04.05.2024 à 15:31
Équipe de l'Observatoire
Les élections au Parlement européen se profilent, mais la fiscalité est largement absente du débat public. Elle est pourtant au cœur des enjeux sociaux, environnementaux et économiques et, par son incidence sur le pouvoir d'achat, les services publics et la protection sociale notamment, elle a un impact direct sur les conditions de vie des populations. Il est donc essentiel de revenir sur les principaux enjeux en la matière. Attac et la fondation Copernic publient un livre intitulé « Leur (…)
- ActualitésLes élections au Parlement européen se profilent, mais la fiscalité est largement absente du débat public. Elle est pourtant au cœur des enjeux sociaux, environnementaux et économiques et, par son incidence sur le pouvoir d'achat, les services publics et la protection sociale notamment, elle a un impact direct sur les conditions de vie des populations. Il est donc essentiel de revenir sur les principaux enjeux en la matière. Attac et la fondation Copernic publient un livre intitulé « Leur Europe et la nôtre » (éditions Textuel) pour alimenter le débat public. Ce billet précise les enjeux fiscaux de la période.
Alors qu'elle devrait avoir pour objectif de financer l'action publique, réduire les inégalités et inciter à des comportements vertueux, la fiscalité est l'un des principaux leviers utilisés par les États pour améliorer leur compétitivité économique et attirer les investissements. C'est particulièrement vrai au sein de l'Union européenne, qui a fait de la concurrence fiscale et sociale (entre États membres et avec le reste du monde) son principal axe. La libéralisation progressive des flux de capitaux, de biens et de services, leur rapidité de circulation, la numérisation de l'économie et la déréglementation sont autant de facteurs qui ont accéléré et aggravé cette concurrence globale.
Celle-ci se traduit notamment par une baisse de l'imposition de ce que l'on nomme les « facteurs mobiles » (les entreprises et les plus riches, c'est-à-dire des agents économiques que les États veulent attirer et/ou retenir sur leurs territoires) et une hausse des « facteurs immobiles » (le reste des populations). Pour financer les politiques publiques qui, bien qu'en retrait, occupent toutefois une place importante dans les économies, elle se traduit ainsi par une hausse des impôts indirects notamment, payés par les consommateurs. Au fil des années, c'est donc un véritable transfert de la charge fiscale des grandes entreprises et des plus riches vers l'immense majorité de la population et les PME qui s‘est opéré.
Le taux nominal de l'impôt sur les sociétés s'est effondré. En Allemagne, il est passé de 50 % (pour les bénéfices non distribués) et de 36 % (pour les bénéfices distribués) en 1990 à 29,83 % en 2023 (que les bénéfices soient distribués ou non). En France, il est passé de 50 % en 1986 à 25 % actuellement. En Belgique, il est passé de 43 % en 1990 à 25 % en 2023, etc. Dans le même temps, des taux spécifiques ont été instaurés sur les revenus financiers (comme le prélèvement forfaitaire unique en France), plus avantageux que l'imposition aux barèmes progressifs des impôts sur les revenus. Ceux-ci ont par ailleurs vu leurs taux les plus élevés s'abaisser. Comparer les taux est certes insuffisant : il faudrait pouvoir évaluer les assiettes auxquels ils s'appliquent mais également étudier les taux réduits (comme celui de 10 % sur les revenus de la propriété intellectuelle applicable en France) et les mesures dérogatoires comme les incitations en faveur de la recherche et de l'innovation (comme le crédit d'impôt recherche en France), mais cela ne ferait que confirmer le mouvement global..
L'Institut des politiques publiques relève que, « Comme pour la France (avec 65 %), les taux marginaux supérieurs étaient aussi plus élevés au début des années 1980 qu'à la fin des années 2000 : 72 % aux Pays-Bas et en Belgique, 62 % en Italie, 66 % en Espagne, 53 % en Allemagne (…), l'imposition marginale des hauts revenus a baissé dans la plupart des pays d'Europe entre 1995 (47,4 % en moyenne) et 2008 (38,9 % en moyenne) mais les évolutions divergent depuis (…) Depuis l'après-guerre, l'imposition réelle des 1 % les plus aisés a crû jusqu'en 1982 (taux moyen de 34,2 %) puis a diminué depuis (25 % en 1998) [1] ».
