09.12.2024 à 12:00
Des documents internes révélés conjointement par l'Observatoire des multinationales et le média anglophone DeSmog montrent comment Atlas Network, réseau international de think tanks libertariens, a mené un travail d'obstruction à un moment crucial des discussions internationales sur le climat pour le compte du géant pétrolier ExxonMobil.
Le 29 mars 1999, Alejandro Chafuen, alors directeur d'un réseau international de think tanks libertariens connu sous le nom d'Atlas Network, envoie une (…)
Des documents internes révélés conjointement par l'Observatoire des multinationales et le média anglophone DeSmog montrent comment Atlas Network, réseau international de think tanks libertariens, a mené un travail d'obstruction à un moment crucial des discussions internationales sur le climat pour le compte du géant pétrolier ExxonMobil.
Le 29 mars 1999, Alejandro Chafuen, alors directeur d'un réseau international de think tanks libertariens connu sous le nom d'Atlas Network, envoie une lettre de remerciement à un cadre d'ExxonMobil.
« Au nom d'Atlas et des instituts qu'il soutient, nous tenons à vous remercier une nouvelle fois pour les généreuses contributions d'Exxon Corporation à ces programmes, écrit Chafuen, et pour la confiance qu'Exxon et vous-même nous avez accordée. »
Sans le soutien financier d'Exxon, peu de ces réalisations auraient été possibles.
La lettre adressée à William E. Hale, du département des affaires publiques d'Exxon, inclut un résumé de cinq pages sur la portée mondiale et la diversité des activités que l'entreprise a financées en 1998, « en tout ou en partie », à travers ses dons au programme « Energie et environnement : Solutions basées sur le marché » du réseau Atlas.
Parmi ces activités, des conférences sur la « peur du réchauffement climatique », des réunions internationales de briefing avec d'éminents climato-sceptiques et la distribution à grande échelle de livres destinés à empêcher les écoliers de devenir des « croisés suffisants » de la protection de l'environnement. Sans le soutien financier d'Exxon, précise Chafuen, « peu de ces réalisations auraient été possibles ».
DeSmog et l'Observatoire des multinationales publient aujourd'hui pour la première fois cette lettre, ainsi que d'autres documents qui mettent en évidence la collaboration de longue durée entre l'une des plus grandes entreprises pétrolières et gazières au monde et le réseau Atlas.
Dans un rapport publié en mai dernier, l'Observatoire des multinationales a levé le voile sur l'histoire et les méthodes d'Atlas Network et sur ses partenaires en France, parmi lesquels l'Ifrap ou encore l'Institut de formation politique.
Dès les années 1990, un travail de sape des politiques climatiques a été coordonné au niveau mondial, notamment à travers les think tanks partenaires du réseau Atlas, en s'attaquant au « climat des idées ».
Atlas s'est construit pour mener la « bataille des idées » à l'échelle internationale à travers un réseau de think tanks et d'autres organisations, en facilitant leur financement, en organisant des échanges de bonnes pratiques et en coordonnant leur action et la diffusion des mêmes messages. Ce sont ces mêmes méthodes que l'on retrouve à l'oeuvre, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, dans le cadre des conférences climat.
Alors que la COP29 vient de s'achever en Azerbaïjan sur un accord décevant, les documents que nous révélons illustrent comment, dès les années 1990, un travail de sape des politiques climatiques a été coordonné au niveau mondial, notamment à travers les think tanks partenaires du réseau Atlas, qui a oeuvré à influencer politiques, médias et opinion publique en s'attaquant au « climat des idées ». Et ceci avec le soutien financier direct d'ExxonMobil.
Dans une déclaration envoyée par courriel à l'Observatoire des multinationales, Brad Lips, directeur d'Atlas Network, a défendu les relations de l'organisation avec ExxonMobil en déclarant que « ces dons de la fin des années 1990 et du début des années 2000 reflètent le point de vue de nos dirigeants de l'époque, à savoir qu'une réglementation environnementale trop zélée, sous prétexte de changement climatique, serait préjudiciable à la croissance économique en général, et en particulier à la possibilité d'augmenter le niveau de vie dans le Sud ».
