La dernière folie anglo-saxonne, parfaite représentation de la négligence
qui se drape dans la "vérité scientifique" - la plus haute distinction de
notre époque -, réside dans la dernière ligne qui scelle la dernière
recherche de l'université de Harvard : "La solitude tue". C'est ce
qu'affirme le directeur de l'enquête, Robert Waldinger, qui s'est donné,
avec ses collègues, la très humble mission de "découvrir ce qui conduit
vraiment à une vie heureuse".
La dernière folie anglo-saxonne, parfaite représentation de la négligence qui se drape dans la "vérité scientifique" - la plus haute distinction de notre époque -, réside dans la dernière ligne qui scelle la dernière recherche de l'université de Harvard : "La solitude tue". C'est ce qu'affirme le directeur de l'enquête, Robert Waldinger, qui s'est donné, avec ses collègues, la très humble mission de "découvrir ce qui conduit vraiment à une vie heureuse". Le Corriere della Sera s'en est fait l'écho en consacrant une chronique à cet ambitieux programme, le 27 février dernier. Le titre ? “L'amour et la santé sociale sont la recette d'une vie heureuse”.
Or, au-delà de la banalité ringarde de la réponse, ce qui frappe n'est pas seulement l'approbation enthousiaste du chroniqueur. Comme s'il fallait l'érudition prosaïque d'une blouse blanche pour répandre la nouvelle choquante que l'amour et la santé peuvent être bénéfiques à l'homme.
Ce qui est le plus frappant, c'est le contrepoint de la nouvelle, le sujet qui est utilisé comme exemple d'une pratique néfaste et annonciatrice, à l'évidence, de malheur : la solitude. Il ne s'agit pas ici de se poser en défenseur du silence, de l'exercice difficile et nécessaire de vivre seul avec soi-même, même si la tentation est forte. Au contraire, les recherches susmentionnées confirment une fois de plus ce que Paul Valéry écrivait il y a un peu plus de cinquante ans, avec une prodigieuse habileté prophétique.
Partout pétille et agit la critique des idéaux qui ont donné à l'intelligence le plaisir et l'occasion de les critiquer. Conséquence inattendue de ses pensées les plus fortes, l'homme peut redevenir le barbare d'une nouvelle espèce. (...) les conquêtes de la science positive nous conduisent ou nous ramènent à un état de barbarie qui, quelque laborieux et rigoureux qu'il soit, serait encore plus redoutable que l'ancienne barbarie, précisément parce qu'il est plus exact, plus uniforme et infiniment plus puissant. Nous reviendrions ainsi à l'ère du fait, mais du fait scientifique
(Paul Valéry, Introduction aux Lettres persanes de Montesquieu, Gallimard, 1957)
Comment ne pas entendre dans ces mots ; "Critique des idéaux qui ont donné à l'intelligence le plaisir et l'occasion de les critiquer", une assonance avec les invectives de Harvard University contre la solitude ? N'est-ce pas de la solitude, de la méditation profonde et ardue avec son moi intérieur, que la civilisation a accouché de ses œuvres les plus fécondes, traversant des siècles d'histoire et arrivant jusqu'à nos mains ingrates ? Alors qu'aujourd'hui, avec la marque sûre de la vérité scientifique, de la connaissance exacte d'une recherche, avec seulement trois mots, des siècles de production écrite et orale qui ont fait de cette solitude une fidèle complice sont privés de sens. Parce que la solitude "fait mal". Et c'est pour cette raison qu'elle doit être condamnée.
Mais, à l'instar de la solitude, le bonheur semble voué à une usurpation identique. Car, dès que l'on creuse sous la surface d'un lieu commun, on est obligé de se demander : à quoi pensent les professeurs de Harvard lorsqu'ils utilisent nonchalamment le substantif "bonheur" ? Une sorte d'indolence, une ataraxie à l'arrière-goût épicurien ? Une volupté corporelle ? Un état d'immobilité impassible ?
Le "bonheur" auquel pensent les savants experts en question n'est autre que le "bonheur" que promet toute publicité télévisée, ici perfidement dissimulé sous les habits plus nobles de la "recherche scientifique". Tous deux suggèrent implicitement que l'acmé du bonheur humain peut être acheté ou obtenu par des moyens simples, souvent (comme par hasard) de nature économique. Tous deux sacrifient l'étude approfondie sur l'autel des slogans. Heureusement, à une époque où le silence et la solitude sont des lieux proches de l'utopie, heureusement qu'il y a la science pour nous rappeler que nous sommes "heureux". Nous avons failli pleurer.
Francesco Bercic Lire l’article original en italien dans la revue Charta Sporca https://www.chartasporca.it/in-difesa-della-solitudine/
Trieste, automne 2010. Les étudiants toujours gênants de l'Université sont en fibrillation à cause de la réforme Gelmini et des énièmes coupes dans le système académique prévues. En signe de protestation, ils occupent les départements de Physique et d'Histoire, organisent des cortèges dans les rues du centre-ville et conférence après conférence pour tenter de convaincre ceux qui doutent que réduire l'éducation était un choix à courte vue, surtout dans un pays où l'analphabétisme revient – sans parler du match aller – fait plus de victimes que la télévision. Mais tout cela, comme c'était (peut-être) prévisible, n'a pas réussi à bloquer ce que, obstinément, on a continué à appeler pompeusement "réforme".
La contestation n'a pas réussi à stopper la loi Gelmini, c'est vrai, mais dans les longues nuits passées dans les départements occupés, dans le froid d'un sac de couchage et le chauffage qui fonctionnait par à-coups, quelque chose d'autre est né. Les amitiés, les amours et, plus généralement, les liens humains reposaient sur un amalgame d'idées et d'idéaux différents, mais avec une constante commune : la nécessité de faire vivre une société différente, dans laquelle la culture (une culture critique de l'information que nous avons trop souvent habiter d'un regard endormi) n'était pas reléguée aux marges mais prenait forme dans les actes quotidiens.
Parmi les étudiants qui ont occupé le département d'histoire pendant des mois, une vingtaine d'entre eux ont décidé de se lancer dans l'idée folle de fonder un périodique culturel, dont le nom - Charta Sporca - a été emprunté à un poème de Pier Paolo Pasolini.
Ce livre raconte l’exploration d’une terre inconnue, la nôtre. À la suite
des voyageurs de la Renaissance partis cartographier les terra incognita du
Nouveau Monde, nous entreprenons, cinq siècles plus tard, de découvrir une
autre Terre, ou plutôt de redécouvrir autrement celle que nous croyons si
bien connaître. Mais nous ne sommes plus au temps des Grandes Découvertes.
Notre voyage se fera vers l’intérieur et non vers les lointains, en
épaisseur plutôt qu’en étendue. Un formidable exercice à trois voix de
géographie alternative, conceptuelle et visuelle, pour inventer une
nouvelle manière de cartographier le monde, mobile et vivant.
Un formidable exercice à trois voix de géographie alternative, conceptuelle et visuelle, pour inventer une nouvelle manière de cartographier le monde, mobile et vivant.
