Titre du flux RSS
Tout reconstruire, tout réinventer - Tendance gauche souverainiste

Accès libre

▸ les 10 dernières parutions

02.06.2023 à 14:41

Marine Tondelier : « Nous voulons dépasser l’État-nation »

Louis Hervier Blondel

Depuis la séquence de la NUPES et l’élection de sa nouvelle cheffe de file, Europe-Écologie-Les Verts (EELV) travaille à sa refondation. En convoquant des États généraux de l’écologie en février dernier, le parti écologiste souhaite s’élargir, se donner de nouveaux interlocuteurs et mieux irriguer la société. Pour en parler, nous avons rencontré Marine Tondelier, élue […]
Texte intégral (4131 mots)

Depuis la séquence de la NUPES et l’élection de sa nouvelle cheffe de file, Europe-Écologie-Les Verts (EELV) travaille à sa refondation. En convoquant des États généraux de l’écologie en février dernier, le parti écologiste souhaite s’élargir, se donner de nouveaux interlocuteurs et mieux irriguer la société. Pour en parler, nous avons rencontré Marine Tondelier, élue depuis quelques mois Secrétaire nationale, afin de l’interroger sur l’actualité de son mouvement et de cette refondation. Elle nous a parlé de sa vision de l’articulation entre la lutte et l’exercice du pouvoir, de l’industrie nucléaire, des attaques de la droite, de la place des écologistes dans la NUPES et de sa vision européenne. Entretien réalisé par Louis Hervier Blondel et Robin Elbé, photographies de Laura Bousquet.

LVSL – Le discours écologique s’est historiquement placé dans une posture d’opposition, liée à une histoire politique de l’alerte et à une culture de l’activisme. Comment faire tenir ensemble cette tradition oppositionnelle (à travers une figure comme Sandrine Rousseau par exemple) et une « écologie de gouvernement » (que prônait par exemple Yannick Jadot lors de la présidentielle de 2022) ?

Marine Tondelier – Bruno Latour disait que l’écologie, et à travers elle la classe écologique, est majoritaire dans notre société. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle soit aujourd’hui structurée et fédérée. Le travail que nous menons consiste à faire prendre conscience d’elle-même à cette classe, à la structurer et à l’organiser – les lobbys à qui nous faisons face, eux, le sont. Ce mouvement ne se fera pas en réduisant l’écologie à certaines de ses catégories, en la restreignant par l’ajout de qualificatifs : être écologiste c’est autant démonter un McDonald’s que diriger la métropole de Lyon. Sandrine Rousseau, qui incarnerait « l’activisme », était vice-présidente d’université. Yannick Jadot, qui incarnerait « l’écologie de gouvernement », a mené des actions de désobéissance civile, a été sur écoute et a pris des risques juridiques quand il était membre de Greenpeace.

« Être écologiste c’est autant démonter un McDonald’s que diriger la métropole de Lyon. »

Celles et ceux veulent nous « qualifier », nous rajouter un adjectif après « écologiste », veulent en général nous diviser et nous affaiblir. Les écologistes se sont toutes celles et ceux qui se considèrent comme tels, dans leur diversité. Ils sont par exemple à la fois radicaux et pragmatiques. C’est avec eux que nous avons besoin de créer le plus grand mouvement possible. Pas simplement pour être victorieux aux prochaines échéances électorales, mais pour changer la vie, vraiment ! Depuis 2020, nous avons fait la démonstration que nous savons concilier ces deux aspects : nous dirigeons déjà un certain nombre de grandes villes et la métropole de Lyon. Nos élus sont confrontés à l’exercice du pouvoir et n’en demeurent pas moins des militants écologistes déterminés et de terrain.

LVSL – Vous faites référence à la classe écologique telle que Bruno Latour l’a théorisée. Ce concept est critiqué pour son articulation difficile avec les classes sociales traditionnelles. Comment conciliez-vous les deux ?

M. T. – Je ne pense pas que la classe écologiste mette fin à la lutte des classes. Celle-ci continue. Mais se superpose à cette première grille d’analyse une seconde, complémentaire : celle de cette nouvelle classe écologiste, qui est composée de membres de différentes classes sociales. C’est justement sa force : il y a bien plus de monde qui a intérêt à l’avènement d’une société écologique que de personnes qui ont intérêt au statu quo.

La force de ceux qui n’y ont pas intérêt, c’est par exemple de réussir à répandre le préjugé que l’écologie serait « un truc de riche », « de mesures punitives », « une politique dans le dos des pauvres », alors que c’est l’inverse. Le programme écologiste que nous proposons est à la fois un programme de justice environnementale et de justice sociale. Parce que les classes populaires sont les premières victimes de la crise écologique et qu’elles seront les premières bénéficiaires des politiques qui sont bonnes pour le climat. N’oublions pas que, statistiquement, ce sont les plus aisés qui contribuent le plus au changement climatique.

LVSL – La culture politique écologiste est extrêmement diverse : en lançant une campagne d’adhésion « Venez comme vous êtes » vous marquez la volonté d’ouverture de votre parti et de dépassement des cultures politiques internes. Cela implique-t-il une ouverture jusqu’à des cultures écologistes plus technocratiques, voire scientistes ? Pour reprendre votre slogan, est-ce que pour Jean-Marc Jancovici aussi c’est « Venez comme vous êtes » ?

M. T. – Toutes celles et ceux qui le souhaitent sont évidemment les bienvenus ! Le but des États généraux de l’écologie c’est de créer un grand mouvement de l’écologie en France, et justement pas uniquement avec les adhérents d’EELV. Pendant 150 jours, sur lesecologistes.fr, nous organisons une grande enquête populaire pour écouter ce que les écologistes de ce pays ont à nous dire. Vous vous sentez écologiste dans un coin de votre tête ? Venez nous dire ce que vous attendez de ce nouveau mouvement qui ne doit pas être que politique. Venez nous parler des moteurs de votre engagement. Venez nous interpeller, nous donner vos idées ou nous dire ce que vous avez sur le cœur. Nous devons confronter nos idées et notre façon de voir l’écologie et la société au plus grand nombre pour créer un nouveau mouvement qui soit à l’image et avec celles et ceux qui n’y sont pas encore.

LVSL – Le mouvement de refondation dans lequel s’est engagé EELV et le courant écologiste comprend-t-il une remise en cause ou des inflexions de votre programme?

