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10.11.2024 à 17:37

Fiscalité et construction européenne, quels enjeux ?

Équipe de l'Observatoire

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À l'occasion du conseil européen « Affaires économiques et financières » qui se tient le 15 novembre sur le sujet du budget de l'Union européenne, nous reproduisons ici un texte d'Attac publié dans la Revue de l'Union européenne (éditions Dalloz) n° 679 de juin 2024.
L'évolution de la fiscalité européenne est consubstantielle à celle de la construction européenne et des États qui la composent. Ceux-ci ont une histoire riche et mouvementée, de la Grèce antique ou de l'Empire Romain en (…)

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Texte intégral (3482 mots)

À l'occasion du conseil européen « Affaires économiques et financières » qui se tient le 15 novembre sur le sujet du budget de l'Union européenne, nous reproduisons ici un texte d'Attac publié dans la Revue de l'Union européenne (éditions Dalloz) n° 679 de juin 2024.

L'évolution de la fiscalité européenne est consubstantielle à celle de la construction européenne et des États qui la composent. Ceux-ci ont une histoire riche et mouvementée, de la Grèce antique ou de l'Empire Romain en passant par le Moyen Âge jusqu'à la période actuelle

Les « finances publiques » ont accompagné, parfois impulsé ces évolutions. Elles se sont progressivement centralisées avec le passage de l'État féodal à l'État monarchique et à l'État moderne. Cette évolution s'est effectuée en raison de la nécessité de financer les guerres, elle a vu émerger la question de la représentation nationale, elle-même intimement liée au consentement à l'impôt. Ce dernier eut du mal à devenir ce qu'il est aujourd'hui : le pilier d'une société démocratique. En effet, la nécessité de lever l'impôt a abouti à la création de « Parlements » dés 1215 en Angleterre et 1302 en France, avec la création des États généraux par Philippe le Bel. En 1435, avec la création d'impôts permanents, les États généraux se sont toutefois privés de leur pouvoir. Ils ne seront plus convoqués par le roi de France. La théorie du consentement est réapparue à la fin du XVII ème siècle. Pour John Locke notamment [1], il n'y a pas d'autorité légitime sans consentement. Le droit des citoyens à consentir l'impôt est d'ailleurs au fondement des révolutions américaine et française de la fin du XVIII ème siècle [2]. Le consentement à la fiscalité européenne et au transfert d'une part plus ou moins importante de souveraineté est l'un des enjeux majeurs de la construction de l'Union européenne.

Les États modernes se sont construits sur deux attributs de souveraineté : battre monnaie et lever l'impôt. Le premier échappe désormais largement aux États membres de la zone euro. Le second est de plus en plus partagé entre l'Union européenne et ses États membres. Il est également fortement impacté par la concurrence fiscale et sociale. Dans un contexte troublé marqué par un affaiblissement du consentement à l'impôt aux raisons multiples, il est essentiel de revenir sur la façon dont les politiques fiscales évoluent au sein de l'Union européenne, avant d'envisager comment elles peuvent aider l'Union européenne à se réorienter pour faire face aux défis de la période.

Un cadre communautaire de la fiscalité orienté pour favoriser le marché intérieur

En matière de fiscalité, la construction et les politiques européennes ont profondément impacté les systèmes fiscaux et sociaux nationaux. Rappelons que la stratégie de l'Union européenne consiste à orienter les politiques fiscales pour promouvoir le marché unique et la croissance économique [3]. Ses objectifs sont notamment d'éliminer les obstacles fiscaux qui pénaliseraient les activités économiques transfrontalières mais aussi de lutter contre les aspects délétères de la concurrence fiscale et de l'évasion fiscale, sans pour autant en remettre en cause le principe.

Plusieurs éléments contribuent à influencer le niveau et la structure des recettes et des dépenses publiques, et donc le niveau et l'efficacité des politiques publiques. Il en va évidemment ainsi, au sein de la zone euro, de la gouvernance budgétaire et du cadre visant à limiter les déficits et la dette publics. D'autres évolutions concernent très directement les politiques fiscales nationales, même s'il faut ici distinguer les prérogatives de l'Union de celles des États membres.

