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Observatoire critique des médias né du mouvement social de 1995

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22.11.2024 à 10:00

Bernard Arnault, Palestine, audiovisuel public et compagnie : revue de presse de la semaine

Elvis Bruneaux

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Du 15/11/2024 au 21/11/2024.

- L'actualité des médias /
Texte intégral (1459 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 15/11/2024 au 21/11/2024.

Critique des médias

« France Inter, Sciences Po et la Palestine : quand la "polémique" supplante l'information », Acrimed, 20/11.

« Les médias à l'épreuve de la guerre à Gaza », blog, 18/11.

« Jérusalem-Est : quand une info (officielle) tombe dans l'oubli », Arrêt sur images, 18/11.

« France-Israël, "dans un contexte que nous connaissons tous" », Arrêt sur images, 16/11.

« Anis, 15 ans, tué à Poitiers : cas d'école des jeunes vus par les médias », Arrêt sur images, 17/11.

« "Tu es une grosse poubelle" : Hanouna lance, les médias suivent », Arrêt sur images, 15/11.

« Procès Pierre Palmade : après l'emballement, le cirque médiatique s'installe au tribunal de Melun », Libération, 20/11.

« Accident de Pierre Palmade : retour sur un crash médiatique », Mediapart, 19/11.

« Palmade : complotisme ordinaire sur CNews », Arrêt sur images, 21/11.

« Cher Michel Onfray », Blast, 16/11.

« Mercure dans le thon : problème sanitaire ou panique médiatique ? », Arrêt sur images, 15/11.

« Enfin "vus à la télé" : les "faux documents" de Bardella », Arrêt sur images, 19/11.

« Dans les médias, la diversité peine à exister », Libération, 18/11.

« Gilets jaunes : quand les grands médias méprisaient le peuple », Off Investigation, 17/11.

« "Feux de la colère" : les médias aiment soudain que ça brûle », Arrêt sur images, 20/11.

« Quand la presse de Bernard Arnault encense Gabriel Attal », Off Investigation, 19/11.

« "Bergé, grosse poubelle" Hanouna, Apathie, Cnews : ils ont encore menti pour taper sur les insoumis », Le Média, 20/11.

Économie des médias

« L'Assemblée nationale sanctuarise le financement de l'audiovisuel public et sécurise son indépendance financière », Mediapart, 20/11.

« Comment Bernard Arnault ventile ses publicités dans les journaux », L'Informé, 15/11.

« Le presse sous perfusion de LVMH et de Bernard Arnault », Acrimed, 19/11.

« Cure d'austérité en vue dans le groupe les Échos - Le Parisien », L'Informé, 18/11.

« ESJ : les milliardaires français rachètent la plus vieille école de journalisme », L'Humanité, 18/11.

« Le média "60 millions de consommateurs" mis en vente par le gouvernement », Libération, 19/11.

« Déficitaire depuis dix ans, L'Express revient à l'équilibre et prévoit de lancer L'Express Europe en 2025 », Le Figaro, 20/11.

« Vivendi : la très relative indépendance des futurs administrateurs de l'empire Bolloré », La Lettre, 21/11.

À signaler, aussi

« L'Arcom a pris 52 sanctions contre les chaînes C8 et CNews en douze ans, dont 16 pendant la seule année 2024 », Le Monde, 15/11.

« Le député Aurélien Saintoul relance l'Arcom pour qu'elle accélère sa procédure contre CNews », La Lettre, 15/11.

« Bolloré va-t-il écraser l'Arcom ? », Sleeping Giants, 16/11.

« Ouin-ouin au pays d'Hanouna », Les Jours, 15/11.

« Violences en prison : les magistrats se penchent sur la censure d'un journal libertaire », Mediapart, 15/11.

« La short list des candidats à la présidence de Public Sénat », La Lettre, 21/11.

« Quand les journalistes adoptent les codes des influenceuses », La Revue des médias, 20/11.

« Affaire Manu Levy : NRJ condamnée pour harcèlement moral », Libération, 15/11.

« Quand la radio finançait la reconstruction d'un village normand », Arrêt sur images, 16/11.

« "Sud Ouest" suspend à son tour sa présence sur le réseau social X, après "Ouest-France" », Libération, 21/11.

« Israël : RSF dénonce l'offensive du gouvernement de Benyamin Netanyahou contre l'indépendance des médias », RSF, 21/11.

