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15.11.2024 à 20:13

Cinéma français: sa crise, ses luttes. Avec la Société des réalisatrices et réalisateurs de films

David Dufresne

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Le cinéma d’auteurs et d’autrices est à la croisée des chemins. Entre financements, bataille politique, écologie et lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la SRF, Société des réalisatrices et réalisateurs de films, tente de reprendre en main à son échelle le cinéma français.

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Texte intégral (3682 mots)

Ce 14 novembre, Au Poste a convoqué trois de ces réalisateurs·ices français·es en lutte: Antoine Barraud, Christophe Cognet et Élisabeth Jonniaux.

« On n’est plutôt pas à droite ». Christophe Cognet présente la SRF, qui regroupe un peu plus de 450 cinéastes, issus·es de tous les genres et de tous les formats de production. « On est là pour défendre la liberté de création et de diffusion des œuvres ».

Les cinéastes: souvent précaires

Pour Élisabeth Jonniaux, il faut commencer par rétablir des vérités. Loin de l’image du créatif nanti, les cinéastes sont un corps touché par la précarité de leur industrie. Elle annonce que « 75% des auteur·ices gagnent moins de 10 000€ par an de revenu d’auteurs ». Seuls 10% des restants atteindraient le revenu médian des Français situé à 24 330€ annuels (Insee, 2022).

Il faut démentir cette idée reçue des auteurs qui se gavent d’argent public, de droits d’auteurs. La réalité n’est pas du tout celle-là. Bien que les auteurs, les autrices et les artistes soient à l’origine de toute œuvre et qu’ils génèrent des centaines de milliers d’euros de chiffre d’affaires et des centaines de milliers d’emplois, les plus précaires, ce sont eux.
Élisabeth Jonniaux

En cause, le mode de rémunération. Les auteurs·ices sont rémunérés·es en droits d’auteur. En d’autres termes, hormis certains qui touchent des avances, la plupart ne sont rémunérés qu’une fois l’œuvre achevée. Or « énormément de films écrits et travaillés pendant des années… ne se font pas. Auquel cas, ils ne génèreront pas de droits d’auteur » souligne Antoine Barraud. Le droit d’auteur, souvent cité en exemple de protection de la création, protège l’œuvre, mais pas les travailleurs. Pour Élisabeth Jonniaux « il y a donc un impensé, c’est le travail de l’auteur ».

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Des raids de la fachosphère

Dans le cinéma français, les films sont financés pour une part par l’argent public, d’autre part par l’argent privé. Le fonds du CNC est approvisionné par une taxe prélevée sur le billet d’entrée des spectateurs du cinéma. « Plus il y a d’entrées, plus il y a d’argent », poursuit Christophe Cognet. Pour le reste, les cinéastes dépendent surtout des financements privés, Canal+ en tête.

Selon les trois réalisateur.ices, jusqu’ici, l’influence de Vincent Bolloré n’aurait pas encore fait pencher la production de films plus à droite. Mais le groupe a la main pour imposer ses propres critères de sélection. Les autres financements, indirectement liés à des banques, soulèvent aussi des doutes pour Antoine Barraud : « Pour un réalisateur avec une démarche écologique, ça peut poser un problème ». Restent les régions, qui financent, elles aussi, le cinéma. 

Dans le régions, un comité d’experts se réunit et décide d’aider tel film et pas tel autre. C’est un avis consultatif. Les élus décident. Jusqu’à ces dernières années, les experts rendaient leur avis et les élus acceptaient. Depuis que l’extrême droite monte dans le paysage politique, ils regardent les intitulés et les résumés du film. Dès que figure le mot “Palestine”, “LGBT” ou que le film a un rapport avec l’immigration, ils demandent à retoquer le projet. 
Antoine Barraud

Un facteur aggravant est le harcèlement sur internet. Sur Allociné, des hordes de commentaires haineux pilotés par l’extrême droite dissuadent les spectateurs d’aller voir certains films. Or, selon Christophe Cognet, « le principal critère pour que les gens aillent ou non au ciné, c’est la note Allociné ». Face à la baisse du nombre d’entrées, ce sont in fine les investisseurs qui sont tentés de moins encourager ces films et de générer l’autocensure des réalisateur.ices. Pour tenter d’endiguer la menace, la SRF a demandé à Allociné de n’autoriser que les commentaires sur présentation de preuve d’achat de billet.