La fiscalité est en principe une prérogative des États membres, les compétences de l'Union européenne étant officiellement limitées en la matière. Celles-ci s'inscrivent dans des politiques dont le but principal est de garantir le bon fonctionnement du marché unique. C'est ce qui explique que les premières règles fiscales communes aient surtout concerné la fiscalité indirecte, puisque celle-ci affecte directement le prix des marchandises et des services et, par conséquent, le fonctionnement du marché unique.

Les textes le stipulent assez clairement. Dans le chapitre sur les dispositions fiscales (articles 110 à 113), le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne porte sur l'harmonisation de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, les droits d'accises et les autres formes de fiscalité indirecte tandis que le chapitre relatif au rapprochement des législations (articles 114 à 118 du traité FUE) couvre les taxes ayant un effet indirect sur la mise en place du marché unique.

Le cas de la TVA, impôt le plus rentable des États membres, est emblématique. Pour éviter des différences trop importantes dans les taux de TVA, ce qui pourrait fausser les échanges au sein du marché européen, un seuil minimal de 15 % pour le taux normal a été instauré en 1993 (directive d'octobre 1992). Au-delà de ce niveau, les États membres peuvent fixer le taux de TVA de leur choix. Ils peuvent également prévoir des taux réduits pour certaines activités ou certains produits et services (culture, presse, vélos électriques…) dans certaines limites déterminées par l'Union européenne. La directive TVA du 28 novembre 2006 dresse ainsi la liste les produits ou activités sur lesquels les États membres peuvent appliquer un taux réduit.

Quant aux impôts directs, si l'Union européenne n'a pas de compétence particulière dans le domaine, ils sont toutefois soumis à la jurisprudence européenne. Celle-ci veille à éviter un traitement fiscal différencié entre les résidents d'un pays et les autres ressortissants européens. Cette jurisprudence européenne s'invite également dans l'application de dispositifs particuliers. Dans son arrêt Waldner contre France du 7 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l'homme juge que l'ancien taux de la majoration de 25 % automatiquement applicable à un avocat non-adhérent d'un organisme de gestion agréé entraînait une surcharge financière disproportionnée à l'encontre du requérant ayant introduit le recours. Il s'en est d'ailleurs suivi une série de contentieux que l'administration fiscale doit désormais traiter sur l'application de cette majoration. Cette construction jurisprudentielle peut donc conduire les États à revoir certaines de leurs dispositions fiscales nationales, de sorte que l'Union européenne, sans en avoir les compétences, influe aussi la fiscalité directe. Et ce, alors que celle-ci est en principe une prérogative des États membres.

La concurrence fiscale et ses dérives, autre marqueur de la construction européenne

Au-delà de cette construction fiscale européenne complexe, le choix historique de l'Union européenne a consisté à faire de la concurrence fiscale entre les États membres (et au-delà des frontières européennes) un mode de régulation, à la condition qu'elle ne soit pas faussée ni dommageable au bon fonctionnement du marché unique. Or, cette concurrence fiscale pèse sur les politiques fiscales et la capacité des États membres à « lever l'impôt ». Elle se traduit en effet, de longue date, par un double transfert. Le premier consiste à alléger les impôts des « bases mobiles » (les plus riches et les multinationales, dont les déplacements de richesses enjambent les frontières) vers les « bases immobiles » (l'immense majorité de la population et les PME, qui n'ont pas les mêmes possibilités), ce qui modifie profondément la répartition de la charge fiscale, donc des richesses. Le second consiste à baisser les moyens financiers alloués aux services publics et à la protection sociale, ce qui se traduit par une baisse de la qualité de l'éducation, un accès plus difficile au soin, une baisse de la couverture sociale, etc.

