18.11.2025 à 05:00
Human Rights Watch
(Nairobi) – L'armée malienne et des milices alliées ont tué au moins 31 civils et incendié des maisons les 2 et 13 octobre dans deux villages de la région de Ségou, qui est en proie à des conflits, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Le 2 octobre, les forces armées maliennes et des milices dozos, des milices composées essentiellement de personnes issues de l’ethnie bambara qui participent à des opérations de contre-insurrection depuis une décennie, ont tué au moins 21 hommes et ont incendié au moins 10 maisons dans le village de Kamona. Le 13 octobre, ces forces ont tué 9 hommes et une femme dans le village de Balle, situé à environ 55 kilomètres de là. Les deux villages sont situés dans une région du centre du Mali contrôlée par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM ou Jama'at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), lié à Al-Qaïda. Des témoins ont déclaré que des soldats et des milices dozos ont sommairement exécuté les villageois après les avoir accusés de collaborer avec le GSIM.
« Les massacres d'octobre dans la région de Ségou ne sont que les dernières atrocités attribuées à l'armée malienne et à ses milices alliées », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités maliennes devraient mener une enquête crédible et impartiale sur ces meurtres, et traduire les responsables en justice dans le cadre de procès équitables. »
Human Rights Watch a mené des entretiens par téléphone en octobre avec 10 personnes ayant connaissance des incidents, dont 5 témoins et 5 chefs de communauté, activistes de la société civile et journalistes. Le 8 novembre, Human Rights Watch a écrit aux ministres de la Justice et de la Défense du Mali pour leur faire part de ses conclusions et poser certaines questions, mais n'a reçu aucune réponse à l’heure de la publication de ce communiqué.
Les témoins ont déclaré avoir identifié les soldats à leurs tenues de camouflage, et les Dozos à leurs vêtements traditionnels et aux amulettes qu'ils portaient autour du cou.
Le 2 octobre, vers 10 heures du matin, des soldats à bord d'au moins sept pick-ups et trois véhicules blindés, ainsi que des miliciens dozos à moto, sont entrés dans Kamona et ont commencé à rechercher les hommes du village. Les témoins ont déclaré que les combattants du GSIM avaient alerté les habitants de l'arrivée de l'armée, ce qui a poussé de nombreux habitants à fuir.
« Ceux qui n'ont pas pu fuir ont été rassemblés et exécutés », a déclaré un survivant à Human Rights Watch.
Des témoins ont déclaré que les combattants du GSIM avaient fui le village avant l'arrivée de l'armée, et qu'il n'y avait pas eu d'affrontement entre les deux camps.
Les témoins pensent que ces meurtres, corroborés par des rapports des médias, sont liés aux récentes attaques commises par le GSIM dans la région de Ségou, notamment une attaque qui a détruit l'usine sucrière de Siribala le 8 août.
Les villageois ont ensuite trouvé 17 corps sous un arbre dans le village, et quatre autres corps au nord de Kamona. Ils ont expliqué que les soldats avaient incendié au moins 10 huttes et 3 hangars appartenant à des habitants de l'ethnie peule.
