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01.06.2023 à 13:10

Expliquer « l’antisémitisme ukrainien » et la diplomatie de l’Holocauste

Elody Ramos

Les autorités ukrainiennes ont profité de la Journée internationale de commémoration de l'Holocauste pour rappeler au monde les souffrances historiques et actuelles de leurs compatriotes.
Texte intégral (2271 mots)

L'histoire juive ukrainienne est devenue un nouvel instrument des affaires étrangères

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Zelensky in Babyn Yar

Zelensky au mémorial de l’Holocauste de Babi Yar à Kiev, 27.02.2023

Le 27 janvier, afin de célébrer la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, le chœur des forces armées ukrainiennes a publié une vidéo YouTube présentant des militaires ukrainiens interprétant un chant hébreu sur le lieu d’un des massacres de l’Holocauste les plus importants d’Europe, qui depuis, est devenu un lieu de commémoration. La vidéo présente un mélange complexe de symboles. Pendant un instant, la caméra se concentre sur l’un des insignes d’un chanteur représentant une tamga, écusson des Tatars de Crimée, près d’un trident, l’un des symboles de l’État ukrainien. Cette vidéo se déroule dans le contexte où Moscou affirme avoir attaqué l’Ukraine pour « dénazifier » l’État.

La symbolique de la vidéo est multiple : La chanson « Halikha LeKeisarya » (1942), a été écrite par la poétesse israélo-hongroise, Hannah Szenes (Senesh), résistante, capturée et exécutée en 1944 à Budapest à l’âge de 23 ans. La chanson est associée à la Journée nationale de la mémoire des victimes de l’Holocauste d’Israël, où elle est interprétée chaque année, ce qui signifie que les auteurs du clip vidéo avaient prévu d’adresser leur message à un public international.

La vidéo a été filmée à Babi Yar, un site tristement célèbre du génocide de masse de Kiev. Des milliers de juifs et de Roms de Kiev ont ici été abattus par les Nazis et abandonnés dans les ravins ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques, des nationalistes ukrainiens et parfois des collaborateurs nazis souvent eux-mêmes accusés d’être responsables de l’Holocauste. Babi Yar a ses deux propres jours de commémoration, les 29 et 30 septembre, où les citoyens font le deuil de près de 33 770 juifs assassinés par les nazis sur ce site.  

Au vu de l’invasion actuelle de la Russie en Ukraine, célébrer cette journée et l’histoire de la communauté juive en Ukraine a été particulièrement important en 2022 et 2023. Les conflits internes et les oppositions ont été mis de côté puisque les organismes et les groupes ont exprimé ensemble leur tristesse au sujet de la guerre actuelle plutôt que face aux terreurs du passé.

Zelensky : à la recherche d’un symbole fort

Depuis le 24 février 2022, alors que Moscou s’attaque à l’Ukraine, Kiev est à la recherche de moyens pour contrer la propagande russe. L’une des stratégies de l’État ukrainien consiste à mettre en lumière les différents génocides qui ont eu lieu sur son territoire. Il s’agit notamment de la famine du début des années 1930 causée par Staline, connue sous le nom de l’Holodomor, de l’Holocauste ainsi que de la guerre et de l’occupation russe actuelle qui aurait jusqu’à présent coûté la vie de plus de 7 000 civils en Ukraine.

Ces derniers temps, chaque discours officiel ukrainien évoquant l’extermination des juifs par les Nazis établit des liens avec les atrocités russes en Ukraine en 2022.

En termes de politique internationale, il est presque impensable de comparer l’Holocauste avec quoi que ce soit d’autre : c’est dans le meilleur des cas un manque d’empathie, dans le pire, un déni de l’Holocauste. C’est exactement ce qui a été reproché au président ukrainien Volodymyr Zelensky par de nombreux politiciens israéliens après son discours Zoom pour le Parlement israélien lors du premier mois de l’invasion russe.

Mais comme Zelensky descend lui-même d’une famille juive qui a souffert des brutalités nazies, il pense probablement que son histoire personnelle lui donne le droit d’établir ce lien. 