M. T. – Dans le cadre de ces États généraux, on s’interroge sur la manière dont le grand mouvement de l’écologie doit fonctionner et sur ses positionnements. Par exemple sur la non-violence et la désobéissance civile, sur la distinction entre ce qui est légal et ce qui est légitime, sur la manière dont on milite quand on est écologiste : comment on s’entraide, comment on fait progresser la bataille des idées, comment et avec qui construire un outil utile pour gagner en 2027… Ce travail ne peut pas être produit pendant une campagne électorale, d’où l’importance de le réaliser maintenant et de le mener jusqu’aux européennes. Mais on ne peut pas, alors qu’on s’interroge sur la forme de notre mouvement, réécrire notre projet.

Nous ne sommes pas dans un temps de débat programmatique, ce qui ne signifie pas que nous ne sommes pas ouverts aux remarques, et les contributions que nous recevons peuvent apporter des réflexions et des critiques qui sont susceptibles de nous mener à des réinterrogations, comme nous le faisons en permanence, sur de nombreux sujets. Pour autant, il y a des fondamentaux de l’écologie, que nous partageons avec les Verts européens et les Global Green à l’échelle mondiale, qui s’inscrivent dans une histoire de ce mouvement, avec ses valeurs communes.

LVSL – Votre position sur le nucléaire n’a donc pas évolué ?

M. T. – Tous les écologistes, dans le monde entier, font le même raisonnement et aboutissent tous à l’impasse du nucléaire. Nous alertons sur le sujet depuis longtemps : quand nous disions en 2010 que l’EPR de Flamanville ne fonctionnerait pas, on nous traitait d’oiseaux de mauvaise augure. Quand bien même il marcherait un jour, l’automne dernier a démontré l’incapacité du nucléaire à nous sortir de la crise énergétique – et ce n’était ni la faute du charbon allemand, ni des écologistes. C’est la faute d’une filière industrielle qui ne fonctionne pas. Quand Macron annonce six nouveaux EPR, je peux vous dire qu’ils ne verront pas le jour. Il prétend qu’ils permettront de résoudre la crise climatique, mais c’est en réalité du greenwashing. L’Accord de Paris nous engage à baisser nos émissions pour 2030, Macron annonce ces EPR pour 2035, alors qu’une note gouvernementale qui a fuité annonce qu’ils ne sont pas réalisables avant 2040 : c’est un nouveau scénario à la Flamanville qui nous attend. C’est un mirage de penser que ces EPR nous permettront de respecter nos engagements climatiques à temps ! Or tout l’argent qui est mis dans ces projets ne va pas ni à l’éolien, ni au solaire, ni aux autres énergies renouvelables qui permettraient de nous sortir beaucoup plus tôt de la crise énergétique et de la crise climatique. Notre foi dogmatique dans le nucléaire nous fait prendre un retard considérable sur des enjeux primordiaux pour l’avenir de notre pays et de l’humanité.

« C’est un mirage de penser que ces EPR nous permettront de respecter nos engagements climatiques à temps ! »

Rappelons par ailleurs qu’à l’occasion de ses vœux du 31 décembre dernier, Emmanuel Macron se demandait qui aurait pu prévoir ce qui s’est passé en 2022 en France sur le plan climatique. Aujourd’hui, il souhaite construire un projet à horizon 2040 – 2100, soit la période d’activité de ces futures centrales. Il ne peut pas prévoir 2022, mais il est capable de savoir où sera le niveau de la mer à Blayais en Gironde en 2070, où seraient construits deux nouveaux réacteurs ? Il sait où en sera le débit des rivières en 2050 quand déjà en 2022 le niveau de certains cours d’eau ne permettait pas le fonctionnement normal de certaines centrales existantes ? Il sait à quelle température seront nos cours d’eau pour refroidir les centrales en 2100 ? Tout cela n’est pas sérieux.

Marine Tondelier à son bureau au siège EELV | © Laura Bousquet pour LVSL

LVSL – Depuis les dernières élections, un glissement dans la qualification des écologistes semble s’être produit. Des militants écologistes sont de plus en plus diabolisés, notamment par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. On pense à l’usage d’expressions comme « éco-terrorisme », « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche » et aux menaces de dissolution à l’encontre du collectif Les Soulèvements de la Terre. Que vous inspire cette escalade de la part du gouvernement ?

M. T. – Le débat politique s’est beaucoup dégradé dans notre pays, jusqu’à tomber dans l’outrance. Ce n’est malheureusement pas nouveau et c’est parti pour durer, ce qui ne participe ni à l’apaisement, ni à la sérénité, ni à l’élévation des débats, alors même que la gravité des problèmes auxquels nous sommes confrontés l’imposerait. Dans ce cadre, l’accusation de terrorisme, à laquelle on ne s’habitue jamais, est très inquiétante. Elle l’est parce que la nouveauté c’est la fonction de celui qui la profère, ce qui lui donne une gravité particulière. Sa position donne une solennité à son propos et conduit à une réaction dans les médias et dans l’opinion.

Lors de l’un de mes déplacements récents dans le Lot-et-Garonne avec la Coordination rurale, des militants annonçaient vouloir « se venger de Sainte-Soline ». Les raccourcis de Gérald Darmanin mènent à des raccourcis sur le terrain. Il fait de nous des boucs émissaires : l’innocent qui, dans l’Antiquité, était sacrifié quand aucune explication n’était trouvée à un phénomène et qu’il fallait l’enrayer. Ce que j’explique, par exemple aux agriculteurs qui s’opposent à nous, c’est que même si par magie ils faisaient disparaître tous les écologistes de France, et même du monde,  cela ne règlerait rien à leurs problèmes : l’eau manquera quand même chaque été, les difficultés à cultiver perdureront, la France sera à +4°C, 200 exploitations continueront de disparaître chaque semaine et leur niveau de vie n’en sera pas amélioré.

LVSL – En réponse, vous avez annoncé la création d’un observatoire des violences contre les militants écologistes. Quel est son but et comment fonctionnera-t-il ?

M. T. – Depuis plusieurs mois, nous assistons d’un côté à une montée des violences contre des militants associatifs (comme le saccage de plusieurs maisons ou des freins de voiture sectionnés) et politiques écologistes et, de l’autre, à une multiplication du recours par l’État à des mécanismes visant à bâillonner les associations écologistes. Plus grave encore, un ministre comme Gérald Darmanin accroche une cible sur le dos des écologistes en nous qualifiant de terroristes. C’est extrêmement dangereux et cela risque de mal se terminer : il va finir par y avoir un mort, et il sera écologiste. Sachant que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, nous créons un Observatoire des violences contre les militants écologistes, dont nous discutons avec le tissu militant et associatif.

