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Organisme national, l'OPC travaille sur l’articulation entre l’innovation artistique et culturelle, les évolutions de la société et les politiques publiques au niveau territorial

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13.03.2025 à 09:31

Faire unité de la diversité paysagère

Frédérique Cassegrain
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Non loin de la grotte Chauvet, le Partage des eaux sillonne la montagne ardéchoise sur 80 km en suivant une ligne géographique invisible que seule la narration artistique permet de révéler. À travers ce projet qu’il a conçu pour le parc naturel régional des Monts d’Ardèche, David Moinard donne à voir la fabrique d’une matrice paysagère intimement liée à son territoire et plaide pour des parcours mi-culturels mi-touristiques capables de renouveler un tourisme local afin d’arpenter et de se relier de façon sensible au paysage comme au vivant.

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Texte intégral (3188 mots)
Gilles Clément et IL Y A – Les Mires – PNR des Monts d’Ardèche – © Photo Nicolas Lelièvre

Dans les projets que vous concevez au sein de l’Atelier Delta, vous dites que la question centrale est « de raconter un territoire comme on raconterait une histoire ». Pourquoi ? Qu’apportent ces récits territoriaux ?

David Moinard : Aborder les territoires à partir du récit permet aux projets artistiques qui s’y pensent et qui s’y ancrent de ne pas être perçus comme des sortes d’ovnis, totalement déconnectés de l’endroit où ils prennent place, mais au contraire de faire en sorte qu’ils s’ajustent parfaitement à ses spécificités, à ses qualités. Ces récits racontent évidemment des choses très différentes selon les territoires, en fonction de leurs histoires, des enjeux politiques ou de l’intention de départ. Pour Estuaire, par exemple, l’intuition de Jean Blaise était que la Métropole Nantes-Saint-Nazaire n’avait pas d’existence symbolique aux yeux des habitants alors qu’elle existait déjà politiquement et juridiquement depuis un certain nombre d’années. Nous nous sommes donc demandé comment faire symbole pour unir ces deux villes en s’appuyant sur le lien géographique qui les a toujours reliées, à savoir le fleuve Loire. Il n’y avait pas de commande politique venant de la Métropole, mais cela n’a pas empêché le projet de s’incarner ensuite politiquement et de bénéficier de soutiens financiers très importants. Avec Le Partage des eaux, en revanche, la commande venait du parc naturel régional (PNR) des Monts d’Ardèche. Là, il ne s’agissait évidemment pas de « faire métropole », mais pour autant, du fait de la géographie compliquée, de l’étendue du parc et de la disparité des bassins de vie, il y avait aussi cette idée de faire unité de la diversité paysagère – ce qui rejoint cette même ambition symbolique.

S’agissant du Partage des eaux, justement, quel est le fil rouge de ce récit ?

D.M. : Pendant la phase de préfiguration du projet – qui a duré un peu plus d’un an –, je suis allé à la rencontre des nombreux acteurs du territoire afin de multiplier les points de vue : l’équipe du parc, les acteurs politiques et ceux du tourisme, des entreprises et des habitants, des associations, des hébergeurs (gîtes, hôtels, restaurateurs), des historiens, géologues, scientifiques, etc. Il est toujours intéressant de voir qu’entre différents acteurs, les points de vue et les usages du territoire peuvent parfois être assez contradictoires. J’ai parallèlement acheté des cartes à différentes échelles, routières et de randonnée – car explorer la géographie d’un territoire offre toujours un nombre considérable de clés pour le comprendre – et je me suis mis à sillonner le PNR des Monts d’Ardèche. Assez rapidement, je me suis aperçu que la ligne de partage des eaux Atlantique-Méditerranée passait au sein du parc, parfois à sa frontière occidentale, parfois en son cœur. C’est une ligne invisible dans le paysage mais essentielle pour comprendre la géographie de notre pays puisqu’elle sépare les deux grands bassins-versants de la France métropolitaine. D’un côté de la ligne, la Méditerranée est toute proche et l’érosion a donc été puissante, creusant des vallées profondes aux pentes raides qui constituent le paysage de montagne emblématique des Cévennes. De l’autre côté de la ligne, l’Atlantique est à plusieurs centaines de kilomètres et l’eau s’écoule donc lentement du plateau ardéchois, ce qui donne ce paysage doux et légèrement vallonné. La diversité paysagère s’explique donc grâce à cette ligne géographique « magique » et je me suis dit qu’elle constituait le fil rouge rêvé.

C’est à partir de cette matrice paysagère que s’est écrit le projet avec les artistes. Pour concevoir ce parcours artistique de 80 km, le long du GR7 sur la montagne ardéchoise, ils se sont nourris du regard des habitants et de tous ceux qui ont une connaissance aiguisée du territoire (géologues, historiens, géographes…) et chaque œuvre a été imaginée à partir de cette matière, pour chacun des sites choisis. Ce qui me fascine toujours autant dans la création artistique à l’aune d’enjeux territoriaux, c’est que cela permet de poser un regard totalement neuf sur les territoires qui vient renouveler celui de ses propres habitants. Ce sont ces regards sensibles qui permettent de changer une perception et de relier les gens. Je dis souvent que l’opinion divise et que le sensible relie.

Une personne regarde un paysage assise en tailleur sur une installation en bois.
Éric Benqué – Meubles pour le GR7 – PNR des Monts d’Ardèche – © Photo Nicolas Lelièvre

Gilles Clément a été le premier artiste que j’ai invité à m’accompagner, dès la préfiguration du projet. Je lui ai demandé plusieurs choses : trouver un moyen de rendre visible la ligne de partage des eaux dans le grand paysage, arpenter cette ligne pour la rendre compréhensible et palpable alors qu’elle est immatérielle et qu’elle ne se repère pas à l’œil nu. Il m’a aussi fait découvrir un texte magnifique, empli de poésie et de malice, qu’il avait écrit quelques années auparavant sur le mont Gerbier-de-Jonc, dans lequel il raconte l’ascension qu’il en avait faite l’été après une longue période de sécheresse. En fin de journée, il avait découvert de l’eau qui perlait sur la roche sans comprendre d’où elle provenait (car ce ne pouvait être ni de la rosée ni de la pluie). Il avait alors fait l’hypothèse que la source de la Loire était le mont Gerbier-de-Jonc lui-même. Constitué de basalte, ce gros rocher emmagasine la chaleur tout au long de la journée et, au contact de la fraîcheur nocturne, transforme l’humidité de l’air en eau liquide, comme le feraient les tours à eau de certains déserts arides. Nous lui avons donc demandé de matérialiser son texte par la création d’une œuvre. C’est de là que provient La Tour à eau. Fabriquée en phonolite (la roche volcanique qui constitue le Gerbier), elle a été placée pile sur la ligne de partage des eaux : à l’intérieur de cette colonne creuse se trouve un bassin qui récupère l’eau et deux trop-pleins qui se déversent, pour l’un, côté atlantique, et pour l’autre côté méditerranéen, comme si cette tour ajoutait de l’eau à chacun des fleuves, le Rhône et la Loire. La Tour à eau est une œuvre typiquement narrative, car elle raconte toute cette histoire ; elle est d’ailleurs très vite devenue l’un des symboles du plateau ardéchois – et notamment du « Pays des Sucs » – ainsi qu’un lieu de promenade pour les gens du coin.

