03.12.2024 à 13:41
Le président élu Donald Trump avait déjà menacé la Chine d’une hausse de 10% de droits de douane dès le début effectif de son second mandat en janvier 2025. Ce samedi 30 novembre, il a encore considérablement accentué la pression en menaçant d’imposer des droits de douane de 100% (sic) aux pays membres des BRICS, si ses derniers persistaient à vouloir affaiblir le « puissant dollar américain » en créant une monnaie parallèle, ainsi qu’ils en ont déjà affiché l’ambition. Signe que le futur locataire de la Maison Blanche prend très au sérieux le déclin entamé de l’hégémonie états-unienne face à ce groupe de pays, qui a fait une démonstration de force au sommet de Kazan en octobre dernier, et compte désormais 9 pays: l’Iran, l’Éthiopie, l’Égypte, les Émirats arabes unis, aux côtés du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud.
Pour QG, Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, revient sur le succès diplomatique incontestable qu’a été ce sommet pour la Russie, renforçant le poids politique de cette dernière, dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, à laquelle Trump a promis de mettre fin. Avec la politique commerciale agressive que compte mettre en place ce dernier, Ventura estime que les BRICS auront la tentation de former un « bloc contre-hégémonique« , avec l’idée d’établir un système « parallèle au système international« , composé de l’ONU, du FMI et de la Banque mondiale. Quitte à mettre de côté des mésententes en leur sein, notamment les désaccords persistants entre le Brésil et la Russie au sujet du Venezuela. Entretien par Jonathan Baudoin
QG : Quelle est votre analyse du sommet des BRICS qui s’est tenu à Kazan du 22 au 24 octobre dernier ? Ce sommet, dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, marque-t-il une victoire symbolique pour la Russie de Vladimir Poutine ?
Christophe Ventura : Le sommet de Kazan peut être analysé à plusieurs niveaux. D’abord, c’est un succès diplomatique pour Vladimir Poutine car ce dernier a fait la démonstration, devant les caméras, qu’il n’était pas du tout isolé sur la scène internationale, en accueillant plusieurs puissances de la planète et leurs dirigeants, en recevant le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres – certes pour faire état de leurs désaccords – et en faisant accueillir, en pleine guerre russo-ukrainienne, les délégations de nombreux pays qui frappent à la porte des BRICS. Ce qui permet à Poutine de dire que même en guerre, sous sanctions occidentales, mis au banc de la « communauté internationale » par les puissances occidentales, la Russie est capable de mener une diplomatie active et internationale. Les photographies de Poutine avec le Premier ministre indien, le président chinois, ou M. Guterres, sont une démonstration politique.
Au niveau du sommet, en lui-même, c’est un nouveau chapitre des BRICS qui s’est ouvert à Kazan. Je crois que c’était important pour Poutine parce que ce sommet, le 16ème des BRICS, est le deuxième plus important après le premier sommet des BRICS qui s’était tenu en 2009, déjà en Russie. C’était le sommet de la fondation. Cette fois, il s’agissait du premier sommet des BRICS en tant que tel, avec leurs nouveaux membres (il faut mentionner le statut particulier de l’Arabie saoudite qui participe aux travaux mais n’a toujours pas rejoint officiellement le groupe). C’est un deuxième âge des BRICS qui s’est engagé, une nouvelle fois en Russie. C’est pour Poutine un élément de satisfaction car la Russie pose une nouvelle pierre dans l’histoire de cet édifice. Cela donne un rôle moteur à la Russie et un leadership politique vis-à-vis de l’allié chinois qui écrase, économiquement et commercialement, le groupe avec 70% du PIB total des pays membres.
Ce sommet a été un succès parce que les BRICS se sont mis d’accord sur la manière dont ils vont concevoir leurs relations avec les autres pays qui veulent participer à ce processus. Il y a de nouveaux critères d’adhésion. Une nouvelle catégorie a surgi, celle de « pays partenaires » des BRICS. Ils ont consolidé la structuration de ce qui n’est pas considéré comme un groupe formel. Les BRICS n’ont pas d’entité juridique. C’est un regroupement de pays informels. Ils restent dans ce format, tout en affinant le statut des pays qui sont dedans et ceux qui gravitent autour. C’est un acquis au niveau du fonctionnement interne.
Ils ont avancé sur la question monétaire, notamment sur celle des systèmes de paiement, du contournement du dollar pour leurs échanges internes. Non pas en mettant en place une monnaie commune ou une monnaie se substituant au dollar. Mais en avançant sur la mise en place de systèmes bancaires et monétaires permettant aux pays d’échanger en monnaies locales. Ce qui peut permettre à des pays, pour beaucoup sous sanctions américaines, de pouvoir commercer entre eux sans subir ces sanctions. En outre, ils ont anticipé le fait que si la trajectoire états-unienne de Trump allait de plus en plus vers des guerres commerciales, cela permettrait d’aider les BRICS à se consolider comme espace d’échanges se mettant à l’abri, du moins compensant partiellement, de potentielles offensives commerciales américaines, avec des sanctions, des droits de douane, etc.
