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07.05.2024 à 00:00

France relance : un plan opaque, un bilan impossible

Pauline Gensel

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Le plan de relance post-Covid a mobilisé 72,8 milliards d'euros en date de novembre 2023. Difficile d'y voir clair dans cet enchevêtrement de mesures et de programmes, alors que les données disponibles demeurent parcellaires et que la France refuse de communiquer sur les bénéficiaires effectifs.
Le 14 juillet 2020, face à Léa Salamé et Gilles Bouleau, Emmanuel Macron évoquait pour la première fois le plan de relance post-Covid : 100 milliards d'euros pour « faire la relance industrielle, (…)

- Plan de relance : 100 milliards d'euros et une opportunité gâchée / , , , ,
Texte intégral (3398 mots)

Le plan de relance post-Covid a mobilisé 72,8 milliards d'euros en date de novembre 2023. Difficile d'y voir clair dans cet enchevêtrement de mesures et de programmes, alors que les données disponibles demeurent parcellaires et que la France refuse de communiquer sur les bénéficiaires effectifs.

Le 14 juillet 2020, face à Léa Salamé et Gilles Bouleau, Emmanuel Macron évoquait pour la première fois le plan de relance post-Covid : 100 milliards d'euros pour « faire la relance industrielle, écologique, locale, culturelle et éducative » et « bâtir un pays différent d'ici à 10 ans », d'après les mots du président de la République. À l'opposé de ce qui s'était fait selon lui pendant 30 ans, « parce qu'on était dans les divisions, parce qu'on était peut-être dans des politiques qui souvent étaient trop lentes, dont on ne percevait pas les résultats », Emmanuel Macron voulait donner « un monde à voir ». À l'Observatoire des multinationales, nous avons tenté de le « voir », ce fameux monde donné par le plan de relance. Et face à une myriade de dispositifs dispatchés dans des programmes budgétaires différents et pour lesquels les données manquent, nous avons bien bataillé.

Au départ, le plan semble plutôt simple. Un chiffre rond, 100 milliards d'euros. Deux objectifs : assurer la relance de l'activité et transformer l'économie. Trois volets, dotés d'environ 30 milliards d'euros chacun : Écologie, Compétitivité, Cohésion. Cela se complique dès que l'on essaie de creuser plus loin, notamment d'un point de vue budgétaire. Il existe bien un document spécifique, la « Mission plan de relance », qui a pour but d'isoler les crédits alloués au programme et de ne pas créer de confusion avec le budget courant de l'État. Mais il ne comptabilise qu'environ 40 milliards sur les 100 prévus. Les 60 milliards restants se répartissent entre le 4e Programme d'investissements d'avenir ou PIA4 (11 milliards d'euros), la baisse des impôts de production (20 milliards), les administrations de Sécurité sociale (9 milliards, entre l'Unédic, la Caisse nationale d'allocations familiales et les investissements publics dans le cadre du Ségur de la Santé), la Banque des territoires (3 milliards), Bpifrance (2 milliards), et d'« autres vecteurs budgétaires » (19 milliards). Il n'existe aucune liste exhaustive, actualisée et partagée qui rassemblerait l'ensemble des mesures du plan de relance et leur exécution. Difficile donc d'avoir une vision d'ensemble.

Il n'existe aucune liste exhaustive, actualisée et partagée qui rassemblerait l'ensemble des mesures du plan de relance et leur exécution.

Même au sein de chacun des volets budgétaires, la confusion règne. Dans le Programme d'investissement d'avenir, doté de 20 milliards d'euros au total, les 11 milliards venus du plan de relance rassemblent des investissements en recherche et développement, en soutien aux universités, écoles, organismes de recherche et de transfert de technologies, dans des « secteurs d'avenir stratégiques » (cybersécurité, technologies quantiques, biotechnologies, secteur culturel), ainsi que des innovations en faveur de la transition écologique. Mais depuis 2022, ces 11 milliards s'inscrivent également dans les 54 milliards de France 2030, le plan d'investissement dédié à l'innovation lancé en octobre 2021 (lire France 2030 : 34 milliards d'euros pour qui et pour quoi ?. Cette triple labellisation - France relance, PIA4, France 2030 - apporte encore plus de flou : impossible d'identifier précisément les financements issus de chacun des programmes. L'objectif de développer une filière hydrogène compétitive, l'une des priorités du PIA4 et de France Relance, est ainsi repris dans France 2030, sans que l'on sache quels montants ont déjà été dépensés et continuent d'être assurés par le plan de relance, et quels financements viennent directement de France 2030.

Transferts opaques

Les crédits du plan de relance se mélangent parfois aussi avec ceux du budget courant de l'État, malgré la volonté affichée de distinguer les deux dans des programmes budgétaires distincts. Un même dispositif peut être en partie pris en charge par France Relance, en partie par le budget ordinaire, sans que l'on sache précisément qui dépense quoi. C'est notamment le cas pour l'aide à l'apprentissage, rehaussée dans le cadre du plan de relance : alors que les employeurs touchaient auparavant 4125 euros la première année, puis 2000 la deuxième, ils perçoivent 5000 euros par an en 2021 et 2022 s'ils embauchent un apprenti mineur, 8000 s'il est majeur. Au départ, le plan de relance devait financer seulement la différence, le budget classique prenant en charge le financement de base. Mais la distinction s'est révélée impossible à gérer d'un point de vue budgétaire. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle a donc décidé de comptabiliser l'ensemble des dépenses pour l'aide à l'apprentissage sur le budget du plan de relance. Résultat : une explosion des crédits dépensés sur ce volet en 2021 et 2022. Alors que les projets de loi de finances prévoyaient un peu moins de 4 milliards d'euros de crédits pour la mesure dans le cadre de la relance, 8,2 milliards d'euros ont été comptabilisés. Or, une grande partie de ces dépenses aurait dû s'inscrire dans le budget général.

Certains ont qualifié ça de jeu de Bonneteau, dans la mesure où l'on prend d'un côté pour dépenser d'un autre.

