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15.05.2024 à 08:59

Les citoyens européens veulent une Europe plus sociale – les négociations de branche sont la clé pour y parvenir

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Les élections européennes du 9 juin 2024 s'annoncent controversées, alors que la montée en puissance de l'extrême droite risque d'entraîner une polarisation accrue du Parlement européen. Pourtant, contrairement à l'arithmétique parlementaire, les priorités des électeurs européens sont on ne peut plus claires : selon un sondage Eurobaromètre, près de 88 % des citoyens de l'UE attachent de l'importance à une Europe plus sociale, avec en tête de leurs préoccupations la gestion de la crise du coût de la vie et (...)

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Les élections européennes du 9 juin 2024 s'annoncent controversées, alors que la montée en puissance de l'extrême droite risque d'entraîner une polarisation accrue du Parlement européen. Pourtant, contrairement à l'arithmétique parlementaire, les priorités des électeurs européens sont on ne peut plus claires : selon un sondage Eurobaromètre, près de 88 % des citoyens de l'UE attachent de l'importance à une Europe plus sociale, avec en tête de leurs préoccupations la gestion de la crise du coût de la vie et l'augmentation des bas salaires. L'Union européenne dispose heureusement d'un instrument puissant pour faire de ce projet une réalité.

Avec la directive européenne relative à des salaires minimaux adéquats adoptée en 2022, l'UE a fixé comme objectif une couverture de négociation collective de 80 % dans tous les pays membres de l'UE. Cette mesure est susceptible d'inverser la tendance baissière de la couverture dans l'ensemble de l'UE et de rétablir une société plus égalitaire, plus juste et plus stable. Au cours de la prochaine année, de nombreux pays membres de l'UE seront tenus, non seulement, de transposer la directive dans leur législation nationale, mais aussi de formuler une stratégie pour atteindre l'objectif fixé.

Ainsi, en 2024, les négociations collectives occuperont l'esprit de nombreux fonctionnaires, décideurs politiques et partenaires sociaux.

À l'approche de la date butoir pour la transposition de la directive européenne sur le salaire minimum dans la législation nationale, en novembre, la pression va croissant. Les pays membres seront appelés à formuler des propositions solides et efficaces sur la manière de promouvoir les négociations collectives.

À cet égard, l'article 4 de la directive est particulièrement intéressant. Cet article donne mandat à tous les pays, indépendamment du cadre de négociation collective en vigueur, de « favoriser la constitution et le renforcement des capacités des partenaires sociaux à s'engager dans des négociations collectives en vue de la fixation des salaires, en particulier au niveau sectoriel ou interprofessionnel ».

La négociation collective est une bonne chose, la négociation de branche en est une meilleure

Pourquoi un tel accent mis sur la négociation de branche ? La réponse est à chercher dans les multiples avantages qu'elle présente, et ce tant pour les travailleurs et la société que pour les entreprises. De nombreuses études ont mis en évidence les bénéfices de la négociation collective en général, en tant que pierre angulaire de la démocratie au travail, garantissant des salaires équitables, favorisant des environnements de travail sains et réduisant la rotation des effectifs.

Pour les travailleurs, les négociations de branche étendent les protections au-delà des entreprises individuelles pour englober des secteurs entiers, garantissant par-là même l'égalité de rémunération et un plancher minimum de droits, quelle que soit la taille de l'entreprise. La démocratie au travail ne devrait pas se limiter aux personnes travaillant pour de grands employeurs. Elle favorise l'inclusion, en veillant à ce que tous les travailleurs partagent les fruits de la négociation collective.

Indépendamment de l'entreprise, les négociations de branche garantissent que tous les travailleurs bénéficient d'un même plancher de droits et de conditions de travail.

Les entreprises en bénéficient tout autant. D'un point de vue économique, la négociation multi-employeurs « sort les salaires de la concurrence ». Plutôt que le nivellement par le bas des salaires, elle privilégie la concurrence basée sur l'efficacité, l'innovation et la qualité. Une telle approche contribue non seulement à la stabilité économique, mais s'avère de surcroît bénéfique pour les employeurs en favorisant l'émergence d'une main-d'œuvre qualifiée et motivée.

