29.04.2025 à 08:27
Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus influente que jamais, MCC Brussels, think tank financé par l'État hongrois, est la tête de pont de l'internationale des « nationalistes conservateurs », hostiles à l'état de droit et à l'environnement.
« Ils sont très actifs à Bruxelles, ils ont plus de vingt salariés, organisent des événements… Rien qu'en mars dernier, ils ont organisé deux événements au Parlement européen, avec du matériel de qualité, des posters. Tout cela a un (…)
Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus influente que jamais, MCC Brussels, think tank financé par l'État hongrois, est la tête de pont de l'internationale des « nationalistes conservateurs », hostiles à l'état de droit et à l'environnement.
« Ils sont très actifs à Bruxelles, ils ont plus de vingt salariés, organisent des événements… Rien qu'en mars dernier, ils ont organisé deux événements au Parlement européen, avec du matériel de qualité, des posters. Tout cela a un coût. » Pourtant, continue Olivier Hoedeman, coordinateur de l'ONG Corporate Europe Observatory (et partenaire de l'Observatoire des multinationales), plus de deux ans après l'ouverture de son bureau au coeur de l'Union européenne (UE), MCC Brussels n'a toujours pas publié la moindre donnée financière sur le Registre de transparence, comme sont censés le faire tous les représentants d'intérêts. Au point que Corporate Europe Observatory (CEO) a fini par porter plainte auprès des autorités bruxelloises.
Ces informations paraissent d'autant plus importantes quand on sait que MCC Brussels est une émanation du Mathias Corvinus Collegium (MCC) en Hongrie, une université privée si proche du pouvoir qu'elle est régulièrement qualifiée dans les médias de « pépinière de cadres pro-Orbán ». Elle est dirigée par Balász Orbán, directeur politique du premier ministre Viktor Orbán, et se fait un relai fidèle de l'idéologie du premier ministre, anti-woke et généralement anti-régulations (surtout si elles sont européennes).
En plus de former des milliers de jeunes Hongrois conservateurs, le Mathias Corvinus Collegium est au coeur des réseaux nationalistes réactionnaires dans le pays et au-delà. Il a ouvert des centres en Roumanie ou en Ukraine, organise des conférences et propose des programmes d'échange à l'étranger, y compris aux États-Unis. Il a racheté en 2023 le groupe Libri, plus grand éditeur de Hongrie et leader de la vente de livres dans le pays avec 57 enseignes. Son think tank bruxellois est une pièce dans une stratégie d'influence bien plus large.
Une stratégie d'influence qui ne manque pas de moyens. Car si MCC Brussels ne divulgue pas ses sources de financement, on sait que sa maison mère s'est vue accorder en 2020 plus de plus 462 millions de dollars en espèces et 9 millions de dollars en biens immobiliers par le Parlement hongrois. Ainsi que des participations de 10 % dans deux grandes entreprises hongroises, la société pétrolière et gazière MOL et dans la firme pharmaceutique Gedeon Richter, évaluées à 1,3 milliard de dollars.
« On sait que le Mathias Corvinus Collegium a ces parts dans la compagnie pétrolière hongroise, mais on voudrait connaître les détails de ses liens financiers de MCC Brussels, et savoir quel est leur budget, explique Olivier Hoedeman. On sait aussi qu'ils sont en lien avec des think tanks aux États-Unis, comme la Heritage Foundation, financée par des milliardaires et des fondations douteuses : on aimerait savoir si MCC en a aussi profité. » La plainte de CEO a été acceptée, mais l'enquête risque de prendre du temps.
Engagé dans une bataille culturelle au service des idées réactionnaires, MCC Brussels produit des rapports et organise des événements sur divers sujets chers aux conservateurs : questions de genre, dérégulation ou encore critiques des politiques environnementales, avec par exemple l'organisation d'une conférence pour « aller au-delà du consensus climatique » en amont des dernières élections européennes. La table-ronde avait été épinglée par le média DeSmog pour les liens de ses intervenants avec l'industrie du pétrole et les réseaux climato-sceptiques.
Cela fait une grosse différence, pour l'extrême droite, d'avoir des organisations qui portent leurs messages.
« MCC Brussels est très utile pour un groupe comme les Patriotes [qui regroupe notamment le RN français, le Fidesz hongrois, la Lega italienne, le PVV néerlandais et le FPÖ autrichien], car il leur permet d'avoir des « experts », des rapports, des médias dédiés, qui vont dire exactement ce qu'ils veulent, estime Olivier Hoedeman. Cela fait une grosse différence, pour l'extrême droite, d'avoir des organisations qui portent leurs messages. Je dirais qu'ils sont dans un processus graduel pour devenir 'mainstream', en train de prendre de l'espace pour faire valoir leurs points de vue . » Les eurodéputés du groupe des Patriotes sont régulièrement invités par le think tank, notamment, côté français, Angéline Furet, Mathilde Androüet et Virginie Joron, toutes trois élues de la liste du Rassemblement national (RN).
Le seul salarié français du think tank à Bruxelles, Paul Rougeron, faisait partie de l'équipe d'Eric Zemmour pour la présidentielle de 2022. Parmi les intervenants français du MCC Brussels, hors du champ purement politique, on retrouve aussi Nicolas Pouvreau-Monti, du très droitier Observatoire de l'immigration et la démographie (lire notre article), Florence Bergeaud-Blackler, fondatrice du Centre européen de recherche et d'information sur le frérisme (Cerif), qui bénéficie d'un financement de Pierre-Edouard Stérin dans le cadre du projet Périclès, ou encore les journalistes Jéremy Stubbs (Causeur), qui est aussi président des Conservateurs britanniques en France, Didier Rykner (fondateur de la Tribune de l'Art et intervenant régulier dans les médias, du Figaro à Radio France) ou Sylvie Perez (ex de L'Express, France Inter et Europe 1). Et Hélène de Lauzun, historienne travaillant aujourd'hui pour The European Conservative.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un don« Des publications comme 'The European Conservative', ou 'Brussels Signals' portent les mêmes messages que l'extrême-droite et MCC Brussels. Même si elles sont peu lues, ça les légitime », continue Olivier Hoedeman. Des médias hongrois ont rapporté que The European Conservative avait reçu des financements de la Fondation Batthyány Lajos (BLA), elle-même financée par le gouvernment Orbán. The European Conservative est enregistré à la même adresse que le Mathias Corvinus Collegium à Budapest. Brussels Signal a été lancé en 2023 par l'américain Patrick Egan, qui a été conseiller en communication du gouvernement Orbán. Sa société FWD affiche aussi comme client la CDU en Allemagne et l'UMP en France. Brussels Signal a refusé d'indiquer aux journalistes de Politico d'où provenaient les 275000 euros de son capital de départ. Sa société mère, Remedia Corp., est également immatriculée en Hongrie.
