
01.07.2025 à 22:27

En revisitant les luttes de ce début de siècle du point de vue de notre dystopie actuelle, nous pouvons bien mieux comprendre tout ce qui ce joue dans les combats d’aujourd’hui.
Le texte qui suit apparaît en introduction du livre Another war was possible, publié par PM PRESS, qui retrace et documente les expériences de lutte d’un anarchiste luttant contre le capitalisme et l’État sur trois continents différents au cours du mouvement anti-globalisation. Vous pouvez en lire plus à ce sujet dans l’annexe.
C’était la fin du 20e siècle et le capitalisme avait triomphé.
« Le socialisme réel » s’était effondré. Des élections avaient lieu partout, amenant de nouveaux politiciens au pouvoir pour signer des accords commerciaux néolibéraux. Au lieu des dictatures, le libre marché règnait victorieusement.
Francis Fukuyama l’appelle « la fin de l’histoire », proclamant
« le point final de l’évolution idéologique humaine et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale et absolue de gouvernement. »
Pour les politiciens, les éditorialistes et les patrons d’entreprise, c’était une période de jubilation.
Les ébullitions sociales des années 1960 avaient cessé. Aux États-Unis, la pensée politique radicale avait surtout subsisté dans les milieux de contre-culture—les mouvements écologistes, les librairies engagées, les scènes hip-hop et punk. L’Europe avait aussi la scène rave, le mouvement squat avec son réseau de centres sociaux et les vestiges des mouvements puissants du milieu du 20e siècle. Du côté opposé, il y avait des fascistes, mais eux aussi étaient largement confinés dans des milieux sous-culturels. En dehors de ces enclaves, la paix sociale prévalait, pendant que tout le monde se précipitait pour obtenir sa part du gâteau.
C’était un paradis malsain. Le capitalisme mondialisé faisait circuler la richesse plus rapidement et plus loin que jamais auparavant, mais dans le processus, il la concentrait entre de moins en moins de mains, appauvrissant lentement la grande majorité. Les anarchistes savaient que l’unanimité apparente autour du nouvel ordre mondial ne durerait pas éternellement. Finalement, il y aurait une autre série de conflits et l’histoire continuerait à avancer. La vraie question était comment les lignes seraient tracées.
Nous nous sommes rencontrés à des concerts de punk hardcore. Nous avons lu sur les Panthers, les Yippies, les Ranters, les Diggers, Up Against the Wall Motherfucker. Lorsque nous avons entendu dire que quelqu’un avait peint à la bombe « NE TRAVAILLEZ JAMAIS » sur le mur du boulevard de Port-Royal lors du soulèvement de mai 1968, nous l’avons pris au pied de la lettre, en nous lançant dans une vie de criminel.
Avec d’autres outils, certains ont adopté une approche différente. Nous avons quitté nos emplois ; ils ont syndiqué les lieux de travail. Nous avons squatté des bâtiments ; ils ont organisé les locataires. Nous avons rejeté l’organisation formelle ; ils ont créé des fédérations. Nous avons fait de l’auto-stop aux événements ; ils sont arrivés avec des camionnettes pleines d’équipement.
Finalement, nous avons commencé à nous rencontrer lors de conférences et de manifestations. Tout ceux qui se lèvent doivent se rassembler.
Un anarchiste navigue sur la police porté par ses camarades lors des manifestations contre l’investiture présidentielle du 20 janvier 2001.
Heureusement, les anarchistes n’étaient pas les seuls à avoir un compte à régler avec le pouvoir en place. Le premier jour de 1994, juste au moment où l’Accord de libre-échange nord-américain entrait en vigueur, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale s’est soulevée contre le gouvernement mexicain au Chiapas, donnant un exemple puissant de lutte populaire contre le néolibéralisme. Inspirés par l’EZLN et d’autres mouvements anticoloniaux et anticapitalistes, des personnes du monde entier ont commencé à s’organiser en lançant des manifestations, des réseaux, des occupations, des journées mondiales d’action.
Pour la plupart des gens aux États-Unis, affronter le pouvoir semblait absurde, si ce n’est carrément inutile. Les éditorialistes de tout poil ont même refusé de dire le mot capitalisme à voix haute, le substituant à « anti-mondialisation » comme si nous faisions partie d’un mouvement engoncé dans des valeurs de repli sur nous-même. Les critiques les plus acerbes concernaient la « violence », c’est-à-dire savoir s’il était acceptable de répondre de manière proportionnée à la perpétuelle violence « légitime » de l’État. Mais le défi le plus difficile était de permettre aux gens d’imaginer que l’ordre mondial capitaliste n’était pas inévitable, qu’un autre monde était possible.
Néanmoins, pendant quelques années—disons, de 1999 à 2001 — le principal conflit qui se jouait sur la scène mondiale était entre le capitalisme néolibéral et les mouvements populaires qui s’y opposaient. Le 18 juin 1999, des milliers de personnes ont convergé vers Londres pour une journée d’action annoncée comme le carnaval contre le capitalisme. Une mobilisation au cours de laquelle certains activistes ont presque réussi à détruire la bourse de Londres. En novembre suivant, des manifestants ont réussi à bloquer et faire fermer le sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle. Au cours des deux années suivantes, presque tous les grands sommets commerciaux internationaux ont provoqué de violentes émeutes dans les rues.
« Est-ce qu’on devrait pas essayer de passer ? » Criai-je, mais on courrait déjà, c’était une décision prise en une fraction de seconde, on était déjà sur le pont au moment où elle a répondu « On passe ! —On est en train de le faire », on a sprinter de l’autre côté. Derrière nous, je pouvais entendre le POP, POP alors que les flics tiraient des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc ; autour de nous, je pouvais sentir l’impact des balles, le cliquetis lorsque les palets arrivaient au sol, le sifflement lorsque leur contenu nocif remplissait l’air ; devant, je ne voyais rien, le gaz cachait le ciel, il n’y avait que l’inconnu—et au-delà, si on avait la chance de l’atteindre, une ville à détruire, un monde à créer.
Les enjeux étaient plus élevés que ce qu’on pensait. Si toutes les personnes qui vivaient cette phase finale du capitalisme impitoyable ne comprenaient pas qu’il était la source de leurs malheurs, elles seraient alors perméables au nationalisme, au racisme, à la xénophobie et à la démagogie lorsqu’elles réaliseraient que le libre marché ne pourrait pas répondre à leurs problèmes. Cependant si on pouvait montrer que le capitalisme était la principale cause de leur misère, ils pourraient peut-être se joindre à nos efforts pour construire une nouvelle société. La fenêtre temporelle était extrêmement mince, mais il existait malgré tout un champ des possibles où on pouvait réussir.
