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19.02.2025 à 10:04

Exposer la pollution industrielle : 10 questions à Stéphane Horel

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Au cours d'une carrière de plus de vingt ans, Stéphane Horel, journaliste d'investigation au Monde, a su allier la rigueur scientifique à une approche créative, et parfois humoristique, pour enquêter sur l'environnement et notamment la pollution industrielle.
Texte intégral (2963 mots)

Les enquêtes sur l’environnement suscitent un intérêt grandissant depuis quelques années. La journaliste d’investigation Stéphane Horel, qui travaille pour le journal Le Monde, s’intéressait déjà à l’exposition à la pollution, aux pesticides et aux produits toxiques quand ces sujets n’étaient pas considérés comme une matière à enquête suffisamment “noble”.

Membre d’ICIJ depuis 2024, Stéphane Horel enquête également sur la désinformation scientifique et l’influence des lobbies. En plus de vingt ans de carrière, celle qui considère l’investigation comme “sa nature” a récolté de nombreux prix pour ses enquêtes (Prix Louise Weiss du journalisme européen et Prix de la journaliste scientifique européenne de l’année 2024 pour l’enquête cross-broder “Forever Pollution Project” qu’elle a coordonné ; European Press Prize de l’investigation en 2018 pour l’enquête “Monsanto Papers”, co-signée avec Stéphane Foucart dans Le Monde…).

Si ses enquêtes sont d’une grande rigueur scientifique, l’ancienne étudiante en littérature russe qui aime faire du collage à ses heures perdues – on peut en retrouver certains en couverture de ses livres – revendique une approche créative de l’investigation, avec une écriture soignée et, pourquoi pas, de l’humour.

Stéphane Horel, European Science Journalist of the Year 2024

Pour son travail sur le projet Forever Pollution, Stéphane Horel a été reconnue comme Journaliste scientifique européen de l’année 2024. Image : Capture d’écran, EFSJ

GIJN: De toutes les enquêtes que vous avez menées, sur laquelle avez-vous préféré travailler, et pourquoi ?

Stéphane Horel: L’enquête préférée, c’est toujours celle que l’on vient de faire parce que le cœur et l’esprit y sont encore. Entre les projets #ForeverPollution Project et #ForeverLobbying Project, cela fait trois ans que je travaille sur la pollution créée par les PFAS, les polluants éternels, et j’ai adoré cela. C’était la première fois que je travaillais sur la pollution industrielle et cela a été fascinant de rendre visible un sujet qui, jusque-là, était aussi invisible que la pollution elle-même. Avec notre carte publiée en février 2023 qui a révélé l’étendue de la contamination aux PFAS en Europe, nous avons contraint l’opinion à se rendre compte de la gravité de la pollution industrielle et de l’absence de réglementation qui permet à la situation d’exister. Il y a donc cette grande source de satisfaction pour toute l’équipe d’avoir œuvré pour l’intérêt général et d’avoir sorti le sujet du rayon environnement pour le propulser au niveau politique et européen.

La façon de faire a aussi été passionnante. Le fait de coordonner une enquête cross-border était nouveau pour moi. C’est comme si on constituait une petite rédaction opérationnelle sur un sujet : il faut créer l’adhésion d’un groupe de journalistes qui, pour la plupart, ne se connaissent pas, sont de cultures différentes, le tout alors que l’on n’a aucun lien hiérarchique avec eux. Cela a été un défi professionnel et humain qui m’a beaucoup plu.

Et puis il y a eu plein de choses à inventer pour cette enquête, notamment comment intégrer les spécialistes et les scientifiques pour produire l’information la plus solide tout en ayant un processus éditorial indépendant. C’est ce qu’on a  appelé l’expert-reviewed journalism”, du journalisme appuyé par des spécialistes.

GIJN: Quels sont, selon vous, les plus grands défis en termes de journalisme d’investigation en France ?

Stéphane Horel: Je me sens presque indécente de me plaindre de certaines conditions de travail par rapport aux journalistes qui travaillent sur les questions environnementales dans les pays d’Amérique latine ou d’Asie où le risque c’est plutôt de se retrouver avec une balle dans la tête que d’avoir affaire à un interlocuteur désagréable d’une entreprise.

Jusqu’à présent, quand on m’interrogeait sur d’éventuelles pressions, je répondais en rigolant : ‘Jamais, je travaille tranquillement chez moi en chaussons roses’. Sauf que sur cette enquête-là, où des centaines de milliards d’euros sont en jeu, la question de la sécurité s’est posée pour la première fois de ma vie. Il y a eu des tentatives d’intrusion à mon domicile, le vol d’un sac dans un café…  Il s’agit peut-être de coïncidences mais j’ai porté plainte et le journal a fait un signalement au parquet. Cela ne m’empêche pas de continuer à faire mon travail mais ce n’est pas confortable.

Pour ce qui est du journalisme d’investigation en France, il y a un problème de valorisation. Il faut savoir que l’on est un des seuls pays d’Europe sans association de journalistes d’investigation et cette absence de réflexion collective et professionnelle est un grand manque. On est dans un contexte culturel où le journalisme de reportage, avec une forte dimension littéraire, est davantage mis en valeur, d’ailleurs le plus prestigieux prix de journalisme en France, le Prix Albert Londres, récompense ce type de journalisme. Il y a aussi une tendance, en France, à associer le journalisme d’enquête au politico-financier. Du coup, ce n’est pas facile de convaincre les rédactions d’accorder de l’importance à d’autres sujets d’enquête… avec le temps que cela nécessite pour mettre à jour des problèmes systémiques comme la pollution industrielle, par exemple.

GIJN: Quel a été le plus grand défi auquel vous avez été confronté en tant que journaliste d’investigation ?

Stéphane Horel:  Jusqu’à récemment les sujets sur lesquels je travaille (les pesticides, l’exposition aux produits chimiques…) n’étaient pas considérés comme des sujets d’enquête. En 2008, quand j’ai écrit mon premier livreLa Grande invasion. Enquête sur les produits qui intoxiquent notre vie quotidienne”, le sujet était inexistant hors des milieux scientifiques. Parce que c’était perçu comme un sujet “conso” et du fait que j’étais une femme, mon éditeur avait d’abord envisagé une couverture très girly. J’avais fait une enquête de fonds en m’appuyant sur toute la littérature scientifique sur les effets de ces substances et c’était reçu comme un sujet “de bonne femme”.

