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16.10.2025 à 22:00
(Nairobi) – La nouvelle révision de la constitution du Tchad abolissant la limitation du nombre de mandats présidentiels constitue un grave recul pour l'état de droit et la démocratie, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Cette modification ouvre la voie à un maintien indéfini au pouvoir du président Mahamat Idriss Déby, affaiblissant encore davantage les perspectives d'un changement démocratique significatif du gouvernement, de manière conforme aux normes internationales, notamment en matière de droit de vote et de participation politique.
« En supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels, les autorités tchadiennes ont démantelé un garde-fou important contre l'autoritarisme », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Au lieu de renforcer les normes démocratiques qui permettent une concurrence politique dans le cadre d'élections périodiques, libres et équitables, le gouvernement a consolidé les bases d'un régime dominé par un seul homme. »
Le 3 octobre, le président a finalisé les modifications constitutionnelles, qui avaient été accélérées et approuvées par les deux chambres du Parlement après avoir été votées à la mi-septembre. Le Mouvement patriotique du salut (MPS), qui domine l'Assemblée nationale, a approuvé à une forte majorité des amendements importants à des dispositions constitutionnelles, qui suppriment les limites du mandat présidentiel et prolongent chaque mandat de cinq à sept ans. Certains députés de l'opposition ont toutefois boycotté le vote, qualifiant le processus d'anticonstitutionnel et d'illégitime.
Le gouvernement a défendu cette révision constitutionnelle comme étant « technique », mais ces modifications rendent légal un règne d’une période indéfinie pour Mahamat Idriss Déby, qui est au pouvoir depuis 2021 après la mort de son père, l'ancien président Idriss Déby Itno, qui avait lui-même dirigé le Tchad pendant 30 ans.
L'abolition de la limitation du nombre de mandats supprime également un contrôle constitutionnel essentiel qui garantit le transfert pacifique du pouvoir, a déclaré Human Rights Watch. Sans cette garantie, une seule personne et un seul parti pourraient dominer la présidence. Cette mesure s'inscrit dans une tendance au recul démocratique en Afrique centrale, où les gouvernements ont recours à des amendements constitutionnels pour consolider leur pouvoir, une tendance que certains experts qualifient de « coups d'État constitutionnels ». Et ce, malgré la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, à laquelle le Tchad est un État partie, qui stipule que « tout amendement ou toute révision des Constitutions [...] qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique » est un « moyen [...] pour se maintenir au pouvoir [qui] constitue un changement anticonstitutionnel » qui doit être sanctionné. Au Tchad, où les partis d'opposition et la société civile sont déjà victimes de harcèlement et d'intimidation de la part du gouvernement, ce changement renforce encore davantage le pouvoir du MPS.
À l'approche des élections d'avril 2021, tenues juste avant la mort de feu Idriss Déby Itno, les forces de sécurité avaient violemment dispersé à plusieurs reprises des manifestations pacifiques de l'opposition à N'Djamena, tirant des gaz lacrymogènes, frappant les manifestants et arrêtant arbitrairement des membres de l'opposition et des activistes de la société civile.
Après la mort d’Idriss Déby Itno, l'armée, dirigée par Mahamat Idriss Déby, a pris le contrôle du pays.
Alors que les autorités militaires avaient promis une transition vers la démocratie après la prise de pouvoir, elles ont au contraire suivi un scénario familier de consolidation du pouvoir et de restriction des libertés politiques, a déclaré Human Rights Watch. La transition militaire qui a suivi la mort d’Idriss Déby Itno n'aurait jamais dû avoir lieu. Selon la Constitution tchadienne alors en vigueur, adoptée en 2018, en cas de décès du président, le président de l'Assemblée nationale devrait provisoirement diriger le pays pendant 45 à 90 jours avant d'organiser de nouvelles élections.
Les violences ont atteint leur paroxysme en octobre 2022 lorsque des manifestants ont exigé une transition vers un régime civil. Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, tuant nombre de personnes, et en ont arrêté des centaines d’autres avant de les envoyer à la prison de haute sécurité de Koro Toro, dans le nord du pays.
Après des affrontements intercommunautaires meurtriers dans la province du Logone occidental, le dirigeant de l'opposition et ancien Premier ministre Succès Masra a été arrêté à N'Djamena en mai 2025 sur la base de diverses accusations, notamment incitation à la haine et à la violence. À l'issue d'un procès à motivation politique, il a été condamné à 20 ans de prison et à une amende d'un milliard de francs CFA. Il est toujours en détention aujourd'hui.
Au lieu de tirer les leçons de l'Histoire, les dirigeants tchadiens réécrivent et répètent les mêmes erreurs qui ont maintenu le pays emprisonné dans un cycle d'autoritarisme, a déclaré Human Rights Watch.
