12.05.2025 à 14:10
Entretien avec Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières et auteur (entre autres) de Guerres humanitaires ? Mensonges et intox (Textuel, 2018).
Acrimed : Pour commencer, est-ce que tu pourrais nous dire quelques mots sur la situation actuelle et sa couverture médiatique ?
Rony Brauman : Je peine à trouver les mots pour décrire la situation actuelle, en cette fin du mois d'avril. Israël a rompu la trêve, ce qui était attendu, car habituel, mais l'intensité des bombardements a surpris tout le monde : plus de 500 morts dès les premières heures, 1 500 en quelques jours, des milliers de blessés, c'était effarant. Les bombes d'une tonne que larguent les avions israéliens sont destinés à détruire des bunkers. À Gaza, elles sont lancées contre des habitations et des tentes, leurs éclats blessent et tuent à plus d'un kilomètre à la ronde, leur souffle projette les corps, elles sont terrifiantes, personne ne peut s'en protéger.
Gaza est transformé en charnier, des cadavres sont livrés aux chiens, plus de quinze mille enfants ont été tués, soit plus que dans toutes les guerres de ces dernières années prises dans leur ensemble, selon l'Unicef. L'événement récent le plus marquant, c'est l'embuscade qui a coûté la vie à quatorze secouristes palestiniens du Croissant-Rouge et de la Défense civile, et un membre de l'Unrwa. Ils ont été abattus de sang-froid, hors de tout affrontement, par les Israéliens, l'un d'eux a été retrouvé les mains liées dans le dos, tous ont été ensevelis à la hâte par un bulldozer de l'armée. Fait significatif : c'est la vidéo retrouvée sur un téléphone de l'un des secouristes, exhumé du charnier, qui a permis d'établir les faits et de démentir les allégations de l'armée selon lesquelles le convoi de véhicules roulait tous feux éteints, était menaçant, composé de terroristes du Hamas, etc. Cette tuerie et les bobards israéliens ont marqué les médias, me semble-t-il, et cela d'autant plus que la sauvagerie des attaques israéliennes est de plus en plus évidente, que l'intention de découper et réoccuper Gaza est clairement annoncée, que les tentatives de déporter la population se matérialisent sur le terrain. Il s'agit aujourd'hui clairement de terrifier, épuiser, décourager les Palestiniens, de sorte qu'ils n'envisagent plus du tout de rester. Je ne crois pas que le projet de vider Gaza de la majorité de sa population soit réalisable, mais il est évident qu'ils le tentent. Et par ailleurs, les bombardements continuent au Sud-Liban et en Syrie, le harcèlement des Palestiniens de Cisjordanie ne fait que s'étendre, bref l'hubris israélienne se déploie dans toute la région.
Je ne suis pas en mesure de fournir un avis autorisé sur la couverture médiatique, car je ne lis que quelques journaux, je ne regarde pas systématiquement les informations télévisées et n'ai donc qu'une vue très partielle du traitement de cette guerre par la presse. Mais il me semble qu'une différence doit être faite entre d'une part médias audiovisuels et presse écrite, d'autre part documentaires audiovisuels et plateaux de chaînes infos. Je trouve les reportages de terrain du Monde remarquables de précision, ils sont ma lecture quotidienne, de même que la rubrique CheckNews de Libé, que j'avais d'ailleurs découverte et appréciée au moment du Covid. Je lis également le quotidien Haaretz et +972, un site d'information israélo-palestinien remarquable, ainsi que Yaani et Orient XXI, deux sites francophones que je recommande chaudement.
Mais pourquoi, en dehors des journaux que tu cites, y a-t-il une telle déshumanisation et une telle dépolitisation de l'information ? Et puis une troisième chose qui est sidérante, c'est la déshistoricisation avec, depuis un an et demi, un cadrage médiatique qui fait comme si ce conflit colonial vieux d'un siècle avait commencé le 7 octobre 2023. À ce propos, tu as enseigné à Sciences Po, établissement par lequel sont passés nombre de journalistes, que ce soit à Paris ou en province, et en principe ils y ont reçu des enseignements substantiels sur cette question, sur cette région, sur son histoire, ça fait partie du cursus.
J'ai effectivement longtemps enseigné à Sciences Po, mais je n'y ai pas étudié, et ne suis donc pas en mesure de me prononcer sur la formation de ces journalistes. Notons tout de même que les étudiants de Sciences Po se sont activement mobilisés, notamment à Paris et Strasbourg, mais aussi dans de nombreux autres IEP. Les supporters d'Israël n'ont d'ailleurs pas eu de mots assez durs pour critiquer ces mobilisations étudiantes, répandre sur leurs leaders le soupçon d'antisémitisme, déplorer leur ignorance de l'histoire etc. Ce sont eux, les générations antérieures, qui ont ainsi étalé leur ignorance, en reprenant à leur compte le roman national israélien, celui d'un peuple revenant à l'existence sur sa terre après un long exil, vivant dans le respect du droit, recherchant la paix bien qu'entourée d'ennemis mortels. Combien de fois a-t-on entendu évoquer Israël comme « seule-démocratie-du-Proche-Orient » afin de souligner l'évidence du soutien que lui doivent les démocraties européennes ?
Je suis d'ailleurs frappé par le contraste entre cet Israël rêvé et l'Israël réel d'aujourd'hui. Il faut se rappeler ce qu'était l'image d'Israël dans les années 1970, à l'époque où ces journalistes, qui aujourd'hui dominent professionnellement le monde des médias, étaient étudiants. Israël était le pays des survivants de la Shoah et des kibboutz, un pays de pionniers faisant fleurir le désert, un modèle de socialisme démocratique. J'ai plusieurs copains non-juifs, sans aucune relation directe avec le monde juif, qui ont passé du temps au kibboutz dans les années 1970, attirés par cette image aujourd'hui largement révolue. Une immense sympathie les poussait vers Israël. En gros, à part les Palestiniens, à peu près tout le monde soutenait Israël à cette époque. La guerre des Six Jours de juin 1967 n'avait fait qu'ajouter de l'attraction pour le pays qui avait proprement neutralisé en un temps record les armées arabes coalisées, et personne n'avait prêté attention au déplacement forcé de 300 000 Palestiniens, deuxième « Nakba » cachée derrière cette attaque éclair se faisant passer avec succès pour une guerre de légitime défense. Rendons ici hommage à de Gaulle, qui ne s'était pas laissé berner par le discours israélien, avait décrété un embargo sur les armes, et surtout lucidement prévu les conséquences de l'occupation de la Cisjordanie.
Mais je reviens à la question sur la déshumanisation. Je pense que la raison en est évidente : la colonisation. On ne colonise pas des égaux, mais des inférieurs, et cette différence de statut est entérinée, authentifiée si j'ose dire, par la qualification de démocratie accordée à Israël. Je reviens sur ce point parce qu'il est essentiel : les démocraties doivent se soutenir entre elles, donc soutenir Israël, pointe avancée des démocraties en guerre contre le terrorisme. Exit l'occupation, l'apartheid, les vols de terres, les expulsions arbitraires, la torture légalisée, le blocus de Gaza, les milliers de morts des diverses offensives ! Ce petit pays se défend contre une « menace existentielle », que seule la force brute peut stopper. Une « villa dans la jungle », disait Ehud Barak, alors Premier ministre. Voilà comment on « déshistoricise », on disqualifie, on déshumanise. Ceux qui résistent à l'occupation coloniale sont des terroristes, et pas n'importe lesquels : des tueurs de juifs, des nazis d'aujourd'hui, comme l'indiquent les nombreuses références à la Shoah. Dans ces conditions, de plus, chaque épisode apparaît comme sui generis. Seule continuité, celle de la légitime défense contre des ennemis du genre humain.
Mais ça n'a pas toujours été le cas, pourtant, ou pas à ce point-là. Après l'assassinat de Mohammed Al Dura, un enfant de 12 ans, par l'armée israélienne en 2000, qui avait été filmé en direct par France 2, la polémique avait duré des semaines, des mois.
Des années.
Voilà. On a tous les images en tête. On ne parle « que d'un mort » et il y avait eu des années de polémiques, de discussions, de débats. Donc on a quand même l'impression qu'à l'époque, la vie des Palestiniens avait plus de poids qu'aujourd'hui dans les médias.
