14.04.2025 à 15:58
Donald Trump comptait faire du 2 avril 2025 un « Jour de Libération » avec une augmentation générale des droits de douane, notamment dirigée contre la Chine. Il a provoqué de très forts remous sur les marchés financiers depuis lors, tant cette mesure a généré de l’incertitude dans l’économie mondiale. Pour QG, l’économiste Matthieu Crozet, conseiller scientifique au CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) s’interroge de la pertinence de cette politique commerciale protectionniste en raison de la place prédominante du dollar et du faible taux de chômage outre-Atlantique. Néanmoins, il souligne l’effet positif que cette remontée des droits de douane pourrait avoir sur le climat, compte tenu de la limitation des échanges commerciaux internationaux qu’elle annonce. Interview par Jonathan Baudoin
Quel regard portez-vous sur les décrets signés par Donald Trump le 2 avril dernier, concernant le relèvement des droits de douane, notamment à l’égard de la Chine et de l’Union Européenne?
La question est vaste. Elle m’inspire plusieurs réflexions. D’abord, une politique économique d’ampleur, comme on n’en a jamais vu. On atteint des niveaux de droits de douane comme on n’en a pas vu dans un pays développé depuis le début du 20ème siècle. On arrive à un taux moyen de 30%, ce qui existait aux États-Unis entre 1900 et 1905, à une époque où les États-Unis étaient déjà très protectionnistes, comparé aux pays européens, qui étaient plus ouverts. C’est un gros choc économique dont les conséquences sont encore difficiles à évaluer. La deuxième chose à noter: c’est aussi un choc pour l’organisation du système international. On sort des règles du GATT [Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, NDLR] et de l’OMC [Organisation mondiale du commerce, NDLR]. Ce qui est nouveau, par rapport à la guerre commerciale de Donald Trump dans sa version « une » en 2018, où les traités de l’OMC étaient ménagés. Là, on explose tout. Cela pose une question importante sur la régulation des flux mondiaux et des politiques commerciales La troisième chose, c’est une pression très forte que mettent les États-Unis sur la Chine. Ce n’est pas nouveau. De même que ce n’est pas nouveau que Trump prenne ses distances avec l’Europe. Mais on rentre dans une ère des relations internationales qu’on a pas encore explorée et dont il est bien difficile de savoir ce qui va sortir.
Estimez-vous qu’à travers ce genre de mesures protectionnistes, Trump sera en mesure de réduire le déficit commercial des États-Unis?
Que l’objectif de Trump soit de réduire le déficit commercial via de la protection, c’est un fait. Après, il a aussi l’objectif de réindustrialiser l’économie états-unienne et Trump compte prélever des impôts sur les pays extérieurs, via les droits de douane, plutôt que sur les travailleurs pauvres américains.
Concernant les soldes commerciaux, évidemment si vous empêchez tout commerce, la balance commerciale finira à l’équilibre ! À peu de choses près, la Corée du Nord a une balance commerciale équilibrée. Il y a, toutefois, deux questions à se poser: « Est-ce un moyen efficace pour réduire le déficit commercial et quelles sont les causes véritable du déficit commercial ? ». Puis « pourquoi réduire le déficit commercial, en quoi est-ce un problème? ». On ne sait pas d’où vient cette véritable obsession pour le déficit commercial chez Trump. Car si un déficit important peut être un problème pour beaucoup de pays dans le monde, cela ne pose pas de problème pour les États-Unis en raison de leur capacité d’attrait de financements et de la place du dollar dans le monde. Sans oublier bien sûr la capacité aux États-Unis à créer des entreprises.
Blâmer les pays étrangers évite de se concentrer sur les vraies raisons de ce déficit que sont le déséquilibre entre l’offre et la demande aux États-Unis. D’ailleurs, le déficit commercial lors du premier mandat de Trump a augmenté aux États-Unis. Et ce, pour une bonne raison : Donald Trump a fait une politique de relance économique très forte, avec des réductions d’impôts très nettes. Et si vous relancez la machine à croissance dans votre pays, vous avez tendance à accroître votre déficit commercial.
En somme, mettre en place des droits de douanes extrêmement élevés pour réduire le déficit commercial américain, c’est administrer un mauvais remède pour traiter une maladie qui n’existe pas.