Des figures conservatrices françaises apparaissent aussi dans les événements et « invités internationaux » du MCC à Budapest. Côté politique, on y a vu Eric Zemmour ou Marion Maréchal. Claude Chollet, créateur de l'Observatoire du journalisme (OJIM) apparaît aussi sur le site du think tank. Plus critique de l'Agence France Presse que des attaques de la Hongrie contre l'indépendance des médias, il s'exprime surtout dans la presse d'extrême droite française (L'Incorrect, Breizh Info, Frontières). La journaliste Eugénie Bastié (Le Figaro, Europe 1, Cnews) est aussi présentée comme une invitée internationale de MCC à Budapest.
Parmi les autres figures francophones, Aymeric de Lamotte, avocat belge et directeur de l'institut Thomas More, a été invité à un événement du Mathias Corvinus Collegium en novembre 2024, aux côtés du Québecois Mathieu Bock-Côté (Cnews, Europe 1 et précédemment RMC). Le franco-hongrois Yann Caspar, chercheur au Centre d'études européennes du MCC à Budapest, écrit aussi régulièrement dans Conflits, une revue française qui, en janvier dernier, qualifiait le Mathias Corvinus Collegium de « miracle hongrois », et dont le directeur de publication Gil Mihaely est régulièrement invité sur les plateaux de BFM ou Arte (émission « 28 minutes »).
Lors de l'inauguration de l'antenne du Mathias Corvinus Collegium à Bruxelles, son directeur Franck Furedi - ancien trotskiste qui a évolué vers la droite libertarienne, à travers son média Spiked, qui aurait touché des fonds des frères Koch – n'a pas caché pas sa volonté de promouvoir un narratif pro-Hongrie. Mais le MCC Brussels s'emploie surtout à s'attaquer à l'Union européenne et à ses régulations, depuis le principe de précaution jusqu'aux récentes lois sur le secteur de la Tech. Le think tank s'est aussi immiscé la mobilisation des agriculteurs en co-organisant un rassemblement des agriculteurs français à Bruxelles en janvier 2024 avec la Coordination rurale (réputée proche de l'extrême-droite), et en diffusant des messages incendiaires ciblant la Commission européenne et les « environnementalistes extrémistes » [1]…
L'un des principaux combats de MCC Brussels porte aujourd'hui sur les financements européens accordés aux ONG.
L'un des principaux combats de MCC Brussels porte aujourd'hui sur les financements européens accordés aux ONG, qu'il s'agisse de celles défendant les droits des personnes LGBTQI+ ou les organisations environnementales. De manière parfaitement ironique pour une organisation qui ne publie pas d'informations financières, le think tank dit se battre pour la transparence des « opérations secrètes » des organisations de la société civile. En février dernier, il a publié un rapport s'en prenant aux fonds du programme « Citoyens, égalité, droits et valeurs », qui visent à protéger et à promouvoir les principes consacrés par les traités de l'UE et la charte des droits fondamentaux, accusés d'être un instrument de propagande pro-UE. Alors que le gouvernement hongrois vient d'adopter de nouvelles mesures violant ces droits fondamentaux – comme l'interdiction de la Gay Pride -, il n'est pas totalement surprenant que son allié à Bruxelles s'en prenne aux groupes qui défendent ces droits.
Bien sûr, ces attaques contre les ONG ne sont pas nouvelles. Cela fait une dizaine d'années que la droite européenne (European People's Party) cherche à pousser ce sujet. Mais avec le soutien d'une extrême droite toujours plus présente au Parlement européen et celui d'organisations comme MCC Brussels, les défenseurs de la société civile s'inquiètent des menace qui pèsent sur les financements des associations, notamment lors des débats pour le prochain cadre financier pluriannuel.
« On peut voir ces attaques contre les associations comme une problématique plus large, comme l'un des différents moyens de s'en prendre à la démocratie, en s'attaquant à la participation citoyenne via les ONG, et en faisant taire toute voix dissonante. Car bien sûr, ils ne s'attaquent qu'aux ONG qui ne sont pas d'accord avec eux », observe Nina Walch, qui suit ce dossier pour les Verts au Parlement européen.
Les eurodéputés Patriotes, notamment les Français du RN, ne se privent pas de relayer la croisade anti-ONG de MCC Brussels, tout comme celle qui vise une autre cible privilégié du think tank réactionnaire : la Commission européenne, accusée d'avoir trop de pouvoir. C'est ainsi que l'on verra aussi bien MCC Brussels que des eurodéputés RN réclamer la création d'un DOGE européen, sur le modèle du Departement of Government Efficiency d'Elon Musk aux États-Unis qui s'est donné pour mission de tailler à la hache dans l'administration fédérale.
Un rapport du Mathias Corvinus Collegium intitulé « The great reset : Rétablir la souveraineté des États membres dans l'Union européenne » appelle à une refonte des institutions européennes ou à une transformation des structures actuelles en leur retirant tout pouvoir réel. La Hongrie étant régulièrement mise en cause par les institutions européennes pour ses atteintes à l'état de droit et aux droits fondamentaux, il n'est là encore pas surprenant qu'elles soient la cible d'attaques des pro-Orbán. Ces derniers peuvent compter sur le soutien des extrêmes droites européennes traditionnellement eurosceptiques.
Pour Laurent Warlouzet, professeur d'histoire européenne à l'université Paris-Sorbonne, cette vision d'une réforme réactionnaire et nationaliste de l'Union européenne a été formalisée après le Brexit de 2016. Si les droites les plus radicales voulaient à l'origine suivre le Royaume-Uni en quittant l'Union, les négociations du Brexit ont montré à quel point c'était difficile. « Ils sont allés sur une autre stratégie : changer l'UE de l'intérieur. L'idée est de transformer l'UE en une zone de libre-échange un peu lâche, sans autre dimension. C'est une alternative qui existe depuis longtemps, pas que du côté de l'extrême droite. Cela montre que l'Europe promue par l'extrême droite est une Europe ultra libérale, sans aucune régulation sociale ou environnementale, que ce soit sur les pesticides, la préservation de la biodiversité… Dans certains pays, ce côté libéral est assumé, mais ça contraste avec le discours protecteur et populaire qu'ils peuvent avoir en France. »
Les liens entre les organisations hongroises pro-Orbán et les sphères trumpistes ne sont pas nouveaux.
