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27.08.2025 à 17:36

Rémi Lefebvre: « Le sort de Bayrou est scellé »

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Un baroud d’honneur alors qu’il se savait déjà condamné. C’est la lecture que l’on peut faire de la conférence de presse du Premier ministre François Bayrou du lundi 25 août appelant à un vote de confiance des députés, le 8 septembre prochain, pour soutenir son programme d’austérité budgétaire. Pour QG, le politiste Rémi Lefebvre estime … Continued
Texte intégral (1383 mots)

Un baroud d’honneur alors qu’il se savait déjà condamné. C’est la lecture que l’on peut faire de la conférence de presse du Premier ministre François Bayrou du lundi 25 août appelant à un vote de confiance des députés, le 8 septembre prochain, pour soutenir son programme d’austérité budgétaire. Pour QG, le politiste Rémi Lefebvre estime que le choix du 8 septembre a été fait pour couper l’herbe sous le pied des appels à la mobilisation pour le 10 septembre, tant il semble improbable que le gouvernement puisse encore être en place ce jour-là. Interview de Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille et à l’IEP de Lille. Spécialiste de la gauche, notamment auteur de « Le malheur militant » et « Les mots des partis »

Quelle est votre analyse du choix fait par François Bayrou, ce lundi 25 août, d’appeler à un vote de confiance le 8 septembre prochain ?

C’est une anticipation du fait qu’il allait être censuré, qu’il allait être congédié. Il a préféré anticiper cette échéance, retourner la situation, prendre l’initiative, en mettant un petit peu les partis politiques devant leurs responsabilités par rapport à la situation budgétaire, qu’il dramatise depuis des mois. C’est une manière d’écourter une période qui aurait mené immanquablement à son éviction. C’est un coup pour ne pas subir un processus qui allait conduire à son départ.

Bayrou pourrait-il encore éviter une censure selon vous ?

Non, je pense que les choses ont été très claires très vite. On ne voit pas comment les partis politiques pourraient faire machine arrière. À partir du moment où le Rassemblement National et le Parti socialiste, qui sont les deux points névralgiques pour constituer une majorité négative, se sont alignés sur la même position, le sort de Bayrou est scellé. Il n’y aura rien, le 8 septembre. Un peu comme la dernière fois, avec Barnier. Il faudrait des débauchages très nombreux. Il n’y a plus de suspense.

Cette annonce de gouvernement sur le départ pourrait-elle renforcer les appels à la grève et aux mobilisations du 10 septembre prochain ?

Là, par contre, je suis plus réservé. Je pense que l’un des buts de la manœuvre de Bayrou est justement de dégonfler le mouvement du 10 septembre. Je pense que ce qui a pesé dans le choix de Bayrou, c’est à la fois l’anticipation de la défaite, et un contexte socialement inflammable. C’est-à-dire la perspective du 10 septembre, le spectre des Gilets jaunes, etc.

C’est difficile d’être formel, mais je pense que le fait qu’il parte, ne va pas forcément avoir un effet très positif sur la mobilisation du 10 septembre. Dans la mesure où le budget sera, jusqu’à preuve du contraire, caduque. Les orientations budgétaires qui avaient été annoncées par Bayrou doivent être revues. Il faudra construire un nouveau budget. 

Est-ce l’intensité du mouvement, de la conflictualité, de la mobilisation du 10 septembre sera affectée par le départ de Bayrou ? Je le pense. Globalement, les gens ont l’impression qu’ils peuvent garder leurs forces pour un autre moment. C’est une impression. Après, le coup est parti. La mobilisation est lancée. Il faut voir mais, effectivement, un départ de Bayrou et l’abandon d’un budget jugé inique peuvent démobiliser les gens.

Capture d’écran du site qui avait initialement appelé à la mobilisation nationale du 10 septembre

Pensez-vous que le soutien affiché par les partis de gauche à se mobiliser le 10 septembre peut servir de booster ou bien de frein, notamment en raison de la défiance d’une grande partie des citoyens envers les partis en général, et notamment LFI ?

