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07.09.2025 à 10:41

Mieux comprendre rat-taïaut et l'agent orange avec "L’Enfance du monde " / "La science-fiction capitaliste"

L'Autre Quotidien
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Dans le sang et les tripes d’une pandémie mutante, la farce gore et pourtant terriblement sérieuse d’un techno-capitalisme arc-bouté sur ses contradictions terminales. De la science-fiction particulièrement décapante – et un bref essai ironique et salutaire en prime.

Personne n’aimait l’enfant dengue. J’ignore si c’était à cause de sa longue trompe ou du bourdonnement incessant, insupportable, de ses ailes qui déconcentrait le reste de la classe. Toujours est-il que, à la récréation, quand les autres élèves se précipitaient dans la cour et se réunissaient pour manger leur sandwich, discuter et raconter des blagues, le pauvre enfant dengue restait tout seul en classe, assis sur sa chaise, les yeux dans le vague, à faire semblant de se concentrer sur une page de son cahier de notes, afin de s’éviter la honte de sortir et montrer à tout le monde qu’il n’avait de toute évidence pas un seul ami à qui parler.
De nombreux bruits couraient sur ses origines. Selon certains, sa famille vivait dans des conditions si sordides, dans une baraque faite de tôles rouillées et de pneus où l’eau croupissait, qu’une nouvelle espèce mutante y avait éclôt, un insecte gigantesque qui aurait violé sa mère et l’aurait mise enceinte après avoir tué son mari d’horrible façon ; mais d’autres, au contraire, soutenaient que c’était le père que l’insecte géant avait violé et contaminé, père qui, à son tour, en éjaculant à l’intérieur de la mère, aurait engendré cette créature inadaptée et sinistre, et qu’il lui aurait suffi d’un coup d’oeil sur le nouveau-né pour les abandonner, lui et sa mère, et disparaître à tout jamais.
Le pauvre enfant faisait l’objet de bien des théories encore, qu’il n’est pas nécessaire de mentionner. Toujours est-il que, quand ses camarades de classe commençaient à s’ennuyer et s’apercevaient que l’enfant dengue était resté tout seul en classe à faire semblant de faire ses devoirs, ils allaient l’embêter :
– Dis donc, enfant dengue, c’est vrai que ta mère s’est fait violer par un moustique ?
– Eh, vermine, qu’est-ce que ça fait de venir du foutre pourri d’un insecte ?
– Dis donc, maringouin dégueu, c’est vrai que la chatte à ta mère est un vieux trou moisi plein de vers, de cafards et d’autres bestioles et que c’est de là que tu sors ?
Les petites antennes de l’enfant dengue se mettaient instantanément à frémir de rage et d’indignation, alors ses petits harceleurs s’enfuyaient en éclatant de rire et le laissaient à nouveau seul, à renifler sa peine.
De retour à la maison, la vie de l’enfant dengue n’était pas beaucoup plus agréable. Pour sa mère, il n’était, d’après lui, qu’un fardeau, une aberration de la nature qui avait irrémédiablement gâché son existence. Une mère seule avec un enfant ? L’élever dans ces conditions n’est jamais facile, mais, les années passant, l’enfant donnera à sa mère des motifs de joie qui compenseront largement ses peines, et l’enfant finira par devenir un jeune homme, puis un adulte, qui pourra accompagner, aider et soutenir financièrement sa mère, laquelle, sur ses vieux jours, aura la nostalgie de tous ces beaux moments passés ensemble et s’enorgueillira de la réussite de son aîné. Mais un fils mutant, un enfant dengue ? Voilà un monstre qu’il faudra nourrir et porter à bout de bras jusqu’à la tombe. Une erreur de la génétique, un croisement malsain entre humain et insecte qui, regardé avec dégoût par tout un chacun, ne sera qu’un motif d’embarras sans jamais au grand jamais faire la fierté ni la satisfaction de sa mère.
Voilà pourquoi, d’après lui, sa mère le haïssait et n’avait que rancœur pour lui.

Publié en 2023, et traduit en français à l’automne 2024 par Sébastien Rutès (dont on vous parlera prochainement sur ce même blog du sublime travail réalisé autour de l’œuvre de Paco Ignacio Taibo II) pour la collection Chimères de Christian Bourgois Éditeur, le troisième roman de l’Argentin Michel Nieva est né de l’extension et de la réécriture partielle d’une nouvelle (non traduite en français) de 2021, « El niño dengue » (littéralement, « L’enfant dengue »), publiée dans l’édition espagnole de la revue littéraire Granta, lui ayant valu d’être inclus dans la prestigieuse sélection « Meilleurs espoirs littéraires (en langue espagnole) » 2021 de la revue d’origine britannique, publiée pour la deuxième fois onze ans après la toute première liste non-anglophone de 2010.

Après « Les gauchoïdes rêvent-ils de nandous électriques ? » en 2013 et « Ascension et apogée de l’Empire argentin » en 2018, ses deux premiers romans non traduits en français à ce jour (leurs titres ici sont une libre interprétation de « ¿Sueñan los gauchoides con ñandúes eléctricos? » et de « Ascenso y apogeo del imperio argentino »), « L’enfance du monde » confirme s’il en était besoin la place à part que tient d’ores et déjà Michel Nieva (et son petit essai « La science-fiction capitaliste » dont il sera question ci-dessous le souligne encore) dans un paysage littéraire argentin où la science-fiction tient une place plus complexe et moins marginale qu’il ne le semble a priori – paysage souvent fort mal connu en France, où nos perceptions sont en général dominées par un imaginaire fantastique qui irrigue, davantage que dans tout autre pays (à part peut-être la Russie), la littérature « générale » elle-même. Les ombres tutélaires de Jorge Luis Borges et d’Adolfo Bioy Casares, voire de Julio Cortázar et de Silvina Ocampo, occultent le plus souvent celles de Leopoldo Lugones, d’Angélica Gorodischer (si l’on songe par exemple à son « Trafalgar » plutôt qu’à son « Kalpa Impérial ») et de Héctor Oesterheld (n’oubliez pas de découvrir ou redécouvrir « L’Éternaute » à travers la somptueuse lecture indirecte qu’en donne le « Héctor » de Léo Henry – avant même le surcroît de visibilité qu’implique la série Netflix désormais en cours), et davantage encore celles de Rafael Pinedo (« Plop », 2002), de Pedro Mairal (« El Año del Desierto« , 2005) ou d’Eduardo Blaustein (« Cruz diablo », 1997).

Joanna Page, chercheuse à l’Université de Cambridge et fine connaisseuse de la science-fiction argentine contemporaine, concluait sa magnifique étude de 2016 (« Science Fiction in Argentina ») en soulignant le matérialisme fondamental et parfois paradoxal de cette littérature d’aujourd’hui, peut-être plus qu’en tout autre pays. Si l’on veut bien oublier un instant la (trop ?) facile accroche « gaucho-punk »  – au sein d’un genre littéraire (trop !) friand de micro-étiquettes -, « L’enfance d’un monde » en constitue une démonstration éclatante.

En somme, son reflet ne faisait que confirmer ce qu’il avait toujours su : son corps n’était qu’immondice.
Ruminant cette terrible certitude, l’enfant dengue se demandait si, non content d’être un monstre répugnant, il ne représenterait pas aussi un jour une menace mortelle.
En effet, il n’ignorait pas que la grande préoccupation de sa mère, celle qui empoisonnait ses jours et ses nuits, était que l’enfant dengue, une fois grand et devenu un homme dengue, finisse par ne plus pouvoir contrôler l’instinct qui le marquait au fer rouge et se mette alors à piquer et à transmettre la dengue à tout le monde, en particulier à elle ou à un petit camarade de classe. Un fils qui, non content d’être un mutant porteur de virus, s’en ferait consciemment l’agent infectieux, le complaisant vecteur mortel, condamnant sa mère à des afflictions pires encore. Voilà pourquoi, chaque matin, quand l’enfant dengue partait pour l’école, sa mère lui confiait un petit tupperware en plus de celui qui contenait son déjeuner et lui susurrait à l’oreille, sur un ton de pitié :
– Petite bébête, n’oublie pas : si jamais tu ressens un besoin nouveau, bizarre et irrépressible, tu n’as qu’à sucer ça !
Consterné, le pauvre enfant dengue baissait les yeux et hochait la tête, dans un effort inutile pour retenir les larmes qui coulaient de ses ommatidies sur ses palpes maxillaires. Tout honteux, il mettait le paquet sur son dos et partait pour l’école, d’un vol accablé par la honte de savoir que sa propre mère voyait en lui un dangereux criminel en puissance, vecteur infectieux de maladies incurables. La rage de l’enfant dengue était telle que, une fois à bonne distance de chez lui, il balançait le tupperware dans le caniveau. La boîte s’ouvrait au contact du sol mais l’enfant dengue avait déjà vite repris son vol, sans lui adresser le moindre regard de ses yeux encore troublés de larmes. Si l’enfant dengue ne regardait pas, c’est qu’il n’avait nul besoin de confirmer ce qu’il savait déjà. Pas besoin de vérifier ce que l’ignominieux tupperware contenait, à savoir un gros morceau de boudin gras et palpitant qui, tout tiède encore, s’écoulait lentement par la grille de l’égout.
Du sang cuit, du sang coagulé, du sang noirci et du sang épais.
Du boudin !
Voilà la substance que sa mère croyait capable d’apaiser le sordide instinct de l’insecte.

« L’enfance du monde », bien que roman relativement court, avec ses quelque 150 pages, déploie autant de facettes que les yeux de l’enfant mutant hybride de moustique, porteur sain (si l’on ose dire en l’espèce) d’un virus lui-même mutagène (n’ayant au fond qu’un rapport parodique et lointain avec le tout à fait authentique virus de la dengue utilisé ici pour le titre et l’analogie anophèle immédiate), qui en est le héros d’abord largement involontaire : brutalité sans fard des rapports humains (et, cela va ici de soi, inter-espèces), d’emblée, mais presque immédiatement aussi, omniprésence mortifère des rapports socio-économiques (dans un contexte argentin où la domination des nantis a été au fil des décennies plutôt nettement moins amortie qu’en Europe par divers mécanismes redistributifs et palliatifs), sang, viscères, plaies et purulences aux effets les plus gore imaginables (Kathy Acker aurait certainement pu extraire de ce matériau argentin un somptueux « Sang et stupre à la plage polluée »), matérialisation soigneuse des propagations épidémiques exponentielles en l’absence de contrôle sanitaire réalistement possible, mais surtout, peut-être, célébration ironique de la faculté d’adaptation et de récupération hors normes du capitalisme tardif face à tout ce qui semblerait pouvoir le menacer… jusqu’à l’effondrement éventuel et néanmoins terminal (et là, bien que reposant sur des critères esthétiques totalement différents, le « New York 2140 » de Kim Stanley Robinson n’est pas si loin, non plus que, au moins aussi éloigné littérairement, le « Choc terminal » de Neal Stephenson).

Le camp de vacances occupait une des plages publiques les plus sales et les plus à l’abandon de Victorica. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette région australe de l’Amérique du Sud, rappelons que c’est en 2197 que, sous l’effet de la fonte massive des glaces de l’Antarctique, le niveau de la mer est monté comme jamais auparavant, ne laissant de la Patagonie, région jadis connue pour ses forêts, ses lacs et ses glaciers, qu’une traînée éparse de petites îles écrasées de chaleur. Ce que personne n’avait prévu, c’est que cette catastrophe climatique et humanitaire annoncée depuis longtemps offrirait miraculeusement à la province argentine de La Pampa un accès à la mer qui en transformerait la géographie du tout au tout. Du jour au lendemain, ce qui n’avait été qu’un désert aride et sans vie aux confins du monde, une région desséchée par des siècles de monoculture intensive de tournesol et de soja, devint la seule voie interocéanique navigable du continent tout entier, en plus du canal de Panama. L’économie régionale avait gagné, grâce à cette métamorphose inattendue, les juteuses recettes des taxes portuaires qui ne cessaient d’affluer, sans parler des toutes nouvelles plages paradisiaques qui attiraient des vacanciers du monde entier. Malheureusement, les meilleures stations balnéaires, les plus proches de Santa Rosa, étaient la propriété exclusive de grands hôtels et des maisons de vacances des riches étrangers. Les gens du peuple, comme l’enfant dengue, n’avaient accès qu’aux plages publiques, à proximité du Canal Interocéanique de Victorica, là où s’accumulaient toutes les ordures du port : un horrible dépotoir plein de bouts de plastique et de gravats où couvaient toutes sortes d’aberrations.
Cette colo offrait une formule parfaite pour les parents qui travaillaient du matin au soir, comme la mère de l’enfant dengue. Pour faire court, on passait chercher les enfants en autocar tôt le matin et on les ramenait vers huit heures du soir, avec ponctualité. C’était l’essentiel du service, la partie la mieux organisée, tout le reste était relégué au second plan. Ainsi, les enfants devaient se contenter pour le petit-déjeuner d’un pauvre petit pain sec accompagné d’une infusion de maté, et d’un peu de polenta au saindoux avec un jus en poudre instantanée à midi. Les activités promises se résumaient à un prof de gym à la retraite, ventripotent, qui passait son temps à fumer allongé sur le sable et se contentait de souffler dans son sifflet chaque fois qu’un gamin s’aventurait trop loin dans l’eau ou escaladait un tas de déchets coupants et pointus.
De sorte que les enfants, abandonnés à leur sort, faisaient ce qu’ils voulaient, ils couraient dans tous les sens, jouaient au foot, se baignaient et bronzaient sur la plage nauséabonde. Il y en avait un que tout le monde appelait Bonbon et qui, en l’absence d’un adulte responsable pour exercer l’autorité, faisait office de chef de bande. Bonbon était un petit gros hyperactif d’une douzaine d’années. Son père travaillait dans une usine de poulets, Bonbon lui rendait parfois visite, et c’est en décrivant avec force détails comment les volailles étaient décapitées et éviscérées qu’il avait gagné l’admiration du groupe.

