18.06.2025 à 06:00
(Nairobi) – Le groupe armé M23 contrôlé par le Rwanda a déporté plus de 1 500 personnes de l’est de la République démocratique du Congo occupée vers le Rwanda, en violation des Conventions de Genève de 1949, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement rwandais et le M23 devraient immédiatement mettre fin aux transferts forcés de citoyens congolais et de réfugiés rwandais, qui constituent des crimes de guerre.
Le soutien militaire, logistique ou d’une autre nature apporté par le Rwanda au M23 a été essentiel pour sa prise de Goma et de Bukavu, les capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu respectivement, des forces congolaises au début de l’année 2025. En février, le M23 a ordonné à plusieurs centaines de milliers de personnes de quitter les camps de déplacés autour de Goma et a démantelé pratiquement tous les camps. En mai, le M23 a rassemblé des personnes déplacées et les a transférées à Goma, d’où nombre d’entre elles ont ensuite été illégalement déportées vers le Rwanda avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
« Le transfert forcé de civils vers le Rwanda, qu’il s’agisse de citoyens congolais ou de réfugiés rwandais, est un crime de guerre en vertu des Conventions de Genève », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. « En raison du contrôle qu’il exerce sur le M23 dans l’est de la RD Congo, le Rwanda est en fin de compte responsable des nombreux abus commis par ce groupe armé. »
Le contrôle effectif exercé par le Rwanda sur des zones de l’est de la RD Congo, par le biais de ses propres forces armées et du M23 semble répondre aux critères d’une occupation belligérante aux termes des normes du droit international humanitaire. L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit, en tant que crime de guerre, les transferts forcés à l’intérieur d’un pays ainsi que les déportations hors du territoire occupé et vers d’autres pays, quel qu’en soit le motif. Le 9 juin, Human Rights Watch a écrit aux autorités rwandaises, en leur exposant ses conclusions, mais n’a pas reçu de réponse.
De février à mai, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 14 personnes qui ont été contraintes de quitter les camps de déplacés près de Goma après leur démantèlement ordonné par le M23, dont 8 personnes qui ont été transférées de force à Goma en mai.
Le 12 mai, le M23 a rassemblé près de 2 000 personnes de la ville de Sake, située à 25 kilomètres à l’ouest de Goma, et les a transférées de force à Goma, d’où beaucoup ont ensuite été déportées vers le Rwanda. Cela semblait faire partie d’une opération plus large du M23 menée contre des membres présumés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais à majorité hutue, dont certains dirigeants ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda. Un grand nombre des personnes à Sake étaient originaires de Karenga, dans le territoire de Masisi, qui est considéré comme un bastion des FDLR.
Click to expand Image Carte chronologique des déplacements de civils entre Karenga et les villages environnants, Sake, Goma et le Rwanda. Graphique © Human Rights WatchLes responsables du M23 se sont servis du centre de transit appelé Centre Chrétien du Lac Kivu (CCLK), qui tire son nom de son emplacement à Goma, pour déporter des personnes vers le Rwanda. Entre le 17 et le 19 mai, plusieurs convois ont quitté le centre de transit pour se rendre au Rwanda. Le HCR utilise en général le CCLK pour les rapatriements volontaires de réfugiés au Rwanda. Cependant, huit personnes présentes au centre ont indiqué que des citoyens congolais et des réfugiés rwandais figuraient parmi les personnes déportées contre leur volonté. Beaucoup ont fait part de leur crainte d’être victimes d’abus au Rwanda. Le M23 a déployé des forces autour du centre pour empêcher les personnes de s’échapper.
Certaines des personnes déportées se sont exprimées dans les médias pour critiquer la manière dont elles ont été transférées de force au Rwanda. Depuis longtemps, les autorités rwandaises prennent pour cible ceux qui critiquent publiquement le gouvernement, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile sous la protection du HCR. Le HCR devrait prendre des mesures pour garantir la sécurité des personnes déportées vers le Rwanda. Human Rights Watch n'a pas pu communiquer avec les personnes déportées du centre de transit depuis leur transfert vers le Rwanda.
