19.12.2024 à 11:42
Olivier Petitjean
Entre début 2020 et fin 2023 (derniers chiffres disponibles), les groupes du CAC 40 ont engrangé 486 milliards d'euros de profits. C'est 333 millions d'euros par jour, un milliard d'euros tous les trois jours.
Après le ralentissement de 2020 dû aux confinements (avec 35 milliards d'euros de bénéfices tout de même), les groupes du CAC40 ont connu trois années de superprofits autour de 150 milliards d'euros.
486 milliards d'euros, cela correspond à peu près aux dépenses de l'État français (…)
Entre début 2020 et fin 2023 (derniers chiffres disponibles), les groupes du CAC 40 ont engrangé 486 milliards d'euros de profits. C'est 333 millions d'euros par jour, un milliard d'euros tous les trois jours.
Après le ralentissement de 2020 dû aux confinements (avec 35 milliards d'euros de bénéfices tout de même), les groupes du CAC40 ont connu trois années de superprofits autour de 150 milliards d'euros.
486 milliards d'euros, cela correspond à peu près aux dépenses de l'État français en 2024. Pour rappel, le déficit budgétaire s'élève cette année à 163 milliards d'euros.
Sur la même période de 4 ans, le CAC 40 a reversé 246 milliards d'euros à ses actionnaires sous forme de dividendes. L'année 2023 a vu un record historique de dividendes versés avec 74 milliards d'euros.
Dans le même temps, les groupes du CAC 40 ont racheté leurs actions – toujours pour gratifier leurs actionnaires – à hauteur de 90 milliards, avec là aussi un record en 2023 avec plus de 30 milliards d'euros.
Autrement dit, sur ces quatre années, le CAC 40 a consacré 336 milliards d'euros à ses actionnaires, soit 230 millions d'euros par jour.
Certes, sur la même période, les groupes du CAC 40 ont créé de l'emploi au niveau mondial, + 9% sur quatre ans. Des créations qui sont essentiellement le fait de quelques groupes dans les services à distance (Capgemini, Teleperformance) et le BTP.
En France cependant, les groupes du CAC 40 qui publient des chiffres à ce sujet ont très légèrement réduit leurs effectifs (-0,1%). Plusieurs piliers du CAC 40, dont Michelin et ArcelorMittal, ont annoncé de nouvelles suppressions d'emploi en 2024 qui vont toucher notamment la France.
Sur la même période de quatre ans, les groupes du CAC 40 ont consacré plus d'un milliard d'euros à rémunérer leur quarante patrons. Leur rémunération moyenne a augmenté de 48% entre 2020 et 2023, passant de 4,8 à 7,2 millions d'euros annuels.
Dans le même temps, la France a versé 200 milliards d'euros par an (entre 157 et 223 selon les modes de calcul), soit 800 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises en quatre ans.
Les prix à la consommation ont augmenté de 12,8% en moyenne et beaucoup plus pour les couches sociales défavorisées.
Les petites et moyennes entreprises subissent elles aussi la crise, et plusieurs sous-traitants et fournisseurs des grands groupes en France sont contraints de fermer.
Une vaste redistribution des richesses... au profit des grandes entreprises et de leurs actionnaires.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un don18.12.2024 à 10:33
Depuis quelques années, l'hydrogène nous est présenté comme LA solution à tous nos problèmes de crise climatique et de transition énergétique. Mais derrière les effets d'annonce et les promesses de lendemains plus verts se cache une industrie polluante et étroitement liée aux énergies fossiles. Dans son livre Hydrogène Mania, Aline Nippert « se coltine les réalités techniques » et tente de faire dialoguer logiques industrielles et sciences humaines et sociales pour prendre la mesure de ce (…)
- Actualités / ArcelorMittal, Air Liquide, TotalEnergies, Climat et greenwashing, énergies fossiles, greenwashing, nouvelles technologies, gaz à effet de serreDepuis quelques années, l'hydrogène nous est présenté comme LA solution à tous nos problèmes de crise climatique et de transition énergétique. Mais derrière les effets d'annonce et les promesses de lendemains plus verts se cache une industrie polluante et étroitement liée aux énergies fossiles. Dans son livre Hydrogène Mania, Aline Nippert « se coltine les réalités techniques » et tente de faire dialoguer logiques industrielles et sciences humaines et sociales pour prendre la mesure de ce grand écart qui révèle, selon elle, l'impasse des stratégies actuelles de décarbonations. Entretien.