Michel Nieva joue à la perfection des mécaniques traditionnelles de l’horreur et du gore, celles-là même qui résonnent tant, même chez des praticiennes et des praticiens moins radicaux politiquement, en apparence, avec l’horreur économique, terme certes galvaudé s’il en est, mais dont la triste pertinence apparaît toujours plus au grand jour alors que les avidités s’aiguisent devant un gâteau climatiquement et socialement si mal en point aujourd’hui. Rendre compte pleinement de la violence intrinsèque de la domination capitaliste (que ne perçoivent naturellement guère celles et ceux qui sont du bon côté du manche, hors de toute méchanceté superflue) pour la retourner littérairement : vaste programme, dont « L’enfance du monde » nous donne un aperçu particulièrement décapant, avec ses dégoulinements d’hémoglobine et de tripes, cultivant l’excès et refusant le bon goût (on retrouve bien ici l’une des acceptions originelles – musicales et sociétales – du punk, une fois ôtées toutes les sauces (parfois a)variées par lesquelles il a été domestiqué depuis quelques dizaines d’années…

Il s’agit bien, en une danse folle au rythme halluciné, d’inverser les métaphores guerrières industrielles et l’imagerie populaire vampirique, pour rendre son dû véritable à la finance dirigeante : sang, viscères et nihilisme terminal masqué dans les oripeaux du profit raisonnable (les Anglo-Saxons diraient sans doute « make an honest buck »). Moquer les visées technologiques et techniques qui servent avant tout d’excuse à la quête effrénée d’une plus-value supplémentaire : toutes les méga-industries contemporaines en prennent ici pour leur grade, de la pharmacie à la géo-ingénierie, du divertissement (la parodie sanglante et jusqu’au-boutiste des jeux vidéo militaristes / colonialistes, avec « Chrétiens vs. Indiens », est particulièrement savoureuse, si l’on ose dire) à la conquête spatiale et aux moyens, bétonnés et/ou insulaires, de la sécession multimilliardaire, sans compter bien entendu la finance à terme et l’assurance spéculative. Le commerce des promesses vivant peut-être, dans « L’enfance du monde », ses derniers jours, ses contradictions y figurent logiquement sous leur jour le plus féroce.

Ah, qu’il est difficile de décrire le fugace instant exact d’une initiation !
Des milliers de romans d’apprentissage, il est vrai, s’y sont essayé avec plus ou moins de succès. Mais est-il vraiment possible d’exprimer avec des mots ce moment glacial ou un être commet, ne serait-ce que dans un accès de fureur inconscient ou irréfléchi, l’acte fatidique qui entretissera ensemble son passé et son futur, ce stigmate de feu et de sang que d’aucuns appellent destin et qui, peut-être, lui était dévolu ?
Toujours est-il que l’enfant dengue, contrairement à sa réaction habituelle face aux persécutions que lui valait sa condition hybride, ne paniqua pas, il n’eut pas envie de mourir et aucune rage ou souffrance ne fit frémir ses petites antennes poilues. Le chant truculent – non dénué de valeur poétique, il faut bien l’admettre – de la ronde des petits mâles commandés par Bonbon ne lui fit pas perdre une goutte de sang-froid. Au contraire, une adrénaline tout à fait nouvelle irrigua chacune des nervures de ses ailes. Car ce que l’enfant dengue vit en posant ses ommatidies sur Bonbon qui, le short toujours baissé, le montrait du doigt et se moquait de lui, ce ne fut pas un ennemi, pas un semblable, même pas un être humain. Face à la redoutable trompe de l’enfant dengue ne se dressait qu’un succulent sorbet à la viande, un bout de boudin palpitant et délicieux. Dans le vertige de cet irrépressible désir noouveau, une brusque révélation traversa les antennes poilues de l’enfant dengue, avec une évidence et une clarté sans précédent, malgré le brouhaha de cris qui l’enoturait. L’enfant dengue, de façon un peu absurde, fit le raisonnement suivant : je ne suis pas un garçon, je suis une fille. La gamine dengue. En effet, dans l’espèce Aedes aegypti, dont il – ou elle – était un exemplaire unique, seules les femelles piquent, sucent le sang et transmettent des maladies, tandis que les mâles se consacrent exclusivement à l’activité mécanique de copuler et de se reproduire. Avec soulagement, pleine de piété filiale, elle comprit qu’elle avait été toute sa vie victime d’une erreur grammaticale, et que, puisqu’elle n’était pas un garçon mais une fille, impossible pour elle de violer sa mère et de reproduire le crime dont ses camarades de classe accusaient son père. Alors, libérée comme quelqu’un qui découvre enfin les raisons de sa peur, elle se jeta sur Bonbon, dont le corps nu jusqu’aux chevilles roula dans le sable. Avec une précision chirurgicale, elle l’immobilisa. Elle approcha sa trompe et, comme on découpe un boudin pour manger l’intérieur, elle lui ouvrit le ventre. Sans prêter attention aux cris de terreur des autres enfants, dont le chant joyeux vira à la transe sinistre, et qui s’enfuirent dans tous les sens pour chercher du secours – tant bien que mal, évidemment, vu que leur short était toujours baissé -, la gamine dengue enfonça sa trompe dans le ventre ouvert de Bonbon et en ramena une grappe de tripes sanguinolentes. Sous le regard horrifié du prof de gym qui, alerté par les enfants, s’était approché des lieux du crime, mais, en état de choc, n’arrivait qu’à souffler bêtement dans son sifflet, la gamine dengue leva au bout de sa trompe les viscères propres et bleues de Bonbon vers le soleil, comme on offre un sacrifice à son dieu. Après quoi, comme on arrache un bout de ficelle, elle tira d’un coup. Un flot de sang, d’excréments et de biles amères éclaboussa et souilla le visage pétrifié du prof de gym, puis colora le sable et même les vagues qui arrivaient lentement sur le rivage avant de repartir.

Charybde 27 : le Blog

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Notes de lecture 2024, Nouveautés

Note de lecture : « L’Enfance du monde » / « La science-fiction capitaliste » (Michel Nieva)

Posté par Hugues ⋅ 23 juillet 2025 ⋅ Poster un commentaire

Dans le sang et les tripes d’une pandémie mutante, la farce gore et pourtant terriblement sérieuse d’un techno-capitalisme arc-bouté sur ses contradictions terminales. De la science-fiction particulièrement décapante – et un bref essai ironique et salutaire en prime.

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Personne n’aimait l’enfant dengue. J’ignore si c’était à cause de sa longue trompe ou du bourdonnement incessant, insupportable, de ses ailes qui déconcentrait le reste de la classe. Toujours est-il que, à la récréation, quand les autres élèves se précipitaient dans la cour et se réunissaient pour manger leur sandwich, discuter et raconter des blagues, le pauvre enfant dengue restait tout seul en classe, assis sur sa chaise, les yeux dans le vague, à faire semblant de se concentrer sur une page de son cahier de notes, afin de s’éviter la honte de sortir et montrer à tout le monde qu’il n’avait de toute évidence pas un seul ami à qui parler.
De nombreux bruits couraient sur ses origines. Selon certains, sa famille vivait dans des conditions si sordides, dans une baraque faite de tôles rouillées et de pneus où l’eau croupissait, qu’une nouvelle espèce mutante y avait éclôt, un insecte gigantesque qui aurait violé sa mère et l’aurait mise enceinte après avoir tué son mari d’horrible façon ; mais d’autres, au contraire, soutenaient que c’était le père que l’insecte géant avait violé et contaminé, père qui, à son tour, en éjaculant à l’intérieur de la mère, aurait engendré cette créature inadaptée et sinistre, et qu’il lui aurait suffi d’un coup d’oeil sur le nouveau-né pour les abandonner, lui et sa mère, et disparaître à tout jamais.
Le pauvre enfant faisait l’objet de bien des théories encore, qu’il n’est pas nécessaire de mentionner. Toujours est-il que, quand ses camarades de classe commençaient à s’ennuyer et s’apercevaient que l’enfant dengue était resté tout seul en classe à faire semblant de faire ses devoirs, ils allaient l’embêter :
– Dis donc, enfant dengue, c’est vrai que ta mère s’est fait violer par un moustique ?
– Eh, vermine, qu’est-ce que ça fait de venir du foutre pourri d’un insecte ?
– Dis donc, maringouin dégueu, c’est vrai que la chatte à ta mère est un vieux trou moisi plein de vers, de cafards et d’autres bestioles et que c’est de là que tu sors ?
Les petites antennes de l’enfant dengue se mettaient instantanément à frémir de rage et d’indignation, alors ses petits harceleurs s’enfuyaient en éclatant de rire et le laissaient à nouveau seul, à renifler sa peine.
De retour à la maison, la vie de l’enfant dengue n’était pas beaucoup plus agréable. Pour sa mère, il n’était, d’après lui, qu’un fardeau, une aberration de la nature qui avait irrémédiablement gâché son existence. Une mère seule avec un enfant ? L’élever dans ces conditions n’est jamais facile, mais, les années passant, l’enfant donnera à sa mère des motifs de joie qui compenseront largement ses peines, et l’enfant finira par devenir un jeune homme, puis un adulte, qui pourra accompagner, aider et soutenir financièrement sa mère, laquelle, sur ses vieux jours, aura la nostalgie de tous ces beaux moments passés ensemble et s’enorgueillira de la réussite de son aîné. Mais un fils mutant, un enfant dengue ? Voilà un monstre qu’il faudra nourrir et porter à bout de bras jusqu’à la tombe. Une erreur de la génétique, un croisement malsain entre humain et insecte qui, regardé avec dégoût par tout un chacun, ne sera qu’un motif d’embarras sans jamais au grand jamais faire la fierté ni la satisfaction de sa mère.
Voilà pourquoi, d’après lui, sa mère le haïssait et n’avait que rancœur pour lui.

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Publié en 2023, et traduit en français à l’automne 2024 par Sébastien Rutès (dont on vous parlera prochainement sur ce même blog du sublime travail réalisé autour de l’œuvre de Paco Ignacio Taibo II) pour la collection Chimères de Christian Bourgois Éditeur, le troisième roman de l’Argentin Michel Nieva est né de l’extension et de la réécriture partielle d’une nouvelle (non traduite en français) de 2021, « El niño dengue » (littéralement, « L’enfant dengue »), publiée dans l’édition espagnole de la revue littéraire Granta, lui ayant valu d’être inclus dans la prestigieuse sélection « Meilleurs espoirs littéraires (en langue espagnole) » 2021 de la revue d’origine britannique, publiée pour la deuxième fois onze ans après la toute première liste non-anglophone de 2010.

Après « Les gauchoïdes rêvent-ils de nandous électriques ? » en 2013 et « Ascension et apogée de l’Empire argentin » en 2018, ses deux premiers romans non traduits en français à ce jour (leurs titres ici sont une libre interprétation de « ¿Sueñan los gauchoides con ñandúes eléctricos? » et de « Ascenso y apogeo del imperio argentino »), « L’enfance du monde » confirme s’il en était besoin la place à part que tient d’ores et déjà Michel Nieva (et son petit essai « La science-fiction capitaliste » dont il sera question ci-dessous le souligne encore) dans un paysage littéraire argentin où la science-fiction tient une place plus complexe et moins marginale qu’il ne le semble a priori – paysage souvent fort mal connu en France, où nos perceptions sont en général dominées par un imaginaire fantastique qui irrigue, davantage que dans tout autre pays (à part peut-être la Russie), la littérature « générale » elle-même. Les ombres tutélaires de Jorge Luis Borges et d’Adolfo Bioy Casares, voire de Julio Cortázar et de Silvina Ocampo, occultent le plus souvent celles de Leopoldo Lugones, d’Angélica Gorodischer (si l’on songe par exemple à son « Trafalgar » plutôt qu’à son « Kalpa Impérial ») et de Héctor Oesterheld (n’oubliez pas de découvrir ou redécouvrir « L’Éternaute » à travers la somptueuse lecture indirecte qu’en donne le « Héctor » de Léo Henry – avant même le surcroît de visibilité qu’implique la série Netflix désormais en cours), et davantage encore celles de Rafael Pinedo (« Plop », 2002), de Pedro Mairal (« El Año del Desierto« , 2005) ou d’Eduardo Blaustein (« Cruz diablo », 1997).

Joanna Page, chercheuse à l’Université de Cambridge et fine connaisseuse de la science-fiction argentine contemporaine, concluait sa magnifique étude de 2016 (« Science Fiction in Argentina ») en soulignant le matérialisme fondamental et parfois paradoxal de cette littérature d’aujourd’hui, peut-être plus qu’en tout autre pays. Si l’on veut bien oublier un instant la (trop ?) facile accroche « gaucho-punk »  – au sein d’un genre littéraire (trop !) friand de micro-étiquettes -, « L’enfance d’un monde » en constitue une démonstration éclatante.

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En somme, son reflet ne faisait que confirmer ce qu’il avait toujours su : son corps n’était qu’immondice.
Ruminant cette terrible certitude, l’enfant dengue se demandait si, non content d’être un monstre répugnant, il ne représenterait pas aussi un jour une menace mortelle.
En effet, il n’ignorait pas que la grande préoccupation de sa mère, celle qui empoisonnait ses jours et ses nuits, était que l’enfant dengue, une fois grand et devenu un homme dengue, finisse par ne plus pouvoir contrôler l’instinct qui le marquait au fer rouge et se mette alors à piquer et à transmettre la dengue à tout le monde, en particulier à elle ou à un petit camarade de classe. Un fils qui, non content d’être un mutant porteur de virus, s’en ferait consciemment l’agent infectieux, le complaisant vecteur mortel, condamnant sa mère à des afflictions pires encore. Voilà pourquoi, chaque matin, quand l’enfant dengue partait pour l’école, sa mère lui confiait un petit tupperware en plus de celui qui contenait son déjeuner et lui susurrait à l’oreille, sur un ton de pitié :
– Petite bébête, n’oublie pas : si jamais tu ressens un besoin nouveau, bizarre et irrépressible, tu n’as qu’à sucer ça !
Consterné, le pauvre enfant dengue baissait les yeux et hochait la tête, dans un effort inutile pour retenir les larmes qui coulaient de ses ommatidies sur ses palpes maxillaires. Tout honteux, il mettait le paquet sur son dos et partait pour l’école, d’un vol accablé par la honte de savoir que sa propre mère voyait en lui un dangereux criminel en puissance, vecteur infectieux de maladies incurables. La rage de l’enfant dengue était telle que, une fois à bonne distance de chez lui, il balançait le tupperware dans le caniveau. La boîte s’ouvrait au contact du sol mais l’enfant dengue avait déjà vite repris son vol, sans lui adresser le moindre regard de ses yeux encore troublés de larmes. Si l’enfant dengue ne regardait pas, c’est qu’il n’avait nul besoin de confirmer ce qu’il savait déjà. Pas besoin de vérifier ce que l’ignominieux tupperware contenait, à savoir un gros morceau de boudin gras et palpitant qui, tout tiède encore, s’écoulait lentement par la grille de l’égout.
Du sang cuit, du sang coagulé, du sang noirci et du sang épais.
Du boudin !
Voilà la substance que sa mère croyait capable d’apaiser le sordide instinct de l’insecte.