La société dans son ensemble y gagne également, dans la mesure où la négociation sectorielle est associée, dans l'ensemble, à des niveaux plus élevés d'égalité, qu'elle contribue à répandre la démocratie et qu'elle conduit à la stabilité économique. Les pays dotés de cadres de négociation collective solides sont systématiquement mieux classés dans l'Indice de développement humain, soulignant par-là les avantages sociétaux plus larges de la négociation sectorielle.

Le retour de la négociation de branche

La plupart des pays dotés de systèmes de négociation collective de branche solides ont mis ceux-ci en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais cela signifie-t-il pour autant qu'il soit impossible de développer de tels systèmes à l'heure actuelle ?

Loin s'en faut. Les négociations de branche continuent de susciter beaucoup d'intérêt et de donner lieu à de nombreuses expériences. Des systèmes totalement novateurs ont notamment été mis au point dans plusieurs pays récemment. En Nouvelle-Zélande et en Australie, par exemple, les systèmes de rémunération équitable (fair-pay) ont permis de mettre en place un dispositif de négociation sectorielle facilité par les pouvoirs publics. Plus près de nous, en Europe, la Roumanie a autorisé les négociations sectorielles. Au Royaume-Uni, le parti travailliste, donné vainqueur probable aux prochaines élections, a d'ores et déjà annoncé qu'il réinstaurerait la négociation de branche dans certains secteurs.

Les fonctionnaires européens chargés de promouvoir les négociations collectives n'ont pas besoin de chercher bien loin pour trouver des idées. UNI Europa, le syndicat européen des travailleurs des services, a invité des experts de 20 pays européens à dresser un rapport de synthèse reprenant les meilleures idées. Ce rapport met en évidence une multitude de leviers et de domaines politiques sur lesquels les décideurs politiques peuvent (et doivent) agir pour renforcer les partenaires sociaux, la négociation des conventions collectives ainsi que leur efficacité. Il s'agit également de savoir comment la politique est à même de créer une culture et un contexte dans lesquels la négociation collective constitue un acquis et non une exception.

Il n'y a donc pas d'excuse. Les conclusions de l'enquête nous montrent qu'une Europe plus sociale représente une priorité pour les citoyens. La directive européenne sur le salaire minimum offre une opportunité et les faits montrent que la négociation collective et la négociation de branche sont salutaires pour nos sociétés. À présent, il nous faut la volonté politique de relier les pointillés et de joindre l'acte à la parole.

14.05.2024 à 10:07

L'Europe joue plus qu'il n'y paraît dans des élections assombries par l'extrême droite

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Moins de 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et à peine trois générations plus tard, l'Union européenne, dont l'idéal qui lui a donné naissance était qu'une telle chose ne se reproduirait plus jamais, aborde ses dixièmes élections au Parlement européen avec des partis d'extrême droite qui bénéficient d'un soutien croissant, évènement sans précédent dans l'histoire de la politique européenne.
Dans six pays, dont quatre sont des membres fondateurs de l'UE, les partis d'extrême droite sont déjà en tête (...)

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Texte intégral (3115 mots)

Moins de 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et à peine trois générations plus tard, l'Union européenne, dont l'idéal qui lui a donné naissance était qu'une telle chose ne se reproduirait plus jamais, aborde ses dixièmes élections au Parlement européen avec des partis d'extrême droite qui bénéficient d'un soutien croissant, évènement sans précédent dans l'histoire de la politique européenne.

Dans six pays, dont quatre sont des membres fondateurs de l'UE, les partis d'extrême droite sont déjà en tête des sondages, de la Lettonie (avec 8,1 % des intentions de vote) aux Pays-Bas (22,4 %), en passant par l'Italie (27,2 %), la Belgique (27,4 %), l'Autriche (28,2 %) et la France (30,7 %). Dans huit autres pays, la droite radicale figure parmi le trio de tête des sondages (en Allemagne, en Bulgarie, en Espagne, en Finlande, en Pologne, au Portugal, en Roumanie et en Suède). En outre, elle gouvernait encore la Pologne il y a quelques mois, mais fait désormais partie des gouvernements finlandais, hongrois, italien et letton et apporte un soutien parlementaire essentiel au cabinet conservateur suédois.