Toutefois, selon lui, le réseau Atlas a désormais changé d'orientation. « Lorsque je suis devenu directeur du réseau Atlas il y a quinze ans, il était clair qu'il n'y avait pas de consensus sur ces sujets parmi nos partenaires. J'ai décidé que ce n'était pas un domaine sur lequel le réseau Atlas devait se concentrer, car nous voulons travailler de manière constructive avec tous nos partenaires sur nos principales priorités, sans nous préoccuper de leur position sur les questions de science climatique », a-t-il écrit.
Alejandro Chafuen n'est pas le seul signataire de la lettre de 1999 à Exxon (qui fusionne avec Mobil cette même année). L'autre signataire est Paul Driessen, son vice-président, aujourd'hui contributeur du célèbre think tank climato-sceptique Heartland Institute.
Dès la fin des années 1970, les scientifiques d'Exxon prévenaient les dirigeants de l'entreprise que des « réductions importantes » de l'utilisation des énergies fossiles seraient nécessaires.
Ce document et plus d'une douzaine d'autres, obtenus par le Corporate Genome Project, s'ajoutent à un nombre croissant de preuves que le retard pris dans la lutte contre le changement climatique peut être attribué en partie aux efforts de désinformation discrètement organisés par des compagnies pétrolières et des think tanks à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Il s'agit d'années cruciales au cours desquelles les gouvernements commençaient à tenter de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre. Dès la fin des années 1970 et le début des années 1980, les scientifiques d'Exxon eux-mêmes prévenaient les dirigeants de l'entreprise que des « réductions importantes » de l'utilisation des énergies fossiles seraient nécessaires pour éviter des « événements potentiellement catastrophiques » à l'avenir.
Les documents révèlent aussi la manière dont Atlas Network a canalisé l'argent d'ExxonMobil vers des think tanks libertariens dans le monde entier, cherchant à propager des politiques favorables aux entreprises derrière le voile d'une analyse objective.
L'un des principaux objectifs d'Atlas Network est de former des leaders politiques conservateurs, dont certains finissent par accéder au pouvoir. Parmi les bénéficiaires de ces programmes : Ana Lamas, alors directrice de la Fondación MEL en Argentine. Selon un compte rendu d'Atlas en 1998, elle a passé plusieurs semaines dans la région de Washington, rencontrant et travaillant avec Atlas, le Cato Institute, le Competitive Enterprise Institute (CEI), la Heritage Foundation, SEPP et d'autres organisations impliquées dans les efforts d'obstruction de toute politique climatique ambitieuse aux États-Unis, et au-delà.
Dans le document de collecte de fonds d'Atlas de 1998, la Fondación MEL est citée comme destinataire de 5 000 dollars de l'American Petroleum Institute, le grand lobby pétrolier étatsunien, pour des dépenses diverses liées à l'organisation d'« événements sur le réchauffement de la planète ». Lamas est également mentionnée comme ayant reçu personnellement 850 dollars pour ces activités.
Aujourd'hui, Ana Lamas est sous-secrétaire à l'Environnement dans le gouvernement de Javier Milei. dont les liens avec le réseau Atlas et ses partenaires sont nombreux. En 2024, en amont de la COP29, elle annonçait vouloir appréhender les questions climatiques comme un enjeu de marché, et assume la position climate-sceptique de Javier Milei.
Les négociateurs argentins se sont retirés de la COP29 sur ordre de leur gouvernement seulement quelques jours après qu'elle ait commencé.
Ana Lamas n'a pas répondu à nos sollicitations.
Sollicité par l'Observatoire des multinationales, le porte-parole du réseau Atlas, Adam Weinberg, a déclaré que « le réseau Atlas n'a pas reçu de financement de la part de compagnies pétrolières ou gazières ou de leurs fondations depuis 15 ans ».