Le 11 mars dernier, MCC et un autre think tank polonais, Ordo Iuris, ont présenté leur projet de réforme de l'Union européenne à la très influente Heritage Foundation, à Washington. La Heritage Foundation, qui a longtemps été un partenaire du réseau Atlas [2], est très proche de l'administration Trump, et a piloté le « Project 2025 » (lire notre article), feuille de route pour le président américain. Il est tout à fait probable que les plans de MCC pour affaiblir l'Europe intéressent le think tank étatsunien, lui-même très critique de l'UE. « Donald Trump a intérêt à gouverner face à des Européens divisés, ça lui donne plus de puissance. Donc il est forcément contre l'Union européenne, dans la vision du monde qu'il a : une vision purement transactionnelle et de court terme, où il y a forcément un gagnant et un perdant, et pas de collaboration « gagnant-gagnant » envisageable », commente Laurent Warlouzet.
Lire aussi « Project 2025 », ou comment la droite américaine imagine une seconde présidence Trump
Les liens entre les organisations hongroises pro-Orbán et les sphères trumpistes ne sont d'ailleurs pas nouveaux. Tous les ans, le MCC Budapest organise en Hongrie un festival ponctué de débats politiques, le MCC Feszt. John McEntee, ancien de la première administration Trump, très controversé notamment pour son rôle potentiel dans l'assaut du Capitole le 6 janvier 2020, et qui a ensuite rejoint la Heritage Foundation et le Project 2025, était l'un des invités de l'édition 2024 du festival. De même que Tucker Carlson, ex présentateur climato-sceptique de Fox News, très engagé dans la campagne de Donald Trump, ou l'influenceuse pro-Trump Lauren Chen, fondatrice de la société de production Tenet Media qui a été mise en cause par la justice américaine en septembre 2024 pour son rôle central dans une campagne de désinformation pro-russe financée par Russia Today.
Par ailleurs, en 2023, la Heritage Foundation a signé un accord de coopération avec le Danube Institute de Budapest, qui prévoit des échanges entre leurs chercheurs et l'organisation d'événements communs. Le Mathias Corvinus Collegium est aussi lié à cet institut créé par la Fondation Batthyány Lajos. Les deux organisations étaient par exemple derrière l'organisation de la National Conservatism Conference (NatCon) d'avril 2024 à Bruxelles. Ces grandes réunions du « conservatisme nationaliste » rassemblent des figures de droite et d'extrême droite et auraient bénéficié de financements de Peter Thiel, libertarien conservateur co-fondateur de Paypal et Palantir. Rod Dreher, ami proche du vice président américain JD Vance, s'est exprimée à celle de Bruxelles. Dreher a aussi été conférencier au MCC Budapest, il est l'un des contributeur de The European Conservative et un « visiting fellow » au Danube Institute. Tout comme l'a été le français Eric Trégner, fondateur du média d'extrême-droite Frontières.
Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus présente que jamais et réussit de plus en plus à imposer son agenda, MCC Brussels semble donc la tête de pont de ce mouvement des « nationalistes conservateurs » , hostile à une Europe unifiée et protectrice de l'état de droit, des droits fondamentaux ou de l'environnement. Une tête de pont financée par la Hongrie et peut-être par d'autres sources, et dont les messages sont abondamment repris par l'extrême droite et en particulier les eurodéputés RN. Olivier Hoedeman ne cache pas son inquiétude : « Ils prennent de l'espace, et il ne faut pas prendre ça à la légère. Des choses peuvent changer rapidement, en fonction des prochaines élections. »
Ni MCC Brussels ni la Heritage Foundation n'ont répondu à nos questions.
25.04.2025 à 12:08
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Le système Bolloré (…)
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Dans un nouveau rapport publié en partenariat avec Attac France, l'Observatoire des multinationales décortique l'histoire et le fonctionnement de l'empire Bolloré - un empire économique désormais mis de manière directe ou indirecte au service de l'extrême-droite et de ses idées.
L'occasion de casser quelques mythes que le milliardaire et ses proches aiment entretenir : non, le centre de gravité de son empire n'est pas en Bretagne, mais au Luxembourg. Non, ce n'est pas un groupe industriel bicentenaire ancré dans son territoire, mais un groupe financier qui s'est composé et décomposé au gré des opportunités boursières.
C'est aussi l'occasion de confirmer, chiffres et organigramme à l'appui, que le groupe Bolloré a bien tiré des milliards d'euros de ses activités africaines sous formes de remontées de dividendes et de plus-value, et que la famille continue à contrôler son empire au moyen de montages juridiques et financiers sophistiqués et grâce à une poignée de fidèles sans apporter beaucoup de capital. La récente scission de Vivendi en quatre entités distinctes s'inscrit dans le droit fil de cette manière de faire.
Nous montrons enfin à quel point l'empire Bolloré est le pur produit d'un système, qui s'est mis en place depuis les années 1980 : un système où les coups boursiers et la haute banque pèsent plus que l'économie réelle, où les milliardaires peuvent se construire des empires médiatiques et culturels sans garde-fous, où les pouvoirs publics de tous bords soutiennent aveuglément les prétendus « champions nationaux » en France et à l'étranger.
Aujourd'hui, avec sa machine de guerre culturelle et médiatique et ses milliards d'euros de réserves disponibles, l'empire Bolloré ne devrait plus être considéré comme une entreprise « comme les autres ».
Lire le rapport : Le système Bolloré
Ce 23 avril, TotalEnergies et son PDG Patrick Pouyanné ont convié les dirigeants des grandes écoles et des institutions de recherche présentes sur le plateau de Saclay à une soirée-cocktail pour échanger « en toute convivialité » sur leurs partenariats.
Après l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, le groupe pétrogazier s'est discrètement installé à quelques centaines de mètres de là, dans des locaux censés abriter des PME, qui lui permettent de cultiver son influence dans l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche, à travers des événements comme celui de ce mercredi.
Financements de chaires ou d'associations étudiantes, places au conseil d'administration... TotalEnergies reste de fait omniprésent dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur, et notamment sur le plateau de Saclay.
Des militants de Carnage Total étaient sur place pour dénoncer la tenue de cette soirée.
