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07.05.2024 à 00:00

Bilan du plan de relance : 100 milliards d'euros pour quoi faire ?

Pauline Gensel

Le plan de relance à 100 milliards d'euros lancé en 2020 était censé tirer les leçons de la pandémie de Covid-19 et bâtir le « monde d'après ». Quatre ans plus tard, le bilan est accablant.

- Plan de relance : 100 milliards d'euros et une opportunité gâchée / , , , ,
Texte intégral (4605 mots)

Comment les 100 milliards d'euros du plan de relance ont-ils - ou non - été dépensés ? Qui en en a profité ? Ses promesses écologiques ont-elles été tenues ? Quel est le lien avec le retour actuel de l'austérité budgétaire ? Tout ce que vous devez savoir sur le plan de relance et son bilan.

Il y a presque quatre ans, en pleine épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron annonçait en fanfare un grand « plan de relance » à 100 milliards d'euros, abondé par des fonds européens.

À l'époque, l'Observatoire des multinationales alertait sur le risque que ces sommes apparemment conséquentes ne changent pas grand chose à nos enjeux sociaux, écologiques ou industriels, et finissent surtout dans les coffres des grandes entreprises - qui bénéficiaient déjà d'aides publiques massives encore augmentées sous prétexte de crise sanitaire (voir notre initiative Allô Bercy).

Alors que le président de la République vient, sur fond de campagne pour les élections européennes, d'en appeler à un nouveau « choc d'investissement public » pour restaurer la compétitivité européenne, c'est le moment de faire le bilan.

Les 100 milliards annoncés en 2020 ont-ils effectivement été dépensés ?

Fin novembre 2023, 72,8 milliards d'euros ont été décaissés par l'État, d'après les données de la direction du Budget transmises au comité d'évaluation du plan de relance. Ce montant correspond aux crédits de paiement effectivement versés à différents acteurs (agences de l'État, organismes de sécurité sociale, collectivités, entreprises, etc.). Il est possible que certaines entités n'aient pas encore reversé tout ou partie de ces fonds.

Les crédits de paiement sont à distinguer des autorisations d'engagement, l'enveloppe que l'État s'est juridiquement engagé à débourser sur plusieurs années. Fin 2022, 89 milliards étaient ainsi engagés, contre les 100 initialement prévus. En novembre 2023, 7 des 100 milliards du plan de relance n'avaient toujours pas fait l'objet d'engagements.

La distribution des fonds a-t-elle été transparente ? En connaît-on les bénéficiaires finaux ?

Transparency International France s'est penchée sur la transparence du plan de relance et a pu constater, tout comme nous l'avons fait (lire France relance : un plan opaque, un bilan impossible), qu'elle était lacunaire. L'ONG a obtenu un rendez-vous en juin 2022 avec le Secrétaire général au plan de relance de l'époque, Vincent Menuet – aujourd'hui lobbyiste pour Suez. « Il nous a fait comprendre que son objectif, c'était que les entreprises qui aient droit à de l'argent public le touchent et qu'elles évitent la faillite, raconte Kevin Gernier, chargé de plaidoyer pour Transparency International sur les questions de lobbying et de transparence de l'action publique. Mais il ne savait pas quelles entreprises avaient touché quoi. En 2021-2022, il y avait urgence et Bercy cherchait à tout prix à écouler ces énormes enveloppes. Forcément, quand on va aussi vite, cela se fait au détriment de la transparence. »

En 2021-2022, il y avait urgence et Bercy cherchait à tout prix à écouler ces énormes enveloppes.

Le 27 février 2023, le Parlement européen a voté un amendement censé apporter plus de transparence aux différents plans de relance nationaux. Les États membres doivent désormais publier la liste des « cent bénéficiaires finaux qui reçoivent le montant de financement le plus élevé » dans le cadre de crédits européens. Cette liste doit être facilement accessible, en open data, et actualisée deux fois par an. La France s'est en partie conformée à cette obligation en décembre 2023. En partie, parce qu'elle ne donne pas les bénéficiaires finaux de son plan de relance, mais liste essentiellement des opérateurs de l'État, soit différentes instances intermédiaires qui redistribuent les financements par la suite. On trouve ainsi, comme premiers bénéficiaires dans la liste française, l'Agence de services et de paiement, organisme qui centralise des versements pour la mise en place de politiques publiques, suivie de Bpifrance et de l'Agence nationale de l'habitat. Impossible pour l'heure d'obtenir des données sur les bénéficiaires finaux du plan, qui restent entre les mains de Bercy.

Lire aussi France relance : un plan opaque, un bilan impossible

Quelles sont les plus grosses lignes de dépense incluses dans le plan ?

Les dépenses dans le cadre du Ségur de la santé et celles dédiées à la rénovation énergétique sont bien en deçà de ce qui avait été annoncé.

À son lancement, ce sont les 20 milliards d'euros de baisse d'impôts de production qui devaient constituer la ligne de dépense la plus importante du plan de relance – et la promesse a été tenue. Ils étaient suivi des mesures en faveur de la sauvegarde de l'emploi (7,6 milliards d'euros), des investissements en santé dans le cadre du Ségur de la santé (6 milliards), des crédits versés en soutien aux collectivités territoriales (5,2 milliards) et au secteur ferroviaire (4,7 milliards), et des dépenses pour la rénovation énergétique des bâtiments publics (4 milliards). Fin novembre 2023, les dépenses dans le cadre du Ségur de la santé et celles dédiées à la rénovation énergétique sont bien en deçà de ce qui avait été annoncé.

Y a-t-il des programmes où les dépenses ont été supérieures à ce qui était prévu ?

Au fur et à mesure du temps, le plan a été recalibré, certaines mesures n'obtenant pas le succès escompté et d'autres nécessitant au contraire des investissements supplémentaires. L'augmentation la plus spectaculaire est celle du fonds dédié à l'aide à l'apprentissage et aux contrats de professionnalisation pour les jeunes, qui a nécessité 5,54 milliards d'euros en plus des 2,7 milliards initialement prévus - principalement parce que le dispositif, qui devait être financé en partie par le budget général, a été basculé entièrement sur le plan de relance.

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Quelles sont, à l'inverse, les programmes où les dépenses annoncées ne se sont pas matérialisées ?

Plusieurs dispositifs présentent des niveaux de sous-dépense très importants. Le 4e Programme d'investissement d'avenir (PIA4), doté de 11 milliards d'euros dans le cadre du plan de relance, n'a donné lieu qu'à 2,8 milliards de dépenses.

