07.05.2025 à 11:18
06.05.2025 à 11:57
L'image d'une personne à vélo transportant un sac à dos isotherme, cubique et de couleur vive qui traverse la ville à toute vitesse est devenue familière dans le monde entier. Ces sacs à dos jaunes, rouges, orange ou bleus, affublés d'un logo facilement identifiable, ne sont que la partie émergée de l'iceberg du changement radical qui impacte de plus en plus de secteurs d'activité : de la livraison de repas aux services de soins ou de nettoyage. Dans tous ces pays, les plateformes numériques (…)
- Reportages photos / Pologne, Négociation collective, Travail décent, Santé et sécurité, Pauvreté, Travail, Économie numérique, Travail précaire, Syndicats, Charles KatsidonisL'image d'une personne à vélo transportant un sac à dos isotherme, cubique et de couleur vive qui traverse la ville à toute vitesse est devenue familière dans le monde entier. Ces sacs à dos jaunes, rouges, orange ou bleus, affublés d'un logo facilement identifiable, ne sont que la partie émergée de l'iceberg du changement radical qui impacte de plus en plus de secteurs d'activité : de la livraison de repas aux services de soins ou de nettoyage. Dans tous ces pays, les plateformes numériques sont de plus en plus présentes, affectent un nombre croissant de travailleurs et transforment profondément notre façon de travailler et d'interagir.
Ce modèle pose des défis importants en matière de droit du travail et la nouvelle directive européenne cherche à les relever. En Pologne, sa mise en œuvre suscite autant d'attentes que d'inquiétudes. Les États membres ont deux ans pour la transposer dans leur législation nationale, et l'approche choisie par le gouvernement polonais sera déterminante, compte tenu d'une particularité du pays ; que la directive n'aborde pas explicitement.
Les conditions de travail des livreurs sont à peu près analogues partout en Europe : instabilité, longues journées de travail et nécessité de cumuler plusieurs emplois pour s'assurer un revenu. La particularité de la Pologne réside toutefois principalement dans le fait que la grande majorité des livreurs travaillent dans le cadre d'un contrat de location signé avec un intermédiaire appelé « partner flotowy ».
« L'utilisation de contrats de location sert à minimiser la charge fiscale qui devrait être supportée par l'employeur, qu'il s'agisse de la plateforme ou d'un intermédiaire », explique Karol Muszyński, assistant-maître de conférences en sociologie du travail et en économie à l'université de Varsovie et partenaire du projet de recherche-action Fairwork, qui établit des classements des plateformes sur la base des conditions de travail, du contrat, de la rémunération, de la gestion du travail et de la représentation.
« De plus, le fait que les travailleurs signent ces contrats avec un intermédiaire les prive de toute protection. En cas de plainte, ils ne peuvent pas se tourner vers les plateformes, alors que ce sont elles qui décident des conditions de travail, des salaires et des heures de travail. La responsabilité, quelle qu'elle soit, reste donc très floue. »
Tomek [nom d'emprunt], livreur chez Glovo, vit à Poznań et combine cette activité avec son travail d'indépendant dans le secteur de l'audiovisuel. L'instabilité et le sentiment d'injustice dans son travail font partie de son quotidien. Récemment, l'application a taxé son profil de frauduleux, sans lui fournir la moindre explication.
« Une autre fois, on m'a donné un délai de 24 heures par e-mail pour transférer l'argent collecté en espèces aux clients. Cinq heures plus tard, mon compte était déjà bloqué. J'ai perdu une semaine pendant laquelle je comptais gagner l'argent pour payer mon loyer », explique-t-il. Dans les deux cas, le seul moyen de se plaindre était un agent conversationnel (« chatbot ») et l'intermédiaire avec lequel Tomek avait conclu un contrat n'a rien voulu savoir des mesures prises par la plateforme.