Ce n’est cependant pas Zelensky qui a engagé les comparaisons, et pas même lui qui a mis en avant ses origines juives. Juste après l’attaque russe en Ukraine, dès qu’il a été clair que les autorités de Kiev ne prendraient pas la fuite et que son peuple souhaitait se battre, le président ukrainien devint un symbole pour les médias juifs qui le nommaient « le Maccabée moderne » ; une référence à l’histoire de la résistance ukrainienne face à l‘oppression, notamment celle des Nazis.

En 2022, alors que l’histoire des juifs d’Ukraine a été associée à la discrimination et la persécution, de nombreux juifs à travers le monde ont fièrement redécouvert leurs origines ukrainiennes et ont partagé les histoires familiales sur l’oppression qu’ils ont subie en Russie.

La guerre est-elle vraiment le bon moment pour revoir l’histoire ?

La comparaison citée en amont soulève la question des relations juives-ukrainiennes qui reste une source de conflit parmi les différentes parties et générations de la société ukrainienne. La réalité est que le pays n’a toujours pas réconcilié les récits contradictoires sur son histoire au XXe siècle avec les pogroms antijuifs, les persécutions de l’époque nazie, et l’antisémitisme soutenu par les Soviétiques.

Certaines personnalités historiques, telles que Bohdan Khmelnytsky, Symon Petliura, ou Stepan Bandera, qui sont aujourd’hui considérées comme les défenseurs du patriotisme ukrainien dans le discours populaire, en particulier pour leur opposition au colonialisme russe et soviétique, sont souvent associées à l’étranger aux génocides de masse juifs et, en tant que tels, ils ont laissé des traces profondes dans la mémoire commune juive.

Paradoxalement, dans leurs parallèles avec l’invasion russe en Ukraine, les autorités ukrainiennes, y compris Zelensky, désignent les juifs qui ont souffert à cet endroit par « vous » et non « nous ». Par exemple, Zelensky a déclaré lors de son discours avant la Knesset, « Je peux me permettre ce parallèle et cette comparaison », faisant référence à l’Holocauste et à l’invasion russe en Ukraine. Il ajoute : « Notre histoire et votre histoire. Notre guerre pour notre survie et la Seconde Guerre mondiale », comme si les juifs n’avaient jamais fait partie de la communauté locale.

Depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991, les études juives ainsi que les recherches, l’éducation et la mémoire sur l’Holocauste sont en plein essor dans le pays grâce à un financement extérieur, mais aussi aux initiatives populaires locales, et à une empathie et un intérêt véritables pour l’histoire et la culture refoulées.

C’est cependant la Russie qui est associée à la lutte contre l’Allemagne nazie au niveau national et international (dans le monde, l’ancienne Union soviétique est souvent simplement désignée par le terme « Russie ») alors que les Ukrainiens sont encore largement considérés comme des collaborateurs : l’expression « collaborateurs ukrainiens » est largement utilisée dans les médias et le milieu universitaire dans les récits sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ce qui renforce l’idée que pendant la guerre tous les Ukrainiens étaient des collaborateurs. Le fait que l’Ukraine rejette son passé soviétique et que la Russie diffuse des récits historiques anti-ukrainiens a fortement contribué à cette situation. En Ukraine moderne, les combattants de l’Armée rouge sont considérés comme des occupants, même si des centaines de milliers d’entre eux étaient eux-mêmes ukrainiens.

La publication Twitter du conseiller principal du bureau présidentiel sur les questions médiatiques, Andriy Yermak, faisant des liens entre l’Holocauste et l’invasion russe en Ukraine, a donné lieu à des réactions mitigées de la part des utilisateurs telles que :

Un autre commentaire :

On a tenté de revoir et de réévaluer les personnalités et les formations historiques comme Stepan Bandera et l’Organisation des nationalistes ukrainiens. Mais l’invasion massive de la Russie en Ukraine les a encore une fois rendues impertinentes pour beaucoup, et toxiques pour d’autres, alors que la population fait face à des attaques de désinformation incessantes de la part de la Russie, mais également à un besoin urgent de patriotisme et d’inspiration de l’histoire nationale.

Le fait est qu’aujourd’hui, l’Ukraine fait partie des pays les moins antisémites d’Europe.

01.06.2023 à 00:54

Exploitation minière des grands fonds : aucune décision n'a été prise en Jamaïque, mais les jeunes militants poursuivent leurs actions.