Ce n'était pas juste un mort, c'était une scène visuelle dramatique. Une équipe d'Antenne 2 avait filmé la scène en direct, et la propagande ne pouvait rien contre ces images d'un père en train de protéger son enfant contre une rafale de balles. Cet enfant il avait un nom, un visage, personne ne pouvait être indifférent à l'effroi, la panique, au courage du père et à l'angoisse de l'enfant. Cela étant dit, rappelez-vous ce que le père du petit Mohammed Al Dura a enduré. Il a dû prouver qu'il avait été lui-même grièvement blessé. Il a dû se mettre à moitié nu devant des caméras pour montrer ses cicatrices de blessures par balle. Le traitement qui lui a été réservé était ignoble, une longue campagne a suivi, visant à faire croire qu'il s'agissait d'une mise en scène du Hamas. Notons que le principal animateur français de cette campagne de désinformation de l'époque, Philippe Karsenty, est aujourd'hui porte-parole du comité Trump en France.
Mais pour en revenir à la phase actuelle de la guerre, des cas comme celui-ci, et bien pires encore, il y en a des dizaines chaque jour, depuis 18 mois. Et ça dans un silence quasi total des grands médias. Qu'est-ce qui a changé à ce point en 25 ans ?
Je pense que le thème du terrorisme international s'est imposé comme jamais auparavant et qu'Israël a su en tirer le parti maximum. Rappelons-nous Netanyahou déclarant, après le 11 septembre, qu'Israël avait son Ben Laden, sous le nom d'Arafat, puis il y a eu Daesh, les attentats djihadistes en Europe, et notamment en France. La grande réussite de la propagande israélienne est d'être arrivée à transformer la domination et la répression coloniale en légitime défense. Je précise qu'en disant cela, je n'élude pas le caractère criminel de l'attaque du 7 octobre contre les kibboutz et la fête techno, « sans excuse mais pas sans cause » comme l'a bien résumé le député Jean-Louis Bourlanges.
Pour les défenseurs d'Israël, tout commence ce jour-là et c'est ce qui permet d'invoquer la légitime défense pour l'occupant, et de révoquer la légitime résistance pour l'occupé. Tout allait bien, comme une soirée de concert au Bataclan, et voici qu'une bande de sauvages se livre à un carnage, une « mini-Shoah » comme l'ont dit certains. Israël incarne dès lors les forces de la lumière contre les forces des ténèbres, la démocratie contre la terreur et ainsi de suite.
Oui, d'ailleurs, en préparant cet entretien, nous avons retrouvé un débat sur la question palestinienne publié dans Causeur en septembre 2014, donc juste avant le début des attentats, animé par Élisabeth Lévy et qui t'avait opposé à Alain Finkielkraut. Et il y avait une discussion possible, avec un réel échange d'arguments. Or, on a l'impression que quelques mois plus tard, après les attentats de Paris en 2015 et plus encore depuis le 7 octobre 2023, évidemment, ce débat aurait été impossible.
En effet, ce serait impossible aujourd'hui. Je ne pense pas m'être radicalisé entre temps. Ce sont Israël et ses soutiens qui se sont radicalisés à droite, suivant d'ailleurs en cela une tendance observable dans une bonne partie du monde, y compris en Europe. Je pense à Orban, Meloni, Poutine, Trump, Milei et bien d'autres… Cette dérive radicale date du début du millénaire sous le parrainage conjoint d'Al Qaida et des néocons. En tout cas, j'avais en effet été contacté par Élisabeth Lévy, qui était alors une libérale, gardant une certaine distance avec ses propres convictions et ouverte à la contradiction. Elle a bien changé depuis… C'est à son initiative qu'a été fait le livre de conversations avec Alain Finkielkraut, paru sous le titre La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France. La confection de ce livre a pris trois ans, ça n'a pas été un chemin de roses, mais il a été possible. L'air du temps était moins suffocant, semble-t-il.
Il y a un rétrécissement du débat public. Maintenant, on en arriverait presque au point où critiquer Netanyahou, ce serait être antisémite.
C'est vrai pour certains, les plus énervés, pour qui toute critique d'Israël et de ses dirigeants est au minimum suspecte, mais ça n'est pas le cas général. Je constate que la critique de Netanyahou est bien souvent mise au service de la défense d'Israël : les manifs contre « Bibi » et sa réforme de la justice, son mépris de la vie des otages, et même la brutalité excessive de la guerre de Gaza sont mis en avant comme preuves de la vitalité démocratique d'Israël. Dans le même temps, on instruit le procès des défenseurs des Palestiniens, a priori suspects d'antisémitisme, sommés de qualifier le Hamas d'organisation terroriste faute de quoi on en est le complice, on retourne les qualifications d'apartheid et de génocide en indices, voire en preuves d'hostilité anti-juive, et on s'acquitte de son devoir d'humanité en déplorant les morts d'innocents à Gaza.
Le « on », ici ce sont les signataires de tribunes se plaignant de la solitude des juifs de France, d'une explosion des actes antijuifs dans le pays qu'ignoreraient les propalestiniens. Je n'éprouve aucune indulgence pour les imbéciles qui s'en prennent à des rabbins dans la rue ou agressent des supposés juifs au nom de la cause palestinienne. Mais je n'ai pas plus d'indulgence pour tous ceux, ces « on » que je viens d'évoquer, qui font mine d'ignorer que les institutions juives ayant pignon sur rue entretiennent délibérément la confusion entre juifs, sionistes et Israéliens tout en contestant cette confusion lorsqu'elle provient de leurs ennemis. Les horreurs proférées sur le plateau de la télévision i24News ou de Radio J vaudraient à leurs auteurs une condamnation pour apologie de crimes contre l'humanité si elles provenaient de l'autre camp. Exemple caractéristique : on peut appeler à boycotter et sanctionner n'importe quel pays dans le monde – et l'on ne s'en prive pas –, sauf un et un seul, Israël.
Je reviens à la question de la démocratie israélienne, mise en danger par Netanyahou avec sa réforme de la justice. Certes, des centaines de milliers d'Israéliens se sont mobilisés pour protester contre cette réforme, et pour protéger la Cour suprême, garante nous dit-on du caractère démocratique de ce pays. C'est oublier qu'il s'agit de défendre la démocratie pour les juifs israéliens, pas pour les millions de Palestiniens qui vivent sous juridiction israélienne. Bien au contraire, la Cour suprême a validé l'appropriation coloniale des terres en Cisjordanie, et ne donne quasi aucune suite aux plaintes déposées par les Palestiniens. On peut certes trouver plus sympas les Israéliens qui manifestent contre Bibi que leurs opposants pro-Bibi, mais ma sympathie pour eux trouve sa limite dans cette mise à l'écart par les protestataires de la question coloniale, alors que c'est le problème central du pays. D'ailleurs, les 29 Palestiniens morts sous la torture dans les geôles de Sde Teiman et Ofer, sont largement ignorés des manifestants et de la Cour suprême. La brutalisation de la société israélienne induite par la colonisation est, de plus, un poison terrible, dont elle ne se remettra pas, j'en ai la conviction. La société israélienne se condamne à être de plus en plus violente, car les exactions et abus constants de pouvoir commis par les soldats dans les territoires occupés débordent inévitablement sur la société israélienne elle-même.
Tout ce que tu nous expliques là, on ne l'entend quasiment jamais dans les médias dominants. Tu as été invité à t'exprimer au début, juste après le 7 octobre, et puis on a l'impression que c'est de moins en moins fréquent. Comment ça s'est passé ?
J'ai participé à plusieurs émissions dans les 3-4 semaines qui ont suivi le 7 octobre, puis les invitations se sont raréfiées jusqu'à devenir quasi-inexistantes. C'est d'autant plus frappant qu'en septembre 2023, j'ai eu de nombreuses occasions de m'exprimer sur diverses chaînes radio et télé à l'occasion du tremblement de terre de Marrakech et des tensions diplomatiques franco-marocaines que cette catastrophe a révélées. Puis arrive le 7 octobre, je reçois quelques invitations, puis presque plus rien. Je suis sans doute persona non grata sur quelques chaînes, notamment France Inter, mais je ne sais pas trop comment interpréter cela, car après tout, je n'ai jamais eu mon rond de serviette dans les médias. Comment interpréter le fait que « C ce soir » m'a invité 5 ou 6 fois en quelques mois, et « désinvité » à chaque fois ? Il y a pourtant des gens dont je me sens proche qui s'y expriment, on y voit des débats pluralistes, mais je n'y suis pas convié, ou plutôt j'en suis exclu après y avoir été convié.
