18.11.2024 à 18:31
David Dufresne
Chaque jour, le réseau Bluesky engrange un million d'utilisateurs nouveaux. C'est l'eXode tant attendu. Et pourtant, derrière Bluesky, c'est blockchain, cryptomonnaie, dérégulateurs et compagnie. De faux amis. Au Poste vous raconte.
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Dans un communiqué du 24 octobre dernier, l’entreprise Bluesky se félicite de son nouveau tour de table financier: 15 millions de dollars de Blockchain Capital avec la participation d’Alumni Ventures, True Ventures, SevenX, Amir Shevat, Joe Beda, et quelques autres suspects habituels du capital-risque de la Vallée du Silicium, Californie.
Un des fondateurs de Blockchain Capital n’est d’autre que Brock Pierce, ex-comédien, ex-candidat malheureux à la Présidence US (2020) et surtout vieil ami de… Steve Bannon, l’âme damnée de Trump et des Libertariens ricains. De Bannon, Pierce dit qu’il a été «son bras droit» sept ans durant. L’homme de l’ombre de Trump a même soutenu activement le techno-libertarien dans une autre campagne, «anti-establishment», perdue elle aussi (pour le Sénat US, en 2022). La fortune de Pierce, estimée par Forbes à 1 milliard de dollars, provient principalement de la crypto et du blockchain. Une industrie opaque, salement dévastatrice pour l’environnement; bien plus que du capitalisme à l’ancienne: de l’hypercapitalisme.
Dans un article de TechCrunch, à propos de l’arrivée en fanfare de Blockchain Capital (lié de près ou de loin à quelques 110 entreprises) dans le capital de Bluesky, cette dernière se défend de se livrer un jour à l’«hyper-financiarisation de l’expérience sociale» avec le recours aux habituelles dérives du genre et du domaine (tokens, cryptomonnaie, NFTs, minage). On sait ce que valent les promesses de la Tech. Don’t be evil, clamait Google à ses débuts. Les fées autour du berceau BlueSky devront montrer plus pour qu’on croit sur parole à leur bonne foi.
We led Bluesky's $15M Series A
— Blockchain Capital (@blockchaincap) October 24, 2024
We’re excited to support @bluesky in their mission to build an open foundation for the social internet and give power back to users. pic.twitter.com/hbmrofP1by
Anticipant l’incroyable ruée vers elle avec l’élection probable de Trump, et une partie de la désaffection de X, BlueSky a déjà annoncé dans un futur proche… des abonnements payants (pour pouvoir «customiser» son profil, ou poster des vidéos de meilleure qualité — elles sont actuellement limitées à 60 secondes). A chaque fois, la com’ de l’entreprise se veut rassurante: c’est pour le bien de ses utilisateurs, et les bienfaits des conversations. Bluesky promet, ô grand jamais, que l’entreprise ne favorisera les comptes payants (Musk en son temps avait promis la même chose).
On notera aussi, dans la courte mais déjà tumultueuse histoire de Bluesky, l’appréciation de son fondateur, écarté depuis: Jack Dorsey, père de Twitter et, en partie, de Bluesky – proto-libertarien s’il en est. En mai 2024, Dorsey annonce son départ du conseil d’administration pour une raison simple, et édifiante: «Bluesky a été lancé pour devenir la couche de protocole open source des plateformes de médias sociaux, mais l’équipe a fini par “répéter littéralement toutes les erreurs que nous avons faites” avec Twitter» (PirateWires). Depuis, Dorsey est chez Disney. C’est dire si le monsieur s’y connait en fable.
Concernant les autres nouveaux partenaires de BlueSky, on notera les amendes et sanctions contre Alumni Ventures (pratiques de frais de gestion trompeuses, transferts illégaux de fonds) ou la démesure de True Ventures (qui gère plus de 2 milliards de dollars d’actifs dans pas moins de… 300 entreprises).
