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28.09.2024 à 13:49

Mort de Nasrallah : tous les scénarios sont désormais sur la table

Mort de Nasrallah : tous les scénarios sont désormais sur la table
Texte intégral (1555 mots)

Que va faire l'Iran ? C'est la question qui va déterminer la durée, la nature et l'issue de cette guerre.

Une affiche géante de Hassan Narallah, sur laquelle est écrit "tu nous manques", le 18 juillet 2012 à Beyrouth. Photo by Anwar AMRO / AFP

Un séisme. Un choc. Une nuit d'horreur à regarder la banlieue sud de Beyrouth se faire pilonner par l'armée israélienne. Et le début d'un nouveau monde, où tous les scénarios semblent possibles, pour le Liban et le Moyen-Orient. La mort de Hassan Nasrallah - annoncée par l’armée israélienne puis confirmée par le Hezbollah - est le point d’orgue d’une semaine qui a redistribué toutes les cartes et auquel personne n’était préparé. On anticipait le scénario d’une guerre totale depuis près d’un an, on savait que le rapport de force était largement à l’avantage d’Israël, mais aucun expert, aucun diplomate, et probablement aucun membre du Hezbollah ou de l’axe iranien, ne pouvait imaginer que la milice la plus puissante au monde allait subir de tels coups de massue - et le Liban avec elle - en quelques jours.

On est pour l’instant loin du scénario de 2006 et loin également de ce qui se passe à Gaza : il est désormais clair que l’armée israélienne prépare cette guerre depuis près de vingt ans et qu’elle a des dizaines de coups d’avance sur son ennemi. Elle semble tout connaître du parti chiite : ses planques, ses cadres, ses commandants, ses dépôts de missiles, ses moyens de communication. Le survol de ses drones au-dessus de Beyrouth, jour et nuit, sonne d’ailleurs comme un ultime rappel : Israël surveille le Liban dans ses moindres faits et gestes.

A quel point le parti est-il infiltré ? A quel point a-t-il sous-estimé la force et la détermination de son adversaire ?

Israël a réussi à décapiter presque tout le haut commandement du Hezbollah en quelques jours, quelques semaines au plus si on inclut l’assassinat de Fouad Chokor dans la banlieue sud le 30 juillet dernier. La formation pro-iranienne paraît totalement déboussolée, en témoigne le temps qu'elle a mis à annoncer la mort de son chef.

Hezbollah à terre

Plusieurs mythes se sont effondrés au cours de ces derniers jours : celui de l’équilibre de la terreur dont se vantait le Hezbollah ; celui de la toute puissance d’un mouvement qui était devenu une véritable armée régionale ces dernières années ; celui de l’invincibilité de Hassan Nasrallah, l’un des hommes les plus puissants du Moyen-Orient ; et enfin celui de « l’unité des fronts » si cher à l’axe iranien. Le Hezbollah est à terre et personne ne lui est encore venu en aide : ni son parrain iranien, ni les houthis, ni les milices irakiennes et encore moins le régime Assad pour la survie duquel il a pourtant sacrifié des milliers d’hommes.

Malgré tout, la prudence s’impose. Nous ne savons rien de ce qui se passe à l’intérieur du parti, rien non plus des intentions des Iraniens. Israël a mené des milliers de frappes en une semaine, qui ont probablement détruit une partie de l’arsenal du Hezbollah. Mais ni les 150 000 missiles et roquettes qu’il détient, ni les dizaines de milliers d’hommes armés qui forment la milice n’ont toutefois disparu en un claquement de doigt. Même si cela paraît chaque jour plus compliqué, on ne peut pas exclure le fait que le Hezbollah ait encore les moyens de répondre à son adversaire et de mener une guerre totale et de plus longue durée. Le parti est en état de choc. Peut-il se relever ? Il a évidemment ses calculs. Et ces derniers doivent prendre en compte le pouls de sa rue et du Liban, qui ne veulent pas de cette guerre. Mais, en définitive, la décision ne lui revient pas.

C’est à la République islamique de décider si elle accepte sa défaite ou si elle se lance dans une escalade de tous les périls. Elle peut considérer qu’elle doit a minima essayer de rééquilibrer le rapport de force avant d’entamer la phase des négociations, ce qui implique probablement de donner un feu vert au Hezbollah pour utiliser ses missiles de haute précision et d’activer ses autres alliés dans la région.