Autre illustration de la concurrence fiscale, dans la quasi-totalité des États, la fiscalité du patrimoine a baissé. Outre les mesures prises en faveur des revenus financiers, les impôts sur la fortune ont quasiment disparu et la fiscalité de la transmission du patrimoine a également été allégée. Cinq pays ont supprimé leurs droits de succession depuis 2000 (l'Autriche, la Norvège, la Slovaquie, la Suède et la République tchèque). Rapportées aux recettes fiscales globales, les droits de donation et de succession représentaient entre 0 % (là où ils n'existent pas) et 1,46 % (Belgique) en 2019. Ce faible ratio s'explique par l'existence de nombreux dispositifs (abattement sur donations et succession, mécanismes particuliers de donations) permettant de transmettre le patrimoine en franchise d'impôt.
La TVA en revanche a été singulièrement rehaussée. Entre 1980 et 2019, son taux normal est ainsi passé ; de 17,6 % à 20 % en France, de 13 % à 19 % en Allemagne, de 18 % à 21 % aux Pays-Bas ou encore de 14 % à 22 % en Italie. Le transfert de la charge fiscale des impôts directs, par nature les plus justes, vers les impôts indirects est particulièrement visible.
Il serait illusoire de penser que l'on peut unifier 27 régimes fiscaux différents, rapidement et sans débat de fond sur la nature de la construction européenne. Pour autant, il est nécessaire de neutraliser la concurrence fiscale et sociale pour rééquilibrer les systèmes fiscaux, dégager des marges de manœuvre budgétaires face aux enjeux sociaux et écologiques, réduire les inégalités et renforcer les services publics ainsi que les systèmes de protection sociale.
De ce point de vue, l'instauration de la taxation minimale de 15 % sur les bénéfices réalisés par les multinationales et groupes nationaux transposée dans le droit national de l'ensemble des 27 États membres de l'UE au 1er janvier 2024 est une mesure très insuffisante. Cette mesure ne concernera que les entreprises réalisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel et exclut d'office les entreprises réalisant moins de 10 millions d'euros (en France, 570 entreprises françaises sont concernées). Quant à la proposition de la Commission d'harmoniser les bases de l'impôt sur les sociétés (le projet « Befit »), elle ne pourrait avoir d'impact positif que si elle s'accompagnait de la mise en place d'un taux minimal suffisamment élevé pour empêcher le développement de la concurrence fiscale. Enfin, il faut signaler que le projet de taxe sur les transactions financières est discuté au sein de l'Union européenne depuis 2011. La France empêche cependant sa mise en œuvre par son refus d'intégrer la coopération renforcée, Emmanuel Macron ayant fait le choix de concurrencer « La City » de Londres depuis le brexit. Autrement dit, en l'état actuel des choses, la concurrence fiscale a hélas de beaux jours devant elle.
Il faut donc aller beaucoup plus loin. Plusieurs propositions sont sur la table. Il en va ainsi de la création d'un impôt européen sur la fortune. Selon l'Observatoire européen de la fiscalité, la création d'un impôt mondial de 2 % sur le patrimoine des milliardaires permettrait de générer 40 milliards d'euros de recettes en Europe. Une pétition « Tax The Rich » (soutenue par Attac) a d'ailleurs été lancée au niveau européen par plusieurs parlementaires européens. Attac a par ailleurs lancé une action d'interpellation des candidats aux élections européennes en ce sens.
À l'image du serpent monétaire européen qui limitait les écarts entre les monnaies, un « serpent fiscal européen » [2] pourrait limiter les écarts entre les systèmes fiscaux grâce à plusieurs mesures.
