27.02.2025 à 20:05
Human Rights Watch
(Bangkok, le 28 février 2025) – Le gouvernement thaïlandais a violé le droit national et international en renvoyant de force au moins 40 hommes ouïghours en Chine, où ils sont exposés aux risques de torture, de détention arbitraire et d’emprisonnement à long terme, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces hommes étaient précédemment détenus dans un centre de détention pour immigrants thaïlandais, depuis plus d’une décennie.
Le 27 février, à 2h14 du matin, plusieurs camions aux fenêtres recouvertes de ruban adhésif noir ont quitté le centre de détention pour immigrants de Suan Phlu à Bangkok, où plus de 40 hommes ouïghours étaient détenus. À 4h48 du matin, entamant un vol qui n’était pas officiellement prévu, un avion de China Southern Airlines a quitté l’aéroport international de Don Mueang et a atterri six heures plus tard à Kashgar, dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang en Chine. Peu après, selon la chaîne de télévision publique China Central Television (CCTV), un représentant du ministère chinois de la Sécurité publique a indiqué lors d’une conférence de presse que « 40 ressortissants chinois qui a avaient quitté illégalement le pays et étaient détenus en Thaïlande ont été renvoyés [en Chine] ». Plus tard dans la journée du 27 février, le vice-Premier ministre et ministre de la Défense thaïlandais, Phumtham Wechayachai, a confirmé aux médias que les Ouïghours avaient été renvoyés en Chine.
« La Thaïlande a violé de manière flagrante le droit national et ses obligations internationales en renvoyant de force ces Ouïghours en Chine, où ils risquent d’être persécutés », a déclaré Elaine Pearson, directrice de la division Asie à Human Rights Watch. « Après 11 ans de détention dans des centres des services d’immigration en Thaïlande dans des conditions inhumaines, ces hommes courent désormais un risque grave d’être torturés, soumis à des disparitions forcées ou détenus pendant de longues périodes par le gouvernement chinois. »
En mars 2014, la police thaïlandaise avait arrêté environ 220 hommes, femmes et enfants ouïghours dans la province de Songkhla, près de la frontière avec la Malaisie ; la police les avait alors accusés d’infractions à la législation sur l’immigration, et transférés dans un centre de détention pour immigrés à Bangkok. Au cours de plusieurs incidents distincts survenus à la même période, les autorités thaïlandaises ont arrêté des dizaines d’autres Ouïghours et les ont placés en détention dans d’autres centres de détention pour immigrés, dans d’autres régions du pays. En juillet 2015, environ 170 femmes et enfants ouïghours détenus à Songkhla ont été libérés, et envoyés en Turquie. Une semaine plus tard, les autorités thaïlandaises à Bangkok ont transféré de force plus de 100 hommes ouïghours aux autorités chinoises, qui les ont contraints à retourner en Chine, a bord de deux avions.
Les autres hommes ouïghours ont continué à être détenus par les autorités thaïlandaises, sous la pression du gouvernement chinois, et sans que la durée de cette détention ne soit officiellement déterminée. Craignant qu’ils ne soient eux-mêmes bientôt renvoyés en Chine, ces hommes ont entamé une grève de la faim le 10 janvier. Ils ont recommencé à manger le 29 janvier, après avoir reçu l’assurance des autorités thaïlandaises qu’ils ne seraient pas renvoyés en Chine.
Les Ouïghours sont des musulmans parlant une langue turcique, et dont la plupart vivent au Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Le gouvernement chinois est depuis longtemps hostile aux expressions de l’identité ouïghoure. Depuis fin 2016, les autorités chinoises ont intensifié une campagne généralisée et systématique de violations des droits humains contre la population ouïghoure, y compris des crimes contre l’humanité.
Les autorités chinoises ont arbitrairement détenu et injustement emprisonné des Ouïghours, les ont persécutés pour avoir pratiqué leur culture et les ont soumis à une surveillance de masse et au travail forcé. Selon certaines estimations, près d’un demi-million d’Ouïghours seraient actuellement emprisonnés dans le cadre de la répression en cours ; les autorités chinoises ont systématiquement traité des comportements pacifiques quotidiens, comme le fait de prier ou de contacter des proches à l’étranger, comme s’il s’agissait d’activités terroristes ou extrémistes.
Les Ouïghours considérés comme ayant quitté illégalement la Chine sont considérés avec une suspicion intense par les autorités ; en cas de retour forcé, ils sont soumis aux risques de détention, d’interrogatoires, de torture, et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités chinoises ont également commis à plusieurs reprises des abus contre des familles ouïghoures vivant à l’étranger.
Dans un rapport de 2022, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a documenté ces abus d’une gravité croissante, et a conclu que les actions de la Chine « sont susceptibles de constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité ».