Autrement dit: ne plus s’exprimer sur X, c’est vital mais se ruer sur BlueSky en croyant y trouver un havre de paix, construit sur un contrat social juste et progressiste, est à coup sûr se bercer d’illusions. Et se préparer à rejouer, tôt ou tard, la même scène qu’avec feu Twitter en son temps.
Sur le sujet, lire le toujours essentiel Olivier Ertzscheid, bien connu de nos services: «X et son exode. Comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre» sur son blog Affordance
Sur la ruée vers BlueSky en temps réel, se référer à https://bcounter.nat.vg/. Et pour Mastodon, notre chouchou: https://mastodon-analytics.com/
Lire également des précisions sur l’état de la décentralisation de BlueSky par Alexandre Sanchez ici et The Black Hole là, suite à notre publication.
Au Poste est joignable sur Mastodon (https://piaille.fr/@auposte) et BlueSky (auposte.bsky.social).
Suite à des retours sur… BlueSky:
MaJ le 19 novembre à 0 h 06 min: précisions sur le communiqué de Bluesky PBLLC repris par TechCrunch (la version originelle de notre éditorial pouvait laisser croire que la citation était du magazine)
MaJ le 19 novembre à 0 h 52: un passage de Jack Dorsey, critiquant le « modération centralisée » de BSBY, a été retiré. Il pouvait porter à confusion, sachant que le point saillant est bien, ici, sa déclaration non contestée: «Bluesky a été lancé pour devenir la couche de protocole open source des plateformes de médias sociaux, mais l’équipe a fini par “répéter littéralement toutes les erreurs que nous avons faites” avec Twitter»
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15.11.2024 à 20:13
David Dufresne
Le cinéma d’auteurs et d’autrices est à la croisée des chemins. Entre financements, bataille politique, écologie et lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la SRF, Société des réalisatrices et réalisateurs de films, tente de reprendre en main à son échelle le cinéma français.
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Ce 14 novembre, Au Poste a convoqué trois de ces réalisateurs·ices français·es en lutte: Antoine Barraud, Christophe Cognet et Élisabeth Jonniaux.
« On n’est plutôt pas à droite ». Christophe Cognet présente la SRF, qui regroupe un peu plus de 450 cinéastes, issus·es de tous les genres et de tous les formats de production. « On est là pour défendre la liberté de création et de diffusion des œuvres ».
Pour Élisabeth Jonniaux, il faut commencer par rétablir des vérités. Loin de l’image du créatif nanti, les cinéastes sont un corps touché par la précarité de leur industrie. Elle annonce que « 75% des auteur·ices gagnent moins de 10 000€ par an de revenu d’auteurs ». Seuls 10% des restants atteindraient le revenu médian des Français situé à 24 330€ annuels (Insee, 2022).
Il faut démentir cette idée reçue des auteurs qui se gavent d’argent public, de droits d’auteurs. La réalité n’est pas du tout celle-là. Bien que les auteurs, les autrices et les artistes soient à l’origine de toute œuvre et qu’ils génèrent des centaines de milliers d’euros de chiffre d’affaires et des centaines de milliers d’emplois, les plus précaires, ce sont eux.
Élisabeth Jonniaux
En cause, le mode de rémunération. Les auteurs·ices sont rémunérés·es en droits d’auteur. En d’autres termes, hormis certains qui touchent des avances, la plupart ne sont rémunérés qu’une fois l’œuvre achevée. Or « énormément de films écrits et travaillés pendant des années… ne se font pas. Auquel cas, ils ne génèreront pas de droits d’auteur » souligne Antoine Barraud. Le droit d’auteur, souvent cité en exemple de protection de la création, protège l’œuvre, mais pas les travailleurs. Pour Élisabeth Jonniaux « il y a donc un impensé, c’est le travail de l’auteur ».