Le HCR a écrit à Human Rights Watch le 27 mai, indiquant que « 1 600 [réfugiés rwandais] ont été amenés au centre de transit CCLK à Goma à la suite d'opérations de bouclage et de fouilles menées par les autorités de facto », que le contrôle effectué par le HCR « a été réalisé sous pression » et que, pour ce groupe, le retour au Rwanda « était la seule option possible ».
En vertu des Conventions de Genève, le transfert doit être « forcé », tout comme la déportation, pour constituer un crime de guerre. Le consentement au déplacement doit être volontaire, et ne pas être donné dans des conditions de coercition. Un transfert n’est pas volontaire dès lors que les personnes consentent ou cherchent à être transférées uniquement pour échapper au risque d’abus si elles restent.
Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé que son bureau renouvellerait les efforts d’enquête en RD Congo en se concentrant sur les crimes commis dans le Nord-Kivu depuis janvier 2022. La CPI est habilitée à poursuivre les auteurs du crime de guerre de « déportation ou transfert [par la puissance occupante] à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire », ainsi que les auteurs du crime contre l’humanité de « déportation ou transfert forcé de population ».
« Le gouvernement rwandais et le M23 commettent des crimes de guerre en transférant de force des personnes au sein des territoires occupés et en les déportant vers le Rwanda », a conclu Clémentine de Montjoye. « Une pression internationale concertée sur le Rwanda est nécessaire pour mettre fin immédiatement aux déportations, garantir la sécurité de toutes les personnes dans les zones occupées et traduire en justice les responsables d’abus. »
Pour de plus amples détails sur les déportations, veuillez lire la suite.
Les personnes transférées
Depuis la résurgence du M23 à la fin de l’année 2021, les forces armées congolaises et rwandaises, ainsi que les groupes armés qu’elles soutiennent, ont déplacé des centaines de milliers de personnes dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, souvent à plusieurs reprises sur des périodes prolongées. Les combattants ont forcé les civils à quitter leurs maisons et leurs terres, ont pillé leurs biens et les ont punis pour leur collaboration présumée avec des groupes ennemis. Beaucoup de personnes déplacées à l’intérieur du pays qui vivaient dans des camps autour de Goma avant que le M23 ne s’empare de la ville avaient fui les abus commis par les deux parties belligérantes, notamment des meurtres, des viols, des incendies de biens, des pillages, ainsi que du recrutement et du travail forcé.
Le 24 février à Karenga, un chef local accompagné de combattants armés du M23 a donné l’ordre aux habitants originaires de Karenga, Tuonane et Mugando, près du parc national des Virunga, de partir dès le lendemain. Nombre d’entre eux ont alors cherché refuge dans des écoles et d’autres endroits dans la ville voisine de Sake.
« Ils nous ont chassés de Karenga en disant que ceux qui refuseraient [de partir] “recevront une balle” », a raconté une femme de 25 ans interrogée par Human Rights Watch. Un homme de 36 ans a indiqué que le chef « nous a dit que ceux qui ont besoin d’une explication devaient se rendre à Kitchanga [une ville stratégique sous le contrôle du M23] pour poser la question aux autorités là-bas. Il a aussi dit que la Croix-Rouge ramassera le corps de toute personne trouvée dans le village après la date butoir. »
De nombreuses personnes déplacées avec qui Human Rights Watch s’est entretenu qui sont retournées à Karenga en février avaient fui avant la prise de contrôle de la zone par le M23 en novembre 2023. Le M23 n’a fourni aucune raison concernant l’expulsion de la population, mais certaines sources estiment que la décision était liée à la présence de membres présumés des FDLR dans la zone. Les personnes interrogées ont indiqué que, même si certaines des personnes précédemment déplacées de Karenga étaient d’origine rwandaise, beaucoup étaient des citoyens congolais ou avaient vécu au Congo toute leur vie.