Bonne question, c’est difficile à dire. Le discours de la France insoumise a été à la fois un soutien très clair à l’initiative, et en même temps, concernant la récupération, Mélenchon a pris beaucoup de précaution. C’est clair que ce type de mouvement est marquée par une très forte défiance à l’égard des partis politiques, quels qu’ils soient, LFI compris. Sur ces mouvements qu’on a pu qualifier d’anti-politiques, au sens de non-conventionnels, très hostiles aux partis traditionnels, j’ai l’impression que l’initiative du mouvement, largement extra-partisane, me paraît assez affirmée. Dire que les partis politiques ont pris le dessus sur cette impulsion-là me paraît un peu excessif.

Quel regard portez-vous sur l’annonce faite par La France insoumise de lancer une procédure de destitution d’Emmanuel Macron le 23 septembre prochain? Pensez-vous qu’elle ait une chance d’aboutir ?

Il n’y a rien de surprenant. Toute la démarche de LFI est d’une grande constance. Leur stratégie est claire. Sur le fond, il s’agit de ne pas accepter la situation actuelle et de considérer, en gros, qu’on est dans une situation où la démocratie n’est pas respectée. Pour LFI, il ne faut pas se satisfaire de cette situation de déni, ou même de forfaiture, démocratiques. Ce qui est un risque avec le temps. À savoir, s’habituer au fait qu’Emmanuel Macron n’ait pas respecté les enseignements des élections, il y a un an, suite à la dissolution. Cette situation de non-démocratie, LFI continue à la dénoncer. C’est la ligne politique sur le fond. Considérer qu’il ne faut pas s’accommoder, avec le temps, de cette situation, de ce statu quo.

Après, la stratégie est claire. Jean-Luc Mélenchon veut provoquer une élection présidentielle le plus tôt possible, pour des raisons tactiques. Il est lui-même candidat, même s’il n’est pas encore déclaré. Il est sur le terrain de jeu et la gauche, en dehors de lui, est divisée et n’est pas prête. Une présidentielle anticipée dans un climat de chaos lui serait favorable. 

Enfin, les chances qu’une destitution fonctionne sont nulles. Il n’y aura pas de destitution. C’est simplement de l’affichage. Il n’y a aucune chance qu’il y ait une destitution du président de la République car LFI est isolée sur cette question.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre est politiste, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille. Il est l’auteur de Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 2022) ; Les primaires socialistes : la fin du parti militant (Raisons d’agir, 2011) ; Le Débat public : une expérience française de démocratie participative (La Découverte, 2007)

26.08.2025 à 18:02

Cédric Durand: « Le tout-numérique n’est ni souhaitable, ni soutenable écologiquement »

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Les géants du numérique, dans une logique de conquête et de contrôle des données, nous ont fait entrer dans l’âge du techno-féodalisme, tout en contribuant fortement à la détérioration de l’écosystème planétaire via l’extraction et l’exploitation des minerais pour leur fonctionnement. Comment sortir de ce schéma mortifère? Pour QG, l’économiste Cédric Durand, professeur associé à … Continued
Texte intégral (2861 mots)

Les géants du numérique, dans une logique de conquête et de contrôle des données, nous ont fait entrer dans l’âge du techno-féodalisme, tout en contribuant fortement à la détérioration de l’écosystème planétaire via l’extraction et l’exploitation des minerais pour leur fonctionnement. Comment sortir de ce schéma mortifère? Pour QG, l’économiste Cédric Durand, professeur associé à l’université de Genève, formule une alternative, qu’il appelle le cyber-écosocialisme, dans son nouvel essai Faut-il se passer du numérique pour sauver la planète ? (éditions Amsterdam), estimant que les technologies de l’information et de la communication ouvrent une perspective émancipatrice, en mettant toutefois en garde sur la prétention humaine à se croire « maître et possesseur de la nature », conduisant à la destruction de celle-ci. Interview par Jonathan Baudoin

En quoi ce nouvel essai s’inscrit dans la lignée de vos précédents: Technoféodalisme, ou Comment bifurquer ?

Cet essai est issu d’une série de conférences faites l’année dernière à l’Institut La Boétie, et il fait le lien avec les deux précédents: Technoféodalisme, qui était consacré aux transformations liées à l’économie numérique. De l’autre, Comment bifurquer, coécrit avec Ramzig Keucheyan, sur les questions de planification écologique.