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« L’enfance du monde », bien que roman relativement court, avec ses quelque 150 pages, déploie autant de facettes que les yeux de l’enfant mutant hybride de moustique, porteur sain (si l’on ose dire en l’espèce) d’un virus lui-même mutagène (n’ayant au fond qu’un rapport parodique et lointain avec le tout à fait authentique virus de la dengue utilisé ici pour le titre et l’analogie anophèle immédiate), qui en est le héros d’abord largement involontaire : brutalité sans fard des rapports humains (et, cela va ici de soi, inter-espèces), d’emblée, mais presque immédiatement aussi, omniprésence mortifère des rapports socio-économiques (dans un contexte argentin où la domination des nantis a été au fil des décennies plutôt nettement moins amortie qu’en Europe par divers mécanismes redistributifs et palliatifs), sang, viscères, plaies et purulences aux effets les plus gore imaginables (Kathy Acker aurait certainement pu extraire de ce matériau argentin un somptueux « Sang et stupre à la plage polluée »), matérialisation soigneuse des propagations épidémiques exponentielles en l’absence de contrôle sanitaire réalistement possible, mais surtout, peut-être, célébration ironique de la faculté d’adaptation et de récupération hors normes du capitalisme tardif face à tout ce qui semblerait pouvoir le menacer… jusqu’à l’effondrement éventuel et néanmoins terminal (et là, bien que reposant sur des critères esthétiques totalement différents, le « New York 2140 » de Kim Stanley Robinson n’est pas si loin, non plus que, au moins aussi éloigné littérairement, le « Choc terminal » de Neal Stephenson).

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Le camp de vacances occupait une des plages publiques les plus sales et les plus à l’abandon de Victorica. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette région australe de l’Amérique du Sud, rappelons que c’est en 2197 que, sous l’effet de la fonte massive des glaces de l’Antarctique, le niveau de la mer est monté comme jamais auparavant, ne laissant de la Patagonie, région jadis connue pour ses forêts, ses lacs et ses glaciers, qu’une traînée éparse de petites îles écrasées de chaleur. Ce que personne n’avait prévu, c’est que cette catastrophe climatique et humanitaire annoncée depuis longtemps offrirait miraculeusement à la province argentine de La Pampa un accès à la mer qui en transformerait la géographie du tout au tout. Du jour au lendemain, ce qui n’avait été qu’un désert aride et sans vie aux confins du monde, une région desséchée par des siècles de monoculture intensive de tournesol et de soja, devint la seule voie interocéanique navigable du continent tout entier, en plus du canal de Panama. L’économie régionale avait gagné, grâce à cette métamorphose inattendue, les juteuses recettes des taxes portuaires qui ne cessaient d’affluer, sans parler des toutes nouvelles plages paradisiaques qui attiraient des vacanciers du monde entier. Malheureusement, les meilleures stations balnéaires, les plus proches de Santa Rosa, étaient la propriété exclusive de grands hôtels et des maisons de vacances des riches étrangers. Les gens du peuple, comme l’enfant dengue, n’avaient accès qu’aux plages publiques, à proximité du Canal Interocéanique de Victorica, là où s’accumulaient toutes les ordures du port : un horrible dépotoir plein de bouts de plastique et de gravats où couvaient toutes sortes d’aberrations.
Cette colo offrait une formule parfaite pour les parents qui travaillaient du matin au soir, comme la mère de l’enfant dengue. Pour faire court, on passait chercher les enfants en autocar tôt le matin et on les ramenait vers huit heures du soir, avec ponctualité. C’était l’essentiel du service, la partie la mieux organisée, tout le reste était relégué au second plan. Ainsi, les enfants devaient se contenter pour le petit-déjeuner d’un pauvre petit pain sec accompagné d’une infusion de maté, et d’un peu de polenta au saindoux avec un jus en poudre instantanée à midi. Les activités promises se résumaient à un prof de gym à la retraite, ventripotent, qui passait son temps à fumer allongé sur le sable et se contentait de souffler dans son sifflet chaque fois qu’un gamin s’aventurait trop loin dans l’eau ou escaladait un tas de déchets coupants et pointus.
De sorte que les enfants, abandonnés à leur sort, faisaient ce qu’ils voulaient, ils couraient dans tous les sens, jouaient au foot, se baignaient et bronzaient sur la plage nauséabonde. Il y en avait un que tout le monde appelait Bonbon et qui, en l’absence d’un adulte responsable pour exercer l’autorité, faisait office de chef de bande. Bonbon était un petit gros hyperactif d’une douzaine d’années. Son père travaillait dans une usine de poulets, Bonbon lui rendait parfois visite, et c’est en décrivant avec force détails comment les volailles étaient décapitées et éviscérées qu’il avait gagné l’admiration du groupe.

Michel Nieva joue à la perfection des mécaniques traditionnelles de l’horreur et du gore, celles-là même qui résonnent tant, même chez des praticiennes et des praticiens moins radicaux politiquement, en apparence, avec l’horreur économique, terme certes galvaudé s’il en est, mais dont la triste pertinence apparaît toujours plus au grand jour alors que les avidités s’aiguisent devant un gâteau climatiquement et socialement si mal en point aujourd’hui. Rendre compte pleinement de la violence intrinsèque de la domination capitaliste (que ne perçoivent naturellement guère celles et ceux qui sont du bon côté du manche, hors de toute méchanceté superflue) pour la retourner littérairement : vaste programme, dont « L’enfance du monde » nous donne un aperçu particulièrement décapant, avec ses dégoulinements d’hémoglobine et de tripes, cultivant l’excès et refusant le bon goût (on retrouve bien ici l’une des acceptions originelles – musicales et sociétales – du punk, une fois ôtées toutes les sauces (parfois a)variées par lesquelles il a été domestiqué depuis quelques dizaines d’années…

Il s’agit bien, en une danse folle au rythme halluciné, d’inverser les métaphores guerrières industrielles et l’imagerie populaire vampirique, pour rendre son dû véritable à la finance dirigeante : sang, viscères et nihilisme terminal masqué dans les oripeaux du profit raisonnable (les Anglo-Saxons diraient sans doute « make an honest buck »). Moquer les visées technologiques et techniques qui servent avant tout d’excuse à la quête effrénée d’une plus-value supplémentaire : toutes les méga-industries contemporaines en prennent ici pour leur grade, de la pharmacie à la géo-ingénierie, du divertissement (la parodie sanglante et jusqu’au-boutiste des jeux vidéo militaristes / colonialistes, avec « Chrétiens vs. Indiens », est particulièrement savoureuse, si l’on ose dire) à la conquête spatiale et aux moyens, bétonnés et/ou insulaires, de la sécession multimilliardaire, sans compter bien entendu la finance à terme et l’assurance spéculative. Le commerce des promesses vivant peut-être, dans « L’enfance du monde », ses derniers jours, ses contradictions y figurent logiquement sous leur jour le plus féroce.

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Ah, qu’il est difficile de décrire le fugace instant exact d’une initiation !
Des milliers de romans d’apprentissage, il est vrai, s’y sont essayé avec plus ou moins de succès. Mais est-il vraiment possible d’exprimer avec des mots ce moment glacial ou un être commet, ne serait-ce que dans un accès de fureur inconscient ou irréfléchi, l’acte fatidique qui entretissera ensemble son passé et son futur, ce stigmate de feu et de sang que d’aucuns appellent destin et qui, peut-être, lui était dévolu ?
Toujours est-il que l’enfant dengue, contrairement à sa réaction habituelle face aux persécutions que lui valait sa condition hybride, ne paniqua pas, il n’eut pas envie de mourir et aucune rage ou souffrance ne fit frémir ses petites antennes poilues. Le chant truculent – non dénué de valeur poétique, il faut bien l’admettre – de la ronde des petits mâles commandés par Bonbon ne lui fit pas perdre une goutte de sang-froid. Au contraire, une adrénaline tout à fait nouvelle irrigua chacune des nervures de ses ailes. Car ce que l’enfant dengue vit en posant ses ommatidies sur Bonbon qui, le short toujours baissé, le montrait du doigt et se moquait de lui, ce ne fut pas un ennemi, pas un semblable, même pas un être humain. Face à la redoutable trompe de l’enfant dengue ne se dressait qu’un succulent sorbet à la viande, un bout de boudin palpitant et délicieux. Dans le vertige de cet irrépressible désir noouveau, une brusque révélation traversa les antennes poilues de l’enfant dengue, avec une évidence et une clarté sans précédent, malgré le brouhaha de cris qui l’enoturait. L’enfant dengue, de façon un peu absurde, fit le raisonnement suivant : je ne suis pas un garçon, je suis une fille. La gamine dengue. En effet, dans l’espèce Aedes aegypti, dont il – ou elle – était un exemplaire unique, seules les femelles piquent, sucent le sang et transmettent des maladies, tandis que les mâles se consacrent exclusivement à l’activité mécanique de copuler et de se reproduire. Avec soulagement, pleine de piété filiale, elle comprit qu’elle avait été toute sa vie victime d’une erreur grammaticale, et que, puisqu’elle n’était pas un garçon mais une fille, impossible pour elle de violer sa mère et de reproduire le crime dont ses camarades de classe accusaient son père. Alors, libérée comme quelqu’un qui découvre enfin les raisons de sa peur, elle se jeta sur Bonbon, dont le corps nu jusqu’aux chevilles roula dans le sable. Avec une précision chirurgicale, elle l’immobilisa. Elle approcha sa trompe et, comme on découpe un boudin pour manger l’intérieur, elle lui ouvrit le ventre. Sans prêter attention aux cris de terreur des autres enfants, dont le chant joyeux vira à la transe sinistre, et qui s’enfuirent dans tous les sens pour chercher du secours – tant bien que mal, évidemment, vu que leur short était toujours baissé -, la gamine dengue enfonça sa trompe dans le ventre ouvert de Bonbon et en ramena une grappe de tripes sanguinolentes. Sous le regard horrifié du prof de gym qui, alerté par les enfants, s’était approché des lieux du crime, mais, en état de choc, n’arrivait qu’à souffler bêtement dans son sifflet, la gamine dengue leva au bout de sa trompe les viscères propres et bleues de Bonbon vers le soleil, comme on offre un sacrifice à son dieu. Après quoi, comme on arrache un bout de ficelle, elle tira d’un coup. Un flot de sang, d’excréments et de biles amères éclaboussa et souilla le visage pétrifié du prof de gym, puis colora le sable et même les vagues qui arrivaient lentement sur le rivage avant de repartir.

La science-fiction capitaliste – Ou comment les milliardaires vont nous sauver de l’apocalypse

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Le techno-multimilliardaire ne sait pas vraiment lire, quelles que soient les apparences éventuelles,  mais il sait détourner – on le sait au moins, toutes proportions gardées, depuis le fondamental « Le nouvel esprit du capitalisme » (1999) de Luc Boltanski et Eve Chiapello. Mais on lui sert si volontiers la soupe, économique et médiatique, le moment venu, qu’il parvient à faire semblant très longtemps – voire à réécrire les créations passées à l’aune de son propre appétit – insatiable. Si Kim Stanley Robinson s’arrache à raison les cheveux en entendant les travestissements de son œuvre que colporte si volontiers Elon Musk, et si Iain M. Banks se retournerait à coup sûr dans sa tombe face aux avanies que fait subir le même forcené à la sienne, c’est à partir d’un autre exemple séminal que procède Michel Nieva dans ce bref essai, publié en 2024 et traduit également par Sébastien Rutès pour inclusion, quasiment en postface, dans l’édition française de « L’enfance du monde ». : il s’agit du fondamental « Le Samouraï virtuel » (dont, une fois de plus, le titre français fait légèrement frémir de honte par rapport à l’original « Snow Crash »), publié en 1992 par Neal Stephenson.

Ce qui frappe dans ce roman publié en 1992, c’est qu’il imagine une époque qu’on ne peut qualifier de dystopique que dans la mesure où elle renforce, dans un avenir pas si lointain, des logiques néolibérales de précarisation du travail, de délocalisation industrielle et de renforcement du pouvoir des mégacorporations face à un reliquat d’État en faillite qui existaient déjà aux États-Unis à l’époque où le roman a été écrit. Néanmoins, peut-être à cause de son contexte de publication particulier – sur la Côte ouest, deux ans avant le début de l’usage commercial d’internet pour les ordinateurs personnels -, sa dimension de pamphlet lapidaire contre le capitalisme sauvage est passée inaperçue et s’est vue immédiatement éclipsée par les innovations technologiques que le roman conjecturait dans ce futur néolibéral frénétique.
En quelques années, Le Samouraï virtuel s’est taillé dans la Silicon Valley la réputation d’un oracle de légende ayant inspiré quelques-unes des technologies qui deviendraient des icônes du capitalisme digital, comme par exemple la cryptomonnaie, Google Earth, les applications de livraison à domicile, le jeu vidéo Quake, la plateforme Second Life, Wikipédia, le métavers (lequel à dire vrai avait déjà été inventé par William Gibson dans Neuromancien, sous le nom évocateur de « Matrice »), en plus d’avoir popularisé le terme d’origine sanskrite « avatar ». Ce livre a imaginé avant l’heure tellement de produits et de concepts informatiques que les compagnies de la Silicon Valley ont obligé leurs créatifs à le lire, et que des gourous du secteur comme Bill Gates, Sergueï Brin, John Carmack ou Peter Thiel ont reconnu une filiation intellectuelle entre leurs créations et celles présentes dans Le Samouraï virtuel.
Étant donné les qualités futurologiques de son œuvre, Neal Stephenson n’a pas manqué d’offres de la part de différentes sociétés d’innovation technologique? Il a d’abord mis son imagination, nourrie de space opera et de fanzines cyberpunk, au service de Blue Origin, la compagnie spatiale de Jeff Bezos, où il a travaillé à l’innovation astronautique pendant sept ans, mais il occupe désormais le poste de « futurologue » chez Magic Leap, une compagnie qui développe des casques de réalité augmentée à des fins commerciales et scientifiques, ce qui en fait un concurrent du groupe Meta.
En 2021, au moment où Zuckerberg a annoncé la création de son métavers, Neal Stephenson a démenti sur Twitter toute responsabilité intellectuelle dans le projet. Cependant, toujours dans un tweet, il a expliqué que la raison de ce désengagement n’était pas qu’il condamnait la prostitution de ce qui avait d’abord été une critique acerbe du capitalisme à une des compagnies les plus monopolistes et multimilliardaires de la planète, mais tout simplement que son idée originale ne lui rapportait aucun droit d’auteur.