« Le réseau Atlas lui-même ne défend pas de politiques spécifiques en matière d'énergie, d'environnement ou de changement climatique », a-t-il ajouté, affirmant que « la collecte de fonds auprès d'entreprises n'a jamais représenté une part substantielle du budget du réseau Atlas ».
« Le budget annuel que nous collectons est dérisoire par rapport à de nombreuses autres organisations à but non lucratif ayant des missions mondiales, et certainement par rapport à l'argent des contribuables gaspillé par pratiquement n'importe quel gouvernement dans le monde. »
« Mais nous sommes extraordinairement reconnaissants aux nombreuses personnes et aux généreuses fondations qui partagent notre engagement en faveur des droits individuels et de la libre entreprise et qui nous fournissent les ressources nécessaires pour renforcer le mouvement mondial en faveur de la liberté. »
ExxonMobil n'a pas répondu à nos demandes de commentaires, pas plus qu'Alejandro Chafuen, qui est aujourd'hui directeur d'un think tank appelé l'Acton Institute for the Study of Religion and Liberty.
Pour obtenir le soutien de donateurs tels qu'Exxon, Atlas met en avant son talent pour faire passer des idées de politiques publiques à travers des instituts qui seront perçus comme neutres (contrairement aux entreprises dont les conflits d'intérêts sont évidents).
Atlas met en avant son talent pour faire passer des idées de politiques publiques à travers des instituts qui seront perçus comme neutres, contrairement aux entreprises dont les conflits d'intérêts sont évidents.
Un document intitulé « Avantages à soutenir l'Atlas Economic Research Foundation » souligne la capacité du réseau à promouvoir des politiques favorables aux multinationales, tout en permettant aux entreprises qui financent ces recherches de rester dans l'ombre.
« Les idées de politique publique ont souvent plus de valeur lorsqu'elles sont défendues par des organisations qui ne sont pas perçues comme reflétant des intérêts étroits et particuliers », souligne ainsi le document. « Les dons faits à Atlas, puis donnés à des think tanks à la discrétion d'Atlas, injectent une mesure supplémentaire d'indépendance et de crédibilité dans les études. »
Ces dons ont aussi l'avantage d'être déductibles des impôts, Atlas étant une organisation à but non lucratif (nonprofit, section 501).
Mais Atlas souligne aussi sa capacité à développer et mobiliser des réseaux partout dans le monde – Europe, Asie, Afrique, Amérique latine. Par exemple, dans la lettre qu'Atlas envoie en 1999 à Exxon pour présenter son programme « Énergie et environnement », le réseau accorde une large part au soutien apporté à des instituts hors des États-Unis, notamment en Chine (Unirule Institute of Economics, Institute of World Economics and Politics), en Inde (Center for Civil Society, Liberty Institute), au Chili (Libertad y Desarollo), en Argentine (Fundacion Libertad) ou au Canada (Fraser Institute)...
Parmi les nombreuses conférences, séminaires et ateliers financés par le programme sur différents continents, on peut citer une série de réunions d'information organisées dans cinq villes argentines, qui ont rassemblé des centaines de personnes pour discuter des « aspects scientifiques, économiques et technologiques » de la « peur du réchauffement planétaire ». La couverture médiatique de ces événements « inclut 8 apparitions à la télévision et à la radio, plus de 12 articles dans des journaux et des magazines, et 19 interviews ».
Selon le document, le climato-sceptique Fred Singer, président du Science and Environmental Policy Project (SEPP), a été discuter « des questions relatives au changement climatique mondial devant un certain nombre de groupes en Argentine, au Brésil, au Chili et en France avant et pendant le sommet COP-4. (Atlas fournit un financement important au SEPP) ».
