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12.11.2025 à 09:20

« Un emploi décent et un cadre de droit » : Comment la formation et la syndicalisation peuvent-elles aider l'autonomisation des femmes en migration au Sénégal

Mathilde Dorcadie
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À Dakar, dans les locaux de l'UNSAS, la deuxième centrale syndicale du Sénégal, l'air brûlant est chargé de rires et de voix féminines, mais portent également le souvenir de récits parfois douloureux. C'est ici, que depuis 2022, le RAFEM, le Réseau d'Appui aux Femmes et Enfants en Migration s'est, petit à petit, construit avec une idée : accompagner des dizaines de femmes de tout horizon dans leur quête d'intégration et d'autonomie.
« La migration est avant tout un mouvement de (…)

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Texte intégral (1769 mots)

À Dakar, dans les locaux de l'UNSAS, la deuxième centrale syndicale du Sénégal, l'air brûlant est chargé de rires et de voix féminines, mais portent également le souvenir de récits parfois douloureux. C'est ici, que depuis 2022, le RAFEM, le Réseau d'Appui aux Femmes et Enfants en Migration s'est, petit à petit, construit avec une idée : accompagner des dizaines de femmes de tout horizon dans leur quête d'intégration et d'autonomie.

« La migration est avant tout un mouvement de main-d'œuvre », rappelle d'emblée Fambaye Ndoye, présidente du RAFEM et responsable du département de la protection sociale à l'UNSAS. « Si l'on interroge les causes profondes [des mouvements migratoires], on trouve essentiellement la quête d'un travail, si possible décent. Il était donc logique que les syndicats s'engagent ».

Le Sénégal est souvent présenté, à juste titre, comme étant un pays d'émigration importante. D'après l'Organisation internationale des migrations (OIM) et l'OCDE, près de 50% des candidats au départ déclarent que celui-ci est motivé par le besoin de sortir du chômage ou du manque d'opportunités de travail. Si une grande partie d'entre eux se tournent vers l'Europe (France, Italie, Espagne) ou vers les Etats-Unis et les pays du Golfe, près d'un tiers des Sénégalais émigrent pour travailler sur le continent, dans des pays comme la Gambie, le Mali ou la Mauritanie.

Mais le Sénégal est aussi un pays de destination des travailleurs migrants, en majorité venus d'Afrique de l'Ouest (Guinée, Mali, Gambie, Mauritanie). Une réalité liée en partie à la « libre circulation » en vigueur entre les pays de la CEDEAO, et une relative stabilité politique au sein de la région.

Campagnes de sensibilisation aux droits des migrants

L'UNSAS n'a pas attendu la crise méditerranéenne de la fin des années 2010, qui a vu de nombreux migrants mourir en mer, pour se saisir de la question. Dès 2007, la centrale collabore avec le syndicat espagnol CCOO et l'Organisation internationale du travail (OIT) sur des projets liant migration et conditions de travail, puis, lors du congrès de la Confédération syndicale internationale (CSI) à Dakar, où Fambaye Ndoye développe son expertise de ses questions et entame une première phase de sensibilisation avec de nombreux acteurs, développe des projets pour le RSMMS (le Réseau syndical pour les migrations dans l'espace méditerranéen et subsaharien) et ATUM-Net (African Trade Union Migration Network).

S'ensuivent des actions sur les « sites de départ », ces plages d'où s'élancent les embarcations précaires vers les Canaries. L'UNSAS alerte sur les dangers de la migration irrégulière, mobilise les autorités religieuses et coutumières. « Il y a eu beaucoup de morts, beaucoup de disparus, les jeunes se lançaient dans un mouvement de suicide collectif », raconte-t-elle.

« Ça nous a fait un tilt. Nous avons suivi ensuite des formations de renforcement de capacités, puis nous avons mis en place le premier réseau intersyndical sur la migration avec le BIT ». En 2018, Mme Ndoye mène également une grande campagne pour interpeller les ambassades du Golfe sur les conditions de travail de la diaspora, notamment des travailleuses domestiques.