Un berger de 40 ans qui s'était caché dans une maison abandonnée avec sa fille de 9 ans a déclaré que lorsque les assaillants sont partis, vers 16 heures, il a trouvé les 17 corps. « Les gens avaient été criblés de balles », a-t-il déclaré. « L'un d'eux avait la tête complètement fracassée. J'ai également vu plusieurs douilles de balles à côté des corps. »
Un autre homme, âgé de 39 ans, a déclaré avoir aidé à enterrer les corps. « Nous avons creusé une fosse commune sous l'arbre et y avons déposé les [corps des] 17 hommes », a-t-il déclaré. « Plus au nord, nous avons trouvé quatre autres corps. Tous avaient reçus des balles dans le ventre et dans la tête, nous avons donc creusé une autre fosse, les y avons déposés et les avons recouverts de sable. »
Les villageois ont fourni une liste des 21 victimes, toutes des hommes âgés de 20 à 65 ans. Ils pensent que les soldats ont tué d'autres personnes lors de cette attaque. « Nous avons entendu dire qu'au moins 15 autres hommes avaient été tués dans la brousse ce jour-là », a déclaré un villageois. « Mais nous ne sommes pas allés vérifier, car nous avions peur que l’armée revienne. »
Le 13 octobre, vers 13 heures, des soldats maliens à bord de cinq pick-ups et des miliciens dozos à bord d'au moins 30 motos sont entrés dans le village de Balle, provoquant la fuite de certains habitants. « Je ne me suis pas enfui immédiatement, mais lorsque j'ai vu les soldats faire du porte-à-porte et gifler et donner des coups de pied aux hommes, je me suis enfui », a déclaré un homme de 24 ans. « Depuis ma cachette, j'ai entendu des coups de feu. »
Des témoins ont déclaré que les soldats et les miliciens dozos ont tué 10 civils, dont une femme de 55 ans, et neuf hommes, âgés de 22 à 67 ans, et ont volé au moins 100 vaches.
Un homme de 33 ans a déclaré qu'après l'attaque, il a trouvé les 10 corps au milieu du village. « Ils étaient les uns à côté des autres, criblés de balles », a-t-il déclaré. « Certains avaient les jambes et les bras cassés. »
La fille de la femme qui a été tuée, elle-même âgée de 21 ans, a déclaré que sa mère avait crié en s’adressant aux soldats, les accusant d'avoir maltraité les villageois. « Elle s'est dirigée vers les soldats », a-t-elle déclaré. « Ils l'ont alors emmenée là où les hommes avaient été rassemblés, et l'ont abattue. »
Dans un communiqué daté du 14 octobre, le chef d'État-Major Général des Armées du Mali a déclaré que le 13 octobre, des soldats avaient mené une opération de « reconnaissance offensive » autour de Balle, qui avait « permis la neutralisation d'une vingtaine de terroristes » et la saisie de matériel militaire.
Des témoins et des habitants ont déclaré que Balle était depuis plusieurs années sous le contrôle du GSIM. « Nous payons la zakat [taxe islamique] chaque année », a déclaré un homme. « S’il y a des disputes, ce sont les djihadistes qui les règlent. Il n'y a ni soldats, ni gendarmes, ni policiers ici. Par conséquent, l'armée présume que nous sommes des combattants du GSIM. L'armée ne fait pas de distinction entre eux et nous. »
Depuis 2012, les gouvernements maliens successifs ont mené des conflits armés contre divers groupes armés islamistes. Les hostilités ont causé la mort de milliers de civils, et ont contraint plus de 402 000 personnes à se déplacer. Human Rights Watch a documenté des abus graves commis par les forces armées maliennes et ses milices et groupes mercenaires alliés lors d'opérations de contre-insurrection, ainsi que des atrocités commises par le GSIM et d'autres groupes armés.
Les attaques militaires contre des civils dans la région de Ségou ont eu lieu après que le GSIM a commencé à assiéger Bamako, la capitale du Mali, début septembre. Le siège a coupé l'approvisionnement en carburant de Bamako et a incité la junte militaire à fermer temporairement toutes les écoles et universités du pays.
Toutes les parties au conflit armé au Mali sont tenues de respecter le droit international humanitaire, notamment l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit de la guerre coutumier. Le droit de la guerre interdit les attaques dirigées contre des civils, ainsi que le meurtre, les traitements cruels et la torture de toute personne en détention. Les personnes qui commettent des violations graves des lois de la guerre avec une intention criminelle ou qui en sont responsables en vertu de leur responsabilité de commandement peuvent être poursuivies pour crimes de guerre.
Bien que le Mali se soit retiré de la Cour pénale internationale (CPI) en septembre, le pays reste un État partie au Statut de Rome de la Cour jusqu'en septembre 2026. En janvier 2013, la Cour a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis au Mali depuis 2012.