En Europe, on peut citer Timbro en Suède, ou le Civic institute en République tchèque, alors dirigé par Michal Semin, journaliste et commentateur, figure chrétienne conservatrice, anti-avortement, opposé au mariage homosexuel, au libéralisme social, et qui a pu attribuer les attaques du 11 septembre aux élites américaines.
Les documents montrent qu'à l'époque où Exxon apportait ses « généreuses contributions », l'Atlas Network gérait un programme de « Fellows » qui a permis à des personnalités d'Argentine, de France, du Mexique et de Turquie d'acquérir de l'expérience au sein de think tanks, d'organiser et d'assister à des conférences et de poursuivre des études à l'université George Mason. Cette université conservatrice a reçu des dizaines de millions de dollars depuis 2005 de la part de fondations liées aux milliardaires du pétrole et du gaz Charles et feu David Koch, selon leurs déclarations fiscales.
Chafuen et Driessen signalent dans leur lettre de 1999 à Exxon qu'« Atlas a envoyé des paquets de livres, d'articles et de vidéos sur la science et l'économie du changement climatique mondial à neuf instituts en Asie et en Amérique latine ».
Parmi ces livres - distribués de la Turquie au Chili en passant par l'Espagne - se distingue Facts, Not Fear, un manuel pour enfants présenté comme un guide pour s'opposer aux « affirmations irresponsables des extrémistes de l'environnement » dans les salles de classe et empêcher les écoliers de devenir des « croisés suffisants dont les connaissances sont, au mieux, fragiles ».
Une proposition que Chafuen envoie à ExxonMobil en mai 2000 détaille les ressources qu'Atlas Network peut mettre en œuvre pour défendre les intérêts de ses donateurs. Adressée à T.J. Randy Randoll, cadre d'ExxonMobil, la lettre d'accompagnement contient une mise en garde amicale à l'intention de la compagnie pétrolière.
Bientôt, dit Chafuen à Randoll, les « alarmistes du réchauffement climatique » utiliseront un prochain rapport sur le climat pour « convaincre les États-Unis et d'autres pays de ratifier le protocole de Kyoto », le traité de 1997 qui engage les riches pollueurs comme les États-Unis à des réductions substantielles et juridiquement contraignantes de leurs émissions de gaz à effet de serre.
M. Chafuen semble en effet particulièrement préoccupé par le troisième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), l'organisme créé par les Nations unies pour fournir des évaluations scientifiques aux décideurs politiques, qui devait être publié l'année suivante.
Atlas propose alors de contrer ces études par une campagne visant à convaincre les « membres du Congrès, aux journalistes, aux ambassadeurs et aux autres responsables aux États-Unis et à l'étranger que la science du réchauffement climatique est loin d'être établie ».
« Les données satellitaires ne démontrent qu'un léger réchauffement de l'atmosphère terrestre - bien moins que ce que prédisent les alarmistes du réchauffement planétaire ».
Le consensus sur le fait que les émissions de gaz à effet de serre provenant de la combustion des énergies fossiles engendrent des risques catastrophiques pour le climat a commencé à émerger au moins dès 1979, lorsqu'un groupe ad hoc de climatologues s'est réuni en juillet à la Woods Hole Oceanographic Institution, dans le Massachusetts. Leurs délibérations ont été compilées dans « Carbon Dioxide and Climate : A Scientific Assessment ». Connue familièrement sous le nom de rapport Charney, cette étude est toujours considérée comme un pilier de la science du climat en raison de la précision avec laquelle elle prévoit la vitesse à laquelle l'augmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère provoquée par l'homme entraînerait une hausse des températures mondiales.
En 2000, deux décennies de recherches ultérieures n'ont fait que renforcer les conclusions du rapport Charney. Chafuen semble néanmoins désireux de démontrer à ExxonMobil que les scientifiques « indépendants » soutenus par le réseau Atlas peuvent rassembler suffisamment de preuves pour semer le doute.