À l'inverse, d'autres crédits prévus pour la relance ont été basculés vers les missions ordinaires du budget de l'État, pour des programmes liés à l'aménagement du territoire, à l'emploi, à la recherche dans le domaine de l'énergie et des mobilités durables, à la conduite des politiques de l'intérieur, à l'agriculture ou, plus étonnant encore… à la police et à la gendarmerie nationale, pour financer des opérations de construction décidées avant la crise sanitaire ou encore pour l'habillement et les équipements individuels de la police nationale – y compris pour le maintien de l'ordre. « Certains ont qualifié ça de jeu de Bonneteau [jeu d'argent consistant à retrouver une carte parmi trois, ou une balle sous trois gobelets, ndlr], dans la mesure où l'on prend d'un côté pour dépenser d'un autre, explique Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS à l'unité de sciences économiques « EconomiX ». Le plan d'urgence sanitaire avait déjà fonctionné sur ces bases, la direction du budget est assez coutumière de la réallocation de fonds existants au sein d'enveloppes avec de nouveaux intitulés. »

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Les transferts ont également eu lieu au sein même du programme budgétaire du plan de relance, entre les différentes mesures. La hausse des dépenses pour l'aide à l'apprentissage a ainsi été en partie financée par des prélèvements sur l'activité partielle de longue durée, la rémunération des stagiaires adultes de la formation professionnelle, la formation des salariés en activité partielle… Des redéploiements de crédits insuffisamment documentés d'après un rapport de la Cour des comptes sur la mission budgétaire du plan de relance de 2022 : « Faute d'indicateurs de suivi et d'impact adaptés, il n'est pas établi que les redéploiements ainsi effectués aient bénéficié aux mesures ayant l'impact économique ou social le plus élevé […] Ces choix de gestion doivent pouvoir être précisément retracés et expliqués, au vu des masses budgétaires en jeu et du changement de nature des mesures financées par le plan qui résulte de ces redéploiements. » La Cour ajoute que sans ces éléments, toute analyse du plan de relance ne peut être qu'incomplète.

Relance ou recyclage budgétaire ?

Si le plan de relance comporte des mesures nouvelles, comme l'aide au développement de la filière hydrogène, les fonds pour la transformation des friches urbaines et industrielles ou les aides à l'embauche des jeunes, il a surtout permis de consolider des dispositifs déjà existants ou de lancer des projets qui étaient déjà dans les tuyaux avant la crise sanitaire. C'est ce que pointait du doigt la commission des finances du Sénat en novembre 2020, par le biais de son rapporteur Jean-François Husson : « Si le rapporteur spécial ne peut que partager le souci de lutte contre le « décrochage » scolaire, il juge néanmoins opportuniste l'intégration dans le champ de la mission « Plan de relance » de la traduction budgétaire d'une obligation législative posée antérieurement et s'inscrivant dans le cadre d'une stratégie pluriannuelle et interministérielle déjà existante. »

La lutte contre le décrochage scolaire, avec le dispositif « promo-16-18 : la route des possibles », s'inscrit en effet dans la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le président de la République... en 2018. Parmi les autres mesures reprises dans le plan de relance, MaPrimeRénov', qui avait été lancée le 1er janvier 2020 et qui ne concernait alors que les ménages les plus modestes. Elle a été étendue à cette occasion aux revenus supérieurs, aux copropriétés et aux propriétaires bailleurs.

Des subventions versées au Commissariat à l'énergie atomique et au Centre national d'études spatiales pour la recherche duale (civile et militaire) habituellement prises en charge par le ministère des Armées ont été basculés en totalité vers la mission relance.

Figurent aussi dans le plan de relance de nombreuses mesures qui auraient dû s'inscrire dans les budgets traditionnels des ministères. Un plan de lutte contre les captures accidentelles de cétacés, la création de places supplémentaires pour les néo-bacheliers, l'achat de drones de surveillance maritime ou de 12 nouveaux hélicoptères pour la gendarmerie nationale et pour la sécurité civile… Difficile de saisir le lien entre ces dispositifs et la reprise de l'activité économique. Citons également les subventions versées au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et au Centre national d'études spatiales (CNES) pour la recherche duale (civile et militaire), habituellement pris en charge par le ministère des Armées, qui ont été basculés en totalité vers la mission relance. Résultat : 290 millions d'euros en moins dans le budget courant, parce que pris en charge par le plan de relance.

Ces petites manipulations semblent être passés entre les mailles des différentes instances chargées d'évaluer la mise en œuvre du plan. En plus du comité de pilotage et du secrétariat général au plan de relance, un comité d'évaluation, sous l'autorité du Premier ministre, a été chargé de réaliser une étude indépendante de l'impact socio-économique et environnemental de France Relance à partir de 2021. Il a rendu son rapport final en janvier 2024, dans lequel il conclut que le plan de relance est responsable d' « une partie du dynamisme de l'emploi depuis 2020 » et d' « effets favorables » concernant la réduction des émissions de CO2. « Nous avons tenté de voir s'il y avait des blocages dans les canaux de financement, car avant de savoir si la pelouse a bien été arrosée, il faut savoir si le tuyau était bouché ou non, indique Xavier Timbeau, directeur de l'OFCE qui a travaillé sur le volet macroéconomique du rapport. Et nous avons observé qu'il n'y avait pas de blocage majeur dans le processus de transmission. »

Un suivi lacunaire

Autre instance d'évaluation : le secrétariat général au plan de relance, qui gère notamment le suivi de l'avancement des mesures, en partie rendu public via le « tableau de bord » de la relance. L'outil présente des informations sur la progression d'une trentaine de dispositifs « afin de garantir une transparence sur la mise en œuvre de France Relance », d'après son site internet. Une transparence qui se limite donc à 25 mesures. Pour les autres, les données sont conservées dans l'outil « Pilote relance » du secrétariat général et ne sont pas accessibles au public. Qui plus est, tous les dispositifs n'ont pas forcément de cible établie et certains objectifs semblent mal calibrés, trop ou pas assez ambitieux. Pour la prime exceptionnelle à l'apprentissage, le gouvernement avait fixé une cible de 388 900 contrats conclus au 31 décembre 2023. En novembre 2021, plus d'un million de contrats avaient déjà été enregistrés.

