Titre du flux RSS
Travail, Droits humains, Culture, Développement, Environnement, Politique, Économie, dans une perspective de justice sociale.

Accès libre Edition trilingue Eng-Esp-Fra

▸ les 20 dernières parutions

02.06.2023 à 06:30

Alondra Carrillo : « Au Chili, nous vivons une période de renforcement accéléré de l'autoritarisme et de privation des droits fondamentaux »

La Chilienne Alondra Carrillo, psychologue de formation et membre de la Coordinadora Feminista 8M, a participé à la Convention constitutionnelle chilienne élue par les urnes en 2021. Un référendum sur le texte constitutionnel rédigé par cet organe – composée d'une tendance plutôt de gauche et féministe – a été organisé le 4 septembre 2022. Environ 62 % des personnes ayant voté l'ont rejeté ; un événement qui a suscité la déception de la gauche, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières du pays.
Il (...)

- Entretiens / , , , , , , , , , , , ,
Texte intégral (2478 mots)

La Chilienne Alondra Carrillo, psychologue de formation et membre de la Coordinadora Feminista 8M, a participé à la Convention constitutionnelle chilienne élue par les urnes en 2021. Un référendum sur le texte constitutionnel rédigé par cet organe – composée d'une tendance plutôt de gauche et féministe – a été organisé le 4 septembre 2022. Environ 62 % des personnes ayant voté l'ont rejeté ; un événement qui a suscité la déception de la gauche, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières du pays.

Il y a moins d'un mois, le 7 mai 2023, le Parti républicain d'extrême droite a remporté une victoire éclatante lors des élections pour élire les 50 nouveaux conseillers constituants chargés de rédiger une autre proposition de constitution pour le pays (qui vit encore avec la Constitution héritée de la dictature d'Augusto Pinoche et que le Parti républicain souhaiterait maintenir).

Comment expliquer le basculement de la société chilienne depuis des positions de gauche et mobilisé pour demander des mesures sociales profondes, vers l'extrême droite ? Le regard d'Alondra Carrillo permet de faire la lumière sur la complexité d'un processus constitutionnel historique. Elle expose également les conséquences de la poussée féministe qui a pénétré les institutions et la société chiliennes ces dernières années.

L'explosion sociale de 2019 au Chili, pays si souvent décrit comme étant « le modèle du modèle libéral », a surpris beaucoup de gens à l'extérieur du pays. Comment l'avez-vous vécu, vous qui étiez impliqués dans le processus ?

Alondra Carrillo : Quelques mois plus tôt, en 2018, nous [le mouvement Coordinadora Feminista 8M] avions lancé la première grève générale féministe du Chili dont l'une des vocations premières consistait à s'imposer comme une force sociale transformatrice : interrompre la normalité néolibérale, ouvrir une nouvelle période historique caractérisée par un cycle de mobilisations croissantes qui renverseraient le néolibéralisme et remettraient en question les responsables politiques de son administration.

Dans ce sens, même si nous ne nous imaginions pas l'explosion dans cette manifestation spécifique, nous nous attendions néanmoins à cet énorme déploiement et à ce qu'il puisse constituer une rupture. Quelques jours auparavant, nous participions à la Rencontre des femmes, lesbiennes, travestis, trans et non-binaires de La Plata, en Argentine, au moment où la révolte se produisait en Équateur, et nous espérions vivement que les autres peuples se soulèveraient à leur tour. Nous sommes revenus au Chili peu avant la révolution, et nous avons découvert cette démonstration de force, de rage et de créativité populaires qui a été l'un des moments les plus passionnants et les plus émouvants de notre vie.

Ces dernières années, le temps historique semble s'accélérer. Dans de nombreux pays, on a assisté depuis 2018 à une émergence massive et sans précédent des mouvements féministes. Comment résumeriez-vous les changements survenus au cours de cette période ?

Je pense que l'un des éléments les plus significatifs est que le féminisme est devenu une présence permanente dans de nombreux espaces de la population, même si pas dans tous. Dans certains espaces, il ne se profile même pas à l'horizon, comme dans certains territoires très précaires et ruraux ; mais dans beaucoup d'autres, comme les écoles, les lieux de travail, les médias et les universités, le féminisme, sa critique et la manière dont il rend visible l'invisible nous permettent de briser le naturel avec lequel l'oppression patriarcale est présentée.

Depuis lors, une pandémie a eu lieu. Comment celle-ci a-t-elle influencé l'organisation politique de la Coordinadora Feminista ?

La pandémie a entraîné de nombreuses conséquences. D'une part, elle nous a incontestablement empêchées de nous réunir en personne, avec tout ce que cela implique pour l'organisation politique. Mais elle a aussi entraîné un appauvrissement encore plus important, la détérioration des conditions de vie de la majorité de la population et l'installation de la peur qui reste en vigueur à ce jour et qui est très utile pour les secteurs au pouvoir, étant donné que la tendance des sociétés contemporaines à sortir de cette crise s'est traduite par un virage autoritaire. La pandémie ne s'est pas uniquement limitée à une situation sanitaire : [elle a entraîné] une réorganisation mondiale de nos conditions de vie et de travail.

Dans notre pays, la crise sanitaire a eu pour effet de détruire l'emploi des femmes, et ce dans un contexte inflationniste, en raison de certaines mesures économiques adoptées pour lutter contre la crise, telles que le retrait des fonds de pension privés des travailleuses et des travailleurs.

Néanmoins, nous avons su saisir l'occasion de nous retrouver à nouveau : cette année, nous avons tenu une cinquième Rencontre plurinationale des femmes et des dissidences en lutte. Il s'agissait de la troisième fois que nous nous retrouvions en personne, après deux années de rencontres virtuelles. Dans ce contexte de précarité, cette structure organisationnelle plus stable s'est renforcée, avec des difficultés, mais aussi des signes de stabilité dans un contexte d'instabilité généralisée.

Comment interprétez-vous le « non » au texte constitutionnel lors du référendum de septembre 2022 ? L'une des interprétations les plus répandues est que le texte, en raison de sa nature radicale, ne correspondait pas aux sentiments de la majorité du peuple chilien. Êtes-vous d'accord ?

Je pense que les explications simples du résultat de cette consultation sont toujours trompeuses. Le résultat du référendum exprime une situation politique extrêmement complexe. Il s'agit par ailleurs du premier vote obligatoire du Chili associé à une inscription automatique, ce qui correspond à la radiographie la plus complète que nous ayons de notre population [plus de 85 % de l'électorat, soit plus de treize millions de personnes, ont voté]. Le caractère obligatoire du vote, par rapport aux votes précédents du processus, indique que quatre millions de personnes n'ont pas participé à la définition des moments précédents, mais ont participé au moment final, sans que beaucoup d'entre elles aient eu l'occasion de véritablement s'approcher du texte, car il y a eu des obstacles généralisés à la diffusion du texte auprès de la population.