La chose que j’essaie de résoudre dans ce livre, c’est de montrer à la fois comment le numérique, tel qu’il se déploie, provoque une mécanique régressive, du point de vue social et économique; mais également comment il transforme aussi les conditions de connaissance des régularités socio-économiques et du métabolisme humanité/nature. Enfin, comment le numérique est un des facteurs qui, aujourd’hui, aggravent la crise écologique. J’essaie de tenir ces trois éléments. Une transformation régressive de nos économies, une potentialité accrue de planification écologique, mais aussi un impact négatif sur l’environnement, avec le numérique.

Mon objectif est de montrer à quelles conditions il existe une voie étroite pour mobiliser le numérique de manière progressiste, au service d’une société plus consciente d’elle-même, plus conséquente d’un point de vue écologique. C’est ce que j’appelle le « cyber-écosocialisme ».

Pouvez-vous nous rappeler en quoi le contrôle des données crée des situations de dépendance économique proches du servage?

L’idée centrale est que l’époque du capitalisme numérique la compétition s’est transformée, avec au sommet de celle-ci, une bataille entre les géants du secteur de la technologie, qui sont des généralistes de la coordination sociale. A priori, ces plateformes sont très différentes. Google est un moteur de recherche, Amazon est un magasin, Microsoft, ce sont des logiciels de bureautique. Et pourtant, elles convergent toutes vers ce métier qui est d’être des agents méta de la connaissance. C’est ce à quoi correspondent les services de cloud qu’elles vendent.

Dans cette compétition-là, l’enjeu n’est pas tant d’investir de manière productive, mais de gagner l’accès à des sources de données originales et de s’implanter au plus près des pratiques des utilisateurs. C’est un jeu de conquête, à somme nulle. À partir des positions prises, et aux dépens des autres, elles construisent une position de pouvoir qui leur permet d’extraire des rentes économiques. Le point décisif est ici. Dès lors qu’on contrôle des espaces socio-économiques, comme le font les Big tech, on crée des situations de dépendance. Je ne sais pas si vous pouvez vous passer des services numériques. Ma mère peut sans doute le faire. Moi, ce n’est clairement pas possible. Je pense que pour la plupart des personnes qui consultent QG, ce n’est pas non plus le cas. Nous nous retrouvons dans une situation de dépendance. Pas seulement en tant qu’individus. La plupart des entreprises également, en tant que client des géants du numérique. Les administrations publiques le sont également. Tous et toutes se retrouvent à être pris dans les rets de ces plateformes numériques et contraints de leur verser des revenus, d’une certaine façon, comme à l’époque féodale, où le rapport à la terre crée une situation de dépendance pour les serfs vis-à-vis des seigneurs.

Les géants de la tech, parmi lesquels Google, Amazon ou encore Microsoft, ont réussi à nous rendre dépendants de leurs services et à nous contraindre à leur verser des revenus, de multiples façons

Pourriez-vous expliquer ce qu’est le cyber-écosocialisme ?

D’abord, il y a la dimension socialiste, c’est-à-dire l’idée d’avoir des formes de gouvernement qui soient émancipatrices, qui nous permettent d’agir collectivement, en conscience, dans le pilotage de nos économies, de nos sociétés. Ensuite nous avons la dimension écologie, qui vise à respecter la biosphère et les écosystèmes, mais aussi à réparer ce qui a été abîmé ces dernières décennies. Enfin, il y a la dimension cyber, c’est-à-dire les technologies de l’information et de la communication, qui représentent un nouveau moyen de connaissance et de coordination qu’il s’agit de mobiliser au service de buts écologiques et émancipateurs. 

Ces trois éléments, le pilotage conscient correspondant au socialisme, la dimension écologique, la dimension cyber, sont les trois pôles de ce cyber-écosocialisme, qu’on pourrait définir comme un gouvernement conscient de la société par elle-même, à l’aide des moyens de connaissance contemporains en vue de rééquilibrer notre rapport avec la nature.