Lire notre article Comment TotalEnergies continue de cultiver discrètement son influence à Polytechnique et sur le plateau de Saclay
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donUne pièce supplémentaire au dossier Socfin. La Socfin, société basée au Luxembourg qui exploite des plantations d'huile de palme et d'hévéas dans une dizaine de pays d'Afrique et d'Asie, est l'un des principaux points noirs du « système Bolloré » que nous décrivons dans le rapport évoqué ci-dessus. Accaparement des terres, pollutions, travail de mineurs... les accusations (et les procédures judiciaires) se sont accumulées au fil des années sur plusieurs de ces plantations. Une enquête de Bloomberg vient de rajouter un pierre à cet édifice en révélant la teneur d'un rapport commandé par la Socfin – sous la pression de ses grands clients comme Nestlé et Colgate-Palmolive – à Earthworm, une firme qui s'est donné pour mission d'aider les grosses multinationales à améliorer leurs pratiques. Les auditeurs signalent notamment des cas de viols et de harcèlement sexuel au Liberia et dans d'autres plantations du groupe. Nous nous étions déjà penchés il y a quelques mois sur les relations entre la Socfin et Earthworm et ce que l'on pouvait en attendre. Lire Comment la Socfin essaie (avec difficulté) de redorer l'image de ses plantations.
Une institution financière publique loin d'être exemplaire. La Caisse des dépôts et consignations, qui gère notamment l'épargne des Français (livret A, livret de développement durable) et abrite plusieurs fonds de retraite, est censée mettre ces ressources au service de l'intérêt général : le logement, l'aménagement du territoire... et l'action climatique. Il y a quelques années, nous avions montré que cette vénérable institution financière continuait pourtant à investir dans les secteur des énergies fossiles (lire notre enquête Quand l'épargne publique finance les énergies fossiles), y compris dans des projets d'extraction de pétrole et de gaz parmi les plus controversés. Les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé depuis, à en croire un récent briefing de Reclaim Finance qui pointe l'opacité de la Caisse sur ses investissements et sur ses votes en assemblée générale des entreprises dont elle est actionnaire. À lire ici.
Rana Plaza : triste anniversaire. Il y a douze ans, l'effondrement d'un immeuble abritant plusieurs ateliers textiles à Dhaka, la capitale du Bangladesh, faisait plus de 1100 victimes, principalement des jeunes ouvrières qui fabriquaient des vêtements pour des marques occidentales – y compris, à en croire des étiquettes retrouvées dans les décombres, quelques groupes de grande distribution français. Le choc provoqué dans l'opinion mondiale avait conduit à quelques progrès qui n'avaient que trop tardé. Parmi eux, l'adoption en France en 2017 de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales (lire notre dossier Devoir de vigilance). Aujourd'hui, malheureusement, ces avancées sont menacées, avec le processus de dérégulation enclenché au niveau européen qui vise la directive adoptée en 2024 sur le même sujet (lire le communiqué conjoint des ONG). Selon une analyse de SOMO, les « simplifications » aujourd'hui envisagées dans la directive devoir de vigilance conduiraient précisément à dédouaner les chaînes de supermarché de toute responsabilité pour des abus sur leur chaîne de valeur du type de ceux constatés au Rana Plaza.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.
24.04.2025 à 17:09
Malgré l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay et - plus généralement - dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Mais la contestation ne faiblit pas.
Ce mercredi 23 avril au soir, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, accueillait les dirigeants de grandes écoles du plateau de Saclay, comme Polytechnique, AgroParisTech ou CentraleSupélec, pour une soirée privée (…)
Malgré l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay et - plus généralement - dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Mais la contestation ne faiblit pas.
Ce mercredi 23 avril au soir, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, accueillait les dirigeants de grandes écoles du plateau de Saclay, comme Polytechnique, AgroParisTech ou CentraleSupélec, pour une soirée privée dans les locaux de son pôle R&D Nouvelles Energies & Electricité, implanté au cœur du campus étudiant. Outre les écoles d'ingénieurs les plus prestigieuses, le plateau abrite un regroupement universitaire de rang mondial - l'université Paris-Saclay - ainsi qu'une part majeure - près de 20 % - de la recherche scientifique française publique et privée.
Sous le titre « Pionniers depuis plus de 100 ans », cette soirée réservée aux « partenaires [de TotalEnergies] d'innovation et de recherche de l'écosystème de Paris-Saclay » avait pour but de faire « faire découvrir les réalisations de nos équipes dans les domaines des énergies renouvelables et du développement durable ainsi que les résultats de nos collaborations », selon les termes de l'invitation confidentielle dont nous avons pu prendre connaissance. Ceci « en toute convivialité », autour d'un cocktail partagé avec les cadres dirigeants de la multinationale.
Les liens entre les grandes écoles et des entreprises comme TotalEnergies étant de plus en plus contestés, l'organisation de cette soirée a fait l'objet d'une grande discrétion... mais pas suffisamment. Des militants de Carnage Total, un mouvement de désobéissance civile non-violente, étaient présents pour dénoncer l'événement. « Les influences de TotalEnergies doivent cesser, et en particulier sa présence insidieuse au sein de l'écosystème de recherche et d'enseignement Paris-Saclay », ont-ils expliqué. Quant aux invités, questionnés sur les raisons de leur invitation ou sur leur rôle dans l'écosystème du plateau de Saclay, ils ont dit ne pas savoir, ou bien ont fait mine de n'avoir rien entendu, accélérant le pas jusqu'à l'entrée du bâtiment où une dizaine de gardes du corps et policiers assuraient la sécurité.
En 2018, la tentative de TotalEnergies d'implanter un bâtiment de R&D en plein cœur du campus de Polytechnique avait suscité de fortes oppositions et attiré l'attention des médias. Le bâtiment devait accueillir près de 250 personnes, avec la vocation d'être aussi un lieu de vie avec des services pour les étudiant·es [1]. La direction de l'Ecole soutenait fermement le projet, mais suite à la mobilisation d'élèves et d'ONG, ainsi qu'à plusieurs recours juridiques, l'entreprise a fini par jeter l'éponge en 2022.