Ce livre raconte l’exploration d’une terre inconnue, la nôtre. À la suite des voyageurs de la Renaissance partis cartographier les terra incognita du Nouveau Monde, nous entreprenons, cinq siècles plus tard, de découvrir une autre Terre, ou plutôt de redécouvrir autrement celle que nous croyons si bien connaître. Mais nous ne sommes plus au temps des Grandes Découvertes. Notre voyage se fera vers l’intérieur et non vers les lointains, en épaisseur plutôt qu’en étendue. S’il revient aux cosmographes d’avoir élargi l’horizon, fait de la cartographie un art associant le mouvement et la trace, notre quête s’est en quelque sorte inversée : nous avons changé de cap, passant de la ligne d’horizon à l’épaisseur du sol, du global au local. Nous avons aussi changé d’allure, de posture, de ton. Aux passions scientifiques de la curiosité et de la découverte se sont substituées la nécessité et l’urgence.Le sentiment d’un monde illimité à conquérir – le Plus Ultra de Charles Quint, des explorateurs et de Francis Bacon – est remplacé par la conscience croissante des « limites planétaires ». L’innocence des premiers voyageurs est perdue : nous savons désormais que les expéditions sont mortelles. Nous savons à quelles conquêtes et prises de terres elles ont conduit. Mais il ne s’agit pas de se complaire dans les ruines ou d’abandonner la tâche de découvrir. À lire les chercheurs, éthologues et ethnologues,géochimistes et biologistes qui ne cessent de repeupler notre monde, d’en mettre en lumière de nouvelles dimensions, il semble que nous soyons beaucoup plus nombreux et beaucoup plus divers que nous le pensions, et que les limites du monde ne soient pas celles que nous connaissions. Prenons par exemple le sol sur lequel nous habitons sans savoir de quoi il est fait, de quoi il est peuplé. Depuis quelques décennies, l’action des animés, des roches, des paysages interroge nos anciennes façons de considérer les territoires et d’agir sur eux ; on ne peut plus ignorer l’action de la Terre en réaction à nos propres activités, qui se manifeste avec de plus en plus de véhémence et de rapidité. Comment habiter ce monde fait d’autres vies que les nôtres, cette Terre réactive ? Les cartes telles que nous les connaissons disent un rapport à l’espace vidé de ses vivants, un espace disponible, que l’on peut conquérir et coloniser. Il nous fallait donc pour commencer tenter de repeupler les cartes. Nous avons pour ce faire déplacé l’objet de la notation en tentant de dessiner non plus les sols sans les vivants, mais les vivants dans le sol, les vivants du sol, en tant qu’ils le constituent. Cette cartographie du vivant tente de noter les vivants et leurs traces, de générer des cartes à partir des corps plutôt qu’à partir des reliefs, frontières et limites d’un territoire.
Pour ce magnifique ouvrage finement et abondamment illustré, publié en 2019 aux éditions B42 (dont la passionnante aventure en matière d’urbanisme et d’architecturepolitiques nous enchante depuis de nombreuses années – souvenons-nous par exemple de leur magnifique « Lieux infinis – Construire des bâtiments ou des lieux ? » de 2018), la philosophe Frédérique Aït-Touati (qui se définit aussi, logiquement, comme historienne des sciences – on songera à son si précieux « Contes de la Lune – Essai sur la fiction et la science modernes » de 2011, par exemple – et comme metteure en scène de théâtre – on vous parlera prochainement sur ce même blog de sa « Trilogie terrestre » créée avec le si regretté Bruno Latour) a collaboré avec deux architectes dédiées au paysage et à la stratégie territoriale, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire. Comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage (« Manuel de cartographies potentielles »), elles sont ici « réunies autour d’une fascination commune pour la capacité des cartes à déployer des mondes », pour nous proposer une intense réflexion et un défrichage conceptuel, visuel (naturellement) et technique autour des possibilités désormais offertes, à qui voudrait enfin les saisir, de penser autrement nos cartographies d’un monde qui ne soit plus figé et offert au mieux capitalisé, mais mobile, vivant et radicalement soucieux d’altérité.
Depuis quelques années, un nouveau type de cartes semble réagir justement à l’activité des acteurs : les cartes GPS. Notre pensée de l’espace et du mouvement a été profondément modifiée par l’apparition de cet outil qui localise les positions d’un point sur un fond de carte fixe grâce à plusieurs satellites en orbite. Le GPS trace l’activité des acteurs, capte les déplacements des vivants sur une carte prédéfinie, leur permet de se repérer dans l’espace. Chacun peut ainsi générer son propre tracé, son propre chemin, naviguer à l’intérieur d’un espace dont les paramètres sont déterminés a priori. Ces cartes n’ont plus grand-chose à voir avec la fabrication des cartes anciennes qui se dessinaient essentiellement en parcourant soi-même le terrain ou bien en écoutant le récit des autres revenant de voyage. Les satellites offrent de la précision dans la géodésie, ils renseignent le contour des lignes, signalent les évolutions, révèlent les métamorphoses des territoires. Ils perdent cependant en récit, en assemblage d’histoires contées, en multiplicité des personnes et des narrateurs qui permettaient à la carte d’être une synthèse, d’être unique et multiple à la fois. Pourrions-nous, tout en gardant cette formidable transformation dans l’appréhension des cartes – par le vivant et non plus par une situation fixe -, inventer l’outil qui nous permettrait non seulement de suivre les trajectoires des vivants, mais aussi de comprendre comment ceux-ci façonnent les espaces, les engendrent sans cesse ? Car les vivants font bien plus que se déplacer ; ils manipulent l’air et la matière pour créer les conditions de leur survie, parfois en coopération avec d’autres vivants qui ont besoin de conditions similaires ou complémentaires, parfois en désaccord avec d’autres collectifs, voire de façon contre-productive et autodestructrice dans le cas de l’homme et de la pollution qu’il génère. Dans ce GPS d’un nouveau genre, ce sont les points vivants qui créent l’espace, définissent leurs propres paramètres, engendrent la carte. Le statut de la carte en est modifié : elle n’est plus un dessin fixe mais un état provisoire du monde, un outil de travail en évolution, constamment fabriqué par les vivants. Le statut de l’espace en est modifié : il n’est plus simple contenant, mais milieu vivant, vibratile, composé des mille superpositions et actions qui nous entourent, constamment et indéfiniment produit par les mouvements et les perceptions de ceux qui le font.
Portées par le souffle des mutations de la cartographie, pas tant dans la technologie, finalement, que dans l’esprit et la substance (toujours plus systémique), il s’agit bien pour elles de porter les indispensables changements de référentiels et de systèmes de mesures. « C’est le point de vue qui terraforme les localités du globe, mais il ne le fait pas seul » : en passant minutieusement en revue (par une saisissante interaction du texte et du dessin) ces mutations en cours pouvant être étendues et généralisées, mobilisant aussi bien les travaux des géographes de métier, bien entendu, que ceux, plus hybrides et transversaux, d’Anna Tsing, de Donna Haraway ou de Francesco Careri, parmi bien d’autres, elles ouvrent aussi (ce qui ne nous surprend pas et nous réjouit) des espaces d’interaction avec la poésie et avec la fiction. « De la peau au territoire-monde, la carte est accompagnée d’une série de coupes qui établissent des liens directs et transversaux entre la physiologie biologique et la physiologie du territoire » : Philippe Vasset (avec son « Livre blanc » comme avec sa « Conjuration ») est fort logiquement directement cité, mais on pourrait aisément capter en filigrane les présences de Gary Snyder et de ses bassins versants (« Le sens des lieux »), d’Emmanuel Ruben et de ses frontières archipélagiques (avec « Sous les serpents du ciel » comme avec « Terminus Schengen »), d’Albert Sanchez Piñol et de ses frontières pyrénéennes à la brume fantasmagorique (« Fungus – Le roi des Pyrénées »), de Catherine Leroux et de ses espaces fluvio-sylvestres réinventés dans les friches et les déchetteries (« L’avenir »), de luvan et de ses « Splines » ultra-mémorielles, voire de Malvina Majoux et de ses taupes anarchisantes (on trouvera en effet ici, entre autres merveilles, un « synopsis de la création d’un paysage entre un agent commercial, une taupe et un micro-organisme »). On trouvera aussi, sous forme de cas d’école particulièrement savoureux d’une médication obsolète, la « ventouse », ou « mise sous cloche d’un territoire pour exploitation des ressources », et c’est ainsi que les trois autrices, avec rigueur et imagination, rendent aussi un formidable et paradoxal hommage à Yves Lacoste, en démontrant avec éclat que la géographie peut ne pas d’abord servir à faire la guerre (économique ou non).