Et aussi, dans le monde : Iran, Chine, Hong Kong, Grèce, Guatemala...

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

20.11.2024 à 16:30

France Inter, Sciences Po et la Palestine : quand la « polémique » supplante l'information (1/3)

Pauline Perrenot

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Comment France Inter défigure un mouvement étudiant.

- En direct de France Inter / , , , , ,
Texte intégral (3834 mots)

Entre les mois de mars et mai 2024, le traitement dominant qu'ont réservé les grands médias aux mobilisations étudiantes en soutien à la Palestine, notamment à Sciences Po, s'est inscrit dans un périmètre pour le moins restreint, relevant davantage du procès à charge que de l'information. Un focus sur la couverture réalisée à cette époque par France Inter permet de mettre en lumière les mécanismes et les pratiques traditionnels par lesquels les médias en arrivent à défigurer un mouvement social. Et ce, sans avoir nécessairement besoin de recourir aux formats consacrés du « parti pris ». Dans ce premier volet, nous nous intéressons à la séquence d'emballement politico-médiatique survenue à la mi-mars.

À partir des données et des notices de l'INA compilées entre le 1er novembre 2023 et le 1er juin 2024, nous avons recensé 58 contenus produits par France Inter à propos des mobilisations à Sciences Po en soutien au peuple palestinien (voir en annexe pour un point méthodologique). Deux séquences se dégagent. Une première, extrêmement brève, date de la mi-mars. La seconde, s'étalant du 25 avril au 8 mai 2024, est de loin la plus fournie puisqu'elle concentre près de 85% des contenus (49). Elle est, aussi, celle qui a retenu prioritairement notre attention.

Au préalable toutefois, les contenus produits à la mi-mars méritent qu'on s'y arrête, tant ils offrent un condensé édifiant des biais qui émaillent la couverture de la deuxième séquence.

L'hégémonie des sources « légitimes »

Au journal de 19h, le 13 mars, une information relative à Sciences Po fait l'objet d'un coup de projecteur, dès l'annonce des titres :

Hélène Fily : Le gouvernement va saisir la justice après la mobilisation propalestinienne d'hier à Sciences Po interdisant la présence d'étudiants juifs. Gabriel Attal, le Premier ministre, l'a annoncé en se rendant sur place ce soir.

Tonitruante, cette accroche appelle au moins deux remarques. D'une part, on comprend d'emblée que la mobilisation étudiante n'est pas une information en tant que telle, mais un élément de contexte périphérique rapporté pour les besoins du sujet numéro 1 – l'annonce de Gabriel Attal. On constate, d'autre part, l'absence totale de précaution de la rédaction de France Inter : s'affranchissant de tout conditionnel, la journaliste présente un acte de discrimination envers des étudiants juifs (au pluriel) comme un fait avéré. Largement démenti depuis [1], cet épisode a fait l'objet d'un emballement politico-médiatique inconsidéré, initialement déclenché par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) avant d'être propulsé sur le devant de la scène par la direction de Sciences Po et surtout, par le pouvoir politique – avec en chefs de file, le Premier ministre Gabriel Attal, la ministre de l'Enseignement supérieur Sylvie Retailleau et le président de la République lui-même [2].

France Inter aura donc apporté sa pierre à l'édifice. La confiance aveugle accordée aux sources institutionnelles conduit en effet la première radio de France à emboîter le pas au pouvoir politique, dont elle se fait la caisse de résonance. C'est ainsi qu'après les gros titres, les mêmes biais se prolongent dans le reportage. « La polémique prend de l'ampleur », annonce d'emblée Claire Servajean, avant de laisser Hélène Fily dérouler son sujet :

Une centaine d'étudiants propalestiniens qui ont occupé l'amphithéâtre principal de la grande école, empêché la tenue d'un cours magistral et l'entrée d'une étudiante de l'Union des étudiants juifs de France [notons que « d'étudiants juifs » au pluriel, on passe désormais à « une étudiante », NDLR]. Elle dit avoir été traitée de « sioniste » et Emmanuel Macron dénonce des propos « parfaitement intolérables ». Bonsoir Marie [M.]. Et le Premier ministre s'est donc rendu sur place ce soir.