En lieu et place de ce projet emblématique, mais trop visible, TotalEnergies a opté pour une implantation plus discrète, à quelques centaines de mètres de Polytechnique, dans un bâtiment théoriquement destiné, selon l'aménageur public, à « accueillir des petites et moyennes entreprises ». TotalEnergies occupe les trois derniers étages du bâtiment Le NEXT, dans lequel se trouve aussi le restaurant CROUS pour les étudiant·es des écoles environnantes (AgroParisTech principalement, mais aussi Télécom Paris ou Polytechnique). Selon l'entreprise, le pôle accueille désormais 200 chercheurs, en lien étroit avec les laboratoires des universités et écoles du plateau. Il lui sert aussi à organiser des soirées comme celle du 23 avril. Une soirée similaire a eu lieu en novembre 2024 à l'occasion des 100 ans du groupe.
De fait, même sans bâtiment au sein même de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay. Outre ses locaux, le groupe est le fondateur et financeur de deux centres de recherche de l'Institut Polytechnique de Paris - un regroupement de six grandes écoles dont, sur le plateau, Polytechnique, l'ENSTA, Télécom Paris et l'ENSAE. TotalEnergies a financé la Chaire « Défis technologiques pour une énergie responsable » du centre E4C (Energy for Climate) à hauteur de 3,8 M€ en 2018 ainsi que le centre Hi ! PARIS (avec HEC) sur l'IA et les sciences de données, créé en 2020. Sans oublier le partenariat avec le Laboratoire de Physique des Interfaces et des Couches Minces (LPICM) sur le solaire photovoltaïque, depuis 2007. Une étude récente de Greenpeace France montre que 85 % des structures de recherche de Paris-Saclay spécialisées dans le climat et la transition énergétique sont liées à TotalEnergies [2].
On retrouve aussi l'entreprise dans la gouvernance même des écoles du plateau. Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, est membre du conseil d'administration de Polytechnique depuis 2018 et a été" renouvelé en 2023 pour 5 ans. Il a aussi été nommé administrateur de l'Institut Polytechnique de Paris en 2019. Nathalie Brunelle, qui était directrice du projet d'installation de TotalEnergies sur le campus de Polytechnique, siège au conseil d'administration de l'ENSTA, établissement voisin. Sophie Vergne, directrice commerciale chez TotalEnergies, siégeait au conseil de l'École de Télécom Paris jusqu'en 2022.
TotalEnergies est enfin présente à travers le financement de la vie associative des étudiants du plateau, qui lui permet de soigner son attractivité parmi les étudiants. Par exemple, le groupe était parrain de la promotion 2017 de Polytechnique, de la promotion ENSTA 2021 et de la promotion Télécom Paris 2022.
Cette omniprésence, en plus de permettre au groupe pétrogazier de soigner son image auprès des chercheurs et des étudiants, a aussi des conséquences sur le contenu même de la recherche et de l'enseignement.
L'enquête de Greenpeace conclut que « la multinationale utilise sa puissance de frappe financière pour orienter les savoirs sur la transition énergétique dans le sens de ses intérêts ». Selon les données rassemblées par l'ONG, TotalEnergies ne noue aucun partenariat sur la sobriété énergétique ou sur les conséquences du réchauffement climatique. Par contre, l'analyse fait ressortir que « 44 % des partenariats concernent les technologies de captage du carbone (CCUS) pour réduire les émissions de CO2 ». Ces technologies non prouvées sont largement mises en avant par le secteur pétrolier. Les militants du climat y voient surtout un moyen de retarder l'adoption de tout cadre réglementaire qui la contraindrait à réduire sa production d'énergies fossiles et de détourner l'attention de solutions plus systémiques [3].
L'influence de groupes comme TotalEnergies dans l'enseignement supérieur et la recherche est favorisée par des politiques publiques : défiscalisation des mécénats, crédit impôt recherche, bourses pour employer des chercheurs ou des doctorants, fléchage de la taxe d'apprentissage, etc.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donDe plus en plus d'étudiant·es questionnent les partenariats de leur école ou université avec certaines entreprises privées, à commencer par celles engagées dans de nouveaux projets d'énergies fossiles. En 2024 à l'ESPCI (école d'ingénieur à Paris), les étudiant·es ont voté pour ne pas inviter TotalEnergies à leur forum étudiant. Au même moment, à Polytechnique, des étudiant·es ont souhaité débattre de la présence de la multinationale au forum d'entreprises organisé chaque année dans leurs locaux, mais la direction de l'Ecole les a empêché de soulever la question de l'exclusion d'entreprises particulières, comme ils voulaient le faire à travers un sondage.
La même année, 600 élèves et alumni ont envoyé une lettre à la direction de l'Ecole Polytechnique pour dénoncer les partenariats avec des entreprises liées aux énergies fossiles et lui demander des transformations profondes [4]. La direction a répondu dans un communiqué de presse discret, sans aucun argument scientifique alors que la lettre s'appuyait sur de nombreux rapports et avis sur la question : « Nous pensons qu'il faut coopérer avec les entreprises industrielles à haute intensité technologique et énergétique, qui ont entre les mains les leviers pour faire évoluer les systèmes productifs à l'échelle internationale. »
La situation est similaire dans d'autres écoles du plateau de Saclay, comme à AgroParisTech, à CentraleSupélec ou dans les autres établissements de l'Institut Polytechnique de Paris. Malgré des questions légitimes sur les tenants et les aboutissants de leurs partenariats avec des entreprises, ces hauts lieux de la science largement financés par l'argent public refusent tout débat.
Faut-il y voir un signe que les stratégies de relations publiques des multinationales comme TotalEnergies sur le plateau de Saclay sont efficaces ?
Ariane Pellion
[1] Voir pour plus d'informations : https://polytechniquenestpasavendre.fr/
[2] « Comment TotalEnergies influence la science », 2022.
[3] Lire par exemple cet article du Monde.
[4] Lire par exemple cet article de Novethic.
24.04.2025 à 00:15
Une radiographie sans concession du groupe Bolloré, qu'il n'est plus possible de considérer comme une entreprise « comme les autres ».
- Le système Bolloré / France, Concentration et oligopoles, Lobbying et influence, Bolloré, Vivendi, pouvoir des entreprises, capture, finance, liberté d'expression et de la presseComment s'est construit l'empire Bolloré et quelle est sa stratégie aujourd'hui, après la revente des activités portuaires et logistiques et sur fond de proximité de plus en plus marquée de ses dirigeants avec l'extrême-droite ? Dans un rapport publié en partenariat avec Attac, l'Observatoire des multinationales propose une radiographie sans concession du groupe Bolloré et alerte sur les risques démocratiques à continuer à le considérer comme un groupe « comme les autres ».