Mais c’est un pari risqué qui pourrait compromettre à termes la survie du régime, les États-Unis ayant envoyé des signaux très clairs sur le fait qu’ils ne resteraient pas à l’écart de cette guerre. Malgré ses missiles et ses milices, Téhéran n’a pas les ressources nécessaires pour affronter Washington et Tel-Aviv dans un conflit direct, d’autant que les pays du Golfe et la Jordanie se tiendront du côté de l’« ennemi ». Le régime iranien, obsédé par sa survie, peut-il la mettre en péril pour éviter une défaite humiliante au Hezbollah ? Le communiqué du guide suprême Ali Khamenei samedi, affirmant qu’Israël ne pourra pas venir à bout du Hezbollah, peut être interprété de différentes manières. Comme un quasi abandon, ou comme une façon de gagner du temps avant de préparer la riposte.

Et le Liban ?

La République islamique voit se déliter sous ses yeux une grande partie de ce qu’elle a construit pendant plus de quatre décennies. Le 7 octobre et ses suites devaient lui offrir une victoire stratégique sans précédent. Mais elle semble ne pas avoir pris conscience de la détermination d’Israël à l’affaiblir avec le feu vert, à peine dissimulé, de l’administration Biden. Sa priorité est peut-être désormais de préserver son programme nucléaire, perçu comme la dernière assurance-vie du régime.

Et le Liban dans tout cela ? Israël agit sans la moindre retenue ou considération pour les pertes civiles. La frappe visant Hassan Nasrallah, vendredi soir, a fait des centaines de morts selon les estimations de l’armée israélienne auxquels il faut ajouter ceux qui ont dû périr au cours de la nuit, faute d’avoir pu fuir leurs maisons à temps. Tout cela sans la moindre condamnation internationale ! Si l’escalade se poursuit, le bilan atteindra rapidement des milliers de morts et une grande partie des infrastructures du Sud, de la Békaa et de la banlieue sud de Beyrouth sera détruite.

Si un cessez-le-feu est conclu, le pays ouvrira un nouveau chapitre de son histoire, dominée depuis maintenant plus de deux décennies par l’ombre du Hezbollah et le doigt de Hassan Nasrallah. Le secrétaire général du Hezbollah est la personnalité la plus adulée et la plus détestée du pays du Cèdre. Sa mort est une onde de choc sans précédent et sans comparaison, au moins depuis celle de Rafic Hariri. Hassan Nasrallah est le visage et la voix de « l’axe de la Résistance ». Il sera bien sûr remplacé, mais il paraît par bien des aspects irremplaçable.

Quelle que soit l’issue de la guerre, le Hezbollah en sortira très affaibli. Il lui faudra des années pour reconstruire sa crédibilité vis-à-vis de sa base populaire, de l’ensemble des Libanais et des pays de la région. Mais il ne va pas disparaître pour autant. La formation pro-iranienne va évoluer, muter, mais va rester la plus forte sur la scène libanaise. Va-t-elle redevenir une milice à l’état pur ? Va t-elle tenter au contraire de devenir un parti « comme les autres » ? Il est trop tôt pour le savoir. On peut toutefois imaginer que le Hezbollah va être encore plus paranoïaque, moins enclin à faire la moindre concession, et plus déterminé que jamais à ré-imposer, par tous les moyens possibles, un rapport de force qui lui soit favorable avec les autres parties.

Tous les scénarios sont sur la table. Celui d’une guerre totale, d’une défaite que le parti chiite fera payer au Liban, et d’une opportunité, tellement fragile, d’enfin tirer les leçons de tout ce qui a conduit le Liban, au-delà du Hezbollah, à se retrouver une nouvelle fois dans cette situation.

Un séisme. Un choc. Une nuit d'horreur à regarder la banlieue sud de Beyrouth se faire pilonner par l'armée israélienne. Et le début d'un nouveau monde, où tous les scénarios semblent possibles, pour le Liban et le Moyen-Orient. La mort de Hassan Nasrallah - annoncée par l’armée israélienne puis confirmée par le Hezbollah - est le point d’orgue d’une semaine qui a redistribué...