Les enjeux du référendum étaient nombreux : certaines peurs ont été ravivées dans la population, comme la peur de perdre la propriété des fonds de pension privés, qui a déplacé complètement la discussion vers le système de pension dont nous avons besoin pour garantir des pensions dignes pour tous. Également la peur de perdre la propriété du logement, ce qui a eu pour effet de décaler le débat sur celui de la crise du logement que nous connaissons aujourd'hui. Ou encore la crainte des effets de la plurinationalité, présentée comme une dissolution de l'identité nationale, dans un pays où la propriété et la nation sont devenues des piliers subjectifs pour de larges segments de la population qui y trouvent les seules clés de la certitude dans un contexte d'incertitude généralisée.

Ce discours sur le caractère trop radical du texte, plutôt que d'être explicatif et compréhensif, sert plutôt les idées reçues sur les enjeux de la proposition et sur ce qu'elle représente.

Il est donc essentiel de procéder à une analyse du processus qui ne renvoie pas la responsabilité de l'échec aux « coupables de toujours ». Pour comprendre ce que la population a rejeté le 4 septembre, il convient de considérer l'absence de programme économique des secteurs de gauche pour surmonter le néolibéralisme, l'impossibilité de produire un discours général facilement compréhensible et convaincant face à l'énorme campagne de discrédit qui a été déployée contre le texte, ainsi que les conséquences imprévues et contradictoires des mesures utilisées pour faire face à la précarité de la pandémie.

Quelles leçons peut-on tirer de ce processus et comment gérer le désenchantement que le « non » au texte constitutionnel a entraîné pour le mouvement féministe et, d'une manière générale, pour le mouvement social ?

Le désenchantement qui a pu naître au sein du mouvement féministe à la suite du résultat du référendum est un élément important pour comprendre les distances que garde le mouvement vis-à-vis d'un nouveau processus dans lequel les partis ont accepté d'exclure délibérément le mouvement social. Je pense en outre qu'il est important de réfléchir aujourd'hui à l'état d'esprit du mouvement par rapport aux conditions extrêmement complexes et difficiles auxquelles nous sommes confrontés.

Nous vivons un moment de renforcement accéléré de l'autoritarisme, de privation des droits fondamentaux et des garanties et de la mise en place d'un dispositif de persécution, dans un cadre où la droite a pris le contrôle presque total des programmes politiques et a centré le débat sur l'insécurité et la criminalité, et dans lequel le gouvernement a abandonné l'initiative.

Nous avons assisté à l'approbation d'une législation que même l'ONU a dénoncée comme extrêmement dangereuse, notamment la loi « Naín-Retamal », qui accorde un droit de légitime défense privilégiée à la police, une loi de la « gâchette facile », qui prive la population migrante de droits de manière injustifiée et qui assimile migration et délinquance. Une loi qui sera utilisée contre nous lorsque nous devrons descendre dans la rue parce que les conditions de vie continuent de se dégrader.

Quelle est votre opinion sur le gouvernement actuel de Gabriel Boric ?

Nous avons appelé à voter pour le gouvernement de Gabriel Boric afin d'empêcher l'arrivée de l'extrême droite de José Antonio Kast, mais nous n'avons jamais placé nos espoirs dans ce gouvernement, qui a décidé de se présenter au public comme un gouvernement féministe, écologiste, un gouvernement qui a ratifié le TPP-11 [un accord de libre-échange] et qui est sur le point de ratifier la modernisation de l'accord entre le Chili et l'Union européenne. Un gouvernement qui a renoncé à la parité dans le cabinet ministériel et dont les dernières nominations ne font que consolider une certaine orientation politique.

Si l'on revient deux décennies en arrière pour comprendre l'état de santé de la mobilisation étudiante, votre entrée en politique est marquée par votre participation au mouvement étudiant et, en particulier, à la révolution dite des « pingouins » de 2006, à laquelle vous avez pris part lorsque vous étiez lycéenne. Comment en êtes-vous venue à l'activisme et comment avez-vous vécu ces mobilisations ?

En 2006, des étudiants plus âgés que moi [du Colegio Latinoamericano, fondé par des personnes revenues de l'exil, des militants du parti communiste ainsi que des partisans de la gauche pendant la dictature] avaient organisé une série d'assemblées, rejoints par les lycéens du secteur sud de Santiago. Il s'agissait pour moi de ma première expérience de mobilisation politique, de découverte de ce qu'était l'organisation étudiante. Tout est parti d'une revendication très spécifique, liée aux transports, avant de se transformer en une mobilisation contre la loi organique sur l'éducation imposée par la dictature civilo-militaire.

Quels liens ce mouvement étudiant entretient-il avec l'explosion sociale de 2019 ?

Le mouvement étudiant de 2006, puis celui de 2011, [combiné à] la mobilisation contre HidroAysén [le projet hydroélectrique en Patagonie], contre la sous-traitance ainsi que les mouvements féministes, mettent en lumière [dans leur ensemble] une série de conflits qui sont liés au fonctionnement du néolibéralisme et à son déploiement permanent dans notre pays, en tant que structure qui garantit le pouvoir et l'enrichissement d'un petit secteur de notre société. Un secteur qui s'approprie la richesse sociale et qui dicte sa loi sur la base de l'héritage institutionnel imposé par la dictature et administré par les gouvernements de la transition, et ce, en regard de la précarité croissante de la majorité de la population.

À l'instar des autres mouvements sociaux qui ont émergé au cours des 30 dernières années, le mouvement étudiant est le résultat des conflits sectoriels qui découlent du fonctionnement du néolibéralisme.

Selon vous, le mouvement étudiant chilien est-il toujours vivant ?

Il n'est plus ce qu'il était : de nombreuses organisations qui étaient très fortes à l'époque sont aujourd'hui affaiblies ou n'existent plus, comme la Fédération des étudiants de l'Université du Chili, qui était l'une des plus dynamiques et des plus mobilisées à l'époque, lorsque beaucoup d'entre nous se sont formés politiquement dans le feu de l'action. À l'intérieur du mouvement secondaire [ou de l'enseignement secondaire], il existe un segment féministe important qui a été très pertinent et qui est descendu dans la rue le 8 mars, mais en tant que tel, le mouvement étudiant n'a plus la force qu'il avait dans ces années-là.