• L'harmonisation des assiettes de l'impôt sur les sociétés (IS), couplée à l'instauration d'un taux effectif d'IS « plancher » (calculé sur la base harmonisée). Relever le taux de 15% de l'imposition minimale des multinationales qui se décline au sein des États membres à 25 % constituerait un taux plancher en matière d'imposition sur les sociétés. Au-delà, l'IS doit prendre en compte des activités numériques. De manière générale, il s'agit d'éviter les transferts artificiels de richesse et de bénéfices pour imposer la richesse là où elle est créée.
• Une véritable taxe sur les superprofits de l'ensemble des secteurs, telle que proposée par l'Alliance écologique et sociale (AES) dont Attac est membre.
• L'harmonisation de la TVA et l'instauration d'un taux plafond afin d'éviter une dérive à la hausse et d'en finir avec la fraude carrousel, un mécanisme de fraude à la TVA intracommunautaire particulièrement couteux.
• Le renforcement de la coopération afin de mieux lutter contre la fraude fiscale avec la création d'un système d'échange automatique d'informations (bancaires, juridiques et financières) et d'un cadastre financier européen, la mise en place d'une procédure européenne de contrôle fiscal ou encore le renforcement des obligations déclaratives (comptables et fiscales en cas de montages et de prix de transfert notamment). Une véritable « liste noire » des paradis fiscaux assortie de mesures dissuasives (comme la présomption de fraude pour tout lien avec ces territoires par exemple) est également nécessaire.
• La création d'impôts européens (impôt sur les sociétés, impôt sur la fortune, taxe sur les transactions financières applicable à l'ensemble des transactions…) permettrait de revaloriser le budget européen et de mieux financer les solidarités européennes et internationales d'une part et la bifurcation sociale et écologique d'autre part.
Ces mesures indispensables à prendre pour réorienter l'Union européenne accompagnent le débat sur la nature de la construction européenne, le rôle de la politique monétaire, l'évolution des institutions européennes, etc. Autant de questions qu'une véritable campagne européenne devrait poser.
09.04.2024 à 18:32
Équipe de l'Observatoire
Le crédit d'impôt pour emploi à domicile coûte 6 milliards d'euros par an. 46% vont aux foyers gagnant plus de 75000 euros. Dans le cadre d'une « revue des niches fiscales » proposée par Attac, la question de baisser le plafond de cette disposition se pose. L'objectif serait d'épargner les classes moyennes, de faire davantage contribuer les plus aisés et de maintenir l'effet incitatif de la mesure. Ce faisant, l'État pourrait gagner de 1,5 à plus de 2 milliards d'euros.
La Cour des (…)
Le crédit d'impôt pour emploi à domicile coûte 6 milliards d'euros par an. 46% vont aux foyers gagnant plus de 75000 euros. Dans le cadre d'une « revue des niches fiscales » proposée par Attac, la question de baisser le plafond de cette disposition se pose. L'objectif serait d'épargner les classes moyennes, de faire davantage contribuer les plus aisés et de maintenir l'effet incitatif de la mesure. Ce faisant, l'État pourrait gagner de 1,5 à plus de 2 milliards d'euros.
La Cour des comptes a publié un rapport, mercredi 27 mars, soulignant la nécessité de revoir le soutien de l'État aux services à la personne. Plusieurs impositions sont visées, dont le crédit d'impôt pour emploi d'un·e salarié·e à domicile, jugé trop onéreux pour les finances publiques. De quoi faire bondir les ménages qui craignent de ne plus bénéficier de cette aide et les personnes qui pensent que revoir le dispositif va favoriser la hausse du travail non déclaré. Pour Attac, qui défend une « revue des niches fiscales et sociales », il est important de revenir en détail sur cette mesure.
Le crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile a été créé en 1992 (pour un montant maximum de 12 500 francs à l'époque), ce dispositif visait à combattre le travail non déclaré et à favoriser l'emploi dit « domestique ». Le plafond de ce dispositif a connu une histoire mouvementée pendant plusieurs années pour être finalement porté à 6 000 voire 7 500 euros comme indiqué ci-dessous.
