvé mort dans un étang le ministre Robert Boulin, gaulliste.
L’homme, qui a mis fin à ses jours selon la version officielle, se serait noyé dans 50 centimètres d’eau. Député-maire de Libourne, son décès survient dans un contexte de changements sur la scène politique, à droite. Son nom était alors évoqué pour Matignon, ce qui l’avait exposé sur le plan politique.
L’affaire est complexe. Benoît Collombat y rentre comme dans un labyrinthe : « On se jette dedans, on ne sait pas comment on va en ressortir ». Lorsqu’il s’y plonge, en 2002, l’affaire était éteinte sur le plan judiciaire. Mais pour lui, comme pour d’autres, le doute est nécessaire : « Un ministre de la République a manifestement été assassiné. La République l’a visiblement caché ». Marc Endeweld abonde : « Il y a eu une vraie chape de plomb sur ce dossier, une volonté de transformer la réalité ». De fait, d’autres journalistes qui se sont confrontés au dossier ont reçu des pressions ou des menaces.
Dans un premier temps, tout le monde pense à un suicide de Boulin. Sa famille fait confiance aux institutions : ils ont été élevés avec ce culte des institutions républicaines. On ne remet pas en cause l’ordre républicain établi. Quand on vient vous dire : «Écoutez on a tout fait dans les règles, on va faire le maximum», il n’y a pas de raison de se dire que ce n’est pas possible.
Benoît Collombat
À l’époque, le contexte, c’est celui d’une guerre des droites. Le journaliste le rappelle : Valéry Giscard d’Estaing est à l’Élysée et un certain Jacques Chirac a claqué la porte de Matignon pour fonder le RPR, dans la perspective de la présidentielle de 1981. Pour Benoît Collombat, ce dernier ne s’entend pas du tout avec Robert Boulin, qui le considère être un homme sans conviction.
C’est incroyable comment tous les intérêts qu’il y avait autour de Boulin, et qui potentiellement ont eu une responsabilité dans sa mort, ont encore intérêt aujourd’hui à cacher la vérité.
Benoît Collombat
Benoît Collombat s’interrompt pour montrer une photo de Louis-Bruno Chalret, alors discret procureur de la circonscription de Versailles où a été retrouvé le corps du premier ministrable : « Il a transformé la scène de crime en suicide ». Louis-Bruno Chalret, c’est le fantôme de l’affaire Boulin et un barbouze pour le journaliste : « C’est lui qui va donner des instructions. On n’examine pas la tête, alors que Boulin a pris des coups sur le visage ». La première autopsie ne prouve pas non plus la noyade : les poumons de Robert Boulin ne sont pas étudiés.
Beaucoup des acteurs et des témoins de cette histoire sont morts aujourd’hui. Benoît Collombat se remémore avoir interviewé en 2002 l’un des derniers ‘dinosaures’ de cette époque, Olivier Guichard : « Il m’a dit : ‘Mais bien sûr qu’il ne s’est pas suicidé, il a été tué !’ Mais il ne voulait pas en dire plus ».
Les bizarreries sont nombreuses. Sur la partie médico-légale, le corps a été déplacé. À l’époque, une partie de la presse, de concert avec les institutions, explique ce déplacement par les flux et reflux de l’étang, voire par la présence de sangliers. Un récit qui laisse l’enquêteur dubitatif.
Sur une histoire comme ça, il faut quelques personnes bien placées au départ pour cadrer les choses. Les scellés ont été détruits. On pourrait éventuellement refaire des expertises avec les poumons, mais ça a été détruit et les flacons de sang aussi. Le dossier a été bien saboté au départ.
Benoît Collombat
Malgré tout, quelques journalistes n’ont pas laissé mourir l’affaire. Suite à la publication des reportages de Benoît Collombat, de nouvelles auditions ont été faites par la justice et de nouvelles personnes ont parlé. En 2015, finalement, le dossier a été rouvert.
Il y a beaucoup de témoignages, Boulin se savait menacé. Il savait qu’il était en danger de mort. Il y a des témoins tout à fait dignes de foi qui le disent. Il aurait dit à sa femme : «Ils nous tueront tous».
Benoît Collombat
L’affaire a été instrumentalisée politiquement par tous les camps politiques. Dans un certain nombre de déclarations publiques, des dirigeants politiques disent clairement que Robert Boulin a été tué. « C’est un cadavre dans le placard de la droite, mais de la gauche aussi », lâche Benoît Collombat. L’affaire vit encore aujourd’hui dans l’inconscient des personnels politiques et demeure irrésolue.
Ancien résistant, il a servi comme secrétaire d’État sous Charles de Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing. Il meurt alors qu’il est depuis ministre du Travail depuis un an et demi pour ce dernier. Son nom était alors évoqué pour devenir Premier ministre. Son corps est retrouvé dans un étang de la forêt de Rambouillet.
Journaliste d’investigation, il suit l’affaire Robert Boulin depuis plus de 22 ans. Sur ce sujet, il publie la bande dessinée ‘Cher pays de notre enfance : enquête sur les années de plomb de la cinquième République’ et une contre enquête : ‘Un homme à abattre : contre-enquête sur la mort de Robert Boulin’.
Louis-Bruno Chalret était procureur général près la cour d’appel de Versailles au moment des faits. Il a été parmi les premiers informés de la mort de Robert Boulin, entre une heure trente et deux heures du matin, le 30 octobre. D’après le dossier pénal, le corps est retrouvé à huit heures quarante par la gendarmerie.
Benoît Collombat mentionne un autre cas, l’affaire Jean-Pascal Couraud, surnommé JPK. Le journaliste d’investigation était engagé politiquement contre Gaston Flosse, dernier homme politique à avoir officiellement rencontré Robert Boulin, peu avant son décès. D’abord présentée comme un suicide, sa mort fait toujours l’objet d’une enquête.
L’affaire est encore présente au sein de la droite. En 2007, Nicolas Sarkozy, alors empêtré dans l’affaire Clearstream, voit dans l’affaire l’influence des chiraquiens ligués contre lui. Il lance un avertissement pendant un de ses meetings : « Je n’oublie pas Robert Boulin, victime du mensonge et de la diffamation ».
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