J’ai longtemps été indépendante. Tracer sa route et asseoir sa crédibilité de journaliste d’investigation en travaillant sur des sujets considérés, à tort, comme n’étant pas des sujets d’enquête n’a pas été évident.

GIJN: Quel conseil donneriez-vous pour faire une bonne interview ?

Stéphane Horel: Une interview, c’est une rencontre. On ne peut s’attendre à ce qu’une personne dise des choses intéressantes si on ne s’intéresse pas à elle. Cela m’intéresse de savoir qui est la personne en face de moi, y compris si c’est un lobbyiste qui défend les pesticides. J’essaie d’attraper l’humain derrière la fonction.

Pour les interviews de scientifiques de haut niveau, il ne faut pas aller voir ces gens-là en n’y connaissant rien et en posant des questions de base, c’est une insulte à leur expertise et au peu de temps qu’ils ont. Avant d’interroger un spécialiste, “know your shit” (“connais ton sujet à fond”). Ce travail préalable est une question de respect et il permet aussi d’avoir de vraies discussions de fond avec eux.

GIJN: Y a-t- il un outil, une base de données ou une application que vous utilisez dans le cadre de vos enquêtes ?

Stéphane Horel: C’est plutôt un outil éditorial qui me vient en tête : l’humour. Aborder certaines questions avec de l’humour permet de dégager un sens que l’on ne verrait pas autrement.

Dans l’enquête sur les PFAS, par exemple, on avait créé un document compilant le meilleur des menaces des lobbies industriels qui s’appelait “l’apocalypse sur votre paillasson”. Il y avait des éléments classiques de chantage économique (“on va devoir licencier tant de personnes”) mais, parfois, les industriels vont tellement loin que cela devient risible comme lorsqu’une organisation de lobbying de l’industrie pharmaceutique européenne a affirmé que l’interdiction des PFAS entraînerait l’arrêt de toute la production pharmaceutique en Europe.

L’humour permet non seulement de dégager quelque chose d’intéressant du point de vue éditorial mais il aide aussi à résister à la violence du sujet. Car l’enjeu ce sont tout de même des centaines de milliers de gens qui vont être malades et qui vont mourir. Sans cet humour qui permet d’avoir un peu de recul, il y a de quoi bien déprimer.

GIJN: Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu et quels conseils donneriez-vous à un jeune journaliste d’investigation ?

Stéphane Horel: Pour moi, la clé c’est la confiance. Les gens qui m’ont fait confiance dans ma vie professionnelle, je ne les oublierai jamais parce que faire confiance c’est de l’”empowerment”. C’est grâce à cette confiance-là que j’ai pu trouver ma voie comme journaliste d’investigation.

À présent, quand j’ai la chance de coordonner des enquêtes avec des journalistes de tous âges et de toutes cultures, j’essaie de rendre cette confiance. Et c’est parfois magique de voir des journalistes à qui on laisse l’espace, et qui pour certains n’avaient jamais vraiment fait d’investigation, devenir des piliers du projet en apportant des façons de voir nouvelles.

GIJN: Quel journaliste admirez-vous ?

Stéphane Horel: J’ai une admiration sans bornes pour mon collègue Stéphane Foucart, journaliste au Monde avec qui j’ai travaillé sur les #Monsantopapers et sur un livre d’enquête sur la désinformation scientifique, « Les gardiens de la raison », en 2020. C’est une rencontre intellectuelle et amicale mêlée aussi de reconnaissance car c’est en partie grâce à lui que je suis au journal Le Monde. Son agilité intellectuelle et sa capacité à construire en permanence des compétences scientifiques de très haut vol n’ont de cesse de m’impressionner.

GIJN: Quelle est la plus grande erreur que vous ayez commise et quelles leçons en avez-vous tirées ?

Stéphane Horel: J’ai appris par la pratique que coordonner des projets cross-border n’était pas toujours synonyme de démocratie. Parfois, il faut prendre des décisions qui vont déplaire à une partie de l’équipe et cela va créer des tensions qu’il faut apprendre à gérer. Ce n’est pas être un dictateur que de prendre des décisions dans l’intérêt collectif.

Sur le dernier projet, j’avais créé une tâche collective pour 45 personnes de collecte d’arguments de lobbying de l’industrie mais le résultat  n’a pas été optimal car certains collègues ne comprenaient pas cette approche. Et c’est normal. Tout le monde n’est pas câblé de la même manière. On en revient à la confiance : il faut laisser les gens se déployer dans leurs propres compétences et leur talent.

GIJN: Comment éviter le burnout quand on fait de l’enquête ?

Stéphane Horel: Le burnout est un mal très répandu dans notre profession et dans la société en général. Je me suis déjà retrouvée hospitalisée en soins intensifs en grande partie liée à un cumul de stress professionnel et personnel. J’avais explosé, c’était trop. J’adore mon travail et je travaille encore beaucoup trop aujourd’hui mais désormais je suis vigilante. J’ai un message sur mon frigo qui dit : “tu es aussi importante que ton travail”.

Un de mes garde-fous est que jusque dans la dernière ligne du bouclage, je me réserve un jour par semaine pendant lequel je ne travaille pas du tout. La coordination d’une enquête est une grande charge mentale et ce jour-là je vois des amis ou je m’effondre sur mon canapé pour lire mais je ne prends aucune décision.

GIJN: Y a-t-il des aspects du journalisme d’investigation que vous trouvez frustrants et que vous aimeriez voir évoluer ?

Stéphane Horel: Le journalisme cross-border et l’intelligence collective, c’est passionnant mais je pense qu’il y a une tendance à trop multiplier les projets. Cela conduit à faire des enquêtes moins approfondies et qui, du coup, ne valent pas cet épuisement. Je pense notamment aux journalistes freelances qui se retrouvent à mener de front trois ou quatre enquêtes en même temps. Mais le même problème se pose en rédaction où être monomaniaque sur une enquête pendant plusieurs mois n’est pas une pratique très répandue.


Alcyone Wemaere est la responsable francophone de GIJN et une journaliste française, basée à Lyon depuis 2019. Elle est une ancienne journaliste de France24 et Europe1, à Paris. Elle est professeure associée à Sciences Po Lyon, où elle est coresponsable du master de journalisme, spécialité data et investigation, créé avec le CFJ.