L'hydrogène est un sujet dont on entend beaucoup parler, mais peu de gens ont vraiment pris la peine de se plonger dedans. Comment avez-vous été amenée à vous y intéresser ?
Aline Nippert : Je suis une journaliste scientifique spécialisée sur le secteur de l'énergie. J'avais donc déjà passé la barrière à l'entrée qu'il peut y avoir sur des sujets comme l'hydrogène, qui sont des sujets a priori techniques et scientifiques, mais qui sont aussi éminemment politiques. Mais, justement, pour creuser ces aspects politiques, il faut d'abord se coltiner les réalités techniques.
Initialement, j'imaginais un livre plus concis et pédagogique, qui aurait mis en lumière certains paradoxes de la transition énergétique telle qu'elle commence à se déployer et telle qu'elle est défendue par nos responsables politiques – paradoxes qu'il me semblait important de mettre en mots et de rendre accessibles au grand public. Le secteur de l'aviation, par exemple, me semblait une bonne illustration de beaucoup des absurdités actuelles liées à la transition énergétique. Mais je ne voulais pas non plus en faire des caisses, parce que j'avais l'impression que, malgré toutes leurs limites, les technologies mises en avant aujourd'hui, comme l'hydrogène, représentaient quand même un progrès par rapport aux énergies fossiles.
Au fil du chemin, j'ai interrogé des industriels, des ingénieurs, des physiciens et des chimistes, mais aussi – ce qui est plus rarement le cas sur ces questions – des chercheurs en sciences humaines et sociales. Et je me suis rendu compte qu'en réalité, la direction que nous prenons aujourd'hui en matière de transition énergétique – celle de la croissance verte et de l'illusion techno-solutionniste – nous mène droit dans une impasse, et qu'il faudrait changer totalement de braquet, et que c'est donc un sujet absolument crucial qui mérite qu'on s'y attarde avec sérieux.
L'hydrogène symbolise effectivement cette promesse d'une technologie qui va nous permettre de garder le même mode de vie tout en évitant la catastrophe climatique. Cependant, et c'est l'un des premiers enseignements que l'on tire de votre livre, l'industrie de l'hydrogène existe en réalité depuis longtemps. Qu'est-ce qu'il y a de nouveau dans ce qui est proposé aujourd'hui ?
A.N. : Effectivement, l'industrie de l'hydrogène est en place depuis un demi-siècle. Pire encore : cette industrie est entièrement fondée sur l'exploitation des énergies fossiles. L'hydrogène qui est consommé et produit actuellement est majoritairement issu de gaz fossile. La molécule de méthane CH4 est décomposée au moyen d'un procédé industriel, pour récupérer la molécule H2, le dihydrogène qui nous intéresse, tandis que le reste – en particulier le CO2 – est relâché dans l'atmosphère. L'autre procédé pour produire de l'hydrogène aujourd'hui est lui aussi basé sur une énergie fossile : c'est la gazéification du charbon. La conséquence de ceci, c'est que les 97 millions de tonnes d'hydrogène fossile qui sont produites dans le monde actuellement tous les ans génèrent 900 millions de tonnes de CO2, ce qui représente environ 2% des émissions globales. C'est comparable aux émissions de l'aviation.