Les sondages de juin prévoient une victoire du centre droit au Parlement européen, mais les partis populistes, anti-immigration et proches des partis fascistes recueillent un soutien dans les urnes qui pourrait compromettre la prise de décisions sur les grands défis des années à venir, de la guerre en Ukraine au changement climatique, en passant par la désinformation et l'intelligence artificielle.

Partout où l'extrême droite est au pouvoir, des retours en arrière sont observés en matière de droits sociaux, d'éducation et de mémoire historique, tandis que son obsession de l'immigration et la normalisation de ses positions démagogiques fragilisent les piliers démocratiques du continent.

La foi même dans les institutions européennes a été érodée par une décennie de coupes sociales, de chômage, d'inflation et de précarité, suite aux mesures d'austérité adoptées dans la plupart des pays de l'UE face à la crise de la dette depuis 2009. Elle a également été affectée ces dernières années par l'impact économique de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la normalisation de l'extrême droite dans le débat public et la diffusion galopante de la désinformation. En définitive, la plus grande réussite de l'extrême droite a été de semer sa propre controverse autour de l'identité des Européens (« blancs et chrétiens »), et d'exploiter ce mécontentement conjoncturel pour le canaliser contre l'immigration tous azimuts.

« L'inquiétude suscitée par les migrants (non européens et non “blancs”) est en fait le principal moteur du vote d'extrême droite », déclare à Equal Times Kai Arzheimer, professeur de sciences politiques à l'université de Mayence, qui étudie ce phénomène depuis trois décennies et qui est l'un des plus grands experts européens du sujet. « Au cours des cinq ou six dernières décennies, et surtout au cours des deux dernières, pratiquement toutes les sociétés européennes sont devenues beaucoup plus diverses sur le plan ethnique et culturel, et ce changement rapide génère certains niveaux d'anxiété qui n'ont pas grand-chose à voir avec les conséquences économiques de l'immigration, dont la plupart des études montrent qu'elle est immensément bénéfique ».

L'immigration, explique-t-il, est une thématique « asymétrique », car elle préoccupe beaucoup plus les électeurs anti-immigration que les électeurs pro-immigration, avec la complication que « l'extrême droite “est maîtresse” de cette question, un peu comme les partis verts “sont maîtres” des thématiques environnementales ». Par conséquent, les formations de centre droit ou de centre gauche qui durcissent leur position sur l'immigration dans l'espoir d'attirer des voix « ne finissent que par faire en sorte que cette question reste une priorité dans le débat public, ce qui tend à favoriser l'extrême droite ».

Quant à la « normalisation de l'extrême droite par les partis de centre droit (et parfois de centre gauche), elle a commencé dans les années 1990 en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas et en Scandinavie », rappelle-t-il, bien qu'au-delà des coalitions intéressées, « dans certains cas, ils se sont même inspirés de (voire ont tout simplement émulé) l'extrême droite et sont devenus de “grands partis radicalisés” (tels que les conservateurs britanniques ou l'ÖVP autrichien de Sebastian Kurz) ». Le problème, selon lui, est qu'« une fois que le génie est sorti de la lampe, il est très difficile d'inverser cette normalisation », de sorte que « le maintien d'un cordon sanitaire autour de l'extrême droite nécessite toujours la bonne volonté du centre droit, ou du moins sa certitude qu'à long terme, celui-ci se portera mieux s'il contribue à l'endiguer ».

En ce sens, la mémoire des sociétés européennes qui ont vécu des décennies de dictature influence la façon dont les grands partis et les partisans de l'extrême droite eux-mêmes réagissent. « Le comportement des élites est crucial pour la mobilisation de l'extrême droite », ajoute M. Arzheimer, comme le montrent les exemples du FPÖ autrichien dans les années 1990 ou de l'actuel AfD allemand, tandis que les cas de Vox (Espagne) et de Chega (Portugal) « démontrent que l'effet vaccinal ne dure pas indéfiniment ».