Dans le cinéma français, les films sont financés pour une part par l’argent public, d’autre part par l’argent privé. Le fonds du CNC est approvisionné par une taxe prélevée sur le billet d’entrée des spectateurs du cinéma. « Plus il y a d’entrées, plus il y a d’argent », poursuit Christophe Cognet. Pour le reste, les cinéastes dépendent surtout des financements privés, Canal+ en tête.
Selon les trois réalisateur.ices, jusqu’ici, l’influence de Vincent Bolloré n’aurait pas encore fait pencher la production de films plus à droite. Mais le groupe a la main pour imposer ses propres critères de sélection. Les autres financements, indirectement liés à des banques, soulèvent aussi des doutes pour Antoine Barraud : « Pour un réalisateur avec une démarche écologique, ça peut poser un problème ». Restent les régions, qui financent, elles aussi, le cinéma.
Dans le régions, un comité d’experts se réunit et décide d’aider tel film et pas tel autre. C’est un avis consultatif. Les élus décident. Jusqu’à ces dernières années, les experts rendaient leur avis et les élus acceptaient. Depuis que l’extrême droite monte dans le paysage politique, ils regardent les intitulés et les résumés du film. Dès que figure le mot “Palestine”, “LGBT” ou que le film a un rapport avec l’immigration, ils demandent à retoquer le projet.
Antoine Barraud
Un facteur aggravant est le harcèlement sur internet. Sur Allociné, des hordes de commentaires haineux pilotés par l’extrême droite dissuadent les spectateurs d’aller voir certains films. Or, selon Christophe Cognet, « le principal critère pour que les gens aillent ou non au ciné, c’est la note Allociné ». Face à la baisse du nombre d’entrées, ce sont in fine les investisseurs qui sont tentés de moins encourager ces films et de générer l’autocensure des réalisateur.ices. Pour tenter d’endiguer la menace, la SRF a demandé à Allociné de n’autoriser que les commentaires sur présentation de preuve d’achat de billet.
L’extrême droite, qui pèse de plus en plus lourd en Régions sur les choix de financement des productions de films s’appuie sur deux autres moments clés pour faire pression sur les créateurs. D’abord lors de la programmation des salles de cinéma: « une pression est exercée sur les programmateurs pour qu’ils passent tel type de film et pas tel autre », témoigne Christophe Cognet. Enfin, ils sont présents dans les comités de classification des films: « il y a une politique d’entrisme très assumée et très explicite de l’extrême droite. Ils tentent d’influencer pour faire passer des films tous publics en interdits au moins de douze, seize ou dix-huit ans, ce qui n’aurait pas été le cas sinon », termine-t-il.
La SRF s’engage également contre les violences sexistes et sexuelles. La société déplore une aberration encore en cours jusqu’à récemment: les formations contre les VSS étaient obligatoires, sauf pour… les cinéastes. Mais ils ne sont pas les seuls détenteurs d’un pouvoir : « On a plusieurs cas de femmes, en particulier, qui ont été violentées par leur producteur », révèle Christophe Cognet.
Et puis, il y a l’écologie: la décorbonation du cinéma. « L’audiovisuel est la 61e industrie la plus polluante, les cinéastes sont extrêmement en retard » reconnait Barraud, auteur d’un podcast à ce sujet: L’écologie et la pratique du cinéma. Il faut prendre des décisions, mais certains cinéastes craignent que leur liberté de création soit entamée. À cela, Antoine Barraud a une réponse: « Les tournages ne sont qu’une succession de contraintes. Pourquoi pas celle-là ? ».
Si vous faites du cinéma pour avoir une bagnole aux verres fumés, si vous faites du cinéma pour avoir ce rapport sur un corps, mais ne faites pas de cinéma ! Allez vous faire foutre, en fait !