28.09.2024 à 12:17

Un avion iranien empêché d'atterrir à l'AIB après des menaces israéliennes

Un avion iranien empêché d'atterrir à l'AIB après des menaces israéliennes
Lire plus (377 mots)

Des colis déchargés d’un avion sur le tarmac de l’Aéroport international de Beyrouth, le 24 juin 2024. Mohammad Yassine/L’Orient-Le Jour

L'armée israélienne a piraté samedi la tour de contrôle de l'Aéroport international de Beyrouth (AIB), menaçant un avion iranien qui devait y atterrir et a fait demi-tour, selon des informations rapportées par une source au sein du ministère des Transports citée par Reuters.

Après des menaces israéliennes, le ministère des Transports a demandé à l'appareil de ne pas entrer dans l'espace aérien libanais, un ordre auquel s'est conformé l'avion. Cette source indique que l'avion n'était pas dans l'espace aérien libanais lors des menaces envoyées à l'AIB. Elle ajoute que l'Etat hébreu avait menacé d'utiliser la « force » si l'avion atterrissait.

Le directeur de l'Aviation civile libanaise, Fadi el-Hassan, n'était pas immédiatement disponible pour commenter cette affaire à L'OLJ.

Il s'agirait, selon des informations non-confirmées circulant sur les réseaux sociaux, d'un vol de la compagnie Qeshm Fars Air, qui s'est retrouvé à plusieurs reprises au centre de rumeurs concernant des transferts d'armes entre Téhéran et Beyrouth, notamment en 2018. Aucune liaison de cette compagnie aérienne n'était visible sur les tableaux d'arrivée de l'AIB ni sur les plateformes de suivi des vols en ligne, comme PlaneFinder et FlightRadar, consultées par L'OLJ.

Malgré les frappes massives sur la banlieue sud de Beyrouth la nuit dernière, l'AIB restait ouvert et plusieurs vols, notamment de la compagnie nationale Middle East Airlines, sont toujours programmés.

L'armée israélienne a piraté samedi la tour de contrôle de l'Aéroport international de Beyrouth (AIB), menaçant un avion iranien qui devait y atterrir et a fait demi-tour, selon des informations rapportées par une source au sein du ministère des Transports citée par Reuters.Après des menaces israéliennes, le ministère des Transports a demandé à l'appareil de ne pas entrer dans...

28.09.2024 à 11:11

Hassan Nasrallah, les guerres qui ont façonné le mythe

Hassan Nasrallah, les guerres qui ont façonné le mythe
Texte intégral (3476 mots)

Aux commandes du parti depuis 1992, Hassan Nasrallah est un enfant de la guerre, dans tous les sens du terme. Ce samedi 28 septembre, le Hezbollah a annoncé sa mort. La disparition du mythe plonge désormais la région dans l’inconnu.

Le secrétaire général du Hezbollah, le cheikh Hassan Nasrallah, le 10 juillet 1992, entouré de ses partisans durant la commémoration de Achoura dans la banlieue sud de Beyrouth. Photo d'archives Oussam Ayoub/AFP

Il est dix-huit heures trente dans la capitale libanaise. La banlieue sud de Beyrouth vient d'être touchée par la plus grande frappe israélienne en date depuis la guerre de 2006. Les habitants de la ville tremblent encore au son des explosifs. Le nombre de morts est inconnu, il est question de « massacre ». Une énième tragédie ? Peut-être le début d’une guerre régionale. La rumeur la plus folle circule : le secrétaire général du Hezbollah aurait perdu la vie. Le lendemain matin, la nouvelle semble se confirmer. L’inimaginable s’est produit. Hassan Nasrallah est mort, annonce l'armée israélienne un peu après onze heures, puis le parti chiite, dans l'après-midi. La suite, personne ne la connaît. La disparition du mythe plonge le pays et la région dans l’inconnu. Mais une page se tourne ce soir. En prenant la direction du parti il y a trente-deux ans, puis en dirigeant la seule force armée perçue comme capable de contenir l’ennemi israélien, il était devenu le visage de la « résistance ». Avec la libération du Liban-Sud en 2000, puis la guerre de juillet 2006, l’homme avait construit une petite légende autour de son nom. À la fois chef militaire, leader politique et icône charismatique, il était décrit comme un nouveau Nasser.