Amelie

Malgré l'inquiétude grandissante à l'échelle mondiale, les négociations n'ont pas abouti au grand dam des militants. Le Conseil de l'Autorité internationale des fonds marins se réunira à nouveau le 10 juillet prochain.
Lire plus (365 mots)

Ils sont prêts, déterminés et bien renseignés

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Solidarité sur le front de mer : La 28e session de l’Autorité internationale des fonds marins a débuté le 16 mars dernier. Des délégués du monde entier se sont retrouvés à Kingston en Jamaïque deux semaines. après la signature du traité international de protection de la haute mer par les États membres des Nations unies. Ce sommet se déroule à un moment critique pour l’avenir des océans alors que les entreprises d’extraction minière se mettent en ordre de marche pour démarrer cette activité potentiellement dangereuse. Photo © Martin Katz/Greenpeace, utilisée avec son aimable autorisation.

(more…)

01.06.2023 à 00:24

Népal : la Cour suprême ordonne au Gouvernement de légaliser le mariage des couples de même sexe

Katia Crespo

Le 2 mai 2023, le mariage homosexuel a finalement été légalisé par les Népalais sur décision de la Cour suprême népalaise, après de plusieurs années de différends juridiques.
Texte intégral (1494 mots)

Le Népal enregistre des progrès significatifs concernant les droits des personnes LGBTQ+.

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

People gathered at first Nepal Pride Parade near the Federal parliament of Nepal on June 29, 2019. Image via Wikimedia Commons by AllyProud. CC BY-SA 4.0.

Premier défilé des fiertés népalaises près du parlement fédéral du Népal, le 29 juin 2019. . Image publiée sur Wikimedia Commons par AllyProud. CC BY-SA 4.0.

Le 2 mai 2023, le mariage pour les couples de même sexe sera enfin légalisé sur décision de la Cour suprême népalaise, au terme de plusieurs années de différends juridiques. Par ailleurs, la Cour a recommandé d'étendre la reconnaissance à toute autre relation entre personnes du même sexe. Cette décision historique fait du Népal le premier pays d'Asie du Sud à autoriser le mariage entre deux personnes du même sexe. La défense des droits des personnes LGBTQ+ ainsi que leur reconnaissance en tant que droits fondamentaux ont initialement été reconnues dans la nouvelle constitution du Népal, finalisée en septembre 2015.

En 2007, un groupe d'activistes LGBTQ+ avait déposé une requête auprès de la Cour suprême, entamant ainsi une bataille juridique qui allait durer 16 ans. Cette requête plaidait vigoureusement en faveur de la légalisation du mariage entre personnes de même sexe et incluait d'autres demandes en faveur de l'égalité des droits et de la reconnaissance de la communauté queer. Alors que le Code civil népalais interdit aux couples de même sexe de conclure une union légale, la possibilité de leur accorder l'égalité totale devant le mariage  est en suspens depuis longtemps. Avec cette nouvelle décision, le gouvernement devrait réviser le Code civil sous peu. Les militants ont dû faire face à de nombreux échecs et défis au cours de leur combat. En 2018, selon les médias népalais, les autorités ont adopté un Code pénal qui ne reconnaît que les mariages hétérosexuels.

Différentes organisations de défense des droits de l'Homme et le public ont célébré cette étape importante et se sont également rendus sur les réseaux sociaux pour demander à leur gouvernement de commencer à appliquer la décision de la Cour suprême.

Human Rights Watch a tweeté :

Un utilisateur de Twitter en Inde a écrit :

Phil Robertson, le directeur adjoint de Human Rights Watch pour l'Asie, a tweeté :

Le 29 juin 2019, la première véritable marche des fiertés a été organisée, rassemblant des personnes de différents genres et orientations sexuelles.

Pour plus d'informations, cliquez sur : En images : le Népal organise un défilé à l'occasion du mois international des fiertés

Participants at the Nepal Pride Parade 2019 at New Baneshwor. Photo by Sanjib Chaudhary. Used with permission.

Participants à la marche des fiertés népalaises en 2019 à New Baneshwor. Photo prise par Sanjib Chaudhary. Utilisée avec la permission de l'auteur.