C’était la guerre à laquelle l’auteur de ce livre a participé—une guerre menée pour prévenir toutes les guerres insensées qui ont suivi. Nous luttions pour un monde dans lequel tous les êtres humains pourraient se rencontrer en tant qu’égaux, dans lequel l’impératif de profit ou la menace du changement climatique ne primerait pas sur les besoins des êtres humains.
Nous sommes partis du campus à midi. Des centaines de personnes étaient là, prêtes, habillées—cagoules, casques, plastrons, tout l’attirail. Un groupe poussait une catapulte grandeur nature. Je marchais derrière un groupe qui tirait une marionnette géante représentant la Banque mondiale. Des masses cachées dans du papier maché ne cessaient de tomber sur l’asphalte.
Au cœur de la foule, j’ai reconnu l’équipe du mois de janvier de l’année précédente. Tu développes un instinct pour ces trucs, même quand tout le monde est masqué. Dans les conversations randoms de tous les jours et les forums en ligne, nous étions rivaux. Mais il est clair que dans une situation comme celle-ci, tu veux que tout le monde soit là.
À un moment donné, la police a lancé son canon à eau directement dans la foule. Une personne masquée a couru droit dessus et a fracassé la fenêtre avant qu’il ne puisse réellement tirer. Le conducteur a eu vite fait de reculer son camion.
Wow, c’est complétement fou, pensais-je.
Peut-être que si tout le monde avait pu voir ce qui se passait, plus de gens se seraient battus aussi dur que l’auteur de ce livre. Peu de gens comprenaient à quel point la situation était désastreuse.
Malheureusement, nous n’étions pas la seule force en présence pour déterminer comment les lignes de conflit seraient tracées au 21e siècle. Provoqués par des siècles de violence coloniale, les djihadistes salafistes ont attaqué le Pentagone et le World Trade Center le 11 septembre 2001. Les néoconservateurs de l’administration Bush ont saisi l’occasion d’envahir l’Afghanistan puis l’Irak, précipitant le soi-disant « choc des civilisations » sur lequel ils avaient tant fantasmé. Le nouveau siècle s’est ouvert avec une série de bains de sang.
Cette déclaration de guerre a servi à obscurcir la possibilité de toute autre guerre, tout autre enjeu pour lequel les gens pourraient se battre. Les autorités des États-Unis et leurs adversaires symétriques dans al-Qaïda visaient à affirmer leur rivalité comme le conflit central de l’histoire, en écartant les rebelles du Chiapas et les manifestants qui avaient fermé le sommet de l’OMC à Seattle.
Aux États-Unis, les partis socialistes autoritaires ont profité de la situation pour reprendre la main sur les anarchistes et les anti-autoritaires. De nombreux projets organisés de manière horizontal furent captés, notamment le mouvement anti-guerre à travers des groupes réformiste (Not in Our Name pour le Parti Communiste Révolutionnaire, en réponse au WWW, Workers World Party). Les fondements transformatifs du mouvement anticapitaliste aux portées révolutionnaires ont cédé la place à des manifestations de réaction s’adressant aux politiciens indifférents.
Le gouvernement américain adopta le Patriot Act. Le FBI intensifia les opérations ciblant les musulmans, mais aussi les écologistes et les militants pour la libération des animaux. Les politiciens élargirent et militarisèrent la police. Le 30 novembre 1999, la municipalité de Seattle n’avait déployé que 400 policiers pour défendre le sommet de l’Organisation mondiale du commerce ; en 2017, 28 000 agents des forces de l’ordre ont défendu l’investiture de Donald Trump.
À l’étranger, les pratiques impérialistes brutales des États-Unis en Irak et en Afghanistan ont coûté près d’un million de vies, poussant encore plus de personnes dans les rangs des djihadistes. La montée de l’État islamique en Irak et en Syrie une décennie plus tard a montré que les invasions n’avaient fait que renforcer les forces que les néoconservateurs prétendaient attaquer. En 2010, lorsqu’une vague de révolutions a commencé en Tunisie et s’est répandue dans tout le Moyen-Orient, elle s’est heurté à un mur en Syrie, en partie à cause de l’État islamique et de ses partisans. Nous ne saurons jamais ce que les soulèvements du soi-disant Printemps arabe et d’autres mouvements sociaux dans la région auraient pu accomplir sans le mal causé par la soi-disant « guerre au terrorisme ». Lorsque les talibans ont repris l’Afghanistan en 2021, cela n’a fait que souligner à quel point les invasions américaines avaient été inutiles et destructrices.
Bachar al-Assad a fait massacrer des centaines de milliers de personnes pour maintenir son emprise sur la Syrie, tout cela pour finalement perdre le pouvoir. Les États-Unis ont fait de même en Afghanistan. Ces tragédies inutiles et horribles ne sont qu’un aperçu de ce qui nous attend si nous continuons sur cette voie.
La violence et la pauvreté ayant résulté de toutes ces guerres, occupations et insurrections ont poussé des réfugiés vers l’Europe depuis l’Afrique et le Moyen-Orient par millions. Quelque chose de similaire se passait au sud de la frontière américaine, alors que les ravages causés par l’Accord de libre-échange nord-américain et la militarisation de la police et des paramilitaires plongeaient des régions entières dans le sang. Les fascistes des deux côtés de l’Atlantique ont profité du désespoir des réfugiés pour attiser le racisme et la peur.
Pendant ce temps, dans l’ancien bloc de l’Est, les profits capitalistes ont laissé beaucoup de gens dans une situation économique pire qu’avant la chute du mur de Berlin. Cela généra des vagues de nationalisme, permettant à des autocrates comme Vladimir Poutine et Viktor Orbán de consolider leur contrôle. À l’instar de leur modèle, des politiciens comme Donald Trump, Jair Bolsonaro et Giorgia Meloni sont arrivés au pouvoir dans les Amériques et en Europe occidentale. Ils ont canalisé la rage de la classe moyenne en voie d’érosion vers une politique ouvertement fasciste, encourageant leurs partisans à blâmer les réfugiés, les personnes queer et trans, les juifs et les « communistes » pour la manière dont le libre marché leur avait manqué.