Quel est ce nouveau centre configurateur ? Depuis quelle perspective, ou point de vue, définir notre territoire ? Après avoir abandonné le point de vue de Sirius, ce point de vue aérien, en surplomb et en apesanteur, globalisant une vision de la Terre, nous avons, avec le modèle Sol, tenté de retrouver la pesanteur et la matière de la Terre, identifié ses dynamiques activées par les organismes vivant ou ayant vécu jadis à sa surface, aujourd’hui enfouis dans ses profondeurs. Le modèle Sol a révélé un espace plein (d’organismes vivants, d’objets qui font sujets, de mémoire et d’histoire) plutôt que vide ; il a donné à voir une matière vibratile sans cesse recomposéepar chaque mouvement plutôt qu’une surface dégagée à parcourir (ou à conquérir). Il ne nous reste donc plus qu’à réinvestir un point de vue terrien. Le deuxième modèle est une tentative pour représenter le monde à partir d’un corps animé, point vif ou « point de vie », selon la belle formule d’Emanuele Coccia, pour tenter d’esquisser une carte des espaces-corps actifs – pas d’espace sans corps ni de corps sans espace. Le point de vie se présente alors comme un questionnement du point GPS que l’on a désormais pris l’habitude de voir se déplacer sur la carte. Mais que cache ce point positionné à l’aide d’un système globalisé ? De quoi est-il en réalité composé ? Comment s’ancre-t-il au sol ? Comment se déplace-t-il ? Ces questions sont explorées dans ce modèle et le suivant, Paysages vivants. De telles cartes supposent de dessiner ces animés, leurs mouvements, traces, rythmes, affects – autant de qualités que l’on nommait autrefois « secondes », ce qui permettait de les effacer de la carte, de les écarter du projet moderne de mathématisation du monde et de localisation par l’étendue. De fait, les entités du monde vivant qui sont représentées dans les cartes perdent un grand nombre de leurs caractéristiques, notamment le potentiel de croissance. Dans les cartes, les objets sont mesurés une fois pour toutes. Ainsi naît le standard : l’objet dessiné sur papier va être reproduit sans altération, avec les mêmes mesures. A contrario, l’approche choisie ici s’intéresse au vivant et lui donne priorité. Nous avons tenté dans les cartographies qui suivent de réimporter dans les représentations les dimensions potentielles supprimées.
Hugues Charybde le 17/01/2023 Frédérique Aït-Touati , Alexandra Arenes , Axelle Grégoire - Terra Forma, Manuel de cartographies potentielles - éditions B42 l’acheter chez Charybde ici
Les pouvoirs qui semblent guider et utiliser le développement technologique
à leurs fins sont en fait plus ou moins inconsciemment guidés par celui-ci.
Tant les régimes les plus totalitaires que les régimes dits démocratiques
partagent cette incapacité à gouverner la technologie à un point tel qu'ils
finissent par se transformer presque par inadvertance dans le sens requis
par les technologies mêmes qu'ils pensaient utiliser à leurs propres fins.
Certains des esprits les plus brillants du XXe siècle se sont accordés pour identifier le défi politique de notre époque comme étant la capacité à gouverner le développement technologique. La question décisive", a-t-on écrit, "est aujourd'hui de savoir comment un système politique, quel qu'il soit, peut être adapté à l'ère de la technologie. Je ne connais pas la réponse à cette question. Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse de la "démocratie". D'autres ont comparé la maîtrise de la technologie à l'entreprise d'un nouvel Hercule : "ceux qui parviendront à maîtriser une technologie qui a échappé à tout contrôle et à l'ordonner de manière concrète auront répondu aux problèmes du présent bien plus que ceux qui tenteront de se poser sur la lune ou sur Mars avec les moyens de la technologie".
Le fait est que les pouvoirs qui semblent guider et utiliser le développement technologique à leurs fins sont en fait plus ou moins inconsciemment guidés par celui-ci. Tant les régimes les plus totalitaires, comme le fascisme et le bolchevisme, que les régimes dits démocratiques partagent cette incapacité à gouverner la technologie à un point tel qu'ils finissent par se transformer presque par inadvertance dans le sens requis par les technologies mêmes qu'ils pensaient utiliser à leurs propres fins.
Un scientifique qui a donné une nouvelle formulation à la théorie de l'évolution, Lodewijk Bolk, voyait ainsi l'hypertrophie du développement technologique comme un danger mortel pour la survie de l'espèce humaine. Le développement croissant des technologies tant scientifiques que sociales produit, en effet, une véritable inhibition de la vitalité, de sorte que "plus l'humanité avance sur la voie de la technologie, plus elle se rapproche de ce point fatal où le progrès sera synonyme de destruction". Et il n'est certainement pas dans la nature de l'homme de s'arrêter face à cela". Un exemple instructif est fourni par la technologie des armes, qui a produit des dispositifs dont l'utilisation implique la destruction de la vie sur terre - donc aussi de ceux qui en disposent et qui, comme nous le voyons aujourd'hui, continuent néanmoins à menacer de les utiliser.
Il est donc possible que l'incapacité à gouverner la technologie soit inscrite dans le concept même de "gouvernement", c'est-à-dire dans l'idée que la politique est par nature cybernétique, c'est-à-dire l'art de "gouverner" (kybernes est en grec le pilote du navire) la vie des êtres humains et leurs biens. La technique ne peut être gouvernée car elle est la forme même de la gouvernementalité. Ce qui a été traditionnellement interprété - depuis la scolastique jusqu'à Spengler - comme la nature essentiellement instrumentale de la technologie trahit l'instrumentalité inhérente à notre conception de la politique. L'idée que l'instrument technologique est quelque chose qui, fonctionnant selon sa propre finalité, peut être utilisé pour les besoins d'un agent extérieur est ici décisive. Comme le montre l'exemple de la hache, qui coupe en vertu de son tranchant, mais qui est utilisée par le menuisier pour fabriquer une table, l'instrument technique ne peut servir la fin d'un autre que dans la mesure où il atteint la sienne. Cela signifie, en dernière instance - comme on le voit dans les dispositifs technologiques les plus avancés - que la technologie réalise sa propre fin en servant apparemment la fin d'autrui. Dans le même sens, la politique, comprise comme oikonomia et gouvernement, est cette opération qui réalise une fin qui semble la transcender, mais qui lui est en réalité immanente. La politique et la technique sont identifiées, c'est-à-dire sans résidu, et un contrôle politique de la technique ne sera possible que si nous abandonnons notre conception instrumentale, c'est-à-dire gouvernementale, de la politique.
On pourrait dire qu'il y a eu une inversion des rôles, la droite embrassant
le surréalisme de l'Internet tandis que la gauche avance dans le désarroi.
Cependant, il s'agit d'une illusion. La droite ne fait qu'agir à sa manière
caractéristique et tente continuellement d'affirmer sa domination sur la
forme chaotique des mèmes (comme nous l'avons vu lorsque Trump a fait
sienne l'image de Pepe the Frog, une bande dessinée qui, à l'époque, avait
déjà été revendiquée par l'extrême droite). La gauche, en revanche, devrait
s'abandonner à l'imprévisibilité de la culture des mèmes et la faire sienne
en tant que promotion exemplaire de la pensée non identitaire, dans un
désir de mettre fin aux dommages causés par les catégorisations en termes
de race, de genre, de sexualité et de classe sociale.