La bascule vers les femmes migrantes

Puis vient la crise sanitaire et économique causée par la Covid-19. En 2020, alors que la Convention 190 de l'OIT contre les violences et le harcèlement en milieu de travail est adoptée, l'UNSAS décide d'enquêter sur les réalités spécifiques des femmes migrantes, internes au niveau du Sénégal, à l'étranger ou « de retour ». Avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert, une étude est lancée.

Intitulée Voix des travailleuses migrantes du Sénégal, elle repose sur une méthodologie inédite : des entretiens audio via WhatsApp, réalisés en pleine pandémie. « Nous avons recueilli plus de 60 témoignages, souvent interrompus par les larmes », raconte Mme Ndoye. Au final, 20 récits sont publiés, dévoilant la dureté des parcours : exploitation, absence de droits, vulnérabilité et isolement. « Après ces histoires, nous ne pouvions pas rester les bras croisés », tranche Mme Ndoye.

Un obstacle juridique surgit cependant : la loi ne permet pas aux migrantes de créer leur propre syndicat. L'UNSAS contourne la difficulté en adossant une structure associative.

« On s'est dit qu'on ne pouvait pas créer un syndicat de migrantes et diriger ce syndicat n'étant pas nous-mêmes migrantes. Il fallait vraiment penser à une autre forme d'organisation ».

Le RAFEM est ainsi créé avec pour mission d'organiser, d'accompagner et de viser l'autonomisation des femmes migrantes. Soutenu par la Fondation Friedrich Ebert et des partenaires comme le Fonds pour les femmes francophones (XOESE), le réseau lance son premier programme : « 3F » pour « Formation, Formalisation, Financement ».

Trente-cinq femmes, sénégalaises de retour ou immigrées venues de Guinée, du Togo, du Mali, du Cameroun, de la RD Congo, de la Mauritanie, du Bénin, du Cap-Vert ou de la Sierra Leone, intègrent la cohorte inaugurale. Leur parcours commence par des formations sur leurs droits en général et des cours d'éducation financière. Puis vient le temps de l'apprentissage pratique : les femmes se forment à de nouveaux métiers de l'artisanat, tels que la teinture de tissus, la fabrication de savon ou d'eau de javel. Le groupe de femmes a choisi lui-même les activités qu'elles souhaitaient apprendre.

Fatma Ba, migrante de retour d'Arabie saoudite, raconte : « Je ne savais pas faire de savon ni du batik. C'est ici que j'ai tout appris. Cela m'a permis de diversifier mes activités, et même de former d'autres femmes ».

Avec d'autres camarades, elle intègre un GIE (un Groupement d'intérêt économique), créé par le RAFEM pour légaliser les activités commerciales. Certaines vendent désormais leurs produits sur les marchés, d'autres transmettent leurs compétences en tant que formatrices, ce qui est un débouché supplémentaire vers l'autonomisation.

« En tout cas, moi, je ne vais pas faire partie de celles qui vont retourner [à l'étranger], parce que j'ai des choses à faire ici », souligne Mme Ba.

Mme Ndoye explique le principe de la démarche : « On ne peut pas se contenter de dire aux gens ''Ne partez pas'', alors que vous ne les accompagnez pas à trouver du boulot. Les syndicats doivent être en amont de l'emploi. C'est-à-dire que nous devons mieux nous investir dans la création d'opportunités. S'il n'y a pas de travail, il n'y a pas de travailleurs. Donc, pas de syndicat. Nous avons aussi cette mission. C'était l'idée du RAFEM, puisque le syndicat encadre les travailleurs, on s'est dit que nous devions aussi ''créer'' des travailleurs. »

Le RAFEM ne se limite pas aux aspects économiques. Avec le soutien du service juridique de l'UNSAS, il accompagne aussi les migrantes dans leurs démarches administratives, qu'il s'agisse de régularisation de leurs statuts ou même d'affaires matrimoniales ou fiscales. « Sans intégration, je pense que les migrants ne se sentent pas vraiment à l'aise pour développer une activité économique, que ce soit dans le formel ou dans l'informel. Le syndicat, c'est la première cellule d'intégration sociale », explique-t-elle encore.

