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17.06.2025 à 10:20

Après des années d'attaques de la part des néolibéraux pour le restreindre, le droit de grève est en danger partout dans le monde

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Le droit de grève est la cible des employeurs et des politiques néolibérales depuis plus d'une décennie, et subit chaque année des attaques de plus en plus alarmantes à travers le monde. Jusqu'à récemment, ce droit était unanimement considéré comme consacré par les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), un consensus international qui régit les relations professionnelles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais depuis 2012, il est remis en question par les (…)

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Texte intégral (2826 mots)

Le droit de grève est la cible des employeurs et des politiques néolibérales depuis plus d'une décennie, et subit chaque année des attaques de plus en plus alarmantes à travers le monde. Jusqu'à récemment, ce droit était unanimement considéré comme consacré par les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), un consensus international qui régit les relations professionnelles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais depuis 2012, il est remis en question par les employeurs au sein même de l'organe de l'ONU. Dans la pratique, le patronat opère un boycott du fonctionnement interne de l'OIT, inédit depuis sa création en 1919 (au sein de la Société des Nations), une obstruction qui coïncide avec une augmentation alarmante des restrictions juridiques et des mesures répressives à l'encontre de ce droit sur tous les continents.

Le droit de grève et le droit à la négociation collective sont les instruments les plus importants dont disposent les travailleurs pour se défendre contre une multitude d'abus dans le domaine du travail et, bien qu'il s'agisse de droits humains relativement bien ancrés dans les régions les plus développées du monde, ils subissent des pressions croissantes depuis des années. Cet inquiétant recul va de pair avec des gouvernements influencés par l'idéologie néolibérale qui tentent d'entraver et de limiter dans la pratique, par de nouvelles lois, les effets socialement perturbateurs des grèves, alors que c'est précisément en cela que réside leur force en tant qu'arme de pression et de défense des travailleurs.

Le dernier Indice des droits dans le monde de la Confédération syndicale internationale (CSI) révèle que le droit de grève a été mis à mal dans 131 pays au cours de l'année écoulée (87 % des 151 pays étudiés dans le rapport), soit 44 pays de plus qu'en 2014, année où l'indice avait étudié 119 nations. La tendance qui se dessine est claire : examiné par région, en 2025, le droit de grève a été violé dans 95 % des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, 93 % des pays d'Afrique, 91 % des pays d'Asie-Pacifique, 88 % des pays d'Amérique et 73 % des pays d'Europe, région qui (même si elle est celle où ce droit est le plus ancré en principe) connaît une tendance à l'obstruction juridique et à la criminalisation des grèves, ainsi qu'à la stigmatisation sociale des grévistes eux-mêmes. Parallèlement, dans 121 pays (soit 80 % ou 34 nations de plus qu'en 2014), le droit des travailleurs à la négociation collective de leurs conditions de travail a été sévèrement restreint ou est inexistant.

En Europe, fer de lance des progrès du droit du travail, l'ancien modèle social « centré sur le travailleur » est activement démantelé par les gouvernements et les entreprises, et ce, à une vitesse qui ne cesse de s'accélérer. En 2025, la protection juridique même du droit de grève avait considérablement empiré au Royaume-Uni, en Hongrie, en Albanie, en Moldavie et au Monténégro. En Belgique, en France et en Finlande, les autorités ont réprimé des travailleurs en grève, tandis que la montée de l'extrême droite accroît d'année en année le risque d'érosion des droits du travail.

Comment l'esprit du droit de grève est-il « tué » en Europe

En Europe en particulier, où, au cours de la dernière décennie, la pire détérioration des droits du travail de toutes les régions du monde a été enregistrée, on observe depuis quelques années une tendance croissante à limiter la portée et les conditions dans lesquelles la grève est autorisée. Ces nouvelles politiques constituent une dérive législative, puisqu'elles visent à limiter le droit de grève en tentant d'établir une définition trop large de ce qui est considéré dans chaque pays comme des « services essentiels », afin de restreindre ou d'interdire, dans la pratique, le recours à la grève dans un nombre croissant de secteurs du travail.

L'OIT stipule que les « services essentiels » sont uniquement « les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne ». Pourtant, un nombre croissant de parlements légifèrent pour étendre cette définition à des secteurs tels que les transports, l'éducation et la santé, tout en élargissant la proportion de services minimums à assurer à un point tel que la capacité de perturbation sociale qui sous-tend la force de la grève en tant que moyen de pression est pratiquement éliminée.

« Ce qui fait le succès éventuel d'une grève, c'est sa capacité à perturber le système économique », explique à Equal Times l'historien français Stéphane Sirot, spécialiste de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales.