Poussé par un industrialisme rampant, le changement climatique a frappé les côtes et incinéré les forêts. La pandémie de COVID-19—la propagation des théories du complot et de la désinformation — la concentration des richesses entre les mains de quelques milliardaires—le génocide à Gaza : tout cela vous sera familier à moins qu’il n’ait été éclipsé par encore pire au moment où vous lirez ceci. L’invasion russe de l’Ukraine ne sera pas la dernière des guerres à venir si nous continuons sur cette voie—guerres rendues possibles par la consolidation du pouvoir autocratique, inévitables par les crises économiques et écologiques. En examinant l’armement des frontières entre la Biélorussie et la Pologne et l’utilisation de prisonniers comme chair à canon en Ukraine, nous pouvons voir que—à moins que nous changions de cap — le prix de la vie humaine va être de moins en moins cher au 21e siècle.
Le 18 juin 2023, soit 24 ans exactement après le Carnaval contre le capitalisme à Londres, la Une du New York Times reconnaissait ce que nous disions depuis un quart de siècle : la mondialisation capitaliste crée des inégalités de richesse catastrophiques, détruisant la biosphère et générant des nationalismes d’extrême-droite. L’article reprend tous les points de discussion du manifestant anticapitaliste moyen de 1999, jusqu’aux critiques du Fonds monétaire international. Même les capitalistes eux-mêmes souhaitent aujourd’hui que nous ayons gagné.
Toutes ces tragédies n’avaient pas encore eu lieu lorsque les luttes décrites dans ce livre ont eu lieu. Qui sait—si nous avions été plus nombreux à lutter davantage, nous aurions peut-être évité certaines d’entre elles.
Mais nous ne pouvons pas blâmer l’auteur de ce livre. Il était toujours en première ligne.
Un Black Bloc se forme pour affronter la police lors des émeutes à Québec pour protester contre la proposition (finalement abandonée) de création de « zone de libre-échange des Amériques » en avril 2001.
Nous nous sommes rencontrés à une foire au livre quelques années après les événements décrits dans ces pages. Je le connaissais de regards dans les rues, mais nous n’avions jamais eu de réelle conversation.
De manière inattendue, nous nous sommes bien entendus immédiatement. Personnellement, ça m’était égal que nous soyons respectivement un aventurier démissionnaire et un plateformiste ennuyeux.
Il voulait savoir si nous allions sortir la suite d’un certain mémoire controversé publié sur un délinquant en cavale. « Politiquement, c’est de la merde », dit-il. « Mais en tant qu’histoire, c’est grave excitant. »
Je n’ai pas partagé sa haute opinion à ce sujet. Je pensais que l’humour compensait le manque de développement du personnage, mais en parlant en tant que criminel de carrière, le sujet était positivement banal. Nous l’avions imprimé comme une stratégie pour saper le matérialisme et la timidité des jeunes en galère, pas pour séduire les anarchistes chevronnés comme lui.
Il persista. « Allez, tu dois faire une suite ! »
Je lui dis qu’il devrait écrire ses propres mémoires, racontant ses aventures dans les rues. Ça vaudrait la peine d’être publié, dis-je.
Ça lui a seulement pris vingt ans.
L’histoire du monde est vaste. À l’échelle de toute l’humanité, chacun de nous n’est qu’un sur des milliards. Cependant c’est à nous de décider comment aborder notre rôle dans ce drame. Nous pouvons nous voir comme des spectateurs et accepter passivement notre destin—ou nous pouvons percevoir en chacun un protagoniste du monde en action et partir à la découverte du changement que l’on peut exercer sur le cours des événements.
L’auteur de ce livre a adopté cette dernière approche. En conséquence, il a participé à un nombre surprenant d’événements historiques du tournant du siècle. La litanie de ses aventures atteste de tout ce qu’une seule personne peut accomplir avec un peu de détermination, que ce soit en période de paix sociale ou de conflit ouvert. Heureusement, il a survécu et, avec un peu d’encouragement, a réussi à écrire une partie de ce qu’il a vécu.
Le résultat est le précieux document historique que vous tenez entre vos mains. Tous ceux qui vivent des combats de rue historiques sur trois continents n’ont pas la possibilité d’écrire un tel mémoire. Buenaventura Durruti ne l’a pas fait.
Comme les Mémoires d’un révolutionnaire de Pierre Kropotkin ou Vivre ma vie d’Emma Goldman, ce livre offre un recueil de première main d’une période charnière. Vous en apprendrait davantage sur la manière dont les choses se sont passé avec un texte comme celui-ci plutôt qu’à partir de n’importe quel résumé d’analyste extérieur.
Mais ce n’est pas seulement un document de référence historique. Aucune des luttes décrites dans ce livre n’a abouti à une conclusion. Toutes se poursuivent à une échelle beaucoup plus grande et avec des enjeux encore plus élevés : la lutte contre le fascisme, contre la violence des frontières, contre la subordination des écosystèmes et des communautés aux exigences du capitalisme, contre la violence de la police et de l’armée, contre le pouvoir autocratique.
Une autre guerre était possible—et elle l’est encore aujourd’hui. Si les conséquences de notre échec à abolir le capitalisme au tournant du siècle ont été deux décennies de boucherie, de crise économique, de catastrophe écologique et de réaction fasciste, pensez à ce qui s’ensuivra si nous échouons cette fois-ci à relever le défi. L’histoire n’avait pas à se dérouler comme en 2001—elle n’a pas besoin de continuer sur cette voie maintenant. Ce livre reste pertinent car il raconte une partie d’une histoire que vous devez terminer.
Il existe de nombreuses façons de participer à ces luttes. Combattre physiquement les fascistes et les policiers n’est qu’une tactique parmi d’autres, et ce n’est guère la plus importante. De l’auteur de ce livre, vous pouvez apprendre ce que certains de ceux qui sont venus avant vous ont essayé et ce que vous pourriez peut-être faire vous-même. Nous—les survivants du tour précédent — combattrons à vos côtés.
Si nous ne nous dépêchons pas, le capitalisme mettra un siècle ou plus à s’effondrer. Cela nous entraînera dans des guerres comme jamais auparavant. La catastrophe qui en résultera nous enterrera tous dans ses débris.
Luttons ensemble pour un avenir meilleur. Une autre guerre est possible.
« À travers des siècles d’obscurité, nous pouvons déjà voir d’ici—le soleil à l’horizon d’une aube nouvelle. »
Au tournant du siècle, le mouvement contre le capitalisme mondialisé a explosé partout dans sur la planète avec des mobilisations de masse à Québec, Washington, Gênes et dans d’autres villes. Les anarchistes ont affronté des chefs d’État, des dirigeants de grandes enterprises et des policiers anti-émeute par milliers. Alors que les autorités cherchaient à plier tous les êtres vivants à l’impératif du profit, des personnes ont entrepris de démontrer qu’une façon de lutter pourrait ouvrir la voie à un avenir au-delà du capitalisme. Le vingt-et-unième siècle était à saisir. Et chaque fois, Tomas Rothaus était là, combattant en première ligne.