On pourrait dire qu'il y a eu une inversion des rôles, la droite embrassant le surréalisme de l'Internet tandis que la gauche avance dans le désarroi. Cependant, il s'agit d'une illusion. La droite ne fait qu'agir à sa manière caractéristique et tente continuellement d'affirmer sa domination sur la forme chaotique des mèmes (comme nous l'avons vu lorsque Trump a fait sienne l'image de Pepe the Frog, une bande dessinée qui, à l'époque, avait déjà été revendiquée par l'extrême droite). La gauche, en revanche, devrait s'abandonner à l'imprévisibilité de la culture des mèmes et la faire sienne en tant que promotion exemplaire de la pensée non identitaire, dans un désir de mettre fin aux dommages causés par les catégorisations en termes de race, de genre, de sexualité et de classe sociale.
Que des gens épris de mèmes de droite alternative aient potentiellement aidé Donald Trump à remporter la présidence en 2016 est un fait bien documenté, mais pas nécessairement prouvé. Ce que nous savons avec certitude, c'est que la liberté offerte par Internet en tant que plate-forme de publication a permis à une forme pernicieuse d'imagerie de droite de se répandre dans le monde, devenant un appel à l'action pour les extrémistes de droite, comme nous l'avons vu à Charlottesville et pendant la prise du Capitole le 6 janvier 2021.
Il est possible que, au moins en partie, Trump soit ce qui se passe lorsque des solitaires comiquement fous commencent à créer des mèmes dans leurs chambres. Les conséquences, cependant, ont été mortelles. On aurait pu dire la même chose de la coalition de Conte avec les populistes de droite Salvini et Di Maio qui a vu le jour en 2018, alors que je vivais à Rome et que j'écrivais Pourquoi la gauche n'apprend-elle pas à utiliser le mème ?
La Lega de Salvini et le Movimento 5 Stelle de Di Maio se sont tous deux imposés comme des voix importantes dans le paysage politique national suite à leur utilisation des médias sociaux pour diffuser des messages populistes, qui à première vue étaient pour la plupart inoffensifs. Cependant, le fait que Salvini publie sans cesse des messages basés sur la rhétorique anti-immigration ainsi que des posts dans lesquels il déclare sa passion pour la cuisine étrangère ("Dîner chinois qui met l'eau à la bouche" ou "Et maintenant je mange un bon kebab..." ) a mis en lumière les dessous sombres de l'Italie, où coexistent une xénophilie superficielle et une xénophobie profondément enracinée, avec souvent des conséquences tragiques pour les migrants cherchant refuge dans ce pays.
https://www.facebook.com/matgrarelab
À ce moment-là, il m'avait semblé que la meilleure réponse au nationalisme, à la xénophobie et au populisme masculinisé n'était peut-être pas la diffusion de mèmes d'extrême gauche mettant en scène le marteau et la faucille, des portraits de Staline et des guillotines (bien qu'entre-temps, de nombreux créateurs de mèmes ont suivi exactement ce modèle). Je me suis plutôt plongé dans l'abstraction du paysage des nouveaux médias et j'ai suivi les traces des milléniaux qui refusent de céder au cynisme mais le regardent plutôt droit dans les yeux et tentent de le surpasser en bizarrerie (comme, par exemple, dans le cas du mouvement en ligne Vaporwave et de la série YouTube Don't Hug Me I'm Scared). Ce faisant, j'ai proposé une alternative à l'approche droitière de Steve Bannon et à la psychologie conservatrice de Jordan Peterson, et à leur volonté de capter les jeunes générations perdues en mettant l'accent sur le retour à l'ordre et le rejet des acquis progressistes qui ont s'est déroulée en Occident depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette alternative s'est accommodée de la nature indomptable d'Internet sans chercher à lui imposer de limites. La seule façon de se frayer un chemin dans le chaos de notre temps - un chaos si indigeste surtout pour cet hystérique de Jordan Peterson - était, et continue d'être, de l'accueillir et de le rendre artistiquement. L'œuvre d'art qui en résulte, comme le dit Adorno, servira d'objet de réflexion capable de suspendre la fausse logique binaire entre sujet et objet qui sous-tend la tendance au sectarisme, au contrôle et à la domination dans la sphère politique.
Le problème de cette formulation réside dans le fait que, de nos jours, le monde de l'art s'est transformé en marché à tel point que l'idée d'une œuvre d'art capable d'exister en dehors du système de contrôle capitaliste semble impossible à concevoir. Avec cette question à l'esprit, et après avoir travaillé pendant cinq ans comme critique d'art contemporain et conservateur en Italie, j'ai écrit Pourquoi la gauche n'apprend-elle pas à utiliser le mème ? commeune tentatived'élaborer une pratique créative en ligne qui pourrait combler les lacunes de l'art contemporain. Comme je l'ai écrit, l'espoir était que l'activité en ligne puisse mettre l'abstraction artistique au service d'une dissection du capitalisme et de son incarnation la plus récente, à savoir le populisme de droite.
Et pourtant, est-il vraiment possible d'espérer relever les défis de notre temps avec les mèmes ? A cette question, j'ai envie de répondre que les problèmes auxquels nous sommes confrontés – y compris la catastrophe climatique, la xénophobie, la guerre et la crise économique – sont tous le résultat des limites de la pensée humaine et de ce qu'Adorno aurait appelé la « pensée mondiale ». , comme discuté dans ce volume. En termes simples, notre désir d'identifier et de contrôler la nature afin d'éviter sa menace continuera à produire des conflits et une dégradation de l'environnement jusqu'à ce que nous continuions à n'avoir aucun moyen de l'atténuer. L'œuvre d'art abstraite permet un type de pensée non identitaire dans lequel notre conflit avec le monde extérieur est temporairement suspendu.
D'après les récentes campagnes électorales, il semble que la gauche ait essayé de suivre le succès de la droite en matière de mèmes. Ces dernières années, le mouvement Corbyn et le Parti démocrate ont tenté de créer une dynamique via des campagnes sur les réseaux sociaux. Lors des élections britanniques de 2019, Momentum (une organisation de campagne soutenant les travaillistes) a développé un forum en ligne centralisé invitant les sympathisants travaillistes à télécharger des mèmes vidéo faits maison pour tweeter en réponse à des thèmes et des hashtags coordonnés. Plus récemment, lors des élections de 2022 en Italie, le Parti démocrate a lancé la campagne électorale "rouge et noir" qui présentait deux options clairement binaires parmi lesquelles choisir. Le "bon" choix, aligné à gauche, se superposait sur fond rouge à côté d'un gros plan d'Enrico Letta, tandis que le mauvais choix de droite se superposait sur fond noir : avec Poutine ou avec l'Europe, travail peu rémunéré ou syndicat minimum, etc. Il semble plausible que la campagne originale ait été conçue précisément pour devenir virale et être modifiée de manière imprévisible en cours de route. L'échec des deux campagnes était peut-être inévitable. Les mèmes ne peuvent pas être orchestrés, mais doivent plutôt se développer de manière organique. En cas de suspicion d'orchestration, le message original est souvent déraillé, comme on le voit dans le cas du mème "rouge et noir", qui est devenu farfelu au lieu d'exprimer un message politique incisif. tandis que le mauvais choix de droite se superposait sur un fond noir : avec Poutine ou avec l'Europe, travail peu rémunéré ou syndicat minimum, etc. Il semble plausible que la campagne originale ait été conçue précisément pour devenir virale et être modifiée de manière imprévisible en cours de route. L'échec des deux campagnes était peut-être inévitable. Les mèmes ne peuvent pas être orchestrés, mais doivent plutôt se développer de manière organique. En cas de suspicion d'orchestration, le message original est souvent déraillé, comme on le voit dans le cas du mème "rouge et noir", qui est devenu farfelu au lieu d'exprimer un message politique incisif.