Voilà pour la situation actuelle. Ce qui a changé, pour l'instant, ce sont seulement les discours. L'hydrogène est désormais présenté par certains acteurs industriels et par beaucoup de responsables politiques comme une solution indispensable pour décarboner nos économies. Il continue à être produit de manière tout aussi « sale », mais on met en avant le fait qu'il pourrait être produit autrement, notamment à travers un procédé industriel qui s'appelle l'électrolyse de l'eau, consistant à utiliser des grandes quantités de courant électrique pour casser la molécule H₂O en deux parties : la molécule H₂ qui nous intéresse et la molécule O₂, dioxygène, qui est inoffensive. Ce mode de production alternatif est quasi inexistant aujourd'hui, mais il est mis en avant, avec d'autres, pour dire qu'il faut investir, flécher des subventions publiques et des capitaux privés afin de faire émerger un marché totalement nouveau.
C'est en référence à ces différents modes de productions que l'on parle aujourd'hui d'hydrogène vert, d'hydrogène bleu, gris ou blanc ?
Ce qui a changé, pour l'instant, ce sont seulement les discours. L'hydrogène continue à être produit de manière tout aussi « sale », mais on met en avant le fait qu'il pourrait être produit autrement.
A. N. :Quand on se penche sur le secteur de l'hydrogène, on tombe très rapidement sur cette typologie arc-en-ciel qui est, au fond, un « narratif » conçu par les industriels. L'hydrogène est différencié en fonction du mode de production : l'hydrogène gris produit à partir de gaz fossile, l'hydrogène noir à partir de charbon, et ensuite toute une palette de plus jolies couleurs. L'hydrogène vert serait produit à partir d'électricité d'origine renouvelable, comme notamment le solaire, l'éolien ou la biomasse. L'hydrogène blanc est l'hydrogène dit « naturel », qui serait extrait directement du sol. J'y consacre un sous-chapitre entier de mon livre. Et l'hydrogène bleu consisterait à produire de l'hydrogène toujours à partir de combustibles fossiles, mais en y ajoutant une technologie de capture de CO2 pour en faire comme par magie une solution « bas carbone ». Pourtant, cette dernière technologie pose beaucoup de questions en termes de méthodologie de comptabilisation des émissions tout au long de la chaîne de valeur. L'hydrogène jaune (ou rose, cela dépend de des typologies) consiste à fabriquer l'hydrogène à partir d'électricité nucléaire.
L'objectif de cette typologie arc-en-ciel, c'est de suggérer que la situation actuelle n'est pas définitive, et qu'il y a pléthore de solutions pour décarboner la production d'hydrogène. Aujourd'hui, cependant, elle est devenue un peu encombrante pour les industriels du secteur. Ils préfèrent mettre en avant un autre paradigme, celui de la « neutralité technologique ». L'idée est qu'il suffit de fixer un seuil limite d'émissions de CO2 à ne pas dépasser, en invisibilisant le mode de production, pour que cela revienne au même de produire de l'hydrogène avec du nucléaire, des éoliennes ou de la capture du CO2.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donL'hydrogène a fait irruption dans le débat public en 2020. Pourquoi à ce moment là ?
Comme me l'a dit sans faux-semblants le directeur de Hydrogen Europe, principale organisation défendant les intérêts du secteur, le secret du lobbying, c'est de délivrer le bon message au bon moment.
A. N. : À partir de 2020, on assiste effectivement à un boom mondial de l'hydrogène – qui n'est d'ailleurs pas le premier de l'histoire. Que cela ait lieu en 2020, cela démontre au fond que le choix d'une technique par rapport à une autre est moins lié aux qualités intrinsèques de ces techniques qu'au contexte politique et social. C'est là un des grands enseignements des sciences humaines et sociales sur le secteur de l'énergie. En 2020, on était en pleine pandémie du Covid. L'activité économique était en pause, et il y avait de nombreuses craintes quant à l'avenir de l'industrie européenne et de l'emploi. Comme me l'a dit sans faux-semblants le directeur de Hydrogen Europe, principale organisation défendant les intérêts du secteur, le secret du lobbying, c'est de délivrer le bon message au bon moment. L'industrie de l'hydrogène a su profiter de ce contexte en présentant sa technologie comme un moyen de redynamiser l'industrie européenne tout en sauvant les objectifs climatiques de l'Union. L'effet a été immédiat. Dès juillet 2020, la Commission présentait une stratégie européenne sur l'hydrogène.