« Donc, si vous adoptez une législation dont l'objectif est de faire en sorte qu'une grève perturbe le moins possible, c'est un peu comme si vous lui déniez son droit d'existence, au fond, parce que la lettre juridique laisse la grève exister, mais elle a tendance à la tuer dans son esprit », ajoute-t-il.

Cette situation s'aggrave encore davantage en raison des règles qui donnent le ton de cette offensive conservatrice contre les droits des travailleurs, à l'instar de la Loi sur les grèves (niveaux de service minimum) adoptée au Royaume-Uni en 2023. Elle permet d'obliger les travailleurs de certains secteurs stratégiques à ignorer une grève, même s'ils en sont les initiateurs, sous peine de licenciement. Elle permet également de réprimer les protestations et les manifestations syndicales et de remplacer les grévistes par d'autres employés temporaires. Le nouveau gouvernement travailliste britannique a annoncé en août qu'il abolirait cette loi. Pourtant, ses critères de respect du service minimum restent en vigueur, même s'ils devraient être abrogés par le parlement en juillet prochain.

Dans le cas de la France, la situation a radicalement changé depuis la grève des transports de novembre 1995. Celle-ci avait été déclenchée pour empêcher le gouvernement d'Alain Juppé de mettre en œuvre les réformes de la Sécurité sociale qui devaient affecter les travailleurs du secteur. « Pendant trois ou quatre semaines en France, […] il n'y avait plus un train […] qui circulait », se souvient M. Sirot. La mesure a été un succès pour la défense des droits des travailleurs, mais à partir de ce moment-là, « on a vu se développer de manière assez nette une rhétorique sur la grève comme un instrument de perturbation inadmissible et qu'il faut absolument encadrer, limiter et contraindre ». Dans les années qui ont suivi, les projets de loi se sont multipliés dans ce sens, en vue de limiter le droit de grève jusqu'à ce qu'il se rapproche de plus en plus du « modèle italien », où « il y a des périodes au cours desquelles il est interdit de faire grève, notamment dans le secteur des transports, par exemple au moment des départs en vacances à Noël ». Or, un rapprochement avec ce modèle risque de laisser s'échapper la pression par d'autres voies : « à partir du moment où la loi contraint tellement le droit de grève qu'elle l'empêche presque », on assiste à des « grèves sauvages » où le conflit de travail éclate déjà délibérément sans aucune volonté de se soumettre à la législation en vigueur.

L'ironie de cette situation est grande, souligne l'historien, car cela nous ramène à la situation du début du XIXe siècle, époque où la grève était interdite et où la contestation était beaucoup plus violente et aussi beaucoup plus violemment réprimée. Avoir recours à cette pratique aujourd'hui suppose un « choix politique, un choix idéologique », mais qui « ne résout pas les questions sociales. Si vous voulez, c'est plus une façon de les dissimuler ». Et cela, insiste M. Sirot, est « politiquement très dangereux », parce que « si les mécontentements sociaux ne peuvent pas s'exprimer par des dispositifs comme la manifestation ou la grève, et ben, ils s'expriment par la voie des urnes », ce qui explique en partie la montée actuelle de l'extrême droite en Europe, selon lui.

Entre-temps, « il y a une résistance que je trouve très marquée et très forte de la part des systèmes de pouvoir à l'égard des conflits sociaux », face à laquelle il n'y a plus besoin de répression, ils « attendent que les mouvements s'épuisent. Voilà, ils ne négocient même plus » avec les autres acteurs sociaux. « On parle de concertation, de consultation, mais moins de négociation », note-t-il. Historiquement, « on est beaucoup moins enclin aujourd'hui qu'il y a quelques décennies à rechercher des compromis. Et personnellement, je trouve ça vraiment très dangereux, parce qu'encore une fois, quand on ne trouve pas des compromis sociaux, ce sont des contestations politiques qui émergent » de tout le système, « et c'est ce qu'on observe aujourd'hui ».

Tenter de neutraliser le droit de grève depuis l'intérieur (… de l'OIT)

Depuis quelques années, la bataille se propage à l'OIT elle-même, qui fonctionne sur un socle tripartite, avec un dialogue social constant entre les représentants des gouvernements des 187 États membres, des employeurs et aussi des travailleurs. La Conférence internationale du travail qui coordonne les politiques de l'organisation pour l'année à venir a lieu tous les ans, en juin. Lors de la session de 2012 cependant, dans le cadre des discussions de la Commission de l'application des normes (CAS), le groupe dit « Groupe des employeurs » a remis en question ce que les experts en application des normes de l'OIT considéraient comme acquis depuis trois quarts de siècle à savoir que le droit de grève est implicitement reconnu par la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (C087) de 1948 et la Convention sur le droit d'organisation et de négociation collective (C098) de 1949.