Vincent Bolloré, l'une des plus importantes fortunes françaises à la tête d'un important groupe qui englobe le secteur de médias, de la communication et des industries culturelles, s'est lancé dans une croisade politique au service de l'extrême-droite et de ses idées. À l'œuvre depuis un certain temps déjà dans la sphère médiatique à travers CNews, Europe 1 et le JDD, cette campagne implique désormais aussi le monde de l'édition (Fayard), et Vincent Bolloré et certaines des sociétés qu'il contrôle ne craignent plus d'intervenir directement dans les campagnes électorales.
Le débat se focalise surtout sur la figure controversée de Vincent Bolloré lui-même et ses idées politiques. L'objectif de cette publication est de montrer ce qui a rendu Vincent Bolloré possible, et ce qui continue à le rendre possible : le système derrière l'individu. Rien ne dit que les choses vont changer lorsqu'il sera contraint de laisser un jour réellement le pouvoir à ses enfants. Sa garde rapprochée et ses alliés resteront les mêmes. Et le système qui a rendu tout cela possible restera également le même.
En mettant à nu la réalité du système Bolloré, nous sommes amenés à casser nombre des mythes que lui et ses alliés aiment à entretenir :
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donParmi les nombreuses questions auxquelles répond ce rapport, il y a celle-ci : peut-on séparer l'individu Vincent Bolloré et ses agissements du groupe qu'il contrôle directement et indirectement ? Autrement dit, peut-on continuer à traiter les diverses entités qui composent ce groupe – même lorsqu'elles ne sont pas ouvertement mises au service de l'extrême-droite – en faisant totalement abstraction des idées et du combat politique du milliardaire qui est derrière elles ?
La réponse à notre sens est non :
Il est donc plus que temps de mettre fin à la tolérance et au soutien dont le système Bolloré continue de bénéficier dans une large partie du monde des affaires et des sphères culturelles et politiques.
03.04.2025 à 17:16
Connaissez-vous la première manifestation écologiste de l'histoire ? Elle a eu lieu le 4 février 1888, en Espagne à Riotinto, contre une des plus grandes multinationales minières, la compagnie Rio Tinto. Ivan du Roy, rédacteur en chef de Basta !, revient sur cet événement à l'occasion de la sortie du livre Multinationales, une histoire du monde contemporain, publié aux éditions La Découverte, et en librairie depuis le 13 février.
Est ce que vous connaissez la première manifestation (…)
Connaissez-vous la première manifestation écologiste de l'histoire ? Elle a eu lieu le 4 février 1888, en Espagne à Riotinto, contre une des plus grandes multinationales minières, la compagnie Rio Tinto. Ivan du Roy, rédacteur en chef de Basta !, revient sur cet événement à l'occasion de la sortie du livre Multinationales, une histoire du monde contemporain, publié aux éditions La Découverte, et en librairie depuis le 13 février.
Est ce que vous connaissez la première manifestation écologiste de l'histoire ?
Nous sommes au XIXe siècle, en 1888 exactement, à Rio Tinto.
Ce nom vous dit peut-être quelque chose. Rio Tinto est l'une des plus grandes compagnies minières au monde. C'est aussi le nom d'un gisement riche en cuivre, situé en Andalousie, en Espagne, (exploité depuis l'Antiquité). Et à la source de la prospérité de la multinationale.
Profitant du retour de la monarchie espagnole, après une éphémère République, un conglomérat d'hommes d'affaires anglo-allemand prend le contrôle du gisement. Dans ce conglomérat, on retrouve la Deutsche Bank (la plus grande banque allemande), des britanniques qui ont fait fortune grâce au commerce de l'opium en Chine, mais aussi la banque Rothschild.
Les blocs de roches extraits de la mine sont chauffés en plein air pour en dégager le cuivre. Ce procédé génère des fumées toxiques et une forte pollution de l'air, des eaux et des sols. Des mineurs décèdent et des paysans perdent leurs récoltes.
Le 4 février 1888, des milliers de mineurs en grève, des habitants et des paysans manifestent pacifiquement contre ces pratiques polluantes. La Rio Tinto Company refuse de négocier et l'armée ouvre le feu.
La répression fait au moins 200 morts.
Aujourd'hui la compagnie Rio Tinto n'exploite plus cette mine. Mais elle continue d'être impliquée dans des scandales de pollutions.
On peut penser par exemple à la plus grande mine d'or du monde, Grasberg, en Papouasie Nouvelle Guinée, responsable du déplacement forcé de populations et d'une pollution massive de l'eau et des sols.
Mais aussi au dynamitage d'une grotte sacrée aborigène vieille de 46 000 ans, en Australie.
Et désormais dans un projet de mine de lithium en Serbie, qui suscite une forte opposition locale.
Rio Tinto n'est pas la seule multinationale minière à continuer de ravager des territoires entiers, de l'Amazonie à l'Indonésie.
En Espagne, un siècle et demi plus tard, l'eau de la rivière Rio Tinto est toujours toxique.
Retrouvez ces récits dans notre livre Multinationales, une histoire du monde contemporain, en librairie depuis le 13 février.
03.04.2025 à 17:05
De la République de Venise au Beretta 92 de l'armée américaine, retour vidéo sur l'épopée de l'entreprise italienne Beretta. Avec Olivier Petitjean, co-directeur de l'ouvrage Multinationales, une histoire du monde contemporain, aux éditions La Découverte.
Smith & Wesson, Colt ou encore Winchester... Les États-Unis semblent être à la pointe de l'industrie des armes à feux. Mais saviez-vous que l'un des principaux acteurs de ce marché est une vénérable entreprise européenne : Beretta ? (…)
De la République de Venise au Beretta 92 de l'armée américaine, retour vidéo sur l'épopée de l'entreprise italienne Beretta. Avec Olivier Petitjean, co-directeur de l'ouvrage Multinationales, une histoire du monde contemporain, aux éditions La Découverte.
Smith & Wesson, Colt ou encore Winchester... Les États-Unis semblent être à la pointe de l'industrie des armes à feux. Mais saviez-vous que l'un des principaux acteurs de ce marché est une vénérable entreprise européenne : Beretta ?
La première trace Beretta remonte à 1526, date d'un contrat entre Bartolomeo Beretta et la République de Venise. L'entreprise, originaire de la région de Brescia dans le nord de l'Italie, est aujourd'hui encore la propriété de la même famille.
