12.11.2024 à 00:35
Matisse de Rivières
Enquête sur le secteur pétrolier et gazier en Azerbaïdjan et la place qu'y occupent TotalEnergies et d'autres entreprises françaises.
- COP29 : l'Azerbaïdjan, TotalEnergies et l'industrie fossile / TotalEnergies, Azerbaïdjan, France, Climat et greenwashing, L'État au service des entreprises, pouvoir des entreprises, capture, énergies fossilesComme en Ouganda et ailleurs, la diplomatie française s'est mobilisée pour faciliter les projets d'extraction de gaz de TotalEnergies en Azerbaïdjan. Un mélange de genre qui se reflète aussi dans la désignation d'un cadre de l'entreprise comme conseiller du commerce extérieur.
Emmanuel Macron ne se rendra pas à Bakou pour la 29e conférence des parties de la convention des Nations unies sur le climat, ou COP29. Une absence qui s'explique par l'accumulation des tensions qui se sont accumulées entre la France et l'Azerbaïdjan depuis quelques années, la première ayant résolument pris le parti de l'Arménie dans le conflit qui oppose les deux pays autour de la province du Haut-Karabakh. La diplomatie tricolore sera bien présente à la COP29 et entend continuer à y afficher ses ambitions et s'y faire le champion d'une action ambitieuse sur le climat [1].
En coulisses, cependant, une autre partition se joue. L'Azerbaïdjan, un pays sous la coupe d'un régime répressif et autocratique, est une source crucial de pétrole et – de plus en plus – de gaz pour l'Europe. Les entreprises françaises Engie et surtout TotalEnergies y ont des intérêts importants. Comme dans d'autres pays où le géant pétrogazier développe aujourd'hui des projets aussi stratégiques que controversés – l'Ouganda ou le Mozambique par exemple [2] -, les autorités françaises ont fait passer au second plan leurs engagements officiels pour le climat, la démocratie et les droits humains pour soutenir TotalEnergies et ses projets.
Après une offensive diplomatique qui a culminé avec la visite officielle de François Hollande en 2014 et la signature de précieux contrats, les services diplomatiques français à Bakou continuent de collaborer au quotidien avec les représentants de l'entreprise dans le pays, dans le cadre d'une confusion savamment entretenue entre l'intérêt de la France et celui de ses grandes entreprises. Au risque de faire apparaître une nouvelle fois les grands discours progressistes de la France sur la scène internationale comme de la pure hypocrisie – ce que ne manqueront pas de souligner ses adversaires comme, justement, le régime du président Ilham Aliyev.
Contrairement à l'Ouganda et au Mozambique, où la controverse fait encore rage sur les projets extractifs de TotalEnergies, qui pour sont certains encore en attente d'une validation définitive, c'est en 2016 qu'a été lancée officiellement l'exploitation du principal actif du groupe dans le pays : le gisement offshore d'Apchéron (ou Absheron) dans la mer Caspienne, dont il est l'opérateur et dont il possède 35% (les autres actionnaires étant les entreprises nationales azérie et émiratie Socar et Adnoc). La première phase du projet a été inaugurée en 2023 en présence du PDG Patrick Pouyanné et du président de l'Azerbaïdjan. Elle doit être suivie d'une seconde phase qui devrait voir sa production de gaz presque quadrupler [3].
Historiquement, c'est BP qui est le partenaire clé du régime azéri pour le développement de ses ressources pétrolières et gazières. La major britannique signe en 1996, après la fin de l'URSS, le « contrat du siècle » qui lui donne le contrôle du gisement pétrolier dit ACG dans la mer Caspienne. Elle récidive quelques années plus tard en s'assurant la part du lien du gisement gazier offshore géant de Shah Deniz, destiné aux consommateurs européens. C'est en 2011, avec la découverte du gisement d'Apchéron (dont Engie détient alors une partie, de même que l'entreprise nationale azérie Socar), que TotalEnergies voit s'ouvrir une opportunité qui engage les relations diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan sur une nouvelle voie. « Cette découverte s'annonce très significative en termes de ressources », déclare alors Marc Blaizot, son directeur Exploration.
