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24.04.2025 à 17:09

Comment TotalEnergies continue de cultiver discrètement son influence à Polytechnique et sur le plateau de Saclay

Ariane Pellion
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Malgré l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay et - plus généralement - dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Mais la contestation ne faiblit pas.
Ce mercredi 23 avril au soir, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, accueillait les dirigeants de grandes écoles du plateau de Saclay, comme Polytechnique, AgroParisTech ou CentraleSupélec, pour une soirée privée (…)

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Texte intégral (2071 mots)

Malgré l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay et - plus généralement - dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Mais la contestation ne faiblit pas.

Ce mercredi 23 avril au soir, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, accueillait les dirigeants de grandes écoles du plateau de Saclay, comme Polytechnique, AgroParisTech ou CentraleSupélec, pour une soirée privée dans les locaux de son pôle R&D Nouvelles Energies & Electricité, implanté au cœur du campus étudiant. Outre les écoles d'ingénieurs les plus prestigieuses, le plateau abrite un regroupement universitaire de rang mondial - l'université Paris-Saclay - ainsi qu'une part majeure - près de 20 % - de la recherche scientifique française publique et privée.

Sous le titre « Pionniers depuis plus de 100 ans », cette soirée réservée aux « partenaires [de TotalEnergies] d'innovation et de recherche de l'écosystème de Paris-Saclay » avait pour but de faire « faire découvrir les réalisations de nos équipes dans les domaines des énergies renouvelables et du développement durable ainsi que les résultats de nos collaborations », selon les termes de l'invitation confidentielle dont nous avons pu prendre connaissance. Ceci « en toute convivialité », autour d'un cocktail partagé avec les cadres dirigeants de la multinationale.

Les liens entre les grandes écoles et des entreprises comme TotalEnergies étant de plus en plus contestés, l'organisation de cette soirée a fait l'objet d'une grande discrétion... mais pas suffisamment. Des militants de Carnage Total, un mouvement de désobéissance civile non-violente, étaient présents pour dénoncer l'événement. « Les influences de TotalEnergies doivent cesser, et en particulier sa présence insidieuse au sein de l'écosystème de recherche et d'enseignement Paris-Saclay », ont-ils expliqué. Quant aux invités, questionnés sur les raisons de leur invitation ou sur leur rôle dans l'écosystème du plateau de Saclay, ils ont dit ne pas savoir, ou bien ont fait mine de n'avoir rien entendu, accélérant le pas jusqu'à l'entrée du bâtiment où une dizaine de gardes du corps et policiers assuraient la sécurité.

Implantation discrète après un échec à Polytechnique

En 2018, la tentative de TotalEnergies d'implanter un bâtiment de R&D en plein cœur du campus de Polytechnique avait suscité de fortes oppositions et attiré l'attention des médias. Le bâtiment devait accueillir près de 250 personnes, avec la vocation d'être aussi un lieu de vie avec des services pour les étudiant·es [1]. La direction de l'Ecole soutenait fermement le projet, mais suite à la mobilisation d'élèves et d'ONG, ainsi qu'à plusieurs recours juridiques, l'entreprise a fini par jeter l'éponge en 2022.

En lieu et place de ce projet emblématique, mais trop visible, TotalEnergies a opté pour une implantation plus discrète, à quelques centaines de mètres de Polytechnique, dans un bâtiment théoriquement destiné, selon l'aménageur public, à « accueillir des petites et moyennes entreprises ». TotalEnergies occupe les trois derniers étages du bâtiment Le NEXT, dans lequel se trouve aussi le restaurant CROUS pour les étudiant·es des écoles environnantes (AgroParisTech principalement, mais aussi Télécom Paris ou Polytechnique). Selon l'entreprise, le pôle accueille désormais 200 chercheurs, en lien étroit avec les laboratoires des universités et écoles du plateau. Il lui sert aussi à organiser des soirées comme celle du 23 avril. Une soirée similaire a eu lieu en novembre 2024 à l'occasion des 100 ans du groupe.

Une présence tentaculaire au sein de l'écosystème Paris-Saclay

De fait, même sans bâtiment au sein même de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay. Outre ses locaux, le groupe est le fondateur et financeur de deux centres de recherche de l'Institut Polytechnique de Paris - un regroupement de six grandes écoles dont, sur le plateau, Polytechnique, l'ENSTA, Télécom Paris et l'ENSAE. TotalEnergies a financé la Chaire « Défis technologiques pour une énergie responsable » du centre E4C (Energy for Climate) à hauteur de 3,8 M€ en 2018 ainsi que le centre Hi ! PARIS (avec HEC) sur l'IA et les sciences de données, créé en 2020. Sans oublier le partenariat avec le Laboratoire de Physique des Interfaces et des Couches Minces (LPICM) sur le solaire photovoltaïque, depuis 2007. Une étude récente de Greenpeace France montre que 85 % des structures de recherche de Paris-Saclay spécialisées dans le climat et la transition énergétique sont liées à TotalEnergies [2].