Ce soutien a été confirmé et renforcé deux ans plus tard au moment de la guerre en Ukraine. Les questions de souveraineté énergétique et de dépendance au gaz russe occupaient toute l'attention, et là encore Hydrogen Europe a su mettre en avant l'idée que l'hydrogène pourrait être produit à partir de différentes sources énergétiques et de manière locale. Ils ont obtenu un doublement des objectifs européens, de 10 millions de tonnes d'hydrogène bas carbone consommées en Europe chaque année à 20 millions de tonnes, dont la moitié seraient importées.
Lire aussi Plans de relance européens : l'hydrogène, bouée de sauvetage pour l'industrie des énergies fossiles
Vous parlez de l'industrie de l'hydrogène en général. De qui s'agit-il concrètement ? On a l'impression que beaucoup de secteurs industriels différents sont concernés.
A. N. : Il y a d'abord les piliers historiques que sont les trois géants mondiaux Air Liquide, Air Products et Linde, qui abondent le marché mondial d'hydrogène fossile depuis des décennies. Stratégiquement, ils misent surtout sur l'hydrogène dit bleu, avec capture du carbone, parce que cela ne remet pas en question leurs installations existantes ni leur savoir-faire en matière de gaz fossile. Il y a aussi, toujours du côté de la production, les entreprises qui se positionnent sur l'électrolyse de l'eau, dont les intérêts ne sont pas forcément alignés sur ceux des précédents.
Les trois géants mondiaux Air Liquide, Air Products et Linde, qui abondent le marché mondial depuis des décennies, misent surtout sur l'hydrogène dit bleu, avec capture du carbone.
Ensuite, il y a les industriels qui utilisent l'hydrogène. Là aussi, il y a des utilisateurs historiques, à savoir les raffineries et les producteurs d'ammoniac. Ils ont l'habitude de consommer de l'hydrogène à 1,5 euro du kilo, et n'ont pas l'intention de voir leur facture augmenter. TotalEnergies a lancé un appel à projets l'an dernier pour 500 000 tonnes d'hydrogène dit bas carbone pour ses raffineries européennes, mais récemment Patrick Pouyanné a déclaré publiquement qu'au vu des premiers retours, ce n'était pas soutenable financièrement. S'y ajoutent les nouveaux utilisateurs potentiels, comme le secteur de l'aéronautique, l'automobile, le chauffage domestique, les sidérurgistes, qui misent en partie sur l'hydrogène pour se décarboner.
Enfin, il y a les acteurs du transport, qui sont surtout les gestionnaires de réseaux comme GRTgaz en France. Historiquement spécialisés dans le transport et la distribution de gaz fossile, ils veulent se diversifier pour survivre, et ils mettent en avant leur capacité à transporter l'hydrogène sur de longues distances, par pipelines, en construisant au prix de subventions massives un corridor européen de l'hydrogène.
À côté de ça, il y a les lobbies nationaux de l'hydrogène, qui peuvent avoir des divergences de vues. Le plaidoyer de France Hydrogène, qui regroupe les industriels français, met l'accent sur le nucléaire et n'est pas du tout le même que celui des Allemands qui mise beaucoup plus sur l'importation massive d'hydrogène de pays d'Afrique du nord ou australe.
Tous les acteurs n'ont donc pas exactement les mêmes intérêts et les mêmes objectifs. Ce qui fait qu'une entité comme Hydrogen Europe, le lobby européen de la filière qui regroupe de nombreuses d'entreprises dans tous les pays européens et sur toute la chaîne de valeur, a parfois du mal à trouver des lignes communes.
Depuis 2020, les pouvoirs publics ont annoncé plusieurs milliards d'euros d'aides publiques à la filière hydrogène. Est-ce que ces annonces se traduisent aujourd'hui par des projets concrets ?
