17.12.2025 à 19:54
Ce guide présente aux journalistes des sources d'information précieuses pour les enquêtes axées sur la Chine ainsi que des méthodes pratiques pour accéder aux meilleurs outils d'enquête.
Pour les journalistes qui couvrent la Chine, exploiter les bases de données en open source pour comprendre le pays est désormais essentiel, et de plus en plus compliqué. A mesure que la Chine devient une super puissance mondiale, avec une population de 1,4 milliards d’habitants et avec la deuxième économie de la planète, d’une valeur de plus de 17 000 milliards de dollars, les activités des entreprises, les politiques publiques et les investissements internationaux ont un impact direct sur les informations rapportées dans toutes les rubriques journalistiques, depuis le monde des affaires jusqu’aux nouvelles technologies, en passant par les droits humains et la sécurité nationale. Vu l’influence dont jouit le pays dans le monde entier grâce à des infrastructures valant des milliers de milliards de dollars, comme la Nouvelle route de la soie (NRS), et à sa présence militaire en pleine expansion, les rédactions du monde entier doivent réaliser des enquêtes approfondies sur les entreprises chinoises, si elles veulent informer leur audience sur les événements qui affectent leur vie au quotidien.
Malgré la demande d’informations fiables sur la Chine, les conditions de travail des journalistes internationaux se sont beaucoup dégradées depuis quelques années. Le contrôle exercé sur les médias chinois spécialisés dans le journalisme d’investigation s’est intensifié à partir de la fin des années 2000, sans parler des pressions commerciales. Quand Xi Jinping est arrivé au pouvoir fin 2012, les dirigeants ont pris des mesures pour asseoir leur contrôle sur les enquêtes plus indépendantes. Ce contrôle exercé sur les médias chinois a été suivi de plus grandes restrictions concernant le travail des médias internationaux, qui s’étaient montrés efficaces pour utiliser des documents officiels, des posts sur les réseaux sociaux ou des archives d’entreprises pour dévoiler, par exemple, la situation patrimoniale de hauts responsables du Parti communiste chinois, ou pour mettre au jour des violations des droits humains dans des régions comme le Xinjiang, où vit la minorité ouïgoure.
La Chine a mis en place deux types d’obstacles pour limiter les enquêtes. D’un côté, les autorités ont pris des mesures pour réprimer l’information à la source, en restreignant l’accès aux bases de données et en réduisant les communications, ainsi qu’en pratiquant une censure d’internet et une surveillance à grande échelle. Des recherches universitaires ont montré que les autorités chinoises s’abstiennent de plus en plus de rendre publics des documents d’orientation officiels — 54,5 % des documents de très grande importance du Conseil des affaires de l’Etat ont été rendus publics en 2022, contre 88 % en 2018. D’un autre côté, on assiste à une campagne concertée pour entraver le travail des journalistes étrangers de manière directe — en les intimidant, ou en les menaçant de retirer leur visa ou de les expulser — ou indirecte, en mettant la population en garde contre tout contact avec des journalistes, et en allant même, dans certains cas, jusqu’à faire pression sur des sources pour qu’elles poursuivent en justice les journalistes qui les ont interviewées avec leur accord. Le harcèlement de journalistes, étrangers notamment, a, dans une certaine mesure, été normalisé, en tenant un discours pétri de nationalisme et de sécurité nationale.
Avec ces restrictions, la Chine renonce de manière systématique aux promesses d’ouverture faites par le gouvernement, et leur mise en oeuvre méthodique a modifié en profondeur les conditions de travail des journalistes étrangers qui enquêtent sur la Chine. En conséquence, ils ont besoin de nouveaux moyens pour réaliser des enquêtes sur le pays, même s’ils ne s’y trouvent pas physiquement.
Dans ce guide, nous présentons aux journalistes des sources d’information précieuses pour enquêter sur la Chine. Nous leur proposons des méthodes pratiques pour accéder à des documents et pour les utiliser, afin de réaliser des enquêtes percutantes et bien sourcées.
Pour les journalistes qui ne sont pas présents en Chine et qui essaient d’enquêter, l’infrastructure particulière d’internet dans le pays s’ajoute aux difficultés. La batterie de moyens de contrôle en cybersécurité appelée “la grande muraille pare-feu”, associée à des mesures strictes se référant à une vague définition de la souveraineté, fait que beaucoup de techniques de recherche habituelles et de méthodologies conventionnelles de renseignement de source ouverte (RSO) s’avèrent globalement inefficaces pour les journalistes. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres contextes autoritaires, où les VPN et autres outils de contournement permettent un accès satisfaisant, le système de censure sophistiqué de la Chine, l’obligation de s’inscrire sous son vrai nom en vertu de la Loi sur la cybersécurité, les mécanismes de blocage géographique et les contrôles d’accès selon les plateformes, sont autant d’entraves aux enquêtes, qui nécessitent dès lors des approches particulières.
Par ailleurs, l’écosystème de réseaux sociaux autonome de la Chine, qui comprend des plateformes comme Weibo, WeChat, Xiaohongshu et Douyin, applique des règles strictes, par exemple l’obligation de s’inscrire sous son vrai nom, ou encore des limites imposées à la production d’informations, décrites dans les Dispositions relatives à l’administration des services d’information sur internet. Toutes ces tactiques font qu’il est extrêmement difficile pour les journalistes étrangers, d’investigation ou autres, d’effectuer une veille sur les réseaux sociaux traditionnels et d’identifier de nouvelles sources.
Mais c’est la barrière linguistique qui pose peut-être le plus grand problème aux journalistes étrangers qui enquêtent sur la Chine. Les reporters doivent accorder la priorité aux sources en chinois, dans la mesure du possible, étant donné que les versions en anglais des sites officiels, des annonces faites par les entreprises et des informations en général, omettent fréquemment des détails d’importance qui figurent dans la version en chinois, et il s’agit souvent d’éléments cruciaux pour l’intérêt journalistique de l’enquête.
Pour les journalistes qui ne maîtrisent pas le chinois, l’extension Google Translate est un point de départ pratique. Elle propose des traductions suffisamment exactes pour développer une idée initiale de reportage et identifier des sources. Quand des citations précises et des détails spécifiques sont nécessaires pour pouvoir publier, DeepL, un service de traduction automatique neuronale (TAN) mis au point par DeepL SE, qui a son siège à Cologne, produit des traductions dont la qualité supérieure est reconnue par beaucoup de traducteurs et de documentalistes professionnels, tandis que des modèles d’IA comme ChatGPT, Claude et Gemini fournissent des traductions souvent plus nuancées, adaptées au contexte, en particulier pour les contenus politiques et techniques complexes. Cependant, les journalistes doivent être conscients du fait que les modèles d’IA peuvent être soumis à des limites d’utilisation et à des considérations relatives à la confidentialité des données, et que certains de ces modèles ne sont pas à une contradiction près, ce qui fait que les services de traduction dédiés sont plus indiqués. Une fois que les journalistes ont identifié les personnes, les entreprises ou les fonctionnaires les plus importants grâce à des sources chinoises, ils peuvent élargir le champ de leur enquête en utilisant des moteurs de recherche et des bases de données internationales (comme Factiva, Nexis Uni, Access World News et Bloomberg Terminal) pour trouver des déclarations réglementaires et des sujets en anglais, ainsi que des experts anglophones qui remettront les choses dans leur contexte et permettront de procéder à une vérification.
Un nombre incalculable d’enquêtes journalistiques sur certaines entreprises chinoises restent à mener, en utilisant les outils décrits dans ce guide. Si les journalistes maîtrisent les techniques adéquates et ont une approche créative de leur travail — et, c’est fondamental, si les médias encouragent de telles enquêtes – ils disposeront de suffisamment de données et de sources. En dépit des immenses défis à relever, le journalisme d’investigation sur les entreprises chinoises reste à la fois possible et fondamental, pour informer le monde entier sur l’une des puissances les plus influentes et les moins transparentes de la planète.
Malgré l’augmentation des restrictions, les sites officiels restent l’un des moyens les plus fiables pour trouver des renseignements sur les entreprises chinoises et leurs activités, même dans des domaines sensibles. Par exemple, les informations sur les activités des entreprises dans le Xinjiang sont souvent faciles d’accès. Elles figurent dans les communications des autorités ou dans des reportages réalisés par les médias d’État, et ne sont donc pas complètement inaccessibles.
L’enquête du New York Times sur les programmes de transfert de main d’oeuvre au Xinjiang, qui ont permis à des entreprises d’échapper à des sanctions tout en continuant à alimenter les chaînes d’approvisionnement mondiales, en est l’illustration. En plus du reportage effectué sur le terrain, l’enquête a reposé sur un élément fondamental : les informations communiquées par les autorités et par les entreprises, ainsi que la couverture par les médias officiels.

Capture d’écran d’un post sur le site de la Radio nationale chinoise (CNR), annonçant que du personnel originaire du Xinjiang s’est rendu en avion dans la province du Guangxi pour reprendre le travail dans des entreprises de technologie. Image : capture d’écran, CNR
Voici quelques sources parmi les plus importantes pour accéder aux informations publiques sur les entreprises chinoises.
En Chine, toutes les informations des entreprises sont conservées dans des dossiers exhaustifs qui font office de documentation juridique auprès des agences de réglementation gouvernementales, connues en Chine continentale sous le nom d’archives économiques et commerciales. Les agences de réglementation publient sur des sites spécialisés un certain nombre d’informations élémentaires sur les entreprises, notamment les noms des actionnaires, les noms des dirigeants et les changements concernant les fonds propres. Le Système national d’information des crédits aux entreprises (National Enterprise Credit Information Publicity System) est le premier point d’accès public pour obtenir ce genre d’information. Il propose des données officielles concernant l’enregistrement des entreprises, notamment la date de création, le capital social, les représentants légaux, le champ d’activité et les sanctions administratives, et ce, dans toutes les provinces et toutes les municipalités de la Chine (vous trouverez dans la deuxième partie de ce guide des conseils sur l’utilisation des outils qui permettent de trouver des renseignements sur les entreprises).