Est-ce que Trump peut effectivement réindustrialiser l’économie états-unienne en relevant les droits de douane?
C’est en tout cas clairement affiché par l’administration Trump. Il veut que des industriels viennent produire aux États-Unis, leur indiquant qu’ils échapperaient ainsi aux droits de douane. C’est un argument légitime. Mais il y a de multiples conflits entre les objectifs affichés par l’administration américaine. Le premier, c’est de vouloir à la fois réduire le déficit commercial et récolter des ressources fiscales. Mais récolter des ressources douanières, ne peut se faire qu’à condition de continuer à importer. À ce moment-là, on ne protège pas son industrie, on ne crée pas d’emplois aux États-Unis. Il y a donc un conflit qui n’est pas réglé entre l’objectif de recettes fiscales et l’objectif de réindustrialisation.
Le deuxième, c’est d’espérer par des droits de douane créer plus d’usines aux États-Unis. Est-ce vrai? Pour créer des usines aux États-Unis, il faut que celles-ci soient rentables et efficaces. Il faut qu’elles aient les moyens de fonctionner, notamment en matière de main-d’œuvre. Or le taux de chômage aux États-Unis est très bas. Il y a, certes, des poches industrielles avec des travailleurs pauvres, des gens qui ne travaillent pas là où ils le souhaiteraient, des gens en difficulté qui seraient ravis de voir des emplois arriver. Mais l’économie états-unienne, dans son ensemble, est très largement au plein-emploi. On a du mal à voir avec quelles ressources on pourrait développer ces usines, qui ne nécessitent pas seulement des ouvriers: il faut aussi des cadres, des ingénieurs, etc. Ce n’est pas si simple que ça, d’autant plus que l’administration américaine ferme le tuyau de l’immigration. On a un effet de stimulation de la production dans un moment où le manque de main-d’œuvre se fait sentir et où l’on est même en train de contracter l’offre de travail.
La troisième difficulté, c’est que depuis qu’il est là, Donald Trump annonce tous les deux jours des droits de douane. Le lendemain, il les retire. Le surlendemain, il en remet d’autres. Là, il a fait début avril une grande annonce tous azimuts. Mais il va y avoir des représailles, des négociations et l’administration dit qu’il peut y avoir des arrangements possibles. Il y en a eu, avec la pause de 90 jours décrétée sur certains d’entre eux. Il y en aura d’autres. Et même s’il n’y en a pas, cette politique mise en place est contestée par une partie de la population, y compris dans le camp politique de Trump.
Pas sûr que cette politique perdure au-delà de cette administration, ou même survive à quelques mois au sein de cette administration. Aujourd’hui, on a une politique américaine de protection qui est extrêmement brouillonne, qui crée énormément d’incertitudes. Si vous voulez créer une usine aux États-Unis pour quoi que ce soit, il faut vous assurer que cette usine est rentable dans les années, voire les décennies à venir. Soit cette usine n’est profitable que parce qu’il y a des droits de douane, et il faudra qu’ils restent en place suffisamment longtemps pour garantir cette rentabilité. Soit on a une entreprise qui importe des matières premières et, pour être compétitive, cette entreprise a besoin que les droits de douanes restent faibles à l’avenir. Dans les deux cas, l’incertitude a tendance à geler l’investissement.
Enfin, il y a un problème temporel. Vous mettez des droits de douane, cela augmente les prix tout de suite. Peut-être que cela créera des emplois, des usines. Mais il faut attendre que celle-ci sortent de terre, dans deux-trois ans. Entre temps, on a un effet récessif sur l’économie qui va détruire des emplois et il n’est pas certain que la balance des effets soit très positive.
Au final, on peut favoriser la réindustrialisation avec des subventions. C’était le plan de Biden. On peut le faire aussi avec des droits de douane et, peut-être que des protections très ciblées dans certains secteurs seraient efficaces. Mais une protection tous azimuts de ce niveau-là, j’ai du mal à imaginer que le bilan puisse être formidable.
Y a-t-il à craindre une spirale récessive à craindre en raison notamment des répliques qui seront décidées par les autres pays à l’égard des États-Unis, ou êtes-vous plus nuancé ?
Les conséquences économiques les plus directes sont une augmentation des prix aux États-Unis pour les consommateurs et une perte de compétitivité pour les industriels américains qui importent des biens intermédiaires. Ce qui conduit à un ralentissement de la consommation et de l’investissement. Les perspectives de croissance aux États-Unis ne sont pas positives, aujourd’hui.