L'une des difficultés principales du travail sur les plateformes est le manque de transparence et la complexité des règles appliquées. De nombreux livreurs pour des entreprises telles qu'Uber ou Glovo doivent se renseigner par eux-mêmes (sur YouTube ou des forums) sur la façon dont leurs paiements sont calculés ou sur le fonctionnement de l'algorithme. En d'autres termes, ils sont confrontés à la difficulté de comprendre le système afin d'améliorer leurs performances et d'augmenter leurs gains.
« Sur Pyszne.pl [membre du réseau Just Eat], ces intermédiaires n'existent pas. Nous sommes recrutés par des agences de travail intérimaire, pour une période pouvant aller jusqu'à 18 mois. Ensuite, nous signons un contrat de service (“umowa zlecenie”, en polonais) avec la plateforme », explique Stanisław Kierwiak.
Le contrat de prestation de services, également appelé contrat de mandat, est à mi-chemin entre un contrat de travail et l'activité d'un travailleur indépendant : ceux qui le signent ne sont pas considérés comme des employés, mais ils ne sont pas non plus obligés de s'enregistrer en tant que travailleurs indépendants ou autoentrepreneurs. En Pologne, ces contrats sont apparus en 2007, lorsque la priorité a été donnée à la promotion de l'emploi avec une faible charge fiscale et une plus grande flexibilité. Ils sont considérés comme des contrats « pourris », car, bien qu'ils donnent l'illusion d'une relation de travail, ils peuvent être résiliés sans préavis ni justification. D'un point de vue formel, ils sont soumis à une faible retenue à la source qui devrait être répartie entre l'employeur et la personne recrutée, mais, dans la plupart des cas, les intermédiaires des plateformes transfèrent l'intégralité de la charge aux livreurs.
En Pologne, près d'un million de personnes travaillent dans le cadre de contrats de ce genre et pas seulement sur des plateformes. Ainsi, le débat européen sur la distinction entre employé et faux indépendant ne reflète pas entièrement la réalité polonaise.
Les plateformes soulignent que, pour les livreurs, ce sont les revenus rapides et la flexibilité qui comptent le plus. « Notre enquête interne révèle que 80 % des livreurs ne souhaitent pas passer à un contrat de salarié », explique Aleksander Rosa, porte-parole de Pyszne.pl. « Car cela diminuerait leurs revenus, ils bénéficieraient de moins de flexibilité et ne pourraient pas travailler pour plusieurs plateformes à la fois. Je pense que nous devrions leur garantir ces trois éléments. La directive devrait réglementer notre secteur, mais un trop grand durcissement aura l'effet inverse de celui escompté. »
Aucune donnée fiable ne permet de savoir combien gagnent réellement les livreurs. Toutefois, selon les représentants syndicaux et les travailleurs consultés, il n'est pas rare que le revenu moyen soit inférieur au salaire horaire brut minimum. Par ailleurs, la liberté est illusoire, car toutes les conditions sont imposées par les plateformes et, même quand une commande n'est pas rentable, le livreur n'a pas toujours la possibilité de la refuser. Quant à la flexibilité et à la possibilité de combiner le travail pour plusieurs plateformes, cela se traduit souvent par du stress et un épuisement.
« L'un des plus grands facteurs de stress pour une personne est l'incertitude », explique Dorota Merecz-Kot, médecin à l'Institut de psychologie de l'université de Łódź et collaboratrice d'une étude sur les risques pour la santé et la sécurité dans le travail sur les plateformes qui est sur le point de s'achever dans plusieurs pays européens. « Les algorithmes et les exclusions sans explication » face auxquels « vous ne pouvez pas faire appel ou présenter votre version des faits » créent un « sentiment de discrimination et d'injustice systémiques qui, sur le long terme, crée la certitude que vous n'êtes personne et que votre opinion n'a aucune importance. Avec le temps, on en vient même à se sentir incapable de se battre pour soi-même », ajoute-t-elle.