On retrouve aussi l'entreprise dans la gouvernance même des écoles du plateau. Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, est membre du conseil d'administration de Polytechnique depuis 2018 et a été" renouvelé en 2023 pour 5 ans. Il a aussi été nommé administrateur de l'Institut Polytechnique de Paris en 2019. Nathalie Brunelle, qui était directrice du projet d'installation de TotalEnergies sur le campus de Polytechnique, siège au conseil d'administration de l'ENSTA, établissement voisin. Sophie Vergne, directrice commerciale chez TotalEnergies, siégeait au conseil de l'École de Télécom Paris jusqu'en 2022.

TotalEnergies est enfin présente à travers le financement de la vie associative des étudiants du plateau, qui lui permet de soigner son attractivité parmi les étudiants. Par exemple, le groupe était parrain de la promotion 2017 de Polytechnique, de la promotion ENSTA 2021 et de la promotion Télécom Paris 2022.

Une stratégie d'influence bien documentée

Cette omniprésence, en plus de permettre au groupe pétrogazier de soigner son image auprès des chercheurs et des étudiants, a aussi des conséquences sur le contenu même de la recherche et de l'enseignement.

L'enquête de Greenpeace conclut que « la multinationale utilise sa puissance de frappe financière pour orienter les savoirs sur la transition énergétique dans le sens de ses intérêts ». Selon les données rassemblées par l'ONG, TotalEnergies ne noue aucun partenariat sur la sobriété énergétique ou sur les conséquences du réchauffement climatique. Par contre, l'analyse fait ressortir que « 44 % des partenariats concernent les technologies de captage du carbone (CCUS) pour réduire les émissions de CO2 ». Ces technologies non prouvées sont largement mises en avant par le secteur pétrolier. Les militants du climat y voient surtout un moyen de retarder l'adoption de tout cadre réglementaire qui la contraindrait à réduire sa production d'énergies fossiles et de détourner l'attention de solutions plus systémiques [3].

L'influence de groupes comme TotalEnergies dans l'enseignement supérieur et la recherche est favorisée par des politiques publiques : défiscalisation des mécénats, crédit impôt recherche, bourses pour employer des chercheurs ou des doctorants, fléchage de la taxe d'apprentissage, etc.

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Dans les écoles, refus du débat

De plus en plus d'étudiant·es questionnent les partenariats de leur école ou université avec certaines entreprises privées, à commencer par celles engagées dans de nouveaux projets d'énergies fossiles. En 2024 à l'ESPCI (école d'ingénieur à Paris), les étudiant·es ont voté pour ne pas inviter TotalEnergies à leur forum étudiant. Au même moment, à Polytechnique, des étudiant·es ont souhaité débattre de la présence de la multinationale au forum d'entreprises organisé chaque année dans leurs locaux, mais la direction de l'Ecole les a empêché de soulever la question de l'exclusion d'entreprises particulières, comme ils voulaient le faire à travers un sondage.

La même année, 600 élèves et alumni ont envoyé une lettre à la direction de l'Ecole Polytechnique pour dénoncer les partenariats avec des entreprises liées aux énergies fossiles et lui demander des transformations profondes [4]. La direction a répondu dans un communiqué de presse discret, sans aucun argument scientifique alors que la lettre s'appuyait sur de nombreux rapports et avis sur la question : « Nous pensons qu'il faut coopérer avec les entreprises industrielles à haute intensité technologique et énergétique, qui ont entre les mains les leviers pour faire évoluer les systèmes productifs à l'échelle internationale. »

La situation est similaire dans d'autres écoles du plateau de Saclay, comme à AgroParisTech, à CentraleSupélec ou dans les autres établissements de l'Institut Polytechnique de Paris. Malgré des questions légitimes sur les tenants et les aboutissants de leurs partenariats avec des entreprises, ces hauts lieux de la science largement financés par l'argent public refusent tout débat.

Faut-il y voir un signe que les stratégies de relations publiques des multinationales comme TotalEnergies sur le plateau de Saclay sont efficaces ?

Ariane Pellion


[1] Voir pour plus d'informations : https://polytechniquenestpasavendre.fr/

[3] Lire par exemple cet article du Monde.

[4] Lire par exemple cet article de Novethic.

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