Parmi les personnes déplacées de force depuis Sake, le M23 a transféré certains hommes – et plus tard leurs proches – au Stade de l’Unité à Goma. Le porte-parole militaire du M23, Willy Ngoma, a présenté aux médias 181 hommes dans le stade, les qualifiant de « sujets rwandais », alors qu’ils avaient des papiers congolais. Des témoins ont raconté que le M23 a brûlé les cartes d’électeur congolaises – qui constituent la principale forme d’identification en RD Congo – et a ordonné aux personnes perçues comme étant d’origine rwandaise de retourner au Rwanda.
La citoyenneté congolaise est difficile à établir en raison de l’absence d’un système d’identification national fonctionnel et de décennies de mouvements de population transfrontaliers – provoqués à la fois par les conflits et les opportunités économiques – entre la RD Congo et le Rwanda. La carte d’électeur est le seul document d’identification disponible pour de nombreuses personnes, à condition qu’elles soient inscrites sur les listes électorales et en âge de voter. Au stade, le M23 a accusé des personnes d’être en possession de cartes « falsifiées », rejetant de fait leur citoyenneté congolaise, d’après des reportages des médias et des récits de témoins.
Le M23 a accusé des opposants présumés, souvent sans fondement, de soutenir les FDLR. Des témoins ont expliqué que, le 12 mai à Sake, le M23 a emmené au moins cinq jeunes hommes soupçonnés d’être des membres des FDLR. Au stade, le M23 a également cherché à séparer ceux perçus comme soutenant l’armée congolaise ou ses alliés : « Ceux qui ont été identifiés comme membres des FDLR ou des Wazalendo [une coalition progouvernementale de groupes armés congolais] ont été mis dans un bus, et nous ne savons pas où ils sont allés », a raconté un homme qui était présent au stade.
Déportations depuis le centre de transit CCLK
Les personnes identifiées en vue d’une déportation ont été transférées vers le centre de transit CCLK que la Commission Nationale pour les Réfugiés congolaise et le HCR utilisent pour les rapatriements de réfugiés rwandais en vertu de l’accord tripartite de 2010 sur les retours volontaires conclu entre le HCR, le Rwanda et la RD Congo.
L’accord tripartite fixe les conditions du retour volontaire des réfugiés congolais au Rwanda et des réfugiés rwandais en RD Congo. D’après les lignes directrices du HCR, les réfugiés et les demandeurs d’asile n’ont pas besoin d’indiquer explicitement qu’ils ont été contraints au retour pour que le HCR conclue que leur rapatriement est involontaire.
Le HCR a indiqué dans sa réponse à Human Rights Watch que les rapatriements de réfugiés « doivent être volontaires, sûrs et effectués dans la dignité » pour être conformes au principe de non-refoulement, soit l’interdiction légale internationale de renvoyer des personnes vers des risques de persécution, de torture ou d’autres préjudices graves.
Mais les personnes au centre ont déclaré que, même si les agents du HCR les avaient interrogées sur leurs origines, le HCR ne leur avait pas laissé le choix concernant leur transfert au Rwanda. Une femme congolaise a expliqué : « [Le HCR] fait ce qu’il veut de nous. Nous n’avons pas le choix. »
Le 22 mai, le HCR a publié une déclaration affirmant qu’il surveillait et était impliqué dans « l’évolution de la situation concernant le groupe d’individus » au centre de transit ainsi que « plus de 1 700 réfugiés » de retour au Rwanda. Cependant, il ressort des entretiens menés par Human Rights Watch que certaines personnes conduites de force au centre puis expulsées vers le Rwanda n’étaient pas des réfugiés rwandais enregistrés.