S'ensuit un court sujet d'une minute, qui ne consiste ni plus ni moins qu'en un duplicata du « coup de semonce » – également qualifié de « démonstration de fermeté » – de Gabriel Attal, en visite éclair au Conseil d'administration de Sciences Po dans l'après-midi. Ses propos fustigeant notamment « une forme de pente, de dérive […] liée à une minorité agissante et dangereuse à Sciences Po » ont été rapportés un peu plus tôt par une dépêche AFP, reprise partout dans la presse. Ils sont transcrits tels quels par la journaliste de France Inter et fournissent, de fait, l'angle traité sur la radio publique.

L'information est un rapport de forces

À sens et source uniques, ce cadrage sera partiellement rectifié le lendemain. Mais comme toujours, le mal est fait à l'instant T. S'emballer d'abord, vérifier ensuite : tel semble être le précepte de rédactions abreuvées au modèle de « l'info en continu » et de la course au scoop.

Le retentissement de la « controverse » est d'ailleurs encore mis en scène dans les journaux d'information du lendemain matin. « Sciences Po Paris en pleine polémique sur un rassemblement propalestinien », annonce-t-on à 6h ; « C'est la suite de la polémique sur une mobilisation propalestinienne », renchérit la rédaction à 7h, ou encore, à 8h : « L'affaire est montée jusqu'au sommet de l'État, provoquant l'indignation d'Emmanuel Macron en conseil des ministres. »

Néanmoins, contrairement à la veille, ces trois journaux font état de zones d'ombre et témoignent d'une information sous tension entre, d'une part, la communication appuyée du pouvoir politique et de la direction de Sciences Po, et, d'autre part, la version des étudiants mobilisés. Péniblement, cette dernière se fraye pour la première fois un chemin à l'antenne, où elle demeure toutefois largement sous-estimée, ensevelie sous le poids des sources « légitimes ». Ainsi de cette brève au journal de 6h :

Une ligne rouge a été franchie, estime la ministre de l'Enseignement supérieur. Sylvie Retailleau annonce des poursuites disciplinaires contre deux étudiants ayant interdit l'accès à l'amphithéâtre à une autre étudiante parce qu'elle était juive, selon l'Union des étudiants juifs de France, ce que contestent les organisateurs du rassemblement.

Point final. Une heure plus tard, le journal de 7h avance de quelques pas supplémentaires, mais le déséquilibre dans la présentation des dites « versions » reste inchangé :

Une étudiante juive empêchée d'assister à la conférence. Les organisateurs disent que ce n'est pas en raison de sa religion, mais parce qu'ils voulaient l'empêcher de filmer à l'intérieur. La version des faits n'est pas très claire. Qu'importe pour la ministre de l'Enseignement supérieur Sylvie Retailleau, il faut un message de fermeté. [Extrait d'une interview de Sylvie Retailleau.]

Et qu'importe pour la rédaction de France Inter, qui s'empresse de relayer le message en question. Les journalistes ont beau nager dans un grand flou artistique, ils font le choix d'alimenter et d'amplifier la « polémique » plutôt que de tempérer en prenant le temps… d'enquêter. Ils ont beau, à demi-mot, mettre en doute l'emballement du gouvernement, ils lui tendent le micro.

Ce n'est qu'au journal de 13h, le 14 mars toujours, que le présentateur introduit un reportage en posant les questions qui auraient dû guider la rédaction dès le départ : « Des propos antisémites ont-ils été tenus à Sciences Po Paris ? » ou bien encore : « Que s'est-il passé mardi dans l'amphithéâtre Boutmy à Sciences Po Paris ? » Pointant du doigt une « cascade de réactions politiques » en passant soigneusement sous silence la responsabilité des médias qui leur ont donné tant d'écho, le présentateur du 13h use du conditionnel pour parler de la fameuse « interdiction d'amphi » – une première à l'antenne [3] – et fait état de « versions contradictoires » [4]. Non sans agrémenter son reportage de quelques futilités à charge contre les étudiants mobilisés [5], sa collègue concède à sa suite :

[L'étudiante de l'UEJF] est refoulée parce qu'elle est connue pour prendre des photos et les diffuser sur les réseaux sociaux sans autorisation selon des étudiants présents. Personne pour l'instant ne confirme que des propos antisémites ont été tenus à son égard. Elle-même ne les a pas entendus. La seule chose que l'on sait, c'est qu'à la tribune, le comité propalestinien lance : « Attention, l'UEJF est dans la salle. » L'étudiante a pu rentrer dans l'amphi mais elle est très vite ressortie en raison du climat hostile.