En vertu du cadre juridique chinois, les entreprises sont réparties entre entreprises publiques et non publiques. Pour les entreprises publiques, les informations sont diffusées sur des canaux dédiés, selon des règles bien précises, par le biais de plateformes désignées par la Commission de réglementation des valeurs mobilière en Chine (China Securities Regulatory Commission). Les entreprises non publiques sont quant à elles extrêmement tributaires de la publication réglementaire faite par les autorités, étant donné que la plupart des activités des entreprises doivent être déclarées et passées en revue par différentes agences gouvernementales pour veiller au respect des lois en vigueur.
On trouve parmi ces principales catégories d’informations :
Base de données/Autorité |
URL |
Objectif/Contenu |
PROPRIETE INTELLECTUELLE & ACTIFS NUMERIQUES |
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Enregistrement de la marque |
Demandes et enregistrements de marque |
|
Base de données relatives aux brevets |
Dépôts de brevet et d’archives liées à la propriété intellectuelle |
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Enregistrement du nom de domaine |
Enregistrement du site internet et données relatives au propriétaire du nom de domaine |
|
RESSOURCES NATURELLES & ENVIRONNEMENT |
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Plateforme des opérations immobilières |
Transferts de propriété et droits relatifs à l’utilisation des terres |
|
Agréments environnementaux |
Evaluations de l’impact environnemental
et de la conformité |
|
Permis de rejets polluants |
Autorisations de rejets polluants |
|
LICENCES & PERMIS D’EXPLOITATION |
||
Permis de télécommunications |
Licences et permis d’exploitation dans les télécommunications |
|
Franchise commerciale |
Autorisations de franchises commerciales |
|
Licences de ventes directes |
Permis de ventes directes pour les entreprises |
|
Génie civil |
Qualifications en génie civil |
|
SOINS & SECURITE |
||
Base de données des produits médicaux |
Autorisations des produits pharmaceutiques, du matériel médical et des cosmétiques |
|
Autorisation de sécurité alimentaire |
Permis de sécurité et de production alimentaire |
|
Registre des organismes médicaux |
Licences et qualifications des établissements de santé |
|
Homologation de qualité des produits |
Homologations relative à la qualité, et normes |
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INDUSTRIES FINANCIERES & SPECIALISEES |
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Licences d’organismes financiers |
Permis de banques et de services financiers |
|
Registre de l’aviation civile |
Homologations pour l’aéronautique |
|
MARCHES PUBLICS |
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Plateforme d’informations sur les marchés publics |
Données relatives aux appels d’offre et à l’attribution des contrats publics |
La Plateforme des services publics ‘Going Out’ mise en place par le Ministère du Commerce propose des conseils exhaustifs aux journalistes qui souhaitent avoir accès non seulement aux statistiques concernant le commerce bilatéral, mais aussi aux informations détaillées sur la sous-traitance de contrats, qui révèlent quelles entreprises chinoises obtiennent d’importants contrats à l’international.

Capture d’écran : document du gouvernement chinois détaillant les contrats de génie civil passés avec l’étranger, ainsi que les zones de coopération économique dans les pays de l’ASEAN.
Sur cette plateforme, les journalistes peuvent aussi trouver des liens directs vers les sites de l’Office économique et commercial des ambassades de Chine dans le monde entier.
Par le biais de cette base de données, les journalistes peuvent identifier des activités commerciales en temps réel dans différents pays ; savoir quelles entreprises chinoises sont en contact avec des responsables locaux ; connaître l’ampleur et la portée des investissements qu’elles se proposent de faire ; et apprécier les avancées réalisées en termes de signature de contrats ou de partenariats.
Cette base de données sur les investissements chinois à l’étranger sert de socle aux activités de rétro-ingénierie des entreprises chinoises à travers les réglementations étrangères, une méthodologie que nous détaillons dans la quatrième partie de ce guide. Les journalistes peuvent exploiter l’obligation de rendre publiques certaines informations relatives aux activités à l’étranger, dans un souci de transparence, pour enquêter sur les entreprises chinoises qui restent opaques dans le paysage de l’information chinois.
Le système judiciaire chinois propose différents moyens pour trouver des informations juridiques potentiellement utiles pour les journalistes d’investigation. Les appareils judiciaires à tous les niveaux, dans chaque province et chaque région de la Chine, livrent des informations de nature juridique importantes sur leurs propres sites, notamment les annonces concernant les audiences des tribunaux, les affaires emblématiques et autres procédures judiciaires. Ce qui crée un réseau de sources d’information qui peut apporter des éléments contextuels supplémentaires et fournir des détails absents des principales bases de données nationales.
Au niveau central, deux plateformes principales constituent les piliers de la communication judiciaire en Chine : China Judgments Online (CJO) et China Enforcement Information Online. Ce sont des sources que les journalistes chinois utilisent fréquemment. Elles comprennent des fonctions de recherche faciles d’utilisation. Ces plateformes proposent l’intégralité des contenus des documents judiciaires, mais aussi les documents y afférents, des annuaires et les synthèses de certains dossiers.
China Judgments Online (CJO) est une plateforme incontournable, mais qui fait face à un nombre croissant de restrictions, pour enquêter sur les entreprises chinoises à partir de leurs litiges ou de violations des réglementations. Inaugurée en 2013, CJO a été pendant un temps la plus grande base de données au monde sur les décisions de justice, avec plus de 100 millions d’affaires répertoriées en 2020. Cependant, depuis 2021, les autorités chinoises ont fait en sorte que le public ne puisse plus avoir accès à plusieurs millions d’affaires, ce qui limite sérieusement l’intérêt journalistique de la plateforme. La Cour populaire suprême a en effet purgé les affaires qui comportaient des termes “sensibles” comme “Twitter”, “liberté d’expression” ou “dirigeants nationaux” ; éliminé toutes les affaires concernant les personnes “qui cherchent la polémique et qui créent des problèmes” (des termes généralement employés pour désigner des dissidents) ; et supprimé les affaires de corruption célèbres qui embarrassent le Parti.
La plateforme fait maintenant face à d’importantes restrictions qui limitent les recherches des journalistes. Les utilisateurs doivent s’inscrire en indiquant un numéro de téléphone chinois pour accéder à la base de données, ce qui permet aux autorités de suivre leurs recherches. Par ailleurs, les résultats sont limités aux 600 premières affaires identifiées. Le nombre des publications annuelles a chuté de 19,2 millions en 2020 à 5,11 millions en 2023, bien que des responsables chinois aient évoqué une remontée en 2024 avec 9,69 millions d’affaires. Malgré ces contraintes, CJO reste utile pour enquêter sur les litiges commerciaux et les violations des réglementations, pour effectuer des recherches sur l’obligation de vigilance des entreprises, pour documenter les affaires de poursuites liées à la liberté d’expression, et pour connaître les précédents juridiques dans des domaines non sensibles. Les journalistes doivent archiver immédiatement les affaires importantes, étant donné qu’elles peuvent être supprimées du site à tout moment.
China Enforcement Information Online suit les actions entreprises pour faire appliquer les décisions de justice, et reste accessible de manière plus systématique que CJO. Cette plateforme propose des informations précieuses sur les entreprises qui tombent sous le coup d’une procédure d’exécution, de saisie ou de gel des avoirs, de défaut de paiement et de non-conformité, ainsi que de restrictions de déplacement et de consommation imposées à des cadres. La plateforme est une ressource complémentaire importante pour enquêter sur les difficultés financières des entreprises et la question du respect des obligations.
Les provinces et les grandes villes, en Chine, ont créé leurs propres plateformes de données accessibles dans le cadre d’initiatives numériques de plus grande envergure prises par les autorités, et d’un effort de transparence administrative. Ces plateformes sont apparues parallèlement à une politique de développement de la « smart city » et d’une modernisation en termes de gouvernance électronique, en adéquation avec les efforts déployés par les autorités locales pour améliorer les services publics, attirer les investissements, et faire preuve d’efficacité administrative.
On citera par exemple Shanghai Open Data, Beijing Open Data et Zhejiang Open Data. Ces plateformes proposent généralement des fichiers de données sur différents domaines d’activités des autorités, comme des statistiques économiques, une veille environnementale, des informations sur les services publics, et les autorisations administratives. La portée et la qualité des données varient énormément selon les systèmes juridiques : les régions plus développées économiquement proposent généralement des fichiers de données plus exhaustifs et mis à jour de manière plus régulière.
Pour les journalistes, ces plateformes peuvent documenter avantageusement un contexte local pour les enquêtes sur la Chine, et leur procurer des données de base pour qu’ils puissent enquêter sur les disparités régionales. Elles peuvent aussi leur permettre de mieux comprendre les priorités des autorités locales et leurs résultats. Toutefois, les données sont souvent expurgées avant d’être rendues publiques, et ne comprennent pas forcément d’informations sensibles sur les défis que rencontrent les autorités ou sur les résultats de politiques controversées. Les plateformes reflètent aussi l’approche sélective du gouvernement chinois en matière de transparence : il partage l’information à des fins d’efficacité administrative, et non pas dans le but de rendre des comptes. Les journalistes doivent recouper ces données officielles avec d’autres sources, et être conscients en permanence que ces informations ne représentent que ce que les autorités locales veulent bien communiquer, et qu’il n’y a pas de transparence administrative totale.