Pour le volet relance du Ségur de la santé, qui prévoyait 6 milliards d'euros d'investissements, les données ne sont aujourd'hui pas accessibles et le comité d'évaluation n'y a d'ailleurs pas eu accès. On sait seulement que 1,9 milliards d'euros sont venus abonder le budget des organismes de sécurité sociale, sans précision sur la nature des dépenses. Mais d'après une source au sein du comité d'évaluation, le ministère de l'Economie et des Finances n'aurait dépensé qu'une infime partie des financements.

D'après une source au sein du comité d'évaluation, le ministère de l'Economie et des Finances n'aurait dépensé qu'une infime partie des financements dédiés au Ségur de la Santé.

La rénovation énergétique des bâtiments publics (administrations, collectivités locales, lycées, infrastructures sportives) a donné lieu à 1,7 milliard d'euros de dépenses entre 2021 et 2022, contre 4 milliards initialement prévus, du fait de difficultés dans l'approvisionnement et la livraison de matières premières, de l'inflation et d'« une tendance structurelle à la sous-consommation observée sur l'ensemble des dotations de soutien à l'investissement », d'après les rapports budgétaires « plan de relance » pour ces deux années. Le comité d'évaluation du plan note que la baisse moyenne de la consommation énergétique des bâtiments rénovés serait de 42 % pour les projets des collectivités locales, 37 % pour ceux de l'État. Mais étant donné que ces rénovations ne concernent qu'une part très faible de l'immobilier public, elles sont « insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés par la loi Elan de -40 % à l'horizon 2030 sur l'ensemble du parc tertiaire ». Le projet de loi de finances 2024 prévoit d'investir encore 374 millions d'euros dans la rénovation énergétique des bâtiments de l'État, 296 millions dans celle des collectivités territoriales.

D'autres dispositifs ont également été revus à la baisse. Celui dédié à l'activité partielle a par exemple été réduit de 2 milliards, la reprise de l'activité économique post-Covid rendant ce dispositif caduc.

Sait-on quelle proportion du plan de relance a bénéficié directement aux entreprises ?

Au moins 29,5 milliards d'euros ont bénéficié directement aux entreprises, soit un peu plus de 40 % des 72,8 milliards dépensés dans le plan de relance. Seuls 525,9 millions d'euros sont directement fléchés vers les TPE, PME et ETI, principalement pour leur rénovation énergétique et leur numérisation. Pour le reste, il n'est pas possible de déterminer si les financements ont bénéficié aux petites, moyennes ou grandes entreprises. Des données concernant la répartition du nombre de projets industriels et des aides de l'État pour chaque type d'entreprise devaient être disponibles via une plate-forme créée par la direction générale des entreprises. Ces données ne sont plus actualisées depuis avril 2022 et donnent uniquement une répartition en fonction du nombre de projets soutenus, et pas en fonction du montant des aides versées par l'État.

La proportion des dépenses de relance qui ont bénéficié exclusivement ou en grande partie aux entreprises dépasse les deux tiers des sommes décaissées.

À ces mesures de soutien direct au secteur privé, il faut ajouter 17,7 milliards d'aides à l'emploi, comme les subventions pour l'embauche de jeunes et d'apprentis, largement critiquées pour avoir créé un effet d'aubaine pour les entreprises. Et sans doute aussi les aides à l'achat (voitures électriques, rénovations), qui ont profité à la fois aux fournisseurs des produits et services concernés et aux ménages les plus aisés. À ce compte, la proportion des dépenses de relance qui ont bénéficié exclusivement ou en grande partie aux entreprises dépasse dès lors les deux tiers des sommes décaissées.

Le plan de relance a-t-il permis de renforcer les services publics ?

Ce plan de relance s'inscrit dans le schéma classique de transformation de la société via le tissu productif et les aides individuelles aux entreprises. Il n'y a rien sur les services publics en général.

Un peu plus de 5 milliards d'euros ont été dépensés dans le cadre du plan de relance en faveur des services publics, soit environ 7 % du total décaissé fin novembre 2023. Les 4,1 milliards versés pour la recapitalisation de la SNCF forment la plus grosse partie de cette enveloppe, qui inclut aussi des mesures en faveur de la formation des jeunes, de la mise à niveau numérique de l'État, du développement de « mobilités douces » ou encore de la rénovation de réseaux d'eau et de stations d'assainissement. « C'est là que le bât blesse dans ce plan de relance, regrette Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS à l'unité de sciences économiques « EconomiX ». Il s'inscrit dans le schéma classique de transformation de la société via le tissu productif et les aides individuelles aux entreprises. Il n'y a rien sur les services publics en général, hormis les mesures en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui sont appréhendées à travers les relations avec les entreprises. Or, quand on regarde les déterminants de la croissance et de la localisation des entreprises, la qualité des services publics joue beaucoup. »

A-t-il au moins permis de renforcer notre système de santé ?

Avec un peu plus de 6 milliards d'euros prévus pour la santé, le plan de relance est sous-calibré pour répondre à la crise structurelle de notre système de santé. Alors que les dépenses d'investissement des hôpitaux ont été réduites de 20 milliards d'euros entre 2009 et 2019, le plan de relance prévoyait une enveloppe de 2,5 milliards d'euros pour investir dans ces établissements. Pour les Ehpad, qui nécessitent 15 milliards d'euros d'investissement sur dix ans, le plan de relance devait mettre 1,5 milliard d'euros sur la table. Trois ans plus tard, seuls 395 millions d'euros ont été investis pour les « investissements du quotidien ». Pour le reste, les données ne sont toujours pas communiquées. Aucune réponse n'est apportée au manque d'attractivité des professions sanitaires et sociales, ni à la dégradation des conditions de travail dans ces secteurs.

Lire aussi La santé, grande oubliée du plan de relance

Le plan de relance a-t-il bénéficié aux travailleurs et aux populations les plus vulnérables, notamment les « premières lignes » dont on a tant parlé durant la pandémie ?

Alors que la crise sanitaire a mis en lumière la dureté des conditions de travail des « premières lignes », le plan de relance ne contient aucune mesure spécifique sur ce sujet. Globalement, les aides aux ménages ne représentent qu'une portion marginale des dépenses. Tout juste peut-on espérer que certaines parties des sommes dédiées au secteur agricole ou à celui des transports, en plus des fonds pour la santé, bénéficieront aux travailleurs et travailleuses de ces secteurs.

Le plan de relance a-t-il été aussi vert que promis ? A-t-il contribué à une transformation écologique de l'économie française ?