Trois citoyens congolais ont expliqué que, le 27 mai, le HCR avait reconduit 74 personnes – principalement des femmes et des enfants – à Sake après avoir confirmé qu’ils étaient des ressortissants congolais. Ils ont ajouté que certains Congolais au centre de transit n’ont pas pu prouver leur identité parce que le M23 avait brûlé leurs papiers et que ces personnes ont ensuite été transférées de force au Rwanda. « Des gens de Karenga que je connais, qui sont des Congolais, ont été envoyés au Rwanda », a raconté un homme qui a été reconduit à Sake. « D’autres ont accepté de partir parce qu’ils avaient peur du M23. Le M23 a brûlé ma carte d’électeur... Je ne peux plus quitter Sake maintenant. Si on m’arrête, je serai accusé de faire partie des FDLR. »
Le 17 mai, le ministre rwandais des Affaires étrangères a déclaré que les réfugiés rapatriés avaient été précédemment pris en otage par les FDLR, dans une tentative apparente de justifier les déportations. Le ministère de l’Intérieur de la RD Congo a contesté cette affirmation.
Occupation de l’est de la RD Congo par le Rwanda
Le déploiement par le Rwanda de près de 9 000 soldats dans l’est de la RD Congo au plus fort de l’offensive du M23 en janvier et février et son contrôle global apparent du M23, les autorités de facto, indiquent que le Rwanda est une puissance occupante en vertu du droit international humanitaire. Des témoins d’incidents, des reportages dans les médias et des sources des Nations Unies et militaires ont déclaré que du personnel militaire rwandais avait dirigé et mené des opérations pendant les offensives, y compris celles qui ont débouché sur la prise de Goma et de Bukavu.
Des sources militaires ont expliqué que plusieurs centaines de soldats rwandais, utilisant des armes modernes telles que des drones blindés et des mortiers guidés par GPS, ont conduit l’avancée sur Goma. Des soldats rwandais ont également commandé des patrouilles dans les territoires de Masisi et Rutshuru. Des commandants militaires rwandais étaient présents lors de la formation des recrues dans au moins deux centres d’entraînement en RD Congo, selon les dires d’anciennes recrues à Human Rights Watch. Les autorités rwandaises ont également coordonné une visite de presse dans les territoires occupés de l'est du Congo. En mai, plus de dix journalistes ont effectué un voyage de presse depuis Kigali, la capitale du Rwanda, vers Goma et le territoire de Masisi, organisé et accompagné par le personnel du Bureau du porte-parole du gouvernement rwandais, selon quatre journalistes et des messages examinés par Human Rights Watch.
Le Rwanda a également été impliqué dans des négociations de cessez-le-feu et d’autres actions pour le compte du M23. La prise de la ville de Walikale par le M23 en mars a contraint la société Alphamin Resources à suspendre ses activités à la mine de Bisie, une importante mine qui produit 6 pour cent de l’approvisionnement mondial en étain. Reuters a rapporté que les États-Unis ont directement engagé le dialogue avec les gouvernements rwandais et congolais pour obtenir des garanties concernant le retrait du M23 et pour que les forces congolaises n’attaquent pas, afin de permettre la reprise de des activités de la mine. Alphamin Resources a annoncé une reprise des opérations après le retrait du M23.
Ces actions des forces rwandaises et l’absence d’autorité congolaise dans la région semblent remplir les critères du droit international constitutifs d’une occupation belligérante de certaines parties de l’est de la RD Congo.
L’occupation en vertu du droit international
Le droit international humanitaire de l’occupation est principalement énoncé dans la Convention de La Haye de 1907, la Quatrième Convention de Genève de 1949, le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève et le droit international humanitaire coutumier.
L’Article 42 de la Convention de La Haye stipule qu’« [u]n territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. »
Le Commentaire de 2016 du Comité international de la Croix-Rouge sur l’Article 2 commun aux Conventions de Genève établit trois critères pour caractériser une occupation belligérante : la présence de forces militaires étrangères sans le consentement de l’État souverain ; la capacité de l’armée étrangère à exercer son autorité sur le territoire ; et l’incapacité connexe des autorités de l’État souverain à exercer son contrôle sur le territoire. Ces éléments ont été décrits dans des décisions de justice, des manuels militaires et des travaux universitaires comme le « test du contrôle effectif » qui vise à déterminer si une situation répond aux critères d’occupation aux termes du droit international humanitaire.