L’extrême droite, qui pèse de plus en plus lourd en Régions sur les choix de financement des productions de films s’appuie sur deux autres moments clés pour faire pression sur les créateurs. D’abord lors de la programmation des salles de cinéma: « une pression est exercée sur les programmateurs pour qu’ils passent tel type de film et pas tel autre », témoigne Christophe Cognet. Enfin, ils sont présents dans les comités de classification des films: « il y a une politique d’entrisme très assumée et très explicite de l’extrême droite. Ils tentent d’influencer pour faire passer des films tous publics en interdits au moins de douze, seize ou dix-huit ans, ce qui n’aurait pas été le cas sinon », termine-t-il.

«Allez vous faire foutre !»

La SRF s’engage également contre les violences sexistes et sexuelles. La société déplore une aberration encore en cours jusqu’à récemment: les formations contre les VSS étaient obligatoires, sauf pour… les cinéastes. Mais ils ne sont pas les seuls détenteurs d’un pouvoir : « On a plusieurs cas de femmes, en particulier, qui ont été violentées par leur producteur », révèle Christophe Cognet.

Et puis, il y a l’écologie: la décorbonation du cinéma. « L’audiovisuel est la 61e industrie la plus polluante, les cinéastes sont extrêmement en retard » reconnait Barraud, auteur d’un podcast à ce sujet: L’écologie et la pratique du cinéma. Il faut prendre des décisions, mais certains cinéastes craignent que leur liberté de création soit entamée. À cela, Antoine Barraud a une réponse: « Les tournages ne sont qu’une succession de contraintes. Pourquoi pas celle-là ? ».

Si vous faites du cinéma pour avoir une bagnole aux verres fumés, si vous faites du cinéma pour avoir ce rapport sur un corps, mais ne faites pas de cinéma ! Allez vous faire foutre, en fait !
Antoine Barraud

Cinq questions clés

Qu’est-ce que le droit d’auteur ?

Selon l’URSSAF, 354 000 personnes en France bénéficient du statut d’artiste-auteur. La grande majorité d’entre eux sont écrivains, mais peuvent aussi être plasticiens, chorégraphes, cinéastes… La propriété intellectuelle s’applique à des créations de l’ordre de l’esprit, matérialisées par une œuvre. Le droit d’auteur protège celle-ci de toute altération et permet à son auteur de toucher des droits, en fonction de la représentation et de la reproduction de l’œuvre. Ce droit dure jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur, l’œuvre tombant ensuite dans le domaine public.

Qu’est-ce que la SRF ?

La Société des réalisatrices et réalisateurs de films est une association de cinéastes. Son objectif, depuis 1968, est selon son propre site de « défendre les libertés artistiques, morales et les intérêts professionnels et économiques de la création cinématographique et de participer à l’élaboration de nouvelles structures du cinéma ». 

D’où viennent ces raids de commentaires haineux subis par Allociné ?

Dans son communiqué sur le sujet, la Société des réalisatrices et réalisateurs de films souligne ce qui se joue derrière ces raids: une offensive de la fachosphère contre les libertés de création et d’expression, la liberté du récit. Ces tentatives d’intimidation, dont a été victime comme d’autres Mehdi Fikri pour son film « Avant que les flammes ne s’éteignent », ont un impact certain sur les entrées que réalisent ces films au cinéma. Ces campagnes de dénigrement sont relayées sur les réseaux sociaux et par certains médias comme CNews. 

De quoi parle le podcast L’écologie et la pratique du cinéma d’Antoine Barraud ?

Dans ce podcast en six épisodes, le réalisateur et son confrère Jonathan Schupak s’interrogent sur la pratique du cinéma. Estimant la question écologique délaissée au nom de la liberté de création par les cinéastes, ils constatent que le sujet a été plus assimilé par les autres corps de métiers du cinéma, déjà engagés dans une démarche plus écoresponsable. Ensemble, ils s’interrogent sur l’intégration de pratiques plus durables dans l’exercice de leur métier.

Quelle est la part du cinéma subventionnée par Canal+ ?

Les investissements sont en hausse dans le cinéma français: il aurait augmenté de 13,6% en 2023, selon le CNC. Canal+ est le premier financeur de la production audiovisuelle en France. Sur les 1,34 milliard d’euros que représentent ces financements, le groupe Canal+ subventionne à lui seul 154 millions d’euros. À cela, il faut ajouter 17 millions investis par OCS, maintenant aussi détenu par Vincent Bolloré.