Les médias d’Etat sont souvent considérés comme des organes de propagande, mais ce sont eux qui proposent la documentation la plus fiable pour savoir quelles entreprises ont le soutien des autorités, et dans quelle mesure elles s’efforcent de contribuer aux grands objectifs de l’Etat. Parmi les sources qui font autorité, on compte l’agence de presse Xinhua, le People’s Daily, China Central Television (CCTV) et China Daily, mais les journalistes doivent accorder la priorité aux journaux papier plutôt qu’aux sites. En effet, les sites des médias d’Etat opèrent en vertu de règles éditoriales relativement souples, et publient fréquemment des contenus sponsorisés pour générer des revenus. Par conséquent, ils font moins autorité.
The People’s Daily (Le Quotidien du peuple) est considéré comme le baromètre le plus fiable concernant les orientations officielles, le journal papier étant soumis à un contrôle éditorial des plus stricts et, partant, étant un reflet fidèle des priorités des responsables du Parti. Ses archives numériques permettent d’avoir un accès exhaustif à toutes les éditions imprimées depuis 1946.
Le China Media Project, une initiative de recherche basée à Taïwan, est connu pour exploiter les reportages des médias d’Etat afin de réaliser d’autres reportages dans lesquels il demande des comptes. Son enquête sur China-Arab TV (CATV) a montré comment un réseau de télévision de Dubaï, indépendant en apparence, aurait été contrôlé par des intérêts chinois, et cela, en examinant de manière systématique les reportages des médias d’Etat, les déclarations d’entreprises et la couverture des rencontres officielles.
En 2019, GIJN avait déjà publié un guide pour enquêter sur les entreprises chinoises. Mais la situation a beaucoup évolué depuis, même si les méthodologies de base restent pertinentes. Les plateformes commerciales sont devenues incontournables si l’on veut enquêter sur la structure des entreprises chinoises. En effet, elles permettent de se renseigner sur les entreprises de manière générale, d’avoir accès à des analyses financières sophistiquées, ou de comprendre les relations qu’entretiennent certaines entreprises. Cependant, ces plateformes font face à des restrictions d’accès croissantes, à mesure que les autorités chinoises appliquent un système de blocage géographique et des obstacles à l’enregistrement, forçant les journalistes à trouver des alternatives techniques et d’autres stratégies d’accès.
Les canaux officiels des entreprises fournissent des informations facilement accessibles par le biais de leur site et de leurs plateformes médias, mais il est nécessaire de maîtriser des techniques d’analyse sophistiquées pour réussir à faire la distinction entre renseignements utiles et contenus promotionnels. Les entreprises créent en effet des contenus promotionnels de manière stratégique, en utilisant un langage choisi qui met l’accent sur le positif et minimise le négatif, parlant ainsi de “restructuration pour une plus grande efficacité” au lieu de “licenciements dus aux pressions financières”, par exemple. Elles livrent des informations de manière sélective, en insistant sur la croissance des revenus tout en faisant l’impasse sur les marges bénéficiaires en baisse, ou en mettant l’accent sur de nouveaux partenariats sans mentionner la perte de clients majeurs.
La Commission de réglementation des valeurs mobilières en Chine (China Securities Regulatory Commission) sert d’autorité de réglementation pour les entreprises publiques. Elle supervise environ 5 422 entreprises publiques cotées en bourse, et elle dispose de plusieurs journaux officiels désignés et de son site officiel CNINFO, que les entreprises publiques sont tenues d’utiliser pour communiquer. Toutefois, ces plateformes sont employées avant tout comme canaux pour que les entreprises puissent remplir leur devoir d’information, plutôt que pour proposer des contenus analytiques ou des informations utiles pour des enquêtes.
Marché obligataire
Beaucoup d’entreprises se financent en émettant des obligations d’entreprises, ce qui implique des devoirs en termes de communications auprès des agences de notation — notamment des prospectus, des bilans financiers, ainsi que l’annonce d’événements importants comme les changements à la tête des entreprises — et la publication de rapports d’évaluation réguliers. Le marché des obligations d’entreprises en Chine opère par le biais de plateformes multiples, notamment ChinaBond, Shanghai Clearing House, National Association of Financial Market Institutional Investors, ChinaMoney, Shanghai Stock Exchange et Shenzhen Stock Exchange.
Par ailleurs, le Ministère des finances a créé la plateforme China’s Electronic Local Government Bond Market Access (CELMA), qui assure la transparence des émissions d’obligations d’Etat et de la participation d’entreprises à des projets de financement municipaux et provinciaux.
Ces sources proposent une couverture exhaustive de l’actualité des entreprises, notamment leur structure interne, leur analyse financière, leur situation de gestion et leur historique, qui fournissent des informations détaillées souvent impossibles à obtenir par d’autres moyens. Les rapports des agences de notation constituent des évaluations par des tiers particulièrement utiles pour statuer sur les opérations des entreprises et leur santé financière.
Centres d’échange des droits de propriété
Les entreprises d’Etat doivent procéder à des transactions publiques et donner des informations quand elles transfèrent des droits de propriété, notamment des fonds propres, des créances et des immobilisations. Les transferts de droits de propriété permettent souvent de pouvoir avoir accès pour la première fois à des informations concernant des entreprises non publiques. La plupart des provinces et des municipalités chinoises disposent d’un centre d’échange des droits de propriété, qui publie les détails des transactions sur des sites officiels. Beijing Equity Exchange et Shanghai United Assets and Equity Exchange traitent le plus grand nombre d’échanges, en particulier les transactions liées aux grandes entreprises d’Etat. Les informations fournies portent sur les structures de fonds propres, les données financières et les détails des transferts, ce qui offre une occasion unique d’en apprendre davantage sur des entreprises généralement peu transparentes.
Informations sur les partenariats
La communication sur les partenariats repose encore davantage sur les agences de réglementation. Les informations sur les partenariats de fonds privés peuvent être obtenues sur le site de la China Securities Investment Fund Industry Association, qui assure des fonctions de réglementation et de supervision.
Systèmes de terminaux financiers
Un grand nombre de bases de données commerciales ont réuni des informations sur les entreprises publiques, pour que le grand public puisse y accéder. En effet, ces informations représentent autant d’opportunités commerciales que les institutions ont beaucoup développées. De telles bases de données commerciales sont devenues extrêmement utiles pour trouver des informations.
Les terminaux financiers fonctionnent par le biais d’interfaces client (sur ordinateur ou smartphone). Wind Information, Choice et Tonghuashun iFinD sont les équivalents, en Chine, des terminaux Bloomberg. Ces plateformes proposent les mêmes fonctionnalités de base, ce qui permet de bien comprendre rapidement les informations clés sur les entreprises publiques, grâce à des données structurées et des rapports financiers visuels. Ces terminaux financiers couvrent les centres d’échanges de Shanghaï et de Shenzhen, en Chine, celui de Hong Kong, et les grandes bourses des Etats-Unis et de Londres, ainsi que des données macroéconomiques et sectorielles et des informations sur les fonds, la gestion de fortunes, les obligations et les contrats à terme. Des menus structurés de façon claire permettent aux utilisateurs d’identifier facilement les changements à la tête des entreprises, leur historique, l’évolution de leur modèle commercial, les variations des revenus et des profits, les structures de la dette et les flux de trésorerie, ainsi que les reportages dans les médias à propos des entreprises et les rapports de chercheurs. Tout cela sans avoir à télécharger de nombreux documents financiers.
Le terminal financier Wind Information domine actuellement le marché institutionnel et représente désormais la source la plus fréquemment citée par les journalistes financiers chinois en raison de la fiabilité de ses données et de son statut de référence dans le secteur. Le coût d’accès à ces plateformes varie énormément. Les comptes Wind Information (terminal unique) coûtent près de 40 000 yuans (environ 5 500 dollars) par an, et les prix affichés par Tonghuashun iFinD sont comparables. Choice Terminal est plus accessible (5 800 yuans, soit environ 800 dollars par an).
Les terminaux financiers proposent un traitement complet et structuré des données, mais récupérer des informations reste difficile, en raison notamment du format complexe des annonces faites par les entreprises publiques. Par exemple, en utilisant les terminaux financiers, il serait difficile d’effectuer une recherche rapide sur toutes les entreprises publiques chinoises qui sont en relation d’affaires avec Tesla.
Des plateformes comme Jianwei Data se distinguent en la matière, en convertissant en format texte toutes les informations sur les annonces faites par les entreprises, notamment les rapports d’évaluation en format image. Il suffit de taper “Tesla” dans le champ de recherche et l’on obtient toutes les annonces faites par les entreprises publiques qui comportent ce mot clé. Si l’on consulte les annonces faites par Shanghaï, Shenzhen et le National Equities Exchange and Quotations, les recherches sur “Tesla” donnent 14 136 résultats, avec des options de filtrage supplémentaires pour un ciblage plus précis.
Cette capacité de recherche se révèle inestimable pour les journalistes d’investigation, et ce, à plusieurs titres. En effet, en cas de manifestations sociales ou de changements de politique, les journalistes sont en mesure d’identifier rapidement les entreprises qui sont affectées. Quand des entreprises pharmaceutiques sont accusées de fraude liée à la production, les recherches peuvent révéler l’identité des contrôleurs, le volume de ventes des produits qui posent problème, et les réseaux de clients. La plateforme permet d’effectuer une recherche exhaustive sur un secteur donné en cherchant par exemple “véhicules électriques” pour analyser les tendances du secteur. Par ailleurs, les journalistes peuvent suivre l’évolution du narratif d’une entreprise en cherchant à quelle fréquence l’entreprise mentionne des secteurs d’activité particuliers ou des produits phares, ce qui est révélateur de changements en termes de positionnement stratégique, qui ne figurent pas nécessairement dans les données financières structurées.