Pour obtenir ses droits d'entrées dans un pays qui est le pré carré de BP, TotalEnergies a besoin du soutien de la France au plus haut niveau. La signature du contrat de partage de la production (production-sharing agreement en anglais, ou PSA) nécessite de longues négociations avec la compagnie nationale azerbaïdjanaise de pétrole et de gaz Socar, sous le contrôle direct du président et de son clan. Comme le soulignera Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de TotalEnergies, en explique les rouages [4] : « Un PSA est un contrat passé entre la co-entreprise (joint venture) – en l'occurrence Total, Engie et SOCAR – et l'État, sachant que SOCAR est présente de part et d'autre puisqu'elle est notre partenaire mais qu'elle exerce aussi la fonction de régulateur et qu'elle est de surcroît une société d'État à qui il arrive de signer des contrats en lieu et place de l'État, d'où un risque de conflit entre ses différentes branches. » Dans cet écheveau où les intérêts économiques et politiques de Socar, du gouvernement azerbaïdjanais et du clan d'Ilham Aliyev sont virtuellement indiscernables, l'appui de l'État français est indispensable.
La visite présidentielle de François Hollande en 2014 en Azerbaïdjan, avec un accent fort sur le développement des liens économiques de la France avec le pays, est le point d'orgue de cette offensive diplomatique. Le chef de l'État est accompagné d'une délégation d'une trentaine de dirigeants d'entreprises tricolores, dans le cadre du premier forum économique franco-azerbaïdjanais. Il érige explicitement en priorité la mise en exploitation du gisement gazier découvert par TotalEnergies : « C'est pourquoi j'ai invité les entreprises françaises de ce secteur, déjà présentes depuis des années, à aller encore plus loin avec vous. Je pense notamment au nouveau champ d'Absheron où Total et GDF Suez sont parties prenantes [5] »
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donSelon une enquête de Cash Investigation de 2015, la visite de François Hollande a permis la signature de onze contrats pour une valeur de 2 milliards d'euros. Le magazine d'investigation de France Télévisions met en lumière à cette occasion les réseaux d'influence tissés en France par le régime d'Ilham Aliyev, en citant notamment le député Thierry Mariani, l'ex ministre Jean-Marie Bockel et l'actuelle ministre de la Culture Rachida Dati, alors députée européenne. En 2011, celle-ci a organisé au musée Rodin une soirée de prestige intitulée « L'Azerbaïdjan : un partenaire stratégique pour la sécurité énergétique en Europe », financée par la fondation Heydar Aliyev (du nom de l'ancien président et père du président actuel). En plus de son mandat au Parlement européen, elle continue à exercer la profession d'avocat et est accusée de recevoir de généreux émoluments de GDF Suez (lire notre article Rachida Dati, GDF Suez et l'Azerbaïdjan : quand le Parlement européen se penche sur les conflits d'intérêts en son sein). GDF Suez qui signe en 2013 un important contrat d'approvisionnement avec le consortium du gisement de Shah Deniz, faisant de l'entreprise française l'un des principaux revendeurs du gaz azéri sur le vieux continent.
La France n'est pas la seule à se rapprocher alors de l'Azerbaïdjan. C'est toute l'Europe qui, sous prétexte de réduire sa dépendance à la Russie (c'est l'époque de la première guerre en Ukraine), choisit de fermer les yeux sur le passif du régime en matière de démocratie, de droits humains et de répression des opposants. Les autorités européennes soutiennent la construction d'un immense gazoduc destiné à transporter le gaz de la mer Caspienne vers la Grèce et l'Italie (lire notre enquête De la mer Caspienne à la Méditerranée, un projet de gazoduc géant symbolise les reniements de l'Europe). Les dirigeants azéris savent s'assurer de nombreux soutiens à travers le vieux continent en distribuant les faveurs dans le cadre de ce qui est alors qualifié de « diplomatie du caviar ». Les voyages, invitations à des réceptions et petits cadeaux font parfois la place à des pots-de-vin purs et simples. Les révélations de journalistes d'investigation – comme le scandale de la « lessiveuse azerbaïdjanaise » de l'OCCRP relayé en France par Le Monde – et les enquêtes d'agence anti-corruption mèneront à la condamnation ou à la mise en examen de plusieurs responsables politiques en Italie et en Allemagne.