Le Népal a fait des progrès considérables concernant les droits des personnes LGBTQ+ et est considéré comme l'un des pays les plus respectueux des personnes LGBTQ en Asie du Sud. Récemment, les membres de la communauté LGBTQ+ se voyaient encore refuser leurs droits les plus élémentaires et l'accès aux ressources nationales, mais ils jouissent aujourd'hui d'une bien meilleure reconnaissance et de plus de liberté au sein de la société. La constitution du pays reconnaît leurs droits, dont celui concernant l'obtention de la citoyenneté. Pour la première fois, lors du recensement de 2021, le gouvernement a inclus la communauté LGBTQ+ afin de lui garantir un meilleur accès à la sécurité sociale, à la santé et aux services d'éducation. Cependant, malgré ces avancées positives, les personnes LGBTQ+ restent confrontées au harcèlement, à la stigmatisation, et à la discrimination en raison de tabous sociaux.

01.06.2023 à 00:11

Rapport de Unfreedom Monitor : le cas de la Hongrie

Celine A.

Les recherches d'Advox sur l'autoritarisme en Hongrie sont désormais disponibles dans un rapport. Consultez un extrait ou téléchargez le document PDF du rapport complet.
Texte intégral (1018 mots)

Extrait des recherches d'Advox sur l'autoritarisme numérique en Hongrie.

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Drapeau de la Hongrie.

Les régimes autoritaires entretiennent depuis longtemps une relation complexe avec les médias et les technologies de la communication. Unfreedom Monitor est une initiative de recherche de Global Voices Advox qui examine le phénomène croissant de l'autoritarisme numérique ou en réseau. Cet extrait provient du résumé du rapport sur la Hongrie, qui fait partie de la série de rapports issus des recherches menées dans le cadre de Unfreedom Monitor. Le rapport complet est disponible ici.
[Les liens renvoient vers des pages en anglais.]

L'autoritarisme numérique en Hongrie est en hausse, encouragé par les tentatives du gouvernement hongrois de réduire au silence et d'intimider les voix dissidentes, notamment les travailleurs indépendants des médias, les organisations de la société civile et les mouvements citoyens. Les technologies numériques constituent un ensemble d'outils utilisés par le gouvernement pour faire avancer sa stratégie politique : diviser et polariser la société, susciter la peur autour de la sécurité économique et nationale, et faire croire aux électeurs que le discours du parti au pouvoir, le Fidesz, est la seule source d'informations. Leur motivation est alimentée par la politique identitaire du gouvernement hongrois et ses tactiques de construction de la nation.

Le rapport relate comment les principales caractéristiques de la société hongroise peuvent s'expliquer par l'histoire économique, sociale et politique du pays et comment le parti au pouvoir est capable d'exploiter ces caractéristiques à ses propres fins politiques. Depuis l'arrivée au pouvoir du Fidesz, la société civile, les acteurs de l'opposition, la presse indépendante et l'Union européenne ont régulièrement documenté et sensibilisé à la façon dont le gouvernement a sapé la démocratie dans le pays. Ses mesures comprennent des attaques contre la société civile et l'affaiblissement de l'indépendance du pouvoir judiciaire. Pourtant, le gouvernement dirigé par le Fidesz a réussi à rester au pouvoir pendant plus d'une décennie.

L'utilisation des technologies numériques n'a pas été le principal outil utilisé par le gouvernement dirigé par le Fidesz pour faire progresser les orientations autoritaires ; son ampleur a augmenté au cours des dernières années. Les incidents qui illustrent le fonctionnement de l'autoritarisme numérique en Hongrie peuvent être regroupés en trois catégories : la prise de contrôle des infrastructures numériques essentielles, la réduction au silence et l'intimidation des voix dissidentes, et l'utilisation de la loi pour porter atteinte aux droits des personnes. Le rapport établit comment ces différentes méthodes se manifestent dans des cas concrets et portent atteinte aux droits de l'Homme individuels et collectifs.