Une information bien éloignée de la fake news initiale – abondamment relayée par la rédaction de France Inter –, quoiqu'encore largement lacunaire.

Pouvoir d'agenda, asymétrie des expressions

Au cours de cette séquence en effet (13 – 19 mars), les étudiants jetés en pâture n'auront jamais le luxe d'être entendus directement. Aucune interview, aucun témoignage direct. La ministre de l'Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, bénéficie quant à elle d'un traitement bien différent. Deux prises de parole au total : un extrait d'entretien est diffusé dans le journal de 7h (14/03), on l'a vu, suivi d'une interview en direct dans le journal de 13h du même jour, au cours de laquelle la ministre a toute latitude pour dérouler sa communication en dépit des questions relativement incisives que lui pose Jérôme Cadet [6]. Bilan ? 0 seconde pour les étudiants… et plus de 5 minutes pour Sylvie Retailleau.

Dans les jours qui suivent, une deuxième interlocutrice aura le privilège de l'antenne sur cette affaire : Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la Fondation nationale des sciences politiques (« L'invitée de 7h50 », 18/03). Venue faire état d'une enquête administrative en cours, cette dernière ne peut en tout état de cause confirmer ni infirmer le moindre fait, mais tient tout de même à apporter de l'eau au moulin de la disqualification, en pointant notamment des « choses absolument condamnables en ce sens qu'on ne peut pas empêcher un cours ». Il en va là, convenons-en, d'un grief d'un tout autre ordre…

Au cours de cette interview, la journaliste Sonia Devillers critiquera l'emballement du gouvernement et informera y compris les auditeurs de l'existence d'une tribune signée par « 37 étudiants et étudiantes juifs et juives », lesquels affirment avoir été « à l'intérieur de cet amphi, […] chaleureusement accueillis et associés à [la] discussion ». Si le travail contradictoire est bienvenu compte tenu de l'emballement médiatique, il n'enlève strictement rien au traitement structurellement biaisé de France Inter. Car au bout du compte, les choix de la rédaction sont très clairs : ce sont bien les détracteurs des étudiants – et eux seuls – qui disposent du monopole de la parole à l'antenne. Et c'est bien la « polémique » – et elle seule – qui fait l'agenda.

Une « polémique » qui, nous le disions plus haut, laisse des traces : « une mobilisation propalestinienne où certains disent avoir entendu des propos antisémites », peut-on encore entendre sans aucune précision le 19 mars, dans le journal de 19h, dernière production recensée par l'INA sur cette séquence.

Ainsi court la rumeur, aidée en cela par les plus fins limiers du PAF. À l'instar de l'inénarrable Nathalie Saint-Cricq qui, le 17 mars au cours de l'émission « Questions politiques », entend bien tirer cette affaire au clair. Invitée à commenter son « image de la semaine », l'éditorialiste choisit une photo du fameux amphithéâtre Boutmy aux couleurs de la Palestine. C'est alors qu'intervient la leçon de journalisme. Transcription in extenso :

Nathalie Saint-Cricq : Alors… Il y a manifestement une jeune femme qui était connue comme appartenant à l'UEJF, qui dit qu'elle n'a pas entendu directement un certain nombre de propos, mais qui aurait été empêchée de rentrer parce qu'ils auraient redouté qu'elle filme avec son iPhone et que, filmant, les gens soient… bon… Juste pour dire que… [Carine Bécard : Compliqué hein… à démêler… hum.] Tout ça… euh… manifestement, me semble… Plus un certain nombre d'empoignades assez désagréables…

Bref, Nathalie Saint-Cricq ne sait rien. Toutefois, nullement découragée par ses propres errances, elle insiste… et donne même immédiatement la leçon :