La mesure consiste en effet à appliquer un taux de 50 % des dépenses engagées (incluant salaires et charges sociales), dans la limite de 12 000 euros par foyer (15 000 euros pour un couple avec deux enfants). Le crédit d'impôt atteint donc un maximum de 6 000 euros par foyer (ou 7 500 euros pour un couple avec deux enfants). Ce plafond est moins élevé pour certaines prestations (« petits bricolages », assistance informatique et Internet et petits travaux de jardinage). S'agissant d'un crédit d'impôt, si son montant dépasse le montant de l'impôt à payer, la différence est remboursée par l'administration fiscale.
Sur 40 millions de foyers fiscaux, 4,48 millions d'entre eux (soit 11%) bénéficiaient de cette mesure en 2023. Le coût budgétaire du crédit d'impôt, 5,92 milliards d'euros pour 2023, est estimé à 6,1 milliards pour 2024. Il s'accroît continuellement.
La moyenne du crédit d'impôt pour emploi d'un salarié à domicile était de 1 319 euros en 2023. Comme le crédit représente 50 % des dépenses engagées au cours d'une année, cela signifie que la dépense moyenne des 4,48 millions de foyers fiscaux qui bénéficient de cette mesure est de 2 638 euros (soit un peu moins de 225 heures sur une année sur la base d'un salaire horaire brut de 11,75 euros). Cela s'explique aisément : seule une infime minorité a les moyens de verser un salaire de 12 000 voire de 15 000 euros par an pour bénéficier à plein de la mesure. C'est là qu'intervient la question du dosage de la mesure pour qu'elle conserve son caractère incitatif tout en évitant les effets d'aubaine.
Quant à l'impact sur l'emploi domestique, le rapport de la Cour des comptes l'estime décevant : 75 000 emplois seulement ont été créés (ou régularisés) depuis 2005 dans les secteurs couverts par les aides fiscales à la personne.
Cette mesure permet à de nombreuses personnes appartenant aux classes moyennes et aux classes moyennes supérieures de pouvoir employer une personne à domicile, souvent pour quelques heures par semaine. Autrement dit, sur une année, le salaire versé par l'immense majorité des foyers est très loin d'atteindre le plafond prévu par cette disposition. La situation est différente chez les personnes les plus aisées : elles ont les moyens d'employer pour un nombre important d'heures un·e ou plusieurs salarié·es à domicile. Le crédit d'impôt dont elles bénéficient est élevé, mais la mesure s'avère alors moins incitative. En effet, avant sa création en 1992 de cette « niche », ces personnes déclaraient déjà leur emploi à domicile. Au reste, dans le passé, les relèvements du plafond de cette disposition ne se sont pas traduits par davantage d'embauches. Il existe donc, chez les plus aisés, un effet d'aubaine.
Le bénéfice de cette mesure est d'ailleurs très concentré. Pour les 75 premiers centiles de revenu, le taux de recours aux services à la personne est inférieur à 10 %, alors qu'il est supérieur à 50 % parmi les 3 % de foyers les plus aisés. Dans le détail, en 2020, 409.000 foyers fiscaux (soit 9 % du nombre de foyers concernés par cette « niche ») captaient plus de 1 milliard d'euros, un peu moins de 820.000 en captant plus de 35 % (soit 2 milliards).
L'État pourrait donc simplement baisser le plafond pour que les classes moyennes ne soient pas touchées (leurs dépenses sont loin d'atteindre le plafond actuel de 12 000 euros pour un célibataire, 15 000 euros pour un couple avec deux enfants, ce qui signifie employer une personne 1.276 heures sur l'année).
La baisse peut être plus ou moins importante.
En abaissant le plafond de sorte que 90 % des bénéficiaires de la mesure ne seraient pas perdants, l'État récupérerait près de 1,5 milliards d'euros qui proviendrait des contribuables qui bénéficient du montant maximum du crédit d'impôt ou qui s'en approchent.
En le baissant un peu plus tout en permettant à 80 % des bénéficiaires de la mesure de ne pas être touchés, ce sont 2,1 milliards d'euros qui pourraient être dégagés.