La protection du droit du travail dans ce secteur est très complexe. La majorité des livreurs travaillent seuls, ce qui rend difficile la création de liens entre eux, sans parler du nombre indéterminé de travailleurs migrants sans papiers qui sous-louent l'utilisation de comptes et qui, par crainte de perdre une source de revenus, préfèrent privilégier leur invisibilité. Selon Mme Merecz-Kot, ils ne se perçoivent pas non plus comme un groupe professionnel unifié, ce qui limite leur capacité à exprimer des revendications collectives ou à exercer une pression pour négocier des améliorations. Pourtant, des initiatives individuelles et collectives ont vu le jour.
Tomek a participé aux manifestations des livreurs de Glovo (à Poznań en 2023), qui ont conduit à la création de l'Inicjatywa Pracownicza Kurierów (Initiative des travailleurs des livreurs). Bien que l'initiative ne puisse pas agir officiellement comme un syndicat, en raison de l'absence de relation contractuelle avec la plateforme, elle a obtenu des améliorations, telles que des primes en cas de conditions météorologiques défavorables. Au travers d'un groupe Telegram, ils ont réalisé des enquêtes sur les conditions de travail auxquelles ont participé jusqu'à 300 livreurs. Armés de ces données, ils se sont présentés au ministère du Travail au cours de l'été.
« Nous leur avons présenté notre réalité et leur réaction a été l'étonnement ; en particulier concernant des questions telles que les contrats de location », explique Tomek. « Ce qui, moi, m'a encore plus étonné est le fait que l'application est active en Pologne depuis cinq ans et qu'ils ne savaient pas comment elle fonctionnait réellement. Ils nous ont dit qu'ils allaient se pencher sur le dossier. Nous attendons toujours. »
Les tarifs dynamiques de la plateforme ne prennent pas en compte des facteurs, tels que le trafic ou les temps d'attente, ce qui réduit leurs revenus. Leurs revenus hebdomadaires provenant d'Uber s'élèvent à environ 300-500 zlotys (de 70 à 116 euros ou 80 à 132 dollars US).
Dans le cas de Pyszne.pl, le syndicat est né d'une manière innovante. « Après plusieurs discussions au sein de la Confédération du travail des jeunes (Konfederacja Pracy Młodych), nous avons décidé d'organiser un “happening” », se souvient Stanisław Kierwiak. « Nous avons installé des tables, des chaises et des transats au siège et avons commencé à commander de la nourriture en ligne. À mesure que les livreurs arrivaient, nous leur proposions de la consommer eux-mêmes tout en discutant de leur situation. La réaction a été très positive et nous avons décidé de créer un syndicat. Contrairement à ce qui se passe sur d'autres plateformes, nous pouvons le faire parce qu'il n'y a pas d'intermédiaires sur Pyszne.pl et le fait de formaliser la lutte nous assure également une protection. »
L'expansion de la syndicalisation parmi les livreurs et les autres travailleurs des plateformes dépend également de la sensibilisation à l'importance de la lutte collective pour les droits du travail. Le modèle de travail développé en Pologne depuis son ouverture au libre marché ne facilite toutefois pas la tâche. Selon des experts tels que M. Muszyński, la négociation collective est rare et limitée à des secteurs tels que celui des mines. Ailleurs, ce sont les accords individuels qui prédominent, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Dans ce contexte, la sensibilisation du public et des travailleurs eux-mêmes devient un élément clé pour faire avancer la défense de leurs droits.
Zentrale, un groupe de livreurs activistes issus de plusieurs villes de Pologne, investit son énergie à la fois dans la sensibilisation du public et dans le dialogue et le lobbying auprès des acteurs clés en vue d'éventuelles réformes.
« En Pologne, la question contractuelle passe au second plan », explique Wojtek Dereszewski, l'un des fondateurs de Zentrale. « Ce qui compte le plus pour les livreurs, c'est la rémunération. Il serait formidable que la Pologne améliore cet aspect, mais je suis très sceptique sur ce point, compte tenu de la situation politique actuelle et des tendances historiques dans la manière dont les droits du travail sont traités ici ».