Trois ans après le lancement du plan, il n'existe toujours aucune centralisation des données et des dépenses des opérateurs de l'État.

D'un point de vue budgétaire, les données concernant les sommes dépensées par l'État dans le cadre du plan sont elles aussi très limitées. Car les crédits marqués comme « dépensés » ne renseignent pas sur le réel financement des mesures. Bien souvent, l'argent est versé à des opérateurs de l'État, organismes publics ou collectivités territoriales, qui gèrent la mise en œuvre de certaines mesures et attribuent ensuite les fonds aux bénéficiaires finaux – entreprises, ménages, associations… Dans ses deux rapports sur l'exécution budgétaire de la mission plan de relance, en 2021 et 2022, la Cour des comptes recommandait donc de mettre en place un dispositif de suivi des crédits et de leur utilisation sur le terrain. Sans succès. Un travail de reporting a bien été amorcé par la Direction générale des finances publiques à partir d'avril 2021, mais il y a été mis fin en septembre 2022, « du fait de son caractère chronophage et de son absence déclarée d'impact sur le pilotage des crédits de la mission », d'après le rapport de la Cour des comptes de 2022. Trois ans après le lancement du plan, il n'existe donc toujours aucune centralisation des données et des dépenses des opérateurs de l'État.

Absence de transparence

Impossible donc de savoir qui a le plus profité de France Relance ni de connaître les montants effectivement versés. Même le comité d'évaluation du plan de relance n'a pas eu accès à ses données. « Le degré de concentration des aides aurait pu être un renseignement important pour nous, pour en connaître l'efficacité, remarque Aurélien Saussay, professeur assistant d'économie de l'environnement au Grantham Research Institute de la London School of Economics. Par exemple, pour savoir s'il est plus optimal, en terme d'emploi, de donner de l'argent à des grosses ou des petites entreprises. Mais pour l'instant, ces données sont restées à Bercy. Et nous ne pouvons évaluer que ce que l'on observe. »

Pourtant, un amendement du Parlement européen de février 2023 oblige les pays membres à publier la liste des 100 premiers bénéficiaires finaux de leurs plans de relance respectifs, en open data. Un rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre du plan européen publié en septembre 2023 notait que 11 pays ne s'étaient toujours pas exécutés, parmi lesquels la France. Deux mois plus tard, le député (PS) Dominique Potier dépose une question écrite sur ce sujet, interrogeant le ministre de l'Économie Bruno Le Maire sur « les mesures qu'envisage de prendre le Gouvernement pour se mettre en conformité avec les obligations de transparence liées au plan de relance européen ». « Je voulais savoir quels étaient les critères d'attribution des crédits relance et qui en avait bénéficié, s'il s'agissait d'entreprises en très bonne santé ou au contraire qui avaient besoin d'être confortées. Connaître aussi l'efficacité de ces dépenses par rapport aux objectifs du plan : la reconsolidation économique et la transition écologique. Mais je n'ai pas eu de réponse. » Contacté, le ministère de l'Économie ne nous a pas répondu non plus.

On a aujourd'hui plus de connaissances sur les 500 euros de subvention versés à l'association de pétanque d'une commune que des milliers, millions ou milliards d'euros qui sont versés aux entreprises.

La France a finalement rempli son obligation de transparence en décembre 2023 mais avec une liste pour le moins opaque. Elle répertorie principalement les opérateurs de l'État ou les collectivités qui ont reçu de l'argent du plan de relance, autrement dit les intermédiaires qui reversent ensuite les crédits à des bénéficiaires finaux. Les trois premiers acteurs sur la liste sont ainsi l'Agence de services et de paiement (plus de 15 milliards d'euros versés), Bpifrance (près d'1,8 milliard) et l'Agence nationale de l'habitat (environ 1,4 milliard). Contactés pour obtenir plus d'informations sur les organismes à qui ils ont reversé ces crédits, ils n'ont pas répondu à nos sollicitations. « On ne sait pas trop si c'est de l'incompétence ou de la malhonnêteté, je penche plutôt pour la première option, ironise Kevin Gernier, chargé de plaidoyer pour Transparency International France, qui a travaillé sur la transparence du plan de relance. La réalité, c'est que l'État français n'a même pas les moyens en interne de savoir où va son argent tellement il est démembré en de multiples opérateurs. Les collectivités territoriales font beaucoup mieux : on a aujourd'hui plus de connaissances sur les 500 euros de subvention versés à l'association de pétanque d'une commune que des milliers, millions ou milliards d'euros qui sont versés aux entreprises. »

Elles semblent loin, les annonces du président de la République qui s'exprimait lors du sommet des chefs d'État membres du partenariat pour un gouvernement ouvert, une initiative internationale qui promeut la transparence de l'action publique. Le 24 septembre 2020, il y revenait à propos du plan de relance qu'il avait annoncé deux mois auparavant et affichait sa volonté de « reconstruire mieux », de concevoir « une meilleure version de la démocratie : plus ouverte, plus inclusive, avec les citoyens au centre ». Et il appelait les chefs d'État à s'engager dans leurs plans de relance respectifs : « Nous devons [...] veiller à ce que tous les plans de relance soient disponibles en open data, permettant aux citoyens de suivre le cheminement de l'argent, ainsi que d'empêcher l'inefficacité et même la corruption. Et je pense que c'est absolument essentiel. »

Pauline Gensel

07.05.2024 à 00:00

Bilan du plan de relance : 100 milliards d'euros pour quoi faire ?

Pauline Gensel

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Le plan de relance à 100 milliards d'euros lancé en 2020 était censé tirer les leçons de la pandémie de Covid-19 et bâtir le « monde d'après ». Quatre ans plus tard, le bilan est accablant.