Estimez-vous, à l’instar de l’homme d’affaires chinois Jack Ma, fondateur d’Alibaba, et de l’économiste marxiste britannique Paul Cockshott, qu’un socialisme fondé sur les algorithmes pourrait voir le jour? Si oui, par quels procédés?

Oui, mais non. Les moyens de connaissance dont on dispose aujourd’hui, les algorithmes, permettent, en partie, de remplacer les mécanismes de marché de manière avantageuse. Finalement, planifier au milieu du 20ème siècle n’est pas du tout la même chose que planifier au 21ème siècle parce qu’on a de nouveaux moyens d’information. Cet argument sur les forces productives d’information était un argument développé par l’économiste marxiste français Charles Bettelheim, qui disait qu’il y a des limites informationnelles à l’information. Un point que reconnaissait Hayek aussi. Mais ces limites informationnelles à l’information ne sont pas éternelles. Elles sont historiques. D’un certain point de vue, les algorithmes permettent de gouverner de façon plus consciente nos sociétés.

Néanmoins, contrairement à ce que pense Cockshott ou suggère Jack Ma, il y a toujours des limites intrinsèques à l’automatisation des processus de coordination économique. Pourquoi? Parce que la nature, dans sa dimension écologique, sera toujours plus complexe que la connaissance que nous en avons. Nous-mêmes faisons partie de la nature. Nous en avons donc nécessairement une connaissance dérivée, seconde par rapport à son mouvement réel. Philosophiquement, il y a une forme de limite de notre capacité à connaître la nature. Cette limite vaut aussi pour notre propre existence. L’existence locale, située, relationnelle, est quelque chose qui se glace et perd ses vibrations charnelles lorsqu’elle est réifiée dans les algorithmes, tout autant que lorsqu’elle est plongée dans les eaux glacées du calcul égoïste des mécanismes marchands. Cela ne veut pas dire que nous devons nous passer de toute forme de réification algorithmique ou marchande, car celles-ci nous permettent d’être plus efficaces collectivement. Mais si on aspire à l’émancipation, il faut savoir limiter cette réification. La coordination algorithmique peut être extrêmement utile pour construire des scénarios, développer des investissements, définir les paramètres du style de vie que nous voulons partager. Elle ne doit cependant pas prétendre saisir la totalité des enjeux économiques et écologiques. La planification algorithmique doit laisser respirer l’inventivité. Celle-ci, au niveau individuel et au niveau des localités ne doit pas être entravée mais au contraire magnifiée par le cadre socio-économique que la planification peut construire à l’aide des algorithmes.

C’est pour ça que je mets l’accent sur la socialisation de l’investissement, et non pas sur la disparition totale des mécanismes de marché. Il faut laisser de la place à des mécanismes de marché, mais aussi à des mécanismes coopératifs comme les communs, qui peuvent exister au niveau local.

N’y a-t-il pas nécessité à gauche, par souci de cohérence, de penser un démantèlement des Big Tech, autant que l’exploitation impérialiste des minerais utilisés dans le numérique qui sont source de guerres, par exemple dans l’est de la République démocratique du Congo?

Cela fait partie de la question du numérique. Sa base matérielle est celle des minerais, mais aussi celle de l’énergie. Et il est vrai que la manière dont l’empreinte écologique du numérique s’accroît est particulièrement préoccupante. Il faut absolument rejeter l’idée selon laquelle le numérique serait propre. Le tout-numérique n’est ni souhaitable, ni soutenable écologiquement.  

L’enjeu est alors, comme pour d’autres activités telles que les transports par exemple, de déterminer quelle est l’ampleur des dépenses écologiques que l’on est prêt à consentir pour ce poste et comment on les répartit. C’est aussi celle des standards écologiques et sociaux dans les chaînes d’approvisionnement.

Travailleurs dans une mine de cobalt en République Démocratique du Congo. Ce minerai est principalement utilisé dans la fabrication des batteries lithium-ion

Peut-on dire que le cyber-écosocialisme, que vous élaborez dans ce livre, s’inscrit dans une ligne décroissante, inspirée par exemple des travaux du philosophe marxiste japonais Kohei Saito?