En revanche, le cas de Giorgia Meloni est exemplaire de la manière dont la droite profite des caprices de la culture des mèmes. En 2019, le discours anti-LGBTQ de Meloni "Io sono Giorgia" a été mixé sur un morceau de danse. Comme Barile l'explique :
"Les gens ont commencé à mélanger le discours prononcé lors d'un meeting à Rome par Giorgia Meloni, une politicienne populiste de droite, dans lequel elle déclarait "Je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne", dans ce qu'on pourrait lire comme un soutien simultané confus à la fois des femmes (en tant que genre) et des valeurs familiales traditionnelles » (Barile 2022).
Peut-être que l'effet recherché était de rendre comique le discours de Giorgia Meloni, mais en fait l'intention importe peu car la tendance de la droite à exercer un contrôle se traduit par le fait que ses politiciens sont simplement capables de surfer sur la vague des mèmes, puis d'augmenter la dose de leur rhétorique moralisatrice, sûrs du fait que le monde a les yeux rivés sur eux. Cependant, ces politiciens ne prendront jamais le contrôle complet de la sphère chaotique de l'existence et il est inévitable que leur désir de réaliser l'impossible de ce point de vue ne conduise qu'à des tentatives hystériques constantes pour y parvenir. Après tout, la déclaration de Meloni "Je suis Giorgia…" est un exemple par excellence de la manière de droite de penser l'identité. Meloni se sent si précaire qu'elle ressent le besoin de réitérer son nom, son sexe et sa religion, à haute voix et en public, comme si Dieu lui-même la regardait et avait besoin qu'on lui rappelle. De même, la vidéo postée sur TikTok à la veille de l'élection du 25 septembre, dans laquelle Meloni tient deux melons devant sa poitrine et dit "25 septembre, j'ai tout dit", est une manifestation vulgaire de son besoin d'affirmation de soi. en tant que femme et en tant que « Meloni ».
On pourrait dire qu'il y a eu une inversion des rôles, la droite embrassant le surréalisme de l'Internet tandis que la gauche avance dans le désarroi. Cependant, il s'agit d'une illusion. La droite ne fait qu'agir à sa manière caractéristique et tente continuellement d'affirmer sa domination sur la forme chaotique des mèmes (comme nous l'avons vu lorsque Trump a fait sienne l'image de Pepe the Frog, une bande dessinée qui, à l'époque, avait déjà été revendiquée par l'extrême droite). La gauche, en revanche, devrait s'abandonner à l'imprévisibilité de la culture des mèmes et la faire sienne en tant que promotion exemplaire de la pensée non identitaire, dans un désir de mettre fin aux dommages causés par les catégorisations en termes de race, de genre, de sexualité et de classe sociale.
Le désir de contrôle de Meloni est évident, par exemple, dans le nom du mouvement de jeunesse d'extrême droite qu'elle a personnellement fondé en 1998, à savoir Atreju : ce nom est en fait dérivé du protagoniste du film The Neverending Story, un enfant qui se bat pour arrêter la propagation du Néant avant qu'il n'engloutisse le monde de Fantasia (une métaphore claire de la lutte de l'humanité contre la nature et la mortalité). L'histoire sans fin est également une référence centrale dans le final de la troisième saison de Stranger Things. Comme je l'écris dans le deuxième chapitre de Pourquoi la gauche n'apprend-elle pas à utiliser le mème ? , la chanson thème de The Neverending Story est utilisée pour marquer un tournant dans la bataille entre les garçons Hawkins et le Mind Flayer, un monstre créé par une expérience de l'armée américaine qui a mal tourné :
"Alors que dans le feu de l'action contre le Mind Flayer, Dustin chante depuis la tour de radio de fortune le thème du film fantastique des années 1980 Never Ending Story à la fille dont il est amoureux, on nous rappelle que pour Adorno, comme pour Marx, la révolution n'a pas de fin, et que seule la révolution des obstinés créatifs pourra prospérer, si nous restons ensemble " (ibid. p. 55).
La chanson, diffusée à la radio dans tout Hawkins et entendue par les protagonistes assiégés au milieu de la bataille, leur donne courage et force et les guide vers la victoire sur le Mind Flayer.
Au moment où j'écris cette préface, Giorgia Meloni forme un nouveau gouvernement en Italie après que son parti populiste de droite Fratelli d'Italia ait remporté une victoire écrasante sur la gauche. Pour prospérer, la gauche a désormais besoin de toutes les ressources créatives dont elle dispose, tant sur les places publiques qu'en ligne, par des moyens à la fois directs et ésotériques. Elle doit avant tout accepter la diversité et l'incertitude, qui sont inhérentes à la nature, plutôt que d'essayer de les vaincre.
Mike Watson : Pourquoi la gauche n'apprend-elle pas à utiliser le mème ? Adorno, jeux vidéo et Stranger Things , Meltemi 2022
Mike Watson est commissaire d'exposition, critique d'art et théoricien de l'art et des médias. D'origine britannique, il réside actuellement en Finlande. Docteur en philosophie au Goldsmiths College de Londres, il écrit régulièrement pour des magazines tels que « ArtReview », « Artforum », « Jacobin » et « Radical Philosophy ».
La “révolution globotique” est une transformation majeure qui découle de la
convergence de deux forces puissantes : la globalisation et la robotique.
Ce projet passera comme un feu de steppe sur l'ensemble du secteur
tertiaire. Après les cols bleus, ce sont les cols blancs qui disparaîtront,
entraînant l’érosion du consensus social qui a permis aux pays occidentaux
de traverser sans s’effondrer totalement leur période de
désindustrialisation. Richard Baldwin, qui est loin d’être un
anticapitaliste, plaide pour un ralentissement par les états de ce
processus implacable, seul moyen à ses yeux d’éviter une désagrégation de
la société à l’issue politique incertaine.
Sous-titré "La mondialisation, la robotique et l'avenir du travail", le livre de Richard Baldwin annonce l’avènement de ce qu'il appelle la “révolution globotique”. Une transformation majeure en marche qui découle de la convergence de deux forces puissantes : la globalisation et la robotique, entendue ici comme l’irruption dans le monde du travail des programmes d’intelligence artificielle désormais conçus pour s’améliorer d’eux-mêmes sans intervention humaine, alliée à la possibilité de délocaliser encore plus massivement les emplois grâce au télétravail, qui mettra en concurrence directe les employés des pays développés avec des collègues du bout du monde, aux salaires beaucoup plus bas. Ce projet passera comme un feu de steppe sur l'ensemble du secteur tertiaire.
Les gagnants d'hier seront les perdants de demain. Après les cols bleus, ce seront les cols blancs qui disparaîtront, entraînant l’érosion du consensus social qui a permis aux pays occidentaux de traverser sans s’effondrer totalement leur période de désindustrialisation. S’annoncent donc des temps très difficiles. Richard Baldwin, qui est loin d’être un anticapitaliste, plaide pour un ralentissement par les états de ce processus implacable, seul moyen à ses yeux d’éviter une désagrégation de la société à l’issue politique incertaine.