« De fait, la communauté scientifique reconnaît de plus en plus que les données satellitaires et autres ne démontrent qu'un léger réchauffement de l'atmosphère terrestre - bien moins que ce que prédisent les modèles climatiques et les alarmistes du réchauffement planétaire, écrit M. Chafuen. Un nombre important et croissant de scientifiques respectés reconnaissent également que les phénomènes naturels sont les principaux responsables des changements climatiques observés et que les activités humaines pourraient ne jouer qu'un rôle mineur. »
Atlas Network prévoit alors de dépenser 17 500 dollars rien que pour les frais d'impression, ainsi que des milliers de dollars supplémentaires pour organiser des réunions d'information à l'intention de groupes de décideurs, d'hommes politiques et de « responsables religieux sélectionnés », ainsi que de think tanks tels que le Heartland Institute. Le budget prévoit également 6 000 dollars pour couvrir quatre jours de « briefings aux journalistes » et 1 500 dollars pour les conférences de presse.
Bien que les médias en ligne n'en soient alors qu'à leurs débuts, M. Chafuen présente à ExxonMobil une stratégie numérique détaillée, comprenant l'achat de « bannières publicitaires sur des sites web sélectionnés » et 1 500 dollars pour la création et l'affichage d'« hyperliens internet » qui attireraient les gens vers des pages contenant des informations contestant le consensus scientifique sur le changement climatique.
Atlas promet aussi de mesurer soigneusement son influence : « Le succès de ce projet sera mesuré par le nombre : de 'hits' reçus par les sites web, d'articles et d'articles d'opinion distribués et effectivement placés, de personnes présentes aux briefings et aux conférences de presse, d'apparitions dans les talk-shows et autres programmes, d'interviews avec les médias, d'invitations aux réunions de comités éditoriaux et à des audiences du Congrès, de stations de radio et de télévision utilisant le matériel qui leur a été fourni - ainsi que par les niveaux d'intérêt généralement exprimés par les publics cibles », écrit Chafuen dans sa proposition. « Les niveaux de financement globaux détermineront le nombre d'éléments du projet décrits ici qui pourront être réalisés dans les délais spécifiés et selon les normes que vous êtes en droit d'attendre des programmes Atlas. »
« La dernière chose qu'Atlas souhaite faire est de décevoir un allié précieux et généreux. »
Le mois suivant, en juin 2000, Gary Ehlig, cadre d'ExxonMobil, envoie à Atlas un chèque de 65 000 dollars « de la Fondation ExxonMobil pour soutenir la poursuite de vos travaux sur le changement climatique ».
M. Ehlig écrit que les fonds sont « destinés à soutenir les activités liées à l'évaluation scientifique de plusieurs rapports, y compris la version actuelle du troisième rapport d'évaluation du GIEC et le rapport d'évaluation national des États-Unis lorsqu'il sera disponible », et qu'il attend avec impatience « des informations sur vos activités dans le domaine du changement climatique au fur et à mesure que l'année progressera ».
Cependant, moins de deux semaines plus tard, Brad Lips, le nouveau directeur des opérations de l'Atlas Network - et qui en est aujourd'hui le directeur - écrit à Exxon pour lui faire part d'une mauvaise nouvelle. En raison de « circonstances imprévues », l'organisation « doit retourner le chèque d'ExxonMobile [sic] ».
Lips est conciliant : « La dernière chose qu'Atlas souhaite faire est de décevoir un allié précieux et généreux. » Mais, explique-t-il, son organisation n'est plus convaincue « que cet important projet peut être réalisé dans les conditions que nous avions prévues ».
Il n'a pas été possible dans l'immédiat de vérifier dans quelle mesure le programme envisagé par le réseau Atlas a été finalement mis en œuvre.
Au même moment, en juin 2000, Brad Lips relève que le réseau ne devrait peut-être pas autant construire ses projets autour des intérêts de ses bailleurs.