« La plupart des personnes qui travaillent dans ce secteur sont jeunes », explique Mme Merecz-Kot. « Peut-être qu'à cette étape de leur vie, ils n'ont pas encore la mentalité tournée vers le long terme qui leur permettrait de se battre pour leurs droits. Mais c'est à cela que sert l'État : être conscient des effets sociaux à long terme de toute action ou inaction. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre ce qui arrivera dans un avenir proche à des personnes surchargées, effectuant des travaux pénibles pendant de longues heures et souvent exposés aux intempéries. Il ne s'agit pas d'économiser pour générer du capital à l'avenir. La moindre économie dans le système lié à ce secteur nous coûtera cher par la suite. Elle engendrera des pertes tant au niveau individuel qu'au niveau global. Les plateformes se sont installées pour de bon. La question est désormais de savoir sous quelle forme et dans quelles conditions. »
30.04.2025 à 11:30
En janvier dernier, l'autrice australienne Rebecca Shaw a signé un article pour The Guardian , avec un titre pour le moins frappant : « Je savais qu'un jour, je verrais des hommes puissants mettre le monde à feu et à sang, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soient de tels losers. »
En tant que syndicaliste, je suis en contact permanent avec les travailleurs qui se trouvent en première ligne dans la lutte pour la survie et le renforcement du pouvoir international des travailleurs. Il (…)
En janvier dernier, l'autrice australienne Rebecca Shaw a signé un article pour The Guardian , avec un titre pour le moins frappant : « Je savais qu'un jour, je verrais des hommes puissants mettre le monde à feu et à sang, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soient de tels losers. »
En tant que syndicaliste, je suis en contact permanent avec les travailleurs qui se trouvent en première ligne dans la lutte pour la survie et le renforcement du pouvoir international des travailleurs. Il s'agit d'un travail sérieux qui demande une attention sérieuse. Et c'est peut-être pour ça qu'il m'arrive de ne pas prendre la pleine mesure de l'absurdité du moment présent. Parfois, un simple titre ou une phrase amusante rend mieux compte des événements que l'analyse la plus rigoureuse.
L'un des premiers dirigeants syndicaux avec lesquels j'ai travaillé, le regretté Larry Hanley, de l'Amalgamated Transit Union (ATU), s'est empressé de me rappeler que les luttes syndicales, bien que semées d'embûches et de désespoir, peuvent aussi être source de joie, voire d'amusement. Lorsque vous êtes en compagnie de travailleurs qui raillent les derniers diktats absurdes d'un superviseur incompétent. Quand un piqueteur entonne un nouveau cri de ralliement qui rime avec le nom d'un patron déloyal. Ou simplement quand vous vous livrez à de l'autodérision sur les vicissitudes du mouvement auquel vous appartenez.
Face à la grave menace qui pèse aujourd'hui sur nous tous – un véritable coup d'État des milliardaires contre la démocratie –, la première chose à faire est de prendre conscience de l'ampleur du désastre. Les conséquences ne sont pas abstraites. Ce sont de vraies vies humaines et nos moyens de subsistance qui sont en jeu. Nous reconnaissons toutefois que l'humour constitue une arme redoutable.
Nous avons souvent tendance à penser que le monde a besoin d'être convaincu des menaces qui pèsent sur lui, avant de nous rendre compte que la plupart des gens en sont non seulement conscients, mais qu'ils les ont suffisamment appréhendées pour apporter une touche d'humour à la folie ambiante.
Rien ne révèle mieux les faiblesses des milliardaires et de leurs acolytes d'extrême droite que les railleries dont ils font l'objet de la part de celles et ceux-là mêmes qu'ils cherchent à contrôler et à intimider.
Heureusement, Internet regorge de mèmes tournant en dérision la folie des prétendants à ce nouvel ordre mondial. Ces mèmes, à l'instar des débats houleux qui animent une grande partie des conversations sur Internet, ne constituent certes pas une solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Seules des délibérations démocratiques et des actions collectives menées par des personnes organisées là où elles vivent et travaillent permettront d'y parvenir.