Comme on peut le lire, le caustique Michel Nieva n’hésite pas un instant à décaper les complaisances et les connivences au sein d’un milieu littéraire science-fictif historique (mais aussi contemporain, les proxy fights autour des votes pour le prix Hugo en 2015 en témoignaient hélas encore récemment) qui n’a pas toujours uniquement brillé par son progressisme social et politique. Il traite ici directement, sous une forme ironique et enjouée, l’emprise idéologique et culturelle des techno-milliardaires (qui ont pourtant fréquemment le culot, pour les plus vociférants d’entre eux, de prétendre ne pas pouvoir s’exprimer), en particulier autour de la conquête spatiale (remédiant ainsi indirectement au principal point aveugle de l’essai par ailleurs excellent et stimulant de Irénée Regnauld et Arnaud Saint-Martin, « Une histoire de la conquête spatiale », également publié en 2024) et de la quête de l’immortalité (nous rappelant toujours à quel point le « Jack Barron et l’éternité » de Norman Spinrad, pourtant publié en 1969, ne prend guère de rides au fil du temps – si l’on ose dire sur pareil sujet).

Porté par un souffle proprement jubilatoire, ce petit essai en six chapitres et un épilogue, avec des titres aussi évocateurs que « Métavers, tourisme spatial, immortalité, sojapunk », « Le changement climatique, la grande fierté de l’homme blanc » ou « La science-fiction capitaliste, phase supérieure du colonialisme », illustre à la perfection ce qu’une science-fiction critique et incisive peut produire à l’encontre d’un discours qui – malgré le tour de passe-passe insensé du « on ne peut plus rien dire » – demeure bien le discours dominant, et surtout celui qui dirige les actions et les inactions des powers that be. Et l’on se reportera avec joie à la dernière phrase du texte, que je vous laisse le soin de découvrir le moment venu sans la citer ici.

Ces exemples – le métavers de Zuckerberg, le business interplanétaire de SpaceX, l’immortalité d’Auubrey de Grey ou le « sojapunk » de Grobocopatel – sont autant de preuves éclatantes d’une tendance de plus en plus visible et globale : l’appropriation par le capitalisme technologique du langage de la science-fiction, le séduisant storytelling d’un futur hypertechnologique que les mégacorporations et leurs directeurs généraux instrumentalisent non seulement pour habiller leurs produits mais aussi pour offrir une solution hypothétique aux graves crises socio-environnementales que le capitalisme lui-même a provoquées. On a dit qu’il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme, eh bien ! ces compagnies développement déjà le capitalisme extra-terrestre qui lui survivra. Quant à leurs dirigeants, ils cherchent à nous faire croire que, si nous aussi nous voulons survivre, il nous faut acheter leurs produits, car rien d’autre ne pourra nous sauver – du moins ceux qui peuvent se les offrir.
La science-fiction capitaliste offre le récit fantastique d’une « humanité sans monde », faite de touristes qui vivent mille ans et voyagent à travers le cosmos pour prendre des selfies pendant que la Terre s’embrase, récit qui permet à l’establishment industriel de monopoliser le droit à penser le fuur, après avoir plongé les sociétés dans l’incapacité à projeter leurs propres visions. Dans une citation aussi célèbre qu’inspirante tirée des textes fondateurs de SpaceX, Elon Musk dit : « Tout le monde a envie de se lever le matin en se disant que l’avenir sera grandiose : voilà ce que veut dire devenir une civilisation qui voyage dans l’espace. Il s’agit de croire au futur et de penser qu’il sera meilleur que le passé. Je ne peux rien imaginer de plus excitant que de voyager là-haut et de vivre parmi les étoiles ». En même temps que le capital condamne les travailleur.euses du monde entier à un présent continuellement fait d’instabilité, d’incertitude et d’endettement, les milliardaires se posent comme les seuls capables d’anticiper et de donner de la valeur à l’avenir. La science-fiction capitaliste est une violence qui réserve aux grandes compagnies le monopole du droit à imaginer notre futur. Voilà comment, dans la continuité directe de cet esprit de l’époque que Mark Fisher a qualifié de « réalisme capitaliste », ce sentiment nihiliste hégémonique que le capitalisme est le seul système politique et économique viable sous prétexte qu’on n’arrive pas à en imaginer de meilleur ni de pire, nous vivons une ère où le capitalisme ornemente des atours d’une esthétique hyperfuturiste le soupçon que c’est son fonctionnement même qui nous conduit à la catastrophe.

Hugues Charybde, le 8/09/2025
Michel Nieva - L’enfance du monde, suivi de La science-fiction capitaliste - collection Chimères, ed Christian Bourgois

L’acheter chez Charybde, ici

Texte intégral (11742 mots)

Dans le sang et les tripes d’une pandémie mutante, la farce gore et pourtant terriblement sérieuse d’un techno-capitalisme arc-bouté sur ses contradictions terminales. De la science-fiction particulièrement décapante – et un bref essai ironique et salutaire en prime.

Personne n’aimait l’enfant dengue. J’ignore si c’était à cause de sa longue trompe ou du bourdonnement incessant, insupportable, de ses ailes qui déconcentrait le reste de la classe. Toujours est-il que, à la récréation, quand les autres élèves se précipitaient dans la cour et se réunissaient pour manger leur sandwich, discuter et raconter des blagues, le pauvre enfant dengue restait tout seul en classe, assis sur sa chaise, les yeux dans le vague, à faire semblant de se concentrer sur une page de son cahier de notes, afin de s’éviter la honte de sortir et montrer à tout le monde qu’il n’avait de toute évidence pas un seul ami à qui parler.
De nombreux bruits couraient sur ses origines. Selon certains, sa famille vivait dans des conditions si sordides, dans une baraque faite de tôles rouillées et de pneus où l’eau croupissait, qu’une nouvelle espèce mutante y avait éclôt, un insecte gigantesque qui aurait violé sa mère et l’aurait mise enceinte après avoir tué son mari d’horrible façon ; mais d’autres, au contraire, soutenaient que c’était le père que l’insecte géant avait violé et contaminé, père qui, à son tour, en éjaculant à l’intérieur de la mère, aurait engendré cette créature inadaptée et sinistre, et qu’il lui aurait suffi d’un coup d’oeil sur le nouveau-né pour les abandonner, lui et sa mère, et disparaître à tout jamais.
Le pauvre enfant faisait l’objet de bien des théories encore, qu’il n’est pas nécessaire de mentionner. Toujours est-il que, quand ses camarades de classe commençaient à s’ennuyer et s’apercevaient que l’enfant dengue était resté tout seul en classe à faire semblant de faire ses devoirs, ils allaient l’embêter :
– Dis donc, enfant dengue, c’est vrai que ta mère s’est fait violer par un moustique ?
– Eh, vermine, qu’est-ce que ça fait de venir du foutre pourri d’un insecte ?
– Dis donc, maringouin dégueu, c’est vrai que la chatte à ta mère est un vieux trou moisi plein de vers, de cafards et d’autres bestioles et que c’est de là que tu sors ?
Les petites antennes de l’enfant dengue se mettaient instantanément à frémir de rage et d’indignation, alors ses petits harceleurs s’enfuyaient en éclatant de rire et le laissaient à nouveau seul, à renifler sa peine.
De retour à la maison, la vie de l’enfant dengue n’était pas beaucoup plus agréable. Pour sa mère, il n’était, d’après lui, qu’un fardeau, une aberration de la nature qui avait irrémédiablement gâché son existence. Une mère seule avec un enfant ? L’élever dans ces conditions n’est jamais facile, mais, les années passant, l’enfant donnera à sa mère des motifs de joie qui compenseront largement ses peines, et l’enfant finira par devenir un jeune homme, puis un adulte, qui pourra accompagner, aider et soutenir financièrement sa mère, laquelle, sur ses vieux jours, aura la nostalgie de tous ces beaux moments passés ensemble et s’enorgueillira de la réussite de son aîné. Mais un fils mutant, un enfant dengue ? Voilà un monstre qu’il faudra nourrir et porter à bout de bras jusqu’à la tombe. Une erreur de la génétique, un croisement malsain entre humain et insecte qui, regardé avec dégoût par tout un chacun, ne sera qu’un motif d’embarras sans jamais au grand jamais faire la fierté ni la satisfaction de sa mère.
Voilà pourquoi, d’après lui, sa mère le haïssait et n’avait que rancœur pour lui.

Publié en 2023, et traduit en français à l’automne 2024 par Sébastien Rutès (dont on vous parlera prochainement sur ce même blog du sublime travail réalisé autour de l’œuvre de Paco Ignacio Taibo II) pour la collection Chimères de Christian Bourgois Éditeur, le troisième roman de l’Argentin Michel Nieva est né de l’extension et de la réécriture partielle d’une nouvelle (non traduite en français) de 2021, « El niño dengue » (littéralement, « L’enfant dengue »), publiée dans l’édition espagnole de la revue littéraire Granta, lui ayant valu d’être inclus dans la prestigieuse sélection « Meilleurs espoirs littéraires (en langue espagnole) » 2021 de la revue d’origine britannique, publiée pour la deuxième fois onze ans après la toute première liste non-anglophone de 2010.

Après « Les gauchoïdes rêvent-ils de nandous électriques ? » en 2013 et « Ascension et apogée de l’Empire argentin » en 2018, ses deux premiers romans non traduits en français à ce jour (leurs titres ici sont une libre interprétation de « ¿Sueñan los gauchoides con ñandúes eléctricos? » et de « Ascenso y apogeo del imperio argentino »), « L’enfance du monde » confirme s’il en était besoin la place à part que tient d’ores et déjà Michel Nieva (et son petit essai « La science-fiction capitaliste » dont il sera question ci-dessous le souligne encore) dans un paysage littéraire argentin où la science-fiction tient une place plus complexe et moins marginale qu’il ne le semble a priori – paysage souvent fort mal connu en France, où nos perceptions sont en général dominées par un imaginaire fantastique qui irrigue, davantage que dans tout autre pays (à part peut-être la Russie), la littérature « générale » elle-même. Les ombres tutélaires de Jorge Luis Borges et d’Adolfo Bioy Casares, voire de Julio Cortázar et de Silvina Ocampo, occultent le plus souvent celles de Leopoldo Lugones, d’Angélica Gorodischer (si l’on songe par exemple à son « Trafalgar » plutôt qu’à son « Kalpa Impérial ») et de Héctor Oesterheld (n’oubliez pas de découvrir ou redécouvrir « L’Éternaute » à travers la somptueuse lecture indirecte qu’en donne le « Héctor » de Léo Henry – avant même le surcroît de visibilité qu’implique la série Netflix désormais en cours), et davantage encore celles de Rafael Pinedo (« Plop », 2002), de Pedro Mairal (« El Año del Desierto« , 2005) ou d’Eduardo Blaustein (« Cruz diablo », 1997).

Joanna Page, chercheuse à l’Université de Cambridge et fine connaisseuse de la science-fiction argentine contemporaine, concluait sa magnifique étude de 2016 (« Science Fiction in Argentina ») en soulignant le matérialisme fondamental et parfois paradoxal de cette littérature d’aujourd’hui, peut-être plus qu’en tout autre pays. Si l’on veut bien oublier un instant la (trop ?) facile accroche « gaucho-punk »  – au sein d’un genre littéraire (trop !) friand de micro-étiquettes -, « L’enfance d’un monde » en constitue une démonstration éclatante.

En somme, son reflet ne faisait que confirmer ce qu’il avait toujours su : son corps n’était qu’immondice.
Ruminant cette terrible certitude, l’enfant dengue se demandait si, non content d’être un monstre répugnant, il ne représenterait pas aussi un jour une menace mortelle.
En effet, il n’ignorait pas que la grande préoccupation de sa mère, celle qui empoisonnait ses jours et ses nuits, était que l’enfant dengue, une fois grand et devenu un homme dengue, finisse par ne plus pouvoir contrôler l’instinct qui le marquait au fer rouge et se mette alors à piquer et à transmettre la dengue à tout le monde, en particulier à elle ou à un petit camarade de classe. Un fils qui, non content d’être un mutant porteur de virus, s’en ferait consciemment l’agent infectieux, le complaisant vecteur mortel, condamnant sa mère à des afflictions pires encore. Voilà pourquoi, chaque matin, quand l’enfant dengue partait pour l’école, sa mère lui confiait un petit tupperware en plus de celui qui contenait son déjeuner et lui susurrait à l’oreille, sur un ton de pitié :
– Petite bébête, n’oublie pas : si jamais tu ressens un besoin nouveau, bizarre et irrépressible, tu n’as qu’à sucer ça !
Consterné, le pauvre enfant dengue baissait les yeux et hochait la tête, dans un effort inutile pour retenir les larmes qui coulaient de ses ommatidies sur ses palpes maxillaires. Tout honteux, il mettait le paquet sur son dos et partait pour l’école, d’un vol accablé par la honte de savoir que sa propre mère voyait en lui un dangereux criminel en puissance, vecteur infectieux de maladies incurables. La rage de l’enfant dengue était telle que, une fois à bonne distance de chez lui, il balançait le tupperware dans le caniveau. La boîte s’ouvrait au contact du sol mais l’enfant dengue avait déjà vite repris son vol, sans lui adresser le moindre regard de ses yeux encore troublés de larmes. Si l’enfant dengue ne regardait pas, c’est qu’il n’avait nul besoin de confirmer ce qu’il savait déjà. Pas besoin de vérifier ce que l’ignominieux tupperware contenait, à savoir un gros morceau de boudin gras et palpitant qui, tout tiède encore, s’écoulait lentement par la grille de l’égout.
Du sang cuit, du sang coagulé, du sang noirci et du sang épais.
Du boudin !
Voilà la substance que sa mère croyait capable d’apaiser le sordide instinct de l’insecte.