En France, les réactions politiques se limitent à la mise en place en 2016-2017 d'une mission d'information parlementaire au mandat inoffensif, puisqu'on lui demande simplement de se pencher d'une manière générale sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan [6]. Son rapporteur confirme néanmoins le rôle important joué par les autorités françaises au plus haut nioveau dans la conclusion du contrat d'Apchéron : « Plusieurs des personnes que nous avons entendues nous ont indiqué que les relations bilatérales entre la France et l'Azerbaïdjan, concrétisées notamment par la visite du Président de la République sur place, avaient joué un rôle déterminant dans la négociation des contrats ». L'ambassade de France à Bakou continuera d'ailleurs d'afficher publiquement son soutien à TotalEnergies et au projet Apchéron.
C'est aussi à l'occasion de la visite de François Hollande en 2014 que se mettent en place les différentes pièces qui continuent jusque à ce jour de structurer les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan, et au centre desquelles on retrouve immanquablement TotalEnergies. Emmanuel de Guillebon, le patron du groupe pétrogazier dans le pays caucasien, est ainsi membre du conseil de la Chambre de commerce et d'industrie franco-azerbaïdjanaise (CCIAF) fondée en 2014 en présence d'Ilham Aliyev et de François Hollande. L'ancien ambassadeur français Zacharie Gross, ambassadeur de France en Azerbaidjan entre 2019 et 2022, a décrit la CCIAF comme un « lieu de dialogue régulier » entre entreprises et décideurs politiques, soulignant l'importance de cette structure, qui coordonne étroitement son action avec le service économique de l'ambassade, dans les échanges franco-azerbaïdjanais [7]. Elle compte parmi ses membres fondateurs figurent la Socar), le Fonds pétrolier d'État d'Azerbaïdjan (Sofaz), GDF Suez (aujourd'hui Engie), Société générale (l'un des principaux financeurs du gazoduc Azerbaïdjan-Europe) et TotalEnergies. Une surreprésentation du secteur des énergies fossiles qui en dit long sur les vraies priorités de la France dans le pays.
Outre son rôle au sein de TotalEnergies et sa présence au conseil de la CCIAF, Emmanuel de Guillebon occupe une poste de nature encore plus officielle : celui de Conseiller du commerce extérieur de la France (CCE) de la France en Azerbaïdjan. Les CCE sont des volontaires nommés par le Premier ministre sur proposition du ministre chargé du Commerce extérieur, après avis d'une commission consultative comprenant des ministres et des représentants institutionnels [8]. Les candidats à ces fonctions, lorsqu'ils opèrent à l'étranger, sont recommandés par les chefs de service économique des ambassades de France, sous réserve de l'avis de l'ambassadeur. Dans le cadre de leurs fonctions, les conseillers du commerce extérieur participent à divers conseils stratégiques, apportent leurs analyses et recommandations aux pouvoirs publics sur des problématiques liées aux échanges internationaux ou à leurs marchés spécifiques. Un rôle qui fait fi des conflits d'intérêts potentiels et qui – comme l'illustre le cas du patron de Total en Azerbaïdjan – soulève des questions sur l'indépendance de la diplomatie économique française.
