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27.11.2025 à 08:00
Décembre 2022, trois jours durant à 185 kilomètres au sud-est de Ouagadougou, 42 délégués syndicaux ont suivi à Tenkodogo un atelier de formation, animé autour d'une expression principale : « transition juste ». À travers ce concept, la Confédération syndicale burkinabè (CSB) s'est engagée à humaniser la transition écologique qu'imposent les chocs climatiques et environnementaux toujours plus intenses, tels que la sécheresse, la dégradation de terres, les fortes chaleurs, les inondations. (…)
- Actualité / Burkina, Travail décent, Agriculture et pêche, Crise climatique, Syndicats, Transition justeDécembre 2022, trois jours durant à 185 kilomètres au sud-est de Ouagadougou, 42 délégués syndicaux ont suivi à Tenkodogo un atelier de formation, animé autour d'une expression principale : « transition juste ». À travers ce concept, la Confédération syndicale burkinabè (CSB) s'est engagée à humaniser la transition écologique qu'imposent les chocs climatiques et environnementaux toujours plus intenses, tels que la sécheresse, la dégradation de terres, les fortes chaleurs, les inondations.
Ces chocs climatiques et environnementaux affectent durement l'emploi, notamment dans les secteurs de l'agriculture, de l'élevage ou de la pisciculture, menaçant aussi la sécurité économique, limitant l'accès à des opportunités professionnelles stables et aggravant la précarité.
Un constat alarmant dans un pays où l'agriculture emploie 80 % de la population active burkinabè et représentant près de 30 % du produit intérieur brut national ;–les femmes y sont particulièrement exposées, comme le montrent les travaux des chercheurs Boureima Sawadogo et Ismaël Fofana dans leur étude, publiée en juillet 2021, intitulée Perspective Genre de l'Impact Économique au Changement Climatique au Burkina Faso, (Université Ouaga II / International Food Policy Research Institute, IFPRI).
Au lieu que les politiques climatiques aggravent cette situation, la CSB milite pour qu'elles soient des opportunités de création d'emplois décents, de protection des travailleurs.euses vulnérables et de justice sociale. Elle plaide pour une transition juste, qui concilie les impératifs climatiques et environnementaux et les droits des travailleurs.euses.
Parmi ses actions stratégiques en matière de changement climatique et d'environnement, le Burkina prévoit de reverdir ses zones désertiques à travers des reboisements pour stopper ou inverser la courbe des changements climatiques. La CSB y voit une opportunité pour mettre en œuvre le concept de transition juste.
« Nous avons recommandé que le reverdissement se fasse à travers les travaux à haute intensité de main-d'œuvre (HIMO) et respecte les critères du travail décent. C'est-à-dire que cette main d'œuvre doit avoir un revenu acceptable et bénéficier des services de la sécurité sociale et de l'assurance-maladie », déclare son Secrétaire général, Guy Olivier Ouédraogo, interrogé par Equal Times.
Pour accompagner ces efforts, la CSB s'inspire des principes adoptés par la Confédération syndicale internationale (CSI) et soutenus par l'Organisation internationale du travail (OIT) : « Aucun travailleur ne doit être laissé de côté dans la transition écologique ». À ce titre, il souligne que le changement climatique intensifie les risques professionnels — vagues de chaleur, exposition accrue aux polluants, événements climatiques extrêmes ou encore transformation des métiers — et renforce la nécessité d'une protection en matière de santé et de sécurité au travail (SST). La CSB plaide pour l'intégration de la transition juste dans les politiques climatiques et environnementales et pour la ratification de la Convention 155 de l'OIT, relative à la santé et la sécurité des travailleurs.
Ces actions s'inscrivent dans le cadre de son programme quinquennal 2022-2026, mené avec MSI, qui permet de renforcer les capacités syndicales et de plaidoyer, d'étendre la formation et d'outiller les militants à travers tout le pays. La CSB a salué certaines avancées récentes, comme l'instauration des journées continues dans plusieurs régions pour protéger les travailleurs.euses des pics de chaleur, leur permettant de terminer plus tôt la journée de travail. « Nous saluons l'instauration des journées continues dans certaines régions pour tenir compte de la forte chaleur qui affecte les travailleurs », confie le Secrétaire général.
Mais il déplore un manque d'engouement des Burkinabè autour du concept de transition juste. « Il n'y a pas, pour l'instant une politique affirmée comme celle des trois luttes que nous avons connue : lutte contre les feux de brousse, la coupe abusive du bois, la divagation des animaux », regrette Guy Olivier Ouédraogo.
L'Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) révèle qu'en 2024, plus de neuf emplois sur dix étaient informels et que le chômage concerne 3,5 % de la main-d'œuvre. Les femmes sont, là encore, les plus touchées. En conséquence de cette informalité, les travailleurs ne bénéficient pas de conditions de travail telles que prévues par le Code de travail en matière de salaires, d'horaires, de santé ou de sécurité.
Selon la Banque mondiale, le Burkina Faso est un pays à faible revenu. En plus du choc climatique, son économie, dominée par les secteurs extractifs (or, zinc, manganèse) et agricole (coton, céréales), demeure aussi vulnérable aux chocs sécuritaires liés aux attaques terroristes, et est dépendante des cours des matières premières ainsi qu'à la pluviométrie.
Plus de 40 % de Burkinabè vivent en dessous du seuil national de pauvreté (soit moins de 1,90 USD par jour). Le rapport 2025 de l'indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) classe le pays au 186e rang sur 193 pays.