01.06.2023 à 10:30

Et si on laissait une chance à la sécurité humaine ?

Accélérées par l'impact de la guerre en Ukraine et les tensions croissantes dans la zone indo-pacifique, qui constitue désormais le nouvel épicentre de l'agenda international, où se focalise le plus clairement la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine, les dépenses militaires mondiales continuent d'augmenter pour la huitième année consécutive. C'est ce qui ressort des données publiées récemment par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Celles-ci confirment, (...)

- Opinions / , , , , , , , , , ,
Texte intégral (1506 mots)

Accélérées par l'impact de la guerre en Ukraine et les tensions croissantes dans la zone indo-pacifique, qui constitue désormais le nouvel épicentre de l'agenda international, où se focalise le plus clairement la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine, les dépenses militaires mondiales continuent d'augmenter pour la huitième année consécutive. C'est ce qui ressort des données publiées récemment par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Celles-ci confirment, en effet, que les dépenses militaires mondiales ont une nouvelle fois battu un record historique en 2022, atteignant 2.240 milliards de dollars US, ce qui représente une augmentation de 3,7 % en termes réels (6,5 % en termes nominaux) par rapport à l'année précédente.

Si l'on se place dans la perspective classique de la sécurité des États, qui suppose en termes généraux que plus on possède d'armes, plus le niveau de sécurité atteint est élevé, cela pourrait être interprété comme une bonne nouvelle, puisque cela impliquerait que l'on dispose de plus de moyens pour se défendre contre toute menace éventuelle à ses propres intérêts ainsi que d'une plus grande capacité de dissuasion à l'égard d'ennemis potentiels.

Toutefois, si l'on examine les données relatives au nombre de conflits entre États enregistrés jusqu'à présent au 21e siècle, partant des rapports fournis par l'université d'Uppsala dans le cadre de son prestigieux programme de recherche sur les conflits armés, on constate que le nombre de foyers actifs dans différentes parties de la planète était de 33 en 2001, alors qu'il atteint déjà 54, vingt ans plus tard. Et bien que la complexité du phénomène de la violence ne puisse être ramenée à un seul paramètre, on arrive inéluctablement à la conclusion que, tant au niveau mondial que local, l'idée selon laquelle plus d'armes signifie plus de sécurité est dénuée de fondement.

Une vision militariste unidimensionnelle

Malgré cela, l'immense majorité des pays du monde continue de s'accrocher à ce schéma sécuritaire étatique, déterminés à faire passer les intérêts de l'État avant ceux des populations qui y vivent, faisant fi du nombre de cas où l'appareil d'État se retrouve entre les mains d'une petite élite concernée avant tout par la défense de ses privilèges et ce, indépendamment (voire au mépris) des besoins et des attentes de sa propre population. Dans le même ordre d'idées, une majorité de personnes continue à réduire le concept de sécurité à sa dimension strictement militaire, comme si les aspects sociaux, politiques et économiques ne constituaient pas des dimensions tout aussi importantes pour un monde plus sûr.

Cette vision militariste unidimensionnelle domine largement la scène internationale, avec les États-Unis toujours en tête en 2022, comptant à eux seuls pour 39 % des dépenses mondiales de défense (877 milliards USD), suivis par la Chine avec 13 % (292 milliards USD). En d'autres termes, le budget total que les deux principales puissances consacrent à la défense militaire équivaut à 52 % de l'effort mondial dans ce domaine. Si l'on y ajoute la Russie (86,4 milliards USD), l'Inde (81,4 milliards USD), l'Arabie Saoudite (73 milliards USD) et le Japon (46 milliards USD), le pourcentage du total atteint 64 %.

Quant au continent européen, le montant total des budgets de l'ensemble des pays du Vieux Continent a atteint 345 milliards USD en 2022, soit une augmentation de 13 % par rapport à 2021, et de 30 % depuis 2013.

De tous ces pays, l'Ukraine a connu la plus forte augmentation en glissement annuel (640 %), avec des dépenses militaires qui s'élèvent à 44 milliards USD, soit 34 % de son PIB.

Tout indique que les dépenses militaires mondiales augmenteront encore cette année, comme si nous refusions de comprendre que, dans la grande majorité des cas, les violences à l'intérieur des États et entre eux sont fondamentalement imputables à des facteurs sociaux, politiques et économiques et à l'existence d'une politique de deux poids, deux mesures à l'échelon international.

Maintenir un tel mode de comportement revient en définitive à s'obstiner à croire que les moyens militaires sont à même de résoudre des problèmes pour lesquels ils ne sont ni équipés, ni formés.

Cela implique également que l'on privilégie une approche réactive, qui n'est mobilisée qu'en réponse à une explosion de violence, alors que l'on néglige de renforcer les mécanismes de construction de la paix et de prévention des conflits, ceux-là mêmes qui sont censés empêcher qu'une telle explosion ne se produise.

Construction de la paix et résolution de conflits

Quant à opter pour cette deuxième voie, voilà qui n'est pas encore gagné d'avance. Un rapide coup d'œil à l'ONU, insuffisamment dotée en ressources et limitée dans sa capacité à contraindre les États à respecter leurs engagements communs, suffit pour se rendre compte qu'il n'y a pas actuellement de volonté suffisante de la part de ses pays membres pour déployer tout son potentiel au service de la paix. En tant que représentante légitime de la communauté internationale, l'ONU est pourtant la mieux placée pour prendre la tête d'un exercice devant conjuguer des efforts soutenus sur le long terme (il n'y a pas de raccourcis ni de solutions miracles), le multilatéralisme (aucun État ne dispose de moyens suffisants pour faire face aux menaces et aux risques qui nous concernent) et la multidimensionnalité (combinant les éléments sociaux, politiques, économiques, diplomatiques et militaires).

Ce n'est qu'ainsi que l'ONU pourra dépasser le cadre de la simple gestion des problèmes et aspirer à leur résolution, en s'attaquant notamment à leurs causes structurelles avant que la situation ne dégénère inévitablement en un conflit violent.

Dans cette optique, et sans jamais renoncer à la défense des intérêts légitimes de chaque État, ni à la nécessité de disposer de moyens militaires comme instrument de dernier recours pour les garantir, il convient d'élargir la perspective en y intégrant la notion de sécurité humaine. Apparu vers le milieu de la dernière décennie du siècle dernier, ce concept n'a pas réussi à s'imposer comme référence centrale des modèles de sécurité des États, acculé par la poussée de la « guerre contre la terreur » qui a dominé les deux dernières décennies.