- Plan de relance : 100 milliards d'euros et une opportunité gâchée / , , , ,
Texte intégral (4611 mots)

Comment les 100 milliards d'euros du plan de relance ont-ils - ou non - été dépensés ? Qui en en a profité ? Ses promesses écologiques ont-elles été tenues ? Quel est le lien avec le retour actuel de l'austérité budgétaire ? Tout ce que vous devez savoir sur le plan de relance et son bilan.

Il y a presque quatre ans, en pleine épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron annonçait en fanfare un grand « plan de relance » à 100 milliards d'euros, abondé par des fonds européens.

À l'époque, l'Observatoire des multinationales alertait sur le risque que ces sommes apparemment conséquentes ne changent pas grand chose à nos enjeux sociaux, écologiques ou industriels, et finissent surtout dans les coffres des grandes entreprises - qui bénéficiaient déjà d'aides publiques massives encore augmentées sous prétexte de crise sanitaire (voir notre initiative Allô Bercy).

Alors que le président de la République vient, sur fond de campagne pour les élections européennes, d'en appeler à un nouveau « choc d'investissement public » pour restaurer la compétitivité européenne, c'est le moment de faire le bilan.

Les 100 milliards annoncés en 2020 ont-ils effectivement été dépensés ?

Fin novembre 2023, 72,8 milliards d'euros ont été décaissés par l'État, d'après les données de la direction du Budget transmises au comité d'évaluation du plan de relance. Ce montant correspond aux crédits de paiement effectivement versés à différents acteurs (agences de l'État, organismes de sécurité sociale, collectivités, entreprises, etc.). Il est possible que certaines entités n'aient pas encore reversé tout ou partie de ces fonds.

Les crédits de paiement sont à distinguer des autorisations d'engagement, l'enveloppe que l'État s'est juridiquement engagé à débourser sur plusieurs années. Fin 2022, 89 milliards étaient ainsi engagés, contre les 100 initialement prévus. En novembre 2023, 7 des 100 milliards du plan de relance n'avaient toujours pas fait l'objet d'engagements.

La distribution des fonds a-t-elle été transparente ? En connaît-on les bénéficiaires finaux ?

Transparency International France s'est penchée sur la transparence du plan de relance et a pu constater, tout comme nous l'avons fait (lire France relance : un plan opaque, un bilan impossible), qu'elle était lacunaire. L'ONG a obtenu un rendez-vous en juin 2022 avec le Secrétaire général au plan de relance de l'époque, Vincent Menuet – aujourd'hui lobbyiste pour Suez. « Il nous a fait comprendre que son objectif, c'était que les entreprises qui aient droit à de l'argent public le touchent et qu'elles évitent la faillite, raconte Kevin Gernier, chargé de plaidoyer pour Transparency International sur les questions de lobbying et de transparence de l'action publique. Mais il ne savait pas quelles entreprises avaient touché quoi. En 2021-2022, il y avait urgence et Bercy cherchait à tout prix à écouler ces énormes enveloppes. Forcément, quand on va aussi vite, cela se fait au détriment de la transparence. »

En 2021-2022, il y avait urgence et Bercy cherchait à tout prix à écouler ces énormes enveloppes.

Le 27 février 2023, le Parlement européen a voté un amendement censé apporter plus de transparence aux différents plans de relance nationaux. Les États membres doivent désormais publier la liste des « cent bénéficiaires finaux qui reçoivent le montant de financement le plus élevé » dans le cadre de crédits européens. Cette liste doit être facilement accessible, en open data, et actualisée deux fois par an. La France s'est en partie conformée à cette obligation en décembre 2023. En partie, parce qu'elle ne donne pas les bénéficiaires finaux de son plan de relance, mais liste essentiellement des opérateurs de l'État, soit différentes instances intermédiaires qui redistribuent les financements par la suite. On trouve ainsi, comme premiers bénéficiaires dans la liste française, l'Agence de services et de paiement, organisme qui centralise des versements pour la mise en place de politiques publiques, suivie de Bpifrance et de l'Agence nationale de l'habitat. Impossible pour l'heure d'obtenir des données sur les bénéficiaires finaux du plan, qui restent entre les mains de Bercy.

Lire aussi France relance : un plan opaque, un bilan impossible

Quelles sont les plus grosses lignes de dépense incluses dans le plan ?

Les dépenses dans le cadre du Ségur de la santé et celles dédiées à la rénovation énergétique sont bien en deçà de ce qui avait été annoncé.

À son lancement, ce sont les 20 milliards d'euros de baisse d'impôts de production qui devaient constituer la ligne de dépense la plus importante du plan de relance – et la promesse a été tenue. Ils étaient suivi des mesures en faveur de la sauvegarde de l'emploi (7,6 milliards d'euros), des investissements en santé dans le cadre du Ségur de la santé (6 milliards), des crédits versés en soutien aux collectivités territoriales (5,2 milliards) et au secteur ferroviaire (4,7 milliards), et des dépenses pour la rénovation énergétique des bâtiments publics (4 milliards). Fin novembre 2023, les dépenses dans le cadre du Ségur de la santé et celles dédiées à la rénovation énergétique sont bien en deçà de ce qui avait été annoncé.

Y a-t-il des programmes où les dépenses ont été supérieures à ce qui était prévu ?

Au fur et à mesure du temps, le plan a été recalibré, certaines mesures n'obtenant pas le succès escompté et d'autres nécessitant au contraire des investissements supplémentaires. L'augmentation la plus spectaculaire est celle du fonds dédié à l'aide à l'apprentissage et aux contrats de professionnalisation pour les jeunes, qui a nécessité 5,54 milliards d'euros en plus des 2,7 milliards initialement prévus - principalement parce que le dispositif, qui devait être financé en partie par le budget général, a été basculé entièrement sur le plan de relance.

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Quelles sont, à l'inverse, les programmes où les dépenses annoncées ne se sont pas matérialisées ?

Plusieurs dispositifs présentent des niveaux de sous-dépense très importants. Le 4e Programme d'investissement d'avenir (PIA4), doté de 11 milliards d'euros dans le cadre du plan de relance, n'a donné lieu qu'à 2,8 milliards de dépenses.