Dans le cadre du test du contrôle effectif, la force d’occupation doit contrôler en grande partie le territoire et peut déployer des troupes au besoin. Ces forces ne doivent pas nécessairement être présentes sur l’ensemble du territoire, mais doivent être en mesure d’exercer leur autorité si nécessaire. L’État souverain doit être substantiellement incapable d’exercer son autorité du fait de la présence des forces étrangères. Cependant, la simple présence de forces armées nationales ou de groupes armés s’opposant aux forces étrangères n’exclut pas l’occupation.
En outre, un contrôle effectif sur un territoire peut être exercé par des forces armées de substitution ou des groupes armés non étatiques aussi longtemps que les forces occupantes conservent un contrôle global. Ainsi, un État pourrait être considéré comme une puissance occupante lorsqu’il exerce un contrôle global sur les autorités locales de facto ou des groupes armés qui exercent eux-mêmes un contrôle effectif sur tout ou partie d’un territoire. Ce contrôle effectif indirect vise à empêcher un vide juridique découlant du fait qu’un État recoure à des substituts locaux pour se soustraire à ses obligations – notamment celles de fournir de la nourriture et des soins médicaux à la population – en vertu du droit international de l’occupation.
17.06.2025 à 17:30
Lundi, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a présenté les conclusions préliminaires effrayantes de l’enquête menée par la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur les conséquences dévastatrices du conflit armé dans l'est de la République démocratique du Congo sur les civils.
Depuis que le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, a pris le contrôle des capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, Goma et Bukavu, au début de l'année 2025, la Mission d’établissement des faits a reçu des informations faisant état d'exécutions extrajudiciaires, d'actes de torture, d’attaques contre des hôpitaux, d'enlèvements et de déplacements et de recrutements forcés commis par le M23. La Mission a également reçu des informations faisant état d'arrestations arbitraires et de disparitions forcées de partisans présumés du M23 par les services de renseignement militaires congolais, ainsi que d'exécutions sommaires, d'arrestations arbitraires, d'enlèvements et d'extorsion par la coalition Wazalendo, regroupant des groupes armés soutenus par le gouvernement congolais.
Les violences sexuelles, qui atteignaient déjà un niveau alarmant, sont utilisées « comme une forme de représailles contre certaines communautés, contre les proches des opposants présumés, et contre des membres d'autres groupes ethniques », a déclaré Volker Türk. « Près de 40 pour cent des survivants des violences sexuelles et basées sur le genre sont des enfants. »
Bon nombre de ces conclusions correspondent aux nôtres. Human Rights Watch a documenté l'exécution sommaire par le M23 d'au moins 21 civils à Goma en février. Nous avons également documenté des abus généralisés contre des civils par les Wazalendo dans le Sud-Kivu, notamment des passages à tabac, des meurtres et des extorsions, parfois basés sur des critères ethniques.
En février, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a mis en place la Mission d’établissement des faits du Haut-Commissariat aux droits de l'homme ; cette mission doit être suivie d'une Commission d'enquête indépendante chargée d'enquêter sur les abus commis par toutes les parties au conflit.
Mais Volker Türk a également annoncé lundi qu'en raison de la crise financière de l'ONU, la mise en place de la Commission d'enquête serait probablement reportée à 2026. Cela risque d’engendrer de graves lacunes en matière de protection, et constitue un revers majeur pour la documentation des abus commis dans l'est de la RD Congo, qui fait cruellement défaut, en particulier à un moment où le M23 et d’autres parties au conflit répriment de plus en plus les groupes de la société civile et les médias.
Le mandat de la Commission, qui consiste à recueillir et conserver des preuves, à identifier les responsables d'abus graves et à soutenir les efforts visant à les traduire en justice, est une étape essentielle pour mettre fin à l'impunité.