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15.11.2024 à 13:28

Comment les riches ravagent la planète

David Dufresne

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«Pour comprendre, il faut raconter l'histoire de l'humanité» déclare le journaliste Hervé Kempf, alors que le dessinateur Juan Mendez bondit «En une page ? Il est dingue !» Après un passage par la dernière période glaciaire, nous voilà arrivés à la Révolution industrielle.

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Texte intégral (3263 mots)

Apres son best seller, traduit en 12 langues, Comment les riches ravagent la planète , paru en 2007, voila que le fondateur de Reporterre se met à la BD et ajoute à son titre: et comment les en empêcher (Le Seuil).

Beaucoup de choses se sont passées en 2007, dont les Accords de Paris, le combat climatique de Greta Thunberg et de la jeunesse… Mais plus encore, les riches se sont enrichis, et le paradigme capitaliste s’est renouvelé. Comment transformer alors notre éco-angoisse, , comme dirait un certain Alain Deneault, bien connu de nos services, en éco-espoir ? À vos crayons, le dessin vous explique tout !

Un monde en dessins

Point de bavardage journalistique, la narration par l’image porte ici tout son sens. C’est là où le travail de Juan Mendez intervient, lorsqu’il s’agit d’illustrer un concept, une statistique, de porter une information au public de manière claire et incisive. Pour le dessinateur belge, la BD a une grammaire assez contraignante, d’où une confrontation permanente avec les idées d’Hervé Kempf qu’il faut réinterpréter et traduire en images.

Ce que j’aime bien, en tant que scénariste ou penseur, c’est d’arriver à exprimer l’idée avec la complicité du dessin, à employer le moins de mots possibles. Et ça c’est vraiment intéressant.

Hervé Kempf

L’autre contrainte est le besoin de concision, de garder une dynamique et une énergie en n’excédant pas un certain nombre de pages. Au fil de la collaboration, Mendez dessine à partir de paquets de quelques « scènes » que lui envoie Kempf. Il en résulte parfois de petites surprises, un choc entre les idées du scénariste et l’iconographie qui n’est pas toujours ce qu’il avait en tête.

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À quoi reconnaît-on le riche?

L’étude du comportement des riches implique une définition précise de cette catégorie sociale, basée sur un indicateur principal : le niveau de revenus. L’observatoire des inégalités, en accord avec l’INSEE, prend pour référence le salaire médian (il y a autant de gens aux revenus supérieurs au salaire médian que de gens aux revenus inférieurs), qui est d’environ 2 200€ nets en France. Selon leur définition, un individu est pauvre s’il gagne moins de 60% du revenu médian, tandis qu’un individu est considéré comme riche s’il gagne plus de deux fois ce revenu.

Si les inégalités augmentent entre les pauvres et les riches, c’est également le cas au sein-même des 10% les plus riches depuis les années 1980. Kempf prend l’exemple de Carlos Tavares, PDG du groupe Stellantis. Ce dernier gagne 500 fois le revenu moyen de ses employés, un chiffre considérable par rapport à son prédécesseur, Jacques Calvet, dont le revenu était 40 fois plus élevé.

Pour le journaliste, nous sommes dans une véritable oligarchie. Les libertés n’y sont pas inexistantes, mais lourdement limitées par l’influence des puissances financières envers les classes politiques et le débat public. En témoignent les cas très récents Macron-Arnault et Trump-Musk. Ces mêmes puissances financières, pour qui les inégalités sont un jeu de la nature et ne voulant rien céder de leur mode de vie, sont entrées dans une forme de radicalisation, en poussant les extrêmes-droites à pointer les minorités ethniques et religieuses comme la source des problèmes.

Elles sont également adeptes d’un nouveau paradigme techno-capitaliste prôné par l’historien Yuval Noah Harari, précurseur selon Kempf du néocapitalisme et de ses idées de surhomme, d’homme augmenté ou d’élite du progrès. Une doctrine finement illustrée dans la BD par un robot géant écrasant l’allégorie de la justice, jugée comme caste inférieure.

L’effet Veblen

Une des images phares de la BD représente un manège à plusieurs étages, avec de bas en haut des chevaux de plus en plus sophistiqués. Selon son dessinateur, cet univers enfantin correspond parfaitement à la théorie de la rivalité ostentatoire et d’un concept proposé par Thorstein Veblen, sociologue et économiste américain de la fin du XIXème siècle : quand l’on fait partie d’une couche sociale, on tend systématiquement vers les couches supérieures. Il ne s’agit pas selon Kempf de gravir les couches mais d’imiter celles au-dessus, afin d’affirmer une forme de supériorité au sein de sa propre couche.