Pour le volet relance du Ségur de la santé, qui prévoyait 6 milliards d'euros d'investissements, les données ne sont aujourd'hui pas accessibles et le comité d'évaluation n'y a d'ailleurs pas eu accès. On sait seulement que 1,9 milliards d'euros sont venus abonder le budget des organismes de sécurité sociale, sans précision sur la nature des dépenses. Mais d'après une source au sein du comité d'évaluation, le ministère de l'Economie et des Finances n'aurait dépensé qu'une infime partie des financements.

D'après une source au sein du comité d'évaluation, le ministère de l'Economie et des Finances n'aurait dépensé qu'une infime partie des financements dédiés au Ségur de la Santé.

La rénovation énergétique des bâtiments publics (administrations, collectivités locales, lycées, infrastructures sportives) a donné lieu à 1,7 milliard d'euros de dépenses entre 2021 et 2022, contre 4 milliards initialement prévus, du fait de difficultés dans l'approvisionnement et la livraison de matières premières, de l'inflation et d'« une tendance structurelle à la sous-consommation observée sur l'ensemble des dotations de soutien à l'investissement », d'après les rapports budgétaires « plan de relance » pour ces deux années. Le comité d'évaluation du plan note que la baisse moyenne de la consommation énergétique des bâtiments rénovés serait de 42 % pour les projets des collectivités locales, 37 % pour ceux de l'État. Mais étant donné que ces rénovations ne concernent qu'une part très faible de l'immobilier public, elles sont « insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés par la loi Elan de -40 % à l'horizon 2030 sur l'ensemble du parc tertiaire ». Le projet de loi de finances 2024 prévoit d'investir encore 374 millions d'euros dans la rénovation énergétique des bâtiments de l'État, 296 millions dans celle des collectivités territoriales.

D'autres dispositifs ont également été revus à la baisse. Celui dédié à l'activité partielle a par exemple été réduit de 2 milliards, la reprise de l'activité économique post-Covid rendant ce dispositif caduc.

Sait-on quelle proportion du plan de relance a bénéficié directement aux entreprises ?

Au moins 29,5 milliards d'euros ont bénéficié directement aux entreprises, soit un peu plus de 40 % des 72,8 milliards dépensés dans le plan de relance. Seuls 525,9 millions d'euros sont directement fléchés vers les TPE, PME et ETI, principalement pour leur rénovation énergétique et leur numérisation. Pour le reste, il n'est pas possible de déterminer si les financements ont bénéficié aux petites, moyennes ou grandes entreprises. Des données concernant la répartition du nombre de projets industriels et des aides de l'État pour chaque type d'entreprise devaient être disponibles via une plate-forme créée par la direction générale des entreprises. Ces données ne sont plus actualisées depuis avril 2022 et donnent uniquement une répartition en fonction du nombre de projets soutenus, et pas en fonction du montant des aides versées par l'État.

La proportion des dépenses de relance qui ont bénéficié exclusivement ou en grande partie aux entreprises dépasse les deux tiers des sommes décaissées.

À ces mesures de soutien direct au secteur privé, il faut ajouter 17,7 milliards d'aides à l'emploi, comme les subventions pour l'embauche de jeunes et d'apprentis, largement critiquées pour avoir créé un effet d'aubaine pour les entreprises. Et sans doute aussi les aides à l'achat (voitures électriques, rénovations), qui ont profité à la fois aux fournisseurs des produits et services concernés et aux ménages les plus aisés. À ce compte, la proportion des dépenses de relance qui ont bénéficié exclusivement ou en grande partie aux entreprises dépasse dès lors les deux tiers des sommes décaissées.

Le plan de relance a-t-il permis de renforcer les services publics ?

Ce plan de relance s'inscrit dans le schéma classique de transformation de la société via le tissu productif et les aides individuelles aux entreprises. Il n'y a rien sur les services publics en général.

Un peu plus de 5 milliards d'euros ont été dépensés dans le cadre du plan de relance en faveur des services publics, soit environ 7 % du total décaissé fin novembre 2023. Les 4,1 milliards versés pour la recapitalisation de la SNCF forment la plus grosse partie de cette enveloppe, qui inclut aussi des mesures en faveur de la formation des jeunes, de la mise à niveau numérique de l'État, du développement de « mobilités douces » ou encore de la rénovation de réseaux d'eau et de stations d'assainissement. « C'est là que le bât blesse dans ce plan de relance, regrette Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS à l'unité de sciences économiques « EconomiX ». Il s'inscrit dans le schéma classique de transformation de la société via le tissu productif et les aides individuelles aux entreprises. Il n'y a rien sur les services publics en général, hormis les mesures en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui sont appréhendées à travers les relations avec les entreprises. Or, quand on regarde les déterminants de la croissance et de la localisation des entreprises, la qualité des services publics joue beaucoup. »

A-t-il au moins permis de renforcer notre système de santé ?

Avec un peu plus de 6 milliards d'euros prévus pour la santé, le plan de relance est sous-calibré pour répondre à la crise structurelle de notre système de santé. Alors que les dépenses d'investissement des hôpitaux ont été réduites de 20 milliards d'euros entre 2009 et 2019, le plan de relance prévoyait une enveloppe de 2,5 milliards d'euros pour investir dans ces établissements. Pour les Ehpad, qui nécessitent 15 milliards d'euros d'investissement sur dix ans, le plan de relance devait mettre 1,5 milliard d'euros sur la table. Trois ans plus tard, seuls 395 millions d'euros ont été investis pour les « investissements du quotidien ». Pour le reste, les données ne sont toujours pas communiquées. Aucune réponse n'est apportée au manque d'attractivité des professions sanitaires et sociales, ni à la dégradation des conditions de travail dans ces secteurs.

Lire aussi La santé, grande oubliée du plan de relance

Le plan de relance a-t-il bénéficié aux travailleurs et aux populations les plus vulnérables, notamment les « premières lignes » dont on a tant parlé durant la pandémie ?