J’ajouterais aussi au bilan des positionnements qui n’étaient pas évidents à obtenir, ceux sur les conflits ukrainien et au Proche-Orient. Le communiqué a montré qu’il y a eu des discussions et qu’ils ont trouvé des positions communes à partir de points de vue pas forcément convergents. C’est une ligne diplomatique assez classique, où on ne prend pas trop parti, mais qui rappelle un certain nombre de principes. Sur la guerre russo-ukrainienne, le communiqué indique que les pays des BRICS ont exposé leurs points de vue nationaux, qui sont divergents, vu que nombre de pays considèrent que la Russie a agressé l’Ukraine, tout en ne voulant pas se mettre mal avec elle, et en refusant de la sanctionner. Le communiqué rappelle l’attachement à l’ONU et indique le souhait d’une négociation politique pour mettre fin à la guerre, et aboutir à une « résolution pacifique ». Il salue les initiatives de médiation existantes. Ce qui laisse entendre que la Russie est prête à écouter des propositions.
Sur la guerre menée par Israël en Palestine et au Liban, il est intéressant de voir que les pays appellent au cessez-le-feu, à la paix , à l’application des résolutions de l’ONU (notamment celle de 1967 en faveur de deux États), prennent position pour que l’État de Palestine soit membre à part entière des Nations unies, et expriment le rejet de toute forme d’agression de l’Iran. Le texte s’alarme des possibilités d’embrasement général et exige le respect de la souveraineté de la Syrie.
QG : Peut-on dire que la déclaration de Kazan, axée sur la multipolalité, la résolution « pacifique » des conflits, se veut critique de la domination occidentale dans les relations internationales tout en soulevant des contradictions concernant l’attitude géopolitique de certains états membres du bloc des BRICS ?
Sur la première partie de votre question, c’est exactement ça. L’existence et le cheminement des BRICS sont l’expression d’une critique très claire, très précise, de la domination des puissances occidentales dans l’ordre international. C’est un club de pays qui s’est réuni, au départ, sur le fait qu’ils étaient peu considérés, voire méprisés par les puissances occidentales. Les BRICS sont l’expression de la fin du monopole de la puissance occidentale dans les relations internationales. Mais cette critique n’est pas accompagnée d’un projet alternatif. La multipolarité, c’est un reflet du nouvel équilibre des forces, une prise en compte du pouvoir des nouveaux acteurs, une volonté de répartition de la puissance et de l’influence entre tous ces acteurs, mais ce n’est pas un projet alternatif à l’ordre capitaliste international et à ses institutions. Les BRICS ne remettent pas en cause cela.
Pour le reste, bien sûr qu’il y a des contradictions. Vous avez un certain nombre d’acteurs ayant des intérêts différents, en raison des intérêts nationaux de chacun, comme par exemple la Chine et l’Inde, qui sont concurrents dans plusieurs domaines, ou l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui ont des points de vue divergents, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce qui rassemble ces pays, ce sont d’autres intérêts liés aux situations de pays qui estiment être relégués, ou pas assez reconnus dans l’ordre international. Mais il y a autant de facteurs d’homogénéité que de facteurs d’hétérogénéité au sein des BRICS. Il y a eu par exemple un couac sur la question du Venezuela. M. Poutine avait pris l’initiative d’inviter M. Maduro, dès son élection contestée du 28 juillet dernier, à Kazan, malgré les doutes et le frein du Brésil qui, de fait, ne reconnaît pas la victoire de Nicolas Maduro. Finalement, M. Poutine a relancé l’invitation à M. Maduro, venu dans l’espoir de pouvoir intégrer la liste des pays partenaires des BRICS, mais le Brésil a mis son veto. Ce qui est une première dans l’histoire du groupe. Cela indique qu’il peut y avoir des tensions entre des pays fondateurs des BRICS. Aujourd’hui, la relation entre Moscou et Brasília s’est un peu refroidie, du fait de la question vénézuélienne, parce que le Brésil a considéré que la Russie venait jouer sur son terrain, dans un moment délicat, et M. Lula n’a pas du tout apprécié le fait que M. Poutine soit passé outre et ait activé sa propre diplomatie bilatérale avec Caracas pour des questions plutôt liées aux relations entre Moscou et Washington. Pour le Brésil, c’est quelque chose qui n’est pas passé. Ce qui s’est traduit par le veto et par l’absence de Lula au sommet.
C’est un exemple montrant que les tensions géopolitiques mettent en dynamique les contradictions entre les pays membres des BRICS. L’intérêt de la Russie en Amérique latine, c’est d’être au Vénézuela, pour se positionner sur le terrain américain et faire une démonstration de force concernant sa puissance diplomatique, politique, voire militaire. Pour les Brésiliens, leur intérêt est qu’il n’y ait pas un engrenage autour du Vénézuela, qui aboutirait à une crise régionale ou à des conflits que les Brésiliens ne voudraient pas voir se développer en Amérique du Sud. Ils ne veulent pas non plus que la Russie se permette de venir trop jouer en Amérique latine alors que les Brésiliens veulent développer une politique de non-alignement, ni américain, ni russe, ni chinois, en Amérique latine. Tout cela fait partie de la vie des BRICS. Il ne faut pas en avoir une vision idéalisée. C’est un club d’États qui ont des intérêts nationaux, des traditions diplomatiques qui peuvent converger mais qui peuvent aussi entrer en compétition.