Si la question de la justice fiscale et sociale se pose légitimement, on peut également considérer que ce double transfert a un impact sur le marché unique lui-même. Certes, pour garantir son bon fonctionnement, l'Union européenne s'est intéressée à la question de la fraude et de l'évasion fiscales, aux effets délétères tant pour les populations, les budgets publics (suivis de près par la Commission européenne) que pour le fonctionnement du marché unique, puisque ces pratiques fausses l'allocation des ressources. Reste que les progrès sont minces et lents à mettre en œuvre, les décisions en matière de fiscalité devant être prises à l'unanimité par les États membres. Il suffit ainsi que l'un d'eux, qui se juge plus attractif fiscalement que ses voisins, pour bloquer un projet. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet d'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés par exemple reste en suspend depuis plus de 20 ans…

L'Union européenne s'est largement inspiré des travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui, dans son plan « BEPS » visant l'érosion des bases fiscales, a par exemple favorisé la mise en œuvre d'un système d'échanges automatiques d'informations et d'une imposition mondiale minimale au taux de 15 % des bénéfices des multinationales. Mais outre que ce dispositif peut être contourné via les territoires qui ne l'appliqueront pas, il fait déjà l'objet d'un détricotage qui l'éloignera de son but initial, au demeurant déjà bien modeste.

L'évitement de l'impôt a fait l'objet de plusieurs directives. Sans prétendre ici à l'exhaustivité, on citera quelques exemples. La Directive relative à l'évasion fiscale adoptée en juin 2016 et appliquée depuis janvier 2019 vise à empêcher les entreprises de développer des dispositifs hybrides leur permettant de diminuer leurs charges fiscales en profitant des écarts de législation entre les pays (membres ou tiers). En juillet 2020, la Commission européenne a adopté un paquet de mesures. Celui-ci comporte un plan d'action de 25 initiatives, une révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 7, visant à garantir l'échange automatique d'informations entre les États membres sur les recettes générées par les vendeurs sur les plateformes numériques, qu'elles soient situées ou non dans l'Union), une proposition de nouvelle révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 8, sur l'échange d'informations sur les crypto-actifs et la monnaie électronique) et une communication relative à la bonne gouvernance fiscale dans l'Union et au-delà. En 2021, l'Union européenne a adopté après de longues négociations (le texte avait été proposé par Commission européenne en 2016) une directive rendant obligatoire, pour les entreprises réalisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires par an, de publier leurs revenus, bénéfices, effectifs et impôts payés dans chaque pays où elles sont présentes. Souvent dénommé « reporting pays par pays », ce dispositif doit s'appliquer aux exercices ouverts à compter du 1er juillet 2024. Il devrait permettre davantage de transparence et d'identifier si les impôts que ces grands groupes paient dans un État correspondent à l'activité économique qu'elles y exercent. En matière de fiscalité, l'Union européenne a donc évolué, elle ne peut plus se contenter du « code de bonne conduite » non contraignant adopté en 1997 qui visait certains régimes préférentiels. Le cadre européen est donc beaucoup plus prégnant qu'auparavant.

Continuer ou réorienter ?

Le mouvement d'européanisation de la fiscalité devrait se poursuivre. Plusieurs projets montrent par ailleurs que les compétences fiscales de l'Union européenne devraient sensiblement s'accroître à l'avenir, au point d'interroger sur la nature même de la construction européenne. Certes, l'harmonisation fiscale est bien loin d'être achevée et n'a d'ailleurs jamais été un objectif, la stratégie fiscale de l'Union européenne prenant davantage les allures d'une coordination dont le but reste inchangé : favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur. Il n'empêche, la tendance est nette.

L'extension de la compétence fiscale de l'Union européenne pourrait provenir de l'évolution des ressources fiscales propres de l'Union et de la création d'impôts européens. Le premier du genre pourrait être le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF ou Carbon Border Ajustement Mecanism, CBAM) proposé dans le paquet climat présenté le 14 juillet 2014 par la Commission européenne dans le but d'atteindre les objectifs du Green Deal et finalement adopté en décembre 2022. Le mécanisme devrait entre en vigueur en 2032, il a pour objectif la réduction du bilan carbone lié aux entreprises qui exportent vers l'Union. Les biens importés se verront donc taxés lorsque le « prix carbone » sera faible ou nul. L'Union européenne se retrouverait ainsi de facto à « lever l'impôt » et, par conséquent, à accélérer potentiellement l'intégration européenne.