D'après les données du comité d'évaluation, 21 milliards d'euros auraient été utilisés pour le volet Écologie à fin novembre 2023, soit 71 % de l'objectif annoncé (30 milliards). Mais en examinant les dépenses de chacune des mesures pour ce programme, listées dans le dossier de presse de septembre 2020, nous parvenons à un calcul différent : nous n'avons pu flécher [1] que 15,24 milliards d'euros dépensés dans le volet Écologie. Plus de 8,8 milliards ont été payés dans la mission budgétaire « plan de relance », auxquels on peut ajouter les 2,3 milliards de Bpifrance pour ses prêts garantis « verts » et 4,1 milliards pour la recapitalisation de la SNCF.

Le plan de relance a été conçu dans l'urgence, pour des entreprises qui avaient des projets à court terme de croissance ou de maintien d'activité, alors que les questions de transition écologique demandent des stratégies à moyen terme, des réflexions complexes et une étroite interconnexion entre de multiples secteurs économiques.

Il convient de noter que le volet Écologie tel que défini lors du lancement du plan comporte des investissements pour développer l'hydrogène vert (2 milliards prévus, 284 millions dépensés hors PIA4) et des mesures de soutien aux filières nucléaire, aéronautique et automobile (2,8 milliards prévus, 387 millions dépensés hors PIA4), dont la contribution effective à la transition écologique est sujette à caution.

Pour le député socialiste de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier, qui a notamment participé à la conférence « Climat : où en est le plan de relance ? » organisée en mai 2021 à l'Assemblée nationale, la sous-consommation du volet Écologie résulte de l'inadaptation du plan de relance aux enjeux environnementaux : « Il a été conçu dans l'urgence, pour des entreprises qui avaient des projets à court terme de croissance ou de maintien d'activité, alors que les questions de transition écologique demandent des stratégies à moyen terme, des réflexions complexes et une étroite interconnexion entre de multiples secteurs économiques. Bien sûr, il y a des mesures intéressantes dans le plan de relance. Il a été un booster, mais il n'est pas à la hauteur pour répondre aux attentes de la transition écologique. »

D'un point de vue strictement économique au moins, le plan de relance a-t-il été efficace ?

Le rebond était celui auquel on pouvait s'attendre, le plan de relance a pu y contribuer mais sans lui, cela n'aurait pas été radicalement différent en terme quantitatif.

Le plan de relance avait deux objectifs de court terme : retrouver avant l'été 2022 le niveau de PIB d'avant-crise et faire baisser le chômage dès 2021 par rapport à l'été 2020. Ces deux cibles ont été atteintes plus vite que prévu d'après l'Insee. À la fin du 3e trimestre 2021, la France avait déjà retrouvé son niveau d'activité d'avant-crise, avec une croissance de +0,2 % par rapport au 4e trimestre 2019. Fin 2021, le taux de chômage s'élevait à 7,4 % de la population active, soit 0,8 points de moins que deux ans plus tôt. Mais dans son rapport final, le comité d'évaluation précise que la contribution du plan de relance à la reprise de l'activité est « très minoritaire par rapport à l'effet rebond notamment généré par la levée des restrictions sanitaires ». Une analyse partagée par Nadine Levratto : « Le rebond était celui auquel on pouvait s'attendre, le plan de relance a pu y contribuer mais sans lui, cela n'aurait pas été radicalement différent en terme quantitatif. La différence peut se poser en terme qualitatif, par rapport à la nature et au contenu des projets portés. Mais évaluer ces effets-là prendra plus de temps. » Difficile aussi de retrancher d'éventuels effets d'aubaine, avec des dépenses qui auraient été effectuées dans tous les cas, avec ou sans plan de relance.

L'argent du plan de relance venait-il de l'Union européenne ? Y avait-il des conditions ?

Le plan de relance français présenté à la Commission européenne incluait, comme « jalon », la réforme de l'assurance-chômage de 2021.

Une partie du plan de relance français est financée sur fonds européens. Pour soutenir les États membres face à la crise sanitaire, l'Union européenne a en effet lancé en juillet 2020 un plan de relance européen nommé « Next Generation EU » (NGEU). Les 27 pays de l'UE ont ainsi pu bénéficier de subventions ou de prêts, après avoir présenté à la Commission européenne un plan national de relance et de résilience (PNRR) dans lequel ils détaillaient les mesures qu'ils souhaitaient voir financer et qu'ils s'engageaient à mettre en œuvre d'ici fin 2026. Les PNRR devaient inclure au moins 37 % d'investissements en faveur de la transition climatique et 20 % en faveur de la transition numérique. Ils contiennent des cibles - des objectifs quantitatifs, par exemple pour la France 700 000 dossiers Ma Prime Rénov qui devaient être validés d'ici 2022 - et des jalons – des objectifs qualitatifs tels que l'entrée en vigueur de différentes mesures de la réforme de l'assurance-chômage de 2021- à atteindre chaque année et qui conditionnent les versements des crédits européens. La réforme des retraites votée en début d'année est mentionnée dans le plan de relance français, mais n'était pas un jalon formel comme celle de l'assurance-chômage.

Au final, sur les 100 milliards du plan France Relance, 40,3 doivent être financés par des subventions européennes. À l'heure actuelle, la France a reçu deux paiements de l'UE, pour un total de 23,4 milliards d'euros. Elle a déposé sa troisième demande de versement le 16 janvier 2024, pour 7,5 milliards d'euros, mais la Commission européenne et les États membres ne l'ont pas encore évaluée.

Y a-t-il un lien entre le plan de relance et le retour actuel à l'austérité budgétaire ?

Entre 2021 et 2023, le déficit public est passé de 6,6 % à 5,5 % du PIB. La dette publique a quant à elle franchi le seuil des 3000 milliards d'euros en valeur absolue, soit 111,7 % du PIB. Elle était de 2671,6 milliards d'euros - 114,8 % du PIB - au 3e trimestre 2020, lors de la présentation de France relance. Les 73 milliards de dépenses dans le cadre de France Relance n'ont que très peu contribué à cette augmentation en valeur absolue.

Le 2 septembre 2020, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire déclarait que « le rétablissement des finances publiques passe après la relance économique ». Il fixait alors 2025 comme ligne de mire : « Je souhaite que la dette publique française baisse à partir de 2025, mais jusque-là, nous aurons 120 % de dette publique. » L'Union européenne s'était placée à peu près dans la même optique en suspendant le pacte de stabilité européen, qui contraint les États membres à adopter des restrictions budgétaires ou des réformes pour que leur déficit ne dépasse pas 3 % du PIB et que leur dette soit inférieure à 60 % du PIB. C'est surtout le rétablissement de ce pacte, le 20 décembre 2023, qui a signé la fin d'une parenthèse… et le début de l'austérité.