« L’enfance du monde », bien que roman relativement court, avec ses quelque 150 pages, déploie autant de facettes que les yeux de l’enfant mutant hybride de moustique, porteur sain (si l’on ose dire en l’espèce) d’un virus lui-même mutagène (n’ayant au fond qu’un rapport parodique et lointain avec le tout à fait authentique virus de la dengue utilisé ici pour le titre et l’analogie anophèle immédiate), qui en est le héros d’abord largement involontaire : brutalité sans fard des rapports humains (et, cela va ici de soi, inter-espèces), d’emblée, mais presque immédiatement aussi, omniprésence mortifère des rapports socio-économiques (dans un contexte argentin où la domination des nantis a été au fil des décennies plutôt nettement moins amortie qu’en Europe par divers mécanismes redistributifs et palliatifs), sang, viscères, plaies et purulences aux effets les plus gore imaginables (Kathy Acker aurait certainement pu extraire de ce matériau argentin un somptueux « Sang et stupre à la plage polluée »), matérialisation soigneuse des propagations épidémiques exponentielles en l’absence de contrôle sanitaire réalistement possible, mais surtout, peut-être, célébration ironique de la faculté d’adaptation et de récupération hors normes du capitalisme tardif face à tout ce qui semblerait pouvoir le menacer… jusqu’à l’effondrement éventuel et néanmoins terminal (et là, bien que reposant sur des critères esthétiques totalement différents, le « New York 2140 » de Kim Stanley Robinson n’est pas si loin, non plus que, au moins aussi éloigné littérairement, le « Choc terminal » de Neal Stephenson).

Le camp de vacances occupait une des plages publiques les plus sales et les plus à l’abandon de Victorica. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette région australe de l’Amérique du Sud, rappelons que c’est en 2197 que, sous l’effet de la fonte massive des glaces de l’Antarctique, le niveau de la mer est monté comme jamais auparavant, ne laissant de la Patagonie, région jadis connue pour ses forêts, ses lacs et ses glaciers, qu’une traînée éparse de petites îles écrasées de chaleur. Ce que personne n’avait prévu, c’est que cette catastrophe climatique et humanitaire annoncée depuis longtemps offrirait miraculeusement à la province argentine de La Pampa un accès à la mer qui en transformerait la géographie du tout au tout. Du jour au lendemain, ce qui n’avait été qu’un désert aride et sans vie aux confins du monde, une région desséchée par des siècles de monoculture intensive de tournesol et de soja, devint la seule voie interocéanique navigable du continent tout entier, en plus du canal de Panama. L’économie régionale avait gagné, grâce à cette métamorphose inattendue, les juteuses recettes des taxes portuaires qui ne cessaient d’affluer, sans parler des toutes nouvelles plages paradisiaques qui attiraient des vacanciers du monde entier. Malheureusement, les meilleures stations balnéaires, les plus proches de Santa Rosa, étaient la propriété exclusive de grands hôtels et des maisons de vacances des riches étrangers. Les gens du peuple, comme l’enfant dengue, n’avaient accès qu’aux plages publiques, à proximité du Canal Interocéanique de Victorica, là où s’accumulaient toutes les ordures du port : un horrible dépotoir plein de bouts de plastique et de gravats où couvaient toutes sortes d’aberrations.
Cette colo offrait une formule parfaite pour les parents qui travaillaient du matin au soir, comme la mère de l’enfant dengue. Pour faire court, on passait chercher les enfants en autocar tôt le matin et on les ramenait vers huit heures du soir, avec ponctualité. C’était l’essentiel du service, la partie la mieux organisée, tout le reste était relégué au second plan. Ainsi, les enfants devaient se contenter pour le petit-déjeuner d’un pauvre petit pain sec accompagné d’une infusion de maté, et d’un peu de polenta au saindoux avec un jus en poudre instantanée à midi. Les activités promises se résumaient à un prof de gym à la retraite, ventripotent, qui passait son temps à fumer allongé sur le sable et se contentait de souffler dans son sifflet chaque fois qu’un gamin s’aventurait trop loin dans l’eau ou escaladait un tas de déchets coupants et pointus.
De sorte que les enfants, abandonnés à leur sort, faisaient ce qu’ils voulaient, ils couraient dans tous les sens, jouaient au foot, se baignaient et bronzaient sur la plage nauséabonde. Il y en avait un que tout le monde appelait Bonbon et qui, en l’absence d’un adulte responsable pour exercer l’autorité, faisait office de chef de bande. Bonbon était un petit gros hyperactif d’une douzaine d’années. Son père travaillait dans une usine de poulets, Bonbon lui rendait parfois visite, et c’est en décrivant avec force détails comment les volailles étaient décapitées et éviscérées qu’il avait gagné l’admiration du groupe.

Michel Nieva joue à la perfection des mécaniques traditionnelles de l’horreur et du gore, celles-là même qui résonnent tant, même chez des praticiennes et des praticiens moins radicaux politiquement, en apparence, avec l’horreur économique, terme certes galvaudé s’il en est, mais dont la triste pertinence apparaît toujours plus au grand jour alors que les avidités s’aiguisent devant un gâteau climatiquement et socialement si mal en point aujourd’hui. Rendre compte pleinement de la violence intrinsèque de la domination capitaliste (que ne perçoivent naturellement guère celles et ceux qui sont du bon côté du manche, hors de toute méchanceté superflue) pour la retourner littérairement : vaste programme, dont « L’enfance du monde » nous donne un aperçu particulièrement décapant, avec ses dégoulinements d’hémoglobine et de tripes, cultivant l’excès et refusant le bon goût (on retrouve bien ici l’une des acceptions originelles – musicales et sociétales – du punk, une fois ôtées toutes les sauces (parfois a)variées par lesquelles il a été domestiqué depuis quelques dizaines d’années…

Il s’agit bien, en une danse folle au rythme halluciné, d’inverser les métaphores guerrières industrielles et l’imagerie populaire vampirique, pour rendre son dû véritable à la finance dirigeante : sang, viscères et nihilisme terminal masqué dans les oripeaux du profit raisonnable (les Anglo-Saxons diraient sans doute « make an honest buck »). Moquer les visées technologiques et techniques qui servent avant tout d’excuse à la quête effrénée d’une plus-value supplémentaire : toutes les méga-industries contemporaines en prennent ici pour leur grade, de la pharmacie à la géo-ingénierie, du divertissement (la parodie sanglante et jusqu’au-boutiste des jeux vidéo militaristes / colonialistes, avec « Chrétiens vs. Indiens », est particulièrement savoureuse, si l’on ose dire) à la conquête spatiale et aux moyens, bétonnés et/ou insulaires, de la sécession multimilliardaire, sans compter bien entendu la finance à terme et l’assurance spéculative. Le commerce des promesses vivant peut-être, dans « L’enfance du monde », ses derniers jours, ses contradictions y figurent logiquement sous leur jour le plus féroce.

Ah, qu’il est difficile de décrire le fugace instant exact d’une initiation !
Des milliers de romans d’apprentissage, il est vrai, s’y sont essayé avec plus ou moins de succès. Mais est-il vraiment possible d’exprimer avec des mots ce moment glacial ou un être commet, ne serait-ce que dans un accès de fureur inconscient ou irréfléchi, l’acte fatidique qui entretissera ensemble son passé et son futur, ce stigmate de feu et de sang que d’aucuns appellent destin et qui, peut-être, lui était dévolu ?
Toujours est-il que l’enfant dengue, contrairement à sa réaction habituelle face aux persécutions que lui valait sa condition hybride, ne paniqua pas, il n’eut pas envie de mourir et aucune rage ou souffrance ne fit frémir ses petites antennes poilues. Le chant truculent – non dénué de valeur poétique, il faut bien l’admettre – de la ronde des petits mâles commandés par Bonbon ne lui fit pas perdre une goutte de sang-froid. Au contraire, une adrénaline tout à fait nouvelle irrigua chacune des nervures de ses ailes. Car ce que l’enfant dengue vit en posant ses ommatidies sur Bonbon qui, le short toujours baissé, le montrait du doigt et se moquait de lui, ce ne fut pas un ennemi, pas un semblable, même pas un être humain. Face à la redoutable trompe de l’enfant dengue ne se dressait qu’un succulent sorbet à la viande, un bout de boudin palpitant et délicieux. Dans le vertige de cet irrépressible désir noouveau, une brusque révélation traversa les antennes poilues de l’enfant dengue, avec une évidence et une clarté sans précédent, malgré le brouhaha de cris qui l’enoturait. L’enfant dengue, de façon un peu absurde, fit le raisonnement suivant : je ne suis pas un garçon, je suis une fille. La gamine dengue. En effet, dans l’espèce Aedes aegypti, dont il – ou elle – était un exemplaire unique, seules les femelles piquent, sucent le sang et transmettent des maladies, tandis que les mâles se consacrent exclusivement à l’activité mécanique de copuler et de se reproduire. Avec soulagement, pleine de piété filiale, elle comprit qu’elle avait été toute sa vie victime d’une erreur grammaticale, et que, puisqu’elle n’était pas un garçon mais une fille, impossible pour elle de violer sa mère et de reproduire le crime dont ses camarades de classe accusaient son père. Alors, libérée comme quelqu’un qui découvre enfin les raisons de sa peur, elle se jeta sur Bonbon, dont le corps nu jusqu’aux chevilles roula dans le sable. Avec une précision chirurgicale, elle l’immobilisa. Elle approcha sa trompe et, comme on découpe un boudin pour manger l’intérieur, elle lui ouvrit le ventre. Sans prêter attention aux cris de terreur des autres enfants, dont le chant joyeux vira à la transe sinistre, et qui s’enfuirent dans tous les sens pour chercher du secours – tant bien que mal, évidemment, vu que leur short était toujours baissé -, la gamine dengue enfonça sa trompe dans le ventre ouvert de Bonbon et en ramena une grappe de tripes sanguinolentes. Sous le regard horrifié du prof de gym qui, alerté par les enfants, s’était approché des lieux du crime, mais, en état de choc, n’arrivait qu’à souffler bêtement dans son sifflet, la gamine dengue leva au bout de sa trompe les viscères propres et bleues de Bonbon vers le soleil, comme on offre un sacrifice à son dieu. Après quoi, comme on arrache un bout de ficelle, elle tira d’un coup. Un flot de sang, d’excréments et de biles amères éclaboussa et souilla le visage pétrifié du prof de gym, puis colora le sable et même les vagues qui arrivaient lentement sur le rivage avant de repartir.

Charybde 27 : le Blog

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Notes de lecture 2024, Nouveautés

Note de lecture : « L’Enfance du monde » / « La science-fiction capitaliste » (Michel Nieva)

Posté par Hugues ⋅ 23 juillet 2025 ⋅ Poster un commentaire

Dans le sang et les tripes d’une pandémie mutante, la farce gore et pourtant terriblement sérieuse d’un techno-capitalisme arc-bouté sur ses contradictions terminales. De la science-fiction particulièrement décapante – et un bref essai ironique et salutaire en prime.

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Personne n’aimait l’enfant dengue. J’ignore si c’était à cause de sa longue trompe ou du bourdonnement incessant, insupportable, de ses ailes qui déconcentrait le reste de la classe. Toujours est-il que, à la récréation, quand les autres élèves se précipitaient dans la cour et se réunissaient pour manger leur sandwich, discuter et raconter des blagues, le pauvre enfant dengue restait tout seul en classe, assis sur sa chaise, les yeux dans le vague, à faire semblant de se concentrer sur une page de son cahier de notes, afin de s’éviter la honte de sortir et montrer à tout le monde qu’il n’avait de toute évidence pas un seul ami à qui parler.
De nombreux bruits couraient sur ses origines. Selon certains, sa famille vivait dans des conditions si sordides, dans une baraque faite de tôles rouillées et de pneus où l’eau croupissait, qu’une nouvelle espèce mutante y avait éclôt, un insecte gigantesque qui aurait violé sa mère et l’aurait mise enceinte après avoir tué son mari d’horrible façon ; mais d’autres, au contraire, soutenaient que c’était le père que l’insecte géant avait violé et contaminé, père qui, à son tour, en éjaculant à l’intérieur de la mère, aurait engendré cette créature inadaptée et sinistre, et qu’il lui aurait suffi d’un coup d’oeil sur le nouveau-né pour les abandonner, lui et sa mère, et disparaître à tout jamais.
Le pauvre enfant faisait l’objet de bien des théories encore, qu’il n’est pas nécessaire de mentionner. Toujours est-il que, quand ses camarades de classe commençaient à s’ennuyer et s’apercevaient que l’enfant dengue était resté tout seul en classe à faire semblant de faire ses devoirs, ils allaient l’embêter :
– Dis donc, enfant dengue, c’est vrai que ta mère s’est fait violer par un moustique ?
– Eh, vermine, qu’est-ce que ça fait de venir du foutre pourri d’un insecte ?
– Dis donc, maringouin dégueu, c’est vrai que la chatte à ta mère est un vieux trou moisi plein de vers, de cafards et d’autres bestioles et que c’est de là que tu sors ?
Les petites antennes de l’enfant dengue se mettaient instantanément à frémir de rage et d’indignation, alors ses petits harceleurs s’enfuyaient en éclatant de rire et le laissaient à nouveau seul, à renifler sa peine.
De retour à la maison, la vie de l’enfant dengue n’était pas beaucoup plus agréable. Pour sa mère, il n’était, d’après lui, qu’un fardeau, une aberration de la nature qui avait irrémédiablement gâché son existence. Une mère seule avec un enfant ? L’élever dans ces conditions n’est jamais facile, mais, les années passant, l’enfant donnera à sa mère des motifs de joie qui compenseront largement ses peines, et l’enfant finira par devenir un jeune homme, puis un adulte, qui pourra accompagner, aider et soutenir financièrement sa mère, laquelle, sur ses vieux jours, aura la nostalgie de tous ces beaux moments passés ensemble et s’enorgueillira de la réussite de son aîné. Mais un fils mutant, un enfant dengue ? Voilà un monstre qu’il faudra nourrir et porter à bout de bras jusqu’à la tombe. Une erreur de la génétique, un croisement malsain entre humain et insecte qui, regardé avec dégoût par tout un chacun, ne sera qu’un motif d’embarras sans jamais au grand jamais faire la fierté ni la satisfaction de sa mère.
Voilà pourquoi, d’après lui, sa mère le haïssait et n’avait que rancœur pour lui.