Ce n'est pas la première fois que le Tchad supprime la limitation du nombre de mandats. Feu Idriss Déby Itno avait supprimé cette limitation en 2005, lui permettant de rester au pouvoir jusqu'à sa mort. En 2018, la limitation à deux mandats avait été rétablie, mais avec une augmentation de la durée de chaque mandat de cinq à six ans. Le défunt président avait été autorisé à se présenter à ces deux mandats supplémentaires jusqu'à sa mort. La décision de son fils de supprimer à nouveau la limitation, sept ans seulement après son rétablissement, souligne à quel point la manipulation constitutionnelle est devenue un outil de maintien d’emprise sur le pouvoir.
Les autorités tchadiennes devraient envisager de rétablir la limitation du nombre de mandats présidentiels et veiller à ce que tout processus de réforme constitutionnelle soit transparent et inclusif. Les dirigeants de l'opposition qui ont boycotté le vote parlementaire ont demandé la tenue d'un référendum afin de s'assurer du soutien populaire de ces changements. Un référendum similaire avait été organisé en 2023 pour approuver une nouvelle constitution, mettant fin au régime militaire.
Les autorités devraient également mettre immédiatement fin aux poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques, libérer les dirigeants de l'opposition politique tels que Succès Masra et garantir la liberté d'expression et de réunion.
« La répression est devenue monnaie courante au Tchad et aujourd'hui, la Constitution elle-même est en train d'être réécrite afin de restreindre davantage les droits des citoyens », a conclu Lewis Mudge. « En l'absence de mécanisme crédible de passation démocratique du pouvoir, d'autres institutions telles que le Parlement, le pouvoir judiciaire et la presse perdent leur capacité à exercer un contrôle efficace sur le pouvoir exécutif. »
15.10.2025 à 21:18
(Beyrouth) – Le 25 septembre, les autorités houthies au Yémen ont arrêté Abdulmajeed Sabra, un avocat défenseur des droits humains qui avait publié sur les réseaux sociaux un message commémorant une fête nationale d’indépendance à laquelle s'opposent les Houthis ; les autorités devraient le libérer immédiatement, ont déclaré aujourd'hui 17 organisations non gouvernementales, dont Human Rights Watch.
Déclaration conjointe des 17 organisations :
Le 25 septembre, selon un membre de sa famille, plusieurs militaires houthis et d'autres hommes armés en tenue civile ont fait irruption dans le bureau Abdulmajeed Sabra, situé dans le quartier de Shamila dans la capitale, Sanaa ; ils l’ont arrêté et emmené vers une destination inconnue.
Selon un autre proche, ces hommes lui ont présenté un mandat d'arrêt et ont déclaré que son arrestation était due à ses publications sur les réseaux sociaux marquant l'anniversaire de la révolution du 26 septembre 1962 au Yémen, une date que les Houthis refusent de célébrer. Ils estiment que c'est plutôt la date anniversaire du 21 septembre 2014, lorsqu’ils ont pris le contrôle de la capitale, qui devrait être célébrée.
La famille d’Abdulmajeed Sabra n'a pu obtenir aucune information sur le lieu où il est détenu et n'a pas pu communiquer avec lui depuis son arrestation, ce qui est susceptible de constituer le crime de disparition forcée.
L'arrestation d’Abdulmajeed Sabra s'inscrit dans le cadre d'une vague d'arrestations de personnes commémorant publiquement l'anniversaire du 26 septembre 1962. Des sources crédibles ont rapporté que les Houthis ont procédé à une vague d'arrestations et détenu des dizaines de personnes dans les gouvernorats du nord du Yémen, pour avoir célébré pacifiquement ou publié sur les réseaux sociaux des contenus liés à l'anniversaire du 26 septembre.
Abdulmajeed Sabra est l'un des principaux avocats ayant travaillé sans relâche pour défendre les personnes détenues après avoir tenté d’exercer pacifiquement leurs droits au Yémen. Il utilise sa page Facebook pour exprimer ses opinions personnelles, défendre les droits des Yéménites et publier des informations au sujet des affaires sur lesquelles il travaille.
Les organisations non gouvernementales soussignées appellent les autorités houthies au Yémen à :
Libérer immédiatement et sans condition l'avocat défenseur des droits humains Abdulmajeed Sabra, ainsi que toutes les autres personnes détenues uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains, notamment leurs droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association ;Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes qui sont toujours détenues de manière arbitraire, y compris les dizaines de membres du personnel des Nations Unies et de la société civile arrêtés et soumis à des disparitions forcées en 2024 et 2025 ;Respecter et défendre les droits humains de chaque personne, y compris les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique, ainsi que la liberté des médias ; etVeiller à ce que les défenseurs des droits humains, les journalistes, les blogueurs, les universitaires et les activistes utilisant l’Internet puissent travailler et s'exprimer librement, sans crainte de représailles ni de harcèlement judiciaire.Organisations signataires :
Amnesty InternationalCairo Institute for Human Rights StudiesCIVICUSDemocracy for the Arab World Now (DAWN)Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humainsFront Line DefendersGulf Centre for Human Rights (GCHR)Human Rights First (HRF)Human Rights Watch (HRW)HuMENA for Human Rights and Civic EngagementIFEXInternational Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI)International Service for Human Rights (ISHR)MENA Rights GroupMwatana for Human RightsOrganisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humainsYemeni Archive………………..