Nathalie Saint-Cricq : D'abord, je suis assez étonnée que Sciences Po […], qui est plutôt a priori le temple de la réflexion, soit un endroit où on est pro ou contre et où on ne peut pas discuter. Deux, par le danger de cette importation parce que finalement, quand on est à l'extérieur, on a peut-être plus d'intelligence et de fraîcheur intellectuelle pour essayer de voir quelles sont les solutions pour un État, deux États, et pas simplement proférer des espèces de phrases sur « de la mer au Jourdain » ou « de la rivière à la mer ». Et de voir finalement que Sciences Po est devenu un endroit extrêmement idéologisé et que ça peut être un peu effrayant si ça forme des futurs haut-fonctionnaires, qui a priori doivent servir une cause et non pas prendre fait et cause pour quelque chose de façon aveugle. Et j'ai parlé avec des étudiants, avec une des leaders des mouvements palestiniens qui manifestement, me semble euh… assez caricaturale. Si ce n'est non seulement pro palestinien, mais anti israélien. […] Le 8 octobre, il y aurait pu avoir une gigantesque manifestation de soutien, elle n'est pas venue. Les étudiants ont toujours été là pour discuter, pour débattre. Je ne suis pas certaine qu'avec un keffieh entouré autour de la tête, ce soit le meilleur endroit…

Vous avez dit « chien de garde » ?

***

À vouloir courir trop vite, la rédaction de France Inter s'est une nouvelle fois pris les pieds dans le tapis. Partie prenante d'un emballement politico-médiatique d'ampleur, totalement subordonnée à la communication du pouvoir politique, elle démontre son incapacité à s'extirper des pratiques journalistiques qui font les « polémiques » ordinaires. Et comme le veut la coutume, elle ne présentera aucun mea culpa pour son traitement de « l'affaire Sciences Po ». Mais le bilan le plus important – sur lequel nous reviendrons dans le deuxième volet de cette étude – reste tout de même celui-ci : la couverture de la « polémique » a totalement supplanté le traitement de la mobilisation étudiante. Dans un contexte d'adversité aiguë contre les étudiants, ne pas accorder à ces derniers le moindre temps de parole témoigne déjà d'un rapport pour le moins contrarié à la déontologie. Un second constat finit d'enfoncer le clou : au terme d'une semaine de « polémique », les auditeurs de France Inter ne disposent strictement d'aucune information sur les raisons pour lesquelles, en première instance, des étudiants de Sciences Po ont décidé d'occuper un amphithéâtre. Ni, a fortiori, sur les arguments qu'ils ont fait valoir à l'occasion de cette manifestation. La radio publique a-t-elle fait mieux un mois plus tard ? Affaire à suivre

Pauline Perrenot

Annexe – Quelques précisions méthodologiques

Constitué de 58 contenus, le corpus a été réalisé à partir d'une analyse des notices disponibles sur le site de l'INAthèque, combinée à une recherche manuelle sur les moteurs de recherche et le site de France Inter. Nous avons par la suite écouté l'ensemble des contenus. Si la méthode de recherche via l'INAthèque comporte nécessairement des biais, que nous avions déjà signalés dans un précédent article, elle permet néanmoins une approche relativement exhaustive de la couverture de France Inter.

Nous avons fait le choix de désindexer du corpus les contenus qui n'abordent les mobilisations étudiantes que très à la marge :

L'interview de Gilles Kepel dans le « Grand entretien du 7/10 » en date du 25 mars 2024. Aucune question ne porte sur le mouvement social et Gilles Kepel l'évoque très succinctement [7]. De même, et pour les mêmes raisons, nous n'avons pas intégré l'interview de l'avocat Arié Alimi par Charline Vanhoenacker (« Bistronomie », 11/05), ni celle de l'écrivain Hervé Le Tellier par l'équipe de « La bande originale » (16/05).

Plusieurs journaux du 10 mai et une chronique du 17 mai font état du « clash » entre Louis Boyard (LFI) et François-Xavier Bellamy (LR) devant Sciences Po Paris. Les mobilisations n'étant jamais évoquées en tant que telles, nous n'avons pas inclus ces contenus non plus.


[1] Voir notamment « Antisémitisme à Sciences Po : Macron et Attal ont parlé trop vite », Blast, 15/03 et « Conflit au Proche-Orient : à Sciences Po Paris, après l'embrasement, des étudiants sous le choc », Mediapart, 16/03.

[2] Pour un récapitulatif de ces prises de positions, voir cet article de France Info, « Mobilisation pro-palestinienne à Sciences Po Paris : le gouvernement va faire un signalement au procureur de la République », France Info, 13/03.