La principale méthode utilisée par le gouvernement hongrois pour faire progresser l'autoritarisme numérique s'est traduite par des procédures législatives. Le gouvernement dispose d'une majorité parlementaire des deux tiers depuis plus de dix ans, ce qui lui a permis de modifier la Constitution et d'adopter des lois sans véritable contrôle ni consultation du public. Il a adopté des règlements visant à criminaliser les fausses nouvelles diffusées sur les médias sociaux, sa loi homophobe pourrait censurer du contenu en ligne et il a également tenté de réglementer Facebook par crainte d'être censuré et interdit d'accès pendant sa campagne électorale, comme l'a été Donald Trump.

L'utilisation de logiciels espions de surveillance commerciaux, comme le logiciel Pegasus, est un nouveau complément aux pratiques d'autoritarisme numérique du pays. Elle a été rendue possible par l'absence de protections solides dans la loi sur la surveillance du pays et par le manque d'indépendance de l'autorité de protection des données du pays. En Hongrie, les services secrets disposent de pouvoirs illimités en matière de collecte de données, les conditions de surveillance ne sont pas strictes et il n'existe pas d'organisme indépendant chargé de superviser la surveillance. Le scandale Pegasus a révélé comment le gouvernement utilise ce pouvoir illimité.

Consultez le rapport complet ici.

Unfreedom Monitor

Les régimes autoritaires entretiennent depuis longtemps une relation complexe avec les médias et les technologies de la communication. Unfreedom Monitor est une initiative de recherche de Global Voices Advox qui examine le phénomène croissant de l'autoritarisme en réseau ou numérique.

Télécharger un PDF du rapport sur la Hongrie.

31.05.2023 à 23:55

Les jeunes du monde entier face à l’IA : expériences personnelles

Mailys Cardonne

« L’IA est plus présente dans notre vie quotidienne que nous ne l’imaginons, et les décideurs politiques auraient dû agir dès le début pour encadrer cette industrie. »
Texte intégral (2362 mots)

Ils parlent de sécurité, de censure et de productivité

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

    Illustration par Giovana Fleck

[Tous les liens présents dans cet article renvoient vers des pages Web en anglais.]

Par Soledad Magnone, Umi Said, George Vella, Sandra Ruhizi

Comment les technologies numériques affectent-elles les jeunes à l’échelle mondiale ? De quelle manière vivent-ils et envisagent-ils les inconvénients et les avantages liés à l’intelligence artificielle (IA) ? Comment pouvons-nous bâtir un avenir numérique qui soit réellement bénéfique et respectueux pour les jeunes générations ? Ces questions préoccupent au quotidien les parents, les législateurs et les groupes de la société civile du monde entier. Mais, trop souvent, les voix essentielles, celles des jeunes eux-mêmes, sont absentes de ces conversations.

Au cours des dernières années, j’ai cherché à répondre à ces questions en travaillant aux côtés des jeunes dans le cadre de l’initiative JAAKLAC, une organisation à but non lucratif consacrée à l’éducation numérique. Voici ce que j’ai appris :

L’écosystème numérique affecte la vie et l’avenir des enfants et des jeunes de multiples façons. Cependant, les agendas numériques locaux et mondiaux font prévaloir les intérêts des adultes et la croissance économique. En échangeant avec des jeunes du monde entier, j’ai pu élargir mes perspectives grâce à leur vision de l’impact positif de la technologie sur notre santé, notre économie et notre développement social. Ils m’ont également inspiré par leurs stratégies visant à tirer parti des technologies numériques comme outil de plaidoyer visant à résoudre les problèmes locaux et mondiaux.

Dans le cadre de cet article, nous avons invité George Vella, Umi Said et Sandra Ruhizi, respectivement de Malte, du Kenya et de Tanzanie, à parler de leurs interactions avec les technologies de l’IA. Ils sont engagés civiquement autour des questions d’éducation sexuelle et reproductive, santé mentale, d’autonomisation des agricultrices, et de conseils aux enfants sur l’utilisation des technologies pour l’avancement communautaire. Lorsque nous avons sollicité leur participation à la rédaction de cet article, nous leur avons fourni quelques orientations afin d’aborder les principaux points de vue, les préoccupations et les idées visant à améliorer les sociétés numériques.

Soledad Magnone : Quel est l’impact des technologies numériques, d’Internet et de l’IA sur vous, votre pays ou votre communauté ? Quelles avancées technologiques attendez-vous avec impatience et pourquoi sont-elles pertinentes ?