31.01.2025 à 16:19

Webinaire GIJN : Enquêter sur les combustibles fossiles

Maxime Domegni
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Dans ce webinaire du GIJN, les journalistes apprendront les stratégies clés pour fouiller l'industrie des combustibles fossiles, guidés par les idées du Guide d'enquête sur les combustibles fossiles de GIJN, qui sera publié prochainement. Un panel de journalistes experts - tous auteurs de chapitres du guide - partageront leurs expériences et leurs outils pour exposer le rôle de l'industrie dans la crise climatique, enquêter sur les entreprises privées et publiques, analyser les politiques de régulation et évaluer la crédibilité des solutions climatiques proposées. Que vous soyez novice en la matière ou que vous cherchiez à approfondir votre expertise, cette session vous fournira des conseils pratiques pour réaliser des enquêtes percutantes sur l'une des questions les plus urgentes au monde.
Texte intégral (822 mots)

L’industrie fossile joue un rôle central dans la crise climatique, puisqu’elle représente plus de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 90 % des émissions de dioxyde de carbone. Malgré les engagements internationaux en faveur d’émissions nettes nulles, la consommation de pétrole, de gaz et de charbon continue d’augmenter, sous l’impulsion d’un réseau concentré d’entreprises influentes et d’entités publiques. Enquêter sur cette industrie complexe et opaque est une tâche essentielle pour les journalistes qui cherchent à découvrir les intentions cachées, les campagnes d’écoblanchiment et l’impact réel de la production de combustibles fossiles sur les communautés vulnérables.

Dans ce webinaire GIJN, les journalistes apprendront des stratégies clés pour enquêter sur l’industrie fossile, guidés par les idées du Guide d’enquête sur les combustibles fossiles de GIJN, qui a été soutenu par JournalismFund Europe. Un panel de journalistes experts – tous auteurs du guide – partageront leurs expériences et leurs outils pour exposer le rôle de l’industrie dans la crise climatique, enquêter sur les entreprises privées et publiques, analyser les politiques de régulation et évaluer la crédibilité des solutions climatiques proposées. Que vous soyez novice en la matière ou que vous cherchiez à approfondir votre expertise, cette session vous fournira des conseils pratiques pour réaliser des enquêtes percutantes sur l’une des questions les plus urgentes au monde.

Megan Darby est rédactrice et stratège au sein du programme Énergie de l’IISD (International Institute for Sustainable Development). Avant de rejoindre l’organisation, elle était rédactrice en chef de Climate Home News, un média indépendant primé, spécialisé dans la politique internationale et la diplomatie de la crise climatique.

Geoff Dembicki est un journaliste d’investigation sur le changement climatique originaire de l’Alberta, au Canada, où se trouvent les plus grands gisements de sables bitumineux du monde. Il contribue régulièrement à DeSmog. Son travail a permis de dévoiler l’influence de l’industrie sur les politiques climatiques et de mettre en lumière les conséquences des pratiques incontrôlées des entreprises.

Fermín Koop est un reporter argentin spécialisé dans l’environnement et le changement climatique. Basé à Buenos Aires, il est rédacteur en chef pour l’Amérique latine à Dialogue Earth. Il est cofondateur de Claves21, un réseau de journalistes environnementaux en Amérique latine, et professeur de journalisme à l’université.

La modératrice est Amy Westervelt, journaliste d’investigation primée et fondatrice de Drilled, un podcast et un média qui dévoile le rôle de l’industrie fossile dans la désinformation climatique et l’écoblanchiment. Elle s’attache à tenir les entreprises et les gouvernements responsables de leur impact sur l’environnement.

Surveillez nos fils X (ex Twitter) @gijnAfrque et gijnFr ainsi que notre bulletin d’informations pour obtenir des informations sur les événements à venir.

Inscrivez-vous au webinaire ici !

Date : Jeudi 20 février 2025
Heure : 14:00 GMT / 15:00 CET – Heure correspondante dans ma ville ?

13.01.2025 à 16:40

Webinaire GIJN : Comment acquérir gratuitement des images satellite pour vos enquêtes (replay)

Maxime Domegni
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Ce webinaire du GIJN réunit d'éminents experts qui partageront des conseils pratiques et des astuces pour naviguer dans ce domaine souvent impressionnant. Les participants apprendront les meilleures plateformes et techniques pour obtenir des images gratuites, les stratégies d'analyse et de traitement des données, ainsi que les considérations éthiques à prendre en compte lors de l'utilisation de ces images dans le cadre d'enquêtes. Que vous cherchiez à suivre la déforestation, à documenter l'expansion urbaine ou à enquêter sur des conflits géopolitiques, ce webinaire vous permettra d'acquérir les compétences nécessaires pour démarrer.
Texte intégral (826 mots)

L’imagerie satellitaire est devenue cruciale pour le journalisme d’investigation, offrant des outils puissants pour découvrir des histoires cachées, surveiller les changements environnementaux et dénoncer les violations des droits de l’homme. Mais l’accès aux images satellite peut s’avérer coûteux et complexe. Heureusement, une série de ressources et de stratégies gratuites rendent aujourd’hui ces informations inestimables plus accessibles que jamais. Au cours de ce webinaire organisé par GIJN le 27 janvier 2025 des journalistes ont montré comment exploiter les images satellite gratuites pour améliorer leurs enquêtes.

Ce webinaire de GIJN a réuni d’éminents experts qui ont partagé des conseils pratiques et des astuces pour naviguer dans ce domaine dans lequel on peut facilement se perdre. Les participants ont appris les meilleures plateformes et techniques pour obtenir des images gratuites, les stratégies d’analyse et de traitement des données, ainsi que les considérations éthiques à prendre en compte lors de l’utilisation de ces images dans le cadre d’enquêtes. Que vous cherchiez à suivre la déforestation, à documenter l’expansion urbaine ou à enquêter sur des conflits géopolitiques, ce webinaire permet d’acquérir les compétences nécessaires pour démarrer.

Yao Hua Law (slides):

Carl’s slides:

Carl Churchill est journaliste au Wall Street Journal, où il couvre les enquêtes basées sur les données. Il a utilisé l’imagerie satellitaire pour révéler des informations cruciales sur les crises environnementales, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les zones de conflit mondial. Carl Churchill apporte une grande expérience dans l’intégration d’outils géospatiaux dans les investigations.