[3] « Cette réunion aurait été interdite à une élève de l'Union des étudiants juifs de France au motif, dit-elle, qu'elle serait juive et sioniste. »

[4] Jérôme Cadet : « La polémique fait rage depuis deux jours. L'école est accusée d'avoir laissé se dérouler une conférence en soutien à Gaza, organisée par un comité Palestine, et l'accès à cette réunion aurait été interdit à une élève de l'Union des étudiants juifs de France au motif, dit-elle, qu'elle serait juive et sioniste. Voilà sa version. Le problème, c'est que cette jeune femme explique aussi que ces propos lui ont été rapportés, et les versions sont contradictoires. Sonia [P.], je reviens vers vous. Que sait-on précisément de cet incident ? »

[5] Notamment : « Un collectif d'étudiants mobilisés pour la Palestine s'installe dans l'amphi Boutmy, qui est libre à ce moment-là, mais où doit avoir lieu un cours d'histoire de 10h à midi. Ils n'ont pas demandé l'autorisation de l'administration, comme ils auraient dû le faire. Ils n'ont pas signé le tract qui appelle à participer à ce qu'ils présentent comme une conférence. »

[6] Désireux de confronter la ministre à sa propre communication, le journaliste l'interroge à trois reprises sur les informations dont elle dispose quant à « la tenue d'éventuels propos antisémites ». En vain... Par exemple : « Sylvie Retailleau, Emmanuel Macron, hier, a dénoncé des propos, je cite, "inqualifiables" et "parfaitement intolérables". Ce que vous nous dites, c'est qu'on n'est pas sûr, là, que ces propos aient été tenus hier. »

[7] En critiquant notamment la « pression du mouvement décolonialiste, du mouvement woke » tout en citant pêle-mêle « Harvard aux États-Unis », « l'École normale supérieure » ou encore « Sciences Po » comme des théâtres où c'est « la guerre contre l'Occident qui se joue ».

19.11.2024 à 11:07

La presse sous perfusion de LVMH et de Bernard Arnault

Maxime Friot

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Texte intégral (769 mots)

Les millions pleuvent.

LVMH « arrose une bonne partie de la presse en pages de pub » : il y a quelques jours, L'Informé a publié, à partir de chiffres produits par Kantar, « la répartition des dépenses de LVMH dans la presse nationale ». Bilan : les millions pleuvent.

Ces recettes publicitaires bénéficient d'abord aux médias détenus par le groupe LVMH lui-même : entre janvier et septembre 2024, ce sont, toujours d'après L'Informé, 80 millions d'euros bruts [1] qui ont été fléchés vers Le Parisien, Le Parisien Dimanche et Les Échos.

Extrait de la carte « Médias français : qui possède quoi ? », décembre 2023.

Mais c'est aussi la régalade pour les groupes Le Figaro et Le Monde : « La régie média du Figaro a ainsi perçu 32 millions d'euros, dont la moitié pour Madame Figaro et Le Figaro et vous, le cahier spécial luxe et art de vivre du journal. Le groupe Le Monde a engrangé, de son côté, 9,5 millions d'euros bruts. » Paris Match, qui vient d'être racheté par LVMH, ne s'en sortait pas trop mal (3,9 millions), tout comme le JDD (3,5 millions) ou Le Point (1,7 million).

Et ce n'est pas fini, puisque L'Informé précise que L'Express, L'Opinion, Libération, La Croix, La Tribune dimanche ou encore Le Nouvel Obs ont aussi perçu entre quelques dizaines et quelques centaines de milliers d'euros bruts.

La presse est sous perfusion des annonceurs publicitaires – en particulier, on le voit ici, de LVMH. Ce n'est certes pas là son seul mode de financement, mais on ne saurait ignorer qu'elle se met, de la sorte, sous leur coupe. Pour en revenir à notre cas d'espèce, LVMH a déjà démontré sa capacité, en guise de rétorsion, à désinvestir et mettre la pression. L'Informé rappelle l'exemple de Libération : « En 2012, pour rappel, le magnat y avait coupé tous les budgets en rétorsion de la fameuse Une "Casse-toi riche con". Le manque à gagner s'était élevé à 150 000 euros, mettant en péril l'équilibre économique du journal. » Et celui du Monde : « Selon le Canard Enchaîné, le Monde aurait été soumis au même traitement en 2017, perdant 600 000 euros à la suite de ses articles sur les "Paradise Papers" évoquant le recours de Bernard Arnault à des paradis fiscaux. »

Vous avez dit « indépendance » ?

Infographie de l'Observatoire des multinationales.

[1] Dans son article, L'Informé parle « d'investissements bruts - c'est-à-dire en se basant sur les tarifs catalogue des publicités avant ristournes ».

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