Néanmoins, ces contenus offrent un aperçu de la manière dont les gens interprètent les événements du moment, et de la façon dont l'humour peut transcender le bruit et les nuances pour atteindre une vérité fondamentale.
Dans la communauté mondiale des jeux vidéos, Elon Musk, le PDG de Tesla, SpaceX et X (anciennement Twitter) est devenu la risée de ses propres réseaux sociaux. Il s'est fait prendre à payer des gamers pour qu'ils jouent en ligne sous son nom d'utilisateur, afin de pouvoir se faire passer pour l'un des meilleurs joueurs au monde.
Mark Zuckerberg, PDG de Meta, ne peut pas, lui non plus, échapper aux railleries, lui qui est connu pour son manque de charisme. Avec la montée de l'extrême droite, il a pour la énième fois tenté de se trouver une personnalité, en adoptant cette fois les traits d'un nationaliste et d'un promoteur de l'hypermasculinité. Dans son article, Rebecca Shaw le décrit comme « enfilant le déguisement du parfait “bro” pour rejoindre le cercle des mecs et s'asseoir à la table des grands ». Les internautes n'ont pas tardé à réagir à l'une de ses publications en s'en prenant directement à Meta pour son exploitation abusive des données personnelles :
Lorsque Blue Origin, l'entreprise spatiale de Jeff Bezos, a envoyé un équipage entièrement féminin dans l'espace cette année, le PDG a tenté de présenter cet événement comme une avancée historique pour le féminisme. Si le génie technologique des personnes impliquées dans les voyages spatiaux est certes incontestable, le monde entier a eu du mal à se retenir de rire devant le décalage criant d'une telle opération de ‘com' : un milliardaire qui propulse dans l'espace un cortège de femmes pour la plupart célèbres, vêtues de costumes de créateurs, pour un voyage de 11 minutes, alors que le climat s'embrase et que les droits des travailleuses sont systématiquement bafoués aux quatre coins du monde.
Une tiktokeuse a proposé comme manchette : « Let them eat space » (« Qu'ils mangent de l'espace »), en référence à la célèbre phrase attribuée à Marie-Antoinette pendant la Révolution française : « S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche ». D'autres ont souligné l'hypocrisie que représentent des voyages spatiaux à plusieurs millions de dollars financés par un homme réputé pour son évasion fiscale.
Ces milliardaires comptent parmi les personnes les plus riches et les plus impitoyables au monde aujourd'hui. Pourtant, chaque fois qu'ils font leur apparition sur le devant de la scène publique, ils en sont chassés sous les huées d'un public averti qui voit bien à quel point ces oligarques et leurs ambitions sont coupés de la réalité.
Lorsque la Confédération syndicale internationale (CSI) a élaboré son Manuel du coup d'État milliardaire au début de cette année, elle a identifié 13 stratégies clés déployées par des milliardaires comme ceux cités pour consolider leur emprise sur le pouvoir.
Dans tous les pays où les milliardaires et leurs alliés d'extrême droite montent en puissance, vous les verrez puiser la plupart des éléments de leur stratégie dans ce menu. Leurs agissements sont tout sauf drôles, ce qui n'empêche pas les gens de trouver une touche d'humour dans leur comportement caricaturalement maléfique.
À travers cet humour, il apparaît clairement que les militants et les internautes les plus avisés sont parfaitement familiarisés avec les stratégies identifiées par la CSI, qui se déclinent comme suit :
• Soutenir l'extrême droite : par exemple, lorsque Elon Musk a effectué deux saluts nazis lors de la cérémonie d'investiture de Donald Trump en 2025, Internet en a fait ses choux gras, tout comme les militants de la guérilla publicitaire dans la vie réelle.
• Attaquer la propriété publique : les créateurs de mèmes s'amusent depuis longtemps à ironiser sur l'absurdité de la privatisation comme stratégie des riches et de l'extrême droite, comme en témoigne ce mème inspiré du film à succès de 2010, Inception. (« La propriété publique, ça ne marche pas ». « C'est ceux qui profitent de la privatisation qui t'ont dit ça, n'est-ce pas » ?)