Cela me rappelle une « désinvitation » ancienne mais éloquente. C'était à « Complément d'enquête », qui venait d'être repris par Nicolas Poincaré. C'était en 2014, si je me souviens bien. L'émission devait comporter trois reportages : l'un sur une famille juive française ayant émigré en Israël, l'autre sur une agression antisémite à Sarcelles et le troisième sur un club de krav-maga où s'entraînaient des fachos sionistes tenant des propos racistes violents. C'est ce reportage que je suis invité à commenter. L'équipe est venue chez moi voir les lieux pour installer les deux fauteuils rouges habituels, le reportage m'avait été communiqué pour que je puisse le visionner auparavant, car je n'étais pas en direct. Mais je reçois la veille de l'enregistrement un appel de la rédaction m'informant que, finalement, l'angle a été changé (c'est la formule consacrée, je peux en témoigner), que c'est finalement un politique qui commentera ce reportage. J'en prends acte, ça m'arrangeait plutôt car j'avais cours à Sciences Po le même jour, et je n'en demande pas plus. Je regarde le soir-même l'émission (je signale en passant que les trois reportages étaient excellents), et découvre que le « politique » qui m'a remplacé n'était autre que Bernard-Henri Lévy… Et un BHL, qui plus est, qui n'a pas eu un mot de critique ou de recul face aux discours d'extrémistes, de racistes violents qui parlaient « cash », sans fard. Je suppose qu'il a appris que j'étais invité et a fait pression pour me sortir et me remplacer. J'ai eu l'occasion de demander à Poincaré, bien plus tard, comment et pourquoi j'avais été décommandé si grossièrement. Il m'a dit que lors d'une réunion de la société de production de l'émission, quelqu'un aurait dit que j'étais trop « controversé ». C'est le mot employé. J'en déduis que pour ces gens-là, critique d'Israël = controversé = suspect.
Pour en revenir à l'après 7 octobre, je suis invité par LCI deux fois au début. Une fois en visio depuis chez moi, qui a été un cauchemar, car je ne pouvais que contempler les élucubrations d'Arno Klarsfeld en train d'expliquer, sans contradicteur, qu'Israël a toujours voulu la paix, sans trouver en face de partenaire. J'ai pu finalement réagir brièvement et de manière décalée, grâce à la technicienne qui mettait en place le duplex depuis mon domicile et qui était outrée de me voir réduit au silence. Peu de temps après, Pujadas m'a invité et j'ai bénéficié d'un créneau de quelque 10 minutes dans un long plateau de 3 heures entièrement pro-israélien. Mais on peut dire des choses en 10 minutes. Pujadas me demande en substance si je qualifie le Hamas de groupe terroriste et si je fais la différence entre les massacres horribles du 7 octobre et le fait de tuer involontairement des innocents, ce qui est certes malheureux mais d'une autre nature. J'ai répondu qu'on était loin de quelques dégâts causés par la difficulté de tirer avec précision, qu'il s'agissait d'une guerre contre les Palestiniens et pas contre le seul Hamas et j'ai refusé de qualifier le Hamas de terroriste, trouvant cela extrêmement réducteur par rapport à ce qu'est le Hamas en tant que mouvement politique. J'ai ajouté que l'attaque du 7 octobre était terroriste, si on définissait le terrorisme par le fait d'attaquer des civils en vue d'un résultat politique. Et j'ai fait remarquer que, dans ce cas, l'armée israélienne devait alors également être qualifiée d'organisation terroriste. Les autres participants étaient offusqués. D'autant plus quand j'ai dit qu'ils étaient la voix d'Israël sur ce plateau, en reproduisant tous les thèmes de la propagande israélienne, à l'exception, je dois dire, d'Antoine Basbous, le seul à rappeler qu'il y avait des êtres humains sous le tapis de bombes israéliennes, ce que les autres semblaient avoir totalement oublié. En tout cas, il semble que j'ai signé mon OQTF médiatique ce soir-là !
Finalement la plupart de ceux qui disent des choses comparables semblent mis sur liste noire… Sylvain Cypel ? Blacklisté. Tsedek ? Blacklisté. Alain Gresh ? Blacklisté, etc.
En effet. Ça ne m'étonne pas pour Tsedek, car la gauche radicale n'a quasiment aucun accès aux médias mainstream. C'est beaucoup plus frappant pour Alain Gresh et Sylvain Cypel, experts reconnus du Proche-Orient et d'Israël. Tous les deux ont été rédacteurs en chef (Monde Diplo et Le Monde), ont écrit des livres – excellents – sur la question et sont en effet blacklistés. C'est scandaleux.
La dernière fois que l'on t'a vu, c'était sur France 24.
France 24, comme RFI d'ailleurs, est bien plus ouvert que le reste des chaînes publiques, du fait de sa vocation internationale. J'ai eu 25 minutes pour m'exprimer, face à une journaliste qui avait sérieusement travaillé le sujet, qui apportait des infos, me laissait le temps de développer mes réponses.
C'est la seule fois où tu as eu à faire à un journaliste bienveillant sur ce sujet-là et dans cette période-là ?
Non, pas tout à fait. J'ai été invité une autre fois par France 24, par une autre journaliste avec laquelle ça s'est très bien passé, pour les mêmes raisons. Et j'ai fait une longue interview sur TV5 Monde le 11 novembre 2023, qui a beaucoup tourné également. J'y ai notamment expliqué pourquoi je n'irais pas à la grande manif' « contre l'antisémitisme » du lendemain.
Est-ce que tu suis les médias étrangers ?
Seulement quelques médias anglophones, notamment Haaretz et +972, qui est un excellent site d'info israélo-palestinien. Ce sont eux, notamment, qui ont dévoilé l'usage de l'IA par les artilleurs israéliens qui ont démultiplié le nombre des cibles à abattre quotidiennement, et, plus marquant encore, les codes de langage imposés par le New York Times à ses journalistes : interdiction d'employer les mots de génocide, nettoyage ethnique, colonisation etc.
Quant aux journalistes palestiniens, qui paient pourtant un tribut extrêmement lourd dans cette guerre, on ne leur donne pas beaucoup la parole ?
Il y a Rami Abou Jamous qui a connu un certain succès par son livre et par ses interviews sur France Inter. Il a été invité deux fois à la matinale, s'exprimant depuis Gaza. Le personnage force le respect, il est extrêmement sympathique, parle très bien français et tous les journalistes français qui sont allés à Gaza le connaissent car il était fixeur pour eux. Et l'histoire de son fils rappelle tellement « La vie est belle » de Benigni que c'en est particulièrement touchant. Je pense qu'une intervention de Rami Abou Jamous vaut dix commentaires. La tranquillité, la force avec laquelle il exprime tout ça en impose. Mais tu as raison de rappeler que la guerre de Gaza bat aussi le record de journalistes tués, parmi bien d'autre sinistres records d'ailleurs (nombre d'enfants, nombre de secouristes etc.).
Et le lendemain, sur la même radio, à la même heure, on peut entendre un général ou un diplomate israélien qui appelle à poursuivre les massacres... C'est démoralisant et c'est incompréhensible en même temps.
Effectivement, et le plus révoltant, c'est la différence de traitement. D'un côté, l'impunité absolue avec laquelle s'exprime les pro-israéliens qui peuvent faire l'apologie des pires horreurs comme Caroline Fourest, Céline Pina, Louis Sarkozy et bien d'autres qui clament en substance qu'Israël ne fait que se défendre et nous défendre, et de l'autre côté, des propalestiniens qui peuvent se retrouver au tribunal pour avoir brandi un drapeau palestinien. Pire encore, car s'exprimant en tant que juif et au nom des juifs, le grand rabbin de France a approuvé sans réserve la campagne meurtrière de Gaza, déclarant que « tout le monde serait bien content qu'Israël finisse le boulot » et qualifié les « massacres à Gaza » de « fait de guerre ». Le parquet a classé sans suite la procédure ouverte contre lui à la demande du député Aymeric Caron, faute d'une infraction suffisamment caractérisée. Tout ceci contribuant à attiser la haine anti-juive.
C'est dans ce contexte que j'ai déclaré, lors du colloque de l'UJFP/Tsedek tenu à l'occasion du 80ème anniversaire de la libération d'Auschwitz, que Gaza était en train de supplanter Auschwitz comme métaphore de la cruauté absolue et que cette commémoration apparaissait comme un crachat dans la figure des Palestiniens. J'ajoutais que je ne m'en réjouissais certainement pas mais que je le constatais et le comprenais. Ceux qui commémoraient étaient en effet les mêmes que ceux qui soutenaient le déluge de bombes et la guerre génocidaire de Gaza. Je me suis fait allumer pour ces propos par une journaliste de Marianne (et de Valeurs actuelles et CNews). À la suite de quoi est parue dans Libération une pétition contre moi me faisant dire que j'assimilais sionisme et nazisme [1]. C'est absurde, je ne l'ai jamais dit, et surtout ne l'ai jamais pensé. Libé m'a élégamment refusé un droit de réponse, et j'ai donc répondu à cet article stupide et malveillant dans un blog de Mediapart [2]. Un peu plus tard, je me faisais alpaguer pour la même raison dans une tribune publiée par Le Monde, signée par des intellectuels se revendiquant « juifs aux sensibilités politiques diverses, mais tous issus de la large famille de la gauche » [3]. Cette fois-ci j'étais en compagnie de l'anthropologue Didier Fassin, auteur du livre Une Étrange défaite. Sur le consentement à l'écrasement de Gaza. Un papier consternant d'ignorance, reprenant les thèmes ordinaires de la propagande israélienne, s'inquiétant de « l'isolement des juifs de France » et de l'explosion de l'antisémitisme. Nous y étions accusés d'alimenter et de nous nourrir de la haine des juifs. Rien que ça. J'ajoute que des juifs progressistes ont publié, dans Le Monde également, une réponse à cette tribune qui remettait les pendules à l'heure [4].