Il ne s'agit pas de substituer l'approche de la sécurité de l'État, mais plutôt de l'élargir sur la base du principe que la paix sociale et le bien-être à l'intérieur des pays sont tout aussi importants que la défense des frontières et du territoire contre les menaces extérieures potentielles.

La sécurité humaine accorde une place centrale à l'être humain, en considérant comme base fondamentale de la paix et de la sécurité la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque personne, le plein exercice de ses droits sociaux, culturels, politiques et économiques, et sa gouvernance par des autorités légitimes. Cette notion englobe notamment les dimensions économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, individuelle, communautaire et politique.

Cela suppose, par essence, que l'on ne peut assurer sa propre sécurité au détriment de celle de son voisin et que, comme l'a souligné Kofi Annan en 2005 :

« Il ne peut y avoir de développement sans sécurité ni de sécurité sans développement, et l'on ne peut avoir ni l'un ni l'autre en l'absence du plein respect des droits humains de tous ».

C'est dans cette même optique que s'inscrivent les Objectifs de développement durable, le Programme 2030 et le document Notre Programme commun, présenté par le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, en 2021, en attendant les résultats du Sommet de l'avenir convoqué par l'ONU pour septembre de l'année prochaine.

La Colombie vient de rendre publique sa nouvelle Politique de sécurité, de défense et de coexistence citoyenne 2022-2026, Des garanties pour la vie et la paix, qui repose directement sur le principe de la protection de la vie de tous ses citoyens. Réussira-t-elle à la mettre en œuvre ? D'autres seront-ils inspirés par son exemple alors que tout indique que les budgets militaires continueront d'augmenter à court terme ?

31.05.2023 à 05:00

Un nouveau défi pour l'Europe : qui s'occupera des personnes âgées en milieu rural ?

L'Europe vieillit. Mais elle ne vieillit pas de manière égale. Sur les 90 millions d'Européens âgés de plus de 65 ans – un chiffre qui avoisinera les 130 millions en 2050 –, au moins une personne sur cinq vit sur un territoire caractérisé par des services publics moins nombreux, des moyens de transport dégradés, des distances plus longues jusqu'à l'hôpital le plus proche, un nombre moins important de professionnels de soins. En définitive, ce sont essentiellement les personnes âgées qui vivent dans les (...)

- Actualité / , , , , , , , ,
Texte intégral (2216 mots)

L'Europe vieillit. Mais elle ne vieillit pas de manière égale. Sur les 90 millions d'Européens âgés de plus de 65 ans – un chiffre qui avoisinera les 130 millions en 2050 –, au moins une personne sur cinq vit sur un territoire caractérisé par des services publics moins nombreux, des moyens de transport dégradés, des distances plus longues jusqu'à l'hôpital le plus proche, un nombre moins important de professionnels de soins. En définitive, ce sont essentiellement les personnes âgées qui vivent dans les zones rurales.

Dans certaines régions, comme à l'est de l'Allemagne, au nord et au centre de l'Italie ou au nord-ouest et au centre de l'Espagne, le sommet de la pyramide des âges s'est tellement élargi qu'aujourd'hui les personnes âgées représentent entre 20 et 30 % du total des habitants, avec un effet pervers : plus un village est petit, épars et dépeuplé, plus sa population âgée affronte en solitaire les difficultés que cela implique.

Pendant toutes ces années, la prise en charge des personnes âgées en milieu rural incombait aux familles ou à la communauté, suivant un modèle que certains sociologues dénomment « la génération soutien », composée de « personnes de 30 à 50 ans, majoritairement des femmes », explique à Equal Times Ángel Martín, professeur de sociologie à l'université de Salamanque. « Une génération sur le déclin. »

L'exode rural a bouleversé le système traditionnel de soins dans les villages. Dans le cas de l'Espagne, la sociologue Begoña Elizalde a observé que, par exemple, faute de femmes, de nombreux hommes, surtout des célibataires, ont commencé à s'occuper des personnes âgées après la crise économique de 2008. Toutefois, ce changement est aussi conjoncturel qu'insuffisant.

Les zones rurales étant de plus en plus dépeuplées et dépourvues de ressources – publiques ou privées – pour faire face à la dépendance et à la solitude, quelle option reste-t-il aux aînés ? Rester seuls ? Quitter le village ? Passer la dernière époque de leur vie loin de chez eux, dans une maison de retraite ?

« Notre société a l'obligation de répondre à ces questions », indique Ángel Martín. « Il s'agit d'un débat sur les droits ; chacun devrait pouvoir vieillir dans les mêmes conditions, quel que soit son lieu de vie. »

Davantage d'investissements publics

Josefina a 65 ans. Elle vit seule. Sa mère est décédée depuis un moment, son frère depuis trois mois seulement. Josefina avait l'habitude de passer la matinée avec la télévision pour unique compagnie, mais depuis un an elle va à l'école. C'est un établissement particulier, dont l'objectif est de l'aider à entretenir sa mémoire et à la maintenir en forme le plus longtemps possible. Il se trouve dans le village de Josefina, Casares. Elle ne le sait probablement pas, mais il y a peu d'endroits en Espagne où cela est possible.

Cette initiative émane d'une association à but non lucratif, l'association Botika, et d'une infirmière à la retraite, María Valadez qui, ayant subi des lésions cérébrales dès l'âge de 25 ans, a constaté par elle-même ce manque de ressources dans la région.

L'établissement accueille des personnes âgées atteintes de pathologies neurocognitives – démence, maladie de Parkinson ou d'Alzheimer –, et de nombreuses autres personnes qui ne présentent pas de troubles particuliers, majoritairement des veuves, ou des femmes seules, comme Josefina, qui viennent là simplement pour rencontrer du monde et faire en sorte que la solitude ne soit pas le facteur déclenchant d'une dégradation prématurée. « Nous sommes en train de démontrer que nous améliorons la qualité de vie des gens. Nous voyons arriver des personnes de 97 ans tous les jours », précise María Valadez.

« Notre centre est plus qu'un recours : nous sommes une communauté. Nous veillons à ce que les personnes âgées aillent chez le médecin, nous faisons attention à elles quand elles ont un rhume, et nous leur rendons visite si nous ne les voyons pas deux jours de suite. Nous avons accompagné beaucoup de nos aînés jusqu'à la fin. »

Le centre Botika, qui accueille également des personnes souffrant de lésions cérébrales et de handicaps fonctionnels, est un exemple de bonnes pratiques dans un pays tel que l'Espagne, qui prévoit à peine quelques heures de soins à domicile par jour pour les personnes âgées dans sa loi sur la dépendance – pensée d'un point de vue urbain, comme tant d'autres lois. Ce centre, au contraire, ouvre tous les matins sans interruption pour offrir des services aux usagers et aux membres de leur famille. Les soins sont différents, mais cela demande de la volonté. Et de l'argent. Les ressources pour payer une équipe de professionnels – psychologues, thérapeutes, animateurs et auxiliaires de soins – proviennent en l'occurrence d'un équilibre subtil entre les aides de la municipalité, qui met le local à leur disposition, quelques entreprises privées et les usagers eux-mêmes.