Les droits de douane et l’incertitude ont aussi un coût pour les entreprises européennes et celles du monde entier. Un effet récessif est à attendre. Mais la question des représailles est complexe. Si elles passent par des droits de douane sur des importations qui viennent des États-Unis, cela ne va pas être très bon pour l’économie européenne. C’est pour ça que la Commission européenne a des schémas de représailles très ciblés, pour éviter qu’elles aient un impact sensible sur l’économie européenne. Dans ces conditions, l’idée de faire des représailles en passant par autre chose que des droits de douane sur les biens, en visant par exemple les services, notamment numériques, où les États-Unis ont un excédent, en taxant les GAFAM, donc les oligarques états-uniens, est quelque chose d’assez pertinent à envisager. Bien sûr, ce n’est pas gratuit, non plus, pour l’économie européenne. Si elle augmente les taxes sur les profits de Netflix par exemple, il y a des probabilités que le prix de l’abonnement à Netflix augmente. Néanmoins, cela reste une piste à creuser.
Il y a, peut-être, un gagnant, dans cette affaire-là, c’est le climat. Si on veut regarder les choses un peu froidement, une politique qui va réduire les flux de commerce internationaux, le commerce à longue distance, c’est bon pour le climat. On a une politique très incertaine qui va pousser les entreprises à faire du nearshoring [externalisation de l’activité dans un pays ou une région proche, NDLR], développer une chaîne de valeur à petite échelle au lieu de l’étaler sur la surface du globe. Ce qui limite également les échanges, les pollutions. Puis, on a une vraie politique de décroissance aux États-Unis puisqu’on s’attend à un ralentissement de la croissance. Tout cela, pour la planète, à court terme, n’est pas si mal. Cela ne compensera toutefois jamais les dégâts que Donald Trump fera sur le climat. Mais ce n’est pas rien.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
10.04.2025 à 21:10
Le porno aujourd’hui, loin d’être un simple divertissement, s’inscrit dans un système où la violence, le racisme, le classisme et l’impunité s’entrelacent. Derrière l’écran, des réalités brutales : des femmes marquées à vie, des actes de prédation déguisés en scénarios consentis et une industrie qui prospère sur la vulnérabilité. Le porno amateur, soi-disant plus « authentique », révèle une marchandisation crue du corps féminin, où l’actrice est à la fois rémunération, produit et victime. Dans certains cas, regarder du porno, c’est potentiellement se masturber sur une scène de viol. Malgré les alertes, malgré #MeToo, ces violences restent banalisées, et ceux et celles qui osent les dénoncer sont rares. Certaines femmes, avec un courage immense, osent porter plainte, non pour elles seules, mais pour faire évoluer un droit encore trop éloigné des réalités du porno.
Pour en discuter, Bénédicte Martin a reçu le jeudi 10 avril sur QG, Alice Géraud, scénariste, journaliste, co-autrice du récit collectif « Sous nos regards. Récits de la violence pornographique » aux éditions du Seuil.
08.04.2025 à 22:52
Le président Donald Trump a pris tout le monde par surprise ce 2 avril avec l’instauration de nouveaux tarifs douaniers sur la quasi-totalité des importations américaines. Il s’agit du plus important changement de politique commerciale mondiale « depuis plus de 100 ans », pour citer l’agence Reuters. Depuis ces annonces, les bourses du monde entier sont en chute libre. Quel est le sens de ce chamboule-tout de l’économie mondiale initié par la nouvelle administration américaine ? L’UE, la France notamment, vont-elles trouver leur place dans ce jeu de puissances qui la marginalise ? Où en sommes-nous des négociations concernant la guerre en Ukraine, et comment la Russie et les BRICS vont-ils tirer leur épingle de ce nouveau jeu mondial ? Une fois encore, QG a réuni en direct à Paris le mardi 8 avril les meilleurs experts pour en parler avec Aude Lancelin :
Caroline Galactéros, géopolitologue, fondatrice du think tank Geopragama
Nicolas Meilhan, ingénieur, membre des Éconoclastes
David Teurtrie, directeur de l’Observatoire français des BRICS, auteur de « Russie : le retour de la puissance » (2021)