L'Union africaine (UA) s’est en grande partie abstenue de réagir efficacement à l'aggravation du conflit au Mali, malgré son mandat de promotion de la paix et de la sécurité, a déclaré Human Rights Watch. Alors que la situation sécuritaire s'est détériorée ces derniers mois, le Conseil de paix et de sécurité de l'UA n’a rien fait au-delà de publier des déclarations communiquant son inquiétude au sujet de cette situation.
« Le Conseil de paix et de sécurité de l'UA devrait faire de ce conflit au Mali une priorité », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Il devrait régulièrement organiser des réunions d'information, renforcer les efforts diplomatiques et coordonner les actions régionales et internationales afin de renforcer la reddition des comptes pour les abus commis par toutes les parties. »
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Articles
Le Parisien/AFP RFI
17.11.2025 à 07:00
Human Rights Watch
(San José, 17 novembre 2025) – Les gouvernements devraient donner suite à leurs récents engagements politiques visant à protéger les civils contre les bombardements et les tirs d'artillerie qui dévastent des villes et villages à travers le monde, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch dans un rapport publié en collaboration avec la Clinique internationale des droits humains de la faculté de droit de Harvard.
17 novembre 2025 Strengthening Civilian ProtectionLe rapport de 37 pages, intitulé « Strengthening Civilian Protection: Principles for Implementing the Declaration on Explosive Weapons in Populated Areas » (« Renforcer la protection des civils : Principes pour la mise en œuvre de la Déclaration sur les armes explosives dans des zones peuplées »), énonce sept principes directeurs adressés aux pays ayant approuvé la Déclaration politique sur l'utilisation des armes explosives dans les zones peuplées, afin de les aider à mettre leurs engagements en pratique. Les civils constituent la grande majorité des victimes causées par l'utilisation d'armes explosives en zones peuplées (« explosive weapons in populated areas », ou EWIPA) ; il s’agit notamment de bombes aériennes, de roquettes, de missiles, de projectiles d'artillerie et d’obus de mortier. Ces armes transforment des zones urbaines en ruines, détruisent les infrastructures et endommagent l'environnement et le patrimoine culturel.
« Dans des pays en situation de guerre, l’utilisation d’armes explosives dans des zones peuplées tue, blesse et traumatise des civils, perturbe l'accès aux services essentiels et provoque des déplacements massifs d’habitants », a déclaré Bonnie Docherty, conseillère principale sur les questions d’armes auprès de Human Rights Watch, chargée de cours de droit à la Harvard Human Rights Clinic et auteure principale du rapport. « Les dommages considérables récemment documentés en Ukraine, à Gaza, en République démocratique du Congo et ailleurs montrent que les gouvernements devraient intensifier leurs efforts pour mettre en œuvre leurs engagements visant à protéger les civils contre cette méthode de guerre. »
Play VideoLa Déclaration, adoptée à Dublin en 2022, est un instrument international non contraignant qui vise à empêcher l'utilisation d'armes explosives dans des villes et villages, et à remédier aux effets dévastateurs sur les civils. Les pays signataires et les autres parties prenantes concernées se réuniront à San José, au Costa Rica, du 18 au 20 novembre, à l'occasion de la deuxième conférence internationale au sujet de la Déclaration, afin d'encourager une adhésion plus large, d'examiner et de renforcer les efforts de mise en œuvre, et de définir les prochaines étapes.
Selon la Déclaration, les pays signataires s’engagent à prendre des mesures pour mieux protéger les civils, notamment en approuvant « la restriction ou l'abstention, le cas échéant, de l'utilisation d'armes explosives dans les zones peuplées », et à venir en aide aux victimes des dommages déjà causés. Les pays signataires s’engagent aussi à collecter et partager publiquement des données sur l'utilisation et les effets des armes explosives, afin qu’elles soient analysées en vue de tirer des enseignements permettant d'améliorer la protection des civils à l'avenir.