Voici sa présentation : https://docs.google.com/presentation/d/1ZNpllkAkbyhcb5UsEWSKWbqHvLqXURDV/edit#slide=id.p1

Yao Hua Law est un journaliste malaisien primé qui a réalisé de nombreuses enquêtes sur les questions environnementales et agricoles. Son travail intègre souvent l’imagerie satellite pour suivre la déforestation, l’utilisation illégale des terres et l’impact de l’activité humaine sur les écosystèmes fragiles. Son expertise consiste à faire en sorte que les histoires centrées sur les données trouvent un écho auprès des publics locaux et mondiaux.

Voici sa présentation : https://www.canva.com/design/DAGdGxUxSHA/XxkBBcNXcJOaQnJnKerA9Q/view?utm_content=DAGdGxUxSHA&utm_campaign=designshare&utm_medium=link2&utm_source=uniquelinks&utlId=he9dd89cf8e

Laura Kurtzberg est spécialiste de la visualisation de données, cartographe et développeuse d’applications d’informations, avec un intérêt particulier pour les sujets environnementaux. Elle a enseigné la visualisation de données à l’Université internationale de Floride et a été ingénieur d’application à Descartes Labs, où elle s’est spécialisée dans l’analyse géospatiale et le traitement de l’imagerie satellitaire. Forte d’une grande expérience dans l’exploitation des données pour raconter des histoires passionnantes, Mme Kurtzberg a travaillé sur des projets innovants qui rendent des ensembles de données complexes accessibles et exploitables pour les journalistes et les chercheurs.

Voici sa présentation :  https://pitch.com/v/getting-satellite-imagery-gijn-nufb38

La modératrice est Manuela Andreoni, correspondante en chef de Reuters au Brésil.

Surveillez notre fil Twitter @gijnAfrique et @gijnFr et notre newsletter pour plus de détails sur les événements à venir.

16.12.2024 à 12:39

La traite des esclaves cachée en Suisse, des migrants « abandonnés » dans le désert en Afrique du Nord et un scandale sexuel religieux : les meilleures enquêtes de 2024 en français

Alcyone Wemaere
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De la France à la Côte d'Ivoire, de la Suisse au Sénégal, voici huit des meilleures enquêtes publiées dans les médias francophones cette année.
Texte intégral (3643 mots)

De la France à la Côte d’Ivoire, de la Suisse au Sénégal, voici huit des meilleures enquêtes publiées dans les médias francophones cette année.

Les enquêtes qui ont retenu notre attention cette année témoignent de la diversité qui existe dans le monde du journalisme d’investigation francophone. Une diversité, de forme, d’abord : les enquêtes numériques, vidéo et podcast sont désormais la norme, alors que la presse écrite semble perdre sa domination.

Quant au fond, les sujets que les médias choisissent de couvrir sont également très variés : des questions sociales aux malversations financières et environnementales, des enquêtes sur des événements historiques à celles qui portent sur des conflits à l’étranger.

L’utilisation du data  ainsi que d’outils et de techniques open source est désormais très répandue, tandis que le journalisme transfrontalier et collaboratif réussit de mieux en mieux à révéler des histoires locales pertinentes. Vous trouverez ci-dessous les huit articles qui ont le plus impressionné l’équipe francophone de GIJN cette année. Bonne lecture !

Afrique du Nord — Enquête ‘Desert Dumps’

Cette enquête d’un an menée par une équipe de plus de 30 journalistes d’Enass, Inkyfada, Le Monde, Lighthouse Reports et d’autres médias internationaux a mis au jour des pratiques d’arrestation et de déportation mises en œuvre par trois pays d’Afrique du Nord, qui sont soutenues et financées par l’Union européenne. Les migrants ont été refoulés et abandonnés dans des zones désertiques ou montagneuses reculées du Maroc, de la Mauritanie et de la Tunisie afin de les empêcher d’atteindre la mer Méditerranée. Selon l’enquête, cette situation a laissé une population vulnérable « sans assistance, sans eau ni nourriture, exposée au risque d’enlèvement, d’extorsion, de torture, de violence sexuelle et, dans le pire des cas, de mort ».

S’il existe peu d’images de ces opérations, les journalistes ont pu analyser des dizaines de photographies, de vidéos et de témoignages pour documenter ces opérations et en géolocaliser plusieurs. Ces opérations sont financées par l’argent de l’UE, où la migration est devenue une question politique brûlante ces dernières années. Depuis 2015, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie ont reçu plus de 400 millions d’euros (425 millions de dollars) pour la gestion des frontières. “Les Etats européens ne veulent pas avoir les mains sales. Ils sous-traitent donc à des Etats tiers des violations des droits de l’Homme” a déclaré un professeur de droit interrogé par Le Monde.

Selon les journalistes, les fonctionnaires européens ont toujours nié que les fonds soient utilisés pour des projets qui violent les droits fondamentaux, mais deux sources européennes de haut rang ont déclaré qu’il était « impossible » de rendre pleinement compte de la manière dont les fonds européens étaient, au final, utilisés.

Côte d’Ivoire – Enquête aux frontières dans un contexte de menaces terroristes 

Image : Capture d’écran, Eburnie Today.

En Afrique de l’Ouest, la propagation du terrorisme du nord du Sahel à la côte du sud s’est également accompagnée de restrictions sévères de la liberté de la presse, rendant presque impossible le travail indépendant des journalistes dans de nombreux endroits. Dans ce contexte, des journalistes de Côte d’Ivoire ont pu publier une série d’enquêtes dans le nord du pays, une région gravement touchée par le terrorisme. Ces sujets de fond couvrent des sujets sensibles tels que le vol de bétail, le manque d’emplois, le trafic de carburant et la manière dont la porosité des frontières peut contribuer à la propagation du terrorisme et exacerber d’autres problèmes.

Cette série de cinq reportages collaboratifs, sous forme écrite et de podcast, a été menée par le site d’investigation ivoirien Eburnie Today. L’équipe a mobilisé – avec le soutien d’une ONG partenaire – 20 reporters qui ont utilisé des techniques d’investigation traditionnelles basées sur le contact direct avec les sources et la recherche sur le terrain.