Près d’un an après la triple offensive du Hamas en Israël, l’image du « sayyed » a pourtant été mise à l'épreuve depuis des mois déjà. Les revers militaires, les failles sécuritaires, le coût humain de la guerre et l’absence de stratégie claire donnent l’impression d’une organisation dépassée, sur le point d'être vaincue. D’un discours à l'autre, Hassan Nasrallah tente de sauver les meubles à travers une rhétorique victorieuse qui relativise les pertes et met en avant les gains tactiques. Mais de moins en moins de Libanais y croient.

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D’autant que la séquence intervient au terme d’une décennie éprouvante. Les multiples crises, l’intervention militaire en Syrie, les scandales financiers, la double explosion au port de Beyrouth et les coups de force en interne ont érodé le capital sympathie du parti de Hassan Nasrallah. Si le leader continue de donner le pouls a travers ses discours télévisés suivis d’un bout à l'autre de la planète, il ne fait plus consensus, même au sein de la communauté chiite.

Une partie croissante de Libanais refuse le va-t-en-guerre de celui qui menace à intervalles réguliers de plonger le pays au bord du précipice. Mais l’image qu’il a tissée, celle d’un stratège hors pair, avait jusque-là survécu aux intempéries. En 2011, le dirigeant apparaît dans la liste du magazine Times des 100 personnalités les plus influentes au monde. Adoré ou abhorré, il fait partie des incontournables de la région.

Pendant des mois, le pays et la région tentent d’anticiper ses faits et gestes. Jusqu'où ira-t-il ? Est-il prêt à se lancer dans un conflit qui promet d’être plus violent et plus incertain que toutes les autres ? On ne le saura pas. Pour le « Sayyed », la nouvelle guerre d’Octobre sera celle de trop, celle qui déconstruit le mythe façonné par toutes les autres.

Hassan Nasrallah s’adresse à ses partisans par vidéo dans la banlieue sud de Beyrouth, le 9 août 2022. Photo d’archives AFP

L’éveil politique

Au commencement était la guerre civile libanaise. L’enfance et l’adolescence du Sayyed sont rythmées par ce conflit, dont une partie de la communauté chiite considère qu’il ne la concerne pas. Le jeune Hassan n’a pas quinze ans lorsque les hostilités éclatent. Les Nasrallah vivent à Nabaa, un quartier populaire de la banlieue est de Beyrouth affecté par des incidents sécuritaires avant même le début officiel des affrontements. Le foyer doit fuir une première fois en 1974, puis de nouveau en 1975, lorsque les milices chrétiennes expulsent les habitants musulmans de la région de Sin el-Fil où la famille avait trouvé refuge un an plus tôt. Elle s’installe cette fois au Sud, dans le petit village de Bazouryié, près de Tyr, d’où est originaire le père, Abdel Karim.

Les premières années de guerre sont surtout celles de l’éveil politique. Hassan Nasrallah se range dès l’adolescence du côté des clercs chiites proches des révolutionnaires iraniens, opposés aux forces laïques de gauche, libanaises et palestiniennes. À Bazouryié, ces derniers « étaient très forts ( ) il n’y avait pas de croyants fervents ( ) mon intérêt principal tournait donc autour de la formation d’un tel groupe de jeunes religieux », racontera-t-il à Nida' al-Watan en 1993. L’entourage du jeune homme n’est pas tourné vers la chose publique, ni particulièrement dévot. Il est en revanche imprégné d’une culture chiite bercée par un sentiment d’exclusion et d’injustice. Moussa Sadr est alors le porte-voix d’une communauté historiquement marginalisée. Hassan Nasrallah confiera des années plus tard avoir médité de longues heures devant le portrait de l’imam trônant à l’entrée du magasin paternel. « Je rêvais de devenir comme lui », dira-t-il dans un entretien publié par l’hebdomadaire iranien Ya Lesarat al-Hoseyn le 2 août 2006.