Oui et non. Oui, dans la mesure où je suis favorable à une économie post-croissance, car les catégories marchandes sont inadéquates pour piloter le rééquilibrage du métabolisme entre société humaine et nature. Dans ce sens-là, il s’agit bien de sortir de la croissance. Mais ce n’est pas exactement de la décroissance, dans la mesure où les indicateurs qu’il s’agira d’utiliser seront des indicateurs de couvrant diverses qualités et non pas des indicateurs marchands qui réduisent toute la valeur du monde à la pauvre dimension monétaire. 

Pour discuter plus spécifiquement de Kohei Saito. Je pense qu’il montre bien le mouvement destructeur de la nature, mais aussi des relations humaines, propre à l’accumulation capitaliste et comment ce mouvement-là s’inscrit dans les forces matérielles dont l’on hérite. Là où j’ai, sans doute, un désaccord avec Kohei Saito, c’est lorsqu’il met l’accent sur la nécessité de commencer par se défaire de ces technologies capitalistes pour construire un autre genre de société. Il a évidemment raison sur leur caractère destructeur, et un autre genre de société devra chercher à développer d’autres types de technologies, plus respectueuses de la nature, d’une meilleure qualité dans les relations humaines. Mais, la difficulté est qu’il nous faut imaginer cette bifurcation à partir des technologies capitalistes. On ne peut pas commencer par détruire ces technologies car elles sont la base de la socialisation du travail qui soutient nos conditions de vie. Le faire conduirait à une destruction dramatique de la division du travail à l’échelle mondiale. Ce qui se traduirait par une hausse brutale de la pauvreté. Je ne pense pas qu’il y ait un chemin émancipateur par la pauvreté.

En quoi le cyber-écosocialisme permet d’articuler utilisation du numérique et sauvegarde de la planète?

Le cyber-écosocialisme est une proposition porteuse d’espoirs, dans cet âge qui est bien inquiétant, par de nombreux aspects. Ce que j’ai voulu montrer, c’est qu’il y a bien une voie par laquelle les moyens de connaissance dont on dispose peuvent nous permettre, en tant qu’espèce humaine, de mieux prendre en compte et donc maîtriser notre rapport vis-à-vis de la nature. Le sociologue Göran Therborn parle même d’un âge de progrès. Jamais auparavant, dans l’histoire de l’humanité, celle-ci n’a eu autant conscience d’elle-même et de son rapport à la nature. La façon dont cette conscience se manifeste est extrêmement négative. On est conscient des destructions que l’on fait. Mais on ne parvient pas encore à mobiliser ces moyens de connaissance pour gérer de manière plus rationnelle, plus respectueuse, plus équilibrée, nos rapports vis-à-vis de la nature, et entre les êtres humains eux-mêmes en direction de davantage d’égalité. 

La potentialité est là. Il faut la saisir, la mobiliser, mais il ne faut pas non plus la fétichiser. Ce que je veux dire c’est qu’il faut reconnaître la force et la valeur, l’irréductible autonomie du mouvement réel de la vie. Il ne faut pas chercher, par les mécanismes de cyber-planification, à le saisir totalement. En somme, je propose une forme de rationalisme tempéré. Mobiliser les technologies pour piloter l’investissement et rééquilibrer le plus rapidement possible le métabolisme humanité-nature. Mais simultanément, ne pas sombrer dans la proposition cartésienne de nous rendre comme « maîtres et possesseurs de la nature », qui ne peut conduire qu’à saccager la planète.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Photo de couverture : Datacenter Microsoft

Cédric Durand est économiste, et professeur associé en économie politique à l’Université de Genève (Suisse). Il est l’auteur de: Faut-il se passer du numérique pour sauver la planète ? (Amsterdam, 2025), Comment bifurquer: les principes de la planification écologique (avec Razmig Keucheyan (La Découverte, 2024) Technoféodalisme (La Découverte, 2020), Le capital fictif. Comment la finance s’approprie notre avenir (Les prairies ordinaires, 2014), Le capitalisme est-il indépassable ? (Textuel, 2010)

23.08.2025 à 10:00

David Teurtrie: « L’image des dirigeants européens alignés devant le bureau de Donald Trump est un désastre »