Je m'afflige de constater qu'il est devenu suspect de rappeler que cette guerre n'a pas commencé le 7 octobre mais n'est que le dernier épisode en date, particulièrement violent, d'une longue guerre menée par les divers gouvernements israéliens contre la population palestinienne. À Gaza comme en Cisjordanie. Que cette longue occupation ne puisse que susciter de la résistance, et que cette résistance puisse se fourvoyer en des actes horribles, voilà qui relève de l'évidence. C'est cette évidence qui est désormais mise en soupçon, voire en accusation d'antisémitisme, non seulement par les défenseurs habituels d'Israël, mais aussi par la justice et une bonne partie des médias.
Propos recueillis par Alain Geneste et Blaise Magnin.
[1] « Défendre la mémoire d'Auschwitz pour les combats d'aujourd'hui », Libération, 19/02.
[2] « En réponse d'une pétition parue dans Libération », blog Mediapart, 28/02.
09.05.2025 à 10:00
Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 02/05/2025 au 08/05/2025.
« Mélenchon : les journalistes politiques chassent en meute », Acrimed, 06/05.
« Louis Sarkozy sur France 2 : le service public ne devrait pas faire ça », Arrêt sur images, 5/05.
« Stérin : les milliardaires s'organisent pour faire gagner l'extrême droite », Blast, 4/05.
« Comment les associations humanitaires sont devenues d'« affreux gauchistes » aux yeux de certains médias et politiques », StreetPress, 6/05.
« Cher Jordan Florentin », Blast, 3/05.
« Guedj : Castets, Tondelier et Royal dans les filets de l'info », Arrêt sur images, 4/05.
« L'AFP presque seule pour couvrir en français la vague de chaleur en Asie », Arrêt sur images, 2/05.
« Procès de Kim Kardashian : ces mignons "papys braqueurs" qui ont violenté une femme », Arrêt sur images, 2/05.
« Avec la JLC Family, TF1 hisse le voyeurisme au sommet du mauvais goût », Télérama, 2/05.
« Dénatalité : la faute aux féministes (et aux écolos) », Arrêt sur images, 4/05.
« Malaria et paludisme : "Le Monde" fait la promo de la tisane Artemisia », Arrêt sur images, 6/05.
« Les insectes disparaissent, et la télé regarde ailleurs », Arrêt sur images, 7/05.
« Gaza : pourquoi nos grands médias soutiennent un génocide », Le Média, 8/05.
« A-t-on le droit de rire de Sarko devant son fils Louis ? - Retour sur l'affaire "Guedj viré" de manif », Le Média, 7/05.
« NRJ Group annonce des "négociations exclusives" avec CMA Média pour la vente de sa chaîne Chérie 25 », Le Monde, 7/05.
« "60 millions de consommateurs" : après un conseil d'administration, l'étude d'une cession du magazine est lancée », L'Humanité, 6/05.
« École des métiers de l'information cédée : qui sont les trois repreneurs potentiels ? », L'Humanité, 6/05.
« "La moindre étincelle pourrait raviver le conflit" : à l'imprimerie de la Provence, malgré la suspension des licenciements, le risque de délocalisation plane toujours », L'Humanité, 7/05.
« Soutenue par Vincent Bolloré, l'agence d'influence Progressif Media se lance dans la bataille électorale », La Lettre, 5/05.
« Cyril Hanouna, Sonia Mabrouk, Laurent Ruquier… Télés et radios entament un mercato endiablé », Le Figaro, 6/05.
« "J'occupe sur Europe 1 et CNews une place qui m'est chère" : Sonia Mabrouk n'ira pas chez BFMTV », Le Figaro, 6/05.
« Philippe Rey de retour sur Franceinfo, mais à la télé », L'Informé, 6/05.
« Challenges recrute Emmanuel Botta pour diriger son site web », La Lettre, 7/05.
« Présidence de France télévisions : un candidat écarté réclame des comptes à l'Arcom », La Lettre, 7/05.
« Rachida Dati sur son projet de réforme de l'audiovisuel public : "Je suis déterminée et n'y renoncerai pas", Le Monde, 7/05.
« Rachida Dati met Radio France en ébullition », Le Monde, 7/05.
« France : manifestation du 1er mai à Paris, la liberté de la presse entravée par des violences policières », RSF, 7/05.
« "Frontières" : trois associations déposent une plainte contre le magazine identitaire », Le Monde, 5/05.
« Une sanction pour des propos de Cyril Hanouna sur la chaîne C8 diminuée de moitié », Le Monde, 6/05.
« Jugée pour financement du terrorisme, la journaliste Céline Martelet s'explique », La Revue des médias, 5/05.
« "Gaza : nous refusons le silence" », tribune, 6/05.
« Retailleau n'aime pas l'info », Off Investigation, 6/05.
« Encore un sondage pour conditionner l'opinion à une victoire du RN », Contre Attaque, 6/05.
« Paul de Saint Sernin et Nicolas Bedos : retour sur une séquence polémique », Arrêt sur images, 7/05.
« Comment Sud Radio profite de sa "parole libre" », L'Informé, 7/05.
« Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes : "Les gouvernements s'arrangent pour que les médias s'attaquent à eux-mêmes" », L'Humanité, 7/05.
Et aussi, dans le monde : États-Unis, Russie, Népal, Syrie, Sierra Leone, Pérou, Palestine, Burundi...
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[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.
09.05.2025 à 09:47
Légitimation d'une chaîne de propagande.
- En direct de France Info / France Info (radio et télé), « Les Informés »Trois fois par mois, l'éditorialiste d'i24News Michaël Darmon intervient à l'antenne des « Informés », l'une des (nombreuses) émissions de commentaire diffusées par France Info à la radio et à la télévision. Un choix éditorial qui légitime, de fait, une chaîne de propagande alignée sur le gouvernement d'extrême droite israélien.
Lorsqu'au printemps 2024, nous épinglions « Les Informés » (France Info) en raison de la présence en plateau de l'éditorialiste d'i24News Michaël Darmon [1], nous étions loin d'imaginer que quelques mois plus tard, ce dernier y disposerait d'un véritable rond de serviette : 22 interventions depuis le 1er septembre 2024, soit un fauteuil quasi hebdomadaire.
À croire que ses interventions d'alors, dont la teneur laissait pantois, ont ravi la rédaction de l'émission au point de lui valoir… une accréditation permanente. Cette dernière ne peut pourtant pas ignorer le pedigree de la chaîne qu'il représente : au portrait qu'en dressait Arrêt sur images en novembre 2023 – « antenne calquée sur la propagande de guerre israélienne », « débats et interviews sans retenue, où le "wokisme" et "l'islamogauchisme" sont accusés d'être à l'origine d'un "antijudaïsme" français » –, on pourrait ajouter les fake news qu'aura initiées i24News – dont celle des « quarante bébés décapités » –, et la propagation de discours haineux légitimant la guerre génocidaire à Gaza. Parmi ceux-ci, l'appel de Barbara Lefebvre à « soutenir le plan Trump » et « vider la bande de Gaza » où « les civils […] sont autant responsables que les membres du Hamas et du Jihad islamique » (20/02) ; l'affirmation du commentateur Maurice Ifergan selon laquelle « il n'y a pas d'innocent dans la bande de Gaza » tandis que l'UNRWA « éduque [l]es réfugiés palestiniens à la haine » (12/02/2024) ; la menace de Marilyn Baron – « Nous sommes un pays avec une bombe atomique, […] personne ne doit habiter cette terre si ce n'est pas le peuple juif. » (24/12/2023) – ou les déclarations de David Antonelli : « Moi, je me fiche éperdument des deux millions de Gazaouis. Moi, ce qui m'importe aujourd'hui, […] c'est la vengeance d'abord d'Israël, relever la gloire d'Israël. [...] On ne va pas réoccuper Gaza, on va récupérer Gaza. » (16/10/2023).