Dans un mémo, il explique : « Les programmes ont eu tendance à être planifiés en fonction de donateurs particuliers. Il serait plus respectable qu'Atlas détermine les grandes lignes et les objectifs de son programme environnemental avant de solliciter le soutien d'ExxonMobil, au lieu de notre ancienne procédure, qui consistait à rédiger une proposition pour ExxonMobil et à le labeliser ensuite comme étant notre programme environnemental. »
Il recommande que les équipes définissent leurs projets avant de solliciter les financeurs... tout en gardant la possibilité de s'adapter aux souhaits de ces derniers (« Atlas conserverait la flexibilité nécessaire pour répondre aux intérêts d'un nouveau donateur »).
Le même mémo identifie les donateurs potentiels pour des projets environnementaux sur les thèmes de la science et la réglementation internationale : Exxon, Procter & Gamble, American Petroleum Institute.
Quelles que soient ses préoccupations, Lips n'en continue pas moins à promouvoir la capacité de son réseau à servir les intérêts des entreprises. Il écrit en mai 2002 à un cadre de Shell dont il cherche à obtenir le soutien : « Atlas agissant comme un "groupe de coordination" [umbrella group] au service de tout ce réseau [de think tanks], nous pouvons aider à coordonner les efforts visant à atteindre des objectifs politiques qui représentent les meilleurs intérêts de nos deux organisations ».
« Veuillez conserver mon nom dans vos dossiers, écrit Lips, au cas où vous souhaiteriez des références sur les alliés locaux d'Atlas dans différents pays. (Si je me souviens bien, la Russie, le Nigeria et la Turquie font partie des pays que vous avez mentionnés la semaine dernière) ».
« Nous veillerons à l'avenir à informer les bénéficiaires de cette ligne de crédit de l'origine des fonds et du partenariat Atlas/ExxonMobil. »
Les liens mondiaux d'Atlas Network ont certainement séduit ExxonMobil, qui a utilisé l'organisation au début des années 2000 pour acheminer des subventions vers des think tanks en Afrique et en Asie, comme le montrent les documents que nous révélons.
En janvier 2004, Lips envoie un courriel à Walt F. Buchholtz, cadre d'ExxonMobil, pour l'informer qu'Atlas Network a transféré des fonds donnés par l'entreprise pour son programme « Eco-Imperialisme et instituts liés » à des think tanks au Nigeria, au Kenya, au Bangladesh et en Inde, par le biais de subventions d'une valeur comprise entre 2 500 et 6 000 dollars.
« Comme nous en avons discuté, nous veillerons à l'avenir à informer les bénéficiaires de cette ligne de crédit de l'origine des fonds et du partenariat Atlas/ExxonMobil visant à les aider et à promouvoir leur bon travail », écrit M. Lips.
En cette année 2004, la bataille à gagner est celle de la COP10 à Buenos Aires, et le réseau Atlas fait encore une fois appel au soutien du géant pétrolier américain. « Nous sommes très bien placés pour avoir une influence positive sur l'orientation du débat et la couverture médiatique en Argentine. (...) Nous avons déjà réservé un local idéal à côté du centre de convention, qui peut servir de base ou de "war room" pour nos efforts », explique le directeur du réseau Alejandro Chafuen.
Un effort présenté comme colossal, pour obtenir une couverture médiatique favorable autour de la COP, en mobilisant un maximum d'alliés de toutes les régions du monde, en particulier de régions « stratégiques », ainsi que de nombreux think tanks où siègent, voire qui sont présidés, par des administrateurs du réseau Atlas. Chafuen demande une subvention supplémentaire à ExxonMobil pour soutenir ce programme.
Les documents disponibles n'indiquent pas clairement si ExxonMobil a accepté cette proposition. Cependant, la correspondance entre Atlas et l'entreprise au cours de la première partie de l'année 2004 montre qu'ExxonMobil avait récemment fait des dons de 30 000 et 55 000 dollars au réseau.
En février 2005, Chafuen écrit à Buchholtz pour lui exprimer sa gratitude pour un nouveau don de 45 000 dollars.