Le plan de relance illustre la pratique typique du néolibéralisme en crise, avec les finances publiques qui viennent à la rescousse des acteurs privés, sans aucune contrepartie. Mais derrière, il faut rembourser tout cet argent, donc on serre la vis.

Le 19 février dernier, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, ministre délégué aux Comptes publics, ont donc annoncé un plan d'austérité de 10 milliards d'euros. Secteur le plus touché : l'écologie, avec 2,13 milliards d'euros de crédits annulés, dont des financements pour MaPrimeRénov', pour le chèque énergie et pour les aides à l'achat de véhicules propres. Le budget de l'Éducation nationale perd 691 millions d'euros, celui de la recherche et de l'enseignement supérieur 904 millions. L'enveloppe de l'aide à l'accès au logement se voit amputée de de 300 millions d'euros, celle pour des mesures en faveur de l'urbanisme, des territoires et de l'amélioration de l'habitat de 358 millions d'euros. Pour la santé, c'est 70 millions en moins.

Difficile de ne pas mettre en parallèle les milliards d'euros versés pour la relance et l'austérité budgétaire qui s'annonce. Pour le député (LFI) du Val-d'Oise Arnaud Le Gall, qui faisait partie du comité d'évaluation mais qui s'est désolidarisé des conclusions apportées dans le rapport final de janvier 2024, le lien entre les deux ne fait aucun doute : « Le plan de relance illustre la pratique typique du néolibéralisme en crise, avec les finances publiques qui viennent à la rescousse des acteurs privés, sans aucune contrepartie. Mais derrière, il faut rembourser tout cet argent, donc on resserre la vis au moment où au contraire il faudrait continuer à soutenir, ce qui risque d'annuler les quelques effets bénéfiques de France Relance. »

Les grands perdants de l'austérité risquent bien d'être les services publics et l'écologie : ce sont les domaines qui ont le moins bénéficié du plan de relance dont les budgets sont les plus diminués dans le plan d'austérité.

Pauline Gensel


[1] Nous avons écarté les 2,8 milliards du PIA, qui contient à la fois des dépenses pour le volet « Cohésion » et pour le volet « Ecologie », sans que l'on sache dans quelle proportion. Nous avons également mis de côté une partie de l'axe « Autres vecteurs budgétaires » du plan de relance, pour laquelle le détail n'est là encore pas disponible. En tout, ce sont donc 12,1 milliards d'euros de dépenses que nous ne pouvons pas flécher vers l'un des trois volets du plan. Et même si l'ensemble de ces 12,1 milliards d'euros correspondaient en réalité au volet Écologie – ce qui est peu probable – nous obtiendrions 27,34 milliards d'euros pour cet axe, et non les 30 donnés par la direction du budget au comité d'évaluation. Les services de Bercy n'ont pas répondu à nos demandes d'éclaircissements sur ce point.

27.03.2024 à 12:21

Liaisons dangereuses - La lettre du 27 mars 2024

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La France et la machine de guerre israélienne
Depuis le début de l'offensive à Gaza, les livraisons d'armes occidentales à Israël sont dans le viseur du mouvement de soutien à la Palestine. Dans plusieurs pays, des dockers, des syndicalistes et des militants de la société civile ont bloqué ou (…)

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La France et la machine de guerre israélienne

Depuis le début de l'offensive à Gaza, les livraisons d'armes occidentales à Israël sont dans le viseur du mouvement de soutien à la Palestine. Dans plusieurs pays, des dockers, des syndicalistes et des militants de la société civile ont bloqué ou dénoncé les livraisons d'armes à destination de l'État hébreu.

Et en France ? Certaines fédérations et sections syndicales, notamment de la CGT, sont montées au créneau, et des actions ont été menées devant plusieurs sites des groupes français d'armement ayant des liens avec Israël. Les militants de Stop Arming Israel ont cartographié les usines de ces entreprises. Parmi les noms cités, on trouve Thales, Safran et Airbus, et d'autres firmes moins connues du grand public.

D'après les chiffres officiels, les livraisons d'armes françaises à Israêl (25,6 millions d'euros en 2022) restent modestes en comparaison à la totalité des ventes d'armes françaises sur cette même année (27 milliards) et aux dépenses militaires de Tsahal (25 milliards). Les autorités françaises prétendent en outre que ces exportations concernent seulement des armes défensives, qui ne sont pas utilisées dans l'offensive en cours à Gaza. C'est faux. Certaines armes et équipements français sont bien utilisés sur le terrain dans ce qui est de plus en plus largement reconnu comme une guerre à objectif génocidaire.

En outre, ces chiffres n'incluent pas les pièces et composants que l'on peut retrouver dans des drones et d'autres armes. Les médias Disclose et (MarsActu ont ainsi révélé qu'ont été exportées en octobre 2023 des équipements made in France destinés à équiper les fusils mitrailleurs de Tsahal.

Au-delà des exportations d'armes et d'équipements, les champions français du secteur de la défense ont également multiplié ces dernières années les partenariats avec le complexe militaro-industriel israélien.

Lire notre article : Les liaisons dangereuses de l'industrie française de l'armement avec Israël.

Plutôt que de se ruer sur les « métaux critiques », changer notre conception de la « transition »

Depuis quelque temps, nos dirigeants et nos industriels nous rabattent les oreilles de la nécessité impérieuse de sécuriser notre approvisionnement en « métaux critiques », voire de relancer l'exploitation minière en Europe et même en France au nom des exigences du climat et de la transition énergétique.
Mais de quelle « transition » parle-t-on ? Et cette relégitimation de l'industrie minière – aujourd'hui objet d'un vaste consensus – est-elle vraiment crédible ?

Dans son livre La Ruée minière au XXIe siècle paru en janvier dernier aux éditions du Seuil, la journaliste Celia Izoard nous rappelle que « la mine n'a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses effets sur le vivant ». De sorte que vouloir accroître la production minière ne peut qu'augmenter encore les émissions de gaz à effet de serre, en plus de continuer à détruire des territoires entiers. C'est notre conception de la transition qu'il faudrait changer.

En réalité, l'engouement actuel pour les « métaux critiques » répond avant tout à la demande des industriels européens dans des secteurs comme l'aviation et l'armement (comme nous l'avons montré dans notre rapport Du sang sur le Pacte vert ?, ainsi qu'à la perte d'influence relative de l'occident dans le monde.

Lire notre entretien avec Celia Izoard.