Sur i24News, on célèbre aussi l'internationale des extrêmes droites. Le 26 février dernier par exemple, le même David Antonelli décrivait à l'antenne une Europe « submergée par l'islamisation » et saluait la Hongrie de Viktor Orban, Geert Wilders, « un grand ami d'Israël », ou encore l'ancien vice-président de l'UDC suisse, Oskar Freysinger, « fervent défenseur d'Israël » – à propos duquel la RTS et Le Temps rapportaient en 2013 qu'il « expos[ait] un drapeau néonazi chez lui ». « Israël justement est un modèle, un modèle au Moyen-Orient, un modèle occidental, démocratique et qui est en première ligne face à la barbarie islamiste. […] [Ces personnalités politiques] ont très bien compris que si Israël tombe, c'est terminé aussi pour l'Europe ». (David Antonelli, « Les Grandes Gueules Moyen-Orient », i24News, 26/02)
Aucun de ces faits d'arme ne semble pourtant constituer un frein aux yeux de France Info, qui, en toute connaissance de cause, choisit de légitimer l'une des têtes d'affiche d'i24News, travaillant sur la chaîne depuis son lancement en 2013 [2]. La rédaction de service public aurait-elle envisagé un seul instant confier un fauteuil hebdomadaire à un éditorialiste de Russia Today pour commenter l'actualité – a fortiori internationale – si le média n'avait été supprimé aux débuts de l'agression russe contre l'Ukraine ?
La labellisation de Michaël Darmon en tant que chroniqueur régulier par une station de service public est révélatrice de la complaisance de certains grands médias – mais également d'une large partie de la classe politique [3] – à l'égard de discours aussi radicaux qu'outranciers.
Les articles qu'il publie sur i24News regorgent d'enseignements à cet égard. En janvier 2024, après que la Cour internationale de justice a rendu son premier verdict concernant un risque plausible de génocide à Gaza, le journaliste évoque un « rendu hypocrite et malfaisant » à la « rhétorique ambiguë et fielleuse » : une « guignolade de justice » faite de « pièces fallacieuses fournies par la CIJ et ses agents traitants répartis dans les médias internationaux » (28/01/2024). Les magistrats n'échappent pas à la vindicte de l'éditorialiste, qualifiés tantôt de « satrapes », tantôt de « pauvres hères », et la Cour internationale de justice est décrite comme une « assemblée de juges stipendiés et aux ordres de leurs gouvernements », une « arène où coule le laid et le fiel ». La créativité de Michaël Darmon ne connait que peu de limite, qui détourne l'acronyme de la CIJ, devenant sous sa plume le « conclave de l'inimitié juive ou concile de l'inutilité de justice », comme celui de l'ONU, rebaptisée « l'Organisation d'un narratif ulcérant ». On ignorait que la rédaction des « Informés » cautionnât de telles opérations de décrédibilisation de la presse et de la justice internationale…
Évidemment, le reste des éditos de Michaël Darmon est à l'avenant. Le soutien à l'État d'Israël, « ses expertises, sa technologie, son pragmatisme, sa passion pour la vie » (20/01/25), s'y exprime de façon inconditionnelle, au point que le journaliste célèbre l'attaque militaire indiscriminée dite « des bipeurs » ayant causé de très nombreux blessés et morts civils au Liban – « un coup d'éclat qui redore le blason des services de renseignements israéliens pour la prochaine décennie » –, jusqu'à s'en amuser : « C'est l'hécatombe. La désormais célèbre opération dite "des bippers" […] aurait pu avoir pour nom de code "from the bipper to the sea". » (15/10/24) L'éditorialiste nous gratifie également d'analyses inspirées sur « l'islamisation de la question palestinienne » depuis le 7 octobre 2023 (11/02/24), « l'émergence d'un hamastan » au sein des marches féministes (10/03/24) ou encore le « nouvel ordre moral » que constituerait « l'islamo-wokisme », Michaël Darmon ne reculant, dans ce registre non plus, devant aucune caricature : « Après sa défaite militaire, Daesh a continué d'injecter son venin de haine dans une partie de la planète, mais en cachette. L'islamo-wokisme, paré des atours militants et alter mondialistes s'exprime, lui, au grand jour. Et pour éradiquer cette nouvelle dictature née dans cette deuxième décennie du XXIe siècle, la seule force militaire sera impuissante. » (26/11/23)
Naturellement, La France insoumise et autres « militants de la discrimination » seraient à compter au rang des « parrains de l'islamo-wokisme » (26/11/23), lesquels polarisent par conséquent toutes les calomnies, complotisme bon teint et islamophobie garantis : « Le leader maximo des Insoumis […] a décidé de ghettoïser la question sociale et veut faire le lien entre les bobos woke des campus et les habitants des quartiers populaires : son ciment est la cause antisioniste et antisémite. Son agent traitant est Rima Hassan, activiste chargée d'échauffer les électeurs d'origine musulmane. » (29/04/24)
Si une telle rhétorique ne disqualifie pas l'intéressé auprès de la rédaction des « Informés », c'est sans doute parce qu'elle ne dépareille pas avec le prêt-à-penser dominant de l'émission. Un seul exemple, en date du 24 mars dernier : les invités du jour, parmi lesquels l'éditorialiste d'i24News, dissertent des prétendues responsabilités de La France insoumise… dans l'agression antisémite du rabbin d'Orléans deux jours plus tôt. Les cadres du mouvement politique ont beau avoir immédiatement condamné les faits, formulé à plusieurs reprises leur soutien inconditionnel au rabbin et à sa famille et revendiqué l'unité pour combattre l'antisémitisme et tous les racismes, l'instrumentalisation de cette affaire par la classe politique – et le tombereau d'accusations qui en émanent – donne son angle à l'émission. Agathe Lambret : « Des voix s'élèvent pour pointer la responsabilité d'un parti dans ce climat : Le France insoumise […]. Les Juifs français ne sont-ils plus en sécurité en France et La France insoumise a-t-elle soufflé sur les braises, ou davantage ? Le Rassemblement national est-il vraiment devenu le bouclier de la communauté juive comme il le prétend ? »
Un cadrage d'emblée biaisé : dans le cas de la gauche, la « question » posée est formulée dans les termes de ses détracteurs, lesquels donnent donc le ton ; s'agissant de l'extrême droite en revanche, c'est la communication du RN sur lui-même qui fait loi… et cadre le « débat » des journalistes. Pire : seule la première de ces deux « questions » sera véritablement discutée au cours de l'émission, les journalistes passant près de 19 minutes à instruire le procès de la gauche pour « antisémitisme » et seulement 1 minute 30 à évoquer l'extrême droite. Et de quelle manière…
S'agissant de la gauche, l'ensemble du plateau est au diapason. Michaël Darmon lance les premières attaques en dénonçant un antisémitisme « qui est tendance […] chez beaucoup, notamment chez certains jeunes très engagés à l'extrême gauche, bien évidemment, on le voit. Et c'est vrai que c'est La France insoumise qui installe cet antisémitisme d'atmosphère » ; mais les autres journalistes s'alignent sans scrupule sur son discours. La directrice adjointe de la rédaction de Libération, Alexandra Schwartzbrod, a beau commencer son intervention en soulignant « qu'on ne peut pas pointer du doigt quelqu'un ou un groupe », elle se joint au concert la phrase d'après : « Alors évidemment, LFI, c'est vrai, depuis le 7 octobre, entre ce qu'ils n'ont pas dit, c'est-à-dire le mot "terroriste" qu'ils n'ont pas voulu accoler au Hamas et ce qu'ils ont dit, les ambiguïtés, etc., LFI, c'est vrai, a mis l'huile sur le feu. Et en plus LFI s'adresse beaucoup aux jeunes et donc c'est très, très grave. » Quelques minutes plus tard, c'est au tour du journaliste François-Xavier Bourmaud (L'Opinion) de dénoncer l'absence de LFI à la marche contre l'antisémitisme du 12 novembre 2023, sans préciser que le parti soutenait alors un appel parallèle, initié par différentes organisations de jeunesse, à se rassembler « contre l'antisémitisme, les racismes et l'extrême droite ». Mais qu'importe au grand enquêteur de L'Opinion, qui n'y voit rien de moins que le point de départ d'« une période de non-dits, de messages subliminaux qui, tous, viennent alimenter cet antisémitisme d'atmosphère. » Et de poursuivre en évoquant le visuel d'appel à la marche antiraciste du 22 mars représentant Cyril Hanouna : « Là, pour le coup, avec cette affiche, il n'y a plus aucun doute qui est possible sur la nature antisémite de La France insoumise. » Excédant de très loin certaines critiques légitimes à l'égard de ce visuel et de la gestion de cette « affaire » par LFI, un qualificatif aussi infamant et définitif mériterait des arguments étayés que le journaliste serait bien en peine d'apporter. Et pour cause, tant il s'agirait alors d'établir que la structure du parti et avec lui, son projet politique, seraient de « nature antisémite »…
Alors que le plateau est totalement déséquilibré, avec quatre journalistes invités jouant le même rôle de procureur contre la gauche, les deux présentateurs ne tentent même pas d'adopter un positionnement plus objectif afin d'introduire un minimum, si ce n'est de pluralisme, du moins de contradiction dans le studio, et préfèrent éditorialiser eux aussi. Le procès à charge du parti de gauche se joue donc à six intervenants… contre zéro, Agathe Lambret s'illustrant notamment par une tirade contre Jean-Luc Mélenchon [4] de plus de 2 minutes 20, soit la durée d'un éditorial plutôt que d'une « question ».