« Je tiens à vous remercier personnellement pour votre dévouement à la mission d'Atlas », écrit Chafuen.
Le nom d'un think tank français apparaît alors dans les échanges entre le réseau Atlas et ExxonMobil : « Je mets également sur notre liste de choses à faire de veiller à ce qu'une subvention soit accordée à l'Institut Molinari et à ce que Tim Evans, du CNE, soit informé de votre aide, puisqu'il vous a présenté à Cécile Philippe. Je sais que notre directeur des relations avec les instituts, Jo Kwong, a consulté Cécile sur ses efforts depuis leur rencontre à Londres fin 2002. L'année dernière, nous avons utilisé 3000 dollars (provenant d'une autre ligne de financement) pour l'aider à suivre une formation en gestion de groupe de réflexion à l'Institut économique de Montréal » (message de Brad Lips à Walt Buchholtz, 29 janvier 2004).
ExxonMobil exprime d"ailleurs les mêmes demandes de fléchage des financements : « J'aimerais également qu'une partie de ces fonds soit allouée aux associés d'Atlas au sein des groupes de réflexion des pays en développement en Afrique, en Amérique latine et en Asie. En outre, il existe un nouveau groupe de réflexion sur le marché libre en France, l'Institut Molinari, qui devrait recevoir une petite subvention » (courrier de Walt Buchholtz à Alejandro Chafuen, 4 mars 2004, par lequel ExxonMobil approuve un don de 55 000 dollars au réseau Atlas).
De fait, en 2005, Cécile Philippe appelle à s'attaquer aux taxes sur le pétrole plutôt qu'aux profits des pétroliers. En 2007, elle publie le livre C'est trop tard pour la Terre, qui dénonce « l'alarmisme environnemental » qui alimente « les propositions des politiques qui surfent avec enthousiasme et démagogie sur la vague écolo ». Elle s'en prend au principe de précaution et déconstruit ce qu'elle considère comme des mythes : la fin du pétrole, la responsabilité de l'homme dans les changements climatiques, les effets néfastes du marché et les bénéfices d'un développement durable.
Dans une tribune publiée cette même année, Cécile Philippe défend ardemment le pétrole : « Réglementer les émissions ou taxer le CO2, c'est pénaliser notre principale source d'énergie, le pétrole. Qu'on le veuille ou non, aucune source alternative ne peut s'y substituer sans subventions. Le pétrole est tout simplement la clef de voûte de nos sociétés industrialisées. (…) Le consensus sur les causes du changement climatiques n'existe pas et (…) de nombreux spécialistes affirment que le rôle de l'homme ne peut être que mineur dans ce changement (...) Lutter contre les émissions de CO2 pourrait n'être qu'un coup d'épée dans l'eau si elles ne sont pas la cause majeure du changement climatique. »
Aujourd'hui, en matière d'énergie, l'institut Molinari défend surtout le nucléaire, en arguant notamment que cette énergie serait la meilleure solution pour éviter les émissions de CO2 [1]. Une évolution par rapport à 2007, où le think tank contestait la nécessité même de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais il n'est pas devenu un soutien des politiques climatiques pour autant : il continue de dénoncer les énergies renouvelables et s'abstient de parler de sobriété énergétique. (Nous avons contacté l'institut Molinari, qui ne nous a pas répondu.)
Le réseau Atlas lui aussi affirme que ses objectifs - et ses financements - ont eux aussi changé. Pourtant, comme le montrera la deuxième partie de notre rapport, plusieurs partenaires du réseau sont toujours impliqués dans des activités d'obstruction aux politiques climatiques, alors que l'urgence environnementale ne cesse de s'intensifier.
Anne-Sophie Simpere
Lire le second volet de cette enquête : Nucléaire, critique des renouvelables et criminalisation des militants : le réseau Atlas et les nouveaux habits du climato-scepticisme.
[1] Voir ici ou là ou encore là devant les parlementaires.
07.12.2024 à 14:18