Au final, l'impôt progressif sur le revenu gagnerait quelques couleurs et les inégalités devant les services à domicile cesseraient d'augmenter. Ces recettes pourraient en effet être utilisées pour développer le service public (pour l'ensemble de la population et pas seulement ceux qui en ont les moyens) des aides à la personne, à prendre en charge la perte d'autonomie, améliorer les conditions de travail des salarié·es à domicile, etc.
10.03.2024 à 10:53
Équipe de l'Observatoire
Évitement fiscal, taux minimal de 15 % sur les multinationales, débats sur le « poids » de l'imposition des entreprises, etc : c'est peu de dire que l'impôt sur les sociétés (IS) défraie régulièrement la chronique. Si les informations sont plutôt nombreuses en la matière, peu en revanche dressent un portrait fidèle de cet impôt qui, avec les impôts sur le patrimoine des particuliers, est le plus sensible à la concurrence fiscale internationale, et par conséquent souvent le plus trituré par (…)
- Comprendre la fiscalitéÉvitement fiscal, taux minimal de 15 % sur les multinationales, débats sur le « poids » de l'imposition des entreprises, etc : c'est peu de dire que l'impôt sur les sociétés (IS) défraie régulièrement la chronique. Si les informations sont plutôt nombreuses en la matière, peu en revanche dressent un portrait fidèle de cet impôt qui, avec les impôts sur le patrimoine des particuliers, est le plus sensible à la concurrence fiscale internationale, et par conséquent souvent le plus trituré par les pouvoirs publics. Le présent billet revient sur l'évolution du taux de l'IS et présente les principales données et règles relatives à l'IS.
En 2017, Emmanuel Macron a décidé de baisser le taux nominal de l'IS pour le porter progressivement de 33,3 % à 25 %, pour un coût global sur le quinquennat estimé à l'époque à 11 milliards d'euros (rappelons que que le taux de l'IS était de 50% jusqu'en 1985 pour être abaissé à 33,3 % en 1986). Si l'IS était alors souvent présenté comme l'un des plus élevés au monde, aujourd'hui encore, on peut entendre ici et là qu'en dépit de cette baisse, le taux de l'IS reste dans la moyenne haute des taux nominaux de l'IS en vigueur dans de nombreux autres pays. Or, comparer les taux n'enseigne pas grand-chose si on n'analyse pas ce à quoi il s'applique et si on ne prend en compte ni les « niches fiscales », ni les sommes qui échappent à l'IS du fait de l'évitement fiscal.
L'IS français s'applique en effet à une base étroite : le bénéfice fiscal (qui découle du bénéfice comptable et de quelques retraitements ultérieurs) admet en déduction de nombreuses écritures comptables telles que les amortissements ou les provisions. Dans d'autres pays, comme l'Allemagne par exemple, ces déductions sont moins nombreuses. Lorsque le taux de l'IS s'applique à la base, celle-ci est déjà réduite du fait de ces déductions. Une fois le taux appliqué, un « IS brut » est déterminé. Pour calculer l'IS net réellement dû par la société, on déduit certaines « niches fiscales », comme le fameux crédit d'impôt recherche par exemple. Signalons en outre que certains régimes de groupes se montrent particulièrement avantageux également et permettent de réduire le taux d'IS réel au stade du groupe. Tout ceci concourt à expliquer pourquoi le poids de l'IS français (un indicateur intéressant sur le « poids de l'IS » dans l'économie) rapporté au PIB est peu élevé.
L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publie régulièrement ses statistiques des recettes publiques. Celles-ci montrent que, contrairement à ce que prétendent les tenants des politiques néolibérales, l'IS français représente une faible part du produit intérieur brut (PIB). Il représentait en effet 2,5 % du PIB français en 2021, soit presque autant que l'Allemagne (2,4 %), présentée comme très avantageuse, contre 2,6 % en Espagne, 3,5 % en Irlande, 3,8 % aux Pays-Bas ou encore 4 % au Danemark.