« Gérald Darmanin accroche une cible sur le dos des écologistes en nous qualifiant de terroristes. »

L’idée, c’est d’effectuer un travail d’observation et de recensement des faits de plaidoyer et d’accompagnement juridique, psychologique et financier des victimes. Ce qui est certain, c’est qu’il y a un problème avec la protection des écologistes en France. On préfère mobiliser des milliers de forces de l’ordre pour protéger un trou dans la terre comme à Sainte Soline plutôt que de fournir une protection policière à une journaliste comme Morgane Large, qui a subi deux tentatives d’assassinat en deux ans.

LVSL – Cette diabolisation de l’écologie s’accompagne d’un renvoi dos à dos de la gauche et de l’extrême droite. Comment l’analysez-vous ?

M. T. – Les écologistes se sont particulièrement mobilisés durant l’entre-deux tours de la présidentielle pour faire voter Macron contre Le Pen, malgré l’effort que ça nous imposait et la difficulté que ça représentait pour nous. Cinq semaines plus tard, après le premier tour des législatives, nous étions renvoyés à l’extrême-droite. Dans ma circonscription, la candidate de la majorité présidentielle a dit entre les deux tours qu’entre Marine le Pen et Marine Tondelier, elle voterait blanc, car elle ne voulait pas choisir entre les deux extrêmes. Nous avons été responsables pour deux à la présidentielle, et je crains qu’on soit amenés à l’être encore. Mais, dans le même temps, la majorité a déroulé un tapis rouge institutionnel au Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale, participant à la notabilisation de ce parti et à sa grande entreprise de communication et de respectabilité. La majorité en paiera assurément les conséquences. Le problème c’est que nous allons toutes et tous les payer. C’est irresponsable.

De notre côté, nous devons convaincre les classes populaires que le RN ne défend pas leurs intérêts. Ce parti à la stratégie d’un vautour, ce sont des charognards : ils ne s’attaquent pas à l’animal, ils attendent qu’il soit tué par d’autres, puis viennent se nourrir sur sa carcasse. Marine le Pen n’a pris aucune part au mouvement social. À l’Assemblée, ses députés ont déposé moins d’amendements que ceux de la majorité ! Est-ce à dire qu’ils reprochent moins à la réforme que la majorité elle-même ? Le combat contre Macron, c’est nous qui le menons. Le RN n’en fait rien, ils attendent patiemment leur heure.

LVSL – Vous vous êtes prononcée en faveur d’une candidature commune de la gauche et des écologistes pour la présidentielle de 2027. Ne craignez-vous pas que l’absence de candidature commune aux européennes remette en cause la NUPES et l’union de la gauche et des écologistes pour les échéances suivantes ?

M. T. – Le cadre institutionnel de la Vème République, que nous déplorons, nous impose de nous présenter unis, partis écologistes et de gauche, au premier tour de l’élection présidentielle. Dans une démocratie normale, telle que celle que nous établirons à travers une VIème République, chacun pourrait se présenter sous ses couleurs, porter ses idées et son projet politique. Avec les communistes, les socialistes et les insoumis, nous sommes proches et partageons des valeurs communes. Il y a beaucoup de convergences, mais aussi des différences qu’il ne faut ni exacerber ni mettre sous le tapis. Nous n’avons pas la même histoire, le même électorat, la même manière de nous exprimer, pas les mêmes cultures militantes. C’est la beauté de notre biodiversité, que comme écologiste je respecte beaucoup ! Mais dans une situation où tout indique que le RN sera au second tour en 2027 et que la gauche n’y sera pas si elle part divisée, il faut construire une coalition qui soit capable de gouverner ce pays, de transformer la vie. Tracer un chemin d’espoir et de victoire pour 2027, en somme. Pour que cela soit possible, il faut dès maintenant discuter d’une plateforme programmatique de coalition et de notre projet pour le mandat. Cela fonctionne ainsi dans beaucoup de pays. Pourquoi pas dans le nôtre ?

Il nous faudra aussi une candidature rassembleuse, pas simplement une personnalité à même d’être au second tour. Nous avons besoin d’une personnalité qui pourra gagner et gouverner. Je trouve que nous sommes collectivement en train de nous enfermer dans l’impasse de la question : « Mélenchon, stop ou encore ? ». Nos débats ne peuvent pas se résumer à cela pendant les 4 années qui viennent. On doit éviter de tomber nous même dans le piège de l’ultra présidentialisation de la vie politique française, que l’on dénonce, et prendre les choses dans le bon sens en commençant par nous interroger sur les qualités requises pour gagner et gouverner : savoir fédérer, apaiser, dialoguer, et cela au-delà de la NUPES, avec toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui dans la rue, qui ne se résignent pas. Il faut aussi travailler davantage avec les syndicats et les associations, en s’inspirant de la démonstration qu’ils ont fait de leur capacité à travailler en commun au service du collectif et de l’intérêt général : Le Pacte du pouvoir de vivre, Plus jamais ça ou encore l’intersyndicale sont de beaux exemples à suivre.

LVSL – Pourquoi ne pas appliquer ce raisonnement à l’élection européenne ?

M. T. – La présidentielle nous impose d’être unis dès le premier tour pour ne pas être éliminés. Mais le mode de scrutin des européennes est beaucoup plus simple : c’est la proportionnelle à un tour. Or, avec ce mode de scrutin, les listes représentant la NUPES feront collectivement un meilleur score et seront mieux représentées au Parlement européen en partant séparées qu’en y allant ensemble, c’est logique et les sondages le montrent. Si nous partons ensemble, les électeurs plus eurosceptiques, qui se retrouvent dans le programme insoumis, ne voteront pas pour une liste menée par une ou un écologiste. De la même manière, les fédéralistes, qui savent que les écologistes défendent la vision d’une Europe forte, fédérale et écologique, ne voudront pas voter pour une liste avec des défenseurs de l’Europe des nations. C’est ainsi !

L’Europe est un enjeu immense pour notre avenir et ces élections sont importantes. Rappelons que, par exemple, c’est grâce aux résultats des Verts partout en Europe il y a 5 ans que nous avons pu imposer un Green New Deal, des réglementations contre la déforestation, ou encore la taxe carbone aux frontières externes pour protéger notre industrie et imposer nos normes contre le moins disant écologique. 