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Publié en 2023, et traduit en français à l’automne 2024 par Sébastien Rutès (dont on vous parlera prochainement sur ce même blog du sublime travail réalisé autour de l’œuvre de Paco Ignacio Taibo II) pour la collection Chimères de Christian Bourgois Éditeur, le troisième roman de l’Argentin Michel Nieva est né de l’extension et de la réécriture partielle d’une nouvelle (non traduite en français) de 2021, « El niño dengue » (littéralement, « L’enfant dengue »), publiée dans l’édition espagnole de la revue littéraire Granta, lui ayant valu d’être inclus dans la prestigieuse sélection « Meilleurs espoirs littéraires (en langue espagnole) » 2021 de la revue d’origine britannique, publiée pour la deuxième fois onze ans après la toute première liste non-anglophone de 2010.

Après « Les gauchoïdes rêvent-ils de nandous électriques ? » en 2013 et « Ascension et apogée de l’Empire argentin » en 2018, ses deux premiers romans non traduits en français à ce jour (leurs titres ici sont une libre interprétation de « ¿Sueñan los gauchoides con ñandúes eléctricos? » et de « Ascenso y apogeo del imperio argentino »), « L’enfance du monde » confirme s’il en était besoin la place à part que tient d’ores et déjà Michel Nieva (et son petit essai « La science-fiction capitaliste » dont il sera question ci-dessous le souligne encore) dans un paysage littéraire argentin où la science-fiction tient une place plus complexe et moins marginale qu’il ne le semble a priori – paysage souvent fort mal connu en France, où nos perceptions sont en général dominées par un imaginaire fantastique qui irrigue, davantage que dans tout autre pays (à part peut-être la Russie), la littérature « générale » elle-même. Les ombres tutélaires de Jorge Luis Borges et d’Adolfo Bioy Casares, voire de Julio Cortázar et de Silvina Ocampo, occultent le plus souvent celles de Leopoldo Lugones, d’Angélica Gorodischer (si l’on songe par exemple à son « Trafalgar » plutôt qu’à son « Kalpa Impérial ») et de Héctor Oesterheld (n’oubliez pas de découvrir ou redécouvrir « L’Éternaute » à travers la somptueuse lecture indirecte qu’en donne le « Héctor » de Léo Henry – avant même le surcroît de visibilité qu’implique la série Netflix désormais en cours), et davantage encore celles de Rafael Pinedo (« Plop », 2002), de Pedro Mairal (« El Año del Desierto« , 2005) ou d’Eduardo Blaustein (« Cruz diablo », 1997).

Joanna Page, chercheuse à l’Université de Cambridge et fine connaisseuse de la science-fiction argentine contemporaine, concluait sa magnifique étude de 2016 (« Science Fiction in Argentina ») en soulignant le matérialisme fondamental et parfois paradoxal de cette littérature d’aujourd’hui, peut-être plus qu’en tout autre pays. Si l’on veut bien oublier un instant la (trop ?) facile accroche « gaucho-punk »  – au sein d’un genre littéraire (trop !) friand de micro-étiquettes -, « L’enfance d’un monde » en constitue une démonstration éclatante.

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En somme, son reflet ne faisait que confirmer ce qu’il avait toujours su : son corps n’était qu’immondice.
Ruminant cette terrible certitude, l’enfant dengue se demandait si, non content d’être un monstre répugnant, il ne représenterait pas aussi un jour une menace mortelle.
En effet, il n’ignorait pas que la grande préoccupation de sa mère, celle qui empoisonnait ses jours et ses nuits, était que l’enfant dengue, une fois grand et devenu un homme dengue, finisse par ne plus pouvoir contrôler l’instinct qui le marquait au fer rouge et se mette alors à piquer et à transmettre la dengue à tout le monde, en particulier à elle ou à un petit camarade de classe. Un fils qui, non content d’être un mutant porteur de virus, s’en ferait consciemment l’agent infectieux, le complaisant vecteur mortel, condamnant sa mère à des afflictions pires encore. Voilà pourquoi, chaque matin, quand l’enfant dengue partait pour l’école, sa mère lui confiait un petit tupperware en plus de celui qui contenait son déjeuner et lui susurrait à l’oreille, sur un ton de pitié :
– Petite bébête, n’oublie pas : si jamais tu ressens un besoin nouveau, bizarre et irrépressible, tu n’as qu’à sucer ça !
Consterné, le pauvre enfant dengue baissait les yeux et hochait la tête, dans un effort inutile pour retenir les larmes qui coulaient de ses ommatidies sur ses palpes maxillaires. Tout honteux, il mettait le paquet sur son dos et partait pour l’école, d’un vol accablé par la honte de savoir que sa propre mère voyait en lui un dangereux criminel en puissance, vecteur infectieux de maladies incurables. La rage de l’enfant dengue était telle que, une fois à bonne distance de chez lui, il balançait le tupperware dans le caniveau. La boîte s’ouvrait au contact du sol mais l’enfant dengue avait déjà vite repris son vol, sans lui adresser le moindre regard de ses yeux encore troublés de larmes. Si l’enfant dengue ne regardait pas, c’est qu’il n’avait nul besoin de confirmer ce qu’il savait déjà. Pas besoin de vérifier ce que l’ignominieux tupperware contenait, à savoir un gros morceau de boudin gras et palpitant qui, tout tiède encore, s’écoulait lentement par la grille de l’égout.
Du sang cuit, du sang coagulé, du sang noirci et du sang épais.
Du boudin !
Voilà la substance que sa mère croyait capable d’apaiser le sordide instinct de l’insecte.

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« L’enfance du monde », bien que roman relativement court, avec ses quelque 150 pages, déploie autant de facettes que les yeux de l’enfant mutant hybride de moustique, porteur sain (si l’on ose dire en l’espèce) d’un virus lui-même mutagène (n’ayant au fond qu’un rapport parodique et lointain avec le tout à fait authentique virus de la dengue utilisé ici pour le titre et l’analogie anophèle immédiate), qui en est le héros d’abord largement involontaire : brutalité sans fard des rapports humains (et, cela va ici de soi, inter-espèces), d’emblée, mais presque immédiatement aussi, omniprésence mortifère des rapports socio-économiques (dans un contexte argentin où la domination des nantis a été au fil des décennies plutôt nettement moins amortie qu’en Europe par divers mécanismes redistributifs et palliatifs), sang, viscères, plaies et purulences aux effets les plus gore imaginables (Kathy Acker aurait certainement pu extraire de ce matériau argentin un somptueux « Sang et stupre à la plage polluée »), matérialisation soigneuse des propagations épidémiques exponentielles en l’absence de contrôle sanitaire réalistement possible, mais surtout, peut-être, célébration ironique de la faculté d’adaptation et de récupération hors normes du capitalisme tardif face à tout ce qui semblerait pouvoir le menacer… jusqu’à l’effondrement éventuel et néanmoins terminal (et là, bien que reposant sur des critères esthétiques totalement différents, le « New York 2140 » de Kim Stanley Robinson n’est pas si loin, non plus que, au moins aussi éloigné littérairement, le « Choc terminal » de Neal Stephenson).

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Le camp de vacances occupait une des plages publiques les plus sales et les plus à l’abandon de Victorica. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette région australe de l’Amérique du Sud, rappelons que c’est en 2197 que, sous l’effet de la fonte massive des glaces de l’Antarctique, le niveau de la mer est monté comme jamais auparavant, ne laissant de la Patagonie, région jadis connue pour ses forêts, ses lacs et ses glaciers, qu’une traînée éparse de petites îles écrasées de chaleur. Ce que personne n’avait prévu, c’est que cette catastrophe climatique et humanitaire annoncée depuis longtemps offrirait miraculeusement à la province argentine de La Pampa un accès à la mer qui en transformerait la géographie du tout au tout. Du jour au lendemain, ce qui n’avait été qu’un désert aride et sans vie aux confins du monde, une région desséchée par des siècles de monoculture intensive de tournesol et de soja, devint la seule voie interocéanique navigable du continent tout entier, en plus du canal de Panama. L’économie régionale avait gagné, grâce à cette métamorphose inattendue, les juteuses recettes des taxes portuaires qui ne cessaient d’affluer, sans parler des toutes nouvelles plages paradisiaques qui attiraient des vacanciers du monde entier. Malheureusement, les meilleures stations balnéaires, les plus proches de Santa Rosa, étaient la propriété exclusive de grands hôtels et des maisons de vacances des riches étrangers. Les gens du peuple, comme l’enfant dengue, n’avaient accès qu’aux plages publiques, à proximité du Canal Interocéanique de Victorica, là où s’accumulaient toutes les ordures du port : un horrible dépotoir plein de bouts de plastique et de gravats où couvaient toutes sortes d’aberrations.
Cette colo offrait une formule parfaite pour les parents qui travaillaient du matin au soir, comme la mère de l’enfant dengue. Pour faire court, on passait chercher les enfants en autocar tôt le matin et on les ramenait vers huit heures du soir, avec ponctualité. C’était l’essentiel du service, la partie la mieux organisée, tout le reste était relégué au second plan. Ainsi, les enfants devaient se contenter pour le petit-déjeuner d’un pauvre petit pain sec accompagné d’une infusion de maté, et d’un peu de polenta au saindoux avec un jus en poudre instantanée à midi. Les activités promises se résumaient à un prof de gym à la retraite, ventripotent, qui passait son temps à fumer allongé sur le sable et se contentait de souffler dans son sifflet chaque fois qu’un gamin s’aventurait trop loin dans l’eau ou escaladait un tas de déchets coupants et pointus.
De sorte que les enfants, abandonnés à leur sort, faisaient ce qu’ils voulaient, ils couraient dans tous les sens, jouaient au foot, se baignaient et bronzaient sur la plage nauséabonde. Il y en avait un que tout le monde appelait Bonbon et qui, en l’absence d’un adulte responsable pour exercer l’autorité, faisait office de chef de bande. Bonbon était un petit gros hyperactif d’une douzaine d’années. Son père travaillait dans une usine de poulets, Bonbon lui rendait parfois visite, et c’est en décrivant avec force détails comment les volailles étaient décapitées et éviscérées qu’il avait gagné l’admiration du groupe.

Michel Nieva joue à la perfection des mécaniques traditionnelles de l’horreur et du gore, celles-là même qui résonnent tant, même chez des praticiennes et des praticiens moins radicaux politiquement, en apparence, avec l’horreur économique, terme certes galvaudé s’il en est, mais dont la triste pertinence apparaît toujours plus au grand jour alors que les avidités s’aiguisent devant un gâteau climatiquement et socialement si mal en point aujourd’hui. Rendre compte pleinement de la violence intrinsèque de la domination capitaliste (que ne perçoivent naturellement guère celles et ceux qui sont du bon côté du manche, hors de toute méchanceté superflue) pour la retourner littérairement : vaste programme, dont « L’enfance du monde » nous donne un aperçu particulièrement décapant, avec ses dégoulinements d’hémoglobine et de tripes, cultivant l’excès et refusant le bon goût (on retrouve bien ici l’une des acceptions originelles – musicales et sociétales – du punk, une fois ôtées toutes les sauces (parfois a)variées par lesquelles il a été domestiqué depuis quelques dizaines d’années…

Il s’agit bien, en une danse folle au rythme halluciné, d’inverser les métaphores guerrières industrielles et l’imagerie populaire vampirique, pour rendre son dû véritable à la finance dirigeante : sang, viscères et nihilisme terminal masqué dans les oripeaux du profit raisonnable (les Anglo-Saxons diraient sans doute « make an honest buck »). Moquer les visées technologiques et techniques qui servent avant tout d’excuse à la quête effrénée d’une plus-value supplémentaire : toutes les méga-industries contemporaines en prennent ici pour leur grade, de la pharmacie à la géo-ingénierie, du divertissement (la parodie sanglante et jusqu’au-boutiste des jeux vidéo militaristes / colonialistes, avec « Chrétiens vs. Indiens », est particulièrement savoureuse, si l’on ose dire) à la conquête spatiale et aux moyens, bétonnés et/ou insulaires, de la sécession multimilliardaire, sans compter bien entendu la finance à terme et l’assurance spéculative. Le commerce des promesses vivant peut-être, dans « L’enfance du monde », ses derniers jours, ses contradictions y figurent logiquement sous leur jour le plus féroce.

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Ah, qu’il est difficile de décrire le fugace instant exact d’une initiation !
Des milliers de romans d’apprentissage, il est vrai, s’y sont essayé avec plus ou moins de succès. Mais est-il vraiment possible d’exprimer avec des mots ce moment glacial ou un être commet, ne serait-ce que dans un accès de fureur inconscient ou irréfléchi, l’acte fatidique qui entretissera ensemble son passé et son futur, ce stigmate de feu et de sang que d’aucuns appellent destin et qui, peut-être, lui était dévolu ?
Toujours est-il que l’enfant dengue, contrairement à sa réaction habituelle face aux persécutions que lui valait sa condition hybride, ne paniqua pas, il n’eut pas envie de mourir et aucune rage ou souffrance ne fit frémir ses petites antennes poilues. Le chant truculent – non dénué de valeur poétique, il faut bien l’admettre – de la ronde des petits mâles commandés par Bonbon ne lui fit pas perdre une goutte de sang-froid. Au contraire, une adrénaline tout à fait nouvelle irrigua chacune des nervures de ses ailes. Car ce que l’enfant dengue vit en posant ses ommatidies sur Bonbon qui, le short toujours baissé, le montrait du doigt et se moquait de lui, ce ne fut pas un ennemi, pas un semblable, même pas un être humain. Face à la redoutable trompe de l’enfant dengue ne se dressait qu’un succulent sorbet à la viande, un bout de boudin palpitant et délicieux. Dans le vertige de cet irrépressible désir noouveau, une brusque révélation traversa les antennes poilues de l’enfant dengue, avec une évidence et une clarté sans précédent, malgré le brouhaha de cris qui l’enoturait. L’enfant dengue, de façon un peu absurde, fit le raisonnement suivant : je ne suis pas un garçon, je suis une fille. La gamine dengue. En effet, dans l’espèce Aedes aegypti, dont il – ou elle – était un exemplaire unique, seules les femelles piquent, sucent le sang et transmettent des maladies, tandis que les mâles se consacrent exclusivement à l’activité mécanique de copuler et de se reproduire. Avec soulagement, pleine de piété filiale, elle comprit qu’elle avait été toute sa vie victime d’une erreur grammaticale, et que, puisqu’elle n’était pas un garçon mais une fille, impossible pour elle de violer sa mère et de reproduire le crime dont ses camarades de classe accusaient son père. Alors, libérée comme quelqu’un qui découvre enfin les raisons de sa peur, elle se jeta sur Bonbon, dont le corps nu jusqu’aux chevilles roula dans le sable. Avec une précision chirurgicale, elle l’immobilisa. Elle approcha sa trompe et, comme on découpe un boudin pour manger l’intérieur, elle lui ouvrit le ventre. Sans prêter attention aux cris de terreur des autres enfants, dont le chant joyeux vira à la transe sinistre, et qui s’enfuirent dans tous les sens pour chercher du secours – tant bien que mal, évidemment, vu que leur short était toujours baissé -, la gamine dengue enfonça sa trompe dans le ventre ouvert de Bonbon et en ramena une grappe de tripes sanguinolentes. Sous le regard horrifié du prof de gym qui, alerté par les enfants, s’était approché des lieux du crime, mais, en état de choc, n’arrivait qu’à souffler bêtement dans son sifflet, la gamine dengue leva au bout de sa trompe les viscères propres et bleues de Bonbon vers le soleil, comme on offre un sacrifice à son dieu. Après quoi, comme on arrache un bout de ficelle, elle tira d’un coup. Un flot de sang, d’excréments et de biles amères éclaboussa et souilla le visage pétrifié du prof de gym, puis colora le sable et même les vagues qui arrivaient lentement sur le rivage avant de repartir.