Human Rights Watch et la Harvard Human Rights Clinic exhortent les gouvernements à suivre sept principes directeurs afin de mettre en œuvre efficacement les engagements énoncés dans la Déclaration. Ces principes s'appliquent à tous les pays, quelle que soit la structure de leur gouvernement ou la taille de leur armée.
Les pays signataires de la Déclaration devraient prendre les mesures suivantes : (1) traiter de manière exhaustive les conséquences humanitaires de l'utilisation d'armes explosives dans les zones peuplées ; (2) élaborer des normes progressives de protection des civils qui vont au-delà du droit international humanitaire existant ; (3) collaborer avec un large éventail d'acteurs ; (4) veiller à ce que toutes les décisions soient fondées sur des données pertinentes ; (5) faire preuve de transparence dans leurs efforts de mise en œuvre ; (6) intégrer leurs engagements dans leurs lois et politiques nationales ; et (7) promouvoir la Déclaration et ses normes au-delà des pays signataires.
Le rapport « Renforcer la protection des civils » fait suite à un précédent rapport de 2022 intitulé « Safeguarding Civilians: A Humanitarian Interpretation of the Political Declaration on the Use of Explosive Weapons in Populated Areas » (« Protéger les civils : Une interprétation humanitaire de la Déclaration politique sur l'utilisation des armes explosives dans les zones peuplées »), copublié par Human Rights Watch et la Harvard Human Rights Clinic, qui examinait l'interprétation des dispositions de la Déclaration.
Human Rights Watch a cofondé le Réseau international sur les armes explosives (International Network on Explosive Weapons, INEW), une coalition d'organisations de la société civile qui a contribué à la rédaction de la Déclaration. Le réseau INEW et deux organisations partenaires de la société civile, la Fondation pour la paix et la démocratie (Fundación para la paz y la democracia, FUNPADEM) et l’ONG Sécurité humaine en Amérique latine et dans les Caraïbes (Seguridad Humana en América Latina y el Caribe, SEHLAC), organiseront un forum sur la protection des civils, ouvert à tous les délégués, le premier jour de la conférence de San José.
« Les gouvernements qui adoptent des mesures fortes fondées sur des principes communs peuvent contribuer à maximiser le potentiel de la Déclaration en tant qu'outil de protection des civils », a conclu Bonnie Docherty. « Ils peuvent établir des normes qui influencent non seulement les autres pays ayant déjà approuvé les engagements qu’elle contient, mais aussi ceux qui sont en proie à un conflit armé et qui ne l'ont pas encore fait. »
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17.11.2025 à 01:00
Human Rights Watch
(Bangkok) – Les gouvernements étrangers devraient rejeter le projet de la junte du Myanmar d’organiser des élections entre fin décembre 2025 et janvier 2026, car celles-ci ne seront ni libres, ni équitables, ni inclusives, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Depuis le coup d’État militaire de février 2021, la junte a systématiquement démantelé l’état de droit et les tentatives de mise en place de systèmes démocratiques, et a intensifié la répression et la violence à l’approche des élections.
La junte a annoncé que les deux premières phases des élections auront lieu le 28 décembre et le 11 janvier. Depuis le coup d’État, la junte a interdit des dizaines de partis politiques et emprisonné environ 30 000 prisonniers politiques, dont près d’une centaine de personnes en application d’une loi électorale draconienne adoptée en juillet dernier. Le général Min Aung Hlaing, chef de la junte, a reconnu que les élections ne se tiendraient pas dans toutes les communes, du fait de combats incessants avec des groupes armés d’opposition, qui se caractérisent par des crimes de guerre commis par l’armée.