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En bref

Formations à l'horizon. Comment enquêter sur les multinationales ? Sur leur lobbying ? Comment décrypter et exploiter les rapports annuels du CAC40 ? Tel est le programme de la nouvelle série de formations que propose l'Observatoire des multinationales en avril-mai à Paris. Ces formations sont conçues pour un public de journalistes et de salariés et militants de la société civile. Toutes les dates et informations sont disponibles ici.

Bon anniversaire TotalEnergies. C'est le 28 mars 1924 qu'a été fondée la Compagnie française des pétroles, ancêtre de TotalEnergies, à l'initiative du gouvernement de Raymond Poincaré. L'entreprise a été créée pour gérer les parts échues à la France dans le consortium pétrolier irakien, dans le cadre du partage de l'ex empire ottoman et des intérêts économiques allemands suite à la Première Guerre mondiale. Comme quoi, quoi qu'en prétendent encore aujourd'hui ses dirigeants, le groupe pétrolier a depuis sa naissance son destin et sa prospérité étroitement liés à la complaisance de l'État français. Nous avons eu l'occasion de le montrer à plusieurs reprises (voir par exemple Comment l'État français fait le jeu de Total en Ouganda et nous avons eu l'occasion d'y revenir lors de notre récente audition au Sénat. ONG et collectifs militants ont mené de nombreuses actions ces derniers jours pour célébrer à leur manière cet anniversaire, allant jusqu'à perturber la grand fête organisée par l'entreprise au château de Versailles.

Portes tournantes. Un ex membre d'un gouvernement d'Emmanuel Macron vient une nouvelle fois de rejoindre le secteur privé, en la personne de Laurent Pietraszewski. L'ancien secrétaire d'État aux retraites devient président du conseil d'administration du groupe Casino, désormais propriété du milliardaire tchèque Daniel Křetínský. On pourrait y voir un retour à la source pour celui qui était, avant de se lancer en politique, cadre RH au sein d'un autre groupe de grande distribution, Auchan. En réalité, s'il a été recruté, c'est pour mieux faire passer la pilule auprès du gouvernement du méga-plan social qui se prépare au sein de Casino. Des rendez-vous auraient même déjà été pris, selon La Lettre, avec les ministères concernés. Une nouvelle illustration des constats que nous faisons dans notre page spéciale Les portes tournantes : la plupart des responsables publics qui vont pantoufler dans le privé n'y vont pas par « esprit d'entreprise », mais pour faire du lobbying.

Un déficit très prévisible. Le déficit public de la France pour 2023 s'établit à 5,5%, bien au-delà des prévisions du gouvernement. Celui-ci s'en sert pour justifier une nouvelle cure d'austérité dont les 10 milliards d'économies annoncés récemment ne sont que la première étape. Comment expliquer que Bercy n'ait pas su (ou pas voulu) voir venir le dérapage des finances publiques ? Selon les premiers éléments disponibles, le trou constaté s'explique par une large part par des recettes fiscales moindres qu'attendues, notamment en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés (à cause des « sociétés financières », a suggéré Bruno Le Maire). On nous avait pourtant promis que les « superprofits » étaient une bonne nouvelle pour la France, car ils permettraient d'augmenter les rentrées fiscales. Autre échec patent : la taxe exceptionnelle sur les profits des énergéticiens, qui n'a rapporté que 300 millions d'euros contre 12 milliards escomptés initialement – probablement parce que les dits énergéticiens ont pu s'arranger pour passer entre les mailles du filet. Après les multiples baisses d'impôts sur les entreprises et le capital et l'augmentation en flèche des aides publiques à ces mêmes entreprises (cf. notre initiative Allô Bercy), le déficit constaté aujourd'hui était plus que prévisible, tout comme il était plus que prévisible qu'il servirait à justifier de nouvelles régressions sociales.

Devoir de vigilance. À signaler si vous avez lu nos dernières lettres : la directive européenne sur le devoir de vigilance a finalement été adoptée le 15 mars dernier – dans une version amoindrie par rapport au projet approuvé initialement par le Conseil sous la pression de l'Allemagne, de l'Italie et de la France.

22.03.2024 à 09:33

« Invoquer la nécessité de créer des mines “pour la transition” est très hypocrite »

« La mine n'a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses effets sur le vivant », nous rappelle Celia Izoard dans son livre La Ruée minière au XXIe siècle. Et pourtant, nos gouvernements et nos industriels cherchent aujourd'hui à lui redonner une légitimité au nom de la nécessaire action climatique. Que cachent les discours actuels sur les « métaux critiques » et la « mine responsable » ? Entretien.
Comment en êtes-vous venue à travailler sur la question des (…)

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Texte intégral (4457 mots)

« La mine n'a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses effets sur le vivant », nous rappelle Celia Izoard dans son livre La Ruée minière au XXIe siècle. Et pourtant, nos gouvernements et nos industriels cherchent aujourd'hui à lui redonner une légitimité au nom de la nécessaire action climatique. Que cachent les discours actuels sur les « métaux critiques » et la « mine responsable » ? Entretien.

Comment en êtes-vous venue à travailler sur la question des mines ?

Celia Izoard : Cela fait quinze ans que je travaille sur la mystique de la technologie, et en particulier sur les concepts de société et d'économie « immatérielles ». Ce qui m'intéresse, c'est de rematérialiser notre monde, en remontant les chaînes de production. D'où mon intérêt pour les mines et les métaux. Par ailleurs, plus concrètement, je me suis rendue en Guyane pour une enquête pour la Revue Z, parue en 2018, sur le projet minier Montagne d'Or et sur l'orpaillage en Amazonie, avec en arrière-plan la base spatiale de Kourou. C'est de là qu'est partie ma réflexion sur ce que j'ai appelé dans mon livre la cosmologie extractiviste, qui puise dans le sous-sol pour se projeter dans le ciel au moyen de la technique. La Guyane d'aujourd'hui est une illustration parfaite de cette cosmologie, qui donne également à voir le lien indissoluble entre la mine et la conquête, et nous oblige à aborder ces questions avec un angle décolonial.

Il est beaucoup question aujourd'hui de renouveau minier, de retour de la question des métaux en raison notamment des besoins de la transition énergétique, avec la perpective d'ouvrir de nouvelles mines en Europe et même en France. Ce que vous montrez dans ce livre, c'est qu'il ne s'agit pas du tout d'un renouveau, mais d'une trajectoire de continuité : on n'a jamais cessé d'extraire toujours plus de métaux, avec toujours plus d'impacts. Mais on a réussi à nous le faire oublier.