« Il est impossible de comprendre la liberté syndicale sans l'exercice des trois fonctions qui la composent : la reconnaissance des syndicats (et de l'activité syndicale elle-même), la négociation collective et le droit de grève, précisément en qualité d'outil d'équilibre social permettant de conquérir des droits », explique à Equal Times l'un des grands spécialistes internationaux en la matière, l'Argentin Marcelo DiStefano, docteur en droit du travail, professeur dans deux universités publiques de Buenos Aires et membre du comité exécutif de la Confédération syndicale des Amériques (CSA) au nom de la Confédération générale du travail (CGT) de son pays.

« C'est ainsi parce que la liberté syndicale est un droit à la conquête de droits, un outil qui permet de conquérir de nouveaux droits », souligne-t-il.

Lorsque, en 2012, les employeurs ont commencé à contester le fait que la Convention 87 garantissait implicitement le droit de grève, rappelle-t-il, « c'est là qu'a commencé le processus de blocage de l'un des outils les plus importants dont dispose le système de contrôle [du respect] des normes [de l'OIT], à savoir la Commission de l'application des normes », dont les capacités, notamment l'élaboration de rapports sur le respect ou non des directives de l'OIT à travers le monde, sont paralysées depuis maintenant 13 ans.

Cela signifie que, depuis 2012, les travailleurs, les employeurs et les gouvernements sont aveugles, sans données unanimement établies ni interprétations autorisées par l'OIT sur les limites légales à l'exercice du droit de grève, ce qui a accru l'incertitude politique pour toutes les parties et a contribué à inciter la Confédération syndicale internationale (CSI) à élaborer, à partir de 2014, son propre rapport annuel sur l'état des conditions de travail dans le monde.

Comme l'explique M. DiStefano, pour fonctionner, la CAN « exige un consensus, mais, lorsqu'une des parties en bloque la possibilité, il est impossible de parvenir à un accord, car ce qui est en jeu ici, c'est de savoir si la Convention 87 reconnaît ou non le droit de grève. Or, comme on dit en Argentine, on ne peut pas être “un peu enceinte” : on l'est ou on ne l'est pas ».

Pendant ces 13 années de vide juridique qui ont commencé juste au moment où un syndicaliste, le Britannique Guy Ryder (ancien secrétaire général de la CSI de 2006 à 2010), est devenu directeur général de l'OIT, les représentants mondiaux du patronat ont tenté d'empêcher les travailleurs de porter l'affaire devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye en vue d'obtenir un avis consultatif.

« Ils ont tenté de négocier un protocole spécifique sur la grève [inexistant jusqu'alors dans la réglementation de l'OIT], mais le droit de grève, soit on l'a, soit on ne l'a pas », souligne M. DiStefano. « En réalité, leur intention était d'entamer un processus visant à restreindre l'exercice du droit de grève, car il ne s'agit pas d'un droit absolu, mais plutôt d'un droit relatif, qui peut être encadré dans certaines circonstances… mais, dans ces cas-là, l'OIT considère que ces restrictions peuvent être imposées afin de protéger des droits essentiels, c'est-à-dire lorsque la sécurité ou la vie des personnes est mise en danger ».

En fin de compte, les travailleurs et une grande partie des États, y compris les membres de l'Union européenne et les États-Unis, ont voté pour porter la question devant la CIJ, qui doit encore se prononcer à ce sujet.

Pour leur part, les représentants des organisations patronales du monde entier semblaient chercher à affaiblir le contrôle des normes de l'OIT, afin de voir s'estomper la protection internationale du droit de grève et de permettre des interprétations plus laxistes qui permettraient de le restreindre dans la pratique. L'organisation qui les regroupe au sein de l'OIT, l'Organisation internationale des employeurs (OIE), a refusé les questions d'Equal Times, mais a renvoyé à un communiqué à ce sujet, dans lequel elle affirme que, selon elle, ainsi que « de nombreux gouvernements », l'instance compétente pour interpréter si le droit de grève est reconnu ou non par l'OIT n'est pas la CIJ, mais les réunions annuelles de la CIT… que les employeurs eux-mêmes entravent depuis 12 ans en bloquant toute mesure qui impliquerait de considérer que l'organisme des Nations unies reconnaît le droit de grève, comme cela avait été sous-entendu jusqu'en 2012, pendant trois quarts de siècle.

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