Selon l'Agence internationale de l'énergie, seulement 4% des projets annoncés dans le monde sont en construction ou ont atteint la décision finale d'investissement.
A. N. : On a effectivement vu se multiplier les annonces et les stratégies nationales. La France a promis 9 milliards d'euros d'aides publiques à la filière sur un horizon de dix ans. Pour l'instant cependant, et notamment en France, ça traîne. Cela fait un an que la stratégie française de 2020 est censée être révisée et que les industriels attendent, parce que la mise en place d'un mécanisme de soutien à la production bas carbone d'hydrogène est cruciale. Il y a eu beaucoup d'annonces sur la production d'hydrogène bas carbone ou sur la fabrication d'électrolyseurs, autrement dit les machines destinées à produire cet hydrogène bas carbone, mais dans les faits très peu de projets sont effectivement en construction ou ont même atteint l'étape de la décision finale d'investissement. Pour ce qui est de la production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, selon l'Agence internationale de l'énergie, seulement 4% des projets annoncés dans le monde sont en construction ou ont atteint la décision finale d'investissement.
Quelle garantie y a-t-il que l'argent public aille véritablement à des projets vertueux d'un point de vue climatique ?
A. N. : La directive européenne sur les énergies renouvelables de 2020 contraint les industriels à utiliser de l'hydrogène produit à partir d'électricité renouvelable. La France ne l'entendait pas de cette oreille et a mené et continuer de mener un lobbying massif pour l'inclusion de l'hydrogène produit à partir d'électricité nucléaire. Elle a déjà remporté plusieurs victoires. Le sujet aujourd'hui, c'est de savoir si l'hydrogène bleu peut lui aussi être intégré dans les stratégies européennes et bénéficier des aides publiques qui en découlent. Il y a actuellement beaucoup de controverses sur le fait d'octroyer des subventions publiques à ce type de projet qui n'a pas encore prouvé ses bénéfices pour le climat.
J'ai publié récemment une enquête sur ce sujet en collaboration avec un scientifique du CNRS pour le média sur la désinformation climatique DeSmog et Le Monde. Nous avons comptabilisé la quantité de gaz fossile que nécessiterait l'ensemble des projets d'hydrogène bleu annoncés en Europe. Si tous ces projets voyaient le jour, cela nécessiterait d'augmenter la demande de gaz fossile de 58 milliards de mètres cube par an, soit l'équivalent de la consommation de la France. Nous avons aussi comptabilisé les émissions de gaz à effet de serre sur toute la chaîne de valeur de ces projets, en prenant en compte les fuites de méthane, ou encore l'efficacité partielle des unités de captage. Cela résulterait dans l'émission d'une trentaine de millions de tonnes de carbone par an, l'équivalent d'un pays comme le Danemark.
Des aides publiques assez importantes ont été annoncées pour décarboner les installations sidérurgiques d'ArcelorMittal à Dunkerque. Vont-ils utiliser de l'hydrogène vert ?
Quand je demande la convention qui lie l'Agence de la transition écologique (Ademe), au nom de l'État français, à ArcelorMittal, je me heurte à des fins de non-recevoir.
A. N. : On ne le sait toujours pas. On parle tout de même de 850 millions d'euros d'aides publiques, ce qui est énorme. Cet argent est censé aider à la décarbonation de la production d'acier d'ArcelorMittal en France en installant des fours de réduction directe des minerais de fer, qui peuvent être alimentés aussi bien par du gaz fossile que par de l'hydrogène, en lieu et place des hauts-fourneaux. Il y a une double incertitude. Si c'est du gaz fossile qui est utilisé, le bénéfice climatique sera négligeable, et les centaines de millions de subventions posent question. S'ils utilisent de l'hydrogène, est-ce que ce sera de l'hydrogène fossile ou de l'hydrogène bas carbone ? J'ai essayé de vérifier auprès du gouvernement si les aides publiques étaient conditionnées à l'utilisation d'hydrogène bas carbone ou non. Je n'ai toujours pas eu de réponse. Quand je demande la convention qui lie l'Agence de la transition écologique (Ademe), au nom de l'État français, à ArcelorMittal, je me heurte à des fins de non-recevoir. La question n'est plus totalement d'actualité, ArcelorMittal ayant de toute façon annoncé le mois dernier mettre en pause les projets de décarbonation sur son site de Dunkerque.