Hassan Nasrallah rejoint les rangs d’Amal dès 1975. Fondé quelque temps plus tôt par Moussa Sadr dans le sillage du Mouvement des déshérités, le parti se définit comme un groupe libanais, porteur de cette conscience chiite émergente, mais aussi religieux. Un élément capital pour le jeune homme qui fait preuve d’une ferveur religieuse précoce, parcourant des kilomètres à pied pour aller prier dans une mosquée ou pour dénicher des livres d’occasion.

L’invasion israélienne de 1982 marque un tournant dans la vie de la communauté et de l’homme. Alors que Nabih Berry, chef du parti depuis 1980, choisit de participer au comité de salut national aux côtés de Bachir Gemayel, une branche de l’appareil partisan menée par Hussein el-Moussaoui fait sécession pour fonder avec le soutien de la République islamique d’Iran ce qui deviendra deux ans plus tard le « Hezbollah ». Dès juillet, Hassan Nasrallah intègre « la première cohorte de jeunes chiites formés au camp de Janta, dans la Békaa, sous supervision des pasdaran iraniens », relève Aurélie Daher, enseignante-chercheure à l’Université Paris-Dauphine.

La Résistance islamique au Liban est née. Elle deviendra un acteur à part entière du conflit libanais tout en gardant un lien organique — à la fois idéologique, religieux, militaire et financier — avec la maison mère iranienne. Pour le jeune homme, alors âgé de vingt-deux ans, l’investissement politique supplante désormais tous les autres engagements. « Après 1982, notre jeunesse, notre vie et notre temps sont intégrés au Hezbollah », dira-t-il lors d’un entretien accordé à Nida el-Watan le 31 août 1993. La décennie à venir sera celle d’une ascension fulgurante au sein du parti-milice. En 1987, à 27 ans, Hassan Nasrallah est nommé président du conseil exécutif au sein de la plus haute autorité de l’organisation — le Conseil consultatif (Choura).

Tout au long du conflit libanais, sa participation aux combats armés semble limitée. S’il compte dès le milieu des années 1980 parmi les principaux cadres dirigeants, le militant est davantage décrit comme un gestionnaire que comme un homme de terrain. « Il suit les affaires militaires, mais sa fonction est surtout politique : ce n’est pas un combattant au sens traditionnel du terme », explique Kassem Kassir, analyste politique proche du parti de Dieu. Le rôle qu’il occupera durant les années de conflit opposant Amal au Hezbollah (1988-1990) est en revanche moins clair. « Il est quasiment certain qu’il n’a pas participé aux affrontements : il est chargé à l’époque de responsabilités administratives au sein du parti », avance Aurélie Daher. Mais une zone d’ombre continue de planer sur les contours exacts de son implication. « Au moment de la bataille de Dahiyé notamment, il était responsable militaire. Même s’il occupe un poste politique, il garde un lien direct avec le combat de terrain », nuance Ali al-Amine, journaliste et opposant au Hezbollah.

Les années de « paix »

Si les années de conflit ont été celles du baptême en politique, la période d’après-guerre tient lieu de tremplin pour le jeune dirigeant. L’assassinat du deuxième secrétaire général du parti, Abbas el-Moussaoui, par un raid israélien en février 1992 le propulse du jour au lendemain au sommet de l’appareil politique. Les cadres du Hezbollah, qui ne veulent pas donner à l’ennemi l’impression d’une victoire, précipitent l’élection d’un successeur. Certains ne sont pas convaincus par ce junior d’à peine 31 ans, compagnon de route de longue date du chef défunt, qui semble être le favori à Téhéran. Mais le temps presse : Hassan Nasrallah est élu (troisième) secrétaire général. Il le restera, créant au fil des ans une stature de leader rarement égalée dans la région.

La stratégie politique qu’il développe tout au long des années 1990 lui permet dans un premier temps de transformer une petite milice clandestine en parti qui s’intègre progressivement aux institutions du pays. Dans cette période d’après-guerre, le nouveau secrétaire joue la carte de la pacification et de la normalisation politique. Il se présente comme l’homme du pragmatisme et de l’ouverture intracommunautaire. Les mœurs s’assouplissent. La « libanisation » du Hezbollah est en marche — le mouvement obtient douze députés lors du scrutin législatif de 1992, neuf en 1996.

