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Organisme national, l'OPC travaille sur l’articulation entre l’innovation artistique et culturelle, les évolutions de la société et les politiques publiques au niveau territorial

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28.11.2024 à 10:27

Spotify, Netflix, Amazon… : un challenge pour les politiques publiques de la culture

Aurélie Doulmet

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Spotify, Netflix, Amazon, Apple ou Google sont devenus des portes d’entrée incontournables pour accéder à la culture en ligne aujourd’hui. Le rapport de la puissance publique à l’égard de ces plateformes culturelles dominantes est marqué par une ambiguïté, tant dans les discours que les formes d’action. Ces géants du numérique déstabilisent les cadres classiques de […]

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Spotify, Netflix, Amazon, Apple ou Google sont devenus des portes d’entrée incontournables pour accéder à la culture en ligne aujourd’hui. Le rapport de la puissance publique à l’égard de ces plateformes culturelles dominantes est marqué par une ambiguïté, tant dans les discours que les formes d’action. Ces géants du numérique déstabilisent les cadres classiques de l’intervention publique, entre autres, du fait de leur rapidité d’innovation et leur déterritorialisation. Leur puissance économique les dote d’une capacité à user de lobbying pour peser sur les décisions publiques. Comment l’action publique culturelle peut-elle répondre et s’adapter à cette nouvelle donne culturelle ? Quelle place pour une offre publique culturelle en ligne ? Une interview d’Olivier Thuillas et Louis Wiart, auteurs de l’ouvrage Les plateformes à la conquête des industries culturelles.

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21.11.2024 à 14:21

De la transition écologique et des conditionnalités dans les financements et les choix culturels des collectivités

Frédérique Cassegrain

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Pour la deuxième année consécutive, le baromètre de l’OPC s’intéresse à la transition écologique. Comment ce registre d’action varie-t-il selon les niveaux de collectivités territoriales ? Quelle place occupe le critère de l’impact écologique dans l’attribution des financements ? L’analyse d’Hervé Fournier insiste sur l’importance des compétences des personnels culturels et la nécessité de développer une culture de la coopération, en interne et avec les opérateurs, pour soutenir la prise en charge de la problématique écologique au quotidien.

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Texte intégral (2529 mots)

Le baromètre sur les budgets et les choix culturels des collectivités territoriales formule, pour la deuxième année, des questions sur la transition écologique et les conditionnalités des financements délivrés par ces collectivités. Les 202 répondants Parmi les 202 répondants (contre 179 en 2023) : les 13 régions métropolitaines, 68 conseils départementaux, 73 communes, 45 intercommunalités et 3 collectivités d’outre-mer à statut particulier. dressent un paysage pertinent pour mesurer l’intégration des questions environnementales dans le pilotage et la gestion des affaires culturelles à l’échelon territorial. Les directions des affaires culturelles inscrivent désormais dans leurs priorités de politique publique « les transitions écologiques » comme l’avaient évoqué les Assises des DAC d’octobre 2022 organisées à Sète. Cette évolution, de plus en plus documentée Voir, par exemple, le diagnostic Culture et création en mutations publié en 2023 dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir (PIA) – Compétences et métiers d’avenir de France 2030 : https://cultureetcreationenmutations.fr, met en évidence l’importance des compétences des personnels culturels (dans les collectivités ou chez les opérateurs), la nécessité de nouvelles collaborations et coopérations dans un contexte réglementaire lui-même évolutif (achats publics au prisme de la loi AGEC Loi no 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire., exemplarité et sobriété notamment énergétiques, décret tertiaire pour la gestion bâtimentaire, etc.).

La transition écologique dans le secteur culturel à l’heure de la sobriété financière

Sans surprise au regard de leurs compétences, ce sont les régions qui mentionnent les priorités de « transition », « d’approche écologique » dans les choix culturels de leur exécutif. Elles revendiquent clairement ce registre d’actions tout comme les « logiques territoriales », au même niveau que les enjeux de « création artistique » ou d’« accès à la culture ». En revanche, les termes de « transition » ou d’« approche écologique » sont peu revendiqués de leur côté par les intercommunalités alors qu’elles ont en charge diverses politiques sur le sujet : plan climat, schéma directeur des énergies, autres documents de planification et achats publics responsables. Les départements sondés ne s’appuient pas sur l’objectif de transition dans leurs choix culturels Cf. graphiques p. 34 à 37 de la publication complète du baromètre 2024. malgré leurs compétences sur les espaces naturels ou agricoles. Sur le terrain, il semble encore difficile pour le personnel politique de porter dans une même doctrine les enjeux culturels et environnementaux. Ce constat est manifeste dans les différentes ressources https://www.culture.gouv.fr/fr/Thematiques/transition-ecologique Le premier document inspirant du MCC s’intitule « stratégie ministérielle de responsabilité sociétale, sociale et environnementale des organisations » et a été publié en 2017. du ministère de la Culture qui sont très récentes et dont l’origine remonte à l’accord de Paris (2015), une génération après le Sommet de Rio (1992).