Le 12 septembre dernier, elle a en effet proposé une directive destinée à remplacer celles proposées en 2016 relative à l'ACIS (assiette commune pour l'IS) et à l'ACCIS (assiette commune consolidée pour l'IS), laquelle visait à harmoniser l'imposition des sociétés en Europe. L'initiative datait du début des années 2000 mais s'était heurtée aux désaccords entre États membres. L'objectif de cette nouvelle directive baptisée « BEFIT » (Business in Europe : Framework for Income Taxation ou « Entreprises en Europe : cadre pour l'imposition des revenus ») demeure la mise en place un nouvel ensemble unique de règles pour déterminer la base d'imposition des groupes d'entreprises. La Commission européenne justifiait sa proposition en estimant qu'il fallait « instaurer un ensemble commun de règles qui permettent aux entreprises de l'UE de calculer, à partir d'une formule, leur base imposable tout en garantissant une répartition plus efficace des bénéfices entre les pays ». Cette directive, une fois adoptée par le Conseil, pourrait entrer en vigueur le 1er juillet 2028. Au sein de l'Union européenne, au sein de laquelle cohabitent 27 régimes fiscaux nationaux différents, l'idée d'un cadre commun qui compléterait le taux d'imposition minimal est intéressante, quels que soient les objectifs qu'on lui assigne, qu'il s'agisse de permettre une répartition plus équitable des droits d'imposition entre les États membres, de réduire les charges administratives, de supprimer les obstacles fiscaux ou encore de limiter l'évasion fiscale.

D'autres projets ont vu le jour. Le 19 juin 2023, la Commission européenne publiait sa proposition de directive dite FASTER (« Faster and Safer Relief of Excess Withholding Taxes ») dont l'objectif est d'améliorer les procédures de remboursement de retenue à la source au sein de l'UE. Elle a également publié, le 12 septembre 2023, une proposition de directive visant à harmoniser les règles en matière de fixation des prix de transfert au sein de l'UE et à garantir une approche commune des prix de transfert.

Les multiples affaires révélant l'ampleur de l'évitement fiscal a incontestablement poussé les instances européennes et nombre d'États membres à prendre des mesures. LuxLeaks, des Panama Papers, Paradise Papers, etc, les révélations ont mis en cause des États comme le Luxembourg, l'Irlande, ou encore les Pays-Bas.

Si les débats sont nourris sur l'efficacité et la pertinence de ces projets, ils portent toutefois rarement sur l'évolution de l'Union européenne. La souveraineté fiscale nationale est le pendant de la souveraineté en matière de dépenses en matière de protection sociale, d'éducation nationale, de sécurité, etc. De plus, avec l'euro et la politique monétaire européenne, les États-nations de la zone euro sont privés de l'outil monétaire (ils ne peuvent plus jouer sur les taux d'intérêt ni dévaluer). Il leur reste donc la fiscalité et les cotisations sociales pour agir sur le pouvoir d'achat notamment, même si tout cela est encadré par des règles sur les déficits excessifs qui limitent leur autonomie. Le débat devrait logiquement porter non seulement sur l'orientation des politiques européennes, mais également sur la construction de l'Union européenne. A l'image de l'évolution des finances publiques des États du Moyen-âge jusqu'au XX ème siècle, va-t-on vers une européanisation des finances publiques basée sur une accélération de la coordination en matière d'impôts de toute nature, directs et indirects ? La question est d'importance, elle mérite d'être posée.

En matière de fiscalité, si des mesures ont été prises et que d'autres se profilent, l'absence de remise en cause du modèle de la concurrence fiscale et sociale empêche de prendre des mesures à la hauteur des enjeux de la période. Les inégalités augmentent, les moyens manquent pour faire face au réchauffement climatique, le mécontentement social capté par les mouvements d'extrême droite, etc. L'Union européenne est devant un choix historique. Le premier consiste à poursuivre sur la même lancée, ce qui empêchera de relever les défis de la période et favorisera une extrême droite climato-sceptique, nationaliste et profondément réactionnaire. Cela signifierait le début de la fin de la construction européenne. Le second consiste à réorienter l'Union européenne et à faire des questions sociales et écologiques une priorité.