La visite présidentielle de 2014 lance également la coopération bilatérale dans le domaine de l'enseignement supérieur, avec la naissance à Bakou de l'Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ), majoritairement financée par des fonds publics azerbaïdjanais. Comme le résume Eckhart Hötzel, responsable du projet pour l'Université de Strasbourg, « l'Azerbaïdjan paye à prix fort de nombreux spécialistes étrangers. Le pays souhaite (...) bénéficier d'une expertise française pour former ses propres spécialistes dans des domaines stratégiques tels que l'industrie pétrolière ». Dans la foulée de sa création, TotalEnergies signe avec l'UFAZ une première convention dont est également partie prenante le Quai d'Orsay. Ce partenariat inclut des bourses cofinancées par le groupe pétrlgazier et l'ambassade pour les étudiants de l'UFAZ, dans le but de former une nouvelle génération de professionnels dans le secteur énergétique. L'ambassade de France se fait volontiers le relais de cette initiative [9].
C'est précisément à l'époque de la visite de François Hollande en Azerbaidjan que Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, formalise la doctrine française de la « diplomatie économique » [10]. Son ministère prend sous sa tutelle le commerce extérieur et le tourisme. Les ambassadeurs reçoivent pour mission explicite d'accompagner l'action des entreprises françaises à l'étranger, et une nouvelle direction dédiée est créée au sein du Ministère. L'une de ses premières directrices sera d'ailleurs une haute fonctionnaire passée quelques années par TotalEnergies, Hélène Dantoine (lire notre enquête Comment l'État français fait le jeu de Total en Ouganda).
Le successeur de Laurent Fabius Jean-Yves Le Drian expliquera ainsi tranquillement devant la commission d'enquête sénatoriale de 2024 sur les relations entre l'Etat français et TotalEnergies que « la diplomatie économique consiste à mettre nos réseaux, nos leviers d'action et notre capacité d'influence au service des entreprises et de nos intérêts économiques ». Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat et l'une des architectes de l'accord de Paris, souligne qu'il est « habituel d'emmener les acteurs économiques lors des visites diplomatiques, mais il y a un moment où effectivement cela pose problème lorsque l'on emmène des acteurs pétroliers », soulignant un manque de « cohérence » de la diplomatie française [11], qui affiche l'objectif d'une sortie internationale des énergies fossiles tout en se mettant au service de TotalEnergies. D'après une enquête de Mediapart, environ une ambassade française sur trois – soit 52 sur 168 – aurait relayé d'une manière ou d'une autre les intérêts du groupe pétrogazier depuis 2021.
La guerre de 44 jours entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, survenue en 2020, se solde par la victoire militaire du second, qui prend le contrôle de la région du Haut-Karabakh, enclave peuplée majoritairement d'Arméniens, et en expulse la population. C'est un tournant pour la diplomatie française, qui prend ouvertement et unilatéralement parti pour l'Arménie, suscitant à Bakou des menaces de rétorsions commerciales. Les relations se dégradent encore à partir de 2023 avec la signature de contrats de coopération dans le domaine militaire entre l'Hexagone et l'Arménie. Le 4 décembre 2023, Martin Ryan, un homme d'affaires français, est arrêté en Azerbaïdjan pour des accusations d'espionnage, une détention que Paris a qualifiée « d'arbitraire ». L'Azerbaïdjan expulse deux diplomates français le 26 décembre 2023, accusés d'activités « incompatibles avec leur statut », ce à quoi la France a répondu le lendemain en expulsant deux diplomates azerbaïdjanais « par mesure de réciprocité ». Les tensions s'accroissent encore avec la condamnation de Théo Clerc, un autre Français, à trois ans de prison pour un graffiti dans le métro de Bakou, une peine que Paris a dénoncée comme « arbitraire et ouvertement discriminatoire » [12]. L'Azerbaïdjan est accusé par les autorités françaises d'attiser la révolte – provoquée par les choix d'Emmanuel Macron – en Nouvelle-Calédonie et dans les Antilles françaises, voire de mener une campagne de manipulation de l'information visant à nuire à la réputation de la France avant les Jeux olympiques de 2024.