Ultralibéralisme et xénophobie dans le paradis nordique

En Europe du Nord, l'extrême droite est présente depuis longtemps dans la vie politique du Danemark et de la Norvège, mais elle s'est étendue plus récemment à la Finlande et à la Suède. « L'extrême droite s'impose également dans les pays nordiques : des pays qui figurent en tête des indices de bonheur dans le monde, qui sont parmi les premières démocraties parlementaires au suffrage universel, avec un niveau de confiance élevé parmi leurs citoyens », a déclaré à Equal Times Pekka Ristelä, responsable des affaires internationales de la Centrale syndicale finlandaise SAK.

Le Parti des Finlandais, un parti radical, gouverne en coalition avec les conservateurs depuis 2023, où il a obtenu 20,1 % des voix, et dirige un ministère des Finances « très agressif à l'égard des syndicats », des syndicats qui ont joué un rôle « absolument essentiel » dans la lutte contre les coupes sociales ces dernières années, « avec plusieurs vagues de grèves politiques ». Les partisans d'extrême droite les qualifient de « mafia » pour les délégitimer, explique M. Ristelä, même si les syndicats conservent « le soutien de plus de 50 % de la population » en raison de « leurs prises de position et de leurs grèves », il estime qu'il est nécessaire d'améliorer le dialogue politique et idéologique avec leur base.

Pendant ce temps, à Stockholm, le parti populiste Démocrates de Suède (SD), cofondé par un ancien de la Waffen-SS nazie, est le principal allié du gouvernement conservateur depuis 2022. Il bénéficie déjà du soutien d'un Suédois sur cinq, bien que le stratège de la confédération syndicale nationale LO, Johan Ulvenlöv, déclare à Equal Times que les syndicats et les sociaux-démocrates les font reculer parmi les travailleurs, en raison de la manière dont ils répondent à leurs préoccupations sur des questions telles que les soins de santé, la criminalité, la nationalisation des services publics, les infrastructures et l'éducation.

« Cela produit un impact plus important [sur le soutien aux sociaux-démocrates] que les manifestations », souligne-t-il, car « si les syndicats font bien leur travail, ils auront davantage de membres, ce qui renforcera la démocratie et créera une résistance face à l'extrême droite ».

Cette approche a également fonctionné pendant un certain temps en Allemagne. « L'héritage du nazisme, l'ineptie et l'obsession pour le passé des politiciens d'extrême droite ont facilité leur ostracisation », explique le politologue M. Arzheimer, mais tout a changé avec l'arrivée du parti xénophobe Alternative pour l'Allemagne (AfD), un parti xénophobe « qui est passé en quelques années d'un euroscepticisme modéré à une extrême droite classique, et qui se dirige à présent vers l'extrémisme traditionnel de l'extrême droite ».

Les manifestations antifascistes en Allemagne, un exemple pour l'Europe ?

Dans le pays qui a le mieux su affronter son passé (dont la dictature nazie a été responsable de la mort d'au moins 18 millions de civils européens), l'AfD a vu ses intentions de vote augmenter légèrement dans les sondages du mois d'avril, pour atteindre 16,3 %. Et ce, malgré le récent scandale qui a éclaboussé sa tête de liste aux élections, l'eurodéputé Maximilian Krah, accusé d'avoir accepté des pots-de-vin de la Chine et de la Russie pour influencer ses activités à Bruxelles, bien que ses partisans considèrent que l'affaire est un coup monté visant à le discréditer. Tout cela, notamment, quelques mois seulement après la révélation que des membres de l'AfD avaient participé, plusieurs mois auparavant, à un complot international d'extrême droite visant à mettre en œuvre un « plan directeur » de « remigration » prévoyant l'expulsion d'Allemagne de résidents d'origine étrangère dans le pays, y compris de citoyens détenteurs de passeports allemands, et ce, sur la base de critères racistes.

La réponse de la société civile a donné lieu à l'un des moments symboliques les plus forts de la politique européenne de ces dernières années. Des dizaines de milliers d'Allemands sont descendus dans la rue au cours des week-ends suivants pour manifester mutuellement le rejet des positions de l'AfD, en défense de la démocratie allemande et des valeurs d'intégration et de respect des droits humains qu'elle est censée représenter.