LVSL – Le processus de décision européen nécessite la majorité qualifiée voire l’unanimité dans la plupart de ses décisions. En pratique, cela reviendrait à mettre d’accord le gouvernement de Viktor Orban et la coalition des gauches espagnoles. Si vous étiez au pouvoir, quel serait votre plan alternatif si l’agenda écologiste bute sur cet obstacle légal ?

M. T. – C’est la raison pour laquelle nous sommes contre la règle de l’unanimité, qui permet le blocage par la volonté d’un seul, et que nous souhaitons passer à un processus décisionnel fondé sur la majorité qualifiée. Cette règle, qui vise à protéger l’État-nation, nuit à l’idéal européen.

LVSL – Votre position, c’est donc celle d’un dépassement de l’État-nation ?

M. T. – Oui, ça l’a toujours été. Mais un dépassement dans les deux sens : vers l’échelon supranational, à travers l’Europe, et vers l’échelon infranational, à travers les régions, en leur donnant plus de pouvoir, en reconnaissant leur identité, et notamment leurs langues. Nous n’avons jamais sacralisé l’échelon national, même si nous ne nions évidemment pas son importance. Les transformations écologiques que nous devons mener ne se feront jamais sans les territoires. Dans les communes que nous dirigeons, la vie de millions de Françaises et de Français est déjà en train de changer : les cantines permettent de se nourrir de produits bios et locaux, des kilomètres de pistes sont construits, les enfants bénéficient de droits aux vacances pour tous à Poitiers. C’est aussi l’avenir qui s’y construit : quand nous serons confrontés à des températures extrêmes, les habitants seront mieux protégés parce que la ville aura été rendue plus résiliente. Mais malheureusement l’échelon communal ne suffira pas, c’est pour ça que nous devons aussi gouverner, avec nos partenaires, la France… et l’Europe !

02.06.2023 à 12:49

Dominique Simonnot : « Le consensus actuel sur l’hôpital psychiatrique est mortifère »

Gaspard Bouhallier

Comment s’assurer que les droits fondamentaux des personnes placées en prison ou dans un hôpital psychiatrique soient respectés ? Depuis sa création le 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) assure un contrôle sur les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté comme les patients psychiatriques, les […]
Texte intégral (3197 mots)

Comment s’assurer que les droits fondamentaux des personnes placées en prison ou dans un hôpital psychiatrique soient respectés ? Depuis sa création le 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) assure un contrôle sur les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté comme les patients psychiatriques, les détenus ou les enfants délinquants. Cette autorité indépendante, peu connue du grand public – et semble-t-il trop peu écoutée -, constitue un garde-fou indispensable à l’État de droit. « On ne sort pas toujours soigné de l’Hôpital psychiatrique » nous a avoué Dominique Simonnot, Contrôleure générale, que nous avons rencontrée pour Le Vent Se Lève. Propos recueillis par Gaspard Bouhallier.

LVSL – Votre parcours professionnel est atypique. Vous avez été éducatrice dans l’administration pénitentiaire et, à partir des années 1990, vous avez commencé une carrière dans le journalisme, d’abord à Libération puis au Canard enchaîné. Depuis octobre 2020, vous avez remplacé Adeline Hazan à la tête du CGLPL. Comment passe-t-on de journaliste spécialisée dans les comparutions immédiates à Contrôleure général des lieux de privation de liberté ?

Dominique Simonnot – Le fait est que je n’ai pas postulé du tout. Je n’ai jamais pensé ni même rêvé d’arriver là. Être Contrôleure, cela ne m’a pas effleuré du tout dans ma carrière de journaliste et un jour ça m’est tombé dessus. Après réflexion, je me rends compte que ce poste est une conclusion cohérente à ma carrière parce qu’il s’agit de l’ensemble des sujets que j’ai toujours traités en tant que journaliste. C’est pour moi une belle manière de conclure mon travail.

LVSL – Pouvez-vous dire en quelques mots comment vous concevez votre mission actuelle en tant que Contrôleure des lieux de privation de liberté ?

D. S. – Je trouve que c’est le plus beau métier que j’ai exercé. Parce qu’il s’agit de faire respecter les droits fondamentaux des plus vulnérables d’entre nous. Les prisonniers – même si l’on peut dire qu’ils ont fauté, qu’ils ont commis des infractions et qu’ils sont punis pour ça, une fois qu’ils sont en prison – se retrouvent tout de même dans un état de grande vulnérabilité. Je ne parle évidemment pas des grands caïds, mais pour la majorité d’entre eux c’est un fait incontestable.

Tous les gens dont on est chargé d’examiner le respect des droits sont parmi les plus vulnérables qui soient. Les malades mentaux, les enfants dans les centres éducatifs fermés et dans les prisons, les prisonniers, les étrangers enfermés dans les centres de rétention, les gardés à vue sont tous à un moment donné en situation de faiblesse par rapport à nous, par rapport à toute la société. Ils sont en même temps des gens que les autres n’aiment pas voir, qu’on n’aime pas tout court et que l’on rejette.

Je trouve donc que c’est un beau métier que de participer à leur acceptation dans la société et à diffuser l’idée dans la sphère publique que leurs droits doivent absolument être respectés parce qu’autrement nous sortons de la civilisation humaine et de l’espace démocratique. Une société qui ne respecte pas ses prisonniers est au fond une société méprisable.

LVSL – Justement, comment faites-vous pour faire respecter ces droits les plus élémentaires ? Quels sont les moyens techniques, humains et légaux du CGLPL ? Ces moyens sont-ils suffisants au regard de la surpopulation des institutions carcérales et de la crise de la pédopsychiatrie que vous évoquez dans votre rapport d’activité de 2022 ?

D. S. – Le CGPLP dispose d’un ensemble de moyens significatifs. Tout d’abord nous sommes une autorité administrative indépendante. Ce qui fait que la parole du CGLPL est entièrement libre. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je n’ai pas été nommée pour plaire au pouvoir politique ni pour plaire à quiconque d’ailleurs.

Concrètement, nous sommes une équipe constituée de soixante-six personnes, au sein de laquelle on trouve des contrôleurs permanents, des chefs de mission qui partent sur le terrain quinze jours tous les mois à la tête d’une équipe. Pendant ces quinze jours, mes collègues sont confrontés à des réalités difficiles. En ce qui me concerne, je vais autant que je peux sur site.