Antoine Barraud
Selon l’URSSAF, 354 000 personnes en France bénéficient du statut d’artiste-auteur. La grande majorité d’entre eux sont écrivains, mais peuvent aussi être plasticiens, chorégraphes, cinéastes… La propriété intellectuelle s’applique à des créations de l’ordre de l’esprit, matérialisées par une œuvre. Le droit d’auteur protège celle-ci de toute altération et permet à son auteur de toucher des droits, en fonction de la représentation et de la reproduction de l’œuvre. Ce droit dure jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur, l’œuvre tombant ensuite dans le domaine public.
La Société des réalisatrices et réalisateurs de films est une association de cinéastes. Son objectif, depuis 1968, est selon son propre site de « défendre les libertés artistiques, morales et les intérêts professionnels et économiques de la création cinématographique et de participer à l’élaboration de nouvelles structures du cinéma ».
Dans son communiqué sur le sujet, la Société des réalisatrices et réalisateurs de films souligne ce qui se joue derrière ces raids: une offensive de la fachosphère contre les libertés de création et d’expression, la liberté du récit. Ces tentatives d’intimidation, dont a été victime comme d’autres Mehdi Fikri pour son film « Avant que les flammes ne s’éteignent », ont un impact certain sur les entrées que réalisent ces films au cinéma. Ces campagnes de dénigrement sont relayées sur les réseaux sociaux et par certains médias comme CNews.
Dans ce podcast en six épisodes, le réalisateur et son confrère Jonathan Schupak s’interrogent sur la pratique du cinéma. Estimant la question écologique délaissée au nom de la liberté de création par les cinéastes, ils constatent que le sujet a été plus assimilé par les autres corps de métiers du cinéma, déjà engagés dans une démarche plus écoresponsable. Ensemble, ils s’interrogent sur l’intégration de pratiques plus durables dans l’exercice de leur métier.
Les investissements sont en hausse dans le cinéma français: il aurait augmenté de 13,6% en 2023, selon le CNC. Canal+ est le premier financeur de la production audiovisuelle en France. Sur les 1,34 milliard d’euros que représentent ces financements, le groupe Canal+ subventionne à lui seul 154 millions d’euros. À cela, il faut ajouter 17 millions investis par OCS, maintenant aussi détenu par Vincent Bolloré.
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15.11.2024 à 13:28
David Dufresne
«Pour comprendre, il faut raconter l'histoire de l'humanité» déclare le journaliste Hervé Kempf, alors que le dessinateur Juan Mendez bondit «En une page ? Il est dingue !» Après un passage par la dernière période glaciaire, nous voilà arrivés à la Révolution industrielle.
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Apres son best seller, traduit en 12 langues, Comment les riches ravagent la planète , paru en 2007, voila que le fondateur de Reporterre se met à la BD et ajoute à son titre: et comment les en empêcher (Le Seuil).
Beaucoup de choses se sont passées en 2007, dont les Accords de Paris, le combat climatique de Greta Thunberg et de la jeunesse… Mais plus encore, les riches se sont enrichis, et le paradigme capitaliste s’est renouvelé. Comment transformer alors notre éco-angoisse, , comme dirait un certain Alain Deneault, bien connu de nos services, en éco-espoir ? À vos crayons, le dessin vous explique tout !
Point de bavardage journalistique, la narration par l’image porte ici tout son sens. C’est là où le travail de Juan Mendez intervient, lorsqu’il s’agit d’illustrer un concept, une statistique, de porter une information au public de manière claire et incisive. Pour le dessinateur belge, la BD a une grammaire assez contraignante, d’où une confrontation permanente avec les idées d’Hervé Kempf qu’il faut réinterpréter et traduire en images.
Ce que j’aime bien, en tant que scénariste ou penseur, c’est d’arriver à exprimer l’idée avec la complicité du dessin, à employer le moins de mots possibles. Et ça c’est vraiment intéressant.