Dans ce contexte, la position de TotalEnergies dans le pays attire l'attention. Dans le cadre de la commission d'enquête sur TotalEnergies, Yannick Jadot, sénateur écologiste, adresse ses reproches à Patrick Pouyanné : « Cette commission d'enquête est née pour des raisons climatiques et de politique étrangère. Quelques jours avant l'épuration ethnique organisée par le président de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh contre les Arméniens, vous étiez à Bakou pour ouvrir un champ gazier [celui d'Apchéron]. » « Ne nous demandez pas de faire la morale à la place des pouvoirs publics. Si l'Union européenne et les Nations unies décident de sanctions contre l'Azerbaïdjan, nous les appliquerons. Mais je ne vois pas en quoi, aujourd'hui, nous devrions renoncer à cette production de gaz », lui répond le PDG [13].
La situation de TotalEnergies en Azerbaïdjan ne peut que rappeler le précédent de ses investissements en Russie. Le groupe pétrogazier français a beaucoup misé sur le pétrole et le gaz russe pour son développement, nouant des liens étroits avec des oligarques proches du Kremlin – un choix qui s'est retrouvé progressivement en contradiction avec la politique française et plus largement occidentale. Même après l'annexion de la Crimée en 2014 et les sanctions qui s'en sont suivies, TotalEnergies a maintenu ses investissements en Russie, avec le soutien financier et diplomatique du gouvernement français (lire notre enquête Total dans l'Arctique russe). Lors d'une rencontre avec Vladimir Poutine quelque mois après l'annexion, Patrick Pouyanné déclare : « Total est une entreprise privée, mais c'est aussi une des plus grandes entreprises françaises, et donc d'une certaine manière elle représente le pays. Vous pouvez compter sur moi pour faire mon possible afin d'influencer les relations entre nos deux pays. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. »
Qu'en est-il aujourd'hui en Azerbaïdjan ? La diplomatie française y fait profil bas, tout en maintenant son appui discret au géant pétrogazier en attendant – peut-être - des jours meilleurs. Les dirigeants économiques et politiques français sont d'autant plus soucieux de garder une part du gâteau azerbaïdjanais que le pays est aussi une tête de pont stratégique et un hub qui leur ouvre accès à d'autres pays du pourtour de la mer Caspienne, comme le Kazakhstan et le Turkménistan, dans les eaux territoriales abritent elles aussi du gaz et où TotalEnergies est également présent avec le soutien discret des ambassades françaises. Une chose est sûre en tout cas : les compromissions et les ambiguïtés de la diplomatie tricolore ne pourront que nuire aux messages forts qu'elle prétend vouloir faire passer dans le cadre de la COP29.
Matisse de Rivières, avec l'appui d'Olivier Petitjean
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Photo : Dragon Oil, cc-by-sa via Wikimedia Commons
[1] Voir la page dédiée du ministère de l'Ecologie.
[3] Voir le communiqué de presse de TotalEnergies.
[4] Voir le rapport de la mission d'information parlementaire de 2016-2017 sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan.
[5] Source : Vie-publique.fr.
[10] Sur ce sujet, voir cet article.
05.11.2024 à 09:08
Olivier Petitjean
Le « Project 2025 », un document de 900 pages porté par la Heritage Foundation, se veut un programme clé en main pour un éventuel second mandat de Donald Trump. Les propositions extrémistes en matière de migration, de climat ou de droits sexuels y côtoient des mesures taillées pour les intérêts de certaines industries. Devenu un épouvantail brandi par les démocrates durant la campagne, le document n'en révèle pas moins ce que pense et ce que veut une grande partie de la droite américaine (…)
- Actualités / États-Unis, normes et régulationsLe « Project 2025 », un document de 900 pages porté par la Heritage Foundation, se veut un programme clé en main pour un éventuel second mandat de Donald Trump. Les propositions extrémistes en matière de migration, de climat ou de droits sexuels y côtoient des mesures taillées pour les intérêts de certaines industries. Devenu un épouvantail brandi par les démocrates durant la campagne, le document n'en révèle pas moins ce que pense et ce que veut une grande partie de la droite américaine aujourd'hui.