Dans la ville de Bonn, quelque 30.000 personnes se sont rassemblées derrière la devise « Nie Wieder ist Jetz ! » (« Plus jamais ça, c'est maintenant ! »), avec des slogans sur leurs bannières tels que « Nazis dehors » et « La haine n'est pas une opinion ». Puis, soudain, à la fin de la manifestation, la foule s'est mise à chanter l'Ode à la joie de Ludwig van Beethoven, un passage de sa Neuvième symphonie, sur des vers de Schiller, qui célèbre la joie fraternelle entre les êtres humains, et que des milliers de voix ont spontanément entonné dans la ville natale du génie de Bonn. Cette musique, l'une des plus grandes contributions de la culture allemande à l'humanité, qui célébrait précisément les 200 ans de sa création le 7 mai, est l'hymne de l'Union européenne depuis 1972, ce qui confère à ce moment un symbolisme exaltant pour de nombreux démocrates européens tant en Allemagne qu'ailleurs.

« Je suis quelque peu optimiste, sans pour autant être trop naïf, mais seulement 20 à 25 % de nos concitoyens ont perdu confiance dans le gouvernement », déclare à Equal Times Reiner Hoffmann, qui présidait il y a quelques années encore la Confédération allemande des syndicats (DGB) et qui est aujourd'hui vice-président de la fondation Friedrich-Ebert-Stiftung (FES), la doyenne des institutions allemandes d'études politiques.

« La confiance peut se perdre très rapidement, et pour la regagner, il faut du temps et que les gens voient et sentent qu'il y du changement », explique-t-il.

« Au début, j'étais un peu sceptique au sujet de ces énormes manifestations de 100.000 personnes, car combien de temps peut-on les faire durer ? Vous ne pouvez pas organiser des rassemblements de masse tous les deux week-ends, donc, de nombreuses autres choses doivent se produire, en particulier au niveau local », où l'extrême droite est particulièrement présente, « et à l'automne, des élections sont également prévues dans trois Länder allemands [Saxe, Thuringe et Brandebourg], où l'AfD est assez forte ».

M. Hoffmann rappelle que l'extrême droite allemande a des relents de violence (la tête de liste socialiste, Matthias Ecke, a lui-même été hospitalisé il y a quelques jours après avoir été agressé alors qu'il collait des affiches électorales à Dresde, dans l'un des quelque 2.800 délits contre des politiciens allemands enregistrés depuis le début de l'année). Selon lui, une partie du soutien dont jouit l'AfD provient du sentiment d'incertitude des citoyens. De nombreuses questions, telles que les politiques de durabilité environnementale, sont perçues « comme une menace et non comme une opportunité », en raison d'une mauvaise communication de la part du gouvernement, déplore-t-il, qui n'a pas réussi à expliquer aux Allemands en quoi la « transition verte » affecterait leur porte-monnaie. En face, on trouve un parti, l'AfD, qui nie le changement climatique, rejette l'immigration qui a été accueillie si chaleureusement par la société allemande en 2015 et exploite les problèmes logistiques qui ont surgi au niveau local pour l'intégration des réfugiés.

Les gouvernements et les syndicats « n'ont pas été assez sensibles pour s'attaquer à ces problèmes, qui étaient réels », indique M. Hoffmann. « Les citoyens ne sont pas opposés à l'immigration en soi, mais l'AfD a réussi à modifier le discours, et nous sommes passés d'une intégration sociale inclusive à une solidarité exclusive, c'est-à-dire uniquement solidaire avec nos chômeurs, qui souffrent de l'augmentation du coût de la vie : ils ont utilisé les personnes les plus vulnérables de notre société pour les dresser contre les immigrants, et nous n'avons jamais contré ce débat, dans lequel les syndicats ne sont pas montrés à la hauteur. »

En fait, M. Arzheimer reconnaît que, historiquement, la participation syndicale et l'éducation ont été des facteurs d'exclusion du vote d'extrême droite dans toute l'Europe, et « bien que cet effet se soit peut-être affaibli et que les syndicats aient leurs propres problèmes, je pense que les syndicats et leurs réseaux sont indispensables à une réponse efficace de la société civile face à l'extrême droite ».