Suisse — La traite des esclaves : la face cachée de l’histoire suisse

 

Image: Screenshot, RTS

« Nos esclaves », la série de podcasts en huit épisodes de la chaîne publique suisse RTS, plonge dans l’une des périodes les plus sombres du passé de la Suisse, en racontant l’histoire des commerçants, financiers, soldats, colons, travailleurs et même des autorités fédérales suisses impliqués dans “l’abominable trafic” d’esclaves. Pendant deux ans, le journaliste Cyril Dépraz a voyagé de la Suisse à l’ancien port négrier de Nantes et à la ville brésilienne d’Helvécia.

Grâce à des recherches dans les archives et à l’éclairage d’historiens, le podcast a mis à jour tout un système lié à l’économie de l’esclavage. Des moments forts du podcast interviennent lorsqu’un historien recense les traces fragiles de la vie d’une femme esclavagisée comme celle de Pauline Dubuisson, morte en Suisse en 1826 ou lorsqu’une descendante d’une autre femme réduite en esclavage au Brésil tente de se souvenir de son arrière-arrière-grand-mère, enlevée en Angola. Le podcast n’aurait pas pu être réalisé il y a une génération, car comme le souligne Bouda Etemad, l’un des historiens interrogés: « Personne ne parlait de la Suisse coloniale il y a 15 ans ».

Sénégal — Enquête sur les trafics de rendez-vous pour les visas

Au Sénégal, la difficulté de demander un visa de courte durée pour l’espace Schengen en Europe, les Etats-Unis ou le Canada a créé un marché noir des rendez-vous pour les visas. Cette situation a même provoqué des manifestations de rue à Dakar et a incité deux reporters à mener une enquête pour comprendre le phénomène.

En s’adressant directement à une grande variété de sources, y compris les demandeurs de visa, les intermédiaires qui proposent d’aider les demandes de visa à passer la file d’attente en échange d’une rémunération, et les consuls français et américain, les reporters ont pu révéler, par exemple, comment certains intermédiaires facturaient jusqu’à 500 dollars américains simplement pour prendre un rendez-vous. Les reporters se sont également infiltrés, se faisant passer pour des demandeurs de visa et sollicitant les services de l’une des agences les plus réputées de la ville pour ces services – une tactique qui leur a permis de recueillir des preuves de première main.

Peu d’enquêtes locales approfondies ont exposé les obstacles auxquels sont confrontés les voyageurs potentiels de manière aussi détaillée, ou avec des preuves aussi convaincantes des coûts supportés par les personnes concernées.

France — La chute de l’Abbé Pierre, prêtre humanitaire

Image: Shutterstock

Lorsque le prêtre français connu comme « l’Abbé Pierre » est mort en 2007 à l’âge de 94 ans, le quotidien de gauche Libération a titré « Saint domicile fixe » sur sa page de Une. Ce statut d’icône a rendu encore plus choquante la publication, en juillet dernier, d’un rapport indépendant commandé par les deux associations caritatives qu’il avait fondées, qui révélait que plusieurs femmes avaient formulé des allégations crédibles d’agression ou de harcèlement sexuels à son encontre entre 1970 et 2005.

Grâce à l’accès à des documents inédits, notamment un carnet, des lettres et des témoignages, Libération a révélé, quelques semaines après le rapport officiel, que l’Église catholique et l’une des organisations caritatives de l’abbé Pierre étaient au courant de son comportement prédateur depuis des décennies. Une autre enquête réalisée par Radio France a permis de mettre à jour des lettres dans lesquelles le prêtre est qualifié d’« homme très malade » dès 1958 par un ecclésiastique important. Il a également montré des extraits de lettres écrites par l’abbé Pierre lui-même, dans lesquelles il semble menacer ceux qui ont osé le confronter.

D’autres victimes de l’ecclésiastique s’étant manifestées, l’Église catholique a décidé d’ouvrir ses archives sans attendre le délai habituel de 75 ans après la mort. Quant à la fondation qui porte son nom, elle a décidé d’en changer.

Régional — « Burning Skies » et l’Afrique

Image: Capture d’écran, Environmental Investigative Forum

 

L’enquête collaborative, Burning Skies, a été menée par plus d’une douzaine de médias qui ont enquêté sur des entreprises impliquées dans le torchage de gaz dans le monde entier. Le torchage du gaz, qui consiste à brûler le surplus de gaz naturel associé à l’extraction du pétrole, peut être très impopulaire en raison des préoccupations liées à l’impact sur la santé des populations avoisinantes. Pour parvenir à leurs révélations, les médias ont exploité des données spatiales non publiées, provenant de SkyTruth, et d’autres types d’informations, combinées à des récits de première main provenant de sources.

Ce projet fait suite à une enquête similaire menée à la fin de l’année dernière par l’Environmental Investigative Forum et ses partenaires médiatiques, dont InfoCongo au Cameroun, qui a révélé que le torchage de gaz est pratiqué dans plusieurs localités en Afrique, tous liés à un opérateur pétrolier et gazier européen géant. Au Cameroun et au Gabon, deux des principaux pays du bassin du Congo, cette pratique est strictement réglementée et réservée à des situations exceptionnelles. La société en question a déclaré aux journalistes qu’elle « adhère à toutes les réglementations locales et aux normes internationales les plus élevées ».

Émirats arabes unis – Dubaï Unlocked

Dubai Unlocked

Image: Capture d’écran, OCCRP

Dubaï est devenu la destination favorite de nombreuses personnes parmi les plus riches du monde, mais c’est aussi un refuge populaire pour les Africains politiquement exposés qui investissent dans l’immobilier dans les quartiers huppés de ce pays du Golfe. Le secret qui entoure ces flux d’argent rend les choses extrêmement compliquées pour les journalistes. Mais cette année, grâce à une collaboration avec l’organisation à but non lucratif américaine C4ADS, DataCameroon et Inkyfada ont eu accès à une base de données sur les investissements étrangers à Dubaï et ont passé plusieurs mois à mener des enquêtes supplémentaires sur le terrain pour fournir un contexte sur les actifs de ces personnes.

DataCameroon a pu identifier 72 personnalités de premier plan originaires de cinq pays d’Afrique centrale – le Cameroun, le Gabon, le Tchad, le Congo et la République centrafricaine – dont beaucoup possèdent des biens immobiliers d’une valeur de plusieurs millions de dollars. En Algérie, pays où la loi interdit aux citoyens d’accumuler des actifs monétaires ou financiers à l’étranger, Twala Info a pu identifier des centaines de résidents algériens posséderaient des actifs à Dubaï, dont le PDG d’une société holding publique, un ancien ministre, le fils d’un ancien dirigeant d’une société pétrolière et gazière publique et un magnat de la presse.