De l’écoconditionnalité des aides financières

La conditionnalité des aides consiste à émettre des critères spécifiques à côté de l’objet principal du financement. Ceux-ci peuvent relever d’une appréciation dans l’instruction d’une demande de subvention ou d’une condition d’attribution, assise sur une documentation spécifique, des actions attendues, potentiellement mesurables en matière d’impact (gestion des déchets, consommation d’énergie, émissions de gaz à effet de serre, personnel formé…). Moins d’une collectivité sur deux (86 sur 200 répondants à cette question) affirme ne pas conditionner ses financements.

Croquis : critères de conditionnalité des aides financières attribuées par les collectivités et intercommunalités

Un quart des collectivités (48 sur 200) revendiquent des critères sur l’impact écologique, soit la même proportion que la condition d’égalité entre les femmes et les hommes. En 2023, un tiers des répondants reconnaissait l’existence du critère de l’impact écologique dans l’attribution des aides. Faut-il interpréter ces chiffres comme un léger recul, le constat d’une difficulté à les mettre en œuvre ou une incapacité technique des opérateurs à y répondre ? En 2024, la proportion est légèrement inférieure pour les régions dont on sait pourtant qu’elles sont très en pointe sur l’écoconditionnalité des festivals. L’émergence des « clauses de réemploi de matériaux », « d’écoconception » et d’« économie circulaire » en matière culturelle dans 69 collectivités symbolise cette évolution des savoir-faire dans le champ de la culture. Il conviendra de s’interroger ces prochaines années sur la mise en œuvre de ces critères et de leur contrôle d’exécution à la charge des services concernés.

Croquis : démarches mises en place par le service culturel des collectivités et intercommunalités en faveur de la transition écologique

Près d’un septième des collectivités développe également une préférence pour les fournisseurs locaux et, parmi elles, ce sont les départements, les communes et les intercommunalités qui sont les plus avancés, comparativement aux régions dont aucune n’évoque ce critère ! Là aussi, ces écarts sont à jauger au regard des compétences de chacun. Une collectivité chargée d’un projet alimentaire territorial (PAT) va chercher à développer des relations entre son secteur agricole local et ses opérateurs culturels. 48 collectivités incluent déjà des « clauses d’alimentation responsable pour les établissements ou événements culturels». Le sujet des critères environnementaux ouvre également celui des marchés publics dits « responsables » mis en œuvre pour construire ou rénover des équipements, commander des livres, des outils de communication, du mobilier ou des scénographies pour les expositions des musées et médiathèques notamment. Ce volet des achats responsables (avec des clauses sociales et/ou environnementales) concerne réglementairement les collectivités ayant plus de 50 millions d’euros d’achat. Il n’est pas abordé dans le présent baromètre.

De la coopération au quotidien

D’autres questions demeurent pertinentes dans un contexte de verdissement des priorités et des choix culturels des collectivités : sur l’évolution de la coopération en matière culturelle dont on sait qu’elle est emblématique de la prise en charge de la problématique écologique au quotidien. Le baromètre 2024 indique que la coopération en matière culturelle n’a pas évolué avec l’État pour 51 % des répondants et qu’elle n’a pas évolué non plus avec les autres niveaux de collectivités territoriales pour 47 % d’entre eux. La culture du « faire ensemble », chacun dans un périmètre de responsabilité et d’influence, doit émerger également entre opérateurs culturels, qu’il s’agisse d’une coopération de proximité (commençons par une coopération avec les services en charge des locaux mis à disposition !) ou à un niveau plus institutionnel (avec des services déconcentrés de l’État tels que l’ADEME ou la DREAL, des opérateurs de transport telle que la SNCF…) pour parvenir à une réelle transition environnementale du secteur culturel. Ce savoir-faire est pourtant historique dans plusieurs de ses filières (musées, spectacle vivant… avec la mutualisation des moyens, notamment des parcs matériels, l’optimisation des tournées, etc.) et ces actions sont déjà identifiées et déployées pour 74 des 202 répondants.