Les manifestations en Allemagne « ont été très importantes, car elles ont nuancé les récits populistes et envoyé un message très fort aux grands partis », ajoute-t-il, rappelant que plusieurs études en France et en Italie indiquent que le fait de manifester contre l'extrême droite, même quelques semaines avant une élection, réduit souvent de plusieurs points les intentions de vote. Pour M. Hoffmann, il s'agit d'un « signal d'alarme », mais il reste encore beaucoup à faire au niveau municipal, régional et des syndicats pour éviter que la situation ne se dégrade davantage. Si nous n'en prenons pas soin, a-t-il averti, « rien ne garantit que l'Union européenne durera éternellement ».

« Répétitions du cas hongrois » : potentiellement des bâtons dans les roues de toutes parts

Pour Elena Ventura, coordinatrice de plusieurs projets d'étude sur l'extrême droite pour le Carnegie Endowment en Europe, les manifestations ne se sont pour l'instant pas étendues à d'autres pays, et semblent donc « très spécifiques à l'Allemagne », où il existe « un grand sentiment de honte collective à cause de l'Holocauste », contrairement à l'Italie ou à l'Espagne, où émerge une « nostalgie » radicale, plus explicite, de Mussolini et Franco.

Quoi qu'il en soit, elle partage l'avis de M. Hoffmann : l'extrême droite est très habile à tisser des liens avec ses partisans lors des élections locales, dans la rue et sur Internet, et en général, les grands partis doivent beaucoup s'améliorer dans ces domaines, ainsi que dans leur discours et leur message, puisqu'« ils n'expliquent pas à la population comment l'immigration est utile » pour leur pays.

En attendant, les populistes radicaux s'expriment de manière simpliste et directe, mais qui « les connecte très bien à leurs électeurs, et ils utilisent très bien les réseaux sociaux, même s'ils les orientent de façons qui devraient être illégales, telles que la désinformation ». La plupart des Européens ne sont pas nécessairement conscients des enjeux de ces élections, prévient Mme Ventura, mais il est probable qu'un Parlement européen beaucoup plus divisé et inefficace émergera, avec de nouveaux bâtons dans les roues de son fonctionnement comme des « répétitions du cas hongrois ». Malgré le gouvernement de Giorgia Meloni, il est possible que l'Italie ne se comporte pas de la sorte, mais il est probable que cela se produise dès cet été avec des pays tels que la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et « sûrement, la France ».

07.05.2024 à 05:30

Comment la guerre en Ukraine a bouleversé le monde syndical et la vie des travailleurs

Inès Gil

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« Depuis la première agression russe, nous sommes aux côtés des travailleurs ». Sur l'écran de son ordinateur, Yevgen Drapiatyi, vice-président de la Fédération des Syndicats d'Ukraine (Федерація професійних спілок України, en ukrainien, connu sous l'acronyme FPU), fait défiler les images de la Révolution de Maïdan. « Dès février 2014, la Russie voulait nous garder dans son giron, les Ukrainiens ont refusé. La fédération a activement soutenu les manifestants. Après cela, il y a eu l'invasion de la Crimée par les Russes, et la guerre (...)

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« Depuis la première agression russe, nous sommes aux côtés des travailleurs ». Sur l'écran de son ordinateur, Yevgen Drapiatyi, vice-président de la Fédération des Syndicats d'Ukraine (Федерація професійних спілок України, en ukrainien, connu sous l'acronyme FPU), fait défiler les images de la Révolution de Maïdan. « Dès février 2014, la Russie voulait nous garder dans son giron, les Ukrainiens ont refusé. La fédération a activement soutenu les manifestants. Après cela, il y a eu l'invasion de la Crimée par les Russes, et la guerre du Donbass a commencé. Depuis, nous soutenons les travailleurs victimes des agressions russes et suite à l'invasion de février 2022, nous avons redoublé d'efforts ».