Paysage de fleurs mauves et tour en pierres en forme d'ogive
Gilles Clément – La Tour à Eau – Sagnes et Goudoulet – PNR des Monts d’Ardèche – © Photo Nicolas Lelièvre

Ce qui me fascine toujours autant dans la création artistique […] c’est que cela permet de poser un regard totalement neuf sur les territoires qui vient renouveler celui de ses propres habitants.

Comment s’articulent dimension artistique et objectif touristique ? Est-ce que cette mise en récit du territoire engendre aussi une autre manière de penser le tourisme ?

D.M. : La dimension touristique faisait partie du cahier des charges car le parc avait obtenu des financements pour la préfiguration du projet dans un cadre précis : l’ancien exécutif régional avait mis en place un « Grand projet Rhône-Alpes » qui identifiait, dans la région, différents équipements ou projets novateurs qu’il souhaitait pousser afin d’en faire des locomotives de développements territoriaux. Il y avait par exemple la vallée de l’agriculture biologique dans le Diois et, pour l’Ardèche, l’ouverture de l’espace de restitution de la grotte Chauvet. La grotte ayant été classée au patrimoine mondial de l’Unesco très peu de temps après sa découverte, le site allait inévitablement accueillir énormément de touristes. Or, il se situe à l’endroit le plus touristique de l’Ardèche, à savoir le secteur des Gorges, qui compte déjà près de 2,5 millions de nuitées touristiques sur la période estivale. Dans la perspective de cette ouverture de la « grotte Chauvet 2 » (la plus grande réplique de grotte ornée au monde), la région avait donc proposé que des aides soient également apportées à de nouveaux projets afin que les retombées touristiques ne bénéficient pas seulement à cette zone déjà très fréquentée, mais profitent plus largement au territoire. À l’époque, le parc était présidé par Lorraine Chénot très convaincue par l’importance des projets culturels et artistiques pour un territoire. Elle souhaitait qu’une proposition artistique puisse trouver sa place dans le prolongement de la grotte Chauvet en reliant les plus anciennes traces d’art de l’humanité à la création la plus contemporaine. L’idée était aussi de déplacer les flux touristiques, dans la mesure où ils ne sont pas du tout équivalents entre le PNR des Monts d’Ardèche et les gorges de l’Ardèche. Ce ne sont ni les mêmes touristes, ni la même affluence.

Je trouve cela très sain lorsque ces deux objectifs (culture et tourisme) sont clairement liés et assumés dès l’origine d’un projet. Le monde de la culture regarde trop souvent celui du tourisme avec beaucoup de méfiance alors que chacun de nous est un touriste à un moment de sa vie ! Inversement, le tourisme a tendance à considérer que ce type de parcours artistique s’adresse d’abord à une élite et non au grand public, ce qui non seulement est méprisant mais surtout relève d’un à priori qui ne se vérifie pas factuellement. Ces deux secteurs campent sur leurs positions et entretiennent une forme de défiance l’un envers l’autre, alors que chacun a son intérêt et sa noblesse propre. Les projets artistiques tels qu’Estuaire ou Le Partage des eaux, qui placent le sensible au cœur de la démarche tout en assumant une volonté d’attractivité touristique, ont ceci d’intéressant qu’ils permettent de rompre avec les recettes toutes faites du tourisme dont le principal écueil est l’uniformisation. C’est typiquement ce que l’on voit dans de nombreux musées et écomusées aujourd’hui où tout le monde a basculé dans le « tout tablette »… ça finit par être très lassant, sans compter que ces dispositifs sont souvent en panne !

On peut créer, grâce au sensible, une émulation sans forcément entraîner une dérive de “disneylandisation”.

Quel regard portent les habitants sur des projets tels que celui-ci qui visent la mise en tourisme de leur territoire ?

D.M. : La question du lien aux habitants – même s’ils ne sont pas considérés comme des « touristes » par définition – est pour moi essentielle dans le développement du tourisme. Le premier objectif pour le succès d’une manifestation est que les habitants s’en emparent. S’ils ne deviennent pas ambassadeurs du projet sur leur territoire, ça ne prend pas et ça n’attire personne de l’extérieur. C’est pour cette raison qu’avec des propositions d’une telle ampleur, il ne faut pas rater leur inscription territoriale et la manière dont elles font écho aux désirs des habitants. Les projets artistiques doivent éveiller une curiosité, une envie. Cela a été palpable dans le cadre du Partage des eaux où il y a eu une véritable appropriation par un grand nombre d’acteurs et d’habitants. C’est également vrai pour les élus. Les premiers à avoir répondu présents sont ceux des petites communes de la montagne ardéchoise. Je me rappelle le maire de Borne, un minuscule village d’une quarantaine d’habitants, qui a perçu immédiatement que le projet était ancré et que son ambition n’était pas de satisfaire une élite citadine, mais qu’il mettait un coup de projecteur sur la montagne ardéchoise, là où d’habitude, regrettait-il, « on est souvent les oubliés ».

Ne nous leurrons pas non plus : il y a aussi systématiquement des réticences qui s’expriment de la part d’habitants ou de professionnels qui se demandent pourquoi l’on met de l’argent sur un projet artistique et pas sur la rénovation des routes ou autres actions. Je pourrais citer nombre d’exemples en ce sens. Mais je constate que lorsque la proposition est sincère par rapport au territoire et qu’elle renouvelle le regard que l’on pouvait porter sur lui, alors cela rend fier tout le monde et il arrive régulièrement que les plus rétifs au départ finissent par dire à l’artiste : « Surtout ne changez rien ! »