Vient ensuite Jean-Rémi Baudot, qui se charge d'introduire le second pan de la « discussion » :
- Jean-Rémi Baudot : Dans ce contexte, on semble voir un virage à 180 degrés du RN sur cette question [de l'antisémitisme]. Michaël Darmon, vous qui avez longtemps suivi le Front national en tant que journaliste, vous pensez que ce virage, il est sincère ?
- Michaël Darmon : De la part de Marine Le Pen, c'est indéniable. De la part d'autres personnes qui sont autour d'elles, ses principaux lieutenants, par rapport à ce qu'on a pu connaître et par rapport surtout aux conversations qu'on a pu avoir tout au long de ces années, c'est clair que ce changement, il est majeur. […] Il a été acté par des chercheurs, par des politologues, par des historiens, qui d'ailleurs avaient [été] mis à la Une du Monde, s'étaient tous exprimés le lendemain de la manifestation en novembre 2023 à laquelle Marine Le Pen avait participé contre l'antisémitisme et pour la République ; [ils] avaient donc tous titré en disant qu'il s'agissait-là d'une mutation politique et historique de grande ampleur. […] En ce qui concerne effectivement cette évolution, pour la question que vous posez, ça, ça me paraît clair.
De quels chercheurs, publiés à la Une du Monde à cette période, se revendique l'éditorialiste pour avancer de tels propos ? Hormis la politiste Nonna Mayer et l'historien Grégoire Kauffmann (11-13/11/2023), on ne voit pas bien, d'autant que ni l'une, ni l'autre n'accrédite la thèse de Michaël Darmon [5].
Mais peu importe là encore : en plateau, personne ne bronche. Personne pour rappeler, précisément, les positions et les travaux des chercheurs spécialistes de cette question, les rapports de la CNCDH, ou encore les enquêtes journalistiques sur les propos et accointances antisémites d'élus RN. Pas même la directrice adjointe de Libération, dont certains journalistes œuvrent pourtant à documenter le phénomène. Personne, non plus, pour indiquer qu'une semaine avant cette marche de novembre 2023, le président du RN Jordan Bardella déclarait sur BFM-TV (5/11/2023) : « Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite. » Autant de messages pas assez « subliminaux », sans doute, pour nos grands informés…
Bilan des courses : la question de Jean-Rémi Baudot sur le RN s'est soldée par la tirade de Michaël Darmon précédemment citée, sans qu'aucun autre intervenant ne s'exprime à sa suite sur le sujet. Ce qui revient à octroyer à un éditorialiste d'i24News… le monopole du discours sur l'extrême droite en France, et le rapport de cette dernière à l'antisémitisme. CQFD.
Insistons-y : si les articles de Michaël Darmon sur i24News ne le disqualifient pas auprès de la rédaction des « Informés », c'est parce qu'ils ne contreviennent en rien au discours dominant, voire en sont le reflet, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de diaboliser la gauche… tout en normalisant l'extrême droite. Reste qu'avec un tel recrutement, « Les Informés » confirment une ligne éditoriale à l'image du bruit médiatique ambiant : éditorialisation permanente au mépris des faits comme du pluralisme… et droitisation sans fin, quitte à légitimer une chaîne ouvertement propagandiste, alignée sur le gouvernement israélien et sur son entreprise génocidaire en Palestine.
Pauline Perrenot
[1] Voir « Quand le journalisme politique touche le fond », Médiacritiques n°51, juillet-septembre 2024, p. 18.
[2] Comme le retrace Wikipédia, Michaël Darmon a aussi travaillé à TF1 (1990-1993), France 2 (1994-2010), iTélé (2011-2016), Sud Radio et Europe 1 (2018-2021).
[3] Sans parler des responsables politiques qui n'hésitent pas à se rendre sur la chaîne, on relèvera par exemple l'énorme malaise de l'écologiste Aurore Lalucq lorsque, sur le plateau de Backseat ici à 2:40:00, Usul lui pose la question suivante : « Au début de la guerre, on a fermé RT France. Aujourd'hui, est-ce que la question ne se pose pas aussi, comme sanction, […] de fermer par exemple i24News ? » (24/03/2024)
[5] Et ce, malgré les interrogations et débats que peuvent par ailleurs susciter leurs interviews respectives.
06.05.2025 à 20:07
Raz-de-marée médiatique.
- Politique / La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, Journalisme politiqueLa Meute. Enquête sur la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (Flammarion) : le livre des journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde) n'avait pas encore paru que la mobilisation médiatique était déjà enclenchée.
Bonnes feuilles dans Le Monde (4/05), recensions dans Le Point, L'Express (5/05), Le Figaro, RTL, L'Indépendant (6/05), en Une de Libération, du Parisien (6/05) et Marianne (7/05), entretiens sur France Inter, dans Marianne, RTL mais aussi « Quotidien » (6/05), où, dès la veille, Jean-Michel Aphatie anticipait l'interview : « [Ils] racontent dans La Meute […] la vraie vie de La France insoumise : une dictature en miniature. Épouvantable ! » (TMC, 5/05) Bref, c'est peu dire que la promo médiatique a démarré en fanfare.
L'enquête occupe de fait le premier plan de l'agenda. Elle fait l'objet du « Brief politique » de France Info (5/05) ; dans la matinale de TF1, Alba Ventura lui consacre un édito, affirmant que le livre « aurait pu tout aussi bien s'appeler La Secte. Une secte dont Jean-Luc Mélenchon est le gourou » (6/05) ; Apolline de Malherbe l'évoque quant à elle pendant le premier quart de son entretien avec Fabien Roussel (BFM-TV, 6/05), dont les « petites phrases » sont ensuite inlassablement recyclées par la chaîne… et l'AFP, elle aussi frénétiquement relayée dans la presse : « Fabien Roussel compare La France insoumise à une "secte" après la publication de "La Meute" sur le parti de Jean-Luc Mélenchon » (Le Monde, 6/05). Sur Franceinfo, la rédaction organise un plateau quelques heures après avoir questionné Alexis Corbière sur le sujet (6/05) ; l'habituée des plateaux Nathalie Mauret signe un papier publié dans plusieurs titres du groupe Ebra, du Dauphiné Libéré aux Dernières nouvelles d'Alsace en passant par Le Bien public (6/05). Et dans la matinale de France Culture (6/05), après un billet de l'éditorialiste Jean Leymarie saluant le livre, Guillaume Erner en remet une couche face à son invité du jour, le sociologue Didier Eribon, enjoint d'acquiescer aux accusations d'antisémitisme portées contre LFI et interrompu pas moins de dix fois par son hôte en à peine deux minutes pour son refus d'obtempérer, laissant le matinalier sur sa faim : « Bon… je vois que je ne vais pas réussir à obtenir autre chose de vous. »
Le livre bénéficie d'un tapage sur-mesure, converti en « événement » de première importance. Le genre, pourtant, est loin d'être nouveau. Si l'émission « Complément d'enquête » (France 2, 24/04) en constitue l'épisode le plus frais, La Meute rejoint la collection d'essais signés par des journalistes sur Jean-Luc Mélenchon et/ou La France insoumise [1].
Mais c'est un genre indéniablement très prisé… et fort rentable : ouvrant un droit automatique à défiler des plateaux de l'audiovisuel aux Unes des journaux, les dénonciations des « ambiguïtés » et « dérives » du « gourou » Mélenchon se succèdent les unes après les autres [2]. Elles sont dans l'air du temps ; celui d'une diabolisation sans fin de la gauche. Dans L'Union (6/05), tout en confessant ne pas l'avoir lu, un journaliste se délecte d'un « livre qui pourrait mettre la meute aux abois » : « Le livre pourrait faire mordre la poussière à LFI, notamment en prévision des prochaines échéances électorales. […] [L]aissons justement la démocratie faire son œuvre et désigner son maillon faible. »
« Jean-Luc Mélenchon bénéficie d'une immunité médiatique sidérante » osait récemment Pascal Praud (CNews, 2/05), rejouant un air connu… quoique passablement orwellien.