Parfois on peut observer des modes de gestion et des conditions de traitement qui nous rassurent un peu. Malheureusement le plus souvent nous sommes confrontés à des situations qui nous effraient, qui nous révoltent et qui nous donnent l’occasion de proposer de profonds changements. Toute notre activité est publique. Après chaque visite nous produisons un rapport. J’essaie de peser de toutes mes forces pour qu’il soit rendu le plus rapidement possible. Nous avons d’ores et déjà réussi à raccourcir certains délais.

Enfin, par ordre croissant de gravité, nous disposons de modes d’interpellation des pouvoirs publics tels que la lettre au ministre quand la situation nous paraît grave et qu’elle doit être soulignée, les recommandations simples et les recommandations d’urgence. Dans ce dernier cas, les ministres sont obligés de nous répondre ce qui peut parfois les embarrasser. C’est pour cela que je dis que notre institution n’est pas là pour plaire. Dernièrement, nous avons semble-t-il agacé le ministre de l’Intérieur en faisant part de nos réflexions sur les gardes à vue liées aux manifestations contre la réforme des retraites.

LVSL – Comment êtes-vous amenée à contrôler telle ou telle structure psychiatrique ou pénitentiaire ? Qui vous saisit ? Les patients, l’administration pénitentiaire ?

D. S. – Tout d’abord, il y a les endroits que nous n’avons pas visités depuis longtemps. Ensuite, il y a les endroits qui nous sont signalés par les lettres. Par exemple, des lettres des patients, des détenus, de leurs proches, des associations, des visiteurs de prison. Nous intervenons le plus rapidement possible et sans prévenir.

LVSL – Et c’est une pratique systématique de ne pas prévenir les établissements ?

D. S. – Oui, sauf dans certains hôpitaux. Dans certains cas, il est nécessaire de prévenir parce qu’il peut y avoir des contextes dramatiques dans lesquels il faut à tout prix éviter de faire dysfonctionner le service. La problématique des déserts médicaux est également critique dans le secteur psychiatrique. Dans les hôpitaux où l’on traverse des services où il y a moins de 30 % de soignants, il y a forcément des conséquences sur la qualité de la prise en charge des patients et notre présence ne doit pas constituer un problème supplémentaire. Dans tout autre cas, nous ne prévenons jamais. Dans les prisons, nous ne prévenons jamais de notre venue.

LVSL – On vous connaît pour vos prises de position critiques sur les prisons et notamment sur la surpopulation carcérale. Qu’en est-il de la psychiatrie publique ? Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des établissements hospitaliers et médico-sociaux en psychiatrie ?

D. S. – Il faut considérer ces situations dans leur ensemble. Si vous y pensez bien les racines du problème se forment dès l’enfance. Une proportion considérable des gens que l’on retrouve sur les bancs des comparutions immédiates ou en prison sont des gens jeunes qui sont passés par les centres éducatifs fermés, les centres pour enfants, mais qui avant venaient de l’aide sociale à l’enfance et qui avaient été placés dans des foyers. Des foyers qui, bon sang, ne sont pas ce qu’ils devraient être, parce que dans notre pays, les familles d’accueil, les foyers, la jeunesse en difficulté, ne bénéficient pas de tout le soin et l’attention que la communauté nationale leur doit. D’autre part, ces espaces sont très mal contrôlés. Je rappelle au passage que les enfants enfermés bénéficient de trois quarts moins d’heures de cours d’enseignement que leurs camarades du dehors.

C’est à peu près du même ordre en ce qui concerne la pédopsychiatrie. Il y a des territoires entiers qui sont dépourvus de services de pédopsychiatrie et de pédopsychiatres tout court. Quand les troubles ne sont pas pris en charge chez les jeunes, ne sont pas détectés, ne sont pas soignés, il ne faut pas s’étonner qu’ils deviennent de plus en plus graves et qu’arrivés à un certain âge, à l’adolescence, à l’âge adulte, cela produise des décompensations tragiques pour eux et pour la collectivité. Si aucune mesure, aucun geste n’est fait avant ou fait de façon aléatoire, trop parcellaire, il est évident qu’on laisse advenir les catastrophes. Or, la psychiatrie publique devient elle-même une sorte de catastrophe sociale du fait du manque de moyens en pédopsychiatrie, du fait du manque de soignants et de médecins hospitaliers aussi, eux qui sont souvent remplacés par des formes de praticiens mercenaires… Tout cela ne permet pas de construire une société du soin et du respect dû à la souffrance humaine.

LVSL – Vous devenez Contrôleure général en octobre 2020, quelques mois après le premier confinement. Pouvez-vous nous dire qu’elles ont été les conséquences de la Covid 19 et des mesures de confinement sur les droits fondamentaux des patients en psychiatrie, et plus généralement des détenus ?

D. S. – Dans les prisons il y a eu tout un tas de restrictions apportées aux visites des proches. Dans les parloirs tout d’abord, puis évidemment les listes d’objets que l’on pouvait apporter de l’extérieur aussi, enfin le fonctionnement des cantines. L’ensemble de la vie quotidienne dans ces lieux a été heurtée de plein fouet. Dans les hôpitaux psychiatriques également, il y a eu beaucoup de restrictions et qui ont perduré après la fin du confinement. Cela a eu une influence significative sur les droits fondamentaux.

À ce moment-là, je débutais dans cette fonction, donc je découvrais tout avec des yeux novices, car quand vous êtes journaliste, ce sont des endroits qui vous sont interdits. La presse n’accède à la prison qu’à travers des visites guidées. Quant à l’hôpital psychiatrique, je l’ai connu, mais il y a très longtemps, il a beaucoup changé depuis. Les centres de rétention étaient purement et simplement interdits d’accès aux médias. J’ai le sentiment de tout redécouvrir aujourd’hui.

LVSL – Quand on lit de vos rapports de visite de 2021, on a l’impression que les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie, si elles sont inégales selon les établissements, sont souvent réalisées dans des conditions dégradantes et ne respectant pas l’intimité des patients. De surcroît, on a l’impression que les équipes soignantes peinent à les réduire. Quel est votre avis sur ces mesures ? Accompagnez-vous par ailleurs les équipes pour les réduire, du moins celles qui veulent les réduire ?