L’œuvre qui a fait couler le plus d’encre est celle de Felice Varini, Un cercle et mille fragments, à l’abbaye de Mazan, composée de cercles tracés à la feuille d’or sur les murs et les toits des différents bâtiments du site historique. Cette œuvre-là est très intéressante par rapport à la question du tourisme. Lorsque nous avons demandé les autorisations auprès des Monuments historiques, nous étions très incertains quant à l’issue de notre démarche, tant l’œuvre s’appuyait sur le patrimoine bâti. Mais dès la première réunion, on nous a dit en gros : « Ça fait des années que l’on veut mettre en valeur cette abbaye qui est un site historique extraordinaire sans savoir comment faire. Là, vous nous offrez une réponse sur un plateau ! » Certes, cette œuvre a ses détracteurs – ceux qui estiment que c’est du « tag » – mais elle a aussi énormément de défenseurs qui, grâce à elle, ont découvert l’abbaye, y compris des gens de la vallée de l’Ardèche qui n’avaient jamais mis les pieds dans ce site pourtant absolument magnifique ! C’est un peu la même chose avec Le Phare de Gloria Friedmann : il y a une auberge juste avant le sentier de randonnée – car c’est une œuvre que l’on découvre après une heure de marche –, et l’aubergiste dit qu’il n’y a pas une journée sans qu’un visiteur aille voir le phare. Pour moi, ces deux exemples mettent bien en valeur ce que l’alliance entre tourisme et culture peut apporter. On peut créer, grâce au sensible, une émulation sans forcément entraîner une dérive de « disneylandisation ». Il y a une autre dimension qui m’importe beaucoup : une œuvre dans un site naturel nous relie à ce qui nous entoure, aux paysages, aux éléments vivants qui les composent. Notre regard gagne en empathie grâce à l’art. Cela rejoint ce que Baptiste Morizot défend quand il écrit B. Morizot, Manières d’être vivant, Arles, Actes Sud, 2022. que la crise écologique est une crise de la sensibilité. Je m’associe complètement à cette idée et c’est vraiment ce qui m’anime dans ces projets : qu’ils activent et développent le sensible présent en chacun de nous.

Une phare bleu posé dans un paysage de verdure.
Gloria Friedmann – Le phare – Borne – PNR des Monts d’Ardèche – © Photo Nicolas Lelièvre

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27.02.2025 à 11:03

Les ruralités, un ailleurs de l’innovation culturelle ?

Frédérique Cassegrain
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Bien loin des clichés de territoires en retrait de toute vie culturelle, les ruralités ont converti certaines de leurs fragilités en réels atouts et s’affirment aujourd’hui comme des laboratoires fertiles d’expérimentation artistique. Entre itinérance, appropriation de lieux insolites et valorisation d’un patrimoine culturel immatériel, ces territoires insufflent de nouvelles dynamiques de coopération et de développement local ancrées dans les transitions.

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Texte intégral (8929 mots)
Des personnes joyeuses et festives sont devant l'œuvre la citerne-lit
La citerne-lit de Fred Sancère et Encore Heureux architectes – Fenêtres sur le paysage est un parcours artistique sur les chemins de Compostelle créé et coordonné par Derrière Le Hublot © Kristof Guez

Le regard sur les ruralités change. Elles ne sont plus des espaces de relégation On peut lire à ce propos le livre de Christophe Guilluy, La France périphérique, Paris, Flammarion, 2024 (nouvelle édition). mais des territoires de possibles, en particulier face aux enjeux de transition (alimentaire, environnementale…) Cl. Delfosse, M. Poulot, « Les espaces ruraux en France : nouvelles questions de recherche », BAGF, no 96-4, 2019 ; L. Rieutort, « Les territoires ruraux face à quatre transitions », Population & Avenir, no 761, 2023. Voir également le no 239 de la revue Pour (2021), intitulé « Des ruralités en renouvellement ».. Aussi, alors qu’il ne semblait pas y avoir de création culturelle en dehors des grandes métropoles, les ruralités s’offrent désormais comme des espaces de ressources et des territoires propices à l’innovation, comme en atteste l’attractivité qu’elles suscitent auprès des jeunes artistes Voir par exemple : Culture et recherche, no 145, automne-hiver 2023, consacré à la création artistique et l’urgence écologique ; A. Birker, La Scène, no 113, juin 2024..

Pourtant un certain nombre de carences en matière culturelle demeurent, dont la relative faiblesse des équipements, des financements ou de l’ingénierie. Face à ces insuffisances, les acteurs ruraux ont depuis longtemps su développer des stratégies, valoriser d’autres rapports aux lieux, d’autres modèles de culture et supports de création. Aujourd’hui, ces stratégies et les caractéristiques du milieu rural (faible densité relative des habitants, importance des espaces non bâtis, attaches « privilégiées à la terre », espaces boisés…) sont revendiquées. Ces spécificités nourrissent même l’invention de nouveaux « lieux » et participent aux liens entre culture et développement local – ou tout du moins entre culture et « territoire » – initiant ainsi de nouvelles formes de coopérations nécessaires pour combler le manque de moyens humains et financiers Cet article repose sur une série d’enquêtes menées depuis une dizaine d’années dans les territoires ruraux..

L’« espace » comme nouveau terrain de diffusion et de création

Dans leurs rapports aux espaces ruraux, les acteurs de la vie culturelle revalorisent des formes « traditionnelles » de diffusion auprès des habitants. C’est le cas de l’itinérance et de l’utilisation de lieux insolites et des lieux du quotidien.

Le retour de l’itinérance

Le défaut d’équipements et la faible densité relative des habitants sont à l’origine de l’importance de l’itinérance en milieu rural. Elle est ancienne pour le théâtre, le cirque, le cinéma ainsi que les bibliothèques avec leur bibliobus. Un peu oubliée ou tout du moins peu mise en avant, elle trouve un regain d’intérêt depuis quelques années. Ce renouveau tient à la fois à une volonté des acteurs culturels, aux besoins des habitants agissant dans le cadre associatif ou privé, mais aussi à des politiques publiques qui ont pour objet « l’aller vers ».

La création de l’Association nationale des cinémas itinérants (ANCI) en 2011 témoigne de ce réveil et de la volonté de valoriser et développer le cinéma itinérant souvent porté par le milieu associatif. Des collectivités territoriales s’impliquent également dans des projets nomades autour du septième art : par exemple, la région Centre-Val de Loire avec son Cinémobile qui existe depuis 1983. Géré par l’agence culturelle régionale Ciclic Centre-Val de Loire, ce camion pouvant se déployer en salle de projection d’une centaine de places « sillonne la région […] et permet au public rural de bénéficier d’un accès au cinéma à travers une programmation d’actualité et des animations ».

D’autres initiatives muséales ont vu le jour à partir des années 2000, à l’image du MuMo (Musée mobile), associant acteur privé et structures publiques (dont le Centre Pompidou). Le MuMo vise à diffuser l’art dans des territoires qui en sont éloignés comme des quartiers urbains et des espaces ruraux. Quelques fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) proposent des dispositifs ambulants, tel celui de La Réunion dont les œuvres sont transportées à travers l’île dans un container (Bat’Karé) transformé en salle d’exposition. Des associations culturelles itinérantes se font également le relais des Micro-Folies, comme l’ArtKaravane en Bourgogne. Le conseil départemental de la Haute-Saône a aussi créé une scène mobile, conçue par un designer.

Le camion MuMo se trouve sur une place devant l'église d'un village. Il est ouvert : on aperçoit à l'intérieur des papiers affichés sur les murs. On devine alors une salle d'exposition.
Le MuMo x Centre Pompidou © Quentin Chevrier

Les bibliothèques réinventent elles aussi de nouvelles formes d’itinérance. À Viriat, commune périurbaine de Bourg-en-Bresse, un triporteur à assistance électrique a été équipé afin de pouvoir charrier des livres et « accueillir en plein air lecteurs et curieux avec sept hamacs se déployant autour de lui « Un nouveau triporteur culturel pour la médiathèque : 12 rendez-vous à ne pas manquer à Viriat », La Voix de l’Ain, 17 juillet 2024.. » Il se déplace en été dans les quartiers et hameaux de cette commune très étendue.