Un réseau multiculturel et solidaire et des défis persistants

La diversité du réseau pose des défis, notamment linguistiques. Les Sierra-Léonaises parlent anglais, les Congolaises ou Camerounaises jonglent entre français et langues locales. « Mais avec Google Traduction, on se débrouille », plaisante Mme Ndoye. La perte de participantes en cours de route est par ailleurs inévitable : certaines retournent dans leur pays d'origine, d'autres repartent en migration pour suivre une autre opportunité.

Pour autant, le RAFEM poursuit sa route. Une deuxième cohorte de femmes est en projet. « On ne va pas refaire les mêmes activités professionnelles, on veut diversifier », assure la coordinatrice qui expose des pistes comme les métiers de la restauration ou du tourisme. L'UNSAS et le RAFEM sont à la recherche de partenaires pour soutenir la formation de ce nouveau groupe d'une trentaine de femmes. La stabilité financière du projet est également un objet de préoccupation, car les fonds propres du syndicat sont limités, bien qu'il continue à enregistrer l'affiliation de nouveaux membres, dont les participantes de la cohorte.

En avril 2024, une conférence régionale à Dakar a donné une visibilité inédite au RAFEM. Ministère du Travail, Ministère de la Femme et Ville de Dakar manifestent leur intérêt pour ce projet pilote et innovant. « La mairesse s'est engagée à intégrer le RAFEM dans les programmes sociaux de la ville », se félicite Ndoye, qui parle de déposer un projet auprès du fonds municipal pour l'entrepreneuriat féminin.

Tandis qu'une certaine reconnaissance institutionnelle se dessine, le modèle inspire aussi au-delà des frontières. Des camarades syndicalistes d'autres pays africains, invitées à célébrer la Journée internationale de la Femme Africaine en 2024 et 2025, ont exprimé leur souhait de créer des réseaux similaires. Un moment inspirant, à l'image du RAFEM, puisque, comme le conclut Fambaye Ndoye : « Nous sommes composées de plusieurs nationalités, nous voulons incarner vraiment l'unité africaine en miniature ».

10.11.2025 à 09:37

La génération qui a oublié pourquoi il faut se syndiquer (et les raisons de continuer à le faire)

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Dans un monde globalisé, où la majorité des jeunes se voit confrontée à une pénurie criante de perspectives d'emploi, les conditions de travail se sont dégradées à un point tel qu'il est difficile, voire impossible, pour des millions de jeunes comme moi de devenir indépendants. Le loyer représente, dans beaucoup de cas, plus de la moitié du salaire, alors que l'inflation étrangle les revenus et que les conditions de travail confinant à l'esclavage moderne cessent d'être l'exception pour (…)

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Texte intégral (884 mots)

Dans un monde globalisé, où la majorité des jeunes se voit confrontée à une pénurie criante de perspectives d'emploi, les conditions de travail se sont dégradées à un point tel qu'il est difficile, voire impossible, pour des millions de jeunes comme moi de devenir indépendants.

Le loyer représente, dans beaucoup de cas, plus de la moitié du salaire, alors que l'inflation étrangle les revenus et que les conditions de travail confinant à l'esclavage moderne cessent d'être l'exception pour devenir la norme.

Dans ce contexte, alors que les syndicats devraient être identifiés comme les défenseurs incontestés des travailleurs, plus que jamais indispensables, l'adhésion des jeunes s'effrite d'année en année, à l'échelle mondiale. Pourquoi, en des temps aussi cruciaux que ceux que nous vivons, les jeunes ne se sentent-ils pas attirés par la syndicalisation ? Comment expliquer ce désintérêt croissant pour le syndicalisme ?