QG : Est-ce que la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis fournit une occasion pour les BRICS de s’affirmer comme une alternative crédible face à un Occident en stagnation, voire en déclin ?
C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre aujourd’hui. Je crois que la trajectoire des BRICS encore dominante à ce jour, c’est qu’ils demeurent un instrument de négociation avec les puissances occidentales, pour que leurs revendications et leurs exigences soient mieux prises en compte par ces puissances occidentales dans l’ordre international, tel qu’il existe aujourd’hui. Les BRICS ont plutôt cherché à disputer aux puissances occidentales la hiérarchie et la répartition des pouvoirs au sein de l’ordre international. C’est ça qui donne son contenu à ce que les BRICS appellent la multipolarité, à savoir un monde que nous connaissons, mais dans lequel leurs exigences et leur poids seraient pris en compte et reflétés dans les équilibres du système international.
Par contre, plus on va être dans une dynamique de tensions entre les États-Unis et la Chine, qui est la toile de fond désormais des relations internationales, plus on peut aller sur une autre trajectoire, qui ne serait plus que les BRICS soient un instrument de négociation, mais plutôt de confrontation hégémonique. Les réactions chinoises à la réélection de Trump montrent que Pékin s’inscrit encore dans une approche où la Chine ne cherche pas à affronter directement les États-Unis, mais à négocier. Si les relations se tendent par une politique agressive de Trump, les BRICS seront tentés, du moins dans leur noyau central, de former un bloc contre-hégémonique, de formuler un projet allant dans ce sens, de développer un maillage institutionnel de structures multilatérales plus nombreuses que ce que qu’ils ont en chantier aujourd’hui. Et ce, pour créer une sorte de système parallèle au système international; à savoir l’ONU, avec son Conseil de sécurité, son Assemblée générale, ses fonds, ses programmes. Mais aussi les institutions financières internationales comme le FMI, la Banque mondiale, etc.
Pour sa part, Trump a une stratégie : imposer des droits de douanes prohibitifs à tous les pays qui contestent le leadership de son pays et leur fermer l’accès au marché américain.
Poutine, de son côté, a proposé l’idée d’un parlement des BRICS. Ce qui va préciser les choix entre les deux chemins évoqués – négociation ou confrontation -, c’est l’évolution du rapport de forces international, notamment entre les États-Unis et la Chine. Ainsi nous saurons si le monde que nous avons connu va céder sous le poids de sa fragmentation.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
Directeur de recherche à l’IRIS, journaliste au sein de la rédaction du Monde diplomatique. Il est l’auteur de « Désoccidentalisation. Repenser l’ordre du monde » (avec Didier Billion, Agone Marseille, 2023) et « L’éveil d’un continent : géopolitique de l’Amérique latine et de la Caraïbe » (Armand Collin, 2014)
02.12.2024 à 20:55
En mai 2022, lors d’un séjour en Iran, Cécile Kohler et son compagnon Jacques Paris ont été arrêtés pour “espionnage”. Depuis leur arrestation, ils sont détenus comme otages d’État dans la célèbre prison d’Evin à Téhéran, synonyme de conditions carcérales extrêmes. Les rares échanges avec la famille suffisent seulement à confirmer que Cécile est encore en vie.
Sa sœur, Noémie Kohler, mène un combat acharné pour obtenir la libération de Cécile et de Jacques. Pour QG, elle revient sur le peu d’informations qu’elle reçoit sur les conditions de détention de sa sœur et son beau-frère, et en appelle également au gouvernement français pour obtenir leur libération rapide. Pour soutenir la libération de Cécile Kohler : https://libertepourcecile.com/
28.11.2024 à 21:20
Pendant près de 40 ans, Robert Bourgi a joué un rôle clé en Afrique, menant de nombreuses missions au service d’éminentes figures de la politique française telles que Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin. Entre réhabilitation ou sauvetage de présidents africains, nominations d’ambassadeurs français, et actions de lobbying auprès de l’Élysée pour le compte de chefs d’État africains, il a été impliqué dans des affaires complexes mêlant politique et finances.
En 2011, ses révélations ont fait grand bruit, lui valant en même temps une suspension d’un an de l’ordre des avocats. Il raconte son parcours dans un livre coécrit avec Frédéric Lejeal, Ils savent que je sais tout : Ma vie en Françafrique, publié aux éditions Max Milo. Dans un entretien pour QG avec Haussman Vwanderday, l’avocat lève le voile sur ces circuits opaques de financement entre politique française et dirigeants africains.