Son texte ne vise pas la révolution commencée dans les années 90 et qui s'est déroulée dans les années zéro, lorsque le début de la mondialisation des biens et la décentralisation des processus de production qui ont commencé dans les années 70 ont produit un énorme impact sur les «cols bleus», ou plutôt sur les ouvriers d'usine. Au lieu de cela, il vise un nouveau cycle qui arrive et bouscule nos sociétés depuis quelques années : l'agression que les “robots cols blancs" produisent contre les travailleurs du savoir et des services qui avaient "gagné" dans la transformation précédente. Une agression qui a deux aspects strictement interconnectés et qui se renforcent mutuellement : d'une part, certains emplois, de plus en plus nombreux, pourront, et sont en fait, automatisés par des processus d'intelligence artificielle de plus en plus puissants d'un nouveau type.[2] ; d'autre part, de plus en plus de « télémigrants » » entreront en concurrence avec les fonctions de gestion et d'analyste de symboles que nous pensions à l'abri de la révolution technologique.
Une telle chose s'est souvent produite dans le passé et a toujours été surmontée. Mais pour l'économiste anglais "cette fois c'est différent". La raison en est qu’un désalignement radical arrive à une vitesse inattendue qui dépassera de loin la capacité normale du marché à trouver de nouveaux emplois de remplacement.
En bref, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la question se résolve d'elle-même, comme le récite un mantra obstinément répété religieusement [3] depuis des années. En fait, cela se produit déjà, et c'est l'une des raisons les plus profondes des tensions sociales et politiques que nous avons sous nos pieds.
La raison de la tension n'est pas seulement l'appauvrissement tendanciel qu’annonce cette “révolution globotique”, mais aussi son côté immoral. Ce qui se passe, en particulier avec le "télétravail", est en fait une concurrence "sans vergogne et déloyale", comme le souligne l'auteur. Du point de vue du travailleur qui se trouve soudainement confronté à un «collègue» connecté par téléconférence à l'autre bout du monde (et qui, en fait, est en concurrence avec lui pour baisser son propre salaire), il n'y a pas de défense. En effet, ce collègue peut être compétent et formé, mais l'essentiel est qu'il n'est pas obligé de supporter les mêmes coûts de vie qu’un employé occidental. Il n'a pas à payer un loyer élevé, il n'a pas de restaurant en bas qui coûte l'équivalent d'une journée de travail, etc. Il n'habite pas au centre d'une grande ville, même s'il fait partie de la classe moyenne de son pays, cela implique des normes complètement différentes.
Il est tout à fait impossible (littéralement) pour un télétravailleur occidental d’être compétitif en matière salariale avec son collègue du bout du monde. Cette “révolution globotique” le rendra pauvre. Et cela va produire une délocalisation colossale de nos propres villes. Vivre dans les lieux centraux et denses, et donc plus chers, perd son principal avantage concurrentiel.
Et cela, Baldwin ne se fait aucune illusion, brisera complètement le consensus que les classes moyennes «réflexives» (dans lesquelles notre gauche et toute l'Europe se sont réfugiées) entretenaient avec le système. Pour cela, selon l'économiste libéral, il faut que les gouvernements agissent, ralentissent le processus et favorisent le remplacement des travailleurs et leur adaptation.
Comparée à celle de Brynjolfsson et McAfee [4], ou à celle de Cowen [5] ou Kaplan [6], la solution de Baldwin est plus centrée sur l'action publique et reconnaît qu'il faut ralentir cette révolution en cours. La question cruciale est, en fait, que le marché dans son ensemble pourra inventer de nouveaux emplois, mais il le fera toujours à un rythme plus lent que celui avec lequel il les détruit lui-même. La vérité est très simple : du point de vue de chaque acteur du marché, le gain est obtenu en détruisant le travail et non en le créant (c'est-à-dire fabriquer un produit avec le moins de travail possible, et au prix le plus bas possible, et remplacer ainsi le produit d'un concurrent en baissant son prix ou en attirant plus de capitaux). Et c’est maintenant possible comme jamais auparavant. Si l'on prête attention à la rhétorique dominante dans les cercles d'innovation, on ne trouve que des éloges enthousiastes pour le potentiel des technologies «destructrices» (au sens schumpétérien) et pour les schémas de désintermédiation.
D'un certain point de vue, la technologie, ou l'introduction de nouvelles technologies, a toujours conduit à des transformations. La chose a commencé en 1712 avec la machine de Newcomen appliquée aux mines, un bâtiment de trois étages qui consommait une quantité extraordinaire de charbon, mais qui éliminait des centaines de chevaux et permettait des fouilles plus profondes et plus sûres. Il y a une relation par nature entre l'innovation et l'industrialisation, et des secteurs industriels entiers et nouveaux se sont développés qui ont complètement remplacé le type de main-d'œuvre de l'époque. D'artisans hautement spécialisés, qui produisaient chaque pièce, nous sommes passés à des machines-outils qui les fabriquaient toutes de la même manière à un prix inférieur et en plus grande quantité. Ce processus a activé de très puissants effets d'attraction et d'expulsion. Au fil du temps et avec les tensions et les délocalisations nécessaires (même géographiquement, avec des zones urbaines entières qui ont explosé, comme Manchester, et d'autres qui ont décliné), l’accélération de la productivité a considérablement augmenté la production de biens. Dans les phases d'expansion, beaucoup plus de travailleurs (entre-temps expulsés des campagnes par les «enclos» et par les lois sur la pauvreté) se sont installés autour des industries. Mais en temps de crise, la recherche d'innovation pour réduire les coûts de main-d'œuvre et gagner en compétitivité face à une concurrence accrue les a expulsés, augmentant l'armée de réserve des chômeurs. A partir du premier voyage d’un paquebot, en 1819, et du renforcement des voies ferrées, un facteur de contact très puissant entre également en jeu. Il y a toujours eu du commerce depuis l'âge de pierre, mais l'échelle était extrêmement différente. Comme Baldwin le rappelle, dans tout le seizième siècle, seuls 3 000 navires européens sont allés en Asie, et le double au dix-septième. Compte tenu de la cargaison, elle était respectivement d'environ 3 et 6 millions de tonnes en un siècle. Pour donner une idée, rien qu'en 2017, 10 milliards de tonnes de marchandises ont été transportées par voie maritime.
La première mondialisation a commencé vers 1820, lorsque le prix du blé en Angleterre a commencé pour la première fois à être sensible aux fluctuations de l'offre et de la demande internationales. Mais ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que l'importation de denrées alimentaires est devenue un facteur décisif. Ce qui s'est passé alors, c'est que l'investissement a abandonné les secteurs en concurrence avec les importations pour se porter sur ceux qui exportaient. La même chose se produit à chaque fois.
Il est clair que Baldwin lit tous ces phénomènes sous le regard des libéraux et de la théorie économique néoclassique: «loi de Say», «théorie de l'avantage comparatif» et croissance axée sur l'innovation. Il valorise également le «capital cognitif» comme une forme d'investissement cruciale, car il n'est pas soumis à la «loi des rendements décroissants». Critiquer cette ligne nous mènerait loin, mais l'auteur lui-même reconnaît franchement dans ce livre que chaque changement entraîne une souffrance directement liée à sa rapidité. En fait, dans les modèles mathématiques et abstraits, il se peut très bien que les «ressources» libérées d'un secteur soient utilisées dans un autre, mais dans le monde cela ne se produit qu'en partie, lentement et normalement de manière moins efficace [8]. Les gens sont simplement abandonnés et obsolètes, les structures rouillent, les inégalités grandissent. Chaque phase de transformation accélérée est donc une phase de conflit aigu.