Umi Said : Les technologies numériques et l’IA progressent à un rythme effréné, devenant de plus en plus avancées chaque jour. Leur pertinence réside dans leur capacité à accompagner la croissance exponentielle de la population, à garantir une précision dans le traitement des documents et des données ainsi qu’à faciliter les activités professionnelles.

À titre d’illustration, grâce à l’intégration de l’IA et des technologies numériques, les jeunes qui ont besoin de services de santé pourraient bénéficier d’une prise en charge rapide, étant donné que leurs dossiers seraient accessibles en ligne. Cela offre également aux jeunes la possibilité d’accéder à ces services là où ils se trouvent ou selon leurs préférences, avec un risque minimal, voire nul, de stigmatisation. Par exemple, pendant la pandémie de COVID-19, les jeunes ont été confrontés à des difficultés pour accéder à des services de santé sexuelle et reproductive en raison des mesures de confinement imposées dans de nombreuses régions, limitant ainsi les possibilités d’interaction. La technologie a permis de rendre ces services essentiels disponibles, quel que soit le lieu où l’on se trouve. Au Kenya, l’association à but non lucratif LVCT Health a créé le site Internet One2One offrant aux jeunes la possibilité d’acquérir des connaissances sur différents sujets comme la violence sexiste, la santé mentale, les menstruations, l’amour et le VIH. En plus de son accessibilité en ligne, le site Web proposait des alternatives pour ceux qui n’avaient pas accès à Internet tels que des messages téléphoniques gratuits, des chatbots et des appels. Un conseiller certifié était également mis à disposition pour interagir avec les jeunes via la méthode de communication qu’ils préféraient, que ce soit par messages ou par appel.

Parmi les autres avantages de l’IA pour les jeunes, on peut citer la réduction de la charge de travail des écoles. En effet, la technologie peut être programmée pour effectuer des tâches lourdes comme la correction des tests des élèves, ou même l’enseignement de compétences lors de sessions en direct. De plus, l’introduction de l’IA dans des activités plus publiques, telles que le vote en ligne, encouragerait un plus grand nombre de personnes à participer. Les services fournis par le gouvernement seront également améliorés, les rendant ainsi plus conviviaux.

George Vella : Lorsqu’il s’agit de la numérisation des élections, je tends à adopter une approche plutôt conservatrice, et encore plus lorsqu’il est question de confier à l’IA cette tâche démocratique très importante. Voter en ligne, bien qu’il soit plus pratique, peut également créer un grand nombre de problèmes. En tant que Maltais, où un taux de participation de 85 % a été considéré comme dangereusement bas lors des dernières élections, je pense que la confiance des gens envers le système est renforcée lorsque le déplacement des urnes scellées vers une salle de dépouillement ainsi que le comptage des bulletins de vote par des bénévoles sont visibles par tous. Comment expliqueriez-vous à une personne ordinaire les raisons pour lesquelles elle devrait faire confiance à l’IA ou au chiffrement de bout en bout ? Pour compromettre une élection, il n’est pas nécessaire de la saboter physiquement, il suffit de semer suffisamment de doutes sur les résultats. L’évolution des hypertrucages et des voix d’IA de plus en plus réalistes suscite chez moi un profond malaise, par exemple. Cela montre à quel point les législateurs et les décideurs politiques doivent agir rapidement, sous peine de prendre trop de retard sur la législation relative à l’IA.

Sandra Ruhizi : La technologie numérique a donné lieu à de nombreuses innovations majeures tant dans mon pays que dans le reste du monde. L’IA a permis aux médecins d’utiliser la technologie pour identifier les virus et traiter les personnes atteintes de cancer et d’autres maladies. Dans mon pays, la technologie numérique a permis de trouver de nombreuses solutions aux problèmes sociaux, notamment en offrant un moyen sécurisé aux individus d’épargner et de vérifier leurs soldes tout en garantissant la sécurité de leurs informations personnelles. Depuis la pandémie de COVID-19, l’utilisation de la technologie numérique a connu une croissance rapide. À tel point que maintenant, même les enfants ont la possibilité de créer des applications, ce qui est prometteur pour l’avenir. En dépit de l’essor de la technologie numérique, il existe encore un écart important en ce qui concerne l’exploitation optimale de cette technologie. Par exemple, ces changements ont engendré de nombreuses répercussions mentales chez les jeunes et les enfants en raison d’un déséquilibre entre l’usage de la technologie et la réalité. Par ailleurs, il est toujours nécessaire que de nombreux jeunes vivant loin des villes aient accès à la technologie numérique afin qu’ils puissent créer des innovations étonnantes favorisant les transformations dans leur société.