« Je détermine le budget d'une année sur l'autre, je ne sais jamais jusqu'à quand cela va durer », s'interroge María Valadez. « Cette année, nous avons dû demander un effort financier à nos usagers, sinon nous aurions mis la clé sous la porte », confie-t-elle avant de rappeler : « Les soins ne devraient pas être payés par la charité ; c'est le secteur public qui doit investir dans les soins. »

Seulement une question d'argent ?

« Il ne viendrait à l'esprit de personne que les enfants n'aillent pas à l'école. Alors pourquoi les personnes âgées n'auraient-elles pas accès à des services importants pour elles ? » C'est la question que pose Pilar Rodríguez, gérontologue et coordinatrice d'un programme pionnier en Espagne concernant la vieillesse en milieu rural. Il a vu le jour il y a une vingtaine d'années dans les Asturies, en partant d'un principe simple : si 90 % des personnes âgées, qu'elles vivent en ville ou à la campagne, souhaitent vieillir chez elles, il faut que ce soit aussi facile pour les unes que pour les autres.

Cet objectif a été atteint en amenant des services dans les zones rurales, d'où le nom « Rompiendo Distancias » (Éliminer les distances) : salons de coiffure, bibliothèques, blanchisseries, soins à la personne ou repas livrés à domicile. Outre ces services, le projet consistait à soutenir les familles, à les aider à acquérir du matériel de soins, par exemple des fauteuils roulants et des déambulateurs, à améliorer l'accessibilité des maisons, comportant souvent des escaliers et d'autres obstacles, le tout en coordination avec les services sociaux et les associations à but non lucratif de chaque village.

Ce type de programme requiert non seulement de l'argent, mais aussi une bonne planification, assure Pilar Rodríguez. « Il s'agit d'offrir des solutions différentes en fonction du lieu, de procéder à diagnostic du territoire et de ses habitants et de trouver des ressources. Ce sont les services qui doivent s'adapter à leurs besoins, et non l'inverse. »

Il existe d'autres projets européens qui aident les personnes âgées en milieu rural en rendant certains services plus accessibles. La Finlande, par exemple, a mis en place des centres de santé mobiles ; en France, la poste propose des visites préventives aux personnes âgées isolées ; l'Allemagne s'efforce d'instaurer des services de santé mentale dans des exploitations agricoles.

Actuellement, à Valladolid (Espagne), un projet pilote financé par la Commission européenne, Rural Care, vise à unir les efforts de diverses administrations locales, régionales et nationales pour coordonner les services sociaux et de santé, des acteurs publics et privés, afin de permettre aux personnes âgées de vieillir dignement dans leur village. Ce projet s'adresse aux ménages à risque, c'est-à-dire aux personnes seules ou dépendantes ; leurs besoins sont analysés et un plan d'aide personnalisé est réalisé, en collaboration avec la personne âgée elle-même.

« Ce n'est pas un programme excessivement cher. Il est plus efficace, y compris financièrement, de maintenir les personnes âgées chez elles que d'assurer le fonctionnement d'une maison de retraite », déclare à Equal Times Alfonso Lara Montero, directeur du Réseau social européen à la tête du programme. Mais les difficultés sont ailleurs. La première est de trouver des personnes qui souhaitent y participer, en grande partie à cause du manque de confiance et sous l'effet de la pression sociale présente dans ces zones, où la tradition considère le soin comme une affaire qui ne regarde que la famille.

« D'un autre côté », poursuit Alfonso Lara Montero, « ce type de programme ne peut s'envisager sans tenir compte de facteurs externes, à savoir la qualité des transports, l'état des routes, ou l'accès à Internet. Bien sûr, dans le domaine des services sociaux, il est toujours possible de mettre sur pied des programmes innovants, mais cela ne peut pas se faire sans proposer de solutions à ce contexte plus général. »

Des soins à petite échelle

La maison de retraite, jusqu'alors la seule alternative pour les personnes âgées seules à la fin de leur vie, a toujours été l'option la plus difficile, parce qu'elle est assimilée à l'abandon, au déracinement et à la disparition des villages qui, bien souvent, n'existent que grâce à leurs aînés. Cependant, aujourd'hui, d'autres possibilités se profilent.

« Ne pensons pas uniquement aux grandes maisons de retraite, ni aux moyennes. Le mieux serait peut-être de créer de petites infrastructures, des micro-résidences, des éco-résidences, qui permettent aux personnes âgées de garder dans leur propre village un mode de vie proche de celui qu'elles ont à leur domicile », suggère le sociologue Ángel Martín.

Certaines idées ont déjà émergé dans le programme Rompiendo Distancias, telles que des centres de jour en milieu rural, des foyers-logements, des mini-résidences, ou des centres polyvalents qui allient le volet résidentiel à d'autres domaines pour proposer des activités spécifiques, et même mélanger les générations. Dans tous ces cas, il est indispensable de résoudre un autre problème, qui se révèle aussi complexe en milieu urbain que rural : le manque de soignants professionnels.

« Pour disposer de personnel formé et motivé, il est important que le travail soit reconnu et bénéficie de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail », souligne Pilar Rodríguez. « On peut s'appuyer sur les jeunes qui vivent dans les villages, on peut les former et les embaucher. » Ou attirer des gens de l'extérieur. Mais dans ce cas il faudra aussi améliorer les routes, les services et l'accès à Internet, le « contexte » en question.

Les personnes âgées, si l'on y réfléchit bien, pourraient devenir le moteur du maintien de la vie dans les villages, pour relever l'autre défi – indissociable – que représente le dépeuplement.

« Le débat sur les soins dans le monde rural dépasse la question de la qualité de vie des personnes âgées », fait remarquer Ángel Martín. « Tout dépend du milieu rural que nous voulons. Et cela se répercute sur l'environnement, le changement climatique, le mode de production de nos aliments. Voulons-nous maintenir la vie dans les villages, ou les abandonner aux mains des grandes entreprises pour qu'elles y installent des champs solaires ou des mégafermes porcines ? »

26.05.2023 à 05:00

Une agriculture climato-intelligente peut-elle renforcer la résilience du Malawi aux chocs alimentaires, sanitaires et climatiques ?