Etant donné que Jianwei Data utilise l’extraction et le traitement de texte par l’IA, les journalistes doivent vérifier les résultats les plus importants auprès de leurs principales sources. La plateforme excelle dans l’art d’identifier des connexions et des documents pertinents, mais il arrive que le traitement automatisé interprète de façon erronée le jargon financier complexe ou qu’une subtilité lui échappe, quand un humain l’aurait saisie.
Jianwei Data propose différentes options, gratuites ou payantes, ce qui rend ce service accessible pour les journalistes indépendants et les médias de petite taille. La fonctionnalité de recherche de base est disponible pour tous les utilisateurs, tandis qu’un abonnement premium coûte environ 368 yuans (une cinquantaine de dollars) par an. La version payante offre les mêmes capacités de recherche principales, mais comprend des options détaillées de filtrage qui améliorent grandement la précision de la recherche et son efficacité, comme le montre le tableau comparatif ci-dessus. Les utilisateurs premium peuvent accéder à un nombre élevé de résultats de recherche – jusqu’à 10 000, contre 20 pour le niveau gratuit – ainsi qu’à un filtrage avancé, à des téléchargements en bloc, et à la création d’un portefeuille personnalisé d’un maximum de 5 000 entreprises.
Les plateformes commerciales comme Qichacha, Tianyancha et Qixin proposent des informations exhaustives sur les structures d’actionnariat, les données financières et les relations d’affaires, en effectuant des recherches dans les communications officielles faites par les autorités.
Par exemple, si l’on enquête sur l’entreprise de média chinoise en Afrique, StarTimes, on découvre qu’elle a le soutien de StarTimes Communication Network Technology Co., Ltd. La plateforme Qichacha affiche sans peine l’intégralité de la structure de la chaîne de profits. Ces plateformes sont très performantes quand il s’agit de déterminer qui détient quelles parts, pour identifier la composition de la chaîne de profits, une démarche essentielle si l’on veut enquêter sur des opérations commerciales complexes. Les tableaux de structure des parts et les diagrammes de pénétration, qui sont générés automatiquement, permettent de gagner beaucoup de temps, plutôt que de réaliser des recherches sur de multiples entreprises, les unes après les autres, à partir des systèmes officiels.
Ces plateformes permettent d’enquêter sur des personnes physiques ou morales comme sur des entreprises, ce qui n’est pas chose aisée dans le cadre du journalisme d’investigation. Si l’on effectue une recherche directe sur le nom du représentant légal Pang Xinxing, on trouve toutes les informations ayant trait à l’entreprise associée à son nom. Cette technique comporte cependant un risque élevé d’erreur, vu la forte probabilité que plusieurs personnes aient le même nom. Les institutions commerciales ont recours à l’analyse de données pour faire la distinction entre les personnes de même nom, mais on ne peut pas être certain à cent pour cent de l’exactitude du résultat, ce qui implique des vérifications supplémentaires pour s’assurer qu’on est bien en présence d’une piste d’enquête.
De nombreuses bases de données commerciales utilisent des technologies de blocage géographique qui identifient et bloquent les utilisateurs internationaux, tandis que l’accès interne nécessite une vérification par le biais de numéros de téléphone chinois associés à des noms réels et certifiés, ce qui, de fait, exclut les journalistes étrangers.
Les services de VPN comme Transocks proposent des adresses IP chinoises dont la seule raison d’être est de donner accès aux plateformes du pays — une distinction cruciale, étant donné que les services de VPN ne donnent pas nécessairement l’impression que l’on se trouve en Chine afin de pouvoir consulter les bases de données commerciales chinoises. Le site marchand Taobao propose des alternatives pratiques en vendant un accès provisoire aux bases de données, notamment des inscriptions d’une semaine à Qichacha pour des projets de recherche ciblés. Des services comme eSender fonctionnent avec le système WeChat et fournissent des numéros de téléphone chinois virtuels pour permettre les vérifications de connexion.
Toutefois, aucune plateforme ne propose de service stable dans le temps. Elles mettent continuellement à jour leurs mécanismes de détection et de blocage, ce qui fait que les journalistes doivent s’informer en permanence sur les méthodes d’accès alternatives et prévoir différentes approches pour pouvoir continuer à effectuer leurs recherches.
Le système d’information de la Chine présente des défis uniques, en raison de sa Grande muraille pare-feu et de son appareil de censure sophistiqué, mais on peut trouver sur les réseaux sociaux des renseignements précieux pour enquêter malgré tout sur les entreprises chinoises et leurs activités.
On trouve sur les réseaux sociaux comme Weibo et Douyin des renseignements utiles pour enquêter sur les entreprises chinoises et leurs activités. Les entreprises chinoises utilisent en effet habituellement Weibo pour faire des annonces officielles et des déclarations, ou pour communiquer en temps de crise, de la même manière que les célébrités utilisent ces réseaux pour présenter des excuses publiques ou apporter des précisions suite à une couverture médiatique négative. Ces posts des entreprises sont souvent révélateurs des réactions en temps réel des entreprises à des controverses, à des partenariats d’affaires, aux déclarations de la direction et aux changements opérationnels qui n’apparaissent pas forcément dans des canaux officiels ou les bases de données commerciales.
L’intérêt que présentent les réseaux sociaux chinois pour les journalistes d’investigation devient évident quand il s’agit de faire de grands reportages internationaux. On citera à nouveau l’enquête du New York Times sur les programmes de transfert de main d’oeuvre originaire du Xinjiang. Les preuves décisives ont été apportées par des posts émis sur les réseaux sociaux par le personnel lui-même, pour documenter le processus de transfert, le travail sur la chaîne de montage à l’usine et les photos de groupes devant les dortoirs. Les journalistes ont ensuite utilisé des techniques de vérification de géolocalisation, en comparant les caractéristiques architecturales et celles des rues visibles sur ces posts avec des images satellite, des cartographies, et les photos de l’usine accessibles au public, pour confirmer les lieux où les images avaient été tournées.
Pour les journalistes qui n’ont pas de connaissances en chinois, plusieurs ressources spécialisées proposent des reportages et une veille médiatique des événements majeurs concernant les réseaux sociaux chinois. What’s on Weibo assure un suivi des contenus viraux et des tendances des réseaux sociaux, et propose une couverture détaillée de la façon dont les entreprises chinoises et les personnalités publiques sont présentes sur les réseaux sociaux et dont elles gèrent les crises. China Digital Times archive les contenus censurés et propose la traduction des discussions les plus importantes sur les réseaux sociaux, qui disparaissent ultérieurement des plateformes chinoises.
Les outils d’attribution de sites Web restent efficaces pour enquêter sur les entreprises chinoises dans l’espace des plateformes numériques, malgré les restrictions mises en place. Il est ainsi possible d’identifier les lieux d’hébergement, les propriétaires et l’infrastructure technique. Les données concernant l’enregistrement des domaines, les adresses IP inversées et l’analyse des certificats SSL sont accessibles malgré les barrières numériques en Chine, ce qui permet aux journalistes d’utiliser des méthodes fiables pour recenser les réseaux d’affaires et identifier d’éventuelles relations d’affaires passées sous silence. Le Citizen Lab de l’Université de Toronto a finalisé son Paperwall project en 2024, mettant au jour un réseau d’au moins 123 sites qui se faisaient passer pour des médias locaux basés hors de Chine tout en faisant la promotion de contenus pro-Pékin.
Il existe de nombreux guides sur les moyens d’enquêter sur les propriétaires de sites en faisant des recherches open source. Des outils de base WHOIS comme Who.is et le service de consultation GoDaddy révèlent les détails des enregistrements de domaines, les dates de création et aussi des coordonnées qui sont autant d’informations sur les structures commerciales et les tendances générales liées aux propriétaires. Quand les journalistes enquêtent sur les entreprises chinoises, ils doivent travailler sur les domaines .cn et les domaines internationaux (.com, .org) pour appréhender la présence numérique mondiale d’une cible donnée. La Wayback Machine se révèle particulièrement utile pour comprendre comment les sites des entreprises chinoises ont évolué, en mettant en évidence les changements dans leur manière de communiquer, leurs partenariats, et le domaine qui concentre leurs activités. Informations difficiles à trouver si l’on se contente de se rendre sur leur site officiel.
Certains outils comme ViewDNSinfo permettent de consulter des adresses IP inversées. Ils identifient tous les domaines relatifs à une seule adresse IP, ce qui peut indiquer des pépinières d’entreprises ou des accords de partage d’hébergement entre entreprises chinoises.
Les entreprises chinoises, dans leur pays, opèrent dans des conditions très réglementées en termes d’informations, mais leurs activités à l’extérieur laissent souvent beaucoup de traces écrites dans les systèmes juridiques étrangers qui mettent davantage l’accent sur la transparence. Quand des entreprises chinoises investissent dans des projets d’infrastructures en Afrique, qu’elles acquièrent des entreprises de technologie européennes ou encore établissent des filiales aux USA, elles doivent se conformer aux législations locales, qui exigent beaucoup plus de transparence que celles de la Chine.
C’est une approche particulièrement efficace pour enquêter sur les projets liés à la Nouvelle route de la soie (NRS), sur les acquisitions qui ont le soutien de l’Etat, et sur les stratégies d’expansion à l’étranger des principaux conglomérats chinois. Les autorisations d’investissements étrangers, les évaluations de l’impact environnemental, les déclarations d’entreprise et les demandes soumises aux pays concernés peuvent révéler des structures d’entreprises, des accords de financement ou des objectifs stratégiques, qui ne figurent que dans les archives chinoises.