Soledad Magnone : Comment pouvons-nous créer un meilleur avenir numérique ? De quelle manière les technologies numériques peuvent-elles y contribuer ?

Umi Said : La plupart du temps, les enfants et les jeunes sont privés de l’accès aux technologies, car de nombreux membres de la communauté les considèrent comme une menace pour leur avenir. Les adultes conservateurs perçoivent les technologies numériques, telles que les smartphones, comme des outils entraînant une perte de temps et de productivité chez les jeunes. Tout cela est le résultat d’un manque d’informations adéquates sur les technologies et l’IA de la part de nos parents et des membres de la communauté en général. Les jeunes ont besoin d’adopter une vision plus large afin de voir et comprendre que malgré les lacunes des technologies numériques, elles offrent également de nombreux atouts qui, lorsqu’elles sont utilisées de manière judicieuse, surpassent leurs défauts.

George Vella : Bien que je m’oppose à l’intégration de l’IA dans les élections, je suis très enthousiaste quant à la rapidité avec laquelle elle progresse. Les modèles linguistiques d’IA tels que GPT-3 et les chatbots d’IA comme ChatGPT ont été une aide extraordinaire à mon flux de travail. En tant qu’étudiant, je les ai utilisés pour m’aider à trouver des idées pour mes travaux scolaires ainsi que pour condenser certains de mes longs travaux d’écriture. D’un autre côté, j’ai également fait appel à ses outils pour des projets personnels, comme la correction d’erreurs dans le code que je développais, et même pour concevoir un jeu de type « Choisissez votre propre aventure » basé sur la guerre froide. Je pense sincèrement que le potentiel de l’IA est bien plus vaste que ce que nous avons vu jusqu’à présent, et j’attends avec impatience les avancées à venir. Ce que nous vivons actuellement, c’est ce que Napster a ressenti dans les débuts d’internet. À cette époque, le téléchargement gratuit de musique a suscité de vives discussions et a modifié la façon dont nous consommons la musique aujourd’hui, comme en témoigne l’émergence de plateformes telles que Spotify. C’est le début d’une nouvelle ère, non seulement pour la technologie, mais aussi pour l’humanité.

Sandra Ruhizi : En tant que fondatrice de Kijana Factory, j’ai utilisé les technologies numériques pour permettre aux agricultrices tanzaniennes d’adopter une agriculture intelligente face au climat, mais aussi d’accroître leurs revenus. J’ai des compétences de base en technologie, notamment en programmation avec les langages HTML, CSS, et un peu de Java. En plus de proposer des formations, je partage également mes compétences avec d’autres dans divers domaines tels que l’agriculture, la santé et la technologie. L’IA est utilisée dans les technologies numériques et les réseaux sociaux dans le but de collaborer étroitement avec les jeunes filles engagées dans des campagnes en faveur d’une économie durable. Cela permet de garantir l’égalité salariale et de diffuser la voix de la jeunesse et des jeunes filles de ma communauté à travers le monde.

Les possibilités offertes par les technologies numériques sont infinies à mesure qu’elles s’étendent et s’entremêlent avec les différentes sphères de nos sociétés. Cependant, les décisions concernant leur avenir sont prises par les principaux acteurs technologiques, dont certains, en profitent de manière disproportionnée. De plus, les discussions visant à promouvoir un écosystème numérique transparent et responsable sont dominées par les perspectives des adultes occidentaux. Les jeunes représentent un tiers des utilisateurs d’Internet, et les conséquences de notre ère numérique influencent nos possibilités de vie comme aucune autre génération ne l’a été auparavant. Face à cette réalité, il est urgent d’écouter leurs points de vue et de collaborer avec eux pour élaborer des stratégies qui respectent leurs valeurs, leurs souhaits et leurs besoins.

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