• Contrôle des données : l'une des caractéristiques de l'agenda actuel de l'extrême droite soutenu par les milliardaires est la place importante accordée à l'accaparement de quantités exponentielles de données personnelles des utilisateurs. Bien que cela soit officiellement fait pour « améliorer l'expérience utilisateur », les travailleurs savent bien que l'objectif réel de ces acteurs est de monétiser les données et de les utiliser pour soutenir la surveillance étatique.
• Diviser la classe travailleuse : l'une des clés pour renforcer le pouvoir de l'extrême droite dans la défense des employeurs consiste à opposer les travailleurs les uns aux autres, une tactique vieille comme le monde. Qu'il s'agisse de race, de statut migratoire, de religion, de langue, de genre, d'orientation sexuelle ou de toute autre identité, ils savent que les travailleurs sont forts lorsqu'ils sont unis dans leur diversité. Comme l'illustre le fameux cartoon du patron avec son assiette pleine de cookies, qui dit à l'ouvrier blanc qui n'a qu'un seul cookie : « Attention mon gars, c'est ce travailleur étranger qui en veut à ton cookie ».
• Faux messages contre l'élite : dans un mème désormais bien connu, des internautes répondent régulièrement à l'indignation feinte exprimée par les milliardaires et les mouvements sociaux d'extrême droite avec une image tirée de la série à sketch, complètement absurde de Netflix, I Think You Should Leave. Il s'agit d'un arrêt sur image montrant un homme déguisé en hot-dog qui vient de percuter un magasin avec une voiture en forme de hot-dog. La légende cite les paroles prononcées par l'homme saucisse : « Nous sommes à la recherche du type qui a fait ça. » Les créateurs de mèmes l'ont utilisée pour dénoncer Jeff Bezos qui, après avoir racheté le Washington Post en 2013, use désormais de son pouvoir pour influencer le processus éditorial du journal en 2024 et 2025.
• Semer le chaos, maîtriser l'histoire : aujourd'hui, les ultra-riches, tout comme l'extrême droite, ont adopté le credo de la Silicon Valley : « aller vite et casser les codes ». Ce qui était autrefois considéré comme une approche irrévérencieuse d'entrepreneurs marginaux a pris un nouveau sens à présent que ces mêmes acteurs ont acquis du pouvoir politique, en semant le chaos pour mieux le résoudre ensuite et apparaître comme des sauveurs.
« Tu es viré . Attendez, vous êtes réembauché. Envoyez-nous par e-mail une liste des choses que vous avez faites aujourd'hui. Attendez, oubliez-le, vous êtes à nouveau licencié. Revenez, votre travail était important ! Tu es viré. Ou embauché. Venez au bureau. Attendez, le bureau n'a pas d'ordinateurs, rentrez chez vous. Nous sommes le ministère de l'Efficacité gouvernementale »[Post sur Bluesky de Nicole Terigni. 5/03/25]
• Réduire la presse au silence : une presse libre et indépendante est reconnue depuis des siècles comme l'un des piliers fondamentaux de la vie démocratique. Cependant, lorsque des ultranationalistes soutenus par des milliardaires s'emparent du pouvoir, c'est souvent l'une des premières libertés à être guillotinée.
En Inde, par exemple, un culte de la personnalité s'est développé autour du Premier ministre Narendra Modi, largement considéré comme un adversaire des médias indépendants dans son pays (L'Inde est 150e au classement de la liberté de la presse). Les responsables politiques ne sont pas les seuls à être ciblés par les créateurs de mèmes. Comme mentionné précédemment, Jeff Bezos, fondateur et président exécutif d'Amazon, a racheté le journal le Washington Post en 2013. Depuis, il squatte les pages éditoriales du journal pour défendre ses propres intérêts, proclamant « Ne taxez pas les riches » ou bien « Les milliardaires sont une chance ».