Transition écologique et emplois culturels

Une collectivité seulement sur cinq a connu une hausse de ses emplois culturels Cf. graphique p. 28 de la publication complète du baromètre 2024.. Leur stabilité, voire leur diminution pour 14 % des répondants, oblige les collectivités à développer des compétences sur la transition écologique en interne sans faire appel à de nouveaux profils, autour de formations continues et de nouvelles organisations, plus collaboratives avec d’autres directions impliquées. 84 collectivités (sur 202) mettent en place des actions de formation de leurs agents et 55 ont d’ores et déjà désigné une personne référente dans le service. En outre-mer, où la question de l’adaptation au changement climatique des opérateurs culturels est la plus prégnante, un tiers des répondants diminue ses emplois culturels !

Cette réalité laisse entrevoir l’émergence de nouvelles maquettes de formation pour les personnels en place, en lien avec le Conseil national des professions du spectacle (CNPS), le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), l’Institut national des études territoriales (INET) et les organismes de formation qui se positionnent sur ces enjeux. Les Directions des affaires culturelles devront progresser sur le sujet de la transition écologique avec leurs propres ressources humaines. Le partage des enjeux avec d’autres services peut être recherché au sein de la collectivité, à l’instar d’une « gouvernance participative » par ailleurs évoquée dans le baromètre (critère de conditionnalité), mais qui ici concernerait le fonctionnement même des services culturels… La concertation avec les acteurs culturels du territoire en matière de transition écologique est bien revendiquée par 89 collectivités (dont 11 régions sur 13 répondants, 19 départements sur 68, 39 communes sur 73) lorsqu’elles sont interrogées sur les démarches engagées.

Une transition écologique encore à la marge dans la politique culturelle en 2024

La place de la transition écologique dans la politique culturelle demeure moyennement importante pour les collectivités. Elle peut être considérée comme un sujet à la marge pour les décideurs culturels, alors que les outils et ressources explosent sur la compréhension des impacts environnementaux des pratiques culturelles.

Croquis : place de la transition écologique dans la politique culturelle des collectivités et intercommunalités

Selon le type de collectivité, elle oscille entre 2 et 3,8 points (moyenne sur 5) en degré d’importance. Les régions, les communes (notamment celles de plus de 100 000 habitants) et les métropoles sont les plus sensibles à ces enjeux (3 points ou plus sur 5) au contraire des départements et des collectivités d’outre-mer à statut particulier dont la maturité devra progresser. Les démarches mises en place se centrent pour la majorité des collectivités (110 sur 202) sur des mesures de sobriété énergétique (équipements culturels, adaptation du patrimoine, etc.). Dans le baromètre de 2023 Voir l’article « La question environnementale (écologique) dans les budgets et choix culturels des collectivités »., les répondants se disaient pourtant peu affectés par la crise des prix de l’énergie de 2022. Cette sobriété est désormais revendiquée par 25 départements sur 68 répondants, 48 communes sur 73, 13 métropoles sur 19 et 14 communautés urbaines ou d’agglomération sur 26. L’obligation dite « du décret tertiaire Rappel sur le décret tertiaire. » a probablement fait effet levier sur cette évolution.

La prise en compte de la transition écologique dans les budgets et les choix culturels des collectivités est engagée pour de nombreuses administrations culturelles sur le territoire. Le développement de l’outillage sectoriel par le ministère de la Culture (référentiels carbone pour les opéras, les scènes de musiques actuelles, les établissements de spectacle vivant en outre-mer notamment) et ses propres engagements énoncés dans le Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture donnent un cadre d’action pour les opérateurs culturels. Ces derniers s’interrogent toujours fortement sur cette prise en compte, à la demande de leurs tutelles institutionnelles locales ou sous l’impulsion de leurs propres équipes souvent volontaires à ce que la préoccupation environnementale irrigue les pratiques professionnelles quotidiennes, quitte à heurter parfois des choix de programmation. Il revient aux cadres culturels, ceux des collectivités autant que ceux des organisations soutenues par l’argent public, de développer un dialogue professionnel renouvelé, en interne ou avec de nouveaux partenaires selon le principe de coopération. Il s’agit bien d’une évolution notable du métier culturel, pas simplement d’un effet de mode !

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14.11.2024 à 14:21

Qui veut la peau du pass Culture ?

Lisa Pignot

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Dans une tribune publiée le 11 octobre dans Le Monde, la ministre de la culture, Rachida Dati, a annoncé sa volonté de réformer le Pass culture afin qu’il remplisse mieux sa mission de service public. Qu’est-il donc reproché au Pass culture ?