« Les élections factices organisées par de la junte au Myanmar sont une tentative désespérée d’obtenir une légitimité internationale après près de cinq ans de répression militaire brutale », a déclaré Elaine Pearson, directrice de la division Asie à Human Rights Watch. « Les gouvernements qui accorderaient une quelconque crédibilité à ces élections signaleraient un manque total de soutien à la mise en place au Myanmar d’un régime démocratique civil respectueux des droits humains. »
Le 29 juillet, la junte a promulgué la loi sur la Prévention de l’obstruction, de la perturbation et du sabotage des élections générales démocratiques multipartites, qui criminalise la critique des élections en interdisant tout discours, toute organisation ou toute manifestation qui perturberait une partie quelconque du processus électoral. Les contrevenants encourent jusqu’à 20 ans de prison et la peine de mort.
Depuis le mois d’août, les autorités de la junte ont arrêté 94 personnes en vertu de cette nouvelle loi, dont au moins 4 enfants, pour leurs activités sur les réseaux sociaux, la distribution d’autocollants et de tracts, la prononciation de discours et d’autres actes présumés d’« ingérence » et de « perturbation » du processus électoral. Le 9 septembre, un homme a été condamné à sept ans de travaux forcés à Taunggyi, dans l’État de Shan, pour avoir publié sur Facebook un message critiquant la junte. Le 29 octobre, les cinéastes Zambu Htun Thet Lwin et Aung Chan Lu ont été arrêtés pour avoir aimé (via le symbole « like ») un message Facebook critiquant un film de propagande électorale.
Depuis février 2022, les autorités ont arrêté près de 2 000 personnes pour leur soutien à l’opposition ou pour avoir critiqué l’armée sur Internet, dans le cadre d’une répression menée par la junte contre les libertés d’expression, de la presse et de réunion.
Une grande partie du pays est en proie à la contestation ou contrôlée par l’opposition et l’armée n’est pas en mesure d’exercer un contrôle territorial suffisant pour organiser des élections crédibles, a déclaré Human Rights Watch. Le recensement national organisé en octobre 2024 pour établir les listes électorales n’a été mené à bien que dans 145 des 330 municipalités du pays, soit moins de la moitié. En septembre, la Commission électorale de l’Union a déclaré que le vote ne se tiendrait pas dans 56 communes jugées « non propices », tandis que les deux tours annoncés jusqu’à présent ne couvrent que 202 municipalités.
Pour reprendre des territoires à la résistance armée avant les élections, l’armée a notamment eu recours à des frappes aériennes répétées contre des civils et des infrastructures civiles, qui constituent des crimes de guerre. La Chine et la Russie, principaux fournisseurs d’avions et d’armes de la junte, soutiennent toutes deux la tenue de ces élections. Les deux pays soutiennent la junte depuis longtemps et bloquent toute action internationale contre les atrocités commises par l’armée au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Les abus commis par l’armée et l’escalade du conflit ont provoqué le déplacement interne de plus de 3,5 millions de personnes et contraint quelques 20 millions de personnes à recourir à l’aide humanitaire. Des médias indépendants et des groupes de la société civile ont rapporté que les autorités de la junte avaient fait pression sur des personnes déplacées et des prisonniers pour qu’ils aillent voter, et avaient multiplié les barrages routiers et la surveillance numérique.
Le coup d’État de 2021 a mis fin à une transition démocratique hésitante et limitée menée par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi. Lors des élections générales de novembre 2020, la LND a remporté 82 % des sièges disputés, battant largement le Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), allié de l’armée. En réponse, l’armée a allégué des fraudes électorales généralisées, un argument sans fondement rejeté par la Commission électorale de l’Union et les observateurs électoraux internationaux et nationaux.
Aux premières heures du 1er février 2021, alors que le nouveau parlement devait siéger pour la première fois, l’armée a arrêté le président Win Myint, Aung San Suu Kyi et de nombreux autres ministres, députés et administrateurs régionaux de la LND, privant les citoyens du Myanmar de leur droit, en vertu de droit international, de choisir librement leur propre gouvernement.
Dans les mois qui ont suivi le coup d’État, la junte a arrêté au moins 197 ministres et membres du Parlement ainsi que 154 responsables de la Commission électorale de l’Union. Suu Kyi et Win Myint purgent respectivement des peines de 27 et 8 ans de prison pour une série d’accusations fabriquées de toutes pièces.