Dans Une autre guerre est possible, nous suivons Tomas de ses jours en tant que jeune militant jusqu’à son édition de la publication Barricada. Dans une prose vivante, il raconte les leçons qu’il a apprises des vétérans de la CNT espagnole—sa première expérience d’échange de coups avec la police dans les rues de Paris — les aventures qu’il a traversé pour se faufiler au-delà des frontières dans le but de participer à des grandes émeutes de l’époque. Avec Tomas, nous respirons des gaz lacrymogènes, nous abattons des clôtures, nous visitons des squats et champs de bataille de trois continents.
En chemin, Tomas montre que les tragédies du XXIe siècle n’étaient pas inévitables—qu’une autre guerre était possible. Son témoignage est la preuve qu’un autre monde reste possible aujourd’hui.
Thanks to La Grappe for the translation.
23.06.2025 à 08:59

Roja est un collectif féministe et internationaliste basé à Paris, composé de membres issu·es des géographies d’Iran, d’Afghanistan (communauté hazara) et du Kurdistan. Fondé en septembre 2022, suite au féminicide d’État de Jina (Mahsa) Amini par la République islamique, et au cœur du soulèvement national « Jin, Jiyan, Azadî / Femme, Vie, Liberté », il nous a transmis cette prise de parole et de position à la suite de la “guerre de 12 jours” opposant le régime israélien au régime iranien.
Roja est un collectif féministe et internationaliste indépendant basé à Paris, composé de membres issu·es des géographies d’Iran, d’Afghanistan (communauté hazara) et du Kurdistan. Le collectif Roja a été fondé en septembre 2022, suite au féminicide d’État de Jina (Mahsa) Amini par la République islamique, et au cœur du soulèvement national « Jin, Jiyan, Azadî / Femme, Vie, Liberté ». Tout en centrant son action sur les luttes politiques et sociales en Iran et au Moyen-Orient, Roja est également engagé dans les combats locaux et internationalistes en France, notamment dans les actions de solidarité avec la Palestine. (Le mot « Roja » signifie « rouge » en espagnol ; en kurde, « roj » signifie « lumière » ou « jour » ; et en mazandarani, « roja » désigne « l’étoile du matin ».)
Au lendemain de l’agression militaire israélienne de 12 jours contre l’Iran, menée avec le soutien armé des États-Unis, dont les principales victimes furent des civils – qu’ils soient iranien·ne·s ou israélien·ne·s – n’ayant pas choisi cette guerre, nous continuons à croire que la seule issue pour déjouer la logique meurtrière d’États dont la survie repose sur le maintien du spectre de la guerre, est de faire entendre, haut et fort, notre cri : entre deux régimes guerriers, patriarcaux et coloniaux, nous ne prenons pas partie. Ce refus n’est pas un repli ou une neutralité. Il constitue, au contraire, le point de départ de notre lutte. Une lutte qui chérit la vie et qui rejette la logique meurtrière des guerres.
La guerre asymétrique entre Israël et la République islamique – qui, rappelons-le, n’a ni commencé le 13 juin ni prend fin avec un message de Trump sur son réseau social – est avant tout une guerre contre les populations. C’est une attaque contre tout ce qui garantit la survie et la reproduction de la vie quotidienne sur ce territoire : infrastructures, réseaux et systèmes sur lesquels repose la vie des habitants. Elle vise directement ce que nous avons construit à travers le mouvement « Zan, Zendegi, Azadi » (« Femme, Vie, Liberté ») et tout ce que ce slogan, incarne : un combat féministe, anti-impérialiste et égalitaire, né de la résistance populaire kurde qui a résonné à travers tout l’Iran.
« Femme, vie, liberté contre la guerre » n’est pas qu’un slogan, mais une ligne de démarcation claire avec des tendances dont les contradictions apparaissent aujourd’hui plus crûment que jamais : d’un côté, les opportunistes qui ont soutenu les sanctions américaines et les ingérences occidentales depuis des années, banalisant le génocide à Gaza, tout comme les guerres impérialistes occidentales, ceux qui se sont réjoui de l’agression israélienne espérant qu’elle apporte enfin une « libération ».
De l’autre, les campistes qui assimilent toute opposition à l’Occident à une « résistance », ainsi que ceux qui, au nom de « l’urgence » ou du « bien du peuple » passent sous silence les crimes de la République islamique tant à l’intérieur du pays que dans la région, ainsi que son instrumentalisation du discours anti-impérialiste toutes comme son instrumentalisation de la cause palestinienne. Brouillant la frontière entre résistance populaire et pouvoir d’État, depuis 7 octobre, ils se sont rangés derrière tout ce qui s’oppose aux plans du fameux « nouvel ordre au Moyen‑Orient », négligeant les luttes des femmes et des personnes queers, des minorités et des démunis, comme si elles étaient secondaires.
Or, ces ennemis sont le miroir parfait l’un de l’autre dans leur barbarie. Israël conduit les enfants de Gazas à l’abattoir en brandissant le drapeau arc-en-ciel ; la République islamique d’Iran a non seulement massacré les manifestants en Iran mais a noyé aussi dans le sang la révolution populaire syrienne, sous le masque de l’anti-impérialisme. Le premier commet un génocide à l’encontre des Palestinien.nes ; l’autre soumet et opprime les peuples non perses à l’intérieur de ses frontières.
Netanyahu usurpe le slogan « Femme, vie, liberté » pour tenter de légitimer son expansionnisme militaire et colonial et le faire passer comme « intervention libératrice ». Khamenei mobilisait toutes ses forces pour étendre un « empire chiite » régional, au nom de la lutte contre Daech et de la « défense de la Palestine ».
Ces deux régimes capitalistes n’occupent certes pas la même position dans l’ordre mondial. Le rôle de la République islamique dans cette guerre ainsi que sa puissance militaro-logistique n’atteint certainement pas celui d’Israël, et le régime iranien ne bénéficie pas des soutiens impérialistes occidentaux. Cette asymétrie ne l’empêche pourtant pas d’infliger violences, injustices et souffrances, comme le fait le sionisme fasciste. Toute relativisation des crimes de la République islamique, ne peut être que fallacieuse. Outres les politiques oppressives à l’intérieur de ses frontières, elle s’est embourbée dans un projet nucléaire au coût exorbitant.