Pour ce faire, il est tout à fait possible d'améliorer les projets ou dispositifs existants. L'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés pourrait être assorti de l'instauration d'un impôt européen sur les bénéfices et d'un « taux plancher » tandis qu'une taxation unitaire des multinationales compléterait le dispositif (chaque État prélèverait une quote-part du bénéfice consolidé sur la base de critères objectifs : chiffre d'affaires, immobilisations, nombre de salariés). Une véritable harmonisation du système de TVA intracommunautaire permettrait de neutraliser la fraude carrousel et pourrait s'accompagner d'un taux plafond à ne pas dépasser. Un impôt européen sur la fortune et une taxe sur l'ensemble des transactions financières permettraient d'instaurer davantage de progressivité et de dégager des ressources utiles pour les investissements publics. Un renforcement de la coopération en matière de lutte contre l'évitement fiscal pourrait prévoir des procédures de contrôle harmonisées et la capacité pour le procureur européen de prononcer des sanctions. Le tout prendrait la forme d'un « serpent fiscal européen » qui, à l'instar du « serpent monétaire européen » destiné à limiter les écarts dans les fluctuations monétaires, limiterait les écarts de fiscalité.
En réorientant son action vers la justice fiscale, sociale et écologique, la légitimité de l'Union européenne en sortirait renforcée. Et le consentement à une politique fiscale européenne également.


[1] John LOCKE, Le second traité du gouvernement. Un essai sur l'origine véritable, l'étendue et la fin du Gouvernement Civil, Paris, PUF,1994

[2] L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise la nécessité du consentement.

[3] Voir notamment sur le site du Parlement européen la fiche thématique consacrée à la politique fiscale.

13.10.2024 à 08:05

Taux minimum d'imposition des revenus de 20 % : un aveu, intéressant mais très insuffisant

Équipe de l'Observatoire

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Le gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur (…)

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Texte intégral (756 mots)

Le gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur l'instauration d'une imposition mondiale minimum sur les plus riches dont on ne peut que souhaiter qu'elle débouche sur un système véritablement juste et redistributif.

Combien de foyers fiscaux concernés ?

Le seuil au-delà duquel s'applique cette contribution temporaire est fixé à 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple. Les données publiques disponibles portent sur les revenus de l'année 2022 imposés en 2023. Elles ne distinguent pas la composition des foyers fiscaux par part du quotient familial. Elles sont toutefois intéressantes car elles montrent que :
• 105 000 foyers environ perçoivent un revenu fiscal de référence (RFR) supérieur à 300 000 euros,
• près de 63 000 foyers perçoivent un RFR de plus de 400 000 euros,
• près de 42 500 perçoivent un RFR de plus de 500 000 euros.

Quel rendement ?

En France, cette mesure aurait un impact que l'on peut mesurer ainsi. En matière d'IR, les données de l'administration fiscale montrent en effet que, ramené au revenu fiscal de référence (RFR), le taux effectif moyen d'imposition des plus aisés atteint 22 % pour les foyers ayant un RFR compris entre 500 000 et 700 000 euros. Mais contrairement au principe de progressivité, ce taux baisse ensuite progressivement, pour passer sous les 20 % pour les foyers au RFR compris entre 4 et 6 millions d'euros et s'abaisse même à 16,9 % pour les foyers au RFR au-delà de 9 millions d'euros.

En 2023, près de 1 900 foyers, dont le revenu est supérieur à 4 millions d'euros, présentaient un taux effectif réel d'imposition inférieur à 20 %. Appliqué en 2023, un taux minimum d'imposition de 20 % aurait ainsi dégagé un peu plus de 400 millions d'euros. Le rendement annoncé de 2 milliards d'euros a donc de quoi interroger : il paraît largement surévalué.