Situé en plein cœur de Kiev, sur la place Maïdan, le bâtiment massif de l'organisation, coloré d'un beige sobre, rappelle l'ère soviétique. La fédération a été fondée en 1990, un an avant l'indépendance de l'Ukraine. Dans son bureau, garni d'objets à l'effigie du poète ukrainien Taras Shevchenko, Yevgen Drapiatyi porte un pull orné d'un trident, symbole du nationalisme ukrainien, qui rappelle que le patriotisme traverse le monde syndical qui se mobilise pour le pays et ses habitants. « Nous avons créé des points d'accueil pour les déplacés de guerre dans l'ouest de l'Ukraine. Jusqu'à aujourd'hui, nous leur apportons un soutien à Lviv, Rivne, Dnipro et Zaporijia ».

En parallèle, la FPU distribue une aide financière aux familles des travailleurs syndiqués qui ont été blessés ou tués sur le front. Pour répondre aux besoins immenses des adhérents, la FPU a bénéficié d'une aide financière d'organisations syndicales solidaires, à hauteur de « 127 millions de hryvnia (environ 3 millions d'euros) en 2022 », et « 72 millions de hryvnia (environ 1,7 millions d'euros) en 2023 », selon la FPU. « Nos camarades à l'étranger se sont aussi mobilisés et nous soutiennent depuis le début de l'invasion. Sans eux, on ne s'en sortirait pas », affirme encore Yevgen Drapiatyi.

Depuis le 24 février 2022, de nombreux syndicats ukrainiens ont bénéficié, comme la FPU, du soutien de syndicats internationauxet européens à travers des collectes de fonds et des dons humanitaires. À l'occasion du deuxième anniversaire de l'entrée en guerre, la FPU a rappelé la nécessité vitale de continuer ce soutien, dans une appel conjoint avec la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (конфедерація вільних профспілок україни en ukrainien, connu sous l'acronyme KVPU).

Car la guerre a en effet lourdement affecté tout le monde syndical. Avant février 2022, la FPU, qui chapeaute une quarantaine de syndicats répartis selon les secteurs, regroupait près de 3,5 millions de membres dans les territoires non-occupés.

« Mais avec les blessés, les populations déplacées, les Ukrainiens enlevés ou tués par l'armée russe, la fermeture des entreprises à l'est et la mobilisation de 10% de nos membres par l'armée ukrainienne, nous avons perdu des milliers d'adhérents. Sans compter les bâtiments de nos sections locales détruits par les missiles russes, comme à Kharkiv. Cela nous empêche de fonctionner normalement. »

Quand Equal Times rencontre en février dernier, Mykhaïlo Volynets, le président de la KVPU, celui-ci est alors particulièrement préoccupé par la situation des mineurs de la ville de Myrnograd, située dans l'oblast de Donetsk. La veille, une frappe russe a endommagé les infrastructures industrielles, empêchant des dizaines de travailleurs de sortir de la mine.

« Certains sont des membres du Syndicat indépendant des mineurs ukrainiens [Незалежна профспілка гірників України, NPGU] rattaché à la KVPU. En tant que représentants des travailleurs, nous devons suivre leur situation, la documenter, les soutenir sur le plan physique et psychologique, et apporter une aide pour réparer les dégâts causés par le bombardement », explique-t-il après avoir interrompu l'interview pour accepter un appel téléphonique. « Notre représentant local vient de m'informer qu'ils sont tous sortis, il n'y a pas eu de victime », indique-t-il, sourire aux lèvres. Depuis le début de l'invasion russe, 1.300 travailleurs membres de la KVPU ont été victimes des frappes russes. Parmi eux, 400 ont été tués, selon la Confédération.

Dans les territoires occupés désormais par la Russie, qui correspondent à 20% de l'Ukraine, les syndicats ne peuvent plus s'entretenir avec leurs adhérents. « Nous tentons de maintenir un contact, mais c'est dangereux, Moscou fait pression pour qu'ils rejoignent les syndicats russes », déplore Yevgen Drapiatyi. Les travailleurs de ces régions font également face à des violations de leurs droits, comme le dénonçait une enquête de l'Organisation internationale du travail, en mai 2023.