Dans le domaine du spectacle vivant, l’itinérance connaît un engouement certain, comme le montre le dynamisme du Centre international pour les théâtres itinérants (CITI) Voir S. Frioux, « L’itinérance artistique en milieu rural. Le territoire comme terrain de jeu », Pour, no 226, 2015. Le CITI participe des réflexions sur la culture en milieu rural avec l’Ufisc.. Des politiques publiques encouragent de plus en plus les structures à la pratiquer Voir par exemple l’étude commandée par le ministère de la Culture en octobre 2022 sur la diffusion dans les zones rurales de l’offre des grands labels.. Avec la tournée de son camion « d’alimentation générale culturelle » (en référence au commerce ambulant) qui circule l’été pour présenter des spectacles aux habitants de villages de la Nièvre en s’installant sur des places, dans des hameaux ou des cours de ferme, la compagnie TéATr’éPROUVèTe [« théâtre éprouvette »] a largement contribué à réhabiliter l’itinérance en milieu rural tout en la transformant en une démarche innovante. Quant aux scènes nationales et autres structures labellisées, encouragées à rayonner sur les territoires, elles redéveloppent les coopérations ville-campagne en matière culturelle Voir par exemple : Association des scènes nationales, Un réseau de proximité. Focus sur la ruralité, mars 2024..

L’itinérance apporte davantage de liberté et permet de mêler différentes disciplines, comme l’illustre le festival la Voie des colporteurs, dans le Revermont (Ain), qui associe musique, arts du cirque, arts de la rue et théâtre. Outre la transversalité et l’hybridation des disciplines artistiques, d’autres propositions jouent aussi avec la multifonctionnalité des lieux, entre création, diffusion et formation. Ainsi, les porteurs du projet itinérant Roulottes en chantier, dans le Tournugeois (Saône-et-Loire), remédient à l’absence de lieu adapté à la diffusion culturelle tout en assurant l’enseignement des pratiques culturelles. Ils ont créé pour cela une école itinérante fondée sur les arts du cirque, avec des intervenants en théâtre, danse, arts plastiques, land art, et proposent « aux communes rurales un espace adapté à la pratique, la transmission, la création, la production et la diffusion culturelle Tournugeois vivant, La richesse culturelle du TournugeoisEnquête citoyenne, novembre 2022. ».

En aménageant des lieux culturels éphémères plus ou moins intimistes (camion, bus, caravane, camping-car, container, roulotte, yourte), l’itinérance permet donc non seulement de pallier l’absence de lieux dédiés, mais implique aussi différemment habitants et public potentiel par la mobilisation de bénévoles d’associations de village et d’élus. En effet, ceux qui pratiquent l’itinérance soulignent qu’elle diffère d’une « simple » tournée puisqu’elle suscite une interaction au plus proche de la vie du territoire Voir les débats portés par l’Ufisc et le CITI à Rennes en 2024 : L’itinérance : un enjeu de politique culturelle et de transition écologique.. C’est en ces termes que l’envisagent les responsables du MuMo : « il n’y a plus la dimension parfois intimidante de l’institution culturelle. Le camion vient au centre du village ou dans le quartier, presque comme le camion pizza ! ICOM, Le musée est dans le pré : musée et « ruralité », Paris, Comité national français de l’ICOM (Conseil international des musées), 2024. ».

La pratique de l’itinérance fait également l’objet de projets d’artistes qui voient là un autre moyen de créer, de vivre et de dialoguer avec les habitants de façon « nomade ». Comme l’explique Marion Fabien, plasticienne en résidence à La chambre d’eau (Nord) : « L’idée d’itinérance avec un âne, c’est une forme de mobilité douce qui laisse le temps aux paysages de se dérouler et aux rencontres de se produire, au rythme et au gré de la marche.  […] J’avais une double envie : traverser la Thiérache et échanger avec des personnes autres que celles que j’accueille dans mon atelier fixe Citée dans R. Sourisseau, Enjeux et pratiques de l’éducation artistique et culturelle en ruralité, Le Favril, La chambre d’eau éditions, 2023.. » L’opérateur culturel portant un projet dédié aux arts chorégraphiques contemporains Format, installé en Ardèche, revendique, lui aussi, de ne pas avoir de point fixe et d’intervenir dans de multiples lieux souvent inattendus (pour la diffusion et la transmission), impulsant de la sorte un territoire de danse « vivant, vibrant et en constante évolution Extrait de la présentation sur le site Internet de l’association. ».

Un container jaune est situé à côté d'une route et de bâtiments. Sur son toit, il est écrit : " Exposition ". Autour, des personnes circulent.
Le Bat’Karé du FRAC Réunion © Brandon Gercara

Des lieux insolites à ceux du quotidien

L’importance des espaces non bâtis en milieu rural et la place qu’y occupe la « nature » offrent des lieux de diffusion de la culture atypiques : rivières et lacs pour des concerts sur l’eau, théâtres de verdure, balades contées, centres d’art « en extérieur » (à l’instar du Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière), festivals en forêt (tel Vent des forêts dans la Meuse qui existe depuis 1997)… Dans ce dernier cas, comme pour le festival de l’Arpenteur, « l’espace » et ses caractéristiques sont des lieux inspirants et peuvent même fournir les matériaux à la création. Dans le massif de Belledonne, le festival de l’Arpenteur, porté par l’association Scènes obliques depuis 1996, se réclame de la montagne et de la pente et ne cesse d’inventer de nouvelles terrasses scéniques (son mot d’ordre : « théâtre pentu, parole avalancheuse »).

Bien que rares, ces initiatives constituent dorénavant des formes de modèles ; les « caractéristiques naturelles » des territoires tendent à devenir des sources d’inspiration, de création et des lieux de diffusion instaurant une conception différente de la relation du spectateur. C’est le cas du parcours artistique le Partage des eaux conçu par David Moinard et mis en œuvre par le parc naturel régional des Monts d’Ardèche. Circuit « à ciel ouvert » accueillant des œuvres créées in situ, il mobilise différentes disciplines artistiques (sculpture, design, vidéo, paysagisme) et s’articule aux lieux patrimoniaux et culturels du territoire (notamment à travers son festival, Les Échappées, associant une dizaine de lieux d’art contemporain). Avec ce parcours artistique qui se découvre le long d’un chemin de grande randonnée, cette fois, ce n’est plus le lieu culturel qui est itinérant mais le public ; un public de randonneurs, à la fois local et composé de visiteurs venus intentionnellement. Cette proposition permet donc d’aller au-devant des marcheurs, de faire « bouger » et marcher le public. Il promeut une autre connexion à l’art, à la création et à l’environnement, car il leur associe une réflexion sur les paysages. Ce lieu « itinéraire » dans un espace naturel mobilise toute une catégorie de créateurs que l’on rencontrait jusqu’alors principalement dans les villes « créatives ».