Si, au soir du mardi 5 novembre 2024, Donald Trump était élu pour un nouveau mandat à la tête des États-Unis, à quoi ressemblerait concrètement sa seconde présidence ? Un document cristallise depuis plusieurs mois l'attention des médias et est devenu une cible de choix pour Kamala Harris et les démocrates : le « Project 2025 », aussi intitulé Mandate for Leadership (« Mandat de direction »), censé offrir une feuille de route au candidat républicain en cas de succès électoral.
Concocté par des dizaines d'organisations conservatrices coordonnées par la Heritage Foundation [1], un partenaire historique du réseau Atlas dont nous avons révélé les activités et les relais en France et en Europe dans notre enquête de mai dernier, ce document de plus de 900 pages est directement inspiré par une autre publication portant le même titre, publié début 1981 après l'élection de Ronald Reagan. Plusieurs des mesures qui y étaient proposées avaient été mises en œuvre au cours des deux mandats de ce dernier, contribuant à engager les États-Unis et le monde dans la révolution néolibérale.
Dans son nouvel avatar, le Mandate for Leadership se donne pour objectif, selon les termes de Kevin Roberts, le dirigeant de Heritage, d'« institutionnaliser le trumpisme » – autrement dit de proposer un programme cohérent derrière lequel pourrait se ranger toutes les nuances de la droite ultraconservatrice américaine, et une méthode pour mettre en œuvre rapidement et efficacement ce programme, par contraste avec le chaos qui a présidé au premier mandat de Donald Trump. « Project 2025 », florilège de propositions politiques extrémistes dans le domaine des migrations, des droits sexuels ou encore du climat, se distingue aussi par son caractère extrêmement détaillé et par la connaissance intime qu'il reflète des rouages de l'administration. L'un des aspects qui a le plus retenu l'attention est sa suggestion de démanteler une grande partie des ministères et des agences publiques existantes, à commencer par celles qui sont chargées de l'environnement et du climat, et de licencier en masse les fonctionnaires fédéraux pour les remplacer par des loyalistes formés et triés sur le volet. Le média américain Propublica a divulgué des enregistrements vidéo de ces sessions de formation. On y entend par exemple quelqu'un suggérer d'éradiquer toute mention du changement climatique dans les documents officiels.
C'est en avril 2023 que le « Project 2025 » a été rendu public. Dans un premier temps, l'opération a été un succès, Heritage réunissant à rallier derrière elle plusieurs dizaines de groupes de la droite et de l'extrême-droite américaine, depuis des libertariens jusqu'à des populistes trumpiens en passant par des groupes religieux ultraconservateurs. Le stratégiste Steve Bannon a proposé le nom de Kevin Roberts pour être le chef de cabinet de Donald Trump à la Maison-Blanche. Le même Kevin Roberts a promis solennellement une « deuxième révolution américaine » qui se déroulerait « sans effusion de sang, si la gauche le permet ».
Peut-être la Heritage Foundation aurait-elle mieux fait d'adopter la même stratégie qu'en 1981, en attendant après l'élection pour dévoiler les mesures souvent impopulaires qu'elle proposait de mettre en œuvre. Avec ses excès et ses propositions extrémistes, le Project 2025 s'est transformé en pain bénit pour les démocrates, qui n'ont pas manqué une occasion de le mettre en avant dans leurs discours et dans leurs spots télévisés de campagne. Donald Trump et les autres dirigeants républicains se sont publiquement distancés de ce qui était devenu un fardeau dans l'opinion, affirmant n'avoir aucun lien avec Heritage et avec Project 2025. Ce qui est faux : de nombreux anciens cadres de l'administration Trump (140 selon un décompte de CNN) et des conseillers proches de l'ancien président comme John McEntee ont directement participé à son élaboration. L'un des auteurs clés du Project 2025 a été filmé en train de confirmer le soutien de Trump à l'entreprise.