Cette théorie s’inspire des potlatchs, cérémonies de débauches, de cadeaux et de banquets organisées par des chefs de tribus dont l’intention est de se montrer plus riche que les autres tribus. Pratique qui, selon la sociologue Ashley Mears, serait toujours en vogue dans nos sociétés modernes occidentales.

Plus il y a d’inégalités, plus le modèle de surconsommation et de prestige qui est tout en haut va inspirer l’ensemble de la société, et on va tous être tirés, avec ce mécanisme de paliers successifs, vers une surconsommation. Cela a un effet global écologique énorme. […] Leur surconsommation inspire l’ensemble de la surconsommation mondiale. Selon moi, une des façons de changer ça, c’est de réduire très fortement les inégalités pour que le modèle culturel change.

Hervé Kempf

Pour Hervé Kempf, la catastrophe environnementale, directement liée à ces formes d’expression et de manifestation de la richesse, ne doit pas seulement être battue sur le plan économique mais aussi sur le plan culturel :

Les riches, vrais responsables ?

À la page 62 de la BD, nous sommes en Alberta au Canada, à Fort McMurray, une des premières réserves mondiales de pétrole. Dans ce vaste terrain intoxiqué par l’exploitation de schiste bitumeux et où les incendies ravagent les villes, un chasseur s’est enrichi en vendant du Coca Cola aux ouvriers. L’auteur décrit sa cave remplie d’une collection de carcasses d’animaux tués à travers le monde. Avec cette image qui fait froid dans le dos, Kempf expose l’idée selon laquelle les riches ne seraient pas indifférents à la destruction du monde, mais prendraient réellement plaisir à le détruire.

Alors que Mendez rappelle que les 10% les plus riches émettent la moitié des gaz à effet de serre. Il ne s’agit donc pas, insiste Kempf, de ne regarder que les milliardaires : à l’échelle mondiale, 40% des Européens font partie des plus riches, dont ceux avec un salaire de 2000€ ou plus. Si le problème doit donc être pris par tout le monde, les changements doivent venir du haut pour que la société puisse changer, toujours selon le principe de Veblen et du manège.

Penser les solutions

Après une grande partie consacrée au constat, reste à proposer les solutions. Kempf et Mendez n’y vont pas par quatre chemins : taxons les riches.

C’est l’outil politique premier par lequel on fait de la politique […]. Et c’est le cœur de la révolution américaine de 1776 et de 1789 en France, on remet en cause la fiscalité. La bagarre politique est là, elle doit être centrée là-dessus et l’objectif, c’est le changement de la fiscalité.

Hervé Kempf

Le journaliste ajoute que l’on doit à tout prix récupérer cet argent auprès des 500 plus grandes fortunes qui, comme le souligne Thomas Piketty, sont passées de 200 milliards d’euros à 1 000 milliards d’euros en 10 ans. Mais les choses avancent ! L’idée de taxer 2% de la fortune des milliardaires dans le monde, proposition que l’on associe à l’économiste français Gabriel Zucman, permettrait de fournir environ 500 milliards de dollars qui répondraient à la base des besoins. Cette idée, reprise au Brésil avec le gouvernement de Lula et qui fait parler d’elle au G7, montre une certaine pression internationale sur les grandes fortunes et nous fait avancer petit à petit.

L’autre enjeu se trouve au sein-même de la gauche. Selon Naomi Klein, il faudrait réussir à mettre en place une écologie populaire. Autrement dit, penser l’écologie comme un bien collectif, qui impliquerait d’avoir de bons systèmes de transport, une bonne école, une bonne santé. Cela se pratique notamment en marginalisant dans le débat public la gauche démocrate (équivalente du Parti Socialiste en France) qui aurait intégré le paradigme néolibéral et capitaliste. La discussion, à présent, devrait être centrée sur le populisme écologique. Autant d’idées illustrées par Juan Mendez en mode “cowboy“, pour une BD dense et passionnante.

Cinq questions clés

Qu’est-ce que l’effet Veblen ?