En réalité, de nombreux jeunes perçoivent le modèle syndical comme archaïque, voire inutile. Mais si nous nous arrêtions un instant pour y réfléchir sérieusement : n'avons-nous vraiment pas besoin de syndicats à l'heure d'affronter le processus long, fastidieux et incertain de la recherche d'un emploi décent ? Sommes-nous réellement satisfaits de ces emplois précaires et informels, dépourvus de droits et de conditions de travail décentes ? Difficile de répondre par l'affirmative.

Ce qui ne fait pas de doute, c'est que nous traversons un moment historique marqué par la poussée d'une droite de plus en plus réactionnaire, qui érode la conscience sociale et la conscience de classe. Simultanément, les modes de consommation mondialisés engendrent un désengagement socio-économique : alors qu'une moitié du monde trouve refuge dans une illusion de bien-être entretenue par la consommation, l'autre moitié voit ses conditions de travail se dégrader de jour en jour.

Mais ne nous faisons pas d'illusions : le fait que nous puissions nous permettre d'acheter chaque semaine de nouveaux vêtements à des prix absurdement bas ne signifie pas que nous ne fassions plus partie de la classe travailleuse. De fait, nos salaires dépendent toujours de tiers, et ceux qui nous paient aujourd'hui peuvent nous licencier du jour au lendemain sans état d'âme.

La lutte pour des conditions de travail décentes ne relève pas de l'idéologie. Il en va de la dignité des travailleurs, ni plus ni moins. Et plus nous croirons au discours trompeur qui voudrait que nous appartenions à une classe moyenne stable, insensible aux risques professionnels, plus l'apathie sera grande et moins nous serons conscients que nous devons effectivement continuer à nous battre pour nos droits en tant que travailleuses et travailleurs.

Selon la région du monde où l'on vit, les conditions d'emploi peuvent sembler meilleures ou pires. Mais ce dont je ne doute pas, c'est qu'il est toujours possible de les améliorer : par exemple, lorsqu'il s'agit de formaliser un emploi (pour lequel il est essentiel que les travailleurs s'organisent) ; ou de plaider en faveur d'un travail décent ; d'une rémunération adaptée à la formation et au niveau de vie du pays dans lequel on vit ; de meilleures conditions de travail... d'une semaine de travail de moins de 40 heures (objectif qui nous unit à une grande partie des jeunes).

Face à ces défis et à cette réalité, il est nécessaire de répartir les responsabilités. Nous ne pouvons pas faire porter tout le poids aux jeunes. Nous ne pouvons pas espérer nous organiser si nous ne disposons pas de syndicats qui nous écoutent, qui nous incluent, qui nous intègrent réellement dans leurs structures. Je voudrais ici m'adresser plus particulièrement à nos collègues les plus expérimentés : je serais tentée de comparer le modèle syndical actuel à un arbre dont les racines se sont affaiblies. Peut-être voyons-nous encore aujourd'hui des feuilles vertes, peut-être le tronc semble-t-il solide, mais si l'on ne prend pas soin de ce qui se trouve dans le sol – favorisant ainsi le dialogue et le renouvellement intergénérationnel –, l'arbre tout entier s'affaiblira inexorablement et finira par tomber.

Et c'est exactement ce qui est en train de se produire. Beaucoup de syndicats ne se rendent pas compte que, sans jeunes dans leurs rangs, ce modèle est voué à disparaître. Le taux de syndicalisation des jeunes ne cesse de baisser. Si des dispositions ne sont pas prises rapidement, ce qui semble aujourd'hui être une crise deviendra une extinction annoncée. Il est du devoir des syndicats non seulement de défendre et d'obtenir des droits pour tous les travailleurs, mais aussi de mobiliser, d'organiser, de former et de donner une voix et des espaces réels aux nouvelles générations. Car pour nous, les plus jeunes, il est important de comprendre pourquoi un syndicat reste, aujourd'hui encore, notre outil le plus puissant pour lutter en faveur du travail décent, des droits des travailleurs et des droits syndicaux pour tous. D'où l'importance de considérer ce syndicat comme le nôtre, celui de tous les jeunes.

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