De même qu’en ville, en milieu rural, des endroits désaffectés ont pu se convertir en lieux culturels : patrimoine monumental extraordinaire (en Auvergne-Rhône-Alpes, les abbayes de La Chaise-Dieu et d’Ambronay sont devenues des haut lieux festivaliers), anciens bâtis agricoles ou encore usines à l’abandon (comme à Saint-Julien-Molin-Molette dans la Loire Cl. Delfosse, P.-M. Georges, « Artistes et espace rural : l’émergence d’une dynamique créative », Territoire en Mouvement, 2013, no 19/20.). À présent, d’autres types de lieux en déshérence trouvent de nouveaux usages : un des anciens sanatoriums d’Hauteville-Lompnes, dans le Haut-Bugey, a été racheté par un groupe d’artistes plasticiens. Ils en ont exploité les vastes espaces et l’ont transformé en pôle de création et de diffusion culturelle en lien avec le Centre d’art contemporain de Lacoux installé à quelques kilomètres dans une ancienne école. Cette implantation fait désormais de ce territoire en crise un lieu de référence de l’art contemporain et contribue à en changer l’image.

Enfin, la culture peut investir temporairement – voire sur un temps long –, des lieux du quotidien, à l’image des arts de la rue qui ont pris leur essor en milieu rural. Des festivals de spectacle vivant ou d’arts visuels prennent place dans des espaces publics, des commerces, des trains ou des gares On peut citer par exemple le festival Veyn’Art. Voir Lison Bougard, « Quand un festival culturel vient soutenir les mobilisations citoyennes pour la pérennisation du ferroviaire en milieu rural : le Veyn’Art dans la vallée du Buëch », Pour, no 249-250, 2024., des jardins publics et privés, s’invitant même chez l’habitant Voir les travaux de Diane Camus, dont « Les artistes-habitants dans les territoires ruraux. À la reconquête des lieux », dans l’ouvrage collectif Cultures et ruralités. Le laboratoire des possibles, Toulouse, Éditions de l’Attribut, 2019.. Ainsi, lors des Journandises, festival d’arts visuels créé en 2005 par une équipe de bénévoles qui souhaitait accueillir des artistes dans des lieux insolites pour sensibiliser le plus grand nombre à la pratique artistique, les œuvres investissent aussi bien les lieux publics du village de Journans dans l’Ain (lavoir, place, fontaines, etc.) que les lieux privés (jardins, granges, maisons). Cette scénographie permet au public de discuter librement au cours de ses déambulations avec les artistes Interview de Chantal Farama, commissaire de l’exposition Journandises 2024, RCF radio, 13 mai 2024., et ceux-ci impliquent les habitants dans le montage d’une exposition, voire dans leur création. Lors de l’édition 2024, ils ont été sollicités pour collecter et apporter des ceps de vigne (Journans est un village viticole du Bugey), des ficelles, etc., afin de réaliser des mobiles conçus sur place et présentés dans l’ancien lavoir. Tous les artistes le soulignent : ces lieux non dédiés font venir des publics qui ne franchiraient pas le seuil d’un « haut lieu » culturel et facilitent leur participation.

En 2021, dans le cadre du festival F(r)iction du Réel, la commune de Die a été au centre d’une proposition artistique (Ville pivotée) orchestrée par le Groupe ToNNe, compagnie de théâtre de rue. Pendant plusieurs semaines, il a été raconté aux habitants – preuves à l’appui diffusées dans les médias – que la ville allait pivoter sur elle-même d’un quart de tour. Avec la complicité du personnel municipal, des éléments tangibles venaient appuyer le récit (lignes tracées dans la ville, stands d’informations avec blocagrammes et autres cartes, panneaux lumineux, etc.) pour révéler qu’un phénomène géologique millénaire était sur le point de se produire : la grande rotation. « Plus que de faire croire, il s’agit d’amener une dimension fictive et absurde dans l’appréhension de la ville, de vivre une aventure avec les bénévoles et les habitants, qui décale la perception et fait pivoter la réalité l’espace de quelques jours Pour plus d’information sur ce projet de mystification urbaine, voir le site de la compagnie.. » Cette fiction impliquant l’ensemble des habitants dans leur quotidien a fait entrer une création culturelle dans leur vie de tous les jours et l’a bouleversée, ainsi que la troupe en rend compte : « Nous souhaitions […] raconter une histoire à la ville et faire théâtre ensemble. Nous voulions également que chacun puisse se questionner sur son rapport à son lieu de vie, à ses voisins, à l’information et la désinformation, aux rumeurs, etc. Extrait du site Internet du théâtre de la ville de Die.

On le voit, itinérance et utilisation d’espaces insolites en milieu rural renouvellent le rapport aux lieux culturels et à la culture. Ce ne sont donc pas seulement des façons de pallier les « handicaps » des territoires ruraux, ce sont aussi des supports d’innovation en matière de diffusion et de participation. On pourrait ajouter que la petitesse des salles existantes se transforme en avantage quand elle permet aux artistes de « roder » des spectacles, de même que les petites jauges ont contribué à réhabiliter des disciplines artistiques oubliées ou méprisées tels que la marionnette ou le conte. Si les caractéristiques des ruralités peuvent être perçues comme des obstacles limitant les financements (l’absence d’équipement culturel rend plus difficile l’obtention régulière de subvention) ou les formes proposées (le directeur du théâtre de Die explique que son plateau ne peut compter plus de douze artistes), elles revêtent des atouts indéniables pour la création et les relations au public.

Oeuvre géométrique vue de dessus.
L’Arbre collégial de l’Observatorium – Fenêtres sur le paysage est un parcours artistique sur les chemins de Compostelle créé et coordonné par Derrière Le Hublot © Kristof Guez

Une autre histoire du rapport aux lieux : la multifonctionnalité et l’hybridation

La multifonctionnalité des lieux concerne à la fois les équipements culturels, notamment les bibliothèques en milieu rural, et, nous l’avons vu, des lieux non voués à la culture qui se dédient de façon épisodique à la diffusion culturelle. Elle s’incarne également dans de nouvelles formes, renforçant l’hybridation.