Dans le même temps, le leader inaugure une nouvelle ligne militaire intransigeante vis-à-vis d’Israël. La fin des affrontements intrachiites, en 1990, avait déjà permis au parti de réorienter son action vers la « résistance ». Hassan Nasrallah va au bout de cette logique. Le 24 février 1992, une semaine après l’assassinat de Abbas al-Moussaoui, il affirme face à la foule massée devant une mosquée de la banlieue sud que son mouvement est prêt à « venger » la mort de l’ancien dirigeant. Il appelle « le peuple et les partis politiques libanais, notamment chrétiens, a se joindre à la résistance ». La messe est dite. La première salve de katiouchas (roquettes soviétiques) est lancée quelques jours après.

Sur le plan tactique également, une minirévolution s’opère. Aux attentats-suicides des années 1980, le parti préfère des techniques de guerre plus sophistiquées. La pensée militaire portée par le sayyed se veut hybride. « Elle se fonde à la fois sur l’observation des résistances palestinienne et vietnamienne et sur des concepts plus contemporains : c’est une fusion des techniques de guérilla et de guerres modernes », explique Kassem Kassir. Sous son impulsion, les troupes se professionnalisent : les unités se spécialisent, les capacités de renseignement progressent, le rythme des opérations augmente. Cette nouvelle stratégie vaut à Hassan Nasrallah respect et admiration. Il est systématiquement reconduit à la tête du parti et le règlement intérieur sera amendé afin de permettre sa réélection pour plus de deux mandats de suite.

Enfin, la libération du Sud, le 25 mai 2000, apporte ce que ces années de guérilla armée ne lui avaient pas fourni : la preuve que sa stratégie militaire fonctionne. Après dix-huit ans d’occupation, l’ennemi plie bagage. Du jour au lendemain, des semaines avant la date annoncée, lâchant au passage ses alliés de l’Armée du Liban-Sud. Le Hezbollah semble avoir réalisé ce que très peu d’armées arabes étaient parvenues à faire. Les médias du parti mettent en scène la séquence en diffusant les images des scènes de liesse. « Allah, Allah protège Nasrallah ! » entend-on dans les rues du Sud libéré. Auréolé par ce succès, le nom de Hassan Nasrallah résonne à travers la région. À la tête d’un parti-milice désormais ancré dans le paysage libanais, ayant fait ses preuves sur le terrain militaire, le patron du Hezbollah aborde la nouvelle décennie avec un capital sympathie non négligeable.

La foule massée pour écouter un discours de Hassan Nasrallah lors d’une commémoration du retrait de l’armée israélienne du Liban-Sud en 2000. Photo d’archives AFP

La consécration

L’ultime consécration vient avec la guerre de juillet 2006. En trente-trois jours d’opérations, 7 000 bombes sont tirées vers le territoire libanais, contre quelque 4 000 roquettes lancées par le Hezbollah en direction d’Israël. Avec 1 125 morts côté libanais, plus de 4000 blessés et un million de déplacés, le bilan est lourd. Mais le coût humain et matériel ne change en rien la manière dont la séquence est interprétée par la population. Bien que le parti de Dieu soit à l’initiative de l’étincelle ayant déclenché le conflit (des tirs de roquettes en direction d’Israël le 12 juillet, tandis qu’un commando prend d’assaut des soldats ennemis), Hassan Nasrallah s’impose comme le dernier rempart contre la machine de guerre israélienne. Il devient un héros de guerre. La victoire est « plus grande encore que celle de 2000 », dira-t-il. Le « nouveau modèle », explique-t-il, est fondé sur une approche offensive de la « résistance » : cette dernière n’est plus cantonnée à une position de défense.

La séquence met en lumière l’évolution des méthodes et l’émergence de nouveaux procédés afin de mobiliser les troupes et d’intimider l’ennemi. Son éloquence, son art des discours et sa maîtrise de l’image lui permettent de faire passer des messages et d’influencer l’humeur générale. La guerre devient psychologique. S’il est le visage public de la guerre, Hassan Nasrallah n’est pourtant pas le cerveau de l’opération, téléguidée par les deux grands cadres militaires de l’époque — Imad Moughniyé, ancien haut responsable militaire du parti, et Kassem Soleimani, ancien chef iranien des opérations extérieures des gardiens de la révolution. La stratégie a « été pensée collectivement » et « ses contacts avec la salle des opérations ont été permanents, quand il n’y siégeait pas en personne », rappelle Aurélie Daher. Mais le sayyed n’est pas le seul maître à bord.