Depuis deux ans, Jakina Lameki, habitante de Bangula, une ville située dans le district de Nsanje, à l'extrême sud du Malawi, subit de plein fouet l'impact catastrophique du changement climatique sur son pays. L'année dernière, Mme Lameki a vu ses cultures de maïs, de millet, de haricots et de patates douces emportées par le cyclone Ana. Peu après, un autre cyclone tropical, Gombe, est venu raser tout ce qui restait.
Après avoir dépendu de l'aide humanitaire pendant toute une année, un début de saison (...)

- Actualité / , , , , , ,
Texte intégral (1873 mots)

Depuis deux ans, Jakina Lameki, habitante de Bangula, une ville située dans le district de Nsanje, à l'extrême sud du Malawi, subit de plein fouet l'impact catastrophique du changement climatique sur son pays. L'année dernière, Mme Lameki a vu ses cultures de maïs, de millet, de haricots et de patates douces emportées par le cyclone Ana. Peu après, un autre cyclone tropical, Gombe, est venu raser tout ce qui restait.

Après avoir dépendu de l'aide humanitaire pendant toute une année, un début de saison des cultures prometteur en novembre lui avait redonné l'espoir de pouvoir subvenir aux besoins alimentaires de sa famille. Malgré cela, elle se retrouve confrontée à une nouvelle année d'insécurité alimentaire : Jakina Lameki fait partie des quelque 2,3 millions de personnes dont les récoltes et le bétail ont été décimés par le cyclone tropical Freddy. Une catastrophe qui a fait plus de 1.000 morts et 650.000 déplacés au Malawi en mars dernier. « Cette saison agricole s'annonçait plutôt bien. Les récoltes paraissaient très prometteuses, mais elles ont été complètement détruites par les flots. À présent, il faut tout reprendre à zéro », dit-elle dépitée.

Au cours des cinq dernières décennies, le Malawi a subi plus de 19 inondations et sept sécheresses. En 2015, le pays a été ravagé par les pires inondations en 50 ans. Cette année, plus de 5,4 millions de personnes au Malawi font face à une insécurité alimentaire chronique modérée à sévère. La situation s'est considérablement aggravée du fait du coût faramineux des importations de denrées alimentaires résultant de la hausse des prix des carburants, de l'augmentation du coût des engrais, conséquence de la guerre en Ukraine, et des pressions inflationnistes générales. Le Malawi a, de surcroît, été frappé par une épidémie mortelle de choléra, à la suite des cyclones Ana et Gombe. Depuis mars 2022, plus de 58.700 cas cumulés de choléra ont été recensés dans le pays, avec 1.759 décès et un taux de létalité de 3,03 %.

Face à la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, associée à une pauvreté généralisée, à une croissance démographique soutenue et à la déforestation et la dégradation importante de l'environnement (dues en partie à la forte demande de charbon de bois et de bois de chauffage), le Malawi risque d'être encore plus sévèrement impacté par le changement climatique au cours des prochaines années.

Les experts appellent le gouvernement à renforcer ses stratégies de préparation aux catastrophes et d'adaptation au changement climatique, en particulier dans le domaine de l'agriculture, pierre angulaire de la vie économique du pays.

« Il est impératif que nous renforcions notre résilience, tant au niveau de la société que de l'environnement », explique Steve Makungwa, maître de conférences et doyen adjoint de la faculté des ressources naturelles de la Lilongwe University of Agriculture and Rural Resources. Pour illustrer les tentatives du gouvernement de relever le défi du changement climatique, il cite comme exemple les agriculteurs des zones climatiquement vulnérables qui sont formés à l'irrigation de subsistance et à la collecte des eaux pluviales. Il reste néanmoins encore énormément à faire, selon lui.

Investir dans une agriculture climato-intelligente

L'activité agricole représente plus d'un quart du PIB du Malawi, où plus de 80 % des 19 millions d'habitants vivent de la petite agriculture. Bien que ce secteur soit à l'origine de 52 % des émissions de gaz à effet de serre du pays, le Malawi est au nombre des pays les moins émetteurs de l'Afrique australe. Le gouvernement et les partenaires internationaux ont néanmoins mis en œuvre diverses stratégies d'adaptation au climat dans le secteur agricole, compte tenu de la vulnérabilité du pays aux chocs extérieurs.

Parmi elles, un plan national phare répondant au nom de National Resilience Strategy (NRS). Lancée en 2018, cette stratégie vise à briser le cycle de l'insécurité alimentaire chronique au Malawi en s'appuyant sur une approche multipartite et sectorielle dans laquelle toutes les institutions impliquées dans l'agriculture collaborent au sein de groupes de travail techniques à la recherche de solutions durables. Parmi les nombreuses initiatives envisagées, la promotion d'une agriculture climato-intelligente – une approche de l'agriculture qui vise à lutter contre l'insécurité alimentaire et le changement climatique en contribuant à restaurer les agroécosystèmes et à accroître la productivité tout en réduisant les émissions – constitue un volet essentiel de la stratégie du gouvernement.

« Les agriculteurs doivent posséder les connaissances nécessaires sur la dégradation de l'environnement et les interventions pouvant en inverser les effets », insiste Gertrude Kambauwa, directrice du département chargé de la protection des ressources foncières au ministère de l'Agriculture.

Dans un entretien accordé à Equal Times, elle explique que le gouvernement a lancé diverses initiatives à l'échelle nationale, « comme la plantation d'arbres, la production de compost et de fumier animal, ainsi que la collecte d'eau de pluie – autant de sujets abordés dans le cadre des formations dispensées sur place aux agriculteurs ».

Néanmoins, selon la Banque mondiale, le Malawi a rencontré divers obstacles à l'adoption à grande échelle d'une agriculture climato-intelligente. Ils incluent un manque de connaissances adéquates, un accès insuffisant aux ressources financières et l'insécurité foncière. Autant de facteurs qui affectent de manière disproportionnée les petits exploitants agricoles.