Il s’agit d’un phénomène social mis en évidence par le sociologue Thorstein Veblen, selon lequel les individus désirent des biens dont le prix est élevé pour se démarquer de sa propre classe socio-économique. C’est une forme de consommation ostentatoire qui vise à imiter les classes au-dessus. 

Où se trouve Fort McMurray ?

Fort McMurray est une terre d’exploitation agricole située en Alberta au Canada. Elle constitue la plus grande réserve de sable bitumeux, qui sont des sables imprégnés de pétrole nécessitant beaucoup d’énergie pour l’extraire. L’exploitation engendre une déforestation importante et de nombreux incendies.

Qu’est-ce qu’une oligarchie ?

L’oligarchie est une société où le pouvoir est détenu par une classe minoritaire et dominante, en l’occurrence celle des plus riches.

Qu’est-ce qu’un potlatch ?

Un potlatch est un type de festin pratiqué par les peuples autochtones de la côte nord-ouest du Pacifique au Canada et aux États-Unis, au cours duquel sont mis en valeur des objets de richesse pour affirmer la fortune de l’hôte auprès des autres clans.

Qu’est-ce que l’écologie populaire ?

C’est un concept qui vise à rendre les questions environnementales accessibles à toutes les catégories sociales, en particulier aux classes défavorisées. L’écologie populaire vise à prendre en compte les besoins et les capacités des personnes les plus vulnérables.

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15.11.2024 à 07:32

Malcom Ferdinand: «La France est dans le déni colonial»

Pauline Todesco

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Comment un désastre humain et écologique tel que la contamination des sols antillais par l’usage du chlordécone a-t-il pu se produire en toute impunité depuis les années 1970 ?

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Texte intégral (4494 mots)

Malcom Ferdinand, chercheur au CNRS et président de l’Observatoire Terre-Monde, expose aujourd’hui la cause fondamentale de ce scandale : l’habiter colonial de la Terre, face auquel il est impératif de développer de nouvelles façons de relationner avec le vivant, dans une perspective décoloniale.
En explorant l’entremêlement des causes politiques, agro-économiques, sociales, législatives et scientifiques qui sont à l’origine de cette catastrophe sociale et environnementale, et en racontant les révoltes des premiers·ères impactés·es, l’ouvrage «S’aimer la Terre» (ed. du Seuil) impose un constat sans appel : l’écologie doit être décoloniale, sinon rien.

Le chlordécone est une molécule de synthèse qui a été utilisée dans les bananeraies antillaises pendant 20 ans ou plus, ayant entraîné une contamination des écosystèmes pour plusieurs dizaines d’années à plusieurs siècles, et des Antillais eux-mêmes. Selon Malcom Ferdinand, on estime que «plus de 90 % des Antillais ont du chlordécone dans leur sang (…) cela crée ou augmente les chances de survenue d’un ensemble de pathologies dont le cancer de la prostate, et des retards de développement cognitif moteur et visuel des enfants.»

Les premières plaintes des associations environnementales guadeloupéennes remontent à 2006, rejointes en 2007 par des plantations martiniquaises. Au bout de 17 ans d’instruction, les juges rendent une ordonnance de non-lieu le le 5 janvier 2023. Ordonnance qui reconnaît une contamination grave au chlordécone, mais n’attribuant «aucune faute à quelconque personne du point de vue de la loi pénale.» Les associations ont donc fait appel, et attendent aujourd’hui le verdict de la Cour d’appel. Comme des centaines de personnes, Malcom Ferdinand est partie civile dans cette affaire.

L’ouvrage S’aimer la terre explore deux thématiques, explique son auteur : la façon dont on a «légitimé, justifier le fait de répandre autant de toxiques sur une terre, et comment a t-on légalisé, encouragé l’exposition des Antillais à un environnement pollué ?» Pour le chercheur, nous trouvons au cœur de cette affaire, une pratique et un habitat colonial.

Mensonge 1 : «le chlordécone est dû au charançon»

Malcom Ferdinand commence à présenter le récit officiel du chlordécone : il y aurait eu «une situation idéale» qui aurait préexisté avant 1972, puis «surgit le problème du charançon» entraînant «la nécessité d’utiliser un produit toxique, en 1972» avant d’être arrêté en 1973.