D. S. – Il est vrai que sur place on se retrouve face à des équipes très accueillantes, qui ont envie d’échanger avec nous sur leurs pratiques et qui se rendent compte chemin faisant, qu’elles peuvent être prises dans des routines dysfonctionnelles. On a croisé des choses effarantes. Des mineurs isolés enfermés dans des chambres avec un grand hublot qui les laissaient à la vue de tous quand on passait dans le couloir, ou bien même des mineurs en contention. Autant d’individus pour lesquels il faut bien se rendre à l’évidence que le consentement n’est souvent pas respecté. Il faut bien voir qu’il y a également un gros problème avec les mineurs qui sont placés à la demande de leurs parents. On considère pratiquement que leur consentement est admis à travers leurs parents. Nous voulons que les choses soient plus précises sur le consentement des mineurs car ce sont des personnes à part entière.

Il y a également des endroits où nos équipes constatent que la loi sur l’isolement et la contention est détournée. C’est-à-dire que la contention ou l’isolement sont fractionnés de façon à ne pas passer devant le juge. Par ailleurs, je pense qu’en sus de la répugnance envers ces pratiques, les magistrats n’aiment pas trop s’embarrasser de ce type de procédures. Les médecins aussi. Ces audiences leur prennent du temps, diluent leur activité dans des monceaux de paperasse.

Il n’empêche qu’un regard extérieur sur ce qu’on peut appeler le pouvoir médical est essentiel et que le simple fait qu’il y ait ce regard du juge participe à restreindre ces mesures d’isolement et de contention. Il est vrai cependant que souvent je me suis trouvée, non pas durant les visites, mais pendant des colloques face à des médecins psychiatres assez remontés contre nos contrôles et qui disaient qu’on n’y comprenait rien et nous vantaient les vertus thérapeutiques de l’isolement et de la contention. Ce que je conteste totalement!

Vidéosurveillances des chambres d’isolement, © T.Chantegret pour le CGLPL

LVSL – Le 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l’article L-3222-5-1 du Code de la santé publique qui encadre les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie. Ce n’est toutefois que depuis les débats sur la loi portant sur le financement de la Sécurité Sociale pour 2022 qu’un article a été rajouté de façon à renforcer le pouvoir du juge des libertés. Avez-vous interpellé le gouvernement ou les élus sur ce sujet ?

D. S. – Non. Mais on a donné nos avis pour que le champ du juge soit le plus grand possible. On rencontre énormément d’avocats impliqués, notamment les avocats de Versailles. Ils sont une quarantaine et ont formé un groupe qui intervient énormément dans les hôpitaux psychiatriques. Ce genre d’initiative est salutaire et la spécialisation des avocats me paraît essentielle car j’ai déjà eu l’occasion d’assister à des séances où tant le juge que l’avocat semblaient perdus devant les subtilités de ce type de situation.

LVSL – Perdu ? Voulez-vous dire qu’ils ne connaissaient pas la procédure ?

D. S. – Il faut comprendre que les magistrats sont noyés sous les ordonnances et les prescriptions. Ils se demandent souvent si ils sont bien légitime moralement à statuer sur des restrictions de libertés aussi particulières. Cette gêne morale bien compréhensible, complique beaucoup les procédures.

LVSL – En dehors des professionnels de santé et des associations de patients, la situation de la psychiatrie publique ne fait l’objet que d’une attention relative de la part des parlementaires. Pourtant, et vous l’avez bien décrit, c’est un secteur en crise structurelle, notamment en pédopsychiatrie. Estimez-vous qu’un débat national sur la psychiatrie serait nécessaire pour la régler ?

D. S. – Oui ! À condition que ce ne soit pas l’énième débat sur la psychiatrie se concluant par un satisfecit trompeur. Tous ces débordements de la prison et de la psychiatrie, tous ces manques, toutes ces carences, tous ces défauts, toute cette façon de ne pas prendre les problèmes à bras le corps, vont nous coûter très cher sur le temps long. Plus cher que de construire un hôpital, plus cher que de désincarcérer les gens, c’est-à-dire de juguler les entrées et de favoriser les sorties. Parce que les troubles psychiques qui ne sont pas pris à temps empirent, ce qui paraît logique ! Tout cela va nous coûter en termes de récidive, de risques psycho-sociaux. Si les pathologies ne sont pas prises à temps peut être qu’elles dureront plus longtemps, peut être que cela se traduira par des hospitalisations plus longues et donc plus coûteuses. Ce sont des calculs à la petite semaine qui sont fait à travers les logiques austéritaires actuelles.

Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas un vaste plan de recrutement des psychiatres et des soignants ni pourquoi on ne rend pas ce métier plus attractif. Et je ne comprends pas qu’on ne puisse pas dire cela sans se voir rétorquer que le Contrôle n’avait qu’à ne pas ajouter de la paperasse avec l’isolement et la contention. Il faut agir pour restaurer une institution et pas chercher à tout prix à sauvegarder un consensus aujourd’hui mortifère.

30.05.2023 à 19:46

1871 : LA DÉMOCRATIE DES COMMUNARDS | LUDIVINE BANTIGNY, ROGER MARTELLI

Vincent Ortiz

« Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière », écrivait Karl Marx. Pour l’anniversaire du début de la Commune de 1871, Le Vent Se Lève et la Fédération Francophone de Débat organisaient une journée de […]
Lire plus (143 mots)

« Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière », écrivait Karl Marx. Pour l’anniversaire du début de la Commune de 1871, Le Vent Se Lève et la Fédération Francophone de Débat organisaient une journée de conférences. Découvrez la discussion entre Ludivine Bantigny et Roger Martelli autour de la démocratie et de la commune, enregistrée le 18 mars 2023 à l’ENS de Paris.

27.05.2023 à 20:38

[Événement] Julian Assange : la mauvaise conscience de l’Occident

la Rédaction

Le Vent Se Lève et le Comité de soutien Assange vous convient à la Bourse du Travail (29 boulevard du Temple, salle Hénaff) le 31 mai à 19 heures pour une conférence sur le cas Assange. Y interviendront Stella Assange, épouse et ancienne avocate de Julian Assange ; Rony Brauman, médecin humanitaire et ex-président de Médecins […]
Texte intégral (786 mots)

Le Vent Se Lève et le Comité de soutien Assange vous convient à la Bourse du Travail (29 boulevard du Temple, salle Hénaff) le 31 mai à 19 heures pour une conférence sur le cas Assange. Y interviendront Stella Assange, épouse et ancienne avocate de Julian Assange ; Rony Brauman, médecin humanitaire et ex-président de Médecins sans frontières ; Serge Halimi, journaliste au Monde diplomatique ; Arnaud Le Gall, député LFI-Nupes spécialiste des questions internationales ; Cédric Villani, mathématicien et ancien député.