Maxime Friot, avec Pauline Perrenot
[1] Succédant (notamment) au Moi, Jean-Luc M. de l'illustre Christophe Barbier (2024), lui-même contemporain, à quelques jours près, de La République c'était lui !, du non moins illustre Éric Naulleau, parus eux aussi sous les projecteurs médiatiques.
06.05.2025 à 11:00
Tribune d'étudiants en journalisme.
- « Indépendance ? » Procès, violences et répression / Israël, Gaza, PalestineNous relayons cette tribune signée par des centaines d'étudiants en journalisme.
Depuis le 7 octobre 2023, plus de 200 journalistes ont été tué·es par l'armée israélienne en Palestine et au Liban.
Face à ce massacre, nous, étudiant·es en journalisme mobilisé·es, affirmons notre solidarité totale avec le peuple palestinien, de Gaza à la Cisjordanie occupée, et avec les civil·es qui en sont les premières victimes.
Nous exprimons également notre soutien inconditionnel à nos consœurs et confrères journalistes palestinien·nes, qui continuent de témoigner au péril de leur vie.
Ce qui est en train de se passer à Gaza est un génocide.
Nous n'employons pas ce mot à la légère : des enquêtes menées par des organisations comme Amnesty International, Human Rights Watch et des commissions d'enquête indépendantes de l'ONU affirment le caractère génocidaire de l'horreur déchaînée contre le peuple palestinien à Gaza. Le rapport d'Amnesty, en particulier, documente non seulement des crimes de guerre à grande échelle, mais met aussi en évidence des éléments démontrant une intention génocidaire de la part d'Israël.
Dans ce contexte, nous saluons le courage inouï des journalistes palestinien·nes sur place, qui, malgré les conditions de guerre, les bombardements permanents, les situations de famine, les coupures de courant, la perte de leurs proches et de leurs collègues, continuent de documenter les réalités du génocide en cours.
Leur travail est vital, et leur silence forcé, un crime de plus.
Par ailleurs, nous condamnons l'interdiction faite aux journalistes internationaux d'entrer à Gaza. Ce verrouillage de l'information témoigne d'une volonté claire de contrôle du récit et d'opacité, incompatible avec le droit à l'information et la liberté de la presse.
Le 16 avril 2025, des journalistes se sont mobilisé·es à Paris et Marseille en soutien à leurs consœurs et confrères de Gaza. Nous nous joignons à leurs revendications.
À notre tour, nous faisons entendre nos voix.
Nous soutenons pleinement le mouvement étudiant, en France comme à l'international, qui dénonce les crimes de guerre et crimes contre l'humanité perpétrés par l'armée israélienne, ainsi que la complicité active de plusieurs gouvernements occidentaux.
À ce titre, nous appelons les établissements d'enseignement supérieur français à rompre leurs partenariats avec les universités israéliennes.
Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les étudiant·es gazaoui·es, dont les universités ont été détruites sous les bombes, et qui se voient privé·es de leur droit fondamental à l'éducation.
Notre soutien s'étend également à Mahmoud Khalil, figure du mouvement étudiant pro-palestinien à l'Université de Columbia, emprisonné depuis un mois et demi pour avoir manifesté contre l'occupation israélienne et aujourd'hui menacé d'expulsion.
Cette répression s'inscrit dans une tendance inquiétante à la criminalisation de la solidarité avec la Palestine, dans le monde universitaire et au-delà.
Dans cette continuité, nous exigeons la libération immédiate de Georges Abdallah, militant communiste libanais emprisonné en France depuis 1984.
Détenu depuis plus de 40 ans malgré sa libération conditionnelle accordée en 2013, Georges Abdallah est un symbole de la répression politique contre les soutiens historiques à la cause palestinienne. Son maintien en détention est un scandale judiciaire et politique que nous refusons d'ignorer.
Dans cette même logique de répression et de silence imposé autour du soutien à la cause palestinienne, en France, le collectif citoyen « Faim de justice pour la Palestine », composé majoritairement de soignant·es, mène depuis plusieurs semaines une grève de la faim pour dénoncer le génocide en cours à Gaza et l'hypocrisie des institutions françaises. Leur mobilisation se heurte à un mur de silence médiatique. Très peu relayée par les grands médias, leur action incarne pourtant une résistance humaine et politique face à l'oubli organisé. Nous leur apportons tout notre soutien. Leur détermination et leur courage forcent le respect
Nous appelons à un cessez-le-feu immédiat et permanent dans la bande de Gaza, seule voie possible pour mettre un terme à la catastrophe humanitaire en cours. Ce cessez-le-feu doit s'inscrire dans une dynamique plus large de lutte contre l'occupation illégale des territoires palestiniens et contre l'expansion continue des colonies israéliennes, en violation du droit international.
Nous réclamons également la libération de tous les otages, qu'ils soient israélien·nes détenu·es par le Hamas ou palestinien·nes incarcéré·es sans charges par Israël.
Nous dénonçons fermement l'amalgame systématique entre antisémitisme et antisionisme, un procédé dangereux qui vise à discréditer toute critique de la politique israélienne et à museler les soutiens au peuple palestinien.
En tant que futur·es journalistes, nous sommes préoccupé·es par le traitement médiatique dominant du conflit au Proche-Orient, souvent biaisé en faveur d'Israël. Nous refusons de participer à un système qui déshumanise les Palestinien·nes, ignore leur souffrance et minimise les crimes de guerre qu'ils subissent.
Le travail d'analyse critique réalisé notamment par Arrêt sur images, a mis en évidence une absence de traitement du conflit lors de périodes cruciales, révélant un silence médiatique frappant au moment même où les bombardements s'intensifiaient et où les pertes civiles palestiniennes s'alourdissaient. Dans cette même perspective, Acrimed mène depuis des années un travail méticuleux d'analyse des biais structurels des grands médias français, montrant comment les violences israéliennes sont euphémisées, les responsabilités diluées, et les voix palestiniennes systématiquement marginalisées.
À cela s'ajoute l'enquête publiée en janvier 2025 par L'Humanité, en collaboration avec l'ONG Tech for Palestine, qui a passé au crible plus de 13 000 articles consacrés au conflit, issus de cinq grands journaux français. Cette analyse montre que, malgré l'ampleur des pertes humaines côté palestinien, les morts et souffrances palestiniennes sont très peu mises en avant dans les titres, les choix iconographiques, ou encore les angles éditoriaux.
Ce traitement participe d'une asymétrie profonde dans la manière dont de trop nombreux médias français couvrent la guerre à Gaza : focalisation sur les discours officiels israéliens, quasi-absence des voix palestiniennes, floutage des responsabilités, euphémisation des violences subies.
Ce constat renforce notre volonté de dénoncer un paysage médiatique trop souvent marqué par des récits déséquilibrés et déshumanisants, et de nous engager dans une pratique du journalisme réellement critique, rigoureuse et fidèle aux faits.
Nous regrettons aussi la place laissée à certain·es éditorialistes ou responsables politiques, dont les propos sont diffusés sans aucun contradictoire ni vérification des faits, participant ainsi à la diffusion de discours mensongers et diffamants.
Il ne nous est pas possible de poursuivre nos études dans le silence face à cette réalité. Nous affirmons notre engagement pour un journalisme de terrain, de vérité, de justice.
Nous souhaitons terminer cette tribune avec les mots de Fatima Hassouna, jeune photojournaliste palestinienne tuée à son domicile dans un bombardement israélien à Gaza le 16 avril 2025, avec dix membres de sa famille. Elle avait consacré sa vie, son regard et sa voix à documenter les combats et les souffrances des siens. Quelques jours avant sa mort, elle écrivait :
Nous l'entendons. Nous refusons le silence.