En janvier 2023, la junte a promulgué une nouvelle loi sur l’enregistrement des partis politiques visant à empêcher les principaux membres de la LND de participer aux élections, en violation des normes internationales relatives au droit des partis politiques à s’organiser et à celui de leurs candidats à se présenter aux élections. En mars de la même année, la junte a annoncé que la LND faisait partie des 40 partis politiques et autres groupes dissous pour ne pas s’être enregistrés conformément à la nouvelle loi. La junte a dissous quatre autres partis en septembre 2025 pour non-respect des exigences prévues par la loi.
La junte avait auparavant déclaré que le gouvernement d’union nationale de l’opposition et son organe parlementaire, le Comité représentant Pyidaungsu Hluttaw, étaient des « organisations terroristes ». Les groupes d’opposition ont clairement indiqué qu’ils s’opposaient à toute élection organisée sous le régime de la junte.
Après le coup d’État, la junte a remplacé la Commission électorale civile de l’Union par un organe nommé par l’armée. L’Union européenne a sanctionné l’actuel président, Than Soe, nommé le 31 juillet 2025, ainsi que d’autres membres de la commission nommés par la junte pour être « directement impliqué dans des actions portant atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Myanmar ». Avant le coup d’État, Than Soe dirigeait le bloc militaire à la chambre haute du Parlement. En vertu de la Constitution de 2008, l’armée nomme 25 % des sièges parlementaires.
Le 31 juillet, en prévision des élections, la junte a annoncé la création d’une Commission pour la sécurité et la paix de l’État en remplacement du Conseil d’administration de l’État en place depuis le coup d’État. Elle a également déclaré un nouvel état d’urgence et la loi martiale dans 63 municipalités des États de Chin, Kachin, Karen (Kayin), Karenni (Kayah), Rakhine et Shan, ainsi que dans les régions de Magway, Mandalay et Sagaing, et les a prolongés de 90 jours supplémentaires le 31 octobre. Ces ordonnances, qui visent principalement les municipalités contrôlées par l’opposition, transfèrent « les pouvoirs et les responsabilités desdites municipalités au commandant en chef ».
En novembre 2024, le procureur de la Cour pénale internationale a requis un mandat d’arrêt contre le commandant en chef Min Aung Hlaing pour crimes contre l’humanité présumés commis en 2017.
La junte a cherché à écraser toute opposition politique, à faire échouer toute tentative d’instauration d’un régime civil démocratique et à légitimer un état contrôlé par l’armée, a déclaré Human Rights Watch. Elle a préparé le terrain pour des élections dominées par l’USDP, soutenu par l’armée. Bien que la période officielle de campagne de 60 jours n’ait débuté que le 28 octobre, la campagne du parti mandaté par l’armée était déjà bien avancée. La junte aurait en outre interdit les cortèges électoraux.
Lors du sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en octobre, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a appelé à un « retour crédible à un régime civil » au Myanmar, en déclarant : « Je ne pense pas que quiconque puisse être convaincu que ces élections seront libres et équitables. » Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a qualifié la tenue du scrutin en décembre d’« inconcevable ».
Si l’ASEAN a souligné que la paix et le dialogue politique « doivent précéder les élections », l’organisme régional ne dispose pas des outils nécessaires pour empêcher les États membres individuels de fournir de l’aide technique ou un soutien bilatéral.
« La Malaisie, le Japon et les autres gouvernements asiatiques qui ont clairement indiqué que ces élections étaient préjudiciables aux citoyens du Myanmar devraient exhorter leurs voisins à faire de même », a conclu Elaine Pearson. « Pour contrebalancer le soutien apporté par la Chine, la Russie et d’autres pays favorables au scrutin, il faudrait envoyer un message clair et catégorique indiquant que ces élections illégitimes ne feront que renforcer la descente du Myanmar dans la violence, la répression et le pouvoir autocratique. »