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La diplomatie du tweet, chère à Donald Trump, va-t-elle permettre la fin de la guerre russo-ukrainienne? Les rencontres de ces derniers jours, 0utre-Atlantique, entre le président américain et le maître du Kremlin d’une part, puis entre Trump et Volodymyr Zelensky, plus les dirigeants européens, n’ont pas encore démontré leur efficacité. Pour David Teurtrie, chercheur associé … Continued
Texte intégral (2659 mots)

La diplomatie du tweet, chère à Donald Trump, va-t-elle permettre la fin de la guerre russo-ukrainienne? Les rencontres de ces derniers jours, 0utre-Atlantique, entre le président américain et le maître du Kremlin d’une part, puis entre Trump et Volodymyr Zelensky, plus les dirigeants européens, n’ont pas encore démontré leur efficacité. Pour David Teurtrie, chercheur associé à l’INALCO, spécialiste de la Russie, la séquence diplomatique observée montre une marginalisation de l’Europe dans la résolution du conflit, désormais court-circuitée par la Russie et les États-Unis. Et au sein de cette Europe, une voix française qui a définitivement cessé d’être singulière sous l’ère Macron. Interview par Jonathan Baudoin

Quel regard portez-vous sur les récentes rencontres Outre-Atlantique au sujet de la résolution de la guerre russo-ukrainienne?

Au premier abord, ces rencontres donnent l’impression d’une nouvelle étape importante dans les tentatives de règlement diplomatique du conflit. Il s’agit avant tout du sommet américano-russe en Alaska, première rencontre entre les chefs d’État russe et américain depuis le début de la guerre, où certains éléments nouveaux en vue du règlement du conflit ont émergé.

Toutefois, la deuxième rencontre, à Washington, laisse un sentiment beaucoup plus ambivalent parce qu’on a vu ré-émerger des propositions anciennes qui sont largement irréalistes, notamment le déploiement de troupes européennes en Ukraine, et qui risquent de contribuer à un enlisement des efforts diplomatiques.

Estimez-vous que Donald Trump est plus enclin à écouter les demandes émanant de Vladimir Poutine, comme le dénoncent plusieurs analystes dans les médias?

Depuis qu’il est revenu au pouvoir, Trump a fait évoluer la position générale de l’Occident pour la rapprocher de la position russe. Il y a effectivement une certaine compréhension, de la part du président américain, des arguments avancés par les Russes ce qui peut donner parfois l’impression d’une forme d’alignement. Maintenant, il ne faut pas surestimer d’éventuelles affinités personnelles du président américain à l’égard de Poutine. D’une part, Donald Trump prend en compte les rapports de force, notamment sur le terrain. La Russie tient les territoires qu’elle a conquis, et est même en progression depuis au moins un an. C’est en partie la prise en compte de cette évolution militaire qui amène Washington à prendre des positions qui paraissent favorables à Moscou. Donald Trump fait preuve de réalisme vis-à-vis de la situation ce qui se reflète dans ses propositions de règlement.

La deuxième chose, c’est que Trump a, semble-t-il, tendance à être influencé par ses interlocuteurs. Par exemple, alors qu’à l’issue du sommet avec Poutine, on pouvait avoir l’impression d’une forme d’alignement sur les positions russes (absence de cessez-le-feu, échanges de territoires). À l’issue de la rencontre de Washington, Donald Trump a, semble-t-il, repris l’idée d’un déploiement de troupes européennes en Ukraine. Ce qui est une ligne rouge pour Moscou.

On peut y voir une forme de versatilité du leader MAGA. Il me semble qu’en réalité Donald Trump manœuvre en fonction de ses interlocuteurs parce que son objectif principal, c’est de se désengager du conflit.

Plus pragmatique qu’aligné sur les positions russes, Donald Trump ajuste sa position au gré de ses interlocuteurs, avec pour objectif de se désengager du conflit entamé en 2022

Quel regard portez-vous sur la proposition d’une rencontre entre Zelensky et Poutine en Suisse, et par celle faite par Poutine lui-même de rencontrer le leader ukrainien à Moscou?