Cisjordanie — Révéler une stratégie de violence à distance

Depuis les attentats terroristes du Hamas d’octobre 2023, le monde a suivi de près la riposte israélienne à Gaza et au Liban. Mais cette enquête aborde un autre aspect du conflit : la violence des colons israéliens à l’encontre des Palestiniens en Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967. Les journalistes rapportent que la violence contre les Palestiniens y a atteint un niveau record en 2023, avant même l’attaque du Hamas en octobre.

Produit par CAPA pour la chaîne de télévision franco-allemande ARTE, le magazine d’investigation numérique Source a utilisé des bases de données ouvertes et des vidéos authentifiées postées sur les réseaux sociaux pour documenter les incidents violents filmés par des habitants palestiniens et des militants pacifistes israéliens. Ils ont également géolocalisé les lieux où se sont déroulées les exactions présumées. La carte de ces attaques répertoriées correspond à une carte documentant l’emplacement des nouveaux avant-postes israéliens en Cisjordanie. L’enquête explique en détail comment 26 colonies ont été créées au cours de la seule année 2023, bien que cela soit interdit par le droit international et israélien.

L’enquête se concentre sur un colon israélien spécifique qui fait l’objet de sanctions américaines et européennes pour ses actes de violence à l’encontre des Palestiniens.


Alcyone Wemaëre est la responsable francophone de GIJN et une journaliste française, basée à Lyon depuis 2019. Elle est une ancienne journaliste de France24 et Europe1, à Paris. Elle est professeure associée à Sciences Po Lyon, où elle est coresponsable du master de journalisme, spécialité data et investigation, créé avec le CFJ.

Maxime Koami Domegni est le responsable Afrique francophone de de GIJN et un journaliste d’investigation primé. Il a travaillé comme rédacteur en chef du journal togolais L’Alternative et pour la BBC Africa en tant que journaliste producteur et planificateur de magazines pour l’Afrique francophone. Il a aussi collaboré avec la RNW Media pour la version française de son site « This Is Africa ».

Aïssatou Fofana est l’assistante éditoriale du programme de GIJN pour l’Afrique francophone. Basée à Abidjan, en Côte d’Ivoire, elle est également blogueuse et journaliste indépendante avec une solide expérience en journalisme environnemental. En tant qu’entrepreneuse dans le domaine des médias, elle a récemment cofondé un média en ligne, L’écologiste, afin d’amplifier l’information environnementale.

22.11.2024 à 11:02

Féminicides, COVID-19 : Comment le data-journalisme révolutionne la gouvernance en Afrique

Banjo Damilola 
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#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d'investigation en Afrique. Dans cet article, la journaliste du Nigeria, Banjo Damilola, évalue l'impact du data-journalisme sur le continent pour mettre les gouvernants devant leurs responsabilités, notamment sur les féminicides au Kenya par exemple, et relève les nombreux obstacles et défis du secteur.
Texte intégral (3659 mots)

#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Dans cet article, la journaliste du Nigeria, Banjo Damilola, évalue l’impact du data-journalisme sur le continent pour mettre les gouvernants devant leurs responsabilités, notamment sur les féminicides au Kenya par exemple, et relève les nombreux obstacles et défis du secteur.

Début 2024, le studio de données Odipo Dev, basé à Nairobi, s’est associé au collectif de data-journalisme Africa Data Hub pour comprendre l’épidémie continue de féminicides au Kenya. Dans le cadre du projet, appelé Silencing Women (Réduire les femmes au silence), les deux groupes ont créé une base de données historique qui regroupe les noms et circonstances du décès de plus 500 femmes victimes de violence domestique dans le pays entre 2016 et 2023.

“Lorsque nous avons publié la base de données, nous avons constaté que nos conclusions démystifiaient ce qui était dit sur ces femmes”, déclare Felix Kiprono, responsable des médias chez Odipo Dev. Il explique que les données réfutaient pour la première fois, grâce à des statistiques, l’hypothèse selon laquelle les victimes se mettaient elles-mêmes en danger. “Nous avons constaté que 75 % (sur les 500 cas) des femmes sont tuées par leur mari ou leur compagnon.”

Le travail réalisé dans le cadre du projet a eu un impact presque immédiat sur le système judiciaire du pays. Quelques mois seulement après le lancement du projet, une présidente du tribunal au Kenya a fait référence à la base de données Silencing Women en déterminant la peine d’un homme jugé coupable du meurtre d’une femme d’affaires assassinée à son domicile en 2018.

Pour Kiprono, c’est juste un exemple qui illustre tous les efforts déployés pour que les dirigeants au Kenya rendent des comptes. “Les données révèlent bien des choses”, ajoute-t-il. “Elles permettent de mieux comprendre une situation. Elles servent de point de référence. Lorsque vous les compilez, il se passe quelque chose. Vous commencez à avoir une vue d’ensemble.”

Le projet Silencing Women n’est certainement pas un phénomène à part. Sur tout le continent, le data-journalisme a également beaucoup de succès et devient rapidement un outil puissant source de transparence, de redevabilité et d’impact social. Pourtant, en Afrique, le data-journalisme se heurte encore à de nombreux obstacles, notamment le manque d’accès à des informations fiables, surtout auprès des gouvernements répressifs, la nécessité de former davantage de personnes pour enrichir la base de connaissances de la génération actuelle de journalistes, et également de la suivante, et un manque de soutien financier pour alimenter ce secteur.

Africa Data Hub Silencing Women project on femicide

Le projet « Silencing Women » a été le premier à étudier de manière exhaustive les données sur les féminicides en Afrique, et ses informations ont depuis été utilisées pour déterminer les peines d’emprisonnement des personnes reconnues coupables d’avoir tué des femmes. Image : Capture d’écran, Africa Data Hub

Comment l’épidémie de COVID-19 a transformé le data-journalisme en Afrique

La pandémie de COVID-19 a été un tournant pour de nombreuses plateformes de data-journalisme en Afrique. Pour The Outlier, un site basé en Afrique du Sud, elle a marqué l’essor de ses enquêtes basées sur des données. “Nous n’avions rien d’autre à faire”, se rappelle Alastair Otter, co-fondateur du projet. Nous avons donc commencé à créer des tableaux de bord pour suivre l’impact de la pandémie.