Nous n’avons pas à choisir entre un régime sioniste génocidaire et le régime islamiste oppressif. Nous traçons une troisième voie, celle dessinée par les multiples formes de luttes populaires du Moyen-Orient, par une solidarité et un internationalisme par en bas.
Pour construire un front solide contre le génocide israélien et arracher le discours anti-impérialiste des mains de la République islamique, il faut nous démarquer clairement de ces deux impasses et de réaffirmer le lien ndissoluble entre toutes les luttes populaires au Moyen-Orient et au-delà., en nous opposant à la fois au colonialisme impérialiste et à la colonisation interne d’État.
En solidarité avec les destins liés des peuples du Moyen-Orient — de Kaboul à Téhéran, du Kurdistan à la Palestine, d’Ahvaz à Tabriz, du Baloutchistan à la Syrie et au Liban —, nous nous adressons aux opprimé·es et aux démuni·es d’Iran et de la région, à la diaspora, ainsi qu’aux camarades à travers le monde, partagent nos idéaux et notre espoir.
Le nettoyage ethnique et la volonté génocidaire de l’État criminel israélien ne datent ni d’hier, ni de cette année, ni même de ce siècle. Mais la faille géopolitique ouverte dans la région depuis le 7 octobre, ne laissant derrière elle que sang et ruines, engloutit désormais également la République islamique et les peuples d’Iran, à une vitesse vertigineuse et avec une intensité saisissante. L’horizon est si obscur qu’il nous bouleverse profondément, toutes et tous.
Durant ces douze jours sombres, l’armée israélienne a bombardé des milliers de sites à travers l’Iran y compris les zones résidentielles où habitent les généraux des Gardiens de la révolution. Si les frappes ont visé les installations nucléaires, les bases militaires, les centres gouvernementaux et la radiotélévision d’État, elles ont touché aussi les raffineries, les dépôts de pétrole et les infrastructures vitales, et tout ce qui garantit les moyens de subsistance de la population et la reproduction de la vie quotidienne sur ce territoire.
Contrairement à ce qu’affirment les propagandistes qui parlent de « liberté » livrée par les bombes, nous avons été témoins de massacres aveugles de civils, dont un grand nombre d’enfants. Selon l’ONG Hrana, 1054 personnes ont été tuées, des milliers blessés. Sans oublier les 28 Israélien·nes tué·es par les missiles iraniens, parmi lesquels quatre femmes d’une même famille.
Dans cette situation critique, la République islamique a non seulement abandonné une population terrifiée sans la moindre assistance — incapable de fournir les services les plus élémentaires, tels qu’une information publique claire et efficace, des abris d’urgence, ou des systèmes d’alerte — mais elle a également instauré une atmosphère ultra-sécuritaire : déploiement massif des forces anti-émeutes dans les rues, multiplication des checkpoints, et intensification de la répression.
La militarisation du pays en temps de guerre, qui témoigne de l’incapacité du régime à garantir une vie sécurisée, ne nous surprend pas. Mais les appels à « pendre chaque traître à chaque arbre » sont la conséquence logique d’un ordre fondé — à son niveau le plus profond — sur la répression, la peine de mort, les arrestations, et la militarisation de l’espace social à l’intérieur (en particulier dans les régions périphériques, comme Kurdistan et Baloutchistan), et sur l’expansionnisme militaire à l’extérieur.
Les conséquences désastreuses de cette guerre ne s’arrêtent pas avec le cessez-le-feu. La République islamique en profite pour se venger contre la société iranienne : elle a déjà lancé une véritable chasse aux « espions », et sa machine à exécuter s’est déjà remise en marche. Depuis le 12 juin, au moins six personnes, dont trois kurdes, ont été exécutées dans des procès expéditifs pour prétendu espionnage au profit du Mossad. D’autres prisonnier·es, notamment des militant·es kurdes, sont aujourd’hui menacé·es d’une exécution imminente. Dans la paranoïa généralisée du régime, toute voix dissidente peut désormais être accusée de « sionisme » ou d’être « agent de l’étranger ». À cette atmosphère de terreur s’ajoutent l’aggravation de la crise économique, la perte massive d’emplois et une inflation galopante.
La « guerre contre le terrorisme » — ce projet impérialiste initié au tournant du XXIᵉ siècle dans le sang de l’Afghanistan et de l’Irak — a laissé un héritage sanglant aujourd’hui transmis à Israël : une attaque « préventive » pour contenir le danger supposé de l’arme nucléaire iranienne. Une fois encore, le même récit familier est ressassé par les grands médias monopolistiques : Israël ne frappe que des « cibles militaires », avec des « missiles de précision » et des « drones intelligents », dans le but d’apporter liberté et démocratie au peuple iranien.
Mais ce récit ne dit rien de Parnia Abbasi, poétesse de 24 ans tuée à Sattar Khan. Il ne mentionne pas Mohammad-Ali Amini, jeune pratiquant de taekwondo, ni Parsa Mansour, membre de l’équipe nationale iranienne de padel. Il ne laisse entendre aucune voix de Fatemeh Mirheyder, Niloufar Ghalehvand, Mehdi Pouladvand ou Najmeh Shams. Aucun·e d’entre eux·elles n’était une « cible militaire » ni une « menace nucléaire » — seulement des corps déchiquetés en silence par les missiles israéliens, ignorés par les médias internationaux. Voilà la pointe de l’iceberg de cette « liberté » qu’Israël, avec le blanc-seing de l’Occident, construit sur des ruines et des cadavres.
Les forces réactionnaires — dont le projet de « renversement » du régime ne vise qu’un changement cosmétique et autoritaire depuis le sommet, sans transformation démocratique réelle ni bouleversement des rapports sociaux — ont salué avec empressement leur éternel sauveur : Israël. Les monarchistes ont réduit les victimes des bombardements à de simples chiffres, déclarant, avec un cynisme brut et un langage comptable : « La République islamique exécute des milliers de personnes chaque année ; donc, le massacre de quelques dizaines ou centaines de personnes par Israël est le prix à payer pour se débarrasser de ce régime. » C’est cette même logique déshumanisante, quantitative et mathématique, que les États-Unis ont invoquée pour larguer la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki : si la guerre continue, il y aura plus de morts, donc mieux vaut tout raser.