L'impôt sur le revenu est et restera dégressif

Il est intéressant de préciser que cette dégressivité de l'IR n'est pas nouvelle. Au surplus, bion que dégressifs, les taux réels d'imposition étaient supérieurs avant l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU, la flat tax, constituée de 12,8 % d'impôt sur le revenu et de 17,2 % de CSG), qui a tiré les taux vers le bas.

La chute est même spectaculaire. A titre d'exmples :
pour les foyers fiscaux dont le RFR se situait entre 600 000 et 700 000 euros en 2017, le taux effectif moyen d'imposition atteignait 27 %. Il s'abaissait à 26,42 % en 2018, 24,0 % en 2019 et 22 % en 2023.
pour les foyers dont le RFR dépassait 9 millions d'euros en 2017, le taux effectif moyen était légèrement supérieur à 20 % en 2017, il était inférieur à 17 % en 2023.

Plus largement, au-dessus de 100 000 euros de revenus (777 899 foyers fiscaux en 2017, plus de 1,1 million en 2023), les taux réels sont sensiblement inférieurs en 2023 à ce qu'ils étaient en 2017, avant la mise en place du PFU (applicable en 2018). De manière générale, l'ensemble des foyers fiscaux dont le RFR se situe au-delà de 500 000 euros, la baisse des taux effectifs moyen est nette. Elle peut atteindre dépasser 5 points.

Ce taux minimum d'imposition constitue en quelque sorte un aveu quant à la dégressivité de l'IR. Elle limite certes l'effet régressif du PFU, sans toutefois le remettre en cause. Il eut en effet été plus rentable, plus juste et plus simple d'imposer l'ensemble des revenus au barème progressif de l'impôt sur le revenu au lieu d'instaurer un tel mécanisme. Avec cette contribution temporaire, le taux effectif minimum ne pourra plus être inférieur à 20 % pendant 3 ans mais, en l'absence de réforme d'ensemble, l'impôt sur le revenu restera dégressif.

26.09.2024 à 08:31

L'étude de Tax Justice Network révèle que les pays peuvent collecter 2 000 milliards de dollars en imitant l'impôt sur la fortune espagnol

Équipe de l'Observatoire

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Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.
La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de (…)

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Texte intégral (1274 mots)

Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.

La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de l'impôt sur la fortune de l'Espagne, qui frappe les 0,5 % des ménages les plus riches, les pays récolteraient 2000 milliards de dollars par an au niveau mondial.

Pour TJN, il est démontré que les réformes fiscales ciblant les richesses extrêmes n'ont pas entraîné la délocalisation des super-riches vers d'autres pays.
En moyenne, la moitié de la population d'un pays ne possède que 3 % de sa richesse, tandis que les 0,5 % les plus riches en possèdent un quart.
L'extrême richesse insécurise les économies et est directement liée au fait que les personnes doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent. Le traitement à deux vitesses de la richesse (impôts moins élevés sur la richesse perçue, c'est-à-dire les dividendes, les loyers, les gains en capital ; impôts plus élevés sur la richesse gagnée, comme les salaires) alimente l'extrême richesse et rend les économies plus pauvres.

Les pays peuvent collecter la somme de 2000 milliards de dollars par an en suivant l'exemple de l'Espagne qui a réussi à imposer la richesse des 0,5 % des ménages les plus riches. C'est le double du montant nécessaire chaque année pour le financement externe des pays en développement pour le climat, qui devrait être au centre des négociations de la COP29 cette année.

La dernière étude du Tax Justice Network estime le montant des recettes que chaque pays peut individuellement générer en taxant la richesse des seuls 0,5 % des ménages les plus riches à un taux léger de 1,7 % à 3,5 %. L'impôt sur la fortune ne s'appliquerait qu'à la partie supérieure du patrimoine des ménages, et non à l'ensemble de leur patrimoine.