Les volumes de métaux extraits dans le monde aujourd'hui augmentent massivement, et n'ont jamais cessé d'augmenter. On parle de renouveau minier, mais au cours des vingt dernières années, l'extraction de matières minérales a doublé en volume. Ce qui est parfaitement logique puisqu'on ne cesse de produire de nouveaux objets et de nouveaux équipements dans nos pays riches, notamment avec la numérisation et aujourd'hui l'intelligence artificielle, et qu'en plus de cela le reste du monde s'industrialise. En conséquence, on consomme de plus en plus de métaux, et des métaux de plus en plus variés – aussi bien des métaux de base comme le cuivre et l'aluminium que des métaux de spécialité comme les terres rares. Ces derniers sont utilisés en très petite quantité mais dans des objets qui sont partout, comme les smartphones. Le cuivre est un des métaux les plus anciens qu'on connaisse mais, indispensable à l'électrification, il est de plus en plus exploité.

Et la production de tous ces métaux, qu'ils soient d'usage ancien comme le cuivre ou plus récent comme les terres rares, devrait continuer à augmenter ?

Celia Izoard, La Ruée minière au XXIe siècle Enquête sur les métaux à l'ère de la transition, Seuil Essais Écocène, 2024, 302 pages, 23€

Effectivement, il n'y a rien qui freine cette production, d'autant plus qu'on y ajoute aujourd'hui une nouvelle demande qui est un véritable gouffre : celle de métaux pour le projet très technocratique de la transition. « Transition », dans l'esprit de nos élites, cela signifie dans le meilleur des cas le remplacement d'une partie du système énergétique au moyen de l'électrification – donc avec des énergies renouvelables et des batteries – avec un modèle de société inchangé. Mais, par exemple, la batterie d'une voiture électrique représente souvent à elle seule 500 kg de métaux (contre moins de 3 kg pour un vélo électrique). Dans mon livre, je cite les estimations de Simon Michaux, un professeur de métallurgie qui a essayé d'évaluer le volume total de métaux à extraire si on voulait vraiment électrifier ne serait-ce que la mobilité. Pour le lithium ou le cobalt, cela représenterait plusieurs décennies de la production métallique actuelle. On est dans un scénario complètement absurde où même pour électrifier la flotte automobile d'un seul pays, par exemple l'Angleterre ou la France, il faut déjà plus que la totalité de la production mondiale. Ce projet n'a aucun sens, même pour lutter contre le réchauffement climatique.

Vous soulignez dans votre livre que l'industrie minière devient de plus en plus extrême à la fois dans ses techniques de plus en plus destructrices, et dans les nouvelles frontières qu'elle cherche à ouvrir, jusqu'au fond des océans et dans l'espace. De sorte que ses impacts deviennent de plus en plus ravageurs.

Oui, c'est le grand paradoxe. Les élites politiques et industrielles répètent que la mine n'a jamais été aussi propre, qu'elle a surmonté les problèmes qu'elle créait auparavant. Mais si l'on regarde comment fonctionne réellement le secteur minier, c'est exactement l'inverse que l'on constate. La mine n'a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses effets sur le vivant et sur les territoires. J'en donne plusieurs exemples dans le livre. C'est lié au fait que les teneurs auxquelles on va chercher les métaux sont de plus en plus basses. Si on doit exploiter du cuivre avec un filon à 0,4%, cela signifie que 99,6% de la matière extraite est du déchet. Qui plus est, ce sont des déchets dangereux, qui vont le rester pour des siècles : des déchets qui peuvent acidifier les eaux, charrier des métaux toxiques un peu partout. Les résidus miniers vont s'entasser, dans le meilleur des cas, derrière des barrages qui peuvent provoquer de très graves accidents, qui sont sources de pollution, et qui sont difficilement contrôlables sur le long terme. Et ceci, c'est la norme. C'est l'ordinaire de l'industrie minière aujourd'hui. Il y a en outre des techniques nouvelles qui ont vu le jour ces dernières décennies, toujours plus destructrices comme le « mountaintop removal », la décapitation de montagne, pour les mines de charbon. Ces techniques sont très bien décrites dans le rapport de Syst-Ext « Controverses minières » [1], qui montre que nous assistons aujourd'hui à véritable escalade technologique qui est aussi une escalade de la prédation minière. La mine est aujourd'hui une des pointes avancées de ce qu'on a pu appeler le capitalisme par dépossession.

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Comment expliquer, au regard de cette puissance destructrice, que les populations occidentales aient presque totalement oublié ce qu'est la mine, jusqu'à ce que nous parle aujourd'hui de renouveau minier ?

Il y a un déni spectaculaire, qui repose sur deux facteurs. Le premier est la religion de la technologie, l'une des idéologies dominantes du monde capitaliste. Nos dirigeants et certains intellectuels ont entretenu l'idée qu'on avait, à partir des années 1970, dépassé le capitalisme industriel, qui avait été tellement contesté pendant la décennie précédente, et qu'on était entré dans une nouvelle ère. Le capitalisme post-industriel était désormais avant tout une affaire de brevets, d'idées, d'innovations et de services. Les mines, comme le reste de la production d'ailleurs, ont disparu. C'est une idéologie très puissante qui permet de réenchanter le capitalisme en permanence. Le second facteur est géopolitique. Aux grandes heures du néo-libéralisme, notre déni de la mine était un pur produit de notre mode de vie impérial. Les puissances occidentales avaient la possibilité de s'approvisionner à bas coût, que ce soit par l'ingérence politique, en soutenant des dictatures, ou par le chantage à la dette et les politiques d'ajustement structurel. Ce sont ces politiques qui ont permis d'avoir du cuivre du Chili ou d'Indonésie si bon marché, ou tous ces métaux extraits en Afrique.

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Si l'on s'est mis à parler de renouveau minier en Europe, c'est donc avant tout le reflet de changements géopolitiques.

Il me paraît évident que c'est lié à l'essor des BRICS. À partir du début des années 2000, les États-Unis, l'Europe et leurs alliés se sont aperçus que la Chine avait construit des monopoles sur certains métaux importants, et de même pour la Russie qui est également une grande puissance minière, notamment pour les platinoïdes. Or les technologies développées par les entreprises occidentales ne peuvent absolument pas se passer de ces métaux. On a donc vu arriver une avalanche de rapports et d'analyses géostratégiques concluant qu'il fallait relancer la mine, y compris sur le territoire des États-Unis et de l'Europe, et qu'il fallait faire pièce à la Chine et à la Russie parce que c'est un enjeu de souveraineté très fort.

Les besoins en métaux pour la transition climatique, si souvent invoqués aujourd'hui, ne sont-ils donc qu'une excuse commode ?