Le massacre de civils lors des récentes attaques israéliennes, la sur-sécurisation extrême de l’espace public en Iran, et la destruction des infrastructures sociales ne sont ni des erreurs accidentelles, ni de simples « dommages collatéraux ». Ils font partie intégrante de la logique même de la guerre — surtout quand cette guerre est menée par un régime comme Israël. L’argument courant selon lequel les civils ou les infrastructures civiles seraient utilisés comme « boucliers humains » — utilisé naguère pour justifier la destruction de Gaza, et aujourd’hui pour les frappes contre la prison de Dizel-Abad ou l’hôpital Farabi à Kermanshah — n’est qu’un artifice destiné à brouiller la logique destructrice de la guerre et à inverser les rôles et les responsabilités.
Il n’existe pas de « bonne frappe » ni de « bombardement juste ». L’histoire sanglante de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Libye — cette même Libye que Netanyahu cite explicitement comme modèle souhaité d’un accord avec le régime iranien — en est une preuve accablante.
Les frappes israéliennes contre la République islamique constituent le dernier chapitre d’une transformation géopolitique et économique profonde du Moyen-Orient. L’ampleur sans précédent des attaques israéliennes indique qu’Israël cherche à provoquer un changement de régime total – voire un effondrement du régime. On ne peut pas réduire l’opération « Lion Levant » à une simple prolongation de l’hostilité de longue date entre les deux États. Cette opération marque un tournant dans la recomposition des forces régionales qui a débuté le 7 octobre avec un coup porté à ce qu’on appelle « l’Axe de la Résistance » et qui atteint désormais le cœur même des structures de pouvoir de Téhéran.
Pour Israël, Gaza n’est pas simplement un champ de bataille – c’est un projet de colonisation. L’assaut sur Gaza vise à exterminer ou expulser plus de deux millions de Palestiniens, pour transformer cette côte ensanglantée en une « Riviera moyen-orientale » telle que rêvée par Trump – plages de luxe, casinos, et zone de libre-échange pour les Blancs.
Étape par étape, Israël a repoussé le Hezbollah du sud du Liban, détruisant ses infrastructures, éliminant ses commandants et démantelant son appareil militaire. Le même processus est en cours avec les Gardiens de la Révolution (IRGC). En Syrie, un régime maintenu sous perfusion par la Russie, le Hezbollah et l’IRGC – au prix de 500 000 morts et de 12 millions de déplacés – s’est soudainement effondré face à des rebelles soutenus par la Turquie. Le corridor chiite Téhéran–Beyrouth, autrefois artère stratégique qui reliait l’Iran à la Méditerranée, est devenu son talon d’Achille – la piste par laquelle les avions de guerre le frappent aujourd’hui.
Dans le nouvel ordre imposé au Moyen-Orient, un bloc de puissance capitaliste israélo-américain redessine agressivement la région via des routes logistiques et économiques (le corridor Inde–Moyen-Orient–Europe), des processus de normalisation politico-économique (les Accords d’Abraham), et un militarisme expansionniste sous la forme du génocide et de l’annexion de Gaza.
Face à la désintégration de « l’Axe de la Résistance », la doctrine de longue date du Corps des Gardiens de la Révolution islamique – « ni guerre, ni paix » – s’est effondrée. Pendant des années, le régime a instrumentalisé des confrontations limitées et contrôlées pour éviter à la fois la guerre totale et une véritable paix. Aujourd’hui, il se retrouve exposé sur un champ de bataille où les règles ont irrévocablement changé.
Cet effondrement, aggravé par la perte totale de légitimité intérieure du régime – suite aux soulèvements massifs de décembre 2017, novembre 2019, et le mouvement « Femme, Vie, Liberté » – constitue un coup fatal. La République islamique ne peut plus gérer, différer ni externaliser ses crises. Elle ne possède plus de légitimité à l’intérieur, ni de levier stratégique dans la région. Elle n’est plus qu’un vestige calciné dans un ordre multipolaire militarisé en gestation.
Dans ce vortex de sang, les États-Unis – en compétition avec la Chine et naviguant face à la Russie – tentent de reconquérir une hégémonie fracturée. En témoigne son soutien à des forces les plus réactionnaires de l’opposition iranienne qui scandent aujourd’hui : MIGA (Make Iran Great Again). Netanyahu, quant à lui, s’accroche à la guerre sans fin comme à son dernier espoir de survie politique. Et au sein de l’appareil dirigeant de la République islamique, nombreux sont ceux qui cherchent désormais à devenir eux-mêmes les instruments du changement de régime. Pendant ce temps, le peuple reste otage – pris dans une guerre qui n’est pas la sienne, une guerre sans horizon de libération.
Il est aujourd’hui aussi essentiel de rappeler le chemin qui mena de la guerre Iran-Irak — glorifiée par la propagande du régime comme une « bénédiction » — à l’été 1988, marqué par le massacre de milliers de prisonnier·ères politiques, dont de nombreux·ses militant·es de gauche ayant lutté contre le régime du Shah, que de se remémorer les dynamiques impérialistes qui ont conduit à la « libyanisation » de la Libye.
L’histoire des « interventions humanitaires » impérialistes en Irak et en Afghanistan, sous prétexte d’armes de destruction massive ou de « crimes contre l’humanité », doit être relue à la lumière de l’histoire parallèle qui, depuis avant 1979 jusqu’à aujourd’hui, a constamment privilégié la lutte contre l’impérialisme au détriment d’autres combats de libération.
Dans le même temps, les leçons du colonialisme de peuplement israélien — de la catastrophe de la Nakba en 1948 à la trahison de Nasser et du panarabisme envers la cause palestinienne en 1967 — doivent être invoquées depuis les terres du Turkménistan iranien et du Kurdistan.
Cela fait maintenant plus d’une décennie que la peur d’une « syrianisation » a été utilisée comme arme rhétorique pour délégitimer les luttes populaires autonomes. Les idéologues de « l’îlot de stabilité » et leurs complices intermittents ont appelé le peuple aux urnes, tandis qu’ils légitimaient la participation sanglante des forces de Qods à la « syrianisation » de la Syrie, en la présentant comme une stratégie de dissuasion destinée à éviter que l’Iran ne subisse le même sort.
Il y a environ 45 ans, au début de la guerre Iran-Irak, certains groupes dits « progressistes », en considérant ce conflit comme un événement « patriotique », sont tombés dans le piège du nationalisme iranien. Le résultat n’a été autre que le renforcement du pouvoir monopolistique des forces islamistes. Certains d’entre eux sont restés silencieux face à l’instrumentalisation de l’étiquette « anti-impérialiste » pour imposer le voile obligatoire aux femmes ou lancer des opérations militaires contre le Kurdistan ; d’autres, même s’ils ont élevé la voix, n’ont pas réussi à mobiliser l’opinion publique contre l’assimilation de l’ennemi intérieur à l’ennemi extérieur, ni à dénoncer la normalisation d’une hiérarchie de pouvoir centrée sur l’homme/persan/chiite.