Autrement dit, le bouleversement de la vie d'un trop grand nombre de gens produit une réaction. La seconde partie du XIXe siècle en est un exemple évident, qui avait été anticipé en Angleterre par le mouvement luddite de destruction des machines (vers 1810) puis a explosé en connexion avec d’autres causes, comme la naissance de revendications nationales, dans toute l'Europe en 1848. La phase de croissance du désordre et de la désintégration a atteint son pic avec la crise de 1929, et a provoqué la réaction connue sous le nom de New Deal [9] (et toutes les versions similaires dans différents pays). La stabilisation de la situation a été provoquée par la croissance de la classe moyenne et une puissante ligne de contre-tendance qui a réduit les inégalités dans tous les pays centraux (les laissant élevées dans les pays périphériques).
Une autre phase de transformation s'est ouverte, dans notre histoire techno-centrique, suite à une nouvelle impulsion technologique dont la nature était pourtant très différente. Suivant une direction causale qui pourrait facilement être inversée (ce n'est pas la technologie qui remplace les armes, mais c'est la nécessité de le faire qui stimule cette direction de l'investissement technologique), la solide relation interne entre transformation post-industrielle (ou, pour pour le dire mieux, le redéploiement et la réorganisation industrielle) et les Technologies de l'Information et de la Communication. La chose s'accélère depuis le brevetage du premier ordinateur avec une puce (par Texas Instruments) et produit d'abord des effets sensibles dans l'automatisation des travaux industriels. Partant des emplois les plus dangereux [10] et faciles à normaliser, comme les départements de peinture ou de soudure, mais s'étendant lentement. A partir des années 90, dans de nombreuses usines l'ordre a été inversé, les machines-outils n’aidaient plus l'homme, mais d’autres machines qu'elles produisaient. Cette impulsion a engendré un chômage gigantesque de la classe ouvrière proprement dite, qui est passé en quelques années de 30% et plus de la population active à moins de 10% (le double en Allemagne). Pour être plus précis, cela a entraîné une réduction de la main-d'œuvre humaine dans les processus de production à forte intensité d'investissement et le redéploiement de processus à faible investissement vers des lieux et des circonstances où la main-d'œuvre était moins chère. Le producteur était mis en concurrence avec la machine et contraint à baisser ses revendications salariales ou à rester au chômage.
À l'inverse, le secteur des services a connu une expansion notable. Ici, la technologie est plus complémentaire et favorise une plus grande productivité du travail humain, sans le remplacer entièrement. En outre, cette transformation du mode de production était synchrone avec l'expansion de la mondialisation alors que le monde se réorganisait autour d’un système de gouvernance occidental, et avec l'expansion de l'organisation du réseau d'entreprise. Une désindustrialisation massive a suivi, qui a commencé dès les années 80 et s'est accélérée tout au long des années 90.
L'ensemble de ce processus s'est accompagné d'un transfert massif de connaissances et d'un ralentissement tout aussi important de la croissance à partir des années 1970. Ce ralentissement fait suite à une sorte de «vidage» du marché du travail américain, européen et japonais (qui dans les années 70 produisait 70% des biens industriels du monde). «Ce changement a favorisé les travailleurs aux extrêmes de l'échelle des compétences, alors qu'il a porté un coup sévère à ceux qui étaient placés dans les étapes intermédiaires» [11] et a provoqué une explosion des inégalités économiques.
Le point soulevé par le livre est que ce processus s'accélère encore et subit aujourd’hui une transformation qualitative. Nous sommes dans une autre «grande transformation» qui produira et en fait produit déjà une nouvelle réaction. Des phénomènes inattendus tels que le référendum sur le Brexit et l'élection de Trump en sont une expression.
Par essence, on passe de la croissance linéaire du développement technologique (et donc du déplacement relatif et du remplacement d'activités devenues obsolètes) à une tendance exponentielle. Une telle tendance nous surprend toujours car nous avons l'habitude de projeter la croissance passée sur le futur en nous référant à des courbes, un rythme, déjà connus. Seulement voilà, le numérique, schématisé par les lois de Moore [12] , Gilder [13] , Metcalfe [14] et Varian [15], suit plutôt une tendance de ce genre : il passe inaperçu, jusqu'à un certain point, puis soudainement explose. Pour résumer, le changement est beaucoup moins progressif. Il peut être brutal.
L'ensemble de ces poussées est visible dans le tournant, qui a lieu au milieu de la dernière décennie, de l'apprentissage automatique, qui représente un «deuxième bassin versant informatique». Les nouvelles Intelligences Artificielles (dites «machine learning», c’est à dire apprenant d’elles-mêmes) sont désormais capables de performances surprenantes, comme battre des joueurs de Go (un jeu chinois beaucoup plus complexe que les échecs) ou d’apprendre rapidement de nouvelles langues, sont à la base du fonctionnement des plateformes sociales, comme Facebook et les moteurs de recherche comme Google (en apprenant de plus en plus à gérer le contenu visant à induire en nous des comportements qui peuvent «vendre»). Mais ils servent également à créer des programmes "Auto Ml" (Machine Learning Automatisé) qui apprennent par eux-mêmes à concevoir des algorithmes d'apprentissage automatique. Pour économiser sur les coûts de développement, Google a en effet mis en place le projet de développer des programmes capables d'«apprendre» à concevoir tout seuls d'autres programmes d'apprentissage automatique et ainsi de suite. Le système se nourrira donc de lui-même. A l’infini et sans intervention humaine.
Quel est le but? Exactement le même chose que celui pour lequel la machine à filer automatique a été introduite dans les années 1700: pouvoir se passer des meilleurs et coûteux ouvriers, permettant à des ouvriers médiocres et donc abondants et bon marché de développer de nouvelles applications d'apprentissage automatique peu coûteuses et nombreuses, afin de envahissent des marchés potentiels qui sont actuellement inexplorés. C'est-à-dire étendre à tous les processus de production qui ont accumulé de grandes quantités de données mais qui sont inutiles sans un programme de dernière génération. Bref, ce projet passera comme un feu de steppe sur l'ensemble du secteur tertiaire.
Comment ça se passe? Les programmes sont essentiellement «formés» pour reconnaître les modèles dans les données et agir sur ce qu'ils trouvent et apprennent de l'expérience, en tirant parti des commentaires.
Mais il existe un autre puissant agent de changement. Il s'agit de l'extension des plateformes en ligne qui mettent en contact les travailleurs à distance et les opportunités d'emploi, les contrôlent et les soumettent à une sorte d'enchères, amenant substantiellement la concurrence salariale à un autre niveau pratique. Il n'est plus nécessaire d'émigrer pour être compétitif sur un autre marché du travail. Dans son livre précédent, " La grande convergence " [16], il était souligné comment la révolution de l'information avait mis à profit les concentrations de technologie et d'expertise dans les "villes globales" [17], pour diffuser les cycles de production dans les lieux de moindre résistance, en préservant ainsi un contrôle total, dans lequel le travail lui-même est séparé des systèmes de production locaux pour entrer, en tant que marchandise échangeable (véritable «force de travail» dans son abstraction complète), dans des chaînes d'approvisionnement organisées par quelques grands centres.
En déplaçant le travail sans déplacer la personne, une sorte de «télé-migration» peut être mise en œuvre. Les modèles sont «upwork», «task Rabbit», «Mechanical Turk», «Freelancer.com», «Craiglist» et ainsi de suite. Linkedin s'apprête également à entrer dans le secteur avec les services «ProFinder». Les Chinois bougent également, avec «Zhubajie» qui met en relation 16 millions d'indépendants avec 6 millions d'entreprises. L'Occident risque donc également de perdre son monopole technologique sur ce terrain crucial (la lutte pour la 5G y trouve également une de ses raisons).