Hervé Kempf
L’autre contrainte est le besoin de concision, de garder une dynamique et une énergie en n’excédant pas un certain nombre de pages. Au fil de la collaboration, Mendez dessine à partir de paquets de quelques « scènes » que lui envoie Kempf. Il en résulte parfois de petites surprises, un choc entre les idées du scénariste et l’iconographie qui n’est pas toujours ce qu’il avait en tête.
L’étude du comportement des riches implique une définition précise de cette catégorie sociale, basée sur un indicateur principal : le niveau de revenus. L’observatoire des inégalités, en accord avec l’INSEE, prend pour référence le salaire médian (il y a autant de gens aux revenus supérieurs au salaire médian que de gens aux revenus inférieurs), qui est d’environ 2 200€ nets en France. Selon leur définition, un individu est pauvre s’il gagne moins de 60% du revenu médian, tandis qu’un individu est considéré comme riche s’il gagne plus de deux fois ce revenu.
Si les inégalités augmentent entre les pauvres et les riches, c’est également le cas au sein-même des 10% les plus riches depuis les années 1980. Kempf prend l’exemple de Carlos Tavares, PDG du groupe Stellantis. Ce dernier gagne 500 fois le revenu moyen de ses employés, un chiffre considérable par rapport à son prédécesseur, Jacques Calvet, dont le revenu était 40 fois plus élevé.
Pour le journaliste, nous sommes dans une véritable oligarchie. Les libertés n’y sont pas inexistantes, mais lourdement limitées par l’influence des puissances financières envers les classes politiques et le débat public. En témoignent les cas très récents Macron-Arnault et Trump-Musk. Ces mêmes puissances financières, pour qui les inégalités sont un jeu de la nature et ne voulant rien céder de leur mode de vie, sont entrées dans une forme de radicalisation, en poussant les extrêmes-droites à pointer les minorités ethniques et religieuses comme la source des problèmes.
Elles sont également adeptes d’un nouveau paradigme techno-capitaliste prôné par l’historien Yuval Noah Harari, précurseur selon Kempf du néocapitalisme et de ses idées de surhomme, d’homme augmenté ou d’élite du progrès. Une doctrine finement illustrée dans la BD par un robot géant écrasant l’allégorie de la justice, jugée comme caste inférieure.
Une des images phares de la BD représente un manège à plusieurs étages, avec de bas en haut des chevaux de plus en plus sophistiqués. Selon son dessinateur, cet univers enfantin correspond parfaitement à la théorie de la rivalité ostentatoire et d’un concept proposé par Thorstein Veblen, sociologue et économiste américain de la fin du XIXème siècle : quand l’on fait partie d’une couche sociale, on tend systématiquement vers les couches supérieures. Il ne s’agit pas selon Kempf de gravir les couches mais d’imiter celles au-dessus, afin d’affirmer une forme de supériorité au sein de sa propre couche.
Cette théorie s’inspire des potlatchs, cérémonies de débauches, de cadeaux et de banquets organisées par des chefs de tribus dont l’intention est de se montrer plus riche que les autres tribus. Pratique qui, selon la sociologue Ashley Mears, serait toujours en vogue dans nos sociétés modernes occidentales.
Plus il y a d’inégalités, plus le modèle de surconsommation et de prestige qui est tout en haut va inspirer l’ensemble de la société, et on va tous être tirés, avec ce mécanisme de paliers successifs, vers une surconsommation. Cela a un effet global écologique énorme. […] Leur surconsommation inspire l’ensemble de la surconsommation mondiale. Selon moi, une des façons de changer ça, c’est de réduire très fortement les inégalités pour que le modèle culturel change.
Hervé Kempf
Pour Hervé Kempf, la catastrophe environnementale, directement liée à ces formes d’expression et de manifestation de la richesse, ne doit pas seulement être battue sur le plan économique mais aussi sur le plan culturel :
À la page 62 de la BD, nous sommes en Alberta au Canada, à Fort McMurray, une des premières réserves mondiales de pétrole. Dans ce vaste terrain intoxiqué par l’exploitation de schiste bitumeux et où les incendies ravagent les villes, un chasseur s’est enrichi en vendant du Coca Cola aux ouvriers. L’auteur décrit sa cave remplie d’une collection de carcasses d’animaux tués à travers le monde. Avec cette image qui fait froid dans le dos, Kempf expose l’idée selon laquelle les riches ne seraient pas indifférents à la destruction du monde, mais prendraient réellement plaisir à le détruire.