Précisément à ce moment où « l’urgence de la situation » tend à faire croire que « maintenant » est un instant d’exception, détaché de toute histoire ou continuité, il n’y a rien de plus vital que de convoquer la mémoire plurielle et complexe de notre histoire. C’est uniquement à travers cette mémoire — et depuis le regard des peuples opprimés — que nous pouvons dire « non » simultanément à l’impérialisme, à la militarisation sécuritaire et à la rationalité campiste. Cette mémoire multiple, qui insiste à la fois sur les solidarités et les différences de Kaboul à Gaza, requiert une ouverture radicale qui n’a qu’un seul nom : l’internationalisme.
Au moment où tant l’État israélien que la République islamique cherchent à imposer un récit triomphal de cette guerre, notre tâche est de déconstruire leurs discours glorifiant la résistance et les prétendus succès militaires. Notre terrain d’action ne réside ni dans l’alignement derrière des États ni dans l’illusion d’un salut venu d’en haut, mais dans le soin mutuel, l’entraide, et la construction de réseaux de soutien, de savoirs et de solidarité — des personnes âgées aux enfants, des exclu·es aux personnes en situation de handicap. C’est cette force de vie, de résistance et de création que nous avons vue se déployer avec éclat lors du soulèvement « Jin, Jiyan, Azadî », où la solidarité entre opprimé·es a incarné une force de vie et de création.
La résignation fataliste, la soumission à un feu qui semble tomber du ciel, ou la représentation d’un horizon apocalyptique où tout serait déjà fini, sont autant de formes de reproduction de la logique de mort. Au moment où, par les négociations (directes ou indirectes, explicite ou cachées), la République islamique essaie de reconsolider son pouvoir au prix de quelques concessions tout en resserrant l’étau sur la société iranienne, nous misons sur la puissance des peuples — de Téhéran à Gaza — qu’aucun État ne peut égaler ou anticiper. C’est là la voie d’une émancipation capable de renverser les discours guerriers dominants et de démentir tous les pronostics.
« Femme, Vie, Liberté ».
Berxwedan jiyan e
La résistance, c’est la vie ; Vivre, c’est résister
Liberté pour la Palestine.
Roja
Le 25 juin 2025
08.06.2025 à 02:21

Le 3 juin, une foule chassait des agents fédéraux qui procédaient à une descente dans une taqueria de Minneapolis. Le 4 juin, des affrontements éclataient contre des agents de l’ICE [Immigration and Customs Enforcement] lors de raids à Chicago et à Grand Rapids. Et c’est à Los Angeles deux jours plus tard, que la ville s’est embrasée en réaction à une énième rafle de sans-papiers. Les affrontements, d’abord sporadiques, se sont ensuite étendus au reste de la mégalopole californienne. Ils sont encore en cours. Dans le récit qui suit, des participants racontent comment les habitants se sont organisés pour empêcher autant qu’ils le peuvent la police fédérale de kidnapper des gens de leur communauté.
Tom Homan, le « tsar des frontières » de Donald Trump, vient d’annoncer qu’il allait riposter en envoyant la Garde nationale à Los Angeles. Si la situation se propage dans le pays, nous pourrions assister à un mouvement qui s’annonce comme la suite directe du soulèvement suivant la mort de George Floyd en 2020. En arrêtant David Huerta, président de la section californienne du syndicat des employés de service (SEIU) en marge d’une descente contre les habitants de Los Angeles, l’ICE et les diverses agences fédérales venues en renfort ont fortement attisé les tensions dans la ville au moment même où la révolte s’amorce.
Bien que l’administration Trump ait commencé par s’attaquer aux immigrés - avec ou sans papiers – il ne s’agit que d’une première étape vers l’établissement d’une autocratie. Le pouvoir fédéral s’en prend d’abord aux immigrés, les considérant comme la cible la plus vulnérable, mais leur objectif global est d’habituer la population à la passivité face à la violence brutale de l’État, en brisant les liens fondamentaux de solidarité reliant les communautés humaines.
Aussi, il doit être clair pour tout le monde, même pour les centristes les plus modérés, que l’issue du conflit qui s’intensifie actuellement déterminera les perspectives de toutes les autres cibles que Trump a alignées dans son programme, de l’université d’Harvard au pouvoir d’achat des américains.
Sur les réseaux sociaux, la nouvelle s’est rapidement répandue : l’ICE mène des descentes dans plusieurs endroits du centre-ville de Los Angeles, de Highland Park et de MacArthur Park. Les agents avaient commencé à perquisitionner un bâtiment dans le marché aux fleurs1 lorsqu’une foule les a spontanément piégés à l’intérieur. Toutes les entrées et sorties du bâtiment ont été bloquées par la foule, de manière à ce que les agents ne puissent plus en ressortir. Alors qu’ils avaient déjà interpelé de nombreuses personnes, les agents fédéraux ne s’attendaient pas à ce qu’une horde de 50 à 100 « angelinos » les prenne au piège.
Les agents s’imaginaient pouvoir rafler des personnes au hasard en plein milieu de Los Angeles sans que les gens du quartier ne réagissent. De toute évidence, ils se sont trompés.
Parmi les six lieux qu’ils ont visé ce matin-là, celui-ci se trouvait dans la zone la plus densément peuplée, à quelques rues du quartier de Skid Row et à quelques pas de celui de Piñata [Ndt : deux quartiers populaires, principalement habités par une population immigrée ou issue de l’immigration latino-américaine].
Alors que de nombreuses personnes s’agrégeaient devant l’entrée pour empêcher l’ICE de quitter le bâtiment, les agents fédéraux pris au dépourvu ont commencé à chercher une manière de s’extraire de se guêpier. Devant les portes et les grilles du bâtiment, des familles en pleurs angoissaient à l’idée de ce qui allait advenir pour leurs proches qui venaient de se faire rafler.
C’est ainsi que le gouvernement fédéral a déclaré la guerre à Los Angeles.
L’ICE a rapidement dépêché un camion blindé, une trentaine de policiers ainsi qu’une flottille de vans. L’entrée qu’ils souhaitaient emprunter étant bloquée par un camion sono du SEIU [Ndt : le syndicat international des employés des services], la police a menacé de saisir le véhicule. Les syndicalistes ont obtempéré et déplacé leur véhicule tout en conseillant à la foule, avec leur sono, de ne pas bloquer la route et de rester sur les trottoirs. Une moitié de la foule a suivi leur consigne, l’autre non. Cela suffit néanmoins à permettre au camion blindé et aux véhicules de l’ICE de rejoindre la porte d’entrée.