Alors que la crise sanitaire a mis en lumière la dureté des conditions de travail des « premières lignes », le plan de relance ne contient aucune mesure spécifique sur ce sujet. Globalement, les aides aux ménages ne représentent qu'une portion marginale des dépenses. Tout juste peut-on espérer que certaines parties des sommes dédiées au secteur agricole ou à celui des transports, en plus des fonds pour la santé, bénéficieront aux travailleurs et travailleuses de ces secteurs.

Le plan de relance a-t-il été aussi vert que promis ? A-t-il contribué à une transformation écologique de l'économie française ?

D'après les données du comité d'évaluation, 21 milliards d'euros auraient été utilisés pour le volet Écologie à fin novembre 2023, soit 71 % de l'objectif annoncé (30 milliards). Mais en examinant les dépenses de chacune des mesures pour ce programme, listées dans le dossier de presse de septembre 2020, nous parvenons à un calcul différent : nous n'avons pu flécher [1] que 15,24 milliards d'euros dépensés dans le volet Écologie. Plus de 8,8 milliards ont été payés dans la mission budgétaire « plan de relance », auxquels on peut ajouter les 2,3 milliards de Bpifrance pour ses prêts garantis « verts » et 4,1 milliards pour la recapitalisation de la SNCF.

Le plan de relance a été conçu dans l'urgence, pour des entreprises qui avaient des projets à court terme de croissance ou de maintien d'activité, alors que les questions de transition écologique demandent des stratégies à moyen terme, des réflexions complexes et une étroite interconnexion entre de multiples secteurs économiques.

Il convient de noter que le volet Écologie tel que défini lors du lancement du plan comporte des investissements pour développer l'hydrogène vert (2 milliards prévus, 284 millions dépensés hors PIA4) et des mesures de soutien aux filières nucléaire, aéronautique et automobile (2,8 milliards prévus, 387 millions dépensés hors PIA4), dont la contribution effective à la transition écologique est sujette à caution.

Pour le député socialiste de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier, qui a notamment participé à la conférence « Climat : où en est le plan de relance ? » organisée en mai 2021 à l'Assemblée nationale, la sous-consommation du volet Écologie résulte de l'inadaptation du plan de relance aux enjeux environnementaux : « Il a été conçu dans l'urgence, pour des entreprises qui avaient des projets à court terme de croissance ou de maintien d'activité, alors que les questions de transition écologique demandent des stratégies à moyen terme, des réflexions complexes et une étroite interconnexion entre de multiples secteurs économiques. Bien sûr, il y a des mesures intéressantes dans le plan de relance. Il a été un booster, mais il n'est pas à la hauteur pour répondre aux attentes de la transition écologique. »

D'un point de vue strictement économique au moins, le plan de relance a-t-il été efficace ?

Le rebond était celui auquel on pouvait s'attendre, le plan de relance a pu y contribuer mais sans lui, cela n'aurait pas été radicalement différent en terme quantitatif.

Le plan de relance avait deux objectifs de court terme : retrouver avant l'été 2022 le niveau de PIB d'avant-crise et faire baisser le chômage dès 2021 par rapport à l'été 2020. Ces deux cibles ont été atteintes plus vite que prévu d'après l'Insee. À la fin du 3e trimestre 2021, la France avait déjà retrouvé son niveau d'activité d'avant-crise, avec une croissance de +0,2 % par rapport au 4e trimestre 2019. Fin 2021, le taux de chômage s'élevait à 7,4 % de la population active, soit 0,8 points de moins que deux ans plus tôt. Mais dans son rapport final, le comité d'évaluation précise que la contribution du plan de relance à la reprise de l'activité est « très minoritaire par rapport à l'effet rebond notamment généré par la levée des restrictions sanitaires ». Une analyse partagée par Nadine Levratto : « Le rebond était celui auquel on pouvait s'attendre, le plan de relance a pu y contribuer mais sans lui, cela n'aurait pas été radicalement différent en terme quantitatif. La différence peut se poser en terme qualitatif, par rapport à la nature et au contenu des projets portés. Mais évaluer ces effets-là prendra plus de temps. » Difficile aussi de retrancher d'éventuels effets d'aubaine, avec des dépenses qui auraient été effectuées dans tous les cas, avec ou sans plan de relance.

L'argent du plan de relance venait-il de l'Union européenne ? Y avait-il des conditions ?

Le plan de relance français présenté à la Commission européenne incluait, comme « jalon », la réforme de l'assurance-chômage de 2021.

Une partie du plan de relance français est financée sur fonds européens. Pour soutenir les États membres face à la crise sanitaire, l'Union européenne a en effet lancé en juillet 2020 un plan de relance européen nommé « Next Generation EU » (NGEU). Les 27 pays de l'UE ont ainsi pu bénéficier de subventions ou de prêts, après avoir présenté à la Commission européenne un plan national de relance et de résilience (PNRR) dans lequel ils détaillaient les mesures qu'ils souhaitaient voir financer et qu'ils s'engageaient à mettre en œuvre d'ici fin 2026. Les PNRR devaient inclure au moins 37 % d'investissements en faveur de la transition climatique et 20 % en faveur de la transition numérique. Ils contiennent des cibles - des objectifs quantitatifs, par exemple pour la France 700 000 dossiers Ma Prime Rénov qui devaient être validés d'ici 2022 - et des jalons – des objectifs qualitatifs tels que l'entrée en vigueur de différentes mesures de la réforme de l'assurance-chômage de 2021- à atteindre chaque année et qui conditionnent les versements des crédits européens. La réforme des retraites votée en début d'année est mentionnée dans le plan de relance français, mais n'était pas un jalon formel comme celle de l'assurance-chômage.

Au final, sur les 100 milliards du plan France Relance, 40,3 doivent être financés par des subventions européennes. À l'heure actuelle, la France a reçu deux paiements de l'UE, pour un total de 23,4 milliards d'euros. Elle a déposé sa troisième demande de versement le 16 janvier 2024, pour 7,5 milliards d'euros, mais la Commission européenne et les États membres ne l'ont pas encore évaluée.