Alors que Mendez rappelle que les 10% les plus riches émettent la moitié des gaz à effet de serre. Il ne s’agit donc pas, insiste Kempf, de ne regarder que les milliardaires : à l’échelle mondiale, 40% des Européens font partie des plus riches, dont ceux avec un salaire de 2000€ ou plus. Si le problème doit donc être pris par tout le monde, les changements doivent venir du haut pour que la société puisse changer, toujours selon le principe de Veblen et du manège.
Après une grande partie consacrée au constat, reste à proposer les solutions. Kempf et Mendez n’y vont pas par quatre chemins : taxons les riches.
C’est l’outil politique premier par lequel on fait de la politique […]. Et c’est le cœur de la révolution américaine de 1776 et de 1789 en France, on remet en cause la fiscalité. La bagarre politique est là, elle doit être centrée là-dessus et l’objectif, c’est le changement de la fiscalité.
Hervé Kempf
Le journaliste ajoute que l’on doit à tout prix récupérer cet argent auprès des 500 plus grandes fortunes qui, comme le souligne Thomas Piketty, sont passées de 200 milliards d’euros à 1 000 milliards d’euros en 10 ans. Mais les choses avancent ! L’idée de taxer 2% de la fortune des milliardaires dans le monde, proposition que l’on associe à l’économiste français Gabriel Zucman, permettrait de fournir environ 500 milliards de dollars qui répondraient à la base des besoins. Cette idée, reprise au Brésil avec le gouvernement de Lula et qui fait parler d’elle au G7, montre une certaine pression internationale sur les grandes fortunes et nous fait avancer petit à petit.
L’autre enjeu se trouve au sein-même de la gauche. Selon Naomi Klein, il faudrait réussir à mettre en place une écologie populaire. Autrement dit, penser l’écologie comme un bien collectif, qui impliquerait d’avoir de bons systèmes de transport, une bonne école, une bonne santé. Cela se pratique notamment en marginalisant dans le débat public la gauche démocrate (équivalente du Parti Socialiste en France) qui aurait intégré le paradigme néolibéral et capitaliste. La discussion, à présent, devrait être centrée sur le populisme écologique. Autant d’idées illustrées par Juan Mendez en mode “cowboy“, pour une BD dense et passionnante.
Il s’agit d’un phénomène social mis en évidence par le sociologue Thorstein Veblen, selon lequel les individus désirent des biens dont le prix est élevé pour se démarquer de sa propre classe socio-économique. C’est une forme de consommation ostentatoire qui vise à imiter les classes au-dessus.
Fort McMurray est une terre d’exploitation agricole située en Alberta au Canada. Elle constitue la plus grande réserve de sable bitumeux, qui sont des sables imprégnés de pétrole nécessitant beaucoup d’énergie pour l’extraire. L’exploitation engendre une déforestation importante et de nombreux incendies.
L’oligarchie est une société où le pouvoir est détenu par une classe minoritaire et dominante, en l’occurrence celle des plus riches.
Un potlatch est un type de festin pratiqué par les peuples autochtones de la côte nord-ouest du Pacifique au Canada et aux États-Unis, au cours duquel sont mis en valeur des objets de richesse pour affirmer la fortune de l’hôte auprès des autres clans.
C’est un concept qui vise à rendre les questions environnementales accessibles à toutes les catégories sociales, en particulier aux classes défavorisées. L’écologie populaire vise à prendre en compte les besoins et les capacités des personnes les plus vulnérables.
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