L'attention portée au « Project 2025 » et à la Heritage Foundation a suscité une floraison d'investigations de la part de médias et d'organisations de la société civile américaines, qui permettent de lever en partie le voile sur leurs soutiens et leurs alliés dans le monde économique. Le budget de l'opération – y compris la formation de loyalistes pour prendre les rênes de l'administration – a été estimé à 22 millions de dollars. Impossible de savoir exactement d'où vient cet argent faute de transparence. Une partie semble avoir été apportée par des grandes fortunes à travers des structures de financement coordonné dont certaines sont liées à l'activiste conservateur Leonard Leo. Parmi les entreprises qui ont contribué à ces fonds ou bien ont financé des groupes directement impliqués dans le « Project 2025 », on trouve les frères Koch, des acteurs financiers comme Fidelity ou Vanguard, ou encore des compagnies pétrolières comme Pioneer ou Shell [2].
Les liens avec les grandes entreprises ne sont pas seulement financiers. De nombreux lobbyistes attitrés de multinationales américaines comme Meta (Facebook), Verizon, Amazon, Ford ou General Motors sont cités parmi les rédacteurs du projet, selon l'analyse d'Accountable.us. Dans quelle mesure ont-ils défendu des positions personnelles ou fait valoir celles de leurs éminents clients, la question reste ouverte.
L'attitude du secteur pharmaceutique illustre ces ambiguïtés. Le rédacteur officiel du chapitre santé de « Project 2025 » est Roger Severino, issu de la droite religieuse, qui a été à la tête du Département pour les services de santé et humains (HHS) sous Trump. Parmi les autres contributeurs, on trouve aussi divers représentants de petites entreprises spécialisées dans l'assurance maladie ou les technologies médicales – mais pas de grande multinationale du secteur. PhRMA, le lobby regroupant tous les géants du secteur, aujourd'hui dirigé par un triumvirat regroupant Daniel O'Day de Gilead, Albert Bourla de Pfizer et Paul Hudson de Sanofi, a néanmoins financé Heritage Foundation et plusieurs des autres groupes et think tanks derrière le « Project 2025 » à hauteur de 530 000 dollars, selon le décompte de l'ONG Accountable.us. Un soutien qui pourrait expliquer que le Project 2025 prévoit d'annuler la réforme introduite en 2022 qui autorise enfin le programme fédéral Medicare à négocier le prix des médicaments avec les laboratoires au lieu de les accepter passivement comme elle y était obligée auparavant – ce qui explique que ledit prix des médicaments soit considérablement plus élevé aux États-Unis que dans le reste du monde. Presque personne, même parmi les républicains, ne souhaite revenir sur cette décision. Cette mesure qui ne plaît qu'à l'industrie pharmaceutique se trouve mêlée dans le chapitre « Santé » à des propositions comme l'interdiction de toute forme d'avortement et l'abandon de toute mesure de protection vis-à-vis des personnes LGBTQ+.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donLes républicains ont tout fait pour minimiser l'importance du « Project 2025 » et s'en distancer. Mais il n'en reflète pas moins ce que pense et ce que veut aujourd'hui une bonne partie de la droite américaine. En cas de victoire de Donald Trump, ou bien même seulement si les républicains préservent leur majorité à la Chambre des représentants ou conquièrent le Sénat, ses propositions seront bien à l'ordre du jour. Et une partie du monde des affaires applaudira plus ou moins discrètement.
La Heritage Foundation n'était au reste pas la seule à préparer à second mandat Trump. Elon Musk, qui s'est illustré ces dernières semaines par son soutien de plus en plus actif à l'ancien président, est pressenti pour prendre la tête d'une commission chargée de rendre le gouvernement fédéral plus « efficient » en réduisant drastiquement la taille de l'administration fédérale et en procédant à des coupes claires dans les régulations. Un programme qui correspond avec ses intérêts personnels – ses entreprises sont sous le coup de plusieurs procédures initiées par des agences fédérales – mais qui est aussi parfaitement aligné avec la vision du monde d'une droite américaine bien décidée à en finir avec « l'Etat administratif ».
