26.03.2025 à 17:34
Mathilde Dorcadie
22.03.2025 à 05:00
La mer Caspienne, bordée par la Russie, l'Azerbaïdjan, l'Iran, le Turkménistan et le Kazakhstan, s'étend sur une superficie à peu près équivalente à celle de l'Allemagne. Toutefois, depuis 1995, elle ne cesse de se réduire, le niveau de l'eau ayant baissé de plus de deux mètres. Selon les scientifiques, la superficie de la mer Caspienne pourrait diminuer de 30 % d'ici à la fin du siècle.
Cette tendance alarmante est aggravée par le changement climatique – hausse des températures et (…)
La mer Caspienne, bordée par la Russie, l'Azerbaïdjan, l'Iran, le Turkménistan et le Kazakhstan, s'étend sur une superficie à peu près équivalente à celle de l'Allemagne. Toutefois, depuis 1995, elle ne cesse de se réduire, le niveau de l'eau ayant baissé de plus de deux mètres. Selon les scientifiques, la superficie de la mer Caspienne pourrait diminuer de 30 % d'ici à la fin du siècle.
Cette tendance alarmante est aggravée par le changement climatique – hausse des températures et augmentation de l'évaporation – ainsi que par les activités humaines, telles que la construction de nombreux réservoirs le long de son principal affluent, la Volga.
Le bassin septentrional peu profond de la mer Caspienne, que se partagent le Kazakhstan et la Russie, est le plus gravement touché et risque de disparaître complètement dans les décennies à venir. Les répercussions sont désastreuses pour la biodiversité et pour les communautés côtières, qui perdent leurs moyens de subsistance et doivent faire face à des conditions de vie de plus en plus difficiles.
En juin 2024, le journaliste français Clément Girardot et le photographe Julien Pebrel sont partis le long du littoral de la mer Caspienne, dans la région d'Atyraou, pour voir comment vivent les habitants du Kazakhstan, devant l'avenir incertain de leur mer.
Atyraou, la plus grande ville du Kazakhstan à proximité de la mer Caspienne, qui compte environ 350.000 habitants, lutte depuis longtemps contre une grave pollution de l'air. La ville est entourée de nombreuses infrastructures polluantes, parmi lesquelles une énorme raffinerie, une centrale thermique, une cimenterie et plusieurs installations de stockage et de transport de gaz naturel et de pétrole.
Mais c'est une autre crise environnementale qui préoccupe la population d'Atyraou : le recul de la mer Caspienne. « Dans dix ans, la mer Caspienne aura disparu, alors à quoi bon en parler ? Le niveau de communication publique est quasiment inexistant », regrette Mustafa, un riverain habitué à pêcher dans l'Oural, qui traverse la ville.
« Le déclin a commencé dans les années 2000 et il s'accélère depuis 2015. Près d'Atyraou, le littoral s'est éloigné de 30 kilomètres vers le sud. La mer s'assèche, mais ce qui est encore plus inquiétant, c'est l'effondrement de sa biodiversité », explique Arman Khairullin, militant écologiste et député indépendant du Conseil régional d'Atyraou.
Damba, le dernier village sur l'Oural avant qu'il ne se jette dans la mer Caspienne, s'est développé grâce aux coopératives de pêche qui ont vu le jour pendant l'ère soviétique. Cependant, la réduction des populations de poissons et l'interdiction de pêcher certaines espèces ont contraint les habitants à s'adapter. De nombreux hommes de la région travaillent désormais en équipes dans les champs pétrolifères, où les conditions sont souvent difficiles.
« Il m'arrive de pêcher, mais la plupart du temps, je conduis un taxi. L'ancienne génération continue à sortir en mer par nostalgie, mais les jeunes ne le font plus que rarement, car il n'y a tout simplement pas assez de poissons », note Meyrambek, un villageois âgé de 28 ans.
La population de Damba augmente malgré le déclin de l'industrie de la pêche. Des maisons de plain-pied fleurissent le long des rues droites et tranquilles aux trottoirs bien entretenus. Ces maisons, entourées de clôtures et conçues avec un nombre limité de fenêtres pour se protéger du vent et de la chaleur, attirent de nouveaux habitants en quête d'un logement abordable et d'un air plus pur que dans le centre-ville d'Atyraou, la capitale régionale, qui se trouve à une vingtaine de kilomètres.
Pour rejoindre l'embouchure de l'Oural à partir de Damba, il faut utiliser un bateau. Le fond marin ne descend qu'à 20 ou 30 centimètres sous la surface, ce qui rend la navigation difficile. Deux excavatrices opèrent en continu pour draguer le chenal afin de permettre aux bateaux d'atteindre la haute mer et aux poissons de migrer en amont vers leurs zones de reproduction.