Les agents fédéraux en tenue anti-émeute ont alors essayé de dégager toutes les personnes qui bloquaient encore l’entrée. Le petit groupe qui avait refusé de partir a tenu le terrain, secouant les boucliers des policiers et moquant d’eux. Des agents du FBI, visiblement ébranlés par la résistance de ce groupe ameuté en l’espace d’un quart d’heure, se sont alors mis, dans un élan de désespoir, à jeter des grenades lacrymogènes au milieu de la foule. Tout le monde criait et haranguait ces mercenaires fascistes. La foule se débattait, hurlait contre les mercenaires fascistes en essayant de tenir la ligne. Dans la confusion, les agents sont parvenus à se frayer un passage et leurs camionnettes ont finalement pu passer la porte.
Les fédéraux ont alors fait monter les travailleurs détenus dans leurs véhicules et ont tenté une sortie. La foule a alors essayé de les arrêter, mais le FBI est intervenu par la force en interpelant des manifestants et tirant des balles de caoutchouc et des lacrymogènes sur l’attroupement. Une des camionnettes de l’ICE, dans sa fuite précipitée, a renversé le président du SEIU. Blessé, il a alors été interpelé.
L’ambiance est alors encore montée d’un cran et la foule a commencé à tirer des feux d’artifices et à jeter tout ce qui lui tombait sous la main sur les agents du FBI. Leur réponse fut immédiate : barrage de grenades de désencerclement, flashball et lacrymogènes.
Alors que l’émeute se poursuivait, quelques personnes ont suivi les fourgons de l’ICE jusqu’à l’aéroport de Burbank. Sur place, les agents fédéraux auraient déclaré à la compagnie aérienne transporter une équipe de hockey. Malgré de nombreuses recherches, personne ne sait où les détenus ont été envoyés.
D’autres ont été transportés au MDC [Metro Detention Center, l’équivalent des CRA aux États-Unis], où des centaines de personnes arrêtées lors des raids de ces derniers mois sont toujours incarcérées sans jugement. C’est là que s’était déroulé le campement « abolish ICE » en 2017, qui avait duré 60 jours.
Quelques heures après la première émeute, des centaines de personnes se rassemblent devant le Metropolitan Detention Center pour des prises de parole, auxquelles participent l’Union Del Barrio, le SEIU et la CHIR de Los Angeles [Coalition pour les droits humains des immigrés]. Rapidement, une bagarre éclate entre le service d’ordre et la foule. Les militants des organisations finissent par partir pendant que la foule reste sur place, ingouvernable. Des tags fleurissent sur les murs, des vitrines sont brisées et du mobilier urbain est cassé. Un manifestant qui avait apporté une masse, casse les piliers en béton pour constituer un stock de projectiles à jeter contre la police, un autre monte une barricade avec une chaise de bureau, pendant qu’un troisième amuse la foule en costume de dinosaure.
Les autorités fédérales se sont alors défoulées en tirant tout ce qu’elles pouvaient sur la foule. Les manifestants se retrouvent alors noyés dans le gaz lacrymogène à plusieurs reprises, mais ils renvoient les grenades à leurs envoyeurs ou s’en défendent en les neutralisant à l’aide de glace, d’eau ou de cônes de signalisation, comme au Chili. Pendant ce temps des « streamers » de droite qui tentaient d’approcher se font repérer et virer de la zone.
La situation devenant hors de contrôle, les fédéraux ont dû appeler la police locale à la rescousse. Si la maire de Los Angeles, Karen Bass, s’est déclarée « consternée » par la présence de l’ICE à Los Angeles, elle néanmoins mobilisé sa police en grand nombre pour soutenir les fédéraux. Puis un hélicoptère volant à basse altitude est apparu pour menacer les émeutiers d’arrestation et ordonner leur dispersion tandis que les policiers de Los Angeles repoussaient péniblement les manifestants du MDC. Il fallut quatre ou cinq heures pour faire partir la foule déterminée et festive de la zone.
Un message a circulé selon lequel l’ICE avait été repérée à proximité de Chinatown (plus tard, il s’est avéré qu’ils prévoyaient d’utiliser un parking pour une conférence de presse de Thomas Homan, le « tsar de la frontière » de Trump, à 7 heures le lendemain matin). Des centaines de personnes ont alors afflué, braquant des lampes torches dans les yeux des agents fédéraux, hurlant des chants et des insultes. Même si les manifestants étaient fatigués, les hostilités ayant commencé dans la matinée, la ferveur ne faiblissait pas, attirant les passants et les fans des Dodgers qui se joignaient progressivement à l’attroupement. La foule ayant bloqué la rue une fois de plus, la tension a rapidement monté. Cette fois-ci, le LAPD n’était pas présent, les agents fédéraux ont tenté de disperser les manifestants eux-mêmes en faisant usage d’un LRAD [un canon à ondes sonores].
Des participants au rassemblement, se jouant des efforts vains des fédéraux, ont alors pris à partie un véhicule blindé de l’ICE, cassant ses vitres, taguant ses portes avec le slogan « FUCK ICE » avant de sauter sur son toit et son capot. Les voitures autopilotées de l’agence fédérale ont également été attaqués et ses caméras peintes à la bombe. Aucune organisation n’était présente sur place à l’exception du fort contingent du syndicat des locataires de Los Angeles ayant assisté à toutes les actions de la journée.
Les agents fédéraux ont alors pris la décision d’évacuer le parking, trop difficile à tenir. La foule, saisissant l’occasion inespérée d’une retraite désordonnée, tirait une multitude de mortiers, de pierres, des bouteilles et, on ne sait trop comment, d’assiettes en céramique. Le FBI s’est défendu grâce à quelques grenades de désencerclement et autres gazeuses à main, mais le moral de ceux qui leur tenaient tête est resté au beau fixe. L’émeute s’est alors déchainée sur les véhicules de l’ICE laissés derrière. À ce moment-là, les agents ont pris la fuite, sentant la situation leur échapper. Une célébration a commencé dans la rue. D’autres feux d’artifice ont été tirés dans une atmosphère de liesse. La fête dura quelques minutes dans les rues maintenant libérées avant que les manifestants ne rentrent chez eux, réconfortés par cette petite victoire dans le climat déshumanisant et cruel des États-Unis. Ce jour-là, Los Angeles a vaincu l’ICE.
Thanks to lundi.am for the translation.
Le Flower District est un quartier de Los Angeles où sont regroupés tous les grossistes de fleurs. ↩