Pour triomphante qu’elle soit, l’année 2006 annonce également la fin d’une époque. Parce qu’il a conscience de son coût extrêmement élevé, Hassan Nasrallah affirme au soir du conflit que le parti n’aurait « absolument pas conduit cette opération s’il avait su qu’elle allait mener à une guerre d’une telle ampleur ». Le leader semble comprendre que le pays ne supporterait pas un second sacrifice de cette envergure. À compter de 2006, le front sud se stabilise. Le Hezbollah se retient désormais de réagir aux miniagressions quotidiennes en provenance de l’armée ennemi. Les discours du sayyed gardent toute leur charge belliqueuse, mais les règles d’engagement à la frontière israélo-libanaise sont entièrement renouvelées : la « résistance » devient performative.

Le mouvement chiite ré-investit la scène politique intérieure - d'autant plus que le départ des troupes syriennes le 26 avril 2005 suite à l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, pour lequel trois membres du parti seront reconnus coupables par le Tribunal Spécial pour le Liban, redistribue les cartes. Plutôt que de disparaître, la guerre se déplace ainsi sur de nouveaux terrains. En interne, d’abord, où la quête d’une domination de l’espace politique pousse Hassan Nasrallah à user de son arsenal militaire comme d’un outil d’intimidation. Cette stratégie culmine le 7 mai 2008, lorsque le mouvement envahit les quartiers ouest de la capitale et tente de s’imposer par la force dans la Montagne afin de contraindre le gouvernement de Fouad Siniora à faire marche arrière sur son projet de démanteler ses réseaux de télécoms et de limoger le chef de la sécurité à l’aéroport de Beyrouth, réputé proche du parti. La séquence consacre la nouvelle logique, désormais dédiée aux gains politiques en interne, et le chantage à la guerre dont est capable la milice. Les lignes rouges ont été posées. Elles ne seront plus remises en question.

À partir de 2011 et jusqu’à aujourd’hui, les bouleversements régionaux induits par les soulèvements des printemps arabes modifient l’ordre des priorités pour Téhéran et pour le leader du Hezbollah. Officiellement au nom du combat contre les « takfiristes », les forces de ce dernier se concentrent dès 2013 sur le terrain syrien. En Irak et au Yémen, des contingents forment, conseillent et encadrent les alliés locaux de l’« axe de la résistance ». L’organisation armée non étatique la plus puissante au monde devient la principale force de frappe de l’appareil iranien dans la région. « D’un groupe de résistance libanais, le Hezbollah est devenu une composante essentielle des gardiens de la révolution, explique Hanin Ghaddar, chercheuse au Washington Institute. Avec une présence en Europe, en Amérique latine et en Afrique, ils ont à la fois un ancrage régional sur le plan militaire et international sur le plan financier. » Le secrétaire général, devenu le ciment du parti, porte, accompagne et incarne cette transformation. Les assassinats en série de hauts dignitaires libanais et iranien — Imad Moughniyé (2008), Moustapha Badreddine (2016) puis Kassem Soleimani (2020) — laissent un espace vacant de conseiller et de stratège militaire auprès de Téhéran qui sera progressivement rempli par Hassan Nasrallah.

Sources :

DAHER, Aurélie, « Hezbollah, mobilisation et pouvoir » (PUF, 2014).

NOE, Nicholas, « Voices of Hezbollah, the Statements of Sayyed Hassan Nasrallah » (Verso, 2007).

TRABOULSI, Fawwaz, A History of Modern Lebanon (Pluto Press, 2012).

Il est dix-huit heures trente dans la capitale libanaise. La banlieue sud de Beyrouth vient d'être touchée par la plus grande frappe israélienne en date depuis la guerre de 2006. Les habitants de la ville tremblent encore au son des explosifs. Le nombre de morts est inconnu, il est question de « massacre ». Une énième tragédie ? Peut-être le début d’une guerre régionale. La rumeur...

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