« L'objectif est de creuser un canal de 2,5 mètres de profondeur et de 40 mètres de large. Déjà en hiver, l'embouchure de l'Oural est parfois complètement à sec », précise Arman Khairullin. Dans la Russie voisine, de nombreuses villes de pêcheurs, autrefois construites en bord de mer, n'ont plus accès à la mer que par des canaux.
Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), cinq des six espèces d'esturgeons de la mer Caspienne sont en danger critique d'extinction. Aujourd'hui, les esturgeons sont exclusivement issus de l'élevage. En 2022, le Kazakhstan a exporté environ 580 tonnes de caviar et de succédanés de caviar pour une valeur de 8 millions de dollars US, ce qui représente 1 % des exportations mondiales de produits alimentaires en provenance du Kazakhstan. Près de l'embouchure de l'Oural, Berik Akhmetov exploite un petit bassin d'élevage d'esturgeons, un projet qu'il a mis sur pied il y a quatre ans. « Pour l'instant, ces poissons sont trop petits ; il faut 10 à 12 ans d'élevage pour obtenir un spécimen adulte. À terme, ils seront vendus pour leur chair et leur caviar », indique-t-il.
L'entrepreneur prévoit également de relâcher des esturgeons juvéniles dans la nature. Les cinq pays de la mer Caspienne sont tenus de prendre de telles mesures pour empêcher l'extinction de l'espèce, bien qu'elles n'aient eu qu'un effet très limité jusqu'à présent.
Situé à 70 kilomètres à l'ouest de la capitale régionale d'Atyraou, Zhanbay était jadis un village de pêcheurs florissant. « Il y a dix ans, on voyait la mer depuis le toit de ce bâtiment. Aujourd'hui, le rivage est à 20 kilomètres », signale Didar Yesmoukhanov, le maire de Zhanbay, à l'ouest du pays. La disparition de la mer a radicalement transformé l'économie et le mode de vie de cette communauté de pêcheurs autrefois dynamique.
L'élevage de chameaux est devenu une source de revenus alternative dans cette région aride. Avec le déclin des activités halieutiques et la dégradation des conditions de vie, certaines personnes sont contraintes de quitter le village. « S'il était encore possible de pêcher ici, je serais resté, mais il faut trouver un moyen de survivre, surtout en hiver », déclare Nurbol, un homme d'une trentaine d'années qui a grandi à Zhanbay, mais qui a dû partir à Atyraou, à la recherche de meilleures perspectives d'avenir. Il vit aujourd'hui dans la capitale régionale, mais rend souvent visite à sa famille à Zhanbay.
Un assèchement plus radical de la mer Caspienne perturberait la vie de millions de riverains et pourrait déclencher des mouvements migratoires encore plus importants.
Autres conséquences du recul de la mer, la désertification croissante des zones côtières et l'augmentation de la fréquence des tempêtes de sable portent préjudice à la santé des gens et des animaux. « Nous sommes attristés par la baisse du niveau de la mer car à cause de ce phénomène, le vent transporte de la poussière salée, et c'est très mauvais pour les animaux », déplore Ibragim Bozakhaev, un habitant de 68 ans dont le jardin est planté d'abricotiers, une espèce bien adaptée à l'aridité du climat.
Sa belle-fille souffre personnellement des tempêtes de sable. « Les tempêtes de sable sont fréquentes en été. Parfois, elles sont si fortes qu'on ne voit même pas notre jardin. Je commence à faire une allergie à la poussière ; c'est une saison très difficile pour moi », souligne Asel Sheruyenova, âgée de 26 ans.
À la frontière entre le Kazakhstan et la Russie, le delta de la Volga abrite un écosystème unique. Cette zone humide est depuis longtemps un sanctuaire pour les oiseaux et les poissons, mais elle est aussi profondément affectée par la crise environnementale. « Le niveau de l'eau baisse depuis cinq ans et la boue s'accumule dans les canaux », explique Satti Boldi, qui travaille dans l'industrie pétrolière de la ville de Kurmangazy.
L'aridité croissante contribue par ailleurs à l'augmentation des incendies de forêt dans les parties russe et kazakhe du delta. En Russie, la zone touchée par des incendies catastrophiques dans le delta a augmenté de 34 % entre 2010 et 2020.
Le temps est peut-être compté pour trouver une solution pour la mer Caspienne. En novembre 2022, le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev a qualifié la situation de « grave » lors d'un discours et a appelé à la création d'un institut de recherche axé sur l'étude de la mer Caspienne. Le gouvernement a officiellement approuvé le projet en janvier 2024, mais l'institut n'a toujours pas vu le jour.