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Texte intégral (2386 mots)
En 2022, les mangas représentaient 36 % du volume des réservations réalisées par les jeunes via le pass culture. © Frédéric Bisson / FlickrCC BY

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a été rendu public qui montre, grâce à une enquête du CSA, que la proportion de jeunes ayant téléchargé l’application varie de 87 % chez ceux issus de parents diplômés du supérieur à 67 % chez ceux dont les parents ont le certificat d’études primaires. La technologie ne fait pas disparaître les inégalités sociales face aux pratiques culturelles. Le goût pour la lecture, le cinéma, les concerts prospère davantage dans les familles qui s’intéressent à ces domaines et ont les moyens de s’y repérer et peuvent (doivent) exprimer leurs pratiques dans leurs relations de sociabilité. Le rapport conclut à « l’existence d’effets d’aubaine ».

C’est indéniable, mais l’argument est étonnant car il vaut pour toute action culturelle. N’y a-t-il donc aucun effet d’aubaine dans l’offre des institutions culturelles ? Si la démocratisation de la culture est l’objectif des musées, comment justifier alors que la part des publics diplômés dans ces établissements soit 3,8 fois plus importante que celle des moins diplômés en 2018 (2,8 fois plus en 1973) ? Et bien sûr cela vaut pour tous les équipements culturels. Si l’élargissement des publics est la vocation de l’Opéra de Paris, que penser de l’âge moyen à 45 ans et de la surreprésentation des très diplômés et des Parisiens dans le public ?

Et, puisque le livre est le premier bien acquis par les jeunes grâce au Pass culture, relevons son importance dans la démocratisation de la fréquentation des librairies. Les données de l’enquête de LObSoCo (L’Observatoire Société et Consommation) montraient que seulement 12 % des 18 ans et plus sans diplôme fréquentaient les librairies. Cette proportion est sans nul doute largement inférieure à celle des jeunes issus de parents non diplômés ayant franchi les portes d’une librairie grâce au Pass culture. Le dispositif permet donc aux libraires de voir des jeunes qu’ils ne verraient pas sans et qui ne sont pas familiers de ce lieu. Et 87 % du panel des libraires interrogés pour l’Observatoire de la librairie considèrent que les jeunes qui utilisent le pass Culture sont un nouveau public. Et d’ailleurs, l’étude d’avril 2023 Le livre sur le pass Culture montrait que 48 % des utilisateurs qui ont réservé un livre avec le Pass culture ont déclaré avoir découvert un lieu d’achat ou d’emprunt de livres en allant retirer leur réservation.

Le Pass culture ne permet sans doute pas beaucoup de renouvellement des publics des institutions culturelles légitimes et d’ailleurs les réservations de spectacles vivant ne représentent que 2 % des dépenses faites par les jeunes. En revanche, s’agissant du livre et de la lecture, il alimente le maintien du rapport des jeunes à cette pratique.

Un coût élevé ?

Le Pass culture est plébiscité par les jeunes. 81 % de la génération 2004 a utilisé une partie de la somme disponible et plus de la moitié au moins 285€ sur les 300€ disponibles. Fin août 2023, ils étaient 3,2 millions à avoir utilisé ce crédit. Et ce succès a un coût de 260 millions d’euros. Cela représente environ 6 % du budget 2024 du ministère de la Culture (hors Audiovisuel public). Par comparaison, c’est aussi le budget de la BnF ou un peu plus que la dotation de l’État à l’Opéra national de Paris ajoutée à celle du musée du Louvre. Mais cette dépense touche une part très importante des jeunes Français, quelle que soit leur région. Par contraste, on se souvient que Jack Lang avait pointé le privilège des Franciliens qui bénéficient d’équipements culturels financés par l’État (à hauteur de 139€ contre 15€ pour les habitants des autres régions).

Une nation de lectrices et de lecteurs

Du point de vue de la promotion de la lecture, les dépenses du Pass culture ne sont pas vaines. D’après les données du rapport de l’IGAC, le livre représente 71 % de ce que les jeunes sélectionnent sur l’application et 54 % de ce qu’ils dépensent. Autrement dit, c’est d’abord vers les livres qu’ils se tournent quand on leur donne des ressources financières pour leurs pratiques culturelles.