Le produit a été utilisé sur des monocultures bananières d’exportation. Le chercheur s’est alors demandé comment en est-on venu à cette transformation du paysage, et est remonté au début du XXe siècle. Pour redonner une meilleure image du «soi métropolitain», les autorités françaises ont procédé à une «colonisation agricole» associée à une «entreprise scientifique.» Ferdinand décrit cette «science coloniale» ainsi : «il s’agissait de déterminer les meilleures façons de produire, les meilleurs rendements possibles, les meilleures denrées possibles qui pouvaient être développées dans les colonies» afin de valoriser à la fois l’économie et la «symbolique nationale», «le soi collectif national.»

Ce récit du chlordécone vient renforcer le capitalisme bananier, c’est-à-dire que «ces terres ont été destinées et le sont encore, non pas au fait de pourvoir aux besoins du peuple entier mais d’approvisionner, d’enrichir quelques actionnaires et de pourvoir un imaginaire colonial qui va alimenter les marchés métropolitains» explique Ferdinand.

La contamination chlordécone est non seulement le fait d’une molécule toxique, mais surtout le résultat d’un ensemble de relations qui de relations à la terre, de relations administratives de l’Etat français envers les Antilles, de relations scientifiques, agronomiques, économiques, foncières qui participent de ce que j’ai appelé l’habiter colonial.

Malcom Ferdinand 

Ce que le chercheur appelle «l’habiter colonial», un habiter «violent et patriarcal» ne s’embarrasse pas de la mise en esclavage, et de l’exploitation de la main d’œuvre et surtout, ne s’est pas arrêtée à l’abolition de l’esclavage en 1848. En ce sens, selon Ferdinand, «le chlordécone est un traceur de l’habiter colonial, une marque de stabilité qui continue encore aujourd’hui.»

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Mensonge 2 : «on ne savait pas»

Un autre mensonge du récit du chlordécone : l’idée que «l’on ne savait pas», mensonge «perpétré par les responsables de la filière agricole de bananes, «détenue en majeure partie par des personnes qui sont issues d’un groupe social racial qu’on appelle les blancs créoles ou les békés.» Preuve en est, en 1969, la commission des toxiques affirme que le chlordécone, ressemblant d’un peu trop près au DDT, un pesticide accusé d’être cancérigène par des chercheurs américains, interdit son utilisation. Entre 1969 et 1972, comment un produit interdit peut-il être utilisé ?

Ferdinand explique que cette pratique d’autoriser «beaucoup plus de toxiques dans ces terres que dans le reste de l’hexagone» est «structurelle.» Le chlordécone n’est d’ailleurs pas un singulier, mais représente au contraire l’ensemble des toxiques. 

L’idée selon laquelle personne n’était conscient du danger du chlordécone est d’autant plus fallacieuse qu’en 1975, 3 ans après l’autorisation aux Antilles, l’usine de production du pesticide aux Etats-Unis est fermée. En cause : «les ouvriers de l’usine avaient développé des pathologies, des pertes de poids, des tremblements, le syndrome du Kepone ( le nom commercial du produit)» raconte Ferdinand, avant d’ajouter que les rejets étaient tellement toxiques «que ça avait dégommé la station d’épuration des eaux.»

L’Etat Français devant la justice

Pourquoi ces violences ne font-elles pas l’objet de poursuites, ou se soldent par des non-lieux ? Selon Ferdinand, la réponse tient dans une lecture très légaliste de la loi pénale française : d’une part, la loi française n’est pas rétroactive et ces crimes n’existaient pas en 1994, d’autre part, la question de la prescription. Or le fait que ces crimes soient pensés comme anciens pose problème. 

Ferdinand rappelle la fonction sociétale majeure de la justice : «elle permet de raconter un récit, de faire la vérité sur une histoire mais aussi de se confronter à un sujet», de le traiter et de le dépasser. 

On est dans une situation qui est complètement hallucinante, où des personnes responsables sont clairement identifiées (…) Les terres sont polluées aujourd’hui, les Antillais sont pollués aujourd’hui sont contaminés aujourd’hui. Mais on a des juges qui nous disent que le crime est passé. Cela crée une forme d’insulte à nous intelligence. Il y a prescription pour un crime qui est en cours aujourd’hui.

Malcom Ferdinand

Cette vision de «l’agir pesticide» comme passé devient le «prolongement du sentiment d’un mépris colonial», générant «une perte de confiance» des Antilles vis-à-vis de l’Etat français, déclare Ferdinand. Plaidant pour «une justice décoloniale», le chercheur dénonce la délocalisation de l’affaire à Paris, «ne permet pas aux Antillais de participer aux discussions débats concernant leur propre demande de justice.»