Cette méthodologie exige d’effectuer une veille systématique de différentes bases de données internationales et des systèmes de régulation, les investissements chinois couvrant presque tous les secteurs et tous les pays. Les journalistes doivent se familiariser avec les processus de sélection des investissements dans les grandes économies mondiales, comprendre comment les entreprises chinoises structurent leurs opérations à l’étranger pour se frayer un chemin à travers les restrictions liées aux acquisitions par des étrangers, et suivre l’évolution des tendances en matière d’investissements chinois, au fur et à mesure que les tensions géopolitiques redéfinissent les flux de capitaux dans le monde.
Nous vous présentons des bases de données et des ressources clés qui permettent aux journalistes de se faire une idée globale du comportement des entreprises chinoises, de leurs priorités stratégiques, et des réseaux internationaux impliqués, ce qui serait impossible en utilisant uniquement les sources chinoises.
Parmi les ressources les plus exhaustives, on compte le China Global Investment Tracker de l’Institut de l’entreprise américaine, qui répertorie de manière systématique depuis 2005 les investissements chinois à l’étranger et les projets de construction pour un montant d’au moins un milliard de dollars. Il propose ainsi des données détaillées par secteur et par zone géographique, qui sont révélatrices des priorités stratégiques et des tendances en matière d’investissements. Le Belt and Road Tracker (système de suivi de la Nouvelle route de la soie) du Conseil des relations étrangères propose une veille systématique de projets liés à la NRS, notamment les informations financières, un état de mise en œuvre et une analyse stratégique qui aident les journalistes à comprendre la portée et l’évolution du programme international de développement emblématique de la Chine. La China Overseas Finance Inventory Database, une base de données de l’Institut des ressources mondiales, se concentre spécifiquement sur le financement du développement chinois pour les projets des secteurs énergétique et de l’industrie extractive dans le monde, et livre des informations cruciales sur la manière dont le capital chinois façonne l’extraction de ressources et les infrastructures énergétiques dans le monde.
La Global China Initiative, de l’Université de Boston, propose un suivi systématique par le biais de la China’s Overseas Development Finance (CODF) Database, une base de données qui a comptabilisé 6,1 milliards de dollars sur 20 nouveaux prêts souverains en 2024, dans la moyenne des trois années précédentes (6,2 milliards sur 24 prêts annuels). Ce sont des données de base cruciales si l’on veut comprendre les flux financiers soutenus par l’Etat en Chine, et dont la rigueur académique complète les systèmes de suivi axés sur la politique générale.
The People’s Map of Global China est une autre plateforme en libre accès qui agrège les profils des pays, les données sur les projets, les informations sur les entreprises et les évaluations de l’impact des activités internationales de la Chine, données produites par des chercheurs du monde entier. Cette archive exhaustive sur l’empreinte de la Chine dans le monde est mise à jour en permanence pour refléter l’évolution des tendances.
Bases de données réglementaires et d’entreprises
La base de données EDGAR de la Commission américaine des titres et de la Bourse (Securities and Exchange Commission, SEC) est une ressource essentielle pour comprendre les opérations des entreprises chinoises, par le biais de dépôt de valeurs mobilières américaines, qui révèlent ainsi les filiales, les relations financières et les détails que les entreprises chinoises doivent transmettre pour accéder aux marchés américains. Les entreprises chinoises utilisent généralement des structures d’entreprise à détenteurs de droits variables (EDDV) ou des accords de sociétés d’acquisition à vocation spécifique (SAVS) pour échapper aux restrictions relatives aux acquisitions par des étrangers quand les entreprises sont cotées aux USA, et toutes ces informations de nature structurelle doivent être communiquées lorsque les entreprises déposent leur demande.
En consultant le site britannique Companies House, les journalistes peuvent trouver des structures de propriété détaillées et les déclarations financières des entreprises chinoises opérant en Grande-Bretagne, qui contiennent souvent des informations sur leurs opérations européennes et leurs réseaux d’entreprises. L’Autorité européenne des marchés financiers offre un accès aux prospectus et aux déclarations réglementaires des entreprises chinoises qui accèdent aux marchés financiers européens, ce qui permet de mieux comprendre comment ces entreprises structurent leur expansion à l’international.
Global Energy Monitor, une ONG qui a son siège à San Francisco, répertorie les projets de combustibles fossiles et d’énergie renouvelable dans le monde par le biais de multiples bases de données spécialisées qui peuvent être utilisées pour suivre le rôle que joue la Chine dans le développement mondial d’infrastructures énergétiques.
La China Africa Research Initiative, de l’Université Johns Hopkins, propose des données exhaustives sur les investissements directs étrangers (IDE) Chine-Afrique, leurs échanges commerciaux, leurs contrats, les investissements dans l’agriculture, l’aide extérieure et la main d’oeuvre chinoise dans les pays africains, ce qui permet d’en savoir plus sur la portée et les modalités de la présence chinoise sur le continent africain.
La liste de sanctions du Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control, OFAC) du Trésor américain comprend les justifications détaillées et les informations sur les réseaux d’entreprises qui concernent les entreprises chinoises. On y trouve souvent des historiques complets sur les relations d’affaires et les manquements présumés. Le EU sanctions tracker propose un point de vue européen sur les entreprises chinoises soumises à des restrictions. Il offre souvent des historiques ainsi que des arguments qui viennent en complément de la documentation américaine.
Les bases de données sur les contrôles des exportations du Ministère du commerce américain et autres agences répertorient les restrictions qui touchent les entreprises chinoises. Elles sont révélatrices des craintes relatives au transfert de technologies et des relations d’affaires qui mettent en lumière la dynamique de concurrence en matière de stratégie. La Entity List du Bureau américain de l’industrie et de la sécurité (Bureau of Industry and Security, BIS), la principale base de données, contenait quelque 600 entreprises chinoises en 2022, notamment des entreprises et des organismes de recherche actifs dans les domaines de la technologie militaire, de la 5G, de l’IA et autres technologies de pointe. La Consolidated Screening List (CSL), également gérée par le Ministère du commerce américain, propose un outil de recherche exhaustive qui vient en renfort des onze listes de sélection des exportations des Ministères du commerce, du Département d’Etat State et du Trésor, ce qui permet aux journalistes de contrôler efficacement les entreprises chinoises dans de nombreuses situations restrictives.
Ces ressources permettent aux journalistes de se faire une idée précise du comportement des entreprises chinoises, des priorités stratégiques, et des réseaux internationaux, ce qui serait impossible en utilisant uniquement les sources chinoises.
Enquêter sur les entreprises chinoises nécessite d’avoir recours à de multiples sources d’information pour avoir une bonne vue d’ensemble. En effet, il n’existe pas de base de données ou de plateforme qui propose une couverture exhaustive. En raison de la nature fragmentée et de plus en plus restreinte des sources d’information chinoises, les journalistes doivent adopter des approches systématiques qui intègrent des documents officiels, des archives commerciales, des contenus de réseaux sociaux et des reportages internationaux, pour compenser l’intérêt trop limité des sources uniques. Cette méthodologie dite de triangulation se révèle cruciale dans le cadre d’enquêtes sur des entreprises qui opèrent dans les sphères chinoise et internationale, où des réglementations différentes impliquent des niveaux de transparence variables.
Quand on utilise la méthodologie de triangulation, il est fondamental de bien comprendre que certains types d’informations sont plus fiables ou plus biaisés que d’autres. Les déclarations officielles des autorités chinoises et les déclarations réglementaires doivent être considérées comme faisant autorité pour les structures légales et les relations formelles, mais elles peuvent omettre de mentionner les véritables propriétaires et les réalités opérationnelles. Les bases de données commerciales comme Qichacha ou Tianyancha proposent quant à elles des réseaux d’entreprises détaillés, mais peuvent ne laisser apparaître que les relations d’entreprises enregistrées, plutôt qu’un contrôle fonctionnel. Les bases de données sur le commerce international comme Orbis permettent de faire des recoupements, ce qui est très utile, mais elles contiennent souvent des informations incomplètes sur les filiales et les entreprises associées chinoises.
Quand leurs sources leur donnent des informations contradictoires, les journalistes doivent accorder la priorité aux témoignages qui peuvent être vérifiés de plusieurs manières. Par exemple, si un dépôt auprès de la Bourse de Shanghaï indique des pourcentages de participation différents de ceux qui figurent sur un plan comptable de Qichacha, recouper les informations avec les déclarations réglementaires de Hong Kong, avec les archives des entreprises de Singapour ou avec les documents de la SEC peut vous aider à éliminer les incohérences et à déterminer la structure de propriété.
En 2024, le groupe de journalistes d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a mené une enquête nommée Dubai Unlocked. Soixante-quinze médias ont collaboré pour analyser les registres de biens qui avaient fait l’objet de fuites au Département foncier de Dubaï. A partir de ces informations à caractère personnel, un reportage a mis au jour un réseau de plusieurs systèmes juridiques — ceux de la Chine, de Singapour et des Emirats arabes unis— par le biais desquels des entreprises chinoises passaient par des structures offshore pour déplacer des actifs. Cette méthodologie utilisant plusieurs systèmes juridiques illustre comment la triangulation peut fonctionner en pratique, quand on enquête sur des entreprises qui dissimulent délibérément leurs opérations au sein de multiples cadres réglementaires.
Etant donné qu’il est fréquent que les contenus en ligne chinois disparaissent, les journalistes doivent aussi acquérir, en plus de leurs méthodologies d’enquête, des pratiques d’archivage systématique. En raison de la nature éphémère des contenus numériques chinois — liée à la censure, à la volonté d’une entreprise de s’amender, ou aux modifications d’une plateforme — les techniques de sauvegarde sont souvent déterminantes pour que des preuves capitales restent disponibles pour vérification et publication.