Donc on ne peut pas s'attendre à utiliser de sitôt de l'hydrogène vert dans notre vie quotidienne ?
A. N. : La priorité aujourd'hui dans la plupart des stratégies européennes, et en France en particulier, est de flécher l'hydrogène bas carbone, qui est donc une ressource rare, vers les utilisateurs qui consomment déjà de l'hydrogène, autrement dit le marché qui existe déjà. Cela peut paraître logique. Mais en regardant d'un peu plus près, les consommateurs actuels sont les raffineries, pour désulfurer le pétrole, et les usines d'ammoniac, molécule utilisée ensuite pour produire des engrais azotés pour l'agriculture industrielle et intensive. On a donc pour priorité la décarbonation de produits – le pétrole et les engrais azotés – qui sont climaticides par nature. C'est la meilleure illustration de la fuite en avant technologique dans laquelle nous sommes engagés au nom de la transition.
Malgré ces incertitudes et ces doutes, il y a une véritable fascination pour l'hydrogène. Comment l'expliquez-vous ?
La typologie arc-en-ciel s'inscrit également dans cette « jolie histoire » de la transition énergétique qui se déploierait sans aucun dommage collatéral et à la limite sans même qu'on s'en rende compte.
A. N. : C'est pour cette raison que j'ai sous-titré mon livre « Enquête sur le totem de la croissance verte ». L'hydrogène a une symbolique très forte : une molécule dont la combustion ne générerait que de l'eau. Il y a un roman de Jules Verne, très souvent cité par les industriels, dont le personnage principal, un ingénieur, dit que l'eau est l'avenir du charbon. C'est un peu vu comme une prophétie. La typologie arc-en-ciel s'inscrit également dans cette « jolie histoire » de la transition énergétique qui se déploierait sans aucun dommage collatéral et à la limite sans même qu'on s'en rende compte.
Un des enjeux de mon livre c'était d'essayer de rendre visible tout ce qu'il y a derrière, de donner la technologie à voir dans toute sa matérialité. Quand on ne travaille pas dans le secteur de l'énergie, c'est extrêmement abstrait. C'est compliqué de se rendre compte de tout ce qu'il a fallu pour produire les électrons qui nous permettent d'allumer la lumière. C'est pour cette raison aussi que j'ai eu à cœur de faire du terrain, de me rendre dans des usines de production d'hydrogène pour pouvoir montrer et raconter les choses physiquement.
Dans votre livre, vous examinez en détail plusieurs technologies et vous montrez souvent leurs limites ou les nuisances directes ou indirectes qu'elles génèrent. Est-ce qu'il y en a qui vous paraissent tout de même utiles ou prometteuses ?
A. N. : De manière marginale, il pourrait y avoir des développements intéressants basés sur l'hydrogène. Mais certainement pas à l'échelle qui est envisagée aujourd'hui. Pour le secteur de l'acier, il y a peu d'alternatives réelles au charbon. L'hydrogène est l'une des rares options. Si c'était vraiment de l'hydrogène bas carbone qui était utilisé, pour une certaine quantité d'acier réservée à des projets jugés collectivement utiles et nécessaires, pourquoi pas ? Mais on serait sur des volumes relativement minimes. On ne peut pas, même d'un point de vue purement physique, remplacer l'ensemble des hauts fourneaux en opération aujourd'hui par des fours de réduction alimentés par de l'hydrogène renouvelable. Cela demanderait des quantités d'électricité renouvelable beaucoup trop importantes.
Une des spécificités de votre enquête est que vous avez échangé avec beaucoup d'industriels et visité leurs sites. Quand vous leur parlez, vous donnent-ils l'impression de croire vraiment à toutes leurs promesses sur le potentiel de l'hydrogène ?