Depuis 500 ans, Beretta équipe des armées et des forces de police en Italie et dans le reste du monde. Mais c'est en 1985 que l'entreprise obtient le contrat du siècle : le pistolet semi-automatique Beretta 92 (ou M9) devient l'arme de service de l'armée américaine. Il remplace le Colt 45 qui était utilisé depuis 1911.
Pour obtenir ce marché, l'entreprise italienne ouvre une usine de production sur place, dans l'État du Maryland. Le Beretta 92 devient l'une des armes les plus vendues de l'histoire, omniprésente au cinéma et dans les jeux vidéo.
En parallèle, Beretta va immédiatement mettre sur le marché une version du Beretta 92 pour la population civile. Les fabricants d'armes continuent aujourd'hui à appliquer la même stratégie : ils créent des nouveaux modèles pour les forces armées, puis en proposent une version civile. Commercialement, c'est un succès retentissant, mais cela contribue à la prolifération des armes à feu dans la société. Malgré les tueries à répétition, notamment dans les écoles américaines, le puissant lobby des armes à feu, la National Rifle Association (NRA), réussit à empêcher un véritable contrôle.
Beretta est d'ailleurs l'un des premiers financeurs de la NRA. Et quand en 2015, suite au massacre de Sandy Hook, le Maryland décide de passer des lois plus restrictives sur la possession d'armes, Beretta délocalise son usine dans le Tennessee.
Cette histoire est à retrouver dans le livre Multinationales, Une histoire du monde contemporain, publié aux éditions La Découverte, et en librairie depuis le 13 février.
03.04.2025 à 16:56
Au début du XXe siècle aux États-Unis, apparaissent les premiers journalistes d'investigation, surnommés les « ratisseurs de boue ». Explications vidéo avec Olivier Petitjean, co-directeur de l'ouvrage Multinationales, une histoire du monde contemporain, paru chez La Découverte.
La contestation du pouvoir des multinationales ne date pas d'hier. De leur émergence jusqu'à aujourd'hui, les journalistes d'investigation ont toujours joué un rôle important pour mettre en lumière leurs abus. (…)
Au début du XXe siècle aux États-Unis, apparaissent les premiers journalistes d'investigation, surnommés les « ratisseurs de boue ». Explications vidéo avec Olivier Petitjean, co-directeur de l'ouvrage Multinationales, une histoire du monde contemporain, paru chez La Découverte.
La contestation du pouvoir des multinationales ne date pas d'hier. De leur émergence jusqu'à aujourd'hui, les journalistes d'investigation ont toujours joué un rôle important pour mettre en lumière leurs abus. Parmi les pionniers du journalisme engagé, il y a ceux qu'on appelle les « muckrakers », au début du 20e siècle aux États-Unis. « Muckrakers » signifie littéralement « ratisseurs de boue ». Autrement dit, les « fouille-merdes ». Ces journalistes écrivent dans des magazines prestigieux de l'époque comme McClure's Magazine. Et observent la montée en puissance des grands trusts industriels comme la Standard Oil, le géant pétrolier du multi-milliardaire Rockefeller, de General Electric ou United Fruit.
Parmi ces muckrakers, il y a Ida Tarbell, fille d'une enseignante et d'un ouvrier du pétrole qui a grandi en Pennsylvanie. Elle publie une série d'articles dénonçant les méthodes de John D. Rockefeller dans l'industrie pétrolière naissante. Un autre, Ray Stannard Baker, couvre les grandes grèves ouvrières et enquête sur le monopole de la US Steel (dans la sidérurgie) que vient de créer le puissant financier JP Morgan. On peut aussi citer le romancier Upton Sinclair, qui se fait embaucher dans les abattoirs de Chicago, plaque tournante de l'industrie de la viande. En 1906, son roman La Jungle dénonce les déplorables conditions sociales et sanitaires qui y règnent. Le livre fait scandale et mène aux premières régulations de l'industrie.
L'âge d'or des ratisseurs de boue prend fin rapidement en raison des représailles des milieux d'affaires. Ils ont cependant contribué à alerter la société américaine et les pouvoirs publics sur la puissance des trusts.
Les lanceurs d'alerte, les journalistes d'investigation d'aujourd'hui perpétuent cet héritage. Par exemple dans les années 1990, quand ils vont enquêter dans les usines asiatiques qui produisent des vêtements ou des équipements pour Nike ou Gap, qu'on appelle les « sweatshops ». Ou dans les années 2010 avec les grandes révélations sur l'industrie de l'optimisation fiscale, avec les Panama Papers et autres Luxleaks.
Cette histoire est à retrouver dans le livre Multinationales, une histoire du monde contemporain, paru chez La Découverte, et en librairie depuis le 13 février.
13.03.2025 à 16:39
Bienvenue dans la lettre d'information de l'Observatoire des multinationales.
N'hésitez pas à la faire circuler, et à nous envoyer des réactions, commentaires et informations. Si elle vous a été transférée, vous pouvez vous abonner ici pour la recevoir directement dans votre boîte mail.
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Bonne lecture
« Gender-washing » (…)
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Bonne lecture
TotalEnergies prétend aider les femmes en Ouganda à « prendre le contrôle de leur vie »...
Mais de quel contrôle parle-t-on, dès lors que les grands projets extractivistes se traduisent avant tout par une prise de possession des territoires de vie, des déplacements de populations, une destruction des sources traditionnelles de subsistance et l'arrivée d'ouvriers ou de policiers venus d'ailleurs – autant d'impacts qui affectent en premier et tout particulièrement les femmes ?
L'année dernière, avec notre enquête « Survivre à EACOP », nous avons documenté les conséquences des développements pétroliers menés par TotalEnergies sur les femmes en Ouganda. Leurs témoignages dépeignent une réalité bien différente de celle décrite par le groupe dans ses documents de communication pour convaincre l'opinion et les investisseurs.
À l'occasion de la journée mondiale des droits des femmes, Agatha Allain revient sur ce phénomène souvent qualifié de « gender-washing » - l'équivalent pour les droits de femmes du greenwashing pour l'environnement – à partir de l'exemple d'EACOP mais aussi d'autres projets très contestés comme la mine de charbon de Cerrejón en Colombie (Glencore) ou le gazoduc Coastal Gas Link au Canada (TCEnergy).
Son enquête montre que ces multinationales tendent à promouvoir une version individualiste et « industrie-compatible » de l'égalité hommes/femmes, en insistant sur la promotion des femmes parmi leurs propres employés et leur accession aux postes de direction.