Pourtant, les commentaires de l’enquête « Les jeunes Français et la lecture » du CNL étaient souvent empreints d’inquiétudes et de déploration sur l’« effondrement », le « décrochage » ou la « perte de vitesse » de la pratique et alors même qu’était pointée la concurrence des écrans.

Comment à la fois déplorer le faible engagement des jeunes dans la lecture et remettre en cause un dispositif qui parvient à faire de ce support un objet attractif ? Cette incohérence signale que l’enjeu se situe peut-être ailleurs…

Le pouvoir aux jeunes

Le Pass culture constitue une révolution dans les politiques culturelles. L’histoire du ministère de la Culture se caractérise surtout par une politique d’offre dans laquelle les représentants du champ culturel dûment choisis et installés dans des équipements prestigieux constituaient une offre (prenant la forme de collections, d’expositions, de spectacles, etc.) pour la population qu’on espérait bien pouvoir être charmée et convertie à cette qualité. Faute de succès, cette politique a été maintenue mais avec le souci de communiquer sur des initiatives (avec parfois de réels succès) de démocratisation de la culture. Cela passe par des partenariats, souvent avec l’École ou le milieu carcéral, afin de mettre en évidence que l’intention de transmission de la culture n’est pas abandonnée.

Le choix d’instaurer le Pass culture apparaît comme une sorte d’aveu d’impuissance qui a été plutôt mal perçu par les institutions culturelles. Le pouvoir de définition de la culture leur échappe et chaque jeune vote avec de l’argent public. D’où la prise de parole hostile à l’égard du Pass culture de la part du président du Syndicat national des Entreprises artistiques et culturelles. Et en effet, ce n’est pas vers les équipements culturels que se ruent les jeunes. Ils vont en librairie et commandent massivement des types de livres qui singularisent leur classe d’âge. Une enquête de l’Observatoire de la librairie du Syndicat de la Librairie française auprès de 338 librairies montre qu’en 2022 les mangas représentaient 36 % du volume des réservations et les romans d’amour ou sentimentaux 3 %. Mais un an plus tard, la part des premiers est descendue à 23 % et celle des seconds est montée à 10 %.

Le Pass culture est donc bien approprié par les jeunes comme un outil pour définir et redéfinir leur monde du livre à distance de celui de l’École ou de leurs parents. Ce faisant, ils manifestent leur souhait de participer à la régénérescence de la culture en construisant un « nous générationnel » qui se distingue de celui dont ils ont hérité et par lequel certains pourront dire « je ».

Dire « nous » et dire « je »

Pour autant, peut-on réduire leurs pratiques (de lecture mais aussi de cinéma) à des choix conformistes, limités aux meilleures ventes ou aux blockbusters comme le suggèrent les détracteurs du Pass culture ?

Certes, 1158 (soit 1 %) titres différents de livres réservés en 2022 ou 2023 parmi les 115 754 références réservées au moins une fois représentaient 39 % du volume des ventes. Il existe bien un effet de vogue de certains titres ou auteurs. Reste que plus de la moitié des ventes se disperse parmi une grande diversité de titres. Le pass devient alors le support d’une affirmation ou d’une construction personnelle. C’est ainsi que 55 % des références relèvent du « fonds » de la librairie, c’est-à-dire des titres parus au minimum deux ans plus tôt. Et l’étude de 2023 réalisée par Pass culture montrait que près d’un jeune sur deux (43 %) ayant réservé un livre sur le Pass culture a choisi un genre littéraire qu’il ne connaissait pas.

Hors du monde du livre, on perçoit clairement cet usage nourri par le souci de se construire soi-même à travers le poids des dépenses consacrées à l’achat d’instruments de musique (8 %) ou de matériel de Beaux-arts (3 %).

Vers une nouvelle médiation ?

Le Pass culture apparaît comme une opportunité pour repenser les politiques culturelles. Sa suppression apparaîtrait comme un stérile retour en arrière. Face à l’échec des politiques d’offre, il ouvre la voie à un nouveau dialogue entre les publics et les équipements culturels. À l’heure où les individus sont conduits à se définir comme autonomes, il est cohérent de partir des publics plutôt que d’œuvres choisies par d’autres qu’il s’agirait de leur transmettre. Cela ne signifie pas pour autant la fin de la « figure-clé du médiateur » comme l’écrit Michel Guerrin.

Les libraires reçoivent les jeunes avec leurs envies. Ils parlent avec eux et les orientent dans leurs choix avec leur connaissance de la production éditoriale mais aussi avec tact. C’est peut-être vers ce dialogue que les politiques culturelles doivent se redéfinir.The Conversation

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