«Le chlordécone est aussi un crime raciste»

En 1972 donc, le chlordécone est autorisé aux Antilles. En 1974, il y a la plus grande grève agricole des ouvriers martiniquais. Ces ouvriers avaient une expérience «intime, empirique» du danger du chlordécone, et ont exigé d’arrêter d’utiliser ce produit dans le cadre de leur travail.

Le résultat de cette grève a été la répression par les gendarmes, et la mise à mort de plusieurs personnes, dont des ouvriers agricoles (…) On a un Etat français de mèche avec des propriétaires békés qui détiennent les plantations, et qui exerce ce pouvoir de mise à mort à des ouvriers (…) Quand des ouvriers demandent la dignité (…) des droits sociaux et des droits du travail, on leur répond par la balle.

Malcom Ferdinand

Ces répressions sanglantes sont des pratiques présentes tout au long du XXe siècle,  répression sanglante est l’une des clés de compréhension de la domination coloniale aux Antilles. Selon Ferdinand, c’est pour cette raison que l’on peut affirmer que «le chlordécone est aussi l’affaire d’un crime raciste.»

On ne peut pas dissocier cette exposition toxique des Antilles d’un millefeuille de plateaux qui, historiquement et structurellement, participe à la déshumanisation des Antillais.

Malcom Ferdinand

la conception de la science est basé sur un rapport de supériorité et ce n’est pas extérieur mais ça participe à cette domination

«Un crime occulte»

L’approche techniciste consiste à penser : «le chlordécone, c’est l’histoire d’une molécule qui serait très mauvaise, très méchante et qui contamine.» Selon Ferdinand, le danger de cette perspective est de penser qu’il s’agit seulement d’une affaire de molécules, dont il s’agirait de se débarrasser pour tout régler. Or, cette vision ignore les «rapports sociaux de domination entre propriétaires et ouvriers», et «les rapports non démocratiques entre l’Etat français et l’administration du territoire», qui eux restent problématiques.

Si l’Etat français est responsable de l’administration du chlordécone aux Antilles, c’est aussi d’après Ferdinand, celui qui propose «l’une des réponses les plus fortes, après les Etats-Unis.» Ferdinand développe ensuite ce qu’il nomme «la production d’ignorance» : le fait qu’il ait fallu des années pour que des recherches soient lancées sur les conséquences de l’utilisation du chlordécone. En d’autres termes, «circulez, il n’y a rien à voir» résume le chercheur. 

On produit de l’ignorance, c’est-à -dire qu’on cache aux Antillais la connaissance de leur propre situation de contamination.

Malcom Ferdinand

Les Antillais ne sont pas exposés qu’au chlordécone, mais aussi à toutes sortes de pesticides, insecticides, fongicides, herbicides. Le mélange de ces toxiques dans l’environnement produit ce que l’on appelle «l’effet cocktail.» Selon Ferdinand, la colonialité de la science s’exprime également dans la non-observation de ce phénomène. Si le chlordécone est bien une molécule dangereuse, elle «ne peut donc pas être réduite uniquement à cette dimension matérielle» déclare Ferdinand. Le chercheur insiste sur la dimension symbolique de «cette molécule qui est intimement associée à un crime. Et pas n’importe quel crime, un crime colonial.» 

Béké et blanchité : de quoi parle t-on ?

Ferdinand décrit les Békés comme «un groupe de créoles blancs, constitué à partir de la colonisation française des Antilles, s’étant maintenu au fil des siècles avec une forme de solidarité raciale blanche et des pratiques endogamiques.» Le chercheur qualifie ces groupes de «patriarcaux», seuls les hommes blancs ayant eu accès à la propriété foncière, transmise comme patrimoine de génération en génération.

La question de la solidarité raciale blanche pose celle de la blanchité, intrinsèquement liée à l’histoire du chlordécone. La blanchité est une «construction socio-raciale qui permet de placer certains, certaines au dessus ou en haut d’une échelle raciale qui place le noir tout en bas» expose Ferdinand. 

L’une des forces de ce groupe, explique Ferdinand, «est de nouer sous couvert de blanchité un ensemble de rapports privilégiés avec l’État français», avant de préciser qu’aux Antilles, les gouverneurs comme les préfets sont dans la majeure partie des personnes blanches. Selon le chercheur, il est grand temps que la France, y compris «une gauche bien pensante» réalise que la colonisation ne s’est pas arrêtée aux indépendances des peuples et à l’abolition de l’esclavage.