Remettre en question le projet politique qu'est la croissance verte, c'est remettre en question les fondements de toutes les stratégies de décarbonation à l'oeuvre aujourd'hui, et c'est vrai que c'est un peu vertigineux.
A. N. : C'est difficile de répondre à cette question, mais je pense que beaucoup y croient vraiment. C'est aussi pour cela que ma démarche de décloisonner les savoirs a un intérêt. Beaucoup ont une perspective très technico-économique : il y a un problème, qui est de réduire les émissions de CO2, il faut une solution. Réintroduire une perspective politique permet de voir le déploiement de la filière hydrogène, au fond, comme une brique d'un projet plus vaste qui est celui de la croissance verte, projet qui nous mène dans une impasse d'un point de vue climatique.
Mais les grilles de lecture du monde sont tellement différentes que c'est difficile de parler la même langue. C'est pour ça que j'ai fait ce travail là, en essayant d'être irréprochable sur le plan technique, pour ensuite injecter du politique et des travaux en sciences humaines et sociales dans le débat. Remettre en question le projet politique qu'est la croissance verte, c'est remettre en question les fondements de toutes les stratégies de décarbonation à l'oeuvre aujourd'hui, et c'est vrai que c'est un peu vertigineux.
Propos recueillis par Olivier Petitjean
16.12.2024 à 10:46
Présenté comme un « minerai stratégique » pour la transition, le niobium est surtout utilisé dans des secteurs comme la sidérurgie, les énergies fossiles, l'armement et l'aéronautique.
- Chiffres / Brésil, extractivisme, Climat et greenwashing, chaîne d'approvisionnementCliquez ici pour voir l'infographie en grand
Réputé pour sa résistance et son point de fusion élevé, le niobium est l'exemple même de ces « minerais critiques » réputés nécessaires pour la transition énergétique. Ce métal figure dans la liste des minerais critiques et stratégiques élaborée par l'Union européenne, de même que dans celle des États-Unis.
S'il trouve effectivement des utilisations dans l'électrification, le niobium sert aussi et surtout à fabriquer de l'acier, en particulier pour des usages en conditions de forte pression comme l'aérospatiale, les moteurs d'avions à réaction, les pipelines ou les turbines. Il est aussi utilisé pour fabriquer des drones ou des missiles hypersoniques.
85% des réserves mondiales de niobium sont situées au Brésil. Et la grande majorité d'entre elles, soit 75% des réserves mondiales, sont exploitées par une seule entreprise, Companhia Brasileira de Metalurgia e Mineração ou CBMM.
Le groupe Mapping (De)Globalization de l'université du Sussex et de King's College London, en partenariat avec le Transnational Institute et Greenpeace, s'est penché sur la chaîne d'approvisionnement du niobium en utilisant des bases de données commerciales. (Leur note détaillée est à lire ici en anglais.)
Le résultat de cette enquête confirme que la majeure partie du niobium est utilisé dans la sidérurgie (acteurs marqués en gris), l'automobile (jaune), les énergies fossiles (noir) et l'armement et l'aéronautique (rouge). Les utilisations pour l'électricité – d'origine renouvelable ou non – sont marquées en vert.
Dans beaucoup de cas, les clients sont des conglomérats (marqués en bleu), de sorte qu'il est encore plus difficile de distinguer entre des usages qui seraient « bons » pour le climat et d'autres qui bénéficieraient à des secteurs très polluants.
Dans une enquête publiée l'année dernière alors que l'Union européenne mettait la dernière main à son Règlement sur les minerais critiques, nous alertions sur le risque que, derrière les beaux discours verts, cette législation serve surtout les intérêts d'industries problématiques pour le climat ou plus généralement les droits et la paix, comme l'industrie de l'armement et de l'aéronautique (lire Du sang sur le Pacte vert ?).
Cette analyse sur la chaîne d'approvisionnement du niobium confirment que la ruée actuelle sur les « minerais critiques » pourrait se révéler contre-productive du point de vue climatique.