"C'est terminé, mon boulot, mon salaire, mes amis. Ce n'était pas que leur usine, c'était la nôtre aussi. Ce qui a fait leur richesse, c'est nous, les employés. Et maintenant, ils nous virent comme des malpropres. Bosser chez Michelin, c'était une fierté", explique Jack Roux, 50 ans, dont 24 à l'usine de Cholet.
Depuis l'annonce de la fermeture le 5 novembre dernier, plusieurs dizaines de salariés se relaient jour et nuit près des grilles de l'usine. Un canapé gris et des chaises de jardin ont été installés sous une tonnelle, à côté de barils d'où s'échappent quelques flammes et une fumée grise.
Hors de question pour Jack Roux de "partir avec des miettes". "Cela ne m'amuse pas d'être ici mais c'est la dernière chose qu'on peut avoir: des négociations pour partir dans la dignité", ajoute-il, bras croisés devant des dizaines de pneus empilés.
Gilet CFDT sur le dos, Anis Ben Tijani, 47 ans, se dit "effondré". "Je cogite jour et nuit. Ma compagne dit que j'en parle même dans mon sommeil", affirme le salarié, qui redoute après "13 ans de boîte" de ne pas retrouver ailleurs son niveau de salaire actuel.
"Un travail, ce n'est pas qu'un travail, j'étais heureux de dire que j'étais chez Michelin. Ils peuvent proposer des mutations mais il y a des contraintes: ma femme est choletaise, l'éloigner de sa famille c'est compliqué, c'est ce qui fait son équilibre", explique-t-il.
"Charité"
Sur le muret blanc qui borde l'entrée de l'usine, des tags multicolores ont été tracés: "Arrivé jeune et motivé, largué usé et abîmé", "Vous nous devez plus que des discours et la charité".
Le 5 novembre, la direction du fabricant de pneumatiques français avait annoncé la fermeture avant 2026 de ses sites de Cholet (955 salariés) et Vannes (299), mettant en cause "l'effondrement" des ventes des pneus pour camions et camionnettes.
Selon Michelin, ces fermetures sont devenues "inéluctables" en raison de la concurrence asiatique dans ce domaine.
A Cholet, les salariés en colère avaient aussitôt voté la grève et bloqué l'entrée et la sortie des camions sur le site. L'usine tourne depuis au ralenti.
"On n'empêche personne d'entrer à pied, des salariés vont chaque jour travailler. Mais la production est au ralenti sans les camions qui entrent et sortent", explique Bastien You, délégué CGT.
Assignation
Pour tenter de mettre fin au blocage, le groupe Michelin a assigné sept salariés en référé devant le tribunal d'Angers, demandant à ce que les mis en cause ainsi que "toute personne entravant le libre accès de l'enceinte de livraison de l'entreprise" soit "condamnée à laisser libre l'accès de l'établissement de Cholet à tout véhicule ou personne", selon l'assignation.
Le juge des référés a finalement ordonné vendredi une rencontre des deux parties avec un médiateur, d'après la décision, consultée par l'AFP. A l'issue du rendez-vous, elles devront indiquer si elles souhaitent, ou non, entrer en médiation.
Michelin "va se conformer à la décision du juge", a déclaré le groupe à l'AFP en fin de journée.
"Le groupe rappelle l'urgence d'une reprise rapide de l’activité du site conformément au souhait de la très grande majorité des salariés de Cholet qui sont tous pénalisés par cette situation de blocage', a-t-il ajouté.
De son côté, l'avocat des sept salariés, Me Hugo Salquain, a salué la "décision responsable de la juridiction".
Il avait dénoncé à l'audience le "capitalisme sauvage" de Michelin et regretté que le groupe ait assigné des salariés "alors même que la direction disait être dans le dialogue".
En fin de semaine dernière, police et pompiers étaient venus sur le site demander aux salariés de mettre fin aux feux de pneus et à leurs fumées noires. Des morceaux de bois ont depuis remplacé le caoutchouc dans les brasiers.