Sont signataires à ce jour, le 05 mai 2025, 712 étudiant·es en journalisme mobilisé·es des écoles suivantes :
● Bordeaux : Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA)
● Cannes : École de Journalisme de Cannes (EJC)
● Grenoble : École de Journalisme de Grenoble (EJDG)
● Lannion : Institut Universitaire de Technologie de Lannion (IUT Lannion)
● Lille : Académie de l'École Supérieure de Journalisme (ESJ)
● Lille : École Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ Lille)
● Lyon : Centre de Formation des Journalistes – antenne de Lyon (CFJ Lyon)
● Lyon : Master Nouvelles Pratiques du Journalisme – Université Lumière Lyon 2 (NPJ Lyon II)
● Marseille : École de Journalisme et de Communication d'Aix-Marseille (EJCAM)
● Montpellier : École Supérieure de Journalisme Pro de Montpellier (ESJ Pro Montpellier)
● Paris : Centre d'Études Littéraires et Scientifiques Appliquées – Université Paris-Sorbonne (CELSA)
● Paris : Centre de Formation des Journalistes (CFJ)
● Paris : Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ)
● Paris : Institut Pratique de Journalisme – Université Paris Dauphine (IPJ)
● Paris : Sciences Po Paris – École de Journalisme
● Paris : Master Journalisme bilingue anglais-français – Université Sorbonne Nouvelle
● Paris : Institut français de presse (IFP)
● Prépa la Chance, pour la diversité dans les médias
● Rennes : Sciences Po Rennes – Master Journalisme
● Strasbourg : Centre Universitaire d'Enseignement du Journalisme (CUEJ)
● Toulouse : École de Journalisme de Toulouse (EJT)
● Tours : École Publique de Journalisme de Tours (EPJT)
● Valenciennes : Master Design Informationnel et Journalisme Transmédia (DIJT) – Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF)
● Vichy : Institut Universitaire de Technologie de Vichy (IUT Vichy)
02.05.2025 à 11:37
Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 25/04/2025 au 01/05/2025.
« L'hommage de CNews au pape François, "idéologue", "woke", "politiquement désastreux" », Télérama, 25/04.
« Mort du pape : les médias en mode catho-bienveillance », Arrêt sur images, 25/04.
« Attaque en prisons, attaque à Nantes : deux occasions de cibler la gauche », Arrêt sur images, 30/04.
« Propos génocidaires d'un chanteur israélien : l'info qui venait trop tard », Arrêt sur images, 26/04.
« "Des victimes coupables" : comment les journalistes français voient leurs confrères palestiniens ? », Arrêt sur images, 29/04.
« Manif anti-islamophobie : Jérôme Guedj hué, les médias aveuglés ? », Arrêt sur images, 1/05.
« Face au journalisme de classe », Acrimed, 1/05.
« Trump : pourquoi la presse française n'ose pas dire "fascisme" ? », Arrêt sur images, 25/04.
« "Complorama", l'OTAN et les archives », Le Monde diplomatique, mai 2025.
« Écarté de Marianne, ce journaliste jugé trop "anti-Israël" balance sur les médias français », Le Média, 27/04.
« Toxique bouffon », Off Investigation, 30/04.
« Hanouna candidat à la présidentielle 2027 ? Un canular… et un navrant tintamarre médiatique », Télérama, 30/04.
« Arrêt Sur Images & Sionisme : quelle neutralité ? », Paroles d'Honneur, 30/04.
« Polémiques sur Mélenchon, crime islamophobe : ce streamer démonte le mythe des "médias de gauche" », Le Média, 1/05.
« La radio Mouv' va quitter la FM pour devenir 100 % numérique en septembre, confirme Sibyle Veil », Le Monde, 28/04.
« Le groupe Ouest-France prépare le lancement de sa télévision malgré des doutes en interne », Le Monde, 30/04.
« Le groupe Ebra (Le Progrès, l'Est Républicain…) toujours dans le rouge », L'Informé, 30/04.
« Le CSE de Nice-Matin déclenche un droit d'alerte économique », La Lettre, 28/04.
« Bernard Arnault ajoute L'Opinion et L'Agefi à son empire médiatique », La Lettre, 28/04.
« Delphine Ernotte, candidate à un troisième mandat, et trois autres personnes en lice pour la présidence de France Télévisions », Le Monde, 30/04.
« Une journaliste de Télérama auditionnée par la police avant même la publication de son enquête », L'Humanité, 29/04.
« Attaques contre les journalistes, concentration des médias... Pourquoi la liberté de la presse est en danger en Europe selon l'ONG Liberties ? », L'Humanité, 29/04.
« "Pas de démocratie sans information, pas d'information sans journalistes", alerte Laurent Richard fondateur de Forbidden Stories », L'Humanité, 1/05.
« Transparence Les invités des émissions d'information de France Télévisions sont-ils payés ? », France Info, 25/04.
« France Inter : Claude Askolovitch arrêtera la revue de presse début juillet », Libération, 28/04.
Et aussi, dans le monde : Belgique, Burundi, Turquie, États-Unis...
Retrouver toutes les revues de presse ici.
[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.
01.05.2025 à 08:00
Un tract pour les manifestations du 1er mai.
- Travail, salaires, emploi, etc.Un tract d'Acrimed pour les manifestations du 1er mai. Disponible en pdf ici.
Régulièrement qualifié de « fête du travail » par les médias dominants, le 1er mai fait l'objet d'une dépolitisation massive. Alors que les licenciements se multiplient, les luttes des travailleurs et travailleuses sont passées sous silence, tandis que les attaques du gouvernement contre le système de protection sociale, les droits des salariés et les services publics sont reléguées au second plan.
Dans la droite ligne de la loi de finances 2025 imposant des saignées budgétaires à l'enseignement, la transition écologique, l'AME, la culture, l'audiovisuel public, etc., les politiques austéritaires mériteraient reportages et enquêtes. Mais au lieu d'exercer ce rôle de contre-pouvoir, les médias dominants accompagnent et légitiment la casse sociale.
Au cours des deux derniers mois, les séquences de matraquage patronal se sont de nouveau multipliées autour de deux mots d'ordre : « travailler plus » et « réduire les dépenses publiques ». Menées avant-hier au nom de « l'équilibre » du système des retraites, hier de « l'effort de guerre », aujourd'hui de la lutte contre le « déficit public » face à la « guerre commerciale », les campagnes médiatiques se suivent et se ressemblent. Alignées sur les positions du gouvernement, elles relaient les intérêts du patronat.
« Pensions ou munitions ? » ; « Les canons ou les allocations ? » Signés Dominique Seux (Les Échos, 10/03) et Étienne Gernelle (RTL, 10/03), les deux slogans résument le cadrage du débat public. « Pas d'échappatoire, il faut réduire les dépenses publiques », prescrit L'Opinion (7/03), à l'image des éditos « éco » de l'audiovisuel, de France Inter à BFM-TV. « Il faut choisir : se reposer… ou être libre », prévenait déjà Olivier Babeau sur Europe 1 (3/03). « Notre sacro-saint modèle social […] ruine consciencieusement le pays », martèle jour après jour Le Figaro (7/03). Le Monde prend toute sa part au matraquage, présentant le « douloureux réveil budgétaire »… comme une fatalité : « Le réarmement du pays […] place l'exécutif dans la situation très délicate d'avoir à remettre à plat les dépenses de l'État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale pour trouver des gisements durables d'économies. » (7/03)
Bref, les éditocrates jouent (presque) partout leur rôle traditionnel de gardiens de l'ordre. Pédagogues de l'orthodoxie néolibérale, ils affirment qu'« il n'y a pas d'alternative » et ménagent les profiteurs de crise pour mieux fabriquer le consentement aux « sacrifices que les Français devraient faire » : « On sait très bien qu'on a une contradiction entre notre modèle social généreux, confortable, solidaire, adapté à la paix, et la nécessité d'aller vers un effort de guerre et une économie de guerre. » (Christophe Barbier, BFM-TV, 5/03)
Les voix contestataires sont d'autant plus inaudibles que la diabolisation médiatique de la gauche sociale et politique se poursuit sur fond de normalisation de l'extrême droite. La condamnation judiciaire du RN est commentée comme un « déni de démocratie » ; une large partie de l'éditocratie fait désormais le procès de la justice, accréditant les pires slogans de l'extrême droite contre l'État de droit ; « insécurité » et « immigration » continuent de polariser l'agenda, pollué par les surenchères des Retailleau, Darmanin, Wauquiez, etc. auxquels les chefferies éditoriales déroulent le tapis rouge.
Dans ce grand bain réactionnaire, les urgences sociales et écologiques sont reléguées aux marges, les syndicats de salariés n'ont pas voix au chapitre et La France insoumise continue d'essuyer les calomnies en série, clouée au pilori pour son engagement contre le génocide en Palestine, largement invisibilisé par les grands médias.
Face à cela, il faut soutenir les médias indépendants, seuls capables d'imposer d'autres préoccupations et d'autres voix ; organiser les solidarités avec les journalistes qui tentent de faire front en interne ; et continuer de porter les propositions visant à libérer l'information de l'emprise des industriels et de la communication.