La Thaïlande n’est pas un État partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et ne dispose d’aucun mécanisme national efficace pour évaluer les demandes d’asile. Les autorités thaïlandaises de l’immigration ont refusé à plusieurs reprises d’autoriser le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à rencontrer ces hommes, les empêchant d’exercer leur droit de demander la reconnaissance de leur statut de réfugié.
Dans un communiqué publié le 27 février, le HCR a déclaré ceci : « L'agence [HCR] a demandé à plusieurs reprises à avoir accès au groupe et à obtenir des autorités thaïlandaises l'assurance que ces personnes, qui avaient exprimé leur crainte d'être renvoyées, ne seraient pas expulsées. Cet accès ne lui a pas été accordé et, lorsqu'elles ont été contactées en vue d'obtenir des éclaircissements, les autorités du gouvernement royal thaïlandais ont déclaré qu'aucune décision n'avait été prise concernant l'expulsion du groupe. »
Le gouvernement thaïlandais est tenu de respecter le principe du non-refoulement inscrit dans le droit international, qui interdit aux pays de renvoyer une personne vers un lieu où elle serait exposée à un risque réel de persécution, de torture ou d’autres mauvais traitements graves, à une menace pour sa vie ou à d’autres violations graves des droits humains comparables. Le refoulement est interdit par la Convention des Nations Unies contre la torture, à laquelle la Thaïlande est un État partie, ainsi que par le droit international coutumier.
L’interdiction du refoulement est aussi inscrite dans la loi thaïlandaise de 2023 sur la prévention et la répression de la torture et des disparitions forcées. Le 27 février, le Premier ministre Paetongtarn Shinawatra a déclaré dans une interview aux médias que le rapatriement des Ouïghours par la Chine devait être effectué d’une manière respectueuse de la loi, des normes internationales et des principes des droits humains.
« Les gouvernements préoccupés devraient faire pression sur le gouvernement chinois pour qu’il autorise les Ouïghours rapatriés à avoir accès à leurs familles, ainsi qu’aux observateurs indépendants et aux mécanismes pertinents de l’ONU », a déclaré Elaine Pearson. « Le bilan horrible de la Chine en matière d’abus contre les Ouïghours et la pression exercée sur la Thaïlande pour obtenir le transfert de ces hommes sont une source de profonde inquiétude quant à leur bien-être. »
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FranceTVInfo Le Monde NouvelObs
BrutMedia/AFP Radio Canada
27.02.2025 à 00:10
Human Rights Watch
Shiri, Kfir et Ariel Bibas, qui avaient été pris en otage par un groupe armé palestinien le 7 octobre 2023, ont été enterrés en Israël mercredi. Une foule de personnes en deuil leur ont silencieusement fait leurs adieux, tout au long du parcours du cortège funèbre. Les deux jeunes frères Kfir, qui n’avait que neuf mois le 7 octobre, et Ariel, alors âgé de 4 ans, étaient les plus jeunes otages capturés ce jour-là. Les funérailles des deux frères et de leur mère Shiri ont rappelé de manière tragique pourquoi la prise d’otages est interdite par le droit international humanitaire.
Peu après les attaques du 7 octobre menées par le Hamas dans le sud d’Israël, une vidéo a fait surface, montrant un groupe d’hommes, certains portant des uniformes et d’autres tenant des fusils d’assaut militaires, encerclant Shiri Bibas, 32 ans, qui étreignait ses deux jeunes fils. Human Rights Watch a conclu que les prises d’otages et les autres violations graves commises par les groupes armés palestiniens lors des attaques du 7 octobre ont constitué des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Shiri, Ariel et Kfir sont morts pendant leur détention à Gaza. Il existe différentes versions, non vérifiées de manière indépendante, sur la façon dont ils ont été tués, mais en premier lieu ils n’auraient jamais dû être emmenés à Gaza le 7 octobre ; il en est de même pour plus de 200 autres civils israéliens enlevés ce jour-là. Les groupes armés palestiniens auraient ensuite dû libérer sans condition tous les civils qu’ils détenaient, même en l’absence d’un cessez-le-feu.
Le droit international interdit de détenir quiconque en otage, ou sans base légale. Les groupes armés palestiniens devraient libérer immédiatement et dans des conditions sûres tous les civils qu’ils détiennent encore ; de même, les autorités israéliennes devraient libérer immédiatement et dans des conditions sûres tous les Palestiniens détenus illégalement. Les êtres humains ne devraient jamais être utilisés comme monnaie d’échange.
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26.02.2025 à 23:20
Human Rights Watch
(Washington, 26 février 2025) – La décision du président argentin Javier Milei de pourvoir deux postes vacants à la Cour suprême par décret présidentiel porte atteinte à l’indépendance de la justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 26 février, le président Milei a signé un décret présidentiel nommant un juge fédéral, Ariel Lijo, et un juriste, Manuel García-Mansilla, aux postes de juges de la Cour suprême. Javier Milei a pris cette décision après avoir échoué, pendant des mois, à réunir la majorité des deux tiers du Sénat argentin qui aurait été requise pour pourvoir ces deux postes vacants, selon les procédures régulières. La théorie selon laquelle le président Milei peut simplement contourner le Sénat et procéder à ces nominations par décret repose toutefois sur une interprétation douteuse de la Constitution argentine.