Sur une éventuelle rencontre Poutine-Zelensky, je crois qu’il faut être extrêmement prudent. D’une part, il y a à ce sujet un retournement de situation rarement rappelé dans les médias:  il y a encore deux ans, une telle rencontre était combattue en Ukraine et en Occident. Le mot d’ordre était d’isoler au maximum Vladimir Poutine. Désormais, les Européens se disent favorables à une rencontre entre Zelensky et Poutine. Ce changement est en grande partie lié à une situation en Ukraine qui est très défavorable aux Ukrainiens et aux Occidentaux qui les soutiennent. Cependant, il semblerait que les responsables occidentaux prennent leurs désirs pour des réalités. En effet, Vladimir Poutine ne souhaite pas rencontrer Volodymyr Zelensky, sauf si c’est pour parapher à un accord imposé par la Russie. N’oublions pas que le Kremlin remet en cause régulièrement la légitimité de Zelensky dans la mesure où l’élection présidentielle ukrainienne qui devait avoir lieu en 2024 a été annulée. Je pense que dans la vision du Kremlin, une victoire russe en Ukraine comprendrait également le départ de Zelensky. 

Pourtant, officiellement Vladimir Poutine n’a pas exclu l’idée d’une rencontre avec son homologue ukrainien. Il s’agit à la fois pour le maître du Kremlin de garder toutes les options ouvertes et d’appliquer une stratégie d’évitement vis-à-vis des demandes américaines afin de ne pas susciter chez Trump un raidissement inutile. Mais les dernières déclarations de Lavrov et des diplomates russes, qui disent « on est encore très loin du compte pour envisager une rencontre entre les deux hommes », soulignent, selon moi, que cette rencontre n’est pas près d’arriver.

Enfin, il y a la question du pays d’accueil d’une telle rencontre. Les lieux proposés en Europe ne seront pas acceptés par les Russes. La diplomatie russe affirme que la Suisse, qui applique toutes les sanctions décidées par l’Union européenne, ne fait plus figure de pays neutre propice pour organiser des rencontres de ce type. Le fait que les négociations aient lieu en dehors de l’Europe (Istanbul, Alaska, Washington) est une illustration parmi d’autres du déclassement européen. 

Peut-on dire, suite à ces différents sommets, que Moscou a l’initiative diplomatique, en plus de la dynamique militaire? Si tel est le cas, dans quelle mesure cela pourrait influencer un accord ou une absence d’accord avec l’Ukraine?

Moscou a des atouts importants mais n’a pas réellement l’initiative diplomatique. Le Kremlin se contente plutôt de manœuvrer face aux initiatives américaines. C’est un peu à l’image de la situation militaire. La Russie est plutôt en position de force sur le terrain militaire mais elle n’a pas obtenu de résultat éclatant qui, pour le moment, puisse permettre à la Russie de dicter ses positions. Certes, Vladimir Poutine a obtenu des États-Unis d’importantes concessions. D’une manière ou d’une autre, il n’y aura pas d’Ukraine dans l’OTAN [Organisation du traité de l’Atlantique nord, NDLR]. C’est déjà acté. Reste encore à le fixer sur le papier. Y aura-t-il un accord ferme entre l’OTAN et la Russie? Est-ce que cela va être définitif ou bien un report à long terme? Il reste une ambiguïté sur la façon dont ce sera formulé.  Par ailleurs, la Russie va garder les territoires conquis dans les régions qu’elle revendique. Ce sont les deux grandes concessions faites par Washington auprès de Moscou. Mais je dirais que ces concessions  sont sans surprise car elles découlent de la situation militaire à partir du moment où la contre-offensive ukrainienne a échoué. Sous l’administration Biden, il y avait déjà des débats similaires aux États-Unis à la fois sur les territoires et sur l’OTAN.  On se rappelle qu’au sommet de l’OTAN de l’été 2024, l’administration Biden avait refusé de s’engager définitivement sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. En fait, Trump accepte ce qu’a priori une nouvelle administration démocrate aurait sans doute accepté pour sortir du conflit. C’est-à-dire la réalité des rapports de force.