Y a-t-il un lien entre le plan de relance et le retour actuel à l'austérité budgétaire ?

Entre 2021 et 2023, le déficit public est passé de 6,6 % à 5,5 % du PIB. La dette publique a quant à elle franchi le seuil des 3000 milliards d'euros en valeur absolue, soit 111,7 % du PIB. Elle était de 2671,6 milliards d'euros - 114,8 % du PIB - au 3e trimestre 2020, lors de la présentation de France relance. Les 73 milliards de dépenses dans le cadre de France Relance n'ont que très peu contribué à cette augmentation en valeur absolue.

Le 2 septembre 2020, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire déclarait que « le rétablissement des finances publiques passe après la relance économique ». Il fixait alors 2025 comme ligne de mire : « Je souhaite que la dette publique française baisse à partir de 2025, mais jusque-là, nous aurons 120 % de dette publique. » L'Union européenne s'était placée à peu près dans la même optique en suspendant le pacte de stabilité européen, qui contraint les États membres à adopter des restrictions budgétaires ou des réformes pour que leur déficit ne dépasse pas 3 % du PIB et que leur dette soit inférieure à 60 % du PIB. C'est surtout le rétablissement de ce pacte, le 20 décembre 2023, qui a signé la fin d'une parenthèse… et le début de l'austérité.

Le plan de relance illustre la pratique typique du néolibéralisme en crise, avec les finances publiques qui viennent à la rescousse des acteurs privés, sans aucune contrepartie. Mais derrière, il faut rembourser tout cet argent, donc on serre la vis.

Le 19 février dernier, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, ministre délégué aux Comptes publics, ont donc annoncé un plan d'austérité de 10 milliards d'euros. Secteur le plus touché : l'écologie, avec 2,13 milliards d'euros de crédits annulés, dont des financements pour MaPrimeRénov', pour le chèque énergie et pour les aides à l'achat de véhicules propres. Le budget de l'Éducation nationale perd 691 millions d'euros, celui de la recherche et de l'enseignement supérieur 904 millions. L'enveloppe de l'aide à l'accès au logement se voit amputée de de 300 millions d'euros, celle pour des mesures en faveur de l'urbanisme, des territoires et de l'amélioration de l'habitat de 358 millions d'euros. Pour la santé, c'est 70 millions en moins.

Difficile de ne pas mettre en parallèle les milliards d'euros versés pour la relance et l'austérité budgétaire qui s'annonce. Pour le député (LFI) du Val-d'Oise Arnaud Le Gall, qui faisait partie du comité d'évaluation mais qui s'est désolidarisé des conclusions apportées dans le rapport final de janvier 2024, le lien entre les deux ne fait aucun doute : « Le plan de relance illustre la pratique typique du néolibéralisme en crise, avec les finances publiques qui viennent à la rescousse des acteurs privés, sans aucune contrepartie. Mais derrière, il faut rembourser tout cet argent, donc on resserre la vis au moment où au contraire il faudrait continuer à soutenir, ce qui risque d'annuler les quelques effets bénéfiques de France Relance. »

Les grands perdants de l'austérité risquent bien d'être les services publics et l'écologie : ce sont les domaines qui ont le moins bénéficié du plan de relance dont les budgets sont les plus diminués dans le plan d'austérité.

Pauline Gensel


[1] Nous avons écarté les 2,8 milliards du PIA, qui contient à la fois des dépenses pour le volet « Cohésion » et pour le volet « Ecologie », sans que l'on sache dans quelle proportion. Nous avons également mis de côté une partie de l'axe « Autres vecteurs budgétaires » du plan de relance, pour laquelle le détail n'est là encore pas disponible. En tout, ce sont donc 12,1 milliards d'euros de dépenses que nous ne pouvons pas flécher vers l'un des trois volets du plan. Et même si l'ensemble de ces 12,1 milliards d'euros correspondaient en réalité au volet Écologie – ce qui est peu probable – nous obtiendrions 27,34 milliards d'euros pour cet axe, et non les 30 donnés par la direction du budget au comité d'évaluation. Les services de Bercy n'ont pas répondu à nos demandes d'éclaircissements sur ce point.

27.03.2024 à 12:21

Liaisons dangereuses - La lettre du 27 mars 2024

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La France et la machine de guerre israélienne
Depuis le début de l'offensive à Gaza, les livraisons d'armes occidentales à Israël sont dans le viseur du mouvement de soutien à la Palestine. Dans plusieurs pays, des dockers, des syndicalistes et des militants de la société civile ont bloqué ou (…)

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Texte intégral (1684 mots)

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Bonne lecture

La France et la machine de guerre israélienne

Depuis le début de l'offensive à Gaza, les livraisons d'armes occidentales à Israël sont dans le viseur du mouvement de soutien à la Palestine. Dans plusieurs pays, des dockers, des syndicalistes et des militants de la société civile ont bloqué ou dénoncé les livraisons d'armes à destination de l'État hébreu.

Et en France ? Certaines fédérations et sections syndicales, notamment de la CGT, sont montées au créneau, et des actions ont été menées devant plusieurs sites des groupes français d'armement ayant des liens avec Israël. Les militants de Stop Arming Israel ont cartographié les usines de ces entreprises. Parmi les noms cités, on trouve Thales, Safran et Airbus, et d'autres firmes moins connues du grand public.

D'après les chiffres officiels, les livraisons d'armes françaises à Israêl (25,6 millions d'euros en 2022) restent modestes en comparaison à la totalité des ventes d'armes françaises sur cette même année (27 milliards) et aux dépenses militaires de Tsahal (25 milliards). Les autorités françaises prétendent en outre que ces exportations concernent seulement des armes défensives, qui ne sont pas utilisées dans l'offensive en cours à Gaza. C'est faux. Certaines armes et équipements français sont bien utilisés sur le terrain dans ce qui est de plus en plus largement reconnu comme une guerre à objectif génocidaire.