La science-fiction capitaliste – Ou comment les milliardaires vont nous sauver de l’apocalypse

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Le techno-multimilliardaire ne sait pas vraiment lire, quelles que soient les apparences éventuelles,  mais il sait détourner – on le sait au moins, toutes proportions gardées, depuis le fondamental « Le nouvel esprit du capitalisme » (1999) de Luc Boltanski et Eve Chiapello. Mais on lui sert si volontiers la soupe, économique et médiatique, le moment venu, qu’il parvient à faire semblant très longtemps – voire à réécrire les créations passées à l’aune de son propre appétit – insatiable. Si Kim Stanley Robinson s’arrache à raison les cheveux en entendant les travestissements de son œuvre que colporte si volontiers Elon Musk, et si Iain M. Banks se retournerait à coup sûr dans sa tombe face aux avanies que fait subir le même forcené à la sienne, c’est à partir d’un autre exemple séminal que procède Michel Nieva dans ce bref essai, publié en 2024 et traduit également par Sébastien Rutès pour inclusion, quasiment en postface, dans l’édition française de « L’enfance du monde ». : il s’agit du fondamental « Le Samouraï virtuel » (dont, une fois de plus, le titre français fait légèrement frémir de honte par rapport à l’original « Snow Crash »), publié en 1992 par Neal Stephenson.

Ce qui frappe dans ce roman publié en 1992, c’est qu’il imagine une époque qu’on ne peut qualifier de dystopique que dans la mesure où elle renforce, dans un avenir pas si lointain, des logiques néolibérales de précarisation du travail, de délocalisation industrielle et de renforcement du pouvoir des mégacorporations face à un reliquat d’État en faillite qui existaient déjà aux États-Unis à l’époque où le roman a été écrit. Néanmoins, peut-être à cause de son contexte de publication particulier – sur la Côte ouest, deux ans avant le début de l’usage commercial d’internet pour les ordinateurs personnels -, sa dimension de pamphlet lapidaire contre le capitalisme sauvage est passée inaperçue et s’est vue immédiatement éclipsée par les innovations technologiques que le roman conjecturait dans ce futur néolibéral frénétique.
En quelques années, Le Samouraï virtuel s’est taillé dans la Silicon Valley la réputation d’un oracle de légende ayant inspiré quelques-unes des technologies qui deviendraient des icônes du capitalisme digital, comme par exemple la cryptomonnaie, Google Earth, les applications de livraison à domicile, le jeu vidéo Quake, la plateforme Second Life, Wikipédia, le métavers (lequel à dire vrai avait déjà été inventé par William Gibson dans Neuromancien, sous le nom évocateur de « Matrice »), en plus d’avoir popularisé le terme d’origine sanskrite « avatar ». Ce livre a imaginé avant l’heure tellement de produits et de concepts informatiques que les compagnies de la Silicon Valley ont obligé leurs créatifs à le lire, et que des gourous du secteur comme Bill Gates, Sergueï Brin, John Carmack ou Peter Thiel ont reconnu une filiation intellectuelle entre leurs créations et celles présentes dans Le Samouraï virtuel.
Étant donné les qualités futurologiques de son œuvre, Neal Stephenson n’a pas manqué d’offres de la part de différentes sociétés d’innovation technologique? Il a d’abord mis son imagination, nourrie de space opera et de fanzines cyberpunk, au service de Blue Origin, la compagnie spatiale de Jeff Bezos, où il a travaillé à l’innovation astronautique pendant sept ans, mais il occupe désormais le poste de « futurologue » chez Magic Leap, une compagnie qui développe des casques de réalité augmentée à des fins commerciales et scientifiques, ce qui en fait un concurrent du groupe Meta.
En 2021, au moment où Zuckerberg a annoncé la création de son métavers, Neal Stephenson a démenti sur Twitter toute responsabilité intellectuelle dans le projet. Cependant, toujours dans un tweet, il a expliqué que la raison de ce désengagement n’était pas qu’il condamnait la prostitution de ce qui avait d’abord été une critique acerbe du capitalisme à une des compagnies les plus monopolistes et multimilliardaires de la planète, mais tout simplement que son idée originale ne lui rapportait aucun droit d’auteur.

Comme on peut le lire, le caustique Michel Nieva n’hésite pas un instant à décaper les complaisances et les connivences au sein d’un milieu littéraire science-fictif historique (mais aussi contemporain, les proxy fights autour des votes pour le prix Hugo en 2015 en témoignaient hélas encore récemment) qui n’a pas toujours uniquement brillé par son progressisme social et politique. Il traite ici directement, sous une forme ironique et enjouée, l’emprise idéologique et culturelle des techno-milliardaires (qui ont pourtant fréquemment le culot, pour les plus vociférants d’entre eux, de prétendre ne pas pouvoir s’exprimer), en particulier autour de la conquête spatiale (remédiant ainsi indirectement au principal point aveugle de l’essai par ailleurs excellent et stimulant de Irénée Regnauld et Arnaud Saint-Martin, « Une histoire de la conquête spatiale », également publié en 2024) et de la quête de l’immortalité (nous rappelant toujours à quel point le « Jack Barron et l’éternité » de Norman Spinrad, pourtant publié en 1969, ne prend guère de rides au fil du temps – si l’on ose dire sur pareil sujet).

Porté par un souffle proprement jubilatoire, ce petit essai en six chapitres et un épilogue, avec des titres aussi évocateurs que « Métavers, tourisme spatial, immortalité, sojapunk », « Le changement climatique, la grande fierté de l’homme blanc » ou « La science-fiction capitaliste, phase supérieure du colonialisme », illustre à la perfection ce qu’une science-fiction critique et incisive peut produire à l’encontre d’un discours qui – malgré le tour de passe-passe insensé du « on ne peut plus rien dire » – demeure bien le discours dominant, et surtout celui qui dirige les actions et les inactions des powers that be. Et l’on se reportera avec joie à la dernière phrase du texte, que je vous laisse le soin de découvrir le moment venu sans la citer ici.

Ces exemples – le métavers de Zuckerberg, le business interplanétaire de SpaceX, l’immortalité d’Auubrey de Grey ou le « sojapunk » de Grobocopatel – sont autant de preuves éclatantes d’une tendance de plus en plus visible et globale : l’appropriation par le capitalisme technologique du langage de la science-fiction, le séduisant storytelling d’un futur hypertechnologique que les mégacorporations et leurs directeurs généraux instrumentalisent non seulement pour habiller leurs produits mais aussi pour offrir une solution hypothétique aux graves crises socio-environnementales que le capitalisme lui-même a provoquées. On a dit qu’il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme, eh bien ! ces compagnies développement déjà le capitalisme extra-terrestre qui lui survivra. Quant à leurs dirigeants, ils cherchent à nous faire croire que, si nous aussi nous voulons survivre, il nous faut acheter leurs produits, car rien d’autre ne pourra nous sauver – du moins ceux qui peuvent se les offrir.
La science-fiction capitaliste offre le récit fantastique d’une « humanité sans monde », faite de touristes qui vivent mille ans et voyagent à travers le cosmos pour prendre des selfies pendant que la Terre s’embrase, récit qui permet à l’establishment industriel de monopoliser le droit à penser le fuur, après avoir plongé les sociétés dans l’incapacité à projeter leurs propres visions. Dans une citation aussi célèbre qu’inspirante tirée des textes fondateurs de SpaceX, Elon Musk dit : « Tout le monde a envie de se lever le matin en se disant que l’avenir sera grandiose : voilà ce que veut dire devenir une civilisation qui voyage dans l’espace. Il s’agit de croire au futur et de penser qu’il sera meilleur que le passé. Je ne peux rien imaginer de plus excitant que de voyager là-haut et de vivre parmi les étoiles ». En même temps que le capital condamne les travailleur.euses du monde entier à un présent continuellement fait d’instabilité, d’incertitude et d’endettement, les milliardaires se posent comme les seuls capables d’anticiper et de donner de la valeur à l’avenir. La science-fiction capitaliste est une violence qui réserve aux grandes compagnies le monopole du droit à imaginer notre futur. Voilà comment, dans la continuité directe de cet esprit de l’époque que Mark Fisher a qualifié de « réalisme capitaliste », ce sentiment nihiliste hégémonique que le capitalisme est le seul système politique et économique viable sous prétexte qu’on n’arrive pas à en imaginer de meilleur ni de pire, nous vivons une ère où le capitalisme ornemente des atours d’une esthétique hyperfuturiste le soupçon que c’est son fonctionnement même qui nous conduit à la catastrophe.

Hugues Charybde, le 8/09/2025
Michel Nieva - L’enfance du monde, suivi de La science-fiction capitaliste - collection Chimères, ed Christian Bourgois

L’acheter chez Charybde, ici

08.07.2025 à 17:55

Loin de toute figure imposée : Terry Riley

L'Autre Quotidien
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Jean-Louis Tallon s’est attaqué à la biographie du précurseur du minimalisme US, Terry Riley. Même si ce dernier refusa le terme, le trouvant trop limitant pour ses activités et son art en expansion. Au fil de 250 pages, vous allez découvrir le travail d’un homme qui ne se limita jamais à ce qu’on attendait de lui et qui, de lieu en lieu, de voyage physique en découverte musicale explora toute sa vie la radicalité d’un propos toujours en construction : du saxo au piano et à la voix ( proche de celle de Robert Wyatt )  du jeu à l’écriture de quartet, de la composition solo à des pièces avec La Monte Young  ou le Kronos Quarter et même avec un opéra dédié à l’art brut d’Adolf Wölfli. Haut en couleurs et singulièrement inattendu, Terry Riley.
Texte intégral (875 mots)

Jean-Louis Tallon s’est attaqué à la biographie du précurseur du minimalisme US, Terry Riley. Même si ce dernier refusa le terme, le trouvant trop limitant pour ses activités et son art en expansion. Au fil de 250 pages, vous allez découvrir le travail d’un homme qui ne se limita jamais à ce qu’on attendait de lui et qui, de lieu en lieu, de voyage physique en découverte musicale explora toute sa vie la radicalité d’un propos toujours en construction : du saxo au piano et à la voix ( proche de celle de Robert Wyatt )  du jeu à l’écriture de quartet, de la composition solo à des pièces avec La Monte Young  ou le Kronos Quarter et même avec un opéra dédié à l’art brut d’Adolf Wölfli. Haut en couleurs et singulièrement inattendu, Terry Riley.

Le propos de l’éditeur : « Du compositeur américain Terry Riley, né en 1935, on connaît surtout *In C*, pièce pionnière et révolutionnaire de musique répétitive qui, depuis sa création, jouit d’une popularité internationale incontestée. *In C* est néanmoins l’arbre qui cache la forêt d’une œuvre immense et universelle, à l’intersection du minimalisme, de la musique indienne, du jazz et de l’électronique, entre improvisation et écriture, Orient et Occident. On compte notamment l’album *A Rainbow In Curved Air*, qui influença Mike Oldfield, Pete Townshend de The Who ou Soft Machine, mais également *The Harp of New Albion*, sans oublier la vingtaine de quatuors à cordes conçus pour le Kronos Quartet depuis 1980. Premier ouvrage en français entièrement dédié au compositeur, *Terry Riley, figure libre* revient ainsi en détail sur la trajectoire d’un artiste dont l’esthétique plurielle et spirituelle, au-delà des modes, occupe aujourd’hui une place fondatrice dans l’histoire de la musique. »

 On peut assurément adorer ou détester, mais pas passer à côté du personnage, ce drôle de hippie façonné à la pensée indienne et au travail du chant par le maître Pandit Pran Nath ; ce virtuose des claviers capable de gérer plus de choses avec ses deux mains qu’un musicien techno avec ses samplers, sans jamais rater un temps ; assez incroyable quand on y pense. Pour ma part, je suis fondu de « A Rainbow in Curved Air ». A tout le moins, un grand passeur, autant ami du Deavid Allen de Gong que de Don Cherry, de la Monte Young que de Pauline Oliveiros, Steve Reich ou Philip Glass. De l’aventure des répétitions aux répétitions par diverses aventures, un pionnier. En continu. On ne conseille pas de tout écouter d’un coup, mais la diversité du propos mérite plus qu’une oreille attentive, une envie à naître… Très bon bouquin pour l’été. 

Jean-Pierre Simard, le 8/07/2025
Jean-Louis Tallon - Terry Riley, figure libre - éditions Le mot et le reste

29.06.2025 à 10:57

Quand Wolfgang Tillmans s'approprie l'architecture de la B.P.I.