Bien que l'étude reproduise l'approche de l'impôt espagnol sur la fortune pour chaque pays, elle constate qu'en moyenne, chaque pays pourrait collecter l'équivalent de 7 % de son budget de dépenses. Elle montre également que les réformes fiscales précédentes visant les super-riches n'ont pas entraîné leur délocalisation vers d'autres pays, malgré les titres des médias affirmant le contraire. Seuls 0,01 % des ménages les plus riches ont déménagé après la mise en œuvre des réformes de l'impôt sur la fortune visant les ménages les plus riches en Norvège, en Suède et au Danemark. Une étude britannique prévoit que les réformes relatives au statut de personne non domiciliée entraîneraient un taux de migration compris entre 0,02 % et 3,2 % au maximum. Les estimations de l'étude sur le montant des impôts que les pays peuvent percevoir grâce à l'impôt sur la fortune reposent par conséquent sur l'hypothèse très prudente qu'un tel taux de migration de 3,2 % se produirait.

Le traitement à deux vitesses de la richesse insécurise les économies. Les sommes considérables que pourrait rapporter un modeste impôt sur la fortune sont possibles en raison des niveaux extrêmes de richesse accumulée par les plus riches. L'étude révèle qu'en moyenne, dans chaque pays, la moitié de la population possède à peine 3 % de l'ensemble des richesses, tandis que les 0,5 % les plus riches en détiennent un quart (25,7 %).

Selon le rapport, cette richesse extrême des super-riches rend les économies incertaines et est directement liée à une productivité économique plus faible, aux ménages non riches qui doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent et à des résultats sociétaux plus médiocres tels qu'un niveau d'éducation plus faible et une espérance de vie plus courte.

Selon TJN, la racine du problème réside dans le traitement à deux vitesses de la richesse collectée et de la richesse gagnée. La richesse collectée, c'est-à-dire les dividendes, les plus-values et les loyers tirés de la possession de biens, est généralement imposée à des taux bien inférieurs à ceux de la richesse gagnée (soit les revenus du travail). Dans le même temps, la richesse collectée croît généralement plus vite que la richesse gagnée. Aujourd'hui, seule la moitié de la richesse créée chaque année dans le monde va aux personnes qui gagnent leur vie. Le reste est collecté sous forme de loyers, d'intérêts, de dividendes et de plus-values.

Si les superriches peuvent travailler et avoir un emploi, la quasi-totalité de leur richesse provient de la possession d'entreprises et d'empires immobiliers, et non de leur travail dans ces empires. Les salaires qu'ils peuvent percevoir ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan de leur richesse. Trois des cinq hommes les plus riches de la liste des milliardaires de Forbes pour 2024 gagnent un salaire d'un dollar : Elon Musk, Mark Zuckerberg et Larry Elison. Selon une étude de 2011, le "PDG à 1 dollar" moyen renonce à 610 000 dollars de salaire, mais gagne 2 millions de dollars d'autres rémunérations basées sur la propriété.
Le traitement à deux vitesses a produit des résultats extrêmes en ce qui concerne les personnes les plus riches. Les milliardaires ont tendance à payer des taux d'imposition inférieurs de moitié aux taux payés par le reste de la société. Et leur richesse augmente deux fois plus vite que celle du reste de la société. Cela a contribué à quadrupler la richesse des 0,0001 % depuis 1987, au détriment des économies, des sociétés et de la planète.

L'accumulation extrême de richesses ne se contente pas de créer des déséquilibres extrêmes aux conséquences néfastes, elle rend ces richesses accumulées moins productives sur le plan économique - par exemple en détournant une part disproportionnée de la richesse vers des produits dérivés spéculatifs plutôt que vers des biens et des services de l'économie "réelle". Le porte-parole du Tax Justice Network explique ainsi "pourquoi le monde ne se sent pas plus riche aujourd'hui alors qu'il n'y a jamais eu autant de richesses que maintenant".

Le traitement à deux niveaux de la manière dont les gens acquièrent la richesse amplifie cette tendance. En permettant à la richesse collectée de dépasser de façon spectaculaire la richesse gagnée, le traitement à deux vitesses pousse la richesse vers des formes moins productives tout en augmentant l'endettement des ménages non riches.

Le réseau Tax Justice Network appelle les gouvernements à mettre fin au traitement à deux vitesses de la richesse en introduisant des impôts sur la fortune.

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