Invoquer la nécessité de créer des mines « pour la transition » est en effet hypocrite : c'est l'ensemble des industries européennes qui connaît un risque d'approvisionnement en métaux. En 2012 on a eu par exemple, en France, la relance minière lancée par Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Il disait déjà qu'il fallait ouvrir des mines en France, mais à cette époque, ce n'était pas du tout justifié par un quelconque impératif écologique, mais par l'emploi et la balance commerciale. La justification était purement économique, et cela s'est d'ailleurs soldé par un échec. Tous les projets de mines envisagés ont été contestés et aucun n'a vu le jour. C'est en 2017 que l'on a assisté à un changement de discours, avec un rapport de la Banque mondiale concluant que pour lutter contre le réchauffement climatique, il y aurait besoin d'énormément de métaux et qu'il allait falloir soutenir l'industrie minière. Le discours est devenu ; « L'industrie minière n'est pas du tout un obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique. C'est notre meilleur allié. Il va falloir l'aider. » Mais c'est du pur storytelling. En réalité, si l'on regarde par exemple la récente loi européenne sur les métaux critiques, on voit bien qu'elle répond tout autant à aux besoins des grosses entreprises européennes pour l'aéronautique, l'aérospatiale, les drones, des data centers. De l'autre côté, comme je l'ai dit, c'est absurde du point de vue climatique. En se lançant dans l'électrification totale du parc automobile ou dans le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables sans réfléchir à nos besoins, on ouvre de véritables gouffres, qui vont faire exploser la demande en métaux et donc nos émissions de gaz à effet de serre.

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Ce discours de réenchantement et de relégitimation de la mine auprès des populations européennes vous semble-t-il efficace ?

On est en train de créer un régime d'exception minier, avec un abaissement des garde-fous réglementaires et des formes d'extractivisme de plus en plus désinhibées, et en parallèle on culpabilise les gens. La culpabilisation est un ressort psychologique très puissant, on l'a vu durant le Covid. On dit aux gens : « Si vous n'acceptez pas des mines sur notre territoire, alors on va les faire ailleurs, aux dépens d'autres populations, dans des conditions bien pires. » Or c'est faux. D'abord, la mine propre n'existe pas. Ensuite, la loi européenne sur les métaux critiques elle prévoit qu'au mieux 10% de la production minière soit relocalisée en Europe. Aujourd'hui, on en est à 3%. Ce n'est rien du tout. On va de toute façon continuer à ouvrir des mines ailleurs, dans les pays pauvres, pour répondre aux besoins des industriels européens. Si l'on voulait vraiment relocaliser la production minière en Europe, il faudrait réduire drastiquement nos besoins et prioriser les usages les plus importants des métaux. Cela inclut, certes, les métaux pour les cellules photovoltaïques et les éoliennes pour accompagner un processus de décroissance énergétique. Ou encore pour des batteries dont le poids serait limité. Dans ce cas, on aurait une vraie relocalisation. Mais c'est l'inverse qui est en train de se passer.

Peut-on imaginer qu'un jour il existe une mine propre ? L'idée en elle-même est-elle crédible ?

Si l'on considère la réalité des mines aujourd'hui, les procédés utilisés, leur gigantisme, leur pouvoir de destruction, on voit bien qu'une mine est intrinsèquement problématique, intrinsèquement prédatrice. Derrière l'idée de « mine responsable », au-delà du slogan commercial, il y a surtout un enjeu d'acceptabilité sociale. Il s'agit de faire croire aux gens que si l'on peut améliorer certains paramètres, cela suffit à justifier le projet tout entier. L'industrie minière part de très, très bas. Ce sont des pollutions à très grande échelle, des défenseurs de l'environnement assassinés, des logiques d'ingérence et de corruption. On peut certes apporter des améliorations à certains de ces problèmes, mais cela ne suffira jamais à rendre la mine industrielle viable, ni acceptable.

Ce qui m'a frappé dans les enquêtes que j'ai menées, c'est que les industriels et parfois les dirigeants politiques ne cessent d'invoquer certains concepts, par exemple la mine décarbonée ou le réemploi des déchets miniers pour produire du ciment, comme de choses qui existent et qui sont déjà mises en pratique. À chaque fois que j'ai regardé de plus près, le constat était le même : en réalité, cela n'existe pas encore. Ce ne sont que des promesses. Il y a une confusion permanente entre la réalité présente et l'avenir espéré, et les industriels surfent sur cette confusion. Sur le site de la nouvelle mine d'Atalaya à Rio Tinto en Espagne, on voir des panneaux publicitaires alignant des panneaux photovoltaïques avec des slogans du type « Rio Tinto, la première mine d'autoconsommation solaire ». Cela donne à penser que la mine est autonome énergétiquement, mais pas du tout. Il y a seulement une centrale photovoltaïque qui alimentera une fraction de ses besoins. Et tout est comme ça.

Le constat n'est-il pas le même en ce qui concerne le recyclage des métaux ?

Il y a un effet purement incantatoire, qui consiste à se rassurer en se disant qu'un jour tout ira bien parce que l'on pourra simplement recycler les métaux dont on aura besoin. Déjà, il n'en est rien parce que les quantités colossales de métaux dont l'utilisation est planifiée pour les années à venir, ne serait-ce que pour produire des batteries pour véhicules électriques, n'ont même pas encore été extraites. On ne peut donc pas les recycler. Il faut d'abord les produire, avec pour conséquence la destruction de nouveaux territoires un peu partout sur la planète. Ensuite, le recyclage des métaux n'est pas une opération du saint-Esprit ; il repose sur la métallurgie, il implique des usines, des besoins en énergie, et des pollutions assez semblables à celles des mines elles-mêmes.

Comme vous le montrez très bien dans votre ouvrage, il y a un lien très fort entre mines et technologie. Plus on mise sur la technologique pour résoudre nos problèmes, y compris la crise climatique, plus on a besoin de métaux. L'accent mis sur le besoin de métaux pour la transition ne reflète-t-il pas le fait que les multinationales ont réussi à s'approprier ce terme même de « transition », pour lui faire signifier en réalité la poursuite du modèle actuel ?

Le concept de transition n'a rien de nouveau, il était déjà employé au XIXe siècle. À cette époque, la transition sert à freiner les ardeurs révolutionnaires : on accepte qu'il faut des changements, mais on ajoute qu'il ne faut pas aller trop vite. Il y a donc une dimension un peu réactionnaire dans l'idée même de transition. Dans son dernier livre, Jean-Baptiste Fressoz montre que la transition énergétique tel qu'on l'entend aujourd'hui est une invention des pro-nucléaires américains dans les années 1950 pour justifier des investissements publics colossaux dans l'atome [2]. Ils ont tracé des belles courbes qui montraient qu'après l'épuisement des énergies fossiles, il y aurait besoin d'une solution énergétique comme le nucléaire, et qu'il fallait donc investir maintenant pour rendre le passage des unes à l'autre moins brutal.