L'Autre Quotidien
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« J’ai commencé ce projet en fréquentant régulièrement la BPI, en y passant du temps, en échangeant avec ses visiteurs, en écoutant leurs récits de moments de vie intenses et importants vécus là : certains y ont même rencontré des amis ou des partenaires. J’ai découvert un côté romantique à ce lieu…. J’ai passé la majeure partie du temps – en fait, toute la première année – à réfléchir à l’architecture, à la mise en espace, à la manière d’activer et d’utiliser ce lieu. »  Wolfgang Tillmans
Texte intégral (6635 mots)

« J’ai commencé ce projet en fréquentant régulièrement la BPI, en y passant du temps, en échangeant avec ses visiteurs, en écoutant leurs récits de moments de vie intenses et importants vécus là : certains y ont même rencontré des amis ou des partenaires. J’ai découvert un côté romantique à ce lieu…. J’ai passé la majeure partie du temps – en fait, toute la première année – à réfléchir à l’architecture, à la mise en espace, à la manière d’activer et d’utiliser ce lieu. »  Wolfgang Tillmans

Wolfgang Tillmans - Table des livres et des publications. ©PascalTherme2025

« Ce qui m’intéresse, c’est de faire des images, de l’art – comme traduction du monde que je vois. » Wolfgang Tillmans

Le Centre Pompidou consacre à Wolfgang Tillmans une très large rétrospective du 13 Juin au 22 Septembre 2025, sur plus de trente cinq années de production; l’ensemble de ses pratiques se confronte aux murs de la Bibliothèque Publique d’Information, BPI sur 6000 M2, (la BPI est la combinaison d’une vaste bibliothèque publique parisienne d’environ 400 000 documents, dont 360 000 volumes, et d’une médiathèque. Dès ses débuts, sa vocation est encyclopédique.)  il y a là un engagement de théâtralité de cette rétrospective totalement offert aux regards par l’espace qui lui est dédié.  La BPI est en plein déménagement, ce sont donc de grands espaces désormais libres, avec des linéaires de murs iort considérable, la coursive des pompiers fait plus de 130 M de long, et n’avait connu aucun accrochage d’ailleurs; une BPI libre donc  s’offre à Wolfgang Tillmans et à sa photographie, comme un lieu plastiquement ouvert, expérimental, qui n’empêche pas d’avoir eu à réfléchir la scénographie présente.

La BPI et les espaces créés dans l’exposition par la scénographie, les œuvres, entre le plafond bleu et les moquettes de couleur au sol, vestiges quasi archéologiques d’une signalétique, permettent à la fois à l’espace de reprendre ses perspectives monumentales et de montrer les œuvres de Wolfgang Tillmans.

https://pascaltherme.com/portfolio/wolfgang-tillmans/

En lien avec les mobiliers résiduels de la bibliothèque, moquettes aux lignes vertes, mauves, grandes tables, étagères et livres, espaces dédiés au numérique, bureaux et ordinateurs, écrans géants où se projettent les videos de l’artiste, ou s’entendent certaines ambiances sonores, où le son, la musique viennent s’adjoindre à un vaste corpus d’imprimés et d’objets personnels, issus de sa propre collection, bref tout a été conçu dans ce sens,  pour un dialogue en Fa majeur entre l’histoire d’une photographie en prise avec la vie et donc ses actualités, ses modes, et ce lieu déconstruit savamment, livrant, à travers son dénuement, la puissance de ses lignes de fuites, la présence de ses tuyaux, de ses plafonds bleus, architectures qui rendent l’espace intérieur de la bibliothèque au dialogue des missions retenues et des savoirs anciennement transmis dans leur diversité sociale grâce à cette première fonction heuristique de la BPI.

L’ heuristique sert à la découverte, elle désigne la méthode qui permet au chercheur de découvrir, de sélectionner et de hiérarchiser les documents qu’il utilise. À ce titre, étant donné la nature du travail de recherche historique, elle a beaucoup à voir avec l’archivistique. On connait la « passion » de Wolfgang Tillmans pour les magazines, les livres, les imprimés, et les vitrines. Remarquable également sera la table ou nombre de livres qui lui sont consacrés sont mis à disposition du public, pour les consulter, s’en réjouir, ou simplement les feuilleter.

Accueillir Wolfgang Tillmans pour la mise en sommeil du bâtiment de Piano et Rogers est un événement exceptionnel. Au cours de sa carrière artistique, Tillmans (né en 1968 à Remscheid, en Allemagne) a repoussé les frontières du visible, captant et révélant la beauté fragile du monde physique. Proposant de nouvelles façons de faire des images, il explore la profonde transformation des médiums et supports d’information de notre époque.
Il a ainsi façonné un univers esthétique distinctif, né de l’esprit de la contre-culture du début des années 1990. Une œuvre multiple, par laquelle il s’est engagé dans la quête d’un nouvel humanisme et de voies alternatives du vivre ensemble, influençant durablement la création contemporaine. Son travail est profondément ancré dans l’« Ici et Maintenant » : il dresse un panorama des formes de savoir et propose une expérience sincère et libre du monde, scrutant la condition contemporaine de l’Europe tout en explorant les techniques de reproduction mécanique. 
https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/nSlcbMZ

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Cette exposition peut s’apparenter à une immense installation globale, investissant toute la sentimentalité joyeuse du photographe qui expose petits tirages collés au mur, grands formats encadrés, et toute un panorama, à travers un immense collage au final de ses photographies, petites et grandes, moyennes, faisant, le tour de cette existence photographiée, à partir du point central de cet ici et maintenant, d’où le titre de l’exposition,  avant sans doute que l’image ne vienne à disparaitre; il en va donc de la situation globale de ce qui contamine chaque image en partant de tout ce qui l’entoure, l’enfante, la rend présente, au sommet des sens pourrait-on penser,  parce que cela a été vécu au plus profond de l’être, dans ses perceptions profondes vue, toucher, (regard esthétique haptique) et sentimentale, cette joie profonde  répondant à l’inquiétude et l’émerveillement devant le Cosmos, les étoiles, perçus dans la veine romantique, exprimant ce qui dépasse l’humain, l’ancre dans ces perceptions physiques et méta-physiques,  l’éveille aux correspondances et lois entre l’infini grand et l’infiniment petit, en ce qui croit dans un dialogue plus ou moins avéré de ces semblants faisant la chair et le discours premier de sa photographie. Le photographe est ici bien incarné et très présent à sa mission.

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Wolfgang Tillmans, différentes vues et œuvres exposées dont Paper Drop 2021, la salle Video à la demande, chapitre auto formation dans l’exposition, et Silver, 1992, en cours. 

L’installation s’est emparée de toute la topographie des espaces libres qui fuient, en tout cas pour le moins entre le ciel des tuyaux bleus et ces lignes de couleurs au sol, un vecteur impose l’espace où les lignes, au sol, qu’elles proviennent des traces de cloisons ou qu’elles soient le reliquat des moquettes faisant partie de la signalétique historique de la BPI,  ces lignes jaunes et vertes, relèvent le gigantesque défi des 6000 M2 de l’espace presque nu; pertinence des espaces d’accrochage, non simplement comme des parois où les cimaises viendraient positionner les œuvres, mais comme, un mur devenu lui aussi plus libre dans sa fonctionnalité, plus accueillant aux œuvres accrochées, comme si, toute une révolution secrète et enchanteresse avait eu lieu, une sorte de chute du mur de Berlin symboliquement ayant contaminé ce désir des surfaces libres et ouvertes, afin que le corps – et il est toujours question du corps dans les photographies de Wolfgang Tillmans-  ne soit ni séparé ni clivé par cette fonction de ruptures des espaces mais retrouve au contraire sa plasticité de surface aimantée et libre dans ces carrés de réels que sont les photographies, par les œuvres accrochées, comme un immense livre ouvert s’exposant à espace quasi ouvert, comme on pourrait écrire à ciel ouvert…. Il y a là, à mon sens, une sorte de citation, de rappel à Voltaire;  Micromégas  s’acquitte de son voyage swiftien à Liliput, dans une dimension non pas idéologique abstraite mais au contraire concrète et matérialiste, voire philosophique, quel ce héros par lequel on voit ce qui nous est montré, par quels regards est-on édifié, dans quelle sociabilité, amicalité, se trouve t-on réconcilié au sortir de l’exposition, sans doute parce que nous avons partagé à la fois ces réalités et la façon de pouvoir les photographier, en tant que traces de cette vie et en tant que document sociologique, voire dans une approche anthropologique socialement partageable.

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« Ô atomes intelligents, dans qui l’Être éternel s’est plu à manifester son adresse et sa puissance, vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe : car, ayant si peu de matière, et paraissant tout esprit, vous devez passer votre vie à aimer et à penser ; c’est la véritable vie des esprits. Je n’ai vu nulle part le vrai bonheur ; mais il est ici, sans doute. » «   Voltaire,  Micromégas.

Revenu à cet espace culturel politique de la BPI, même à travers un certain pluri-culturalisme, voire aussi à se souvenir du projet encyclopédique des Lumières, Tillmans offre  en signe de protestation et d’état des lieux, une résistance à cette dérive de l’époque actuelle:  cohésion de l’Europe, effets de la mondialisation, canaux de diffusion de l’information, du Savoir, où la Démocratie souffre, comme le processus d’attaque des libertés fondamentales et de l’actualité dans la réduction des libertés par cette mondialisation, la puissance fascisante des oligarchies.  La réfraction politique, l’interprétation qu’en donne Tillmans revient au geste juste du photographe, de sa réflexion globale sur ses pratiques et sur son vécu, dans un travail qui s’ancre aussi dans les corps, individués comme dans le corps social, voire ses scènes sociales..

D’ailleurs que dit-il de cet à propos du lieu gigantesque investi par son installation et  son pouvoir d’attraction, en forme du titre donné à l’exposition; Tout nous y préparait, rien ne nous y préparait…

« Oui, et je voulais faire preuve d’un grand respect. Je ne voulais surtout pas que cela ressemble à “la bibliothèque déménage, l’art contemporain emménage”. J’ai donc imaginé plusieurs gestes en hommage à la BPI. L’un d’eux fut d’organiser une journée d’étude filmée, le dernier jour d’ouverture de la bibliothèque. J’adore la vision de ces centaines de personnes assises, travaillant ensemble dans le calme. Cet acte d’étude est, pour moi, une image magnifique. J’ai aussi transformé plusieurs des grandes tables de la bibliothèque en surfaces d’exposition et conservé deux rayonnages de quinze mètres de long, qui condensent l’ensemble de la collection de la BPI. Il y a des bureaux avec des moniteurs qui montrent des portraits de lecteurs, et aussi une installation laser jouant avec les tubes bleus du plafond que j’ai toujours aimée. » Réponse de Wolfgang Tillmans à la question « comment il a investi l’espace de la BPI ». https://www.vogue.fr/article/wolfgang-tillmans-exposition-photographie-centre-pompidou-paris-2025

Ceci est tout a fait surprenant , il s’agit des essais sur les chromies et les couleurs monochromes des tirages en partie compressés et traités comme des sculptures ou des objets en volume, trois dimensions, non plus comme de simples tirages à la surface plane, où des pliures de cette simple feuille en forme de goutte de couleur, si design, si pure que la forme ici, accomplit le geste dont elle est issue.

WOLFGANG TILLMANS AU CENTRE POMPIDOU, RIEN NE NOUS Y PRÉPARAIT TOUT NOUS Y PREPARAIT.
©PascalTherme2025

 

Le reportage photographique que j’ai réalisé donne à voir ces dialogues féconds entre un accrochage  d’œuvres de différents formats, de petits formats jusqu’à des formats monumentaux, utilisant la hauteur sous plafond du centre, et la longueur des parois laissées à disposition ou, reformulées sans doute pour intégrer les neuf chapitres de l’exposition. La scénographie se révèle dans sa sobriété, généreuse, d’ une grande efficacité pour mettre en situation ou en scène ce travail entre l’espace historique architecturé par Piano et Rogers et l’exposition dans ces espaces re-configurés pour l’accueillir, dans et par leurs fonctions historiques de lieux des savoirs et de la connaissance, lieux de la conservation des documents et de leur archivage, lieu de l’exposition où, rien, ne semble devoir avoir été laissé au hasard. Il semble que Wolfgang Tillmans ait été très présent, depuis le début du projet jusqu’à sa touche finale de ce jeudi 12 Juin 2025.

Et pour en finir avec cette fascination « imbécile  » de l’IA, Wolfgang Tillmans déclare par ailleurs: « On peut faire confiance à mon travail : tout ce qu’on y voit est né du fait que la lumière a touché une surface, un point. Et non pas que j’aie déplacé les pixels après coup. Pourquoi lorsqu’on, fait des images; de l’art, aurait-on besoin de l’IA? , je trouve ce monde déjà tellement intéressant, tellement fantastique, que je n’ai aucun attrait pour le traitement numérique, la manipulation, l’IA. »

WOLFGANG TILLMANS AU CENTRE POMPIDOU, RIEN NE NOUS Y PRÉPARAIT TOUT NOUS Y PREPARAIT.
REPORTAGE PHOTO SUR la BPI LES LIEUX MÊMES ET SUR LES ESPACES CRÉÉS DANS L’EXPOSITION PAR LA SCÉNOGRAPHIE

« Ces dernières années, Wolfgang Tillmans a fait l’objet de rétrospectives majeures dans de grandes institutions, notamment à la Tate Modern de Londres en 2017 et au MoMA de New York en 2022. Il a également présenté une importante exposition itinérante sur le continent africain intitulée « Fragile » (2018 − 2022 à Kinshasa, Nairobi, Johannesburg, Addis Ababa, Yaoundé, Accra, Abidjan, Lagos).
L’exposition au Centre Pompidou est la première monographie institutionnelle à Paris depuis son ambitieuse installation au Palais de Tokyo en 2002. Elle est accompagnée d’un catalogue et de la publication d’une version augmentée et traduite en français du Tillmans’ Reader, regroupant divers textes et entretiens de l’artiste. » 
https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/nSlcbMZ

Wolfgang Tillmans, Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait, au Centre Pompidou (Place Georges-Pompidou, 75004 Paris), du 13 juin au 22 septembre 2025. L’entrée sera gratuite de 11h à 23h le 13 juin, le 3 juillet, le 28 août et le 22 septembre 2025, dans le cadre des journées “ACCÈS LIBRE par CELINE”

 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/wolfgang-tillmans-photographe-pour-l-exposition-rien-ne-nous-y-preparait-tout-nous-y-preparait-7372510?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2025-06-18&at_position=3

https://tillmans.co.uk/

Pascal Therme, le 30/06/2025
Quand Wolfgang Tillmans s'approprie l'architecture de la B.P.I.

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