Mais le plus dur reste à faire : quid du statut des territoires conquis ? Quelle sera la formule utilisée : une formule ambiguë du type  « Nous reconnaissons que, de facto, ces territoires sont contrôlés par la Russie« , ou bien plus définitive: « Nous reconnaissons que c’est une partie intégrante du territoire russe« . Par ailleurs, on ne sait pas ce qu’il va advenir de l’armée ukrainienne. La Russie demande une réduction des forces armées ukrainiennes. On ne sait pas trop quelles ont été les éventuelles discussions entre Russes et Américains sur ce sujet très important. C’est un des éléments clé du conflit.

De fait, on a quelques éléments de base de règlement du conflit, qui reflètent le rapport de forces actuel. Mais pour le moment, il n’y a pas d’accord qui refléterait une forme de victoire russe.

La situation militaire en Ukraine au 18 août 2025

En dépit de l’activité diplomatique affichée à Washington, est-ce que les pays européens, notamment la France, sont clairement marginalisés dans les relations internationales concernant la guerre russo-ukrainienne?

Il y a évidemment une forme de marginalisation. Pour participer au règlement d’un conflit, il faut discuter avec les deux parties. C’est le b.a-ba de la diplomatie. Or, les Européens refusant de parler aux Russes, ils sont logiquement exclus de la table des négociations. D’une manière générale, ce refus européen de la diplomatie, à savoir discuter avec les pays avec lesquels on est en désaccord, est inquiétant, bien au-delà du conflit ukrainien.

Non seulement les Européens se mettent dans la main de Washington, mais ils se placent dans la dépendance d’un Donald Trump qui a une forte condescendance pour ces mêmes Européens. Et l’image des dirigeants européens alignés devant le bureau de Donald Trump, qui se veut le maître de l’Occident, est un désastre. C’est une humiliation de l’Europe sur la scène internationale. C’est d’autant plus frappant qu’à l’arrivée de Donald Trump, les Européens avaient affirmé qu’ils allaient prendre leur destin en main. Et c’est exactement l’inverse qu’on observe.

Quelle est votre réaction par rapport aux propos de Macron, qualifiant Poutine de « prédateur, d’un ogre à nos portes », et la Russie de « puissance de déstabilisation »?

C’est de la rhétorique. Le terme d’ogre renvoie à un vocabulaire utilisé dans les contes pour enfants. On peut avoir l’impression que le président français nous raconte une histoire, le soir, pour faire un peu peur. Raconter une histoire édifiante pour les enfants, cela peut avoir une vertu pédagogique. Par contre, raconter une histoire à des adultes, qui sont ses électeurs, qui sont des citoyens, c’est beaucoup plus inquiétant de la part d’un chef d’État.

Ensuite, qu’Emmanuel Macron estime que la Russie est devenue une menace, de par son comportement en Ukraine, cela peut s’entendre. Seulement, on est un peu étonné que ces formules soient utilisées au moment où il y a des efforts diplomatiques pour tenter de trouver une sortie à cette crise. Quand on fait ce genre de déclaration, a priori, cela a plutôt tendance à raidir l’autre partie, relancer une forme de confrontation.

Cela laisse songeur sur les objectifs réels d’Emmanuel Macron. Veut-il vraiment jouer la carte de la diplomatie? Ou bien tente-t-il de relancer une politique de défiance, de confrontation ? En réalité, le président Macron est plus dans de la rhétorique que dans l’action pratique parce que, comme le reste de l’Europe, il s’est exclu du cœur des négociations, qui ne peuvent avoir lieu qu’avec les Russes.

Cela relève à la fois d’une forme de refus de la diplomatie et d’une forme de théâtralité qui est liée à un président français qui représente une France largement affaiblie et qui l’est encore plus parce qu’elle ne joue plus son rôle d’équilibre qu’elle a longtemps joué. Une puissance qui parlait à toutes les parties, qui tentait de se positionner de manière autonome. Avec Emmanuel Macron, la France s’est ralliée à Washington, au point de quémander une forme de strapontin, auprès des États-Unis, dans ces négociations. Et c’est extrêmement problématique pour la voix de la France.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

David Teurtrie est maître de conférences à l’Institut catholique d’Etudes supérieures (ICES), membre de l’Institut des études slaves et chercheur associé à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Il est l’auteur de Russie : le retour de la puissance (Dunod, réédition 2024)

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