Depuis 2021, la CSB a fait de la transition écologique un axe stratégique. Aux côtés des autres syndicats africains, elle œuvre pour l'intégration de l'agenda de la transition juste dans les politiques climatiques et environnementales en utilisant le dialogue social comme outil essentiel.
Avec l'appui de partenaires comme la Centrale générale des syndicats libres de Belgique (CGSLB), le Mouvement de solidarité internationale, la Direction générale du développement, la Fondation Friedrich Ebert et la CSI-Afrique, elle organise des formations sur l'adaptation aux changements climatiques, la transition juste, la santé-sécurité au travail, la négociation collective et le plaidoyer politique au bénéfice de ses membres. Selon son Secrétaire général, Guy Olivier Ouédraogo, l'objectif est de les rendre aptes à influencer positivement les politiques nationales de transition écologique.
Des comités « SST-Climat » qui réfléchissent sur la question de la santé-sécurité au travail, en lien avec les changements climatiques, ont été mis en place dans les 13 régions du Burkina Faso (le nombre de régions est passé à 17 depuis le décret d'août 2025) et au niveau des 23 syndicats sectoriels que compte la CSB. Ces structures assurent la veille, sensibilisent les travailleurs, mènent des consultations territoriales et nourrissent le plaidoyer auprès des autorités. Ils ont compétence pour engager des actions politiques et faire des plaidoyers auprès des gouvernements pour l'effectivité des transitions justes, confie le Secrétaire général.
Malgré les engagements des syndicats en matière de transition juste, ceux-ci déplorent le fait de ne pas avoir de cadre formel et institutionnalisé qui leur permette de participer à l'élaboration ou au suivi de la mise en œuvre des Contributions déterminées au niveau national (CDN).
La rédaction de la CDN 3.0 (2025-2030) a mobilisé principalement les ministères techniques, les partenaires techniques et financiers et les organisations de la société civile (OSC) réunies autour du Secrétariat permanent des ONG (SP-ONG). Les organisations syndicales en ont été largement absentes.
« Nous avons rencontré la Commission nationale de développement durable avec le souhait de participer à leurs travaux afin d'apporter nos contributions. Mais malheureusement, le décret la créant n'a pas prévu une participation syndicale », a déclaré le Secrétaire général de la CSB, Guy Olivier Ouédraogo à Equal Times.
Cependant, l'absence de cadre formel ne signifie pas une absence d'action. Face à cette exclusion, la CSB déploie d'autres stratégies pour faire remonter les préoccupations du monde du travail dans les instances liées aux effets du changement climatique.
Plusieurs militants, affiliés et leaders syndicaux parviennent à participer aux cadres existants de révision ou de suivi de la CDN sous d'autres casquettes, leur permettant d'y introduire les problématiques liées aux travailleurs.euses. Parallèlement, la centrale s'appuie sur les comités régionaux SST-Climat déployés dans les 13 régions pour mener des consultations, assurer une veille territoriale et nourrir un plaidoyer continu. Ces dispositifs visent à renforcer la demande d'une intégration effective des centrales syndicales dans les cadres formels, tout en soutenant les négociations et le plaidoyer national sur l'impact du changement climatique sur les travailleurs.euses.
« Nous avons eu à organiser une réflexion entre plusieurs acteurs gouvernementaux et des organisations de la société civile pour voir ce que nous pouvons faire. Nous avons invité le ministère de l'environnement qui a accepté d'envoyer deux cadres. Ils ont fait leur présentation. En retour, des questions leur ont posé et des contributions leur ont été données », précise son Secrétaire général.
Plusieurs facteurs expliquent l'absence des organisations syndicales dans le cadre formel pour de négociations sur les questions climatiques. La raison principale est le manque d'accès à l'information du gouvernement et de bonne compréhension partagée des enjeux que les CDN représentent pour le monde du travail, ainsi que l'absence de mécanismes clairs de participation syndicale.
À cela s'ajoute une absence de volonté politique. « Le gouvernement, au début, ne savait pas que nous étions sur la thématique. Mais quand il l'a su, rien n'a été fait pour notre participation aux structures mises en place pour les négociations sur le climat et l'environnement », regrette le Secrétaire général de la CSB.
Face à ces obstacles, la CSB s'évertue à informer et à sensibiliser les autorités sur la place essentielle des syndicats dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques climatiques, ainsi que sur le rôle qu'elle peut jouer dans la défense des travailleurs face aux impacts du changement climatique.
Elle rappelle que la Constitution, le Code du travail, la loi sur la liberté d'association et les textes sur la santé-sécurité au travail lui confèrent le droit de défendre les travailleurs et de contribuer aux politiques publiques. C'est pourquoi la centrale plaide pour une gouvernance climatique plus inclusive.
Cette faiblesse du cadre légal et institutionnel appelle à repenser la question climatique. Au-delà du volet technique, elle doit davantage être traitée comme une question sociale et de travail. Dans cette perspective, La CSB gagnerait à plaider pour la mise en place d'une commission dédiée à la transition juste placée sous la tutelle du ministère en charge de la fonction publique et du travail, ainsi que celui de l'environnement. Cela passe par le renforcement du dialogue social avec le gouvernement, le patronat et les OSC.
Cet article fait partie d'une série de quatre articles de pays réalisés dans le cadre du programme de partenariat quinquennal 2022-2026 du Mouvement pour la solidarité internationale (MSI), cofinancé par le syndicat belge CGSLB et la Coopération belge au développement.