The Wayback Machine est un outil particulièrement utile pour accéder à différentes versions historiques des sites et pour suivre l’évolution des communications d’une entreprise ou celle des documents officiels publiés par les autorités. En effet, la couverture par Internet Archive des sites chinois est toujours inconséquente, en particulier pour les contenus qui nécessitent une identification ou sur les plateformes qui bloquent les personnes qui effectuent des recherches. En plus de Wayback Machine, les journalistes peuvent faire des recherches avec Archive.today, qui capte souvent des contenus qui échappent à Internet Archive et permet d’archiver plus rapidement des documents soumis à des contraintes de temps.
En plus des services d’archivage automatisés, les journalistes doivent utiliser des techniques de sauvegarde instantanées quand ils trouvent des informations pertinentes. En faisant des captures d’écran de pages entières qui comprennent un horodatage et des URL, ils détiennent des preuves visuelles qui perdureront, même si les contenus sont supprimés ultérieurement. Pour ce qui est des contenus des réseaux sociaux, les journalistes doivent conserver non seulement les posts eux-mêmes, mais aussi les indices de popularité, les profils des utilisateurs et les commentaires, qui donnent une idée de leur portée et de la manière dont ils sont perçus. Les contenus vidéo nécessitent une sauvegarde particulièrement vigilante. En effet, des plateformes comme Weibo et WeChat suppriment fréquemment les images probantes d’une enquête dans les heures qui suivent leur diffusion. Le 404 Archive project du China Digital Times, par exemple, contribue de manière systématique, davantage que la plupart des autres médias, à conserver les contenus chinois censurés. Cette archive contient des milliers d’articles, de posts sur les réseaux sociaux et de documents officiels qui ont été supprimés des plateformes chinoises. Ce projet est inestimable pour suivre l’évolution du discours officiel que la censure aurait voulu supprimer à tout jamais.
Il est essentiel de collaborer avec des journalistes locaux pour avoir accès au savoir local et aux subtilités linguistiques. Les journalistes sinophones sont en mesure de comprendre certaines nuances dans les déclarations d’entreprises, les posts sur les réseaux sociaux et les documents officiels qui échappent souvent aux outils de traduction automatisée. Les journalistes locaux connaissent aussi les contextes culturels qui influencent le comportement des entreprises, les tendances en termes d’application de la réglementation, et la signification des remaniements de personnel ou des orientations politiques auxquels des journalistes étrangers pourraient ne pas accorder d’importance.
Pour travailler avec des sources et des journalistes chinois, il faut comprendre les niveaux de risque variables et les conditions sécuritaires qui façonnent la manière dont l’information peut être recueillie et partagée. Les journalistes chinois, qu’ils soient en Chine continentale ou à Hong Kong, ou encore membres de la diaspora, courent des degrés différents de risques judiciaires et professionnels quand ils enquêtent sur des sujets sensibles qui concernent le monde des affaires ou les autorités. Les journalistes qui se trouvent en Chine continentale travaillent dans un environnement des plus contraignants, où le fait d’enquêter sur certaines entreprises ou certains responsables politiques peut conduire à la détention, à la perte d’emploi ou à des pressions sur des proches. Les journalistes à Hong Kong font face à des restrictions croissantes depuis l’application de la loi de 2020 sur la sécurité nationale, tandis que certains journalistes de la diaspora voient leurs proches subir des pressions ou ont ensuite des difficultés pour obtenir un visa.
Pour collaborer de façon efficace, il faut tout d’abord mettre en place des canaux de communication sûrs, avant de commencer à faire un travail de fond. Signal, ProtonMail et autres plateformes cryptées offrent un certain degré de protection, mais les journalistes peuvent aussi utiliser le navigateur Tor et des VPN quand ils consultent des sites chinois ou lorsqu’ils communiquent avec des sources en Chine continentale.
Traduction de l’anglais : Béatrice Murail
Chu Yang est journaliste et documentaliste, spécialiste des médias numériques chinois et de la diaspora chinoise. En sa qualité de Coordinatrice de projet au China Media Project et d’Analyste Chine à l’Association for International Affairs (AMO), elle dirige une initiative de développement des compétences pour les journalistes sinophones dans le monde et analyse la manipulation de l’information qui a pour cible les membres de la diaspora dans le cadre du projet Horizon Europe RESONANT financé par l’Union européenne. Elle a travaillé avec de grands médias chinois comme Caixin, et elle a été à l’origine de plusieurs initiatives originales, notamment The Newcomers, une plateforme numérique en chinois qui sert la diaspora européenne. Chu Yang est aussi la co-fondatrice du Cenci Journalism Project, que l’hebdomadaire britannique The Economist a décrit comme l’initiative de médias citoyens la plus probante en Chine.
23.11.2025 à 15:32
Découvrez les enquêtes courageuses qui ont remporté les Global Shining Light Award (GSLA) lors d'un gala organisé dans le cadre de la 14e Conférence mondiale sur le journalisme d'investigation (GIJC25) à Kuala Lumpur, en Malaisie.
Des enquêtes courageuses sur les abus commis à l’encontre des migrants au Mexique, les attaques contre les communautés autochtones amazoniennes, le recrutement irresponsable de combattants étrangers par la Russie et une secte nuisible en Afrique ont remporté les Global Shining Light Award (GSLA) lors d’un gala organisé dans le cadre de la 14e Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (GIJC25) à Kuala Lumpur, en Malaisie.
Ces prix uniques récompensent le journalisme d’investigation dans les pays en développement ou en transition, mené sous la menace ou dans des conditions périlleuses. 410 enquêtes d’intérêt public publiées entre le 1er janvier 2023 et le 31 décembre 2024 provenant de 97 pays ont été soumises au jury.
Parmi les 13 finalistes, le jury du prix GSLA, composé de cinq personnes, dont des rédacteurs en chef d’investigation des cinq continents, a récompensé deux lauréats dans la catégorie « grands médias », un lauréat dans la catégorie « petits et moyens médias » (20 employés ou moins, y compris les pigistes) et a décerné une mention spéciale à une candidature remarquable venue d’Afrique.
« Nous saluons la qualité et l’ambition des reportages des lauréats de cette année, des journalistes d’investigation qui travaillent dans certains des endroits les plus dangereux du monde », a déclaré Sheila Coronel, directrice du Stabile Center for Investigative Journalism de l’université Columbia et présidente du jury.
« Ils ont utilisé des données, des documents, des enquêtes open source, des reportages de terrain acharnés et des récits créatifs pour demander des comptes aux gouvernements, aux armées, au crime organisé et à d’autres acteurs malveillants pour les dommages qu’ils ont causés. Ils sont des exemples brillants de journalisme d’investigation, particulièrement nécessaire à une époque où la presse et la démocratie sont attaquées. »
« Nous sommes inspirés par tous les articles soumis aux Global Shining Light Awards », a déclaré Emilia Díaz-Struck, directrice exécutive du Global Investigative Journalism Network. « Ces enquêtes nous montrent le travail puissant et essentiel réalisé par des journalistes qui ont dû faire face à des menaces et à des risques pour les citoyens du monde entier. Ils sont des exemples de travail extraordinaire accompli à l’aide de méthodes journalistiques d’investigation solides qui révèlent des histoires d’intérêt public. Félicitations à tous les lauréats. »
Il convient de noter que les lauréats des GSLA 2025 ont mené des enquêtes audacieuses et périlleuses sur des sujets que peu ou aucune autre organisation n’avait abordés : l’utilisation de camions dangereux pour la traite d’êtres humains, le recrutement d’hommes arabes pour l’attaque russe contre l’Ukraine, les méfaits cachés d’une secte abusive et les liens entre le trafic de drogue et l’assassinat de leaders autochtones.
Voici les trois lauréats du GSLA ainsi qu’un finaliste avec une mention spéciale, tous récompensés lors de GIJC25.
Équipe : Noticias Telemundo et le Centre latino-américain pour le journalisme d’investigation (El CLIP), en collaboration avec l’ICIJ, Bellingcat, Pie de Página, Chiapas Paralelo (Mexique), En un 2×3 Tamaulipas (Mexique), Plaza Pública (Guatemala) et Contracorriente (Honduras)
Cette enquête collaborative qui a duré sept mois, a mis au jour des abus systémiques et mortels liés à l’utilisation croissante de camions de marchandises pour transporter des migrants et des demandeurs d’asile à travers le Mexique. Elle a révélé qu’au moins 111 migrants ont été tués par asphyxie ou dans des accidents de la route au cours d’une période de cinq ans pendant laquelle 19 000 personnes ont été transportées par ce moyen, tout en mettant en lumière les politiques gouvernementales qui favorisent ce trafic et les stratégies de traite des êtres humains mises en place par les groupes criminels organisés qui en sont à l’origine.
Lorsque cette collaboration transfrontalière a vu le jour, les journalistes ont découvert qu’il n’existait aucune donnée officielle sur les accidents de la route impliquant le trafic de migrants et la traite des êtres humains au Mexique. Finalement, l’équipe a créé la première base de données sur cette question, révélant une menace cachée et mortelle pour la sécurité des migrants. L’enquête a également mis au jour de nouvelles routes de trafic, l’utilisation accrue de semi-remorques, l’impunité des gangs criminels, la coercition des chauffeurs routiers et les taux de condamnation étonnamment bas pour trafic d’êtres humains dans les tribunaux de district mexicains.
Leur méthodologie reposait sur un travail d’investigation courageux, comprenant plus de 70 demandes d’accès à des documents, une analyse minutieuse des données et des témoignages de survivants, de chauffeurs, de familles et de responsables. Au-delà des risques généraux liés au travail d’investigation au Mexique, certains membres de l’équipe travaillant dans les États de Tamaulipas et du Chiapas ont dû bénéficier de mesures de protection en raison de menaces spécifiques.