• Faire taire les militants et les syndicats : la répression des libertés démocratiques ne se limite bien sûr pas aux médias. Dans de nombreux pays, les régimes d'extrême droite et autoritaires s'en prennent également à la société civile et aux syndicats, en réprimant les manifestations et en emprisonnant les leaders des mouvements sociaux. La Turquie n'en est qu'un exemple parmi d'autres, comme le montre ce faux plateau de Monopoly, où toutes les cases mènent en prison, brandi comme une pancarte lors d'une manifestation.
• Faire pression en faveur de la guerre : alors que le mouvement syndical se dresse depuis longtemps comme un défenseur de la paix et un opposant à la militarisation, le sort d'industries entières dépend de l'accumulation et du déploiement d'armements et de forces militaires. La guerre est désormais un modèle économique dans lequel les milliardaires investissent massivement.
Cependant, les citoyens ordinaires savent reconnaître une ruse lorsqu'ils en voient une (Les gens : « Personne n'y gagne avec le carnage de la guerre ». L'industrie militaire : 😏). Et alors que les tambours de guerre résonnent de plus en plus fort dans les pays occidentaux, les politiciens modifient leurs priorités en matière de dépenses, menaçant de réduire des programmes publics durement acquis pour financer la militarisation.
Ainsi, les créateurs de mèmes d'Europe créent des images comme celles-ci pour rendre les choix clairs :
• Ignorer les règles – les lois, les élections, les tribunaux : ce coup d'État des milliardaires contre la démocratie favorise la résurgence du pouvoir exécutif et de l'autoritarisme. Les institutions parallèles censées servir de garde-fou contre le pouvoir absolutiste sont fréquemment prises pour cible. Les élections sont systématiquement truquées. Les tribunaux sont invariablement partiaux. Les lois et les droits deviennent des obstacles. Une fois de plus, le peuple voit les choses pour ce qu'elles sont :
Quand bien même les États-Unis comptent un nombre disproportionné de milliardaires et que le nouveau gouvernement du pays monopolise l'attention mondiale, ce n'est pas le seul pays où des humoristes se livrent quotidiennement à des critiques acerbes à l'encontre de dirigeants qui enfreignent la loi. En Argentine, le président Javier Milei est empêtré dans un scandale lié à la promotion de la cryptomonnaie « Libra », laquelle s'est finalement effondrée, entraînant des pertes estimées à plusieurs millions de dollars pour les acheteurs qui avaient suivi ses recommandations.
• Faire en sorte que tout semble nécessaire : « Ne jamais laisser passer l'aubaine d'une bonne crise » est depuis longtemps la devise des régimes autoritaires. L'abus des pouvoirs d'urgence pour contourner les lois et les droits humains n'a fait que s'intensifier ces dernières années. Ce mème l'explique mieux que ne le ferait une dissertation de 2.000 mots : « S'ils peuvent suspendre vos droits à cause d'un état d'urgence, alors ils continueront à provoquer ces états d'urgence ».
Quels enseignements tirer de toute cette création de contenu en ligne ?
Le « Manuel du coup d'État milliardaire » n'a pas grand-chose à apprendre aux travailleurs du monde. Ceux-ci savent, en effet, clairement distinguer le lien entre les élites fortunées et les abus de pouvoir autoritaires perpétrés par l'extrême droite. Et pour dénoncer cette situation en des termes clairs et simples, ils n'hésitent pas à faire appel à l'humour et à la culture populaire.
Aussi, le défi qui attend les syndicats et leurs alliés consistera-t-il à organiser, à motiver et à mobiliser cette conscience collective pour transformer celle-ci en une action collective efficace. De telles campagnes s'élaborent dans un premier temps à travers des discussions entre les travailleurs et au sein des groupes dans lesquels ils s'organisent. Si ces campagnes sont sérieuses, la lutte de longue haleine pour les mener à bien repose en grande partie sur la camaraderie, la solidarité et même l'humour qui unissent collègues, amis et voisins.
Comme l'a si bien dit l'écrivain américain Mark Twain : « Rien ne peut résister à l'assaut du rire. »