L’émergence des tiers-lieux

Les bibliothèques en milieu rural ne cessent de se réinventer. Elles prêtent livres, disques, vidéos, jeux (devenant ainsi ludothèques), et même instruments de musique Exemple cité dans Fr. Lucchini, L. Jordan (dir.), Atlas des bibliothèques territoriales. Direction de l’information légale et administrative (DILA), ministère de la Culture, 2024.. Plusieurs bibliothèques rurales s’adjoignent des grainothèques À Saint-Jean-en-Royans, la grainothèque située dans la bibliothèque permet de toucher un autre public. Venus pour se procurer des graines, ces usagers empruntent désormais des livres. En circulant dans la médiathèque afin d’accéder au troc de plantes, la découverte du lieu par des non-habitués est également renforcée.. Les bibliothèques-médiathèques proposent des expositions, des conférences, des résidences d’écrivain et des animations. En plus d’être des lieux multifonctionnels pour la culture, elles s’avèrent souvent des lieux importants de sociabilité. De plus en plus de médiathèques prennent en charge différents services aux usagers avec des formations au numérique, partageant parfois leurs locaux avec France Services (citons, par exemple, la médiathèque-ludothèque de Saint-Jean-en-Royans qui abrite La Poste). Aussi peut-on considérer les bibliothèques comme de véritables tiers-espaces A. Jacquet, « Les bibliothèques rurales, un enjeu pour la vitalité des territoires », L’Observatoire, no 52, 2018..

La polyvalence des lieux concerne essentiellement les salles des fêtes et des cafés. En l’absence d’équipement culturel dans les petites communes, les premières se transforment en lieux de pratique culturelle et de diffusion (ce qui comporte avantages et inconvénients) et peuvent être totalement travesties pour restituer la magie des lieux de spectacle Voir l’intervention de la directrice de la scène nationale de Foix, lors des Journées de Rennes, 2024, sur l’itinérance. . Quant aux cafés, s’ils sont de longue date des lieux de diffusion – ils ont été, au début du XXe siècle, des salles de cinéma temporaires –, cette tendance s’intensifie depuis une trentaine d’années. Porté par des associations d’éducation populaire, le festival Tinta’mars, à Langres et en Pays de Langres, propose depuis trente-cinq ans des cabarets-théâtres dans les cafés, avec la collaboration du PNR du Morvan pour mettre en avant des spectacles culturels. Inscrit dans le programme européen de développement rural (Leader), le réseau Bistrot de pays est né en 1993 dans le territoire de Forcalquier-Montagne de Lure et a essaimé depuis dans toute la France. Ce label encourage la multifonctionnalité des cafés en milieu rural, en soulignant leur rôle dans l’animation – le cahier des charges comporte d’ailleurs un volet culturel. On peut aussi rattacher cette dynamique au développement des cafés-librairies qui a émergé au début des années 2000 en Bretagne ou au Réseau des cafés culturels et cantines associatifs créé en 1998. Tous ces lieux hybrides qui voient le jour ont le plus souvent une fonction culturelle. À cet égard, un bénévole d’une commune du Tarn raconte que « pour sauver un village situé dans les montagnes, nous avons racheté un hôtel-restaurant en voie de fermeture pour y monter une bibliothèque publique-café internet-galerie d’exposition-salle de concert Intervention lors du séminaire en ligne « Le musée est dans le pré ! », mai 2024. ».

Une étude conduite en Nouvelle-Aquitaine  montre que la quasi-totalité des tiers-lieux qui se développent en milieu rural ont une offre artistique et culturelle : expositions, plus rarement ventes de paniers culturels, spectacles-concerts, résidences d’artistes ou festivals. L’importance de la culture est corroborée par les enquêtes de l’Observatoire des tiers-lieux. La trajectoire du « lieu » de Chirols est à ce titre intéressante : d’un écomusée visant à réhabiliter une ancienne usine de moulinage de la soie dans la Cévenne ardéchoise, le lieu est devenu un projet collectif mêlant habitat partagé, culture, artisanat d’art…

La plupart des tiers-lieux qui s’adjoignent le qualificatif de « culturels » ont été créés par des artistes venus s’installer en milieu rural. De la culture aux autres activités qui y prennent place, on retrouve cette même dimension multifonctionnelle Sur les tiers-lieux en milieu rural, voir par exemple J.-Y. Pineau, « Les tiers-lieux et les cafés associatifs, laboratoires des territoires ruraux », Nectart, no 7, 2018.. Par exemple, au-delà de la seule diffusion ou programmation culturelle, le Bouillon Cube – La Grange dans l’Hérault qui accueille des résidences d’artistes, se trouve être aussi un centre de loisirs pour enfants. Cette deuxième vocation cherche en effet à agir en faveur des familles et des jeunes. Il est devenu un espace de vie sociale agréé par la CAF « Les espaces de vie sociale ont vocation à renforcer les liens sociaux et les solidarités de voisinage en développant, à partir d’initiatives locales, des services et des activités à finalité sociale et éducative. Ils concourent à la politique d’animation de la vie sociale des Caisses d’allocations familiales. », Les espaces de vie sociale, guide méthodologique de la CAF.. Nombreux sont les tiers-lieux culturels à posséder à présent cette accréditation. C’est le cas de la Grange aux parapluies, située dans un bourg de la Bresse de l’Ain, qui a depuis 2014 pour objectifs « de permettre l’accès à la culture, promouvoir l’ouverture et permettre le lien entre tous », tout en engageant des « partenariats avec les structures et les associations de loisirs ». La réussite de ces lieux passe par cette collaboration avec le tissu associatif local, mais aussi par leur caractère festif et les échanges qu’ils permettent à travers divers ateliers ou animations. En croisant culture et loisirs On pourrait citer aussi le tiers-lieu, espace de vie sociale La convergence des Loutres, dans les Côtes d’Armor., ils hybrident les formes et renforcent l’importance de la culture festive en milieu rural. Ils se substituent aux comités des fêtes ou collaborent avec eux, ces derniers n’étant pas toujours aussi « routiniers » qu’on ne le pense et pouvant, au contraire, être des sources d’innovation comme Nina Aubry a pu le montrer dans sa thèse N. Aubry, Initiatives festives et trajectoires territoriales en Mayenne : la dimension spatiale des dynamiques relationnelles, thèse de géographie, université d’Angers, 2023..

Enfin, certains tiers-lieux réinventent les relations entre agriculture et culture et soutiennent une réflexion sur le développement du territoire. C’est le cas des tiers-lieux paysans ou nourriciers associés à une exploitation agricole qui développent des actions culturelles. Le tiers-lieu paysan de la Martinière dans le Roannais associe réflexions sur l’agriculture biologique, l’avenir du territoire dans son lien à l’alimentation et à la culture (avec le design notamment), les solidarités, etc. Il accueille des activités culturelles et organise un festival.

Un renforcement des liens entre culture et agriculture ?