La crise financière sans précédent que traverse l'ONU n'est pas une question de calculs financiers abstraits ; elle aura un impact réel sur la vie des personnes en danger. Alors que des crimes terribles se poursuivent sans relâche dans l’est de la RD Congo, il est plus que jamais nécessaire de mener des enquêtes approfondies et d’assurer la reddition des comptes.
16.06.2025 à 07:01
(Abuja) – La plupart des gouvernements d’Afrique ont échoué régulièrement à atteindre les objectifs fixés aux niveaux mondial et régional en matière de financement d’un enseignement public de qualité, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, à l’occasion de la Journée de l’enfant africain organisée par l’Union africaine (UA).
Le thème de cette Journée pour 2025 est «Planification et budgétisation des droits de l’enfant : progrès depuis 2010 ». Or, selon les données nationales communiquées à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture (UNESCO), seulement un tiers des pays africains ont atteint les seuils qui avaient été collectivement approuvés pour le financement de l’éducation, en termes de dépenses annuelles moyennes pour la décennie 2013-2023. Cette proportion a même décliné, passant à un quart des pays, pour les années 2022 et 2023. Quatorze pays africains n’ont atteint aucun de ces seuils pendant toutes les années de la dernière décennie.
« Les chefs d’État et de gouvernement africains, ainsi que l’Union africaine, ont tous pris des engagements audacieux en faveur de l’investissement national dans l’éducation », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Mais les gouvernements ne concrétisent pas ces engagements sous forme d’un financement soutenu, et beaucoup d’entre eux ont même réduit les niveaux de dépenses ces dernières années. »
Un investissement public insuffisant dans l’éducation entrave la capacité des gouvernements africains à respecter leurs obligations légales de garantir un enseignement primaire de qualité gratuit et obligatoire pour tous et de rendre un cycle d’enseignement secondaire disponible, accessible et gratuit pour tous les enfants. Cela remet également en cause leurs engagements politiques de réalisation des objectifs de développement internationaux et ceux de l’UA, ainsi que les objectifs d’étape. Dans le cadre des Objectifs de développement durable de l’ONU, en plus de fournir au moins une année d’enseignement en école maternelle, les gouvernements africains sont tenus d’assurer que tous les enfants suivent un cycle complet d’enseignement secondaire gratuit d’ici à 2030.
En 2015, les États membres de l’UNESCO, dont 54 États africains, ont accepté d’augmenter leurs dépenses dans le domaine de l’éducation en les faisant passer à au moins 4 à 6 % de leur produit national brut (PNB) et/ou à au moins 15 à 20 % de leurs budgets globaux. Ces normes de référence internationalement agréées pour le financement de l’éducation ont été incluses dans au moins cinq déclarations ou plans d’action mondiaux ou inter-africains, dont la Déclaration d’Incheon de 2015 approuvée par tous les États membres de l’UNESCO ; la Déclaration (« Kenyatta ») des chefs d’État sur le financement national de l’éducation, approuvée par 17 chefs d’État ou de gouvernement et ministres africains ; la Déclaration de Paris de 2021 (« Appel mondial en faveur de l’investissement dans les futurs de l’éducation ») ; et la Déclaration de Fortaleza de 2024. En décembre 2024, l’UA et les chefs d’État et de gouvernement africains ont relevé, de six à sept pour cent, la limite supérieure de l’objectif en termes de part du PNB, dans la Déclaration de Nouakchott.
Les États membres de l’UNESCO ont pris l’engagement supplémentaire de consacrer au moins 10 pour cent des dépenses d’éducation à garantir au moins une année d’enseignement gratuit et obligatoire en école maternelle, d’ici à 2030. En 2024, les pays africains ont accepté d’assurer qu’une part accrue de leur dépense publique soit consacrée à l’éducation en école maternelle.