« La nomination d’Ariel Lijo et de Manuel García-Mansilla par décret est l’une des attaques les plus graves contre l’indépendance de la Cour suprême en Argentine depuis le retour du pays à la démocratie », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Le Sénat devrait réagir de manière appropriée, et veiller à ce qu’aucune nomination aux postes de juges de la Cour suprême ne soit concrétisée son consentement. »
Le 25 février, l’administration Milei a publié un communiqué annonçant sa décision de procéder à cette double nominations par décret, et affirmant que le Congrès avait « évité de respecter la décision de ce gouvernement » au sujet de ces deux candidats, dont « l’aptitude à occuper ces postes avait été démontrée ».
Le président Milei a initialement annoncé sa nomination d’Ariel Lijo et de Manuel García-Mansilla aux postes de juges à la Cour suprême en avril 2024 ; par la suite, plusieurs organisations de défense des droits humains, fédérations d’entreprises, universitaires et simples citoyens ont officiellement exprimé leur inquiétude quant au bilan de Lijo en tant que juge fédéral, et aux opinions de García-Mansilla sur les droits à la santé sexuelle et reproductive. Lijo fait l’objet de cinq enquêtes disciplinaires en cours devant le Conseil de la magistrature, l’organisme chargé d’enquêter sur les juges fédéraux et éventuellement de les révoquer. Selon un rapport, il a été visé par 29 autres procédures disciplinaires qui ont finalement été closes. Certaines procédures étaient fondées sur des allégations selon lesquelles Lijo aurait retardé et manipulé des enquêtes sur la corruption.
Click to expand Image Le président de l’Argentine, Javier Milei, prononçait un discours concernant le budget 2025 au Congrès national à Buenos Aires, le 15 septembre 2024. © 2024 Sipa via AP ImagesUne disposition de la Constitution argentine (art. 99-19) autorise le président à « pourvoir des postes vacants qui nécessitent l’approbation du Sénat, durant les périodes en dehors des sessions du Congrès ». Toutefois, les tribunaux n’ont pas statué afin de confirmer que le terme « postes vacants » de cette disposition s’applique aussi au poste de juge de la Cour suprême, et de nombreux universitaires ont exprimé leurs doutes à ce sujet. Beaucoup d’entre eux soutiennent que la disposition ne concerne que les ambassadeurs, les membres de l’armée et d’autres fonctionnaires du pouvoir exécutif. Les experts ont aussi exprimé des doutes quant à la légalité d’une nomination par décret présidentiel effectuée avant le début d’une période de non-session du Congrès.
L’Argentine est un État partie à plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention américaine relative aux droits humains (« Pacte de San Jose du Costa Rica »), qui l’obligent à garantir l’indépendance et l’impartialité de son système judiciaire. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré à plusieurs reprises que les juges doivent être nommés selon un « processus adéquat » qui protège leur indépendance, notamment vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif.
En vertu de la Constitution argentine, une nomination par décret présidentiel effectuée pendant une période de non-session du Parlement demeure en vigueur jusqu’à « la fin de la législature suivante », c’est-à-dire dans ce cas-ci le 30 novembre 2025. Toutefois, le Sénat est habilité à révoquer les fonctionnaires nommés de cette manière, pour n’importe quelle raison jugée valable. Des juges nommés de cette manière ne disposent pas de sécurité quant à la durée de leur mandat, ce qui risque de porter atteinte à leur indépendance réelle ou perçue.
Le Sénat argentin joue un rôle crucial en veillant à ce que toute nomination des juges de la Cour suprême respecte les procédures constitutionnelles, et en examinant soigneusement leurs qualifications, leur expérience et leur intégrité, a observé Human Rights Watch. Lors de sa prochaine session, le Sénat devrait immédiatement procéder à un vote au sujet des deux nominations du décret présidentiel.
En décembre 2015, l’ancien président argentin Mauricio Macri, avait aussi invoqué le même article de la Constitution pour pourvoir deux sièges vacants à la Cour suprême, par décret présidentiel. Human Rights Watch, d’autres organisations non gouvernementales et des juristes avaient alors aussi critiqué cette décision. Le Sénat n’avait alors pas pu examiner les nominations au moment de la publication du décret présidentiel, et ce n’est que six mois plus tard que les deux juges nommés par Macri ont pris leurs fonctions, après avoir obtenu les deux tiers des voix requises au Sénat.
« En contournant le processus régulier d’approbation par le Sénat et en nommant un candidat au dossier disciplinaire préoccupant, le gouvernement argentin sape les fondements mêmes de l’indépendance judiciaire », a conclu Juanita Goebertus. « Les institutions démocratiques argentines devraient montrer leur force, et défendre l’État de droit. »
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