En milieu rural, les liens entre culture et agriculture sont anciens et la politique culturelle a été fortement portée par le ministère de l’Agriculture Cl. Delfosse, « La culture dans les ruralités : lieux et réseaux », dans Y. Jean, L. Rieutort (dir.), Les Espaces ruraux en France, Paris, Armand Colin, 2018.. Les lycées agricoles, issus des lois d’orientation agricole, ont des professeurs d’éducation socioculturelle et ont inscrit dans leurs missions un rôle de diffusion culturelle. Le lycée agricole de Venours (Vienne) dispose même d’un centre d’art contemporain, Rurart, sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. Ces liens imbriqués tiennent aussi au fait que d’anciens bâtiments agricoles ont trouvé une nouvelle vocation culturelle et que certaines exploitations encore en activité accueillent des spectacles ou des festivals. On peut mentionner Les Fermades, soirées « spectaculinaires » imaginées par l’Association pour la promotion des agriculteurs du parc du Vercors et le parc naturel régional du Vercors au début des années 2000. On pourrait citer également, financées par le programme européen Leader, les Agri-culturelles de l’Ardèche verte. Des spectacles sont proposés au sein d’exploitations agricoles grâce au travail partenarial mené entre un collectif d’agriculteurs et deux structures culturelles : Quelques p’Arts, centre national des arts de la rue et de l’espace public, et La Presqu’île/SMAC 07. Ce type d’action a fait école et les festivals se déroulant dans des exploitations agricoles se sont largement diffusés.

On assiste donc de manière grandissante à l’élaboration de liens forts entre culture et agriculture, comme l’illustre l’exemple de la SMAC Run-ar-Puns. Née en 1978 de l’envie d’un fils d’agriculteur de s’éloigner du monde agricole, de faire de la musique et d’accueillir des musiques actuelles dans la Bretagne des monts d’Arrée près de Châteaulin, cette SMAC connaît maintenant « un retour à la terre ». L’ensemble des locaux de la ferme ainsi que des parcelles agricoles ont été rachetés, avec des financements participatifs, pour recréer une production professionnelle sur les terres attenantes au hameau (en polyculture élevage comme avant la modernisation agricole) et la SMAC noue des partenariats avec d’autres acteurs agricoles du territoire. On pourrait citer également l’association Polyculture fondée en 2008, résultant de la rencontre entre les agriculteurs de la ferme de Vernand et des habitants du territoire, proches ou plus éloignés, autour d’un projet culturel Dès 2009, un cycle d’art contemporain est mis en place sur la ferme, réunissant des artistes autour d’un parcours temporaire, ouvert pendant trois jours, jalonné de représentations ou de performances. La réussite de cette manifestation, les réflexions et le parcours professionnel des enfants des exploitants agricoles a abouti depuis 2023 à l’ouverture d’un sentier permanent dénommé Parc agricole et culturel de Vernand qui permet de « découvrir les paysages agroécologiques du site principal de la Ferme de Vernand et les installations artistiques qui le ponctuent progressivement depuis 2020 ».. Il s’agit donc de sensibiliser à de nouvelles formes de production, de donner à voir l’agriculture vertueuse mais aussi de favoriser la création et la diffusion culturelles en milieu rural.

Le retour à la terre est une motivation forte de l’installation des acteurs culturels en milieu rural Joanne Clavel explique que « les gestes nourriciers déplacent la création en danse qui s’installe dans des fermes comme Geste de terre de Patricia Ferrara », J. Clavel, « Effervescences écologiques des arts chorégraphiques contemporains », Culture et recherche, no 145, automne-hiver 2023, ministère de la Culture.. La volonté de réinventer celui-ci donne naissance à des formes polymorphes à la fois agricoles et culturelles.

Innover pour s’ancrer : faire territoire

Qu’ils soient implantés ou nouveaux venus, les acteurs culturels portent des dynamiques d’innovation s’inscrivant dans la nécessité de faire territoire. Ils réactivent le patrimoine culturel immatériel et s’associent à des projets de développement local. « [Nous nous attachons à] révéler le potentiel de ce territoire rural qu’est le Nivernais Morvan en redonnant du sens à la proximité. Avant d’être pauvres de ce qui nous manque, nous sommes riches de ce que nous possédons d’où l’intérêt de s’interroger fortement sur le lieu où nos pieds sont posés. ». C’est en ces termes que Jean Bojko, poète et fondateur de TéATr’éPROUVèTe, décrivait sa démarche « Avec le théâtre, à travers le théâtre, pour le théâtre, par le théâtre », entretien avec Jean Bojko, propos recueillis par Jérôme Lequime, Vents du Morvan, no 32, décembre 2013..

Le patrimoine immatériel comme ressource

La création dans les territoires ruraux pose la question du rapport à l’histoire des lieux, aux ressources existantes ou abandonnées Voir la chaire Mutations et innovations territoriales de Corte, en collaboration avec le FRAC de Corse, lors de la journée consacrée au dialogue entre arts et ruralités, mars 2024. et remobilise ainsi les savoir-faire ruraux qui peuvent par ailleurs faire l’objet d’une certaine idéalisation. Ces ressources, outre les liens à l’agriculture et au vivant, supposent souvent la réactivation d’éléments du patrimoine culturel immatériel.

Lorsque les savoir-faire sont sources de création, comme le soulignent les organisateurs du festival Campagne Première, il n’est pas question d’être nostalgique : « Cette nouvelle édition est centrée sur l’un des piliers de la vie rurale : les gestes manuels, notamment ceux issus du travail agricole. […] Les gestes de ces hommes et de ces femmes qui ont marqué de leurs empreintes notre culture, nos territoires et les paysages de campagne et de montagne qu’ils ont eux-mêmes façonnés. […] Les onze artistes invités s’emploient à valoriser notre patrimoine immatériel en prolongeant ces traces de vécus pour les incarner dans de nouveaux répertoires de formes et d’usages Présentation de la nouvelle édition du festival Campagne Première 2024 et de l’exposition collective D’aussi loin que je me souvienne.. » Dans le cadre de ce festival, un artiste s’est intéressé à un fromage local, en travaillant sur l’idée de fermentation. D’autres se sont inspirés à la fois d’un élément significatif du patrimoine bâti bressan, les cheminées sarrasines et la construction en terre. Ils utilisent des traits identitaires forts pour favoriser la rencontre avec les habitants et s’inscrire dans le territoire.

Exposition « Feu semblant » de Barreau et Charbonnet à la ferme de la Forêt (Courtes) dans le cadre de Campagne Première 2024 – Commissariat : Fanny Robin. © Barreau et Charbonnet

Les acteurs culturels réhabilitent non seulement des savoir-faire (par exemple architecturaux, ou encore liés à la « gestion du vivant », à l’agriculture et aux paysages), mais aussi des métiers qui refont sens à l’heure des nécessaires transitions La première revue d’art éditée par Polymorphe.corp leur était consacrée.. L’association Derrière le hublot s’y emploie également dans le cadre de ses créations (« Ces œuvres naissent des matériaux du territoire et doivent surgir de savoir-faire https://auvergnerhonealpes-spectaclevivant.fr/wp-content/uploads/2022/02/RS_Itinerance_St-Marcellin_Septembre-2021.pdf »). On peut aussi citer, dans cette même lignée, la coopération associant le centre de formation Lainamac à Felletin et la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson autour de la réhabilitation des savoirs de transformation de la laine qui donne lieu à des créations artistiques M. Gbonon, « Reconnexion des filières agricoles et des filières artisanales et semi-industrielles : quelle stratégie territoriale pour le cluster laine de Nouvelle-Aquitaine RésoLAINE ? », Pour, no 249-250, 2024..