Depuis plus de quatre ans, le journaliste australien Julian Assange est enfermé dans la prison de haute sécurité de Belmarsh au Royaume-Uni. Les États-Unis, où il encourt 175 années de prison, réclament son extradition pour « espionnage ». Aucun gouvernement européen n’a esquissé le moindre geste pour s’opposer à la persécution du fondateur de WikiLeaks. Au-delà des questions relatives aux droits de l’Homme que cette affaire révèle, elle est également symptomatique de l’état de servitude du Vieux continent à l’égard de Washington. À travers les poursuites contre Julian Assange, c’est la démarche de WikiLeaks et le journalisme même qui sont menacés : la mise à disposition d’informations d’intérêt public sur les questions de politique étrangère et de « sécurité nationale ».

La conférence aura lieu le mercredi 31 mai à 19h, dans la Salle Hénaff de la Bourse du Travail (29 boulevard du temple).

N’hésitez pas à partager l’événement sur vos réseaux sociaux. 

➜ Le lien de l’événement Facebook : https://www.facebook.com/events/240708508566182

➜ Le lien vers le tweet d’annonce : https://twitter.com/ComiteAssange/status/1662015671436300288

27.05.2023 à 20:26

Colère plébéienne contre l’écologie des classes supérieures : le cas hollandais

Ewald Engelen

La coalition libérale qui gouverne les Pays-Bas fait face à la progression fulgurante du parti « Agriculteurs-citoyens » (BBB), d’obédience populiste de droite. À l’origine : une tentative gouvernementale de réduire le cheptel hollandais, qui a mené à une révolte d’agriculteurs. Celle-ci a constitué l’étincelle d’un vaste mouvement de protestation, hétéroclite et dominé par des secteurs populaires et […]
Texte intégral (1958 mots)

La coalition libérale qui gouverne les Pays-Bas fait face à la progression fulgurante du parti « Agriculteurs-citoyens » (BBB), d’obédience populiste de droite. À l’origine : une tentative gouvernementale de réduire le cheptel hollandais, qui a mené à une révolte d’agriculteurs. Celle-ci a constitué l’étincelle d’un vaste mouvement de protestation, hétéroclite et dominé par des secteurs populaires et périphériques, qui prend pour cible la coalition dirigée par Mark Rutte. En filigrane, c’est le refus d’une écologie des classes supérieures qui se dessine. Les couches populaires hollandaises, victimes d’une décennie de néolibéralisme à marche forcée, délaissées au profit des métropoles globalisées, ont cristallisé leur colère autour des dernières mesures écologistes (pourtant timides) du gouvernement. Par Ewen Engelen, originellement publié sur la NLR, traduit par Alexandra Knez pour LVSL.

Le casus belli de la révolte des agriculteurs est un arrêt rendu en 2019 par la Cour suprême des Pays-Bas, selon lequel le gouvernement avait manqué à ses obligations européennes de protéger 163 zones naturelles contre les émissions provenant d’activités agricoles voisines. Cette décision a incité le gouvernement de coalition de centre-droit, dirigé par Mark Rutte, à imposer une limite de vitesse de 100 km/h sur autoroutes à l’échelle nationale et à annuler un large éventail de projets de construction destinés à atténuer la pénurie d’offre sur le marché néerlandais de l’immobilier.

Cependant, il est rapidement apparu que ces mesures étaient insuffisantes, car les transports et la construction ne représentent qu’une infime partie des émissions nationales d’azote. L’agriculture, en revanche, compte pour 46 % de ces flux. Une solution à ce problème ne pouvait faire l’économie d’une remise en cause du modèle agricole dominant. Tout à coup, la suggestion avancée depuis longtemps par le « Parti pour les animaux » – un mouvement marginal qui propose de réduire de moitié le cheptel néerlandais en expropriant 500 à 600 grands émetteurs – prenait une dimension nouvelle.

Au cours du siècle dernier, le nombre de travailleurs néerlandais employés dans des activités agricoles a diminué de façon spectaculaire, passant d’environ 40 % pendant la Grande Guerre à seulement 2 % aujourd’hui. Pourtant, au cours de la même période, les Pays-Bas sont devenus le deuxième exportateur mondial de denrées alimentaires après les États-Unis. Son industrie de la viande et des produits laitiers joue un rôle central dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, ce qui rend son empreinte écologique insoutenable.

D’où la prise de conscience progressive de la classe politique néerlandaise – accélérée par l’arrêt de la Cour suprême – que la réalisation des objectifs climatiques impliquait une réorientation de l’économie nationale. Le niveau d’enthousiasme pour ce projet varie entre les différents partis au pouvoir. Pour les démocrates-chrétiens ruraux, la pilule est dure à avaler ; en revanche, pour les sociaux-libéraux et le parti écologiste, il s’agit d’une occasion en or pour un changement majeur ; tandis que pour le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) dirigé par le Premier ministre Mark Rutte, c’est tout simplement la solution la plus pragmatique. Comme l’a fait remarquer un député, « les Pays-Bas ne peuvent pas être le pays qui nourrit le monde tout en se faisant dessus ».

Derrière les agriculteurs, la colère populaire

Ces propositions ont déclenché une vague inattendue de protestations paysannes ; les agriculteurs se sont mis à bloquer les routes avec leurs tracteurs, occuper les places, pénétrer dans les lieux de pouvoir et attendre les élus devant leur domicile. Elles ont accouché du mouvement BBB. Après une brève accalmie pendant le confinement, il a connu une progression fulgurante. Depuis le printemps 2022, le long des routes et des autoroutes menant aux régions oubliées des Pays-Bas, les agriculteurs ont accroché des milliers de drapeaux nationaux inversés, symbole de leur mécontentement.

Près d’un cinquième de l’électorat, soit environ 1,4 million de personnes, s’est rendu aux urnes ce mois-ci pour voter en faveur du BBB – un chiffre nettement plus élevé que les 180 000 agriculteurs qui constituent son noyau dur ! Ainsi, l’enjeu dépasse très largement ce corps de métier. Parmi les sympathisants du parti, retraités, précaires et travailleurs ou étudiants en formation professionnelle sont surreprésentés ; BBB a réalisé ses plus grandes avancées électorales dans les zones périphériques, non urbaines, qui ont été durement touchées par la baisse de l’investissement public.