Mais en dépit de ces obligations et de ces engagements, les gouvernements se sont abstenus de supprimer les frais d’inscription et les autres frais de scolarité, en particulier aux niveaux pré-primaire et secondaire, ce qui crée une inégalité d’accès et des écoles de mauvaise qualité, dont l’impact affecte de manière disproportionnée les enfants des familles les plus pauvres. Sur tout le continent africain, les familles continuent de porter comme un fardeau une énorme part du financement de l’éducation, assurant 27 pour cent du total des dépenses dans ce domaine, selon des données de la Banque mondiale pour l’année 2021.
L’Afrique est le continent qui compte le plus grand nombre d’enfants non scolarisés, estimé à plus de 100 millions d’enfants et d’adolescents à travers toutes les sous-régions à l’exception de l’Afrique du Nord. Les taux d’enfants non scolarisés ont augmenté depuis 2015 pour des raisons diverses, notamment les hausses de populations, la persistance des différences entre les sexes, les effets cumulés des fermetures d’écoles dues à la pandémie de Covid-19, des situations d’urgence climatique et des conflits.
De nombreux enfants abandonnent aussi leurs études à cause de l’incidence des violences sexistes et des mesures discriminatoires d’exclusion prises à l’encontre des filles enceintes et mères, des réfugiés et des enfants handicapés, entre autres pratiques négatives.
Seulement 14 pays d’Afrique garantissent un accès gratuit à l’éducation, allant d’au moins une année d’enseignement pré-primaire jusqu’à la fin du cycle secondaire, selon des données de l’UNESCO et des recherches effectuées par Human Rights Watch. Seuls 21 pays garantissent un accès gratuit à 12 années d’enseignement primaire et secondaire, tandis que 6 autres garantissent l’accès à au moins une année d’enseignement pré-primaire gratuit.
Human Rights Watch a constaté que le Maroc, sans compter le territoire du Sahara occidental qu’il occupe, la Namibie et la Sierra Leone sont les seuls pays africains qui garantissent légalement à la fois un accès gratuit universel à des enseignements primaire et secondaire et à au moins une année d’enseignement pré-primaire gratuit, et qui ont en même temps atteint les objectifs internationaux de financement de l’éducation lors de la dernière décennie.
De nombreux pays africains continuent de sous-investir dans l’enseignement public, afin de faire face aux urgences liées au climat et aux crises dérivant des conflits, mais cela est également dû à des décisions politiques et à des choix économiques. De nombreux gouvernements africains appliquent des mesures d’austérité régressives pour pouvoir faire face au service et au remboursement de leur dette. Quinze pays consacrent davantage de ressources au service de leur dette qu’à l’éducation de leurs enfants, ce qui conduit à des réductions drastiques des revenus des enseignants, à des pénuries de fournitures scolaires et à des salles de classe surpeuplées. Les gouvernements et institutions qui leur prêtent des fonds devraient envisager une restructuration ou un abandon de la dette, afin d’assurer que les gouvernements débiteurs puissent protéger les droits de manière adéquate, y compris le droit à l’éducation.
Dans une évolution positive, la Sierra Leone co-préside actuellement une initiative au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU visant à rédiger une version actualisée connue sous le nom de protocole facultatif de la Convention des droits de l’enfant, avec pour but de reconnaître que chaque enfant a droit à la protection et à l’éducation de la petite enfance et de garantir que les États rendent accessibles à tous et gratuits les cycles d’enseignement publics élémentaire et secondaire. L’Afrique du Sud, le Botswana, le Burundi, la Gambie, le Ghana, le Malawi et le Soudan du Sud ont exprimé publiquement leur soutien à ce processus.
« Les gouvernements africains devraient honorer d’urgence leurs promesses de garantir un accès universel à une éducation de qualité et gratuite aux niveaux primaire et secondaire », a conclu Mausi Segun. « Les gouvernements devraient se concentrer sur la nécessité de protéger les dépenses publiques destinées à l’éducation de toute mesure régressive de réduction et allouer à l’éducation des ressources compatibles avec leurs obligations de garantir l’accès à un enseignement public de qualité. »
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