Le jury a déclaré : « Il s’agit d’un travail de reportage acharné, qui suit l’histoire du début à la fin. Il utilise les outils qui ont fait du journalisme d’investigation ce qu’il est aujourd’hui. » Un autre membre du jury a ajouté : « Il raconte une histoire qui n’avait jamais été racontée auparavant. Un sujet très sensible et pertinent. »
Los Vuelos de la Muerte : Líderes Indígenas Asesinados en un Territorio Invadido por 67 Narcopistas (Les vols de la mort : des leaders autochtones assassinés dans un territoire envahi par 67 gangs de narcotrafiquants) (Pérou)
Mongabay Latam, Earth Genome
Avant ce projet, on savait peu de choses sur la manière dont les activités du crime organisé dans les régions reculées de l’Amazonie affectaient les communautés autochtones. Au cours d’une enquête très sophistiquée et audacieuse qui a duré un an, Mongabay Latam a mis au jour un réseau de pistes d’atterrissage utilisées pour le trafic de drogue dans trois régions amazoniennes du Pérou, ainsi que les liens entre ces routes d’exportation et une campagne de violence et d’assassinats contre les dirigeants et les communautés autochtones.
Après une phase de collecte de données comprenant des demandes d’informations, des reportages courageux sur le terrain et des sources traditionnelles, l’équipe a utilisé un outil de recherche alimenté par l’IA créé par Earth Genome pour trouver des modèles de déforestation correspondant aux pistes d’atterrissage déjà identifiées à l’aide d’outils tels que OpenStreetMap et des portails d’imagerie satellite. En se concentrant sur trois régions péruviennes — Ucayali, Huánuco et Pasco — où 15 dirigeants autochtones ont été tués et où 28 autres sont toujours menacés, l’équipe a suivi un processus de vérification rigoureux pour identifier 67 pistes d’atterrissage clandestines liées au trafic de drogue, dont 30 étaient situées dans des territoires autochtones. Comme l’indique l’article : « Sept territoires en particulier sont non seulement envahis par des pistes d’atterrissage, mais également entourés par celles-ci. »
Le projet a permis de constituer une base de données sur les pistes d’atterrissage utilisées par les narcotrafiquants, qui comprend leur emplacement, leur utilisation, leur date d’ouverture, leur distance par rapport aux routes et aux rivières, et leur présence dans des zones protégées.
Bien que le projet ait été rigoureux en termes de mesures de sécurité pour les journalistes et les sources, il comportait des risques sérieux de violence mafieuse.
BBC Africa Eye et OpenDemocracy (Nigeria)
Comme le décrit si bien la présentation consacrée à cette série documentaire en trois parties : « L’enquête a mis au jour des crimes d’une ampleur et d’une gravité inimaginables pour un homme autrefois considéré comme un saint en devenir. »
Au cours d’une enquête de trois ans sur le pasteur évangélique le plus célèbre d’Afrique et son Église synagogue de toutes les nations — qui avait accumulé plus d’un milliard de vues en ligne et rassemblé des centaines de milliers de fidèles, dont plusieurs présidents étrangers —, BBC Africa Eye a réussi à démystifier l’image irréprochable et le statut « intouchable » de TB Joshua, originaire du Nigeria.
Grâce à son reportage, l’équipe a pu identifier les victimes de nombreuses formes d’abus parfois violents dans une douzaine de pays, des États-Unis et du Royaume-Uni à l’Afrique du Sud et à la Namibie. Mais le projet s’appuyait sur des témoignages d’initiés : les récits officiels de dizaines d’anciens « disciples » du pasteur. En plus de louer le travail acharné de recherche et la narration captivante de la série, plusieurs membres du comité du prix GSLA ont donné le même résumé : « Une histoire incroyable ! » et l’un d’eux a ajouté : « Cela a eu un impact énorme sur tout le continent ; ils ont réussi à trouver des personnes qui pouvaient parler. »
Masrawy (Egypte)
Certaines enquêtes journalistiques stupéfient tout simplement le public en apportant des réponses à des questions que peu de gens s’étaient posées. Cette enquête a non seulement révélé une sinistre tentative cachée de recruter de jeunes hommes arabes pour la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, en particulier des étudiants égyptiens, mais il a également fourni des détails révélateurs sur la manière dont la Russie a modifié ses critères de recrutement afin d’attirer des hommes d’origine étrangère vers un danger mortel.
L’article a révélé l’ensemble des promesses financières et d’immigration faites aux volontaires, le rôle des intermédiaires russes et égyptiens, ainsi que la formation inadéquate dispensée aux jeunes Égyptiens rapidement envoyés au front. Mais le jury des GSLA a également été impressionné par la profondeur du récit, qui a révélé l’angoisse des familles des soldats, souvent laissées dans l’ignorance totale du sort de leurs proches.
Confronté aux risques liés à la sécurité provenant de multiples acteurs malveillants, le journaliste principal a été contraint de prendre des mesures de sécurité importantes pour protéger ses sources, les données du projet et la rédaction, et a subi une surveillance et des harcèlements après la publication.
L’équipe a obtenu des documents clés difficiles à obtenir pour étayer ses conclusions, notamment les contrats signés entre les jeunes Égyptiens et leurs courtiers russes et leurs unités militaires, les plaintes pour personnes disparues déposées auprès du ministère égyptien des Affaires étrangères et les visas de voyage délivrés aux recrues potentielles par le gouvernement russe — dans certains cas, de simples visas touristiques.
Le comité du prix a notamment déclaré : « Un reportage bien documenté, avec les noms et les numéros de ceux qui sont enrôlés dans l’armée russe » et « Une question très médiatisée, qui éclaire de manière très instructive la manière dont les gens sont entraînés dans le mercenariat russe ».
Traduit par AW, avec l’IA
Rowan Philp est journaliste au GIJN. Rowan était auparavant Rédacteur en chef pour le Sunday Times d’Afrique du Sud. En tant que correspondant à l’étranger, il a couvert l’actualité, la politique, la corruption et les conflits dans plus d’une vingtaine de pays à travers le monde.
26.10.2025 à 19:39
Le Pulitzer Center explique comment il a développé différentes méthodologies pour découvrir les délits environnementaux, adaptées à la région, à la juridiction et à l’industrie.
Quand on réalise des reportages sur la dégradation de l’environnement, on se concentre souvent sur les activités économiques qui en sont responsables, comme la pêche illicite pratiquée par des équipages non autorisés, la déforestation de zones protégées, ou des projets d’exploitation pétrolière sans permis.
Avec l’assistance des réseaux pour les reportages du Centre Pulitzer — le Réseau pour les investigations sur la forêt tropicale (Rainforest Investigations Network, RIN) et le Réseau pour les reportages sur les océans (Ocean Reporting Network) — nous voulons révéler non seulement ces malversations mais aussi les structures financières qui les encouragent.
Par exemple, pour un reportage sur l’exploitation illégale des forêts dans des aires protégées, nous aidons les journalistes à déterminer qui est propriétaire du terrain en question, qui coupe et vend le bois, qui l’exporte, qui le transforme en meubles, qui importe ce mobilier, et qui le vend aux consommateurs.
Tous les dégâts environnementaux sont liés à de nombreux flux financiers. Nous avons élaboré différentes méthodologies pour les mettre au jour, en fonction de la région, de la juridiction et du secteur.
Mais en plus de remonter la piste de cet argent, nous voulons aussi comprendre les mécanismes juridiques qui rendent possibles ces délits environnementaux. Quand j’ai réalisé des reportages sur le crime organisé, j’ai appris que si vous faites toute la lumière sur un criminel, il se peut qu’il finisse par être arrêté, mais, souvent, un autre prendra sa place. En revanche, si vous montrez comment le gouvernement et le système juridique permettent aux criminels de prospérer, si vous rendez publique un problème systémique, vos reportages peuvent avoir un impact bien plus conséquent.
Ainsi, quand on réalise des reportages sur l’environnement, l’objectif est de révéler comment les gouvernements et les réglementations ouvrent la voie aux chaînes d’approvisionnement liées à la dégradation de l’environnement.
Dans cette série méthodologique, nous expliquons différentes stratégies d’investigation qui permettent de mettre au jour les trois pistes principales de l’argent (propriété, investissement et chaîne d’approvisionnement), ainsi que les mécanismes qui les sous-tendent. Nous proposons aussi des exemples de recherche créative qui nous ont aidés à surmonter les obstacles.
Dans le Bassin du Congo, un membre du réseau Rainforest Investigations Network, Didier Makal, a obtenu la liste de 10 sociétés minières qui ont reçu des permis d’exploitation dans les provinces du Haut Katanga et de la Lualaba, en République démocratique du Congo. Pour commencer, nous avons recherché leurs numéros d’immatriculation, les dates de l’établissement de leur siège social, leurs adresses, ainsi que des renseignements sur leurs gestionnaires et leurs propriétaires.
La date de l’établissement du siège social permet de confirmer la chronologie des activités minières. En cherchant des renseignements sur chaque gestionnaire et chaque propriétaire, nous avons établi des liens entre les différentes sociétés. Nous avons aussi découvert que certains propriétaires possèdent également des sociétés en Europe, et que l’une des sociétés par actions était détenue par la succursale canadienne du géant minier suisse Glencore.
Regin Winther Poulsen, membre du réseau Ocean Reporting Network, a enquêté sur le système européen des quotas de pêche. Il a découvert que ces quotas, qui permettent à une société de pêcher certaines espèces dans une zone spécifique, font l’objet d’échanges, et qu’en conséquence, quelques sociétés possèdent une part importante des quotas. Encore une fois, nous avons utilisé les bases de données du monde des affaires pour identifier les filiales, les propriétaires et les partenaires commerciaux des sociétés. Cela nous a permis de constater l’étendue de leur pouvoir sur ce marché. Par ailleurs, nous avons utilisé des bases de données commerciales pour voir comment ces sociétés se vendent et / ou s’achètent du poisson.