Plus discrètement, mais de manière sans doute plus influente, un autre think tank créé au lendemain de la défaite de Trump en 2020 par des proches, l'American First Policy Institute, semble destiné à jouer un rôle de premier plan dans l'éventuelle future administration du milliardaire. Sa présidente Linda McMahon a d'ailleurs été désignée co-leader de l'équipe qui serait chargée de mener la transition. L'American First Policy Institute, qui affichait en 2022 un budget de 23,6 millions de dollars mais ne divulgue pas le nom de ses donateurs, a lui aussi élaboré une feuille de route, sur laquelle il est beaucoup plus avare de détails que Heritage. Mais les grandes lignes – le démantèlement de l'administration fédérale, l'abandon des politiques climatiques, le soutien aux revendications des groupes religieux – restent les mêmes.
Olivier Petitjean
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Image de une : DonkeyHotey cc by-sa
04.11.2024 à 13:51
C'est le montant total des amendes infligées depuis 2010 à des multinationales par les autorités de 45 pays pour des infractions sociales, environnementales ou économiques, selon une nouvelle base de données.
- Chiffres / BNP Paribas, Volkswagen, BPCE, Veolia, TotalEnergies, JP Morgan Chase, Bank of America, normes et régulations, crimes et délits économiques700 milliards de dollars. C'est le montant total des amendes infligées depuis 2010 à des multinationales par les autorités de 45 pays pour des infractions sociales, environnementales ou économiques, selon une nouvelle base de données mise en ligne par l'ONG américaine Good Jobs First.
« Violation Tracker Global » est l'extension d'une base de données qui existe depuis plus de dix ans aux États-Unis (où ces informations sont plus facilement disponibles). Elle regroupe les informations divulguées par les autorités en charge du recouvrement des impôts, de la protection des consommateurs, de la police environnementale, des droits des travailleurs, de la concurrence ou encore de la lutte contre la corruption. Dans beaucoup de pays, ces données ne sont que partiellement publiques. Pour la France, par exemple, sont seulement prises en compte à ce stade, faute d'accès, les chiffres émanant de l'Autorité de la concurrence, de l'Autorité des marchés financiers, de l'ACPR, de la DGCCRF, de la CNIL et du Parquet national financier. Les délits environnementaux et sociaux sont donc hors absents.
Même avec ces limites, la base de données est riche en enseignements. Conséquence de la crise financière de 2008, les grandes banques occupent les toutes premières places du classement des amendes totales acquittées. Bank of America a ainsi payé 64 milliards de dollars d'amendes depuis 2010 pour 189 infractions, suivie par JP Morgan Chase avec 33 milliards de dollars d'amendes pour 179 infractions. Elles sont suivies par Volkswagen (à cause du Dieselgate) et BP (pour la catastrophe de Deepwater Horizon). La première entreprise française est BNP Paribas, en seizième position, avec plus de 10 milliards d'euros d'amendes payées. La toute récente amende de 30 milliards de dollars infligée par le Brésil à Vale et BHP pour la catastrophe minière de Samarco est également incluse.
Concernant les amendes acquittées en France, la première place revient à Alphabet, la maison mère de Google, principalement pour des infractions en matière de concurrence. Airbus est deuxième avec l'amende de plus de 2 milliards de dollars payée en 2020 pour solder une enquête pour corruption. Suivent UBS et McDonald's (pour leurs affaires fiscales) et Apple (pour des infractions fiscales et de concurrence).
Les données de Violation Tracker Global confirment la faiblesse relative des amendes infligées en matière environnementale ou pour des infractions au droit du travail par comparaison avec les amendes dans le domaine de la concurrence, de la fiscalité ou de la corruption. Parmi les groupes français, les industriels comme Air Liquide, Arkema, Saint-Gobain, TotalEnergies ou Veolia se distinguent par le nombre élevé de violations répertoriées (107 et 139 respectivement pour les deux derniers), mais les amendes totales acquittées se chiffrent seulement en dizaines de millions de dollars, très loin derrière les banques.