La citerne-lit de Fred Sancère et Encore Heureux architectes – Fenêtres sur le paysage est un parcours artistique sur les chemins de Compostelle créé et coordonné par Derrière Le Hublot © Kristof Guez

Dans d’autres cas, la redécouverte de ces savoir-faire n’est pas uniquement source de création artistique, témoignage d’un passé révolu, mais suppose une réflexion sur de nouveaux modes de développement territorial. Ainsi le directeur de La chambre d’eau, située dans l’Avesnois (Nord), précise : « À rebours de dimensions folklorisantes ou passéistes, la mobilisation des savoir-faire manuels apparaît fortement corrélée aux enjeux écologiques actuels. […] Au-delà de la transmission et du réapprentissage des gestes les savoir-faire posent la question de la gestion des ressources, de la nécessaire mutation de nos modes de vie et de notre capacité d’autonomie V. Dumesnil, « Des artiste défricheurs d’espaces d’implication citoyenne », dans R. Renucci, Culture, démocratie et territoire : vers une commune humanité, La Librairie des territoires, 2023..» C’est de cette façon, que La chambre d’eau et ses artistes en résidence ont travaillé avec des artisans et des charpentiers. Une action a également été menée par un collectif d’artistes et un groupe d’élèves d’un lycée agricole en vue d’une intervention sur le paysage à partir du plessage de la haie.

Enfin, la redécouverte du patrimoine immatériel passe par la transmission des noms de lieux qui tendent à être oubliés. Les « ranimer » participe de l’ancrage des acteurs culturels et des habitants ; un ancrage débarrassé de toute vision nostalgique.

La culture comme projet de territoire

Si, dans un premier temps, les acteurs culturels sont souvent contraints de s’investir sur un territoire sans ingénierie culturelle et financements dédiés, ce « handicap » est vite dépassé grâce à leur inscription dans les politiques de développement local, leur implication et les liens qu’ils tissent avec les habitants ; des liens qui ne sont pas que culturels.

Pour encourager les dynamiques locales, ces acteurs s’appuient sur l’héritage de l’éducation populaire. C’est ce que remarque Fred Sancère qui parle de « couteau suisse » à propos de son association Derrière le hublot : « Sa multifonctionnalité (acteur culturel, acteur de l’éducation populaire, acteur social…) lui permet d’agir sur son écosystème en l’interrogeant et en l’enrichissant. L’association revendique d’être un outil de transformation sociale et endosse une mission citoyenne tout à côté de l’institution Fr. Sancère, « “Derrière le hublot, une utopie de proximité”. On n’arrête pas les enfants qui rêvent ! », dans Culture et ruralités, Éditions de l’Attribut, 2019.»

Par ailleurs, les acteurs culturels peuvent composer avec leurs « bassins de vie », des « petits territoires historiques » ou « spécifiques », reprenant parfois les limites « physiques » ou imposées par le milieu naturel. Tel est le cas, par exemple, du festival itinérant La Voie des Colporteurs qui prend de plus en plus d’ampleur, avec des objectifs élargis, et tend à devenir un lieu de réflexion et d’animation permanent du territoire. Il intervient dans le Revermont (partie « montagnarde » de la communauté d’agglomération de Bourg-en-Bresse), à la forte identité, qui fait l’objet d’un mouvement de renouvellement de sa population. Il collabore notamment avec des associations afin de penser les transitions sur le territoire et trouver des alternatives à la gentrification de certaines communes, notamment les plus proches de Bourg-en-Bresse.

D’autres expériences se jouent des limites et explorent de nouvelles formes de coopérations. C’est le cas des Géorgiques, portées par l’association Le Belvédère à l’échelle de la vallée du Lot. En référence au poème de Virgile, dédié à la culture de la terre, à l’élevage et à l’apiculture, ce projet propose rencontres et expérimentations ponctuelles, organisées tout au long de l’année dans plusieurs localités du Lot-et-Garonne et sur ses rivières. Son originalité réside dans le croisement entre approche artistique et recherche, associant élus, habitants, chargés de mission en développement… Il mobilise le concept de « mésologie Science des milieux, qui étudie de manière interdisciplinaire la relation des êtres vivants en général, ou des êtres humains en particulier, avec leur environnement (définition donnée sur Wikipédia) [NDLR]. », valorise et mêle les savoirs scientifiques, artistiques et vernaculaires, en particulier les formes d’expertise de savoir informels sur le milieu : des pêcheurs pour échanger avec un écologue, mais aussi un professeur d’histoire pour découvrir l’origine des toponymes. En transcendant les limites administratives et organisationnelles d’un territoire, défini ici comme un milieu socioculturel et environnemental, il permet d’en revisiter la notion même.

Ce projet illustre également de nouvelles formes de coopération ville-campagne qui ne mettent pas les villes au centre, mais contribuent à réhabiliter (et à animer aussi) des petites villes dans une partie du territoire où elles sont fragiles.

Dans cet exemple comme dans d’autres, l’ancrage rime avec « avant-garde », nouvelle façon de penser la vie dans les ruralités et le rôle que peut y jouer la culture dans ses différentes dimensions : créative, mais aussi anthropologique, festive, de lien social et de lien au vivant. Ce que nous avons vu à l’échelle de lieux d’hybridation peut se traduire à l’échelle d’un projet de territoire. Participation, revendication du patrimoine culturel immatériel, identité vécue comme une ressource, projets alternatifs, se retrouvent dans les ruralités quand il est question de parler de culture. Se pencher sur la dynamique culturelle des territoires ruraux en mesurant ce qui les différencie les uns des autres serait un chantier intéressant à poursuivre.

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20.02.2025 à 10:10

Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?

Aurélie Doulmet
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Soixante-dix bibliothèques ont été incendiées dans les banlieues parisiennes entre 1996 et 2013. Partant de ce constat, Denis Merklen s’est interrogé sur la signification de cette violence tournée vers ces institutions. Plutôt que de réduire ces attaques à une explosion de violence incontrôlable, il les replace dans un conflit de nature politique. Les bibliothèques, malgré […]

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Soixante-dix bibliothèques ont été incendiées dans les banlieues parisiennes entre 1996 et 2013. Partant de ce constat, Denis Merklen s’est interrogé sur la signification de cette violence tournée vers ces institutions. Plutôt que de réduire ces attaques à une explosion de violence incontrôlable, il les replace dans un conflit de nature politique. Les bibliothèques, malgré les bonnes intentions des personnels qui les animent, sont perçues comme des représentantes de l’autorité des pouvoirs publics et concentrent la haine. Comment ont-elles évolué en dix ans pour répondre à ces tensions ? Des institutions culturelles ont été prises pour cible lors des émeutes de 2023. Peut-on mobiliser la même grille d’analyse qu’en 2014 ? 

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