Ces tableaux de bord sont devenus une source cruciale d’informations pour les Sud-Africains, en proposant des bulletins d’informations hebdomadaires qui replaçaient en contexte les chiffres du gouvernement et indiquaient les taux d’hospitalisation, de décès et de vaccination. Ils collectaient et interprétaient des données pour indiquer les variations et les tendances, mais également pour surveiller les interventions du gouvernement et la mise en œuvre des programmes d’aide.

Ces informations étaient alors gratuitement mises à la disposition d’autres organes de presse qui les utilisaient dans le cadre de leurs enquêtes. Otter ajoute qu’ils avaient généré environ 40 graphiques pour toute l’Afrique du Sud, aux niveaux national et provincial, et que l’équipe avait collecté des dons d’une valeur d’environ 120 000 rands (l’équivalent de 6 700 dollars américains) pour couvrir les coûts de stockage. (The Outlier a cessé d’actualiser le tableau de bord en 2022, mais a publié un récapitulatif de deux années de visualisations de données sur le COVID-19 dans son article Deux années de coronavirus en Afrique du Sud (Two Years of Coronavirus in South Africa).)

“Les données sont un allier très puissant”, ajoute Otter. “Je ne dis pas qu’elles sont toujours justes, car elles peuvent être déformées, mais si elles sont traitées correctement et de manière responsable, elles peuvent donner à ceux qui les utilisent les moyens de faire avancer les choses.” (Note de la rédaction : Alastair Otter a travaillé pour GIJN de 2018 à 2022.)

Alors que The Outlier a commencé à exploiter des données pendant la pandémie, d’autres plateformes de données en Afrique tiraient déjà parti de leur expertise en matière de traitement de vastes ensembles de données pour aider les gens à mieux comprendre leur nouveau monde. Au Nigeria, Dataphyte a surveillé les fonds d’aide et la distribution de matériel de secours dans tout le pays, Nukta Africa a surveillé l’impact de la pandémie sur plusieurs secteurs, ainsi que le comportement des Tanzaniens face à leur nouvelle réalité, et, via Open Cities Lab, Africa Data Hub a lutté contre la désinformation en utilisant des données, puis développé des outils pour assurer le suivi des cas d’infection et des taux de vaccination.

Africa Women Journalism Project (Projet de journalisme par les femmes en Afrique, AWJP), une plateforme de data-journalisme dirigée par des femmes, qui enquête sur les problèmes dans tout le continent, a réalisé un reportage sur les dépenses publiques liées au COVID-19 au Kenya, en Ouganda et au Nigeria. Le projet a révélé la mauvaise gestion de fonds destinés aux services de santé. Cette enquête basée sur des données a provoqué un tollé et donné lieu à des discussions sur les moyens d’améliorer la transparence des dépenses du gouvernement.

Un des rapports d’AWJP a examiné l’état de préparation des comtés du Kenya face au virus alors que le nombre de victimes était à la hausse et que la deuxième vague touchait le pays. Le rapport, publié en partenariat avec The Star, un site web d’actualités au Kenya, a révélé que les gouvernements des comtés n’étaient pas suffisamment préparés à faire face à une recrudescence des cas de COVID-19. Le rapport avait interrogé les données du Kenya National Bureau of Statistics (Bureau national des statistiques du Kenya) et de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (Institut pour les indicateurs et l’évaluation de la santé, IHME) afin d’établir des projections et de reconstituer des scénarios à l’échelle des comtés.

Le data-journalisme : une ‘science de la décision’

​​Il y a une grande différence entre des données brutes et des informations digestibles et concrètes qui permettent de former des opinions et de prendre des décisions éclairées. Au Nigeria, Dataphyte, un centre de données fondé par Joshua Olufemi, essaie de convertir des données complexes en histoires faciles à comprendre pour aider les Nigérians à prendre des décisions en connaissance de cause. “Le journalisme traditionnel parvient rarement à vulgariser des problèmes complexes”, déclare Olufemi, en ajoutant que Dataphyte change cet état de fait en utilisant des données comme un outil de communication, plutôt que comme un accessoire.

Cette approche permet à l’organisation d’orienter les conversations et elle fournit au public des données précieuses susceptibles d’influencer non seulement l’engagement civique, mais également les points de vue personnels. Cela a été confirmé lorsque l’équipe a utilisé des données historiques pour communiquer des informations clés sur les résultats des élections de 2023 au Nigeria. Olufemi explique que le projet devait s’inscrire dans le cadre d’une réponse à la propagande et aux sondages manipulés utilisés par les hommes politiques pour influencer l’opinion du public avant l’élection.

“Nous ne nous contentons pas de faire des enquêtes, nous apportons des preuves qui permettent d’exiger des dirigeants en place qu’ils rendent des comptes”, dit-il. “Ainsi, pour nous, la science de la décision représente un avantage au niveau local dont bénéficie notre audience lorsqu’elle doit prendre des décisions concernant ses moyens de subsistance, son style de vie et son existence.”

En Tanzanie, Nukta Africa a également adopté la narration basée sur des données. La plateforme, dirigée par Nuzulack Dausen, utilise des visualisations de données et des infographies pour permettre à des communautés qui parlent le swahili de prendre plus facilement connaissance de problèmes complexes liés notamment à la santé publique et à l’éducation.

“Nous avons voulu contribuer à la création d’une société qui peut prendre des décisions basées sur des données”, explique Dausen. “Parfois, nous créons des icônes pour simplifier la visualisation des données qui sont alors plus faciles à comprendre. Il arrive aussi que les icônes disponibles ne reflètent pas non plus notre réalité. Nous concevons donc nos propres icônes pour illustrer ces réalités.”

Par ailleurs, des sites de data-journalisme en Afrique mettent en place des structures garantissant une redevabilité systématique.

Par exemple, Africa Data Hub a créé une extension Chrome qui met en surbrillance les noms associés à des scandales de corruption dès qu’ils apparaissent dans des enquêtes ou des recherches sur le web. Les utilisateurs peuvent cliquer sur ces noms pour accéder aux allégations de corruption à l’encontre de ces personnes, ce qui permet de renforcer les efforts de promotion de la transparence.