Pour Steve Makungwa, il est nécessaire d'intensifier la mise en œuvre d'une agriculture intelligente face au climat afin d'aider les communautés particulièrement vulnérables. « De multiples facteurs, tels que le financement, les capacités individuelles et institutionnelles et des cadres réglementaires inappropriés, entravent l'expansion des techniques climato-intelligentes telles que l'agriculture de conservation, la diversification et l'utilisation de variétés de cultures améliorées, la gestion des sols et de l'eau, la promotion de l'agriculture irriguée, l'agroforesterie et la gestion post-récolte », a expliqué M. Makungwa

Il faut plus d'argent

Alors que les experts affirment que l'adaptation au changement climatique – qui consiste à prendre des mesures en vue de se préparer et de s'adapter aux effets actuels et prévus du changement climatique – constitue une solution clé au défi climatique du Malawi, selon Steve Makungwa, l'État n'en fait pas assez pour enrayer et inverser les dommages causés à l'environnement.

« Regardez nos systèmes agricoles, qui continuent d'utiliser des pratiques agricoles dégradantes. Regardez la déforestation et la dégradation que nous avons causées à nos forêts et à nos terres de culture à travers le pays, puis regardez nos modes d'habitat, en particulier dans les villes », a déclaré M. Makungwa.

Gertrude Kambauwa conteste toutefois l'idée que le gouvernement n'en fait pas assez pour résoudre les problèmes à l'origine du changement climatique, citant comme exemples l'adoption du Forestry Act Amendment Bill de 2019 (projet de réforme de la loi relative aux forêts, qui offre une série de protections accrues pour les forêts du Malawi, telles que l'amélioration de la réglementation relative au charbon de bois) ainsi que l'adoption en avril du 2023 Disaster Risk Management Bill (projet de loi sur la gestion des risques de catastrophes) comme preuves de l'engagement du gouvernement à construire des communautés résilientes face au changement climatique.

Selon Tamani Nkhono Mvula, célèbre commentateur agricole malawite, si une partie de la responsabilité de la création de communautés résilientes au changement climatique incombe aux individus, un changement sociétal global n'est envisageable que si le gouvernement déploie des politiques et des législations propices en ce sens, et surtout des moyens financiers.

Lors de la COP27 qui s'est tenue l'année dernière en Égypte, le Malawi a été l'un des pays à l'origine de l'appel pour la mise en place d'un fonds pour pertes et dommages, un mécanisme destiné à indemniser les nations vulnérables pour les « pertes et dommages » causés par les catastrophes d'origine climatique.

Bien qu'un accord historique ait été conclu, aucune disposition n'a encore été prise concernant les modalités de financement d'un tel fonds ou les pays éligibles. Or dans le cas du Malawi, le financement de l'adaptation par la communauté internationale sera d'autant plus crucial en vue du développement d'infrastructures résilientes au changement climatique et de pratiques agricoles climato-intelligentes.

Entre-temps, les ONG locales se mobilisent pour sensibiliser la population aux moyens de se protéger contre les pires effets des catastrophes climatiques et de pratiquer une agriculture plus durable. Lors d'une interview via Zoom, le directeur de l'ONG malawite Development Aid from People to People (DAPP), Moses Chibwana, a déclaré :

« Nous sommes conscients de la situation à laquelle les Malawites se trouvent confrontés et nous travaillons avec le gouvernement pour fournir aux communautés les informations utiles afin de leur permettre de prendre les décisions qui s'imposent en matière d'environnement. » « Nous pourrions réinstaller les populations des zones exposées aux catastrophes, cependant les phénomènes liés au changement climatique tels que les sécheresses, les inondations et les maladies induites par le climat continueront à se manifester », a souligné M. Chibwana. Et quand bien même l'agriculture climato-intelligente constitue un outil essentiel, il s'agira de mobiliser tout le monde face à l'urgence climatique : « Il n'existe pas de panacée au défi climatique qu'affronte le Malawi », a conclu M. Chibwana.

25.05.2023 à 05:00

Une transition juste garantie par le droit international est à notre portée – voici comment y parvenir

En 2021, nous faisions valoir que les éléments essentiels de toute conceptualisation d'une transition juste sont déjà bien ancrés dans le droit international relatif aux droits humains. Nous soutenions également qu'une transition juste ne doit pas être envisagée comme un simple concept abstrait de politique publique, mais plutôt comme un droit humain.
Depuis lors, des développements juridiques et politiques majeurs se sont produits permettant de donner un élan à l'élaboration d'un droit humain (...)

- Opinions / , , , ,
Texte intégral (2001 mots)

En 2021, nous faisions valoir que les éléments essentiels de toute conceptualisation d'une transition juste sont déjà bien ancrés dans le droit international relatif aux droits humains. Nous soutenions également qu'une transition juste ne doit pas être envisagée comme un simple concept abstrait de politique publique, mais plutôt comme un droit humain.

Depuis lors, des développements juridiques et politiques majeurs se sont produits permettant de donner un élan à l'élaboration d'un droit humain autonome à une transition juste.

Le 31 décembre 2021, la Commission interaméricaine des droits de l'homme publiait la résolution no 3/2021 « Crise climatique. Portée et obligations interaméricaines concernant les droits de l'homme ». Cette résolution mentionne le « droit au travail » et, au paragraphe 50, la responsabilité qui incombe aux États de garantir le respect des droits syndicaux ainsi que de veiller à ce que les systèmes de protection sociale soient adaptés pour répondre à la crise climatique.

En début d'année, les gouvernements du Chili et de la Colombie ont demandé à la Cour interaméricaine de rendre un avis consultatif visant à « clarifier la portée des obligations des États, dans leur dimension individuelle et collective, pour répondre à l'urgence climatique dans le cadre du droit international relatif aux droits humains ».

En juillet 2022, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable au titre de droit humain. La résolution confirmait le lien entre la crise climatique et les droits humains tout en soulignant l'obligation des États « de respecter, de protéger et de promouvoir les droits humains, y compris dans toutes les actions entreprises pour relever les défis environnementaux ».

Comme l'a expliqué l'Organisation internationale du Travail (OIT), cela signifie « appliquer une logique de “transition juste” qui évite les compromis entre le droit humain au travail et le droit humain à un environnement sain ; et protéger la biodiversité en soutenant les moyens de subsistance des populations autochtones ».

En septembre 2022, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a également rendu une décision majeure relative au changement climatique et aux droits humains en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a estimé que l'incapacité de l'Australie à protéger de manière adéquate les insulaires autochtones de l'île de Torres contre les effets néfastes du changement climatique constituait une violation de plusieurs de leurs droits au titre du Pacte.

Au mois de mars dernier, l'Assemblée générale des Nations unies a également adopté la résolution présentée par le Vanuatu en vue d'obtenir un avis de la Cour internationale de justice sur les responsabilités des États en matière de protection des générations futures contre les changements climatiques.

À la lumière de ces développements et d'autres mis en exergue dans notre article original, nous explorons les possibilités d'ancrer fermement la transition juste dans le droit relatif aux droits humains existant, et ce, en vue de développer un droit autonome.