Ces groupes sociaux se sont ralliés à une classe paysanne qui se présente comme la perdante du système actuel, mais qui est en réalité l’une des plus privilégiées du pays ; il suffit pour s’en convaincre de garder à l’esprit qu’un agriculteur sur cinq est millionnaire… Ce bloc hétérogène n’a pu être constitué qu’à la suite d’un profond désenchantement à l’égard de la politique néerlandaise traditionnelle, entachée par le caractère élitaire – un rien arrogant – de sa classe dirigeante.

D’importants écarts en matière d’espérance de vie se sont creusés entre ces régions, ainsi qu’une disparité majeure en termes de confiance des citoyens envers les hommes politiques

De nombreuses circonstances ont historiquement contribué à donner de l’importance aux mouvements dirigés par les agriculteurs. Les Pays-Bas ont connu une transformation néolibérale fulgurante depuis le début des années 1980, avec les résultats que l’on sait : braderie des services publics, la marchandisation des infrastructures sanitaires et de l’enseignement supérieur, pénurie de logements sociaux, montée en puissance des banques et des fonds de pension – ainsi que l’apparition d’un des marchés du travail les plus flexibles de l’Union européenne, dans lequel un tiers des salariés est précaire. La crise financière de 2008 a abouti à l’un des sauvetages bancaires les plus coûteux par habitant, suivi de six années d’austérité qui ont conduit à une redistribution ascendante des richesses. Les quatre confinements imposés entre 2020 et 2022 ont eu le même effet : de nombreux travailleurs ont perdu leur emploi et vu leurs revenus diminuer.

La hausse des prix à la consommation, radicalisée par le conflit ukrainien, a ensuite plongé de nombreux ménages néerlandais dans la précarité énergétique. Les défaillances administratives se multipliaient dans une série de services publics : garde d’enfants, enseignement primaire, logement, services fiscaux, transports et extraction de gaz… Dans le même temps, d’importantes subventions étaient accordées aux classes moyennes pour rembourser leur achat de pompes à chaleur, de panneaux solaires ou de voitures électriques. Si l’on ajoute à cela le flot d’insultes déversé par les éditorialistes à l’encontre des membres des classes populaires qui ne leur emboîtaient pas le pas, on comprend la rancoeur qui commençait à habiter les futurs électeurs de BBB.

Écueils d’une écologie de classes moyennes

La situation s’est enflammée en 2019 à suite à la décision du tribunal ; les fractures étaient prêtes à devenir clivages politiques : urbains contre ruraux, élite contre masse, végans contre mangeurs de viande… Une stratégie de communication bien rodée aidant, ce message résonnait bien au-delà des terres agricoles.

Le romancier Michel Houellebecq écrivait sur le ton de la boutade que les Pays-Bas n’étaient pas un pays, mais une société à responsabilité limitée. Cette formule synthétise parfaitement l’essence du VVD, le parti dirigé par Mark Rutte, au pouvoir depuis 2010. Depuis lors, il n’a pas peu fait pour mener une véritable opération de charme à l’égard des investisseurs étrangers. Le régime de sécurité sociale du pays a été remanié pour servir les expatriés surdiplômé – transformant Amsterdam en un avant-poste de l’anglophonie -, tandis que l’investissement public s’est principalement concentré sur les zones métropolitaines de l’Ouest. Cette dynamique de développement inégal a été légitimée par un discours visant à vanter les vertus de la ville et de sa « classe créative ».

Des géographes, de Richard Florida à Edward Glazer, ont cherché à diffuser l’idée selon laquelle le discours et la pratique politique devaient moins se focaliser sur les perdants de la mondialisation, pour mieux miser sur les centres urbains, lesquels détiendraient la clé de la réussite nationale. C’est ainsi qu’hôpitaux, écoles, casernes de pompiers et lignes de bus ont lentement disparu de la périphérie, tandis que les centres-villes se sont vus dotés de nouvelles lignes de métro étincelantes… D’importants écarts en matière d’espérance de vie se sont creusés entre ces régions, ainsi qu’une disparité majeure en termes de confiance des citoyens envers les hommes politiques.

Mark Rutte s’apprête à devenir le chef d’État dont le mandat aura duré le plus longtemps depuis la création du Royaume des Pays-Bas, en 1815. Habile au jeu parlementaire, il lui manque une vision idéologique qui lui permettrait de surmonter les périodes de crise (il a lui-même déclaré que les électeurs qui souhaitaient une « vision » devraient plutôt s’adresser à un opticien…). La manière dont la question des émissions d’azote a été traitée s’inscrit dans cette démarche gestionnaire et post-idéologique. Le plan visant à réduire de moitié le nombre de têtes de bétail n’a pas été élaboré à l’issue d’un quelconque processus de débat démocratique : appuyés sur une décision juridique, les dirigeants néerlandais l’ont appliquée en un temps record. Mais cette fois, le gouvernement a été pris au dépourvu.

« En Hollande, tout survient avec cinquante ans de retard » : ici, il semble que le proverbe du poète Heine soit malvenu. La situation hollandaise préfigure sans doute le sort d’autres pays du Nord de l’Europe, où les gouvernements centristes au discours superficiellement écologiste multiplient les réformes aux implications redistributives ascendantes.

Ce que le géographe Andréas Malm nomme le « régime énergétique » du capitalisme a jusqu’à présent accaparé l’essentiel de l’attention politique ; mais à mesure que les retombées environnementales de son « régime calorique » deviennent impossibles à ignorer, l’élevage va se retrouver dans la ligne de mire des gouvernements et des défenseurs du climat…

Des données récentes d’Eurostat établissent que la densité de bétail est particulièrement élevée au Danemark, en Flandre, au Piémont, en Galice, en Bretagne, en Irlande du Sud et en Catalogne. Bientôt, ces régions devront introduire des mesures similaires à celles qui sont actuellement en discussion aux Pays-Bas. Et l’exemple néerlandais tend à établir le caractère explosif d’une gestion technocratique du problème. Un État qui a imposé à ses citoyens la privatisation, la flexibilisation, l’austérité, le désinvestissement et des subventions environnementales ciblant les classes moyennes peut-il réellement s’attendre à ce qu’on lui fasse confiance en matière de politique climatique ?

5 / 10