The Outlier monitors pit latrines school infrastructure

Le site The Outlier, basé en Afrique du Sud, recueille des données sur les latrines à fosse des écoles et d’autres infrastructures dans le cadre de ses rapports de surveillance. Image : Capture d’écran, The Outlier

The Outlier a fait un travail semblable pour traiter le problème persistant des toilettes à fosse en Afrique du Sud. Après plusieurs incidents très médiatisés liés au décès d’enfants dans ces toilettes extérieures, le président Cyril Ramaphosa a demandé le retrait progressif des toilettes à fosse dans les écoles. Il a donné trois mois au ministère de l’Éducation pour mettre un plan en place, mais l’intervention du gouvernement n’a pas été à la hauteur de ses promesses. En 2021, un tribunal sud-africain a ordonné au gouvernement de supprimer toutes les toilettes à fosse et de les remplacer par des installations modernes, en exigeant des rapports d’avancement trimestriels.

En combinant les données du gouvernement et le travail de terrain, The Outlier surveille les progrès du gouvernement en matière d’amélioration des installations sanitaires et d’autres infrastructures scolaires. Section27, un cabinet d’avocats spécialisé dans les droits humains, utilise ces conclusions pour étayer les preuves nécessaires afin de vérifier les rapports du gouvernement au tribunal.

Autres défis du data-journalisme

Malgré ces avancées, le data-journalisme en Afrique se heurte encore à des obstacles de taille. L’un des plus importants est l’accès à des données fiables. “Les gouvernements limitent souvent l’accès aux données, ce qui complique la tâche des journalistes qui recherchent les informations dont ils ont besoin”, explique Olufemi. Ce manque de transparence est un problème courant qui touche l’ensemble du continent, que les données soient indisponibles, difficiles à obtenir ou qu’elles manquent d’intégrité à l’échelle locale.

Les lacunes en matière de compétences techniques posent également problème. Nombreux sont les journalistes qui n’ont pas la formation requise pour pouvoir analyser et interpréter des ensembles de données complexes. “Nous manquons de data-journalistes qualifiés”, explique Dausen. “Parfois, nous devons faire appel à des sous-traitants qui nous aident à analyser les données, car nos ressources n’ont pas les compétences requises.”

Catherine Gicheru, directrice d’AWJP, explique que les restrictions du gouvernement et le manque de compétences techniques compliquent la tâche des journalistes qui souhaitent réaliser des enquêtes basées sur des données. “Beaucoup de femmes journalistes n’ont tout simplement ni la formation ni le niveau de connaissance des données nécessaires pour se lancer dans des analyses et interpréter les chiffres”, ajoute-t-elle.

Pour surmonter ces obstacles, AWJP, comme bien d’autres plateformes de data-journalisme en Afrique, propose des services de formation et de mentorat en plus des narrations et des enquêtes. AWJP enseigne aux femmes journalistes les compétences nécessaires pour analyser les données, créer des visualisations et réaliser des enquêtes convaincantes via des ateliers et des mentorats individuels. Lorsqu’il est difficile d’accéder aux données, les journalistes d’AWJP font appel à d’autres stratégies, telles que la production participative de données ou la collecte de récits de première main auprès des communautés.

On peut citer, par exemple, le travail d’AWJP sur la violence sexiste au Nigeria, dans le cadre duquel des journalistes ont eu des difficultés à accéder à des données officielles sur des cas signalés, indique Gicheru. Les journalistes ont dû lancer des initiatives locales en collectant des témoignages de femmes et en demandant à la population de participer à la collecte de données qui ne figuraient pas dans les documents du gouvernement.

“En faisant preuve de créativité, il est toujours possible de rassembler et d’utiliser des informations”, ajoute-t-elle.

“L’accès aux informations et la disponibilité des données posent toujours un problème majeur”, ajoute Kamtchang. Il constate qu’en 2024, huit des 29 pays africains bénéficiant de lois en vigueur sur l’accès aux informations sont francophones. “Ces lois n’ont toutefois pas évolué pour s’adapter aux défis que représentent actuellement les données ouvertes”, constate-t-il.

Le data-journalisme n’est donc pas encore très répandu en Afrique francophone. Mais Data Cameroon persévère. Ils proposent régulièrement des bourses pour les écoles de data-journalisme, avec le soutien de partenaires comme le Center for Advanced Defence Studies (Centre supérieur d’études de défense nationale, C4ADS) basé à Washington, DC, une organisation à but non lucratif spécialisée dans les réseaux illégaux à l’échelle mondiale.

“Nous sollicitons l’aide des analystes de données de C4ADS, qui développent les capacités lorsque la bourse est octroyée et soutiennent ensuite ceux qui en bénéficient dans leurs travaux de collecte et d’analyse des données”, explique Kamtchang. Parmi les enquêtes réalisées dans le cadre de ces initiatives de formation, l’une d’entre elles expose les milliards investis par des hommes politiques et hommes d’affaires centrafricains dans des propriétés à Dubaï, ainsi que l’implication de Boko Haram et d’autres groupes armés non étatiques dans des enlèvements dans le bassin du lac Tchad.

Le plus grand défi auquel les rédactions de data-journalisme sont confrontées est sans doute le financement. Alors que ce problème touche l’ensemble du secteur du journalisme, il affecte particulièrement les organes de presse qui s’appuient sur des données. Olufemi, le fondateur de Dataphyte, explique que le financement des enquêtes basées sur des données est insuffisant.

Chez The Outlier, Otter confirme cet état de fait en ajoutant que le financement est un problème persistant. Le data-journalisme nécessite de nombreuses ressources, des outils coûteux, des logiciels et de la formation. Les data-journalistes dépendent essentiellement de subventions et de financement externe pour se maintenir à flot.

“Le data-journalisme présente beaucoup de difficultés”, déclare Otter. “Nous devons trouver des moyens créatifs de générer des revenus, via des formations, des événements ou des collaborations avec des ONG.”


Banjo Damilola est une journaliste d’investigation du Nigeria. Elle a enquêté sur la corruption dans le système judiciaire et documenté les malversations au sein de la police nigériane, des tribunaux et de l’administration pénitentiaire. Elle a reçu une mention élogieuse du Centre Wole Soyinka pour le journalisme d’investigation et a été finaliste du prix 2019 de la Fondation Thompson pour les jeunes journalistes.

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