En outre, ces chiffres n'incluent pas les pièces et composants que l'on peut retrouver dans des drones et d'autres armes. Les médias Disclose et (MarsActu ont ainsi révélé qu'ont été exportées en octobre 2023 des équipements made in France destinés à équiper les fusils mitrailleurs de Tsahal.

Au-delà des exportations d'armes et d'équipements, les champions français du secteur de la défense ont également multiplié ces dernières années les partenariats avec le complexe militaro-industriel israélien.

Lire notre article : Les liaisons dangereuses de l'industrie française de l'armement avec Israël.

Plutôt que de se ruer sur les « métaux critiques », changer notre conception de la « transition »

Depuis quelque temps, nos dirigeants et nos industriels nous rabattent les oreilles de la nécessité impérieuse de sécuriser notre approvisionnement en « métaux critiques », voire de relancer l'exploitation minière en Europe et même en France au nom des exigences du climat et de la transition énergétique.
Mais de quelle « transition » parle-t-on ? Et cette relégitimation de l'industrie minière – aujourd'hui objet d'un vaste consensus – est-elle vraiment crédible ?

Dans son livre La Ruée minière au XXIe siècle paru en janvier dernier aux éditions du Seuil, la journaliste Celia Izoard nous rappelle que « la mine n'a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses effets sur le vivant ». De sorte que vouloir accroître la production minière ne peut qu'augmenter encore les émissions de gaz à effet de serre, en plus de continuer à détruire des territoires entiers. C'est notre conception de la transition qu'il faudrait changer.

En réalité, l'engouement actuel pour les « métaux critiques » répond avant tout à la demande des industriels européens dans des secteurs comme l'aviation et l'armement (comme nous l'avons montré dans notre rapport Du sang sur le Pacte vert ?, ainsi qu'à la perte d'influence relative de l'occident dans le monde.

Lire notre entretien avec Celia Izoard.

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En bref

Formations à l'horizon. Comment enquêter sur les multinationales ? Sur leur lobbying ? Comment décrypter et exploiter les rapports annuels du CAC40 ? Tel est le programme de la nouvelle série de formations que propose l'Observatoire des multinationales en avril-mai à Paris. Ces formations sont conçues pour un public de journalistes et de salariés et militants de la société civile. Toutes les dates et informations sont disponibles ici.

Bon anniversaire TotalEnergies. C'est le 28 mars 1924 qu'a été fondée la Compagnie française des pétroles, ancêtre de TotalEnergies, à l'initiative du gouvernement de Raymond Poincaré. L'entreprise a été créée pour gérer les parts échues à la France dans le consortium pétrolier irakien, dans le cadre du partage de l'ex empire ottoman et des intérêts économiques allemands suite à la Première Guerre mondiale. Comme quoi, quoi qu'en prétendent encore aujourd'hui ses dirigeants, le groupe pétrolier a depuis sa naissance son destin et sa prospérité étroitement liés à la complaisance de l'État français. Nous avons eu l'occasion de le montrer à plusieurs reprises (voir par exemple Comment l'État français fait le jeu de Total en Ouganda et nous avons eu l'occasion d'y revenir lors de notre récente audition au Sénat. ONG et collectifs militants ont mené de nombreuses actions ces derniers jours pour célébrer à leur manière cet anniversaire, allant jusqu'à perturber la grand fête organisée par l'entreprise au château de Versailles.

Portes tournantes. Un ex membre d'un gouvernement d'Emmanuel Macron vient une nouvelle fois de rejoindre le secteur privé, en la personne de Laurent Pietraszewski. L'ancien secrétaire d'État aux retraites devient président du conseil d'administration du groupe Casino, désormais propriété du milliardaire tchèque Daniel Křetínský. On pourrait y voir un retour à la source pour celui qui était, avant de se lancer en politique, cadre RH au sein d'un autre groupe de grande distribution, Auchan. En réalité, s'il a été recruté, c'est pour mieux faire passer la pilule auprès du gouvernement du méga-plan social qui se prépare au sein de Casino. Des rendez-vous auraient même déjà été pris, selon La Lettre, avec les ministères concernés. Une nouvelle illustration des constats que nous faisons dans notre page spéciale Les portes tournantes : la plupart des responsables publics qui vont pantoufler dans le privé n'y vont pas par « esprit d'entreprise », mais pour faire du lobbying.

Un déficit très prévisible. Le déficit public de la France pour 2023 s'établit à 5,5%, bien au-delà des prévisions du gouvernement. Celui-ci s'en sert pour justifier une nouvelle cure d'austérité dont les 10 milliards d'économies annoncés récemment ne sont que la première étape. Comment expliquer que Bercy n'ait pas su (ou pas voulu) voir venir le dérapage des finances publiques ? Selon les premiers éléments disponibles, le trou constaté s'explique par une large part par des recettes fiscales moindres qu'attendues, notamment en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés (à cause des « sociétés financières », a suggéré Bruno Le Maire). On nous avait pourtant promis que les « superprofits » étaient une bonne nouvelle pour la France, car ils permettraient d'augmenter les rentrées fiscales. Autre échec patent : la taxe exceptionnelle sur les profits des énergéticiens, qui n'a rapporté que 300 millions d'euros contre 12 milliards escomptés initialement – probablement parce que les dits énergéticiens ont pu s'arranger pour passer entre les mailles du filet. Après les multiples baisses d'impôts sur les entreprises et le capital et l'augmentation en flèche des aides publiques à ces mêmes entreprises (cf. notre initiative Allô Bercy), le déficit constaté aujourd'hui était plus que prévisible, tout comme il était plus que prévisible qu'il servirait à justifier de nouvelles régressions sociales.

Devoir de vigilance. À signaler si vous avez lu nos dernières lettres : la directive européenne sur le devoir de vigilance a finalement été adoptée le 15 mars dernier – dans une version amoindrie par rapport au projet approuvé initialement par le Conseil sous la pression de l'Allemagne, de l'Italie et de la France.

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