Signalons par ailleurs que le taux d'imposition taux effectivement payé par les grandes entreprises est désormais proche de celui payé par les plus petites : en 2019, il s'élevait à 19,9 % pour les PME, 21,3 % pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), et 17,1 % pour les grandes entreprises. Soit un écart de tout de même 2,8 points calculé sur les bénéfices déclarés [1].Si l'écart s'est manifestement réduit au cours des dernières années, il est difficile d'en tirer la conclusion que l'équité fiscale progresse. Car ces taux réels d'imposition ne prennent pas en compte les stratégies d'évitement fiscal.
En effet, s'il est difficile de l'évaluer précisément et d'en tirer une conclusion sur le taux réel d'IS (soit l'IS payé par rapport aux bénéfices réellement réalisés), il est impossible de ne pas mentionner à ce stade les diverses stratégies d'évitement de l'impôt qui, par voie d'optimisation agressive, d'évasion et de fraude fiscales, viennent faire chuter le taux réel de l'IS. Le CEPII estimait ainsi qu'en matière de contournement de l'impôt : « Plusieurs instruments peuvent ainsi être utilisés : manipulation des prix de transfert sur les transactions entre filiales d'un même groupe (échanges de biens ou de services) et la localisation des dettes ou d'actifs générant des revenus (brevets, marques, dette) au sein du groupe génèrent artificiellement des flux internationaux de dividendes entre filiales et maisons-mères, des pays à faible fiscalité vers ceux à fiscalité élevée [2] ». Et selon Gabriel Zucman, 40 % des profits des multinationales réalisés à l'étranger sont logés dans les paradis fiscaux [3].
En 2023, les recettes d'impôt sur les sociétés sont estimées à 61,3 milliards d'euros. En 2024, les recettes d'impôt sur les sociétés s'élèveraient à 72,2 Md€, soit 10,9 milliards d'euros de plus qu'en 2023, en raison principalement du fort dynamisme du bénéfice fiscal en 2023 du principalement aux superprofits. Par comparaison, l'impôt sur le revenu aurait rapporté 90,7 miliards d'euros en 2023. Quant à la TVA, elle, aurait rapporté 208,7 milliards d'euros en 2023.
L'impôt sur les sociétés (IS) concerne les entreprises exploitant en France, c'est-à-dire celles qui réalisent leur activité commerciale habituelle sur le territoire et y ont un établissement stable. Il concerne principalement les bénéfices de certaines sociétés et personnes morales. Il en va par exemple ainsi des sociétés de capitaux comme les sociétés anonymes notamment. Les sociétés passibles de l'IS ne sont imposables que sur les bénéfices qu'elles réalisent sur le territoire.
Le taux de l'impôt sur les sociétés est de 25 % à compter des exercices ouverts à partir 1er janvier 2022. Il était de 33,3 % en 2017 puis s'est progressivement abaissé depuis. Il existe cependant des taux spécifiques. Pour les PME (qui réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 10 millions d'euros), le taux est ainsi de 15 % jusqu'à 42 500 euros de bénéfices (25 % au-delà).
Par ailleurs, certaines cessions d'éléments d'actif (cession de brevets, de titres de participations de licence d'exploitation, etc) relèvent du régime d'imposition des plus ou moins-values à long terme. Ces opérations sont imposées à des taux spécifiques qui, selon la nature de ces opérations de cession, oscillent entre :
• 0 % pour les plus-values nettes à long terme réalisées sur les cessions de titres de participations, autres que les titres de sociétés à prépondérance immobilière, sont imposées au taux de 0% (sous réserve de la réintégration d'une quote-part de frais et charges de 12 %) ;
• 19 % sur les plus-values nettes à long terme réalisées sur certaines opérations immobilières ;
• 15 % les autres plus-values à long terme ;
• 10 % sur certains revenus de la propriété intellectuelle.
[1] Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, Les différences d'imposition sur les bénéfices entre PME et grandes entreprises, juillet 2023.
[2] Laurence Neyman et Vincent Vicard, « Les revenus des multinationales dans les paradis fiscaux », Blog du CEPII, 14 septembre 2018.
[3] Gabriel Zucman, « La richesse cachée des nations, enquête sur les paradis fiscaux », 2ème édition, collection La République des idées, Éditions du Seuil, novembre 2017.