La transition aujourd'hui, c'est avant tout du temps gagné pour le capital et pour les grandes entreprises. Les rendez-vous qu'ils nous promettent pour 2050 et leurs promesses de zéro carbone sont évidemment intenables. Les technologies et l'approvisionnement nécessaire en métaux n'existent pas, et s'ils existaient, cela nous maintiendrait sur la même trajectoire de réchauffement climatique. Ces promesses ne tiennent pas debout, mais elles permettent de repousser à 2050 l'heure de rendre des comptes. Ce sont plusieurs décennies de gagnées. Par ailleurs, le terme de transition est de plus en plus utilisé comme étendard pour justifier une croisade, une politique de plus en plus agressive pour avoir accès aux gisements. Les pays européens et nord-américains ont signé un partenariat en ce sens en 2022, en prétendant que certes ils veulent des métaux, mais pour des raisons louables. La transition sert de figure de proue à ces politiques impériales.

Vous avez mentionné que l'une des industries les plus intéressées par la sécurisation de l'accès aux métaux est celle de l'armement. Vous décrivez dans votre livre une sorte de cercle vicieux : on a besoin de métaux pour l'armement, mais les mines alimentent les rivalités géopolitiques et provoquent des déplacements de populations et des conflits locaux, ce qui augmente le besoin d'armements. Vous semblez suggérer que c'est l'une des dimensions négligées de la guerre en Ukraine.

Peu de gens savent qu'en 2021, la Commission européenne a signé avec l'Ukraine un accord de partenariat visant à faire de ce pays une sorte de paradis minier pour l'Europe. L'Ukraine possède de fait énormément de ressources convoitées par les industriels, qu'ils soient russes, européens et américains. Cela a joué un rôle dans le déclenchement de la guerre. On voit bien que pour, pour accéder aux gisements, on va engendrer des conflits, militariser encore plus les relations internationales, ce qui va nécessiter de produire des armes de plus en plus sophistiquées, et donc d'extraire de plus en plus de métaux, et donc sécuriser l'accès aux gisements, et ainsi de suite. C'est un cercle vicieux que l'on peut résumer ainsi : la ruée sur les métaux militarise les rapports entre les nations, alimentant la ruée sur les métaux pour produire des armes afin de disposer des moyens de s'emparer des métaux. Il y a un risque d'escalade dans les années à venir. On évoque trop peu la dimension matérialiste des conflits armés, qui sont souvent rabattus sur leur dimension idéologique. La guerre en Ukraine serait liée à la volonté de Poutine de recréer la grande Russie. C'est vrai, certes. Mais la grande Russie, c'est aussi la puissance industrielle et donc l'accès aux ressources. Ceci n'est pas nouveau : cela fait longtemps que les empires reposent sur les métaux.

Au fond, à vous lire, on a l'impression qu'il faut sortir des métaux tout comme il faut sortir des énergies fossiles. Les deux vont un peu ensemble.

On a besoin de sortir de l'extractivisme au sens large. Extraire du pétrole, du charbon, du gaz ou des métaux, c'est le même modèle. D'ailleurs, d'un point de vue administratif, tout ceci correspond strictement à de l'activité minière, encadrée par des permis miniers. C'est de cela dont il faut sortir, de l'habitude de traiter le sous-sol comme un magasin, et de faire primer l'exploitation du sous-sol sur tout le reste, et en particulier sur les territoires et le vivant. Concrètement, qu'est ce qu'on peut faire ? Pour commencer, les deux tiers des mines sur la planète devraient fermer – les mines métalliques comme les mines de charbon. Ça paraît utopique de dire cela, mais cela répond à un problème urgent et vital : deux tiers des mines sont situées dans des zones menacées de sécheresse, et on n'aura pas assez d'eau pour les faire fonctionner à moins d'assoiffer les populations. En plus de cela, elles émettent du CO2, elles détruisent des territoires, elles déplacent des populations, elles nuisent à la démocratie. Il faut donc faire avec une quantité de métaux restreinte, et recycler ce que l'on peut recycler.

Vous soulignez pourtant que nous n'avons pas cessé, ces dernières années, d'ajouter de nouvelles technologies et de nouveaux objets dans notre quotidien, notamment du fait de l'envahissement du numérique. Réduire notre consommation de métaux implique-t-il de renoncer à ces équipements ?

Oui, mais au préalable, quand on dit que « nous n'avons pas cessé d'ajouter des nouvelles technologies polluantes », il faut analyser un peu ce « nous ». « Nous » n'avons pas choisi de déployer des caméras de vidéo surveillance et des écrans publicitaires partout. Nous n'avons pas choisi le déploiement de la 5G, qui a été au contraire contesté à cause de sa consommation d'énergie. La plupart d'entre nous subit plutôt qu'elle ne choisit la numérisation des services publics, instrument privilégié de leur démantèlement et de leur privatisation : l'usage de Pronote à l'école, Doctissimo et la télémédecine dont la popularité est due à l'absence de médecins, etc. Dans le secteur automobile, la responsabilité des industriels est écrasante. Depuis des décennies, ils ne cessent de bourrer les véhicules d'électronique pour augmenter leur valeur ajoutée. Ces dernières années, ils ont massivement vendu d'énormes voitures électriques parce qu'ils savaient que le premier marché de la voiture électrique, c'était d'abord la bourgeoisie, et que les bourgeois achèteraient des SUV et des grosses berlines. Donc quand je dis que nous devons réduire notre consommation de métaux, j'entends surtout par-là dénoncer les industries qui inondent le marché de produits insoutenables sur le plan des métaux (entre autres). Mais il est vrai que nous – et là c'est un vrai « nous » - devons réfléchir ensemble aux moyens de sortir de l'emprise numérique. Du point de vue des métaux, le smartphone n'est pas viable : sa sophistication et son caractère ultra-mondialisé en font un concentré d'exploitation et d'intoxication, des mines aux usines d'assemblage chinoises ou indiennes. Et bien sûr il a des impacts socialement désastreux, des addictions à la surveillance, en passant par la « surmarchandisation » du quotidien qu'il induit, à chaque instant de la vie. Là-dessus, il faut agir rapidement, collectivement, ne serait-ce que pour se protéger.

Entretien réalisé par Olivier Petitjean


[1] Disponible sur le site web de l'association Syst-Ext.

[2] Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie, Seuil, Essais Ecocène, janvier 2024.

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