Nous commençons généralement par essayer de savoir qui possède les sociétés, les terrains et autres actifs, par exemple un avion ou un camion, impliqués dans la dégradation de l’environnement. Pour ce qui est des sociétés, il faut distinguer différents types.
Des entrepreneurs créent des sociétés parce qu’ils ne veulent pas être assimilés à une entité financière. Si une entreprise fait faillite, les propriétaires ne veulent pas devoir payer les dettes, par exemple, si elle est débitrice auprès de banques, d’agents immobiliers, de fournisseurs ou d’employés.
C’est à ce stade que l’on parle du concept de responsabilité limitée. Les propriétaires d’une société ne sont redevables que de l’argent qu’ils ont investi dans la société.
Ce sont les sociétés privées les plus répandues. Les propriétaires ont une responsabilité limitée. Le nom des sociétés se termine par SARL en France, par BVBA en Belgique, BV aux Pays-Bas, Limited ou Ltd au Royaume-Uni, GmbH en Allemagne et LLC aux USA.
Les associés se partagent les profits mais sont aussi redevables pour les pertes. Il s’agit souvent de sociétés comptables ou juridiques.
La responsabilité des associés est plafonnée, comme dans le cas d’une société anonyme. Ce type de société est souvent utilisé pour les fonds spéculatifs et les sociétés d’investissement privé.
Beaucoup de multinationales immatriculent des sociétés en commandite aux Pays-Bas, où elles n’ont pas à payer d’impôts si l’activité économique est exercée par des associés, des filiales souvent, dans un autre pays.
Les sociétés par actions sont des sociétés dont la seule raison d’être est de posséder des filiales. Elles sont souvent créées quand un groupe de personnes possèdent plusieurs entreprises. Par exemple, X possède la société par actions A, qui, à son tour, possède les sociétés B et C. Ce type de société peut aussi être utilisé pour éviter de payer des impôts en mettant tous les profits des filiales dans la société par actions, puis en immatriculant cette société dans un pays où le taux d’imposition est faible. Il arrive qu’une chaîne de sociétés par actions soit créée dans différents Etats qui sont très discrets sur l’identité des propriétaires.
On appelle société offshore toute société immatriculée dans un Etat où elle ne fait pas d’affaires. Souvent, les entrepreneurs ont recours à ce type de structure pour des raisons fiscales. Le Panama, les Bahamas, le Luxembourg, Jersey et les Pays-Bas, entre autres, ont des secteurs économiques entiers consacrés à la création de telles sociétés. Ce qui prête à confusion, c’est que souvent, on appelle aussi sociétés offshore les sociétés qui aident les entrepreneurs à créer leur société offshore.
Cette structure est utilisée pour créer une distinction juridique entre les personnes et leurs biens. Un administrateur, qui n’est pas le propriétaire, détient les biens mais, à terme, c’est le propriétaire qui les détiendra tous. Cette structure peut être utilisée pour éviter de payer des impôts et pour dissimuler des biens, les trusts n’étant pas obligés de publier leurs comptes.
Parfois, la société par actions est une fondation ou un organisme à but non lucratif. Dans de nombreux pays, ces structures ne sont pas soumises à l’impôt, mais elles sont tenues de fournir des informations sur leurs finances. Aux Etats-Unis, il est possible d’avoir accès à leurs déclarations en consultant le site de l’IRS (Internal Revenue Service).
Pour analyser les sociétés privées, l’équipe de recherche du Centre Pulitzer utilise les registres des sociétés et les bases de données des sociétés comme Sayari. Il s’agit de l’une des bases de données les plus accessibles quand on veut savoir qui possède quelle société presque n’importe où dans le monde. Sayari effectue des recherches dans les documents et les données de très nombreux pays.
Ce genre de base de données nous facilite le travail quand on essaie de découvrir des réseaux d’affaires internationaux, parce qu’elle indique si le gestionnaire ou le propriétaire d’une société est également impliqué dans une autre société, même dans un autre pays. Par ailleurs, on peut faire une recherche par nom, pour savoir dans quelles sociétés une personne donnée est impliquée, alors que la plupart des registres des sociétés ne vous permettent de faire une recherche qu’à partir du nom de la société. Ce type de base de données est souvent utilisé par les personnes qui travaillent dans la finance et dans la fonction publique et qui effectuent des vérifications sur des sociétés.
Quand vous n’avez pas accès à ce genre de base de données, la première chose à faire est de vérifier l’existence ou la dénomination légale d’une société, et ce en consultant la base de données gratuite OpenCorporates. Elle vous proposera des informations élémentaires comme l’adresse, la date d’immatriculation et la nature de l’activité de la société. En fonction de l’Etat où la société est immatriculée, vous verrez aussi qui la gère et qui en est propriétaire. Vous pouvez aussi rechercher le nom d’une personne en utilisant l’outil de recherche “Officers”, mais il est peu probable que vous trouviez toutes les sociétés dans lesquelles la personne en question est impliquée.
Consultez ensuite les registres de la société. Dans chaque pays, Etat ou province, une société doit se faire immatriculer pour pouvoir exercer une activité économique. Un grand nombre de pays proposent des renseignements en ligne sur les sociétés qui y sont immatriculées (et leurs liens hyper texte apparaissent souvent, entre autres informations disponibles sur OpenCorporates). La quantité d’informations qui vous sera proposée, la manière dont vous pourrez effectuer une recherche et ce qu’il vous en coûtera ? Tout dépend du pays. Autre facteur critique : la taille de la société.
Au Royaume-Uni, par exemple, le registre suit des règles différentes pour les sociétés qui ont :
Ces sociétés peuvent ainsi soumettre au registre leurs comptes financiers selon des schémas abrégés et demander à être exemptées d’audit. Elles ne sont pas tenues de soumettre un rapport de gestion.
Dans certains pays, en Belgique et au Royaume-Uni, par exemple, l’accès aux registres du commerce est gratuit, et ils proposent des informations sur les propriétaires, ainsi que les originaux de documents, ce qui est idéal. Vous pouvez utiliser les données enregistrées sur les sites ou examiner les originaux de documents. Parmi les documents importants : l’établissement du siège social, les comptes annuels et l’avis d’opéré. Le contenu des documents varie selon les pays, et les sites de certains registres ne sont pas toujours faciles d’utilisation. Cela vaut cependant la peine de passer un peu de temps à explorer les sites et les documents.
A l’autre extrémité, on trouve des pays qui ne proposent pas de bases de données en ligne. D’autres, comme les Emirats arabes unis, en ont, mais vous permettent seulement de vérifier un nom. La plupart des registres du commerce en ligne sont entre les deux : certains vous permettent de télécharger des documents payants ou de souscrire un abonnement. Les informations proposées varient aussi selon les pays. Si les informations en ligne ne portent pas sur les propriétaires, comme c’est le cas pour l’Etat de New York, par exemple, vous pouvez tenter votre chance en demandant les originaux de l’établissement du siège social, qui mentionnent parfois les fondateurs (ce n’est pas le cas pour l’Etat de New York).
S’il n’y a pas de base de données de registre du commerce, essayez de trouver un Journal Officiel ou une revue spécialisée dans les entreprises. Dans beaucoup de pays, on trouve des publications qui répertorient les immatriculations des sociétés et, parfois, les changements de propriétaires.
Supposons que la juridiction où l’entreprise sur laquelle vous enquêtez est immatriculée, ne dispose pas de registres en ligne. Dans ce cas, vous pouvez toujours essayer de trouver des informations qui ont fuité, et qui sont gratuites, par exemple dans les dossiers Offshore Leaks, du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et Aleph, de l’OCCRP. Les archives juridiques, les communiqués sur les personnes politiquement exposées et les révélations sur les dépêches du Département d’Etat américain, par exemple, peuvent contenir des informations sur les propriétaires d’une société.
Si un pays ne propose pas d’informations publiques sur les sociétés qu’il héberge, on peut en conclure qu’il garantit le secret financier aux sociétés qui y sont immatriculées pour dissimuler l’identité du ou des propriétaires.
Si vous êtes bloqué, il reste des alternatives. Par exemple, utilisez les fonctions de recherche avancées de Google pour rechercher des diaporamas (filetype:ppt) ou des PDF (filetype:pdf) mis en ligne par une société lors d’une conférence ou bien enregistrés sur son site. Vous pouvez aussi utiliser LinkedIn ou d’autres réseaux sociaux pour identifier des personnes qui travaillent dans une entreprise donnée. Cependant, ce genre d’information sera plus difficile à utiliser que des originaux de documents quand il s’agira de faire du fact-checking sur l’immatriculation de la société.
Dans le prochain article de notre série, nous examinerons d’autres techniques de recherche créative pour surmonter les obstacles. Les journalistes de nos réseaux et les membres de notre équipe qui travaillent sur les données et effectuent des recherches nous expliqueront comment savoir qui est le propriétaire d’un terrain, retrouver la trace d’investisseurs financiers, suivre les chaînes d’approvisionnement et analyser les comptes des sociétés.
Jelter Meers est responsable de la recherche au sein de l’Unité d’investigations sur l’environnement du Centre Pulitzer, qui comprend le Réseau pour les investigations sur la forêt tropicale (Rainforest Investigations Network) et le Réseau pour les reportages sur les océans (Ocean Reporting Network). Il a débuté en tant que journaliste d’investigation au Centre du journalisme d’investigation du Midwest, dans l’Illinois, où il a réalisé des reportages dans lesquels il demandait des comptes aux autorités sur le logement, les travailleurs immigrés et les grandes exploitations agricoles.