C'est ainsi que la mine de Cerrejón est dirigée par une femme, sans que les critiques ne cessent à la fois sur le traitement des employées féminines de la mine, et à plus forte raison sur les impacts écologiques de son exploitation et la dépossession qui en découle.
Lire l'article : « Gender-washing » : comment les multinationales du secteur extractiviste détournent les revendications féministes.
À cette occasion, nous publions aussi une version anglaise de notre enquête « Survivre à EACOP » et même un résumé en luganda, la langue locale.
Le livre collectif Multinationales. Une histoire du monde contemporain (éditions La Découverte) est disponible en librairies depuis le 13 février. Produit d'une collaboration entre l'Observatoire des multinationales et Basta !, cet ouvrage auquel ont contribué une cinquantaine de chercheurs et de journalistes est une fresque sur la véritable histoire des Nestlé, United Fruit, General Electric, Bayer, TotalEnergies, Google et compagnie, qui raconte comment les multinationales en sont venues à occuper une telle place dans le monde et dans nos vies.
Ce détour par l'histoire est utile d'abord pour comprendre comment nous en sommes arrivés où nous sommes – et en quoi la domination économique (et même politique) des multinationales n'a rien d'inéluctable.
Mais il vaut aussi par ses résonances avec l'actualité. Nous racontons en particulier comment les relations entre États et grandes entreprises n'ont cessé de recomposer au fil du temps et des crises. Avec la réélection de Donald Trump, l'essor des géants de la tech, la lutte pour les ressources et la fin de la mondialisation naïve, nous sommes en train d'assister aujourd'hui à une nouvelle recomposition.
Nous publions à titre de « bonnes feuilles » le chapitre sur le mouvement antitrust du début du XXe siècle aux États-Unis, qui illustre parfaitement ces effets de résonance. Il parle d'une époque où des « barons voleurs » comme Rockefeller construisent d'immenses empires industriels avec le soutien de financiers comme JP Morgan à Wall Street et d'un président adepte des tarifs douaniers, McKinley, que Trump cite aujourd'hui en modèle. C'est le moment de la naissance de General Electric, AT&T, United Fruit et de nombreuses autres multinationales étatsuniennes. En face, cependant, un mouvement émerge pour dénoncer le pouvoir et les abus de ces nouveaux monopoles. Les premières lois antitrust sont adoptées, et des géants comme la Standard Oil sont partiellement démantelés ou régulés.
À lire ici : Trust et antitrust : une guerre de cent ans toujours en cours
Un autre extrait du livre est accessible sur le site de Basta ! : 1992. Comment Total et consorts nous ont fait perdre un temps précieux dans la lutte contre le réchauffement, par Christophe Bonneuil.
Pour les annonces de rencontres autour du livre et une sélection de recensions et d'entretiens, voir la page dédiée de notre site.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un don« Tronçonneuse » et impôts des milliardaires. Derrière les attaques spectaculaires d'Elon Musk contre les agences fédérales américaines, une autre bataille se joue : celle de l'extension des baisses d'impôts imposées par Trump en 2017, qui profitent surtout aux plus riches. Avec potentiellement un coût astronomique pour les finances publiques américaines, et une cure d'austérité beaucoup plus drastique qui affecterait l'ensemble de la population. Lire l'analyse d'Anne-Sophie Simpere : Derrière la tronçonneuse de Musk, la guerre fiscale des milliardaires.
Transition en Europe, exploitation minière à Madagascar. Qui profite vraiment de la ruée vers les matières premières critiques, et qui en paie le prix ? C'est la question que nous voulons mettre au cœur du débat public avec notre « Observatoire des minerais critiques », lancé l'année dernière avec des partenaires européens. Nouvelle pièce au dossier : un rapport de l'Observatori del Deute en la Globalització, basé à Barcelone, sur les projets d'exploitation des terres rares à Madagascar. Disponible en français ici.
Comment les projets de TotalEnergies enrichissent les élites ougandaises. Tout comme TotalEnergies vend ses forages pétroliers et l'oléoduc EACOP comme une contribution à la « libération » des femmes en Ouganda (voir ci-dessus), le groupe se plaît aussi à mettre en valeur sa contribution à l'économie du pays et les nombreuses retombées indirectes de ses activités. Mais à qui profitent-elles vraiment ? Une investigation de longue haleine menée par Thomas Bart et Mickaël Correia pour Mediapart montre que les contrats de sous-traitance passés par TotalEnergies en Ouganda profitent à au moins une trentaine de membres ou de proches de la famille de Yoweri Museveni, dictateur à la tête du pays depuis trente-neuf ans.
Plongée dans la fabrique du « greenwashing ». Lorsqu'elles veulent mener ou faire financer des grands projets potentiellement destructeurs dans le domaine de l'énergie ou des infrastructures, les multinationales doivent produire des études d'impact et des plans d'action. Ces documents se transforment souvent en exercices de « greenwashing » et d'affichage de bonnes intentions. Pour les rédiger, elles font appel à des cabinets d'audits spécialisés, dont le conflit d'intérêt est structurel puisqu'ils sont payés par les entreprises elles-mêmes. L'ONG Climate Whistleblowers a mis la main sur des documents internes au leader français du secteur, le cabinet Biotope, qui a travaillé pour Vinci sur le projet d'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ou encore pour les promoteurs de l'A69, mais également pour des grands groupes français, en Afrique en particulier. Par exemple … TotalEnergies en Ouganda. Partagés avec Mediapart, Mongabay et Africa Uncensored, ces documents ont donné lieu à la série d'enquête « GreenFakes », qui prouve à quel point les auditeurs censés garantir le respect de l'environnement se plient docilement aux exigences de leurs donneurs d'ordre. À lire ici.
Rapaces. Si les mécanismes d'arbitrage international lié à l'investissement – ces fameux tribunaux privés qui permettent aux multinationales de poursuivre les gouvernements – commencent à être mieux connus du grand public et sont plus critiqués que jamais, il y en a qui y voient surtout une aubaine et une source de profits. Une enquête du Guardian met en lumière le rôle croissant de fonds spécialisés qui encouragent des entreprises à lancer ce type de poursuites et prennent le risque de financer elles-mêmes les procédures, contre une part des sommes mirobolantes qui seront extorquées aux États. C'est ainsi qu'une petite entreprise minière australienne, Energy Transition Minerals, réclame au Groenland plus de 11 milliards de dollars de compensation en raison l'interdiction de l'exploitation de l'uranium votée en 2021, avec l'appui d'un fonds appelé Burford Capital.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.