La banane : le fruit colonial français 

«Le chlordécone a été utilisé pour produire la banane (…) Or la production de bananes a été consommée majoritairement ici en Hexagone et dans le reste de l’Europe» lâche Ferdinand.  Dans son livre, le chercheur interpelle les habitants de la France hexagonale : «vous avez voulu donner des bananes à vos enfants (…) mais la possibilité de ce geste était adossée sur une déshumanisation des enfants et des ouvriers et ouvrières agricoles» générée à travers ces violences, ces condamnations, ces crimes. 

Les travaux de Ferdinand l’amènent à considérer ce fruit comme l’objet d’un «imaginaire raciste colonial qui perpétue une identité française : être français, c’est être au-dessus de l’ensemble du reste du peuple de la terre.» D’après lui, cette symbolique est toujours présente dans les publicités contemporaines de cette même filière, qui maintiennent «cet imaginaire raciste sous couvert de greenwashing.»

Il est possible d’avoir une identité, y compris une identité nationale, y compris collective, qui ne repose pas sur la déshumanisation de l’autre.

Malcom Ferdinand

Revendiquant plus que jamais «une politique d’amour de la terre», Ferdinand alerte sur la tentation d’abandon de la terre «dont on nous raconte à longueur de journée qu’elle est contaminée.» Le chercheur le rappelle : «Le propre de la colonisation est de séparer les peuples autochtones de leurs terres.» C’est pourquoi il propose dans S’aimer la terre, de «ne plus se demander jusqu’à quel point je peux dépolluer ou désintoxiquer ces terres, et du coup désintoxiquer mon corps, mais comment puis je proposer un rapport qui me rapproche encore plus de cette terre, quand bien même il y aurait eu certains, certains toxiques?»

Cinq questions clés

Qu’est-ce que le scandale du chlordécone ?

Le chlordécone est une molécule de synthèse qui a été utilisée dans les bananeraies antillaises pendant 20 ans ou plus, ayant entraîné une contamination des écosystèmes pour plusieurs dizaines d’années à plusieurs siècles, et des Antillais eux-mêmes. Selon Malcom Ferdinand, on estime que «plus de 90 % des Antillais ont du chlordécone dans leur sang (…) cela crée ou augmente les chances de survenue d’un ensemble de pathologies dont le cancer de la prostate, et des retards de développement cognitif moteur et visuel des enfants.»

De quoi parle l’ouvrage de Malcom Ferdinand «S’aimer la terre» ?

L’ouvrage S’aimer la terre explore deux thématiques, explique son auteur : la façon dont on a «légitimé, justifier le fait de répandre autant de toxiques sur une terre, et comment a t-on légalisé, encouragé l’exposition des Antillais à un environnement pollué ?» Pour le chercheur, nous trouvons au cœur de cette affaire, une pratique et un habitat colonial.

Qu’est-ce que Malcom Ferdinand appelle «l’habiter colonial» ?

La contamination chlordécone est non seulement le fait d’une molécule toxique, mais surtout le résultat d’un ensemble de relations qui de relations à la terre, de relations administratives de l’Etat français envers les Antilles, de relations scientifiques, agronomiques, économiques, foncières qui participent de ce que j’ai appelé l’habiter colonial.

Qui sont les Békés ?

Ferdinand décrit les Békés comme «un groupe de créoles blancs, constitué à partir de la colonisation française des Antilles, s’étant maintenu au fil des siècles avec une forme de solidarité raciale blanche et des pratiques endogamiques.» Le chercheur qualifie ces groupes de «patriarcaux», seuls les hommes blancs ayant eu accès à la propriété foncière, transmise comme patrimoine de génération en génération.

Pourquoi Malcom Ferdinand parle-t-il du chlordécone comme d’un “crime colonial” ?

L’approche techniciste consiste à penser : «le chlordécone, c’est l’histoire d’une molécule qui serait très mauvaise, très méchante et qui contamine.» Selon Ferdinand, le danger de cette perspective est de penser qu’il s’agit seulement d’une affaire de molécules, dont il s’agirait de se débarrasser pour tout régler. Or, cette vision ignore les «rapports sociaux de domination entre propriétaires et ouvriers», et «les rapports non démocratiques entre l’Etat français et l’administration du territoire», qui eux restent problématiques.

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