L'idée est assez simple: à travers le contact et la généralisation du modèle d'enchères, il s'agit d'extraire la valeur qui était jusqu'ici capturée par la couche intermédiaire de connaissances expertes et de pratiques organisées qui ont guidé la différenciation progressive de la modernité vers à partir du XVIe siècle à nos jours (accélération notamment au XIXe siècle). Cette couche intermédiaire, formée par ce que nous appelons les «professions», a réduit l'incertitude par la spécialisation et a créé un dispositif social généralisé de nature disciplinaire. En effet, il a probablement été le principal facteur de stabilisation de la société pendant la longue tourmente induite par l'industrialisation et a créé ce que nous appelons la «classe moyenne», alimentant également sa polarisation géographique dans les centres urbains et les villes globales.
La technologie vraiment destructrice qui rendra ces plates-formes capables de perturber le monde du travail professionnel et managérial est la traduction simultanée automatique, associée à de nouvelles techniques et méthodes de conférence. La première est plus performante mois après mois, tandis que le second profite de techniques de visioconférence de plus en plus avancées et efficaces, jusqu'à la présence holographique, des choses comme «Holoportation» de Microsoft [18]. Mais aussi de véritables robots de télé-présence, capables de donner une expérience complètement différente d'immersion et d'interaction spatiale au «travailleur migrant» [19] .
En conclusion:
«Tout cela produit des effets de boule de neige. À mesure que le travail à distance augmente, les entreprises adaptent les pratiques d'exploitation et les structures des groupes d'employés en conséquence, et cette facilité d'utilisation accrue entraîne à son tour une augmentation de ce type de travailleurs. Cela a également stimulé les innovations numériques qui facilitent le travail à distance. L'effet boule de neige a créé un chiffre d'affaires de 100 milliards de dollars en technologies et services facilitant le travail à distance.
En un sens, l'équivalent d'une «révolution industrielle inversée» se déroule dans les bureaux. Dans la première phase d'industrialisation, le travail textile est passé de la chaumière à la grande fabrique. Désormais, le travail de bureau passe des grands bureaux à l'équivalent moderne de la chaumière : l’appartement» [20] .
Beaucoup de travailleurs seront remplacés. Mais combien et lesquels?
L'hypothèse de Baldwin est que la combinaison de ces technologies, de «travailleurs synthétiques» et de travailleurs humains mais éloignés, entraînera l'élimination de nombreux emplois mais de peu de professions. Les mêmes tâches seront accomplies, mais avec beaucoup moins de monde.
Où en sommes-nous aujourd’hui :
Dans la compréhension du langage naturel, l'Intelligence Artificielle est toujours en retard sur le niveau humain,
Dans la génération du langage naturel, elle est maintenant au niveau humain,
Dans la création de produits non verbaux, elle est désormais au niveau humain,
Dans la perception sensorielle, elle est maintenant au niveau humain.
Concernant les capacités cognitives:
Dans la capacité à créer des idées différentes et nouvelles, l'IA est toujours en retard,
Dans la capacité de créer et de reconnaître de nouveaux modèles ou catégories est derrière,
En optimisation et planification par rapport aux contraintes, c'est désormais mieux que le niveau humain,
Dans la capacité de rechercher et de récupérer des informations pour l'ampleur, la profondeur et le degré d'interaction est meilleure,
Dans la capacité de reconnaître les modèles et les catégories connus est supérieure,
En tant que raisonnement logique, c'est-à-dire résoudre des problèmes de manière organisée à l'aide d'informations contextuelles et d'entrées complexes, il est en retard.
De toute évidence, les programmes nourris par l’intelligence artificielle sont toujours clairement inférieurs en compétences sociales:
Raisonnement social et émotionnel,
Coordination avec de nombreuses personnes,
Agir de manière émotionnellement appropriée,
Sensibilité sociale.
En revanche, ils ont déjà des capacités physiques égales ou supérieures à celles des humains (sauf en terrain très accidenté et inconnu).
Compte tenu de ce qui précède, on estime que dans les prochaines années, il sera possible de remplacer au minimum un travailleur sur dix, ou beaucoup plus. Cette transformation impactera principalement les salariés, puis les activités commerciales, les activités liées à la production alimentaire, mais les travaux de construction et les transports peuvent également être automatisés. Les secteurs de la santé, dans lesquels les robots cols blancs peuvent remplacer de nombreuses fonctions d'analyse et de diagnostic, ne sont pas non plus sûrs, ni le secteur de l'impression et du journalisme (puisque toutes les activités normales, y compris la rédaction d'articles, peuvent être automatisées), les études juridiques, les secteurs financiers.
Bref, le potentiel est très élevé.
La préoccupation de Richard Baldwin est que, si elle n'est pas gérée et même ralentie, cette transformation puisse éroder le consensus et la cohésion de nos sociétés au point qu'elle déclenche littéralement une révolution en faisant des gagnants d'hier les perdants de demain [21]. Nous en avons déjà évoqué la raison essentielle: dans un marché où les actions de chacun sont déconnectées et visent à l'emporter les unes sur les autres, "tout le monde cherche à remplacer ou déplacer des emplois", pour le même rendement. Il est en fait beaucoup plus facile de gagner de l'argent en éliminant qu'en créant des emplois.
Cela conduira essentiellement à l'explosion des «globots». Les réactions les plus naturelles seront la création d'une législation d'application de la loi (comme dans le cas d'Uber [22]) et de règles plus strictes contre les licenciements et pour protéger l'emploi [23].
Ici se termine essentiellement le livre, il n'y a pas de solution. Au niveau collectif, Richard Baldwin se borne à recommander de ralentir la transformation juste assez pour qu'elle soit gérable, avec de nouvelles règles de travail et protections. Au niveau individuel, il ne nous reste pour nous sauver que d’essayer d’acquérir des compétences «douces» et flexibles (et donc capables à la fois d'interagir avec les «globots», et de se déplacer selon la situation).
[3] - Voir la réimpression de cet intéressant livre écrit par un théologien de la libération sud-américain, Hugo Assmann, « Idolâtrie du marché », Castelvecchi 2020.
[12] - La soi-disant «loi de Moore» prévoit que la puissance de calcul double tous les 18 mois, jusqu'à présent, elle s'est avérée assez précise.
[13] - La "loi de Gilder" concerne la vitesse de transmission des données, qui double tous les deux ans.
[14] - La "loi de Metcalfe" soutient qu'être connecté à un réseau augmente sa valeur à mesure que le réseau se développe et que le coût d'adhésion diminue, donc à deux fois la vitesse de l'un des deux facteurs pris isolément et plus rapidement que le nombre des personnes connectées.
[15] - La «loi de Varian» stipule que les composants numériques sont gratuits, tandis que les produits numériques résultant de leur assemblage sont d'une grande valeur. C'est donc la recombinaison qui donne la valeur.
[17] - Titre d'un livre important de Saskia Sassen de 1991, " Global cities ". Ce type de services de production est, pour Sassen, de véritables «productions intermédiaires» (comme la construction d'une machine-outil) et doit être considéré comme tel (S., p. 106). Ces fonctions productives ont tendance à se concentrer et à devenir une sorte de sommet d'un réseau dispersé de rang inférieur (Castells, «La naissance de la société en réseau», p.128). L'effet social a été une polarisation et une concentration des revenus dans une couche supérieure de plus en plus petite (plus ou moins 10% de la population) avec un affaiblissement progressif des couches inférieures et moyennes.