Nous nous concentrons ici sur le droit au travail dans le contexte de la crise climatique.

Recourir aux conventions de l'OIT

En juin prochain, des délégués gouvernementaux, syndicaux et patronaux du monde entier se réuniront à la Conférence internationale du travail à Genève pour discuter de la façon de réaliser « une transition juste vers des économies et des sociétés durables sur le plan environnemental pour tous ». Cette discussion doit porter sur le rôle spécifique de l'OIT dans l'élaboration et la mise en œuvre de mesures d'atténuation et d'adaptation dans un contexte reposant sur les droits, et en particulier le droit au travail.

La Convention (n° 122) sur la politique de l'emploi (adoptée en 1964, à savoir bien avant la prise de conscience mondiale d'une crise climatique), constitue d'ores et déjà un socle important pour l'action de l'OIT, puisqu'elle préconise une approche coordonnée des politiques économiques et sociales « visant à promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi ». Dans le contexte d'une transition juste, cela impliquerait que les États adoptent un ensemble coordonné de politiques pour garantir l'accès aux opportunités d'emploi et des politiques actives concernant le marché du travail afin de soutenir une transition abandonnant les industries qui contribuent à la crise.

La Convention sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage (n° 168) complète utilement la Convention n° 122, puisqu'elle oblige les États à « veiller à ce que son régime de protection contre le chômage [...] contribue[nt] à la promotion du plein emploi, productif et librement choisi ». Les systèmes de protection sociale adéquats seront essentiels pour soutenir les travailleurs, leurs familles et leurs communautés, car même les mesures d'adaptation au changement climatique et d'atténuation de ses effets provoqueront des perturbations. Il conviendra de veiller à ce que les travailleurs, en particulier les plus vulnérables, bénéficient d'un accompagnement tout au long de la transition afin d'assurer le soutien de ces mesures. Naturellement, l'élaboration de toutes ces mesures doit faire l'objet de négociations avec les travailleurs et leurs organisations.

Le système de contrôle de l'OIT et surtout la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations peuvent contribuer à l'élaboration de la législation. En effet, ils peuvent formuler des observations sur les conventions 122 et 168 et les organisations de travailleurs devraient leur soumettre les questions qui s'y rapportent. Par ailleurs, il serait utile de prévoir une section concrète sur la transition juste dans la prochaine « Étude d'ensemble sur la politique de l'emploi », en s'appuyant sur les Principes directeurs de l'OIT pour une transition juste de 2015.

Tirer le meilleur parti de l'article 6 du PIDESC

L'article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) protège le droit au travail. Toutefois, la dernière Observation générale à ce sujet date d'il y a 17 ans et gagnerait à être étoffée dans le contexte de la crise climatique.

Néanmoins, l'Observation générale actuelle fournit des orientations utiles pour l'instant présent puisqu'elle reconnaît, en s'inspirant de la Convention 168 de l'OIT, que « le droit au travail contribue à la fois à la survie de l'individu et à celle de sa famille et, dans la mesure où le travail est librement choisi ou accepté, à son épanouissement et à sa reconnaissance au sein de la communauté ».

De plus, l'Observation générale précise, en citant la Convention 122, que le droit au travail « affirme l'obligation des États parties de garantir aux individus leur droit à un travail librement choisi ou accepté, y compris le droit de ne pas être privé injustement de son travail. Cette définition souligne le fait que le respect de l'individu et de sa dignité s'exprime par la liberté individuelle de choisir de travailler, tout en mettant l'accent sur l'importance du travail pour le développement personnel ainsi que pour l'inclusion sociale et économique ».

Comme l'a expliqué l'ancien haut-commissaire aux droits de l'homme, une transition juste est une transition qui applique pleinement l'article 6, de sorte que, dans la transformation du monde du travail, des économies durables et inclusives soient construites sur la base des droits humains internationaux. Cela implique que les États prennent des mesures pour protéger l'environnement tout en investissant non seulement dans les énergies propres et renouvelables, mais aussi dans une infrastructure humaine, par exemple en investissant substantiellement dans l'économie des soins.

Bien évidemment, cela suppose des mesures positives pour promouvoir la liberté d'association et la négociation collective, et pour éliminer les formes précaires d'emploi (conformément à l'article 7 sur les conditions de travail justes et favorables). Le droit au travail ne peut être garanti sans une protection sociale visant à minimiser l'impact des pertes d'emploi et à améliorer les perspectives d'emploi. Pour ce faire, il convient également d'assurer la protection d'autres droits humains, tels que le droit à l'alimentation, à la santé, au logement et à l'éducation.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC), l'organe chargé de surveiller la mise en œuvre du PIDESC, devrait donc reconnaître explicitement la transition juste dans le contexte du droit au travail dans sa prochaine Observation générale sur l'article 6. En outre, l'Observation générale du CDESC prévue pour cette année portera sur le développement durable et les droits reconnus dans le Pacte. Nous estimons que toute considération des droits du PIDESC dans le contexte du développement durable se doit d'inclure des mesures de transition juste.

Agir sur le Conseil des droits de l'homme et l'Assemblée générale des Nations unies

Le fait de placer le droit à une transition juste dans le PIDESC donnerait l'élan nécessaire et établirait un précédent juridique pour le développement d'un droit autonome au moyen d'une résolution du Conseil des droits de l'homme (CDH) de l'ONU. Bien que les résolutions du CDH ne soient pas contraignantes pour les États, si elles étaient associées à la jurisprudence de l'OIT et du PIDESC sur la transition juste que nous avons préconisée plus haut, un engagement politique mondial de cette ampleur favoriserait également la mise en œuvre effective de ce droit essentiel. En effet, une action au niveau du Conseil des droits de l'homme pourrait également déboucher sur une résolution plus large de l'Assemblée générale des Nations unies sur le droit humain à une transition juste.

Une approche de l'action climatique fondée sur les droits humains est impérative pour garantir une transition juste aux travailleurs et aux communautés. Afin de mobiliser efficacement des ressources pour permettre une transition vers des sociétés à faibles émissions de carbone et résilientes au changement climatique, la transition juste doit être reconnue comme un droit humain.

Comme nous l'avons fait valoir ici, l'OIT, les organes de traités des Nations Unies et le système des Nations Unies ont une occasion importante de faire de ce droit une réalité. Les rapporteurs spéciaux de l'ONU, les organismes régionaux des droits humains et les organisations de la société civile, dont les syndicats, devront également s'unir autour de cet objectif ambitieux.

5 / 20