À quelques kilomètres, dans les bureaux de la Fédération des syndicats des travailleurs des petites et moyennes entreprises (PME) (федерація профспілок працівників малого та середнього підприємництва україни, en ukrainien), le président, Roi Viacheslav, s'alarme pour la sécurité de ses adhérents. « Avant la guerre, nous comptions au moins 150.000 membres. Aujourd'hui, ils sont seulement 100.000. Face aux attaques russes, les employés des petites et moyennes entreprises sont plus vulnérables que les travailleurs des grosses usines, ils ne bénéficient pas toujours d'une protection sur leur lieu de travail. »

Dans le contexte de guerre de haute intensité, la question sécuritaire est devenue une priorité pour les salariés. Régulièrement, les adhérents de la Fédération des syndicats des travailleurs des PME réclament des formations aux premiers secours en cas d'attaque de missile sur leur lieu de travail. Certains souhaitent aussi être orientés pour « obtenir un soutien psychologique », affirme Roi Viacheslav. « Aider les travailleurs à faire face à la guerre est aujourd'hui le cœur de nos activités, car nous ne pouvons plus jouer notre rôle d'acteur du dialogue social, comme c'était le cas avant l'invasion. Les lois adoptées ces deux dernières années en Ukraine retirent leurs prérogatives traditionnelles aux syndicats. »

Des nouvelles législations menacent les droits des travailleurs

Depuis le début de l'invasion russe, la Rada (le nom du parlement ukrainien) a adopté une succession de lois qui fragilisent gravement le droit du travail. Les textes votés immédiatement après l'invasion ont contraint le pays à s'adapter au contexte nouveau de guerre : la loi martiale interdit toute manifestation, mais elle n'a pas vocation à durer une fois les combats terminés.

En revanche, les lois votées à l'été 2022 pourraient installer les salariés ukrainiens dans une précarité durable. Un premier texte controversé a introduit les contrats dits « zéro heure », qui ne garantissent aucune sécurité d'emploi ni de salaire. S'en est suivi la loi 5371, qui soustrait les salariés des entreprises de moins de 250 employés de la couverture des accords collectifs. À cela s'ajoute, l'augmentation de la durée légale du travail dans les secteurs stratégiques et la facilitation des retards de paiement des salaires et des ruptures de contrat. « Cette loi est en contradiction avec les Conventions 87 et 158 de l'Organisation internationale du Travail », dénonce Mykhaïlo Volynets.

« Avant, pour changer les termes d'un contrat de travail, les employeurs avaient pour obligation d'entamer des négociations avec le syndicat. Mais maintenant, ils peuvent faire ce qu'ils veulent. C'est un terrible recul », affirme Roi Viachesla.

Le responsable syndical arbore un pin's représentant le drapeau européen. Selon lui, ces lois « dictées par le patronat ukrainien dont les intérêts sont portés par le pouvoir » nuisent aux chances de l'Ukraine d'entrer dans l'Union Européenne, « depuis plusieurs années, l'Ukraine a fait beaucoup de progrès dans de nombreux domaines pour s'adapter aux normes européennes. Mais maintenant, à l'heure où les Ukrainiens ont plus que jamais soif d'Europe, c'est le rétropédalage. Cette législation est en désaccord total avec les exigences européennes en matière de protection du droit du travail. » En témoignent ainsi les menaces pesant sur le droit de grève, et qui pourrait être limité par amendement législatif.

Selon Denys Gorbach, chercheur associé au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po qui travaille sur la situation socio-économique en Ukraine, les partisans d'une ligne ultralibérale profitent du contexte de guerre pour fragiliser le droit du travail, « les lois votées à l'été 2022 ne sont pas limitées par un cadre temporel, elles ont vocation à se maintenir après la fin de la guerre. Elles sont le reflet d'une vision néo-libérale portée par Volodymyr Zelensky et son parti Serviteur du peuple depuis son arrivée à la présidence en 2019. Ces néo-libéraux s'appuient sur des arguments fallacieux, affirmant que le code du travail est soviétique, et qu'il doit être totalement remodelé. Certes, le code du travail date de 1971, mais il a connu des modifications considérables pendant des décennies pour s'adapter à la modernité, notamment après l'indépendance de l'Ukraine. »

Plus préoccupant encore, d'après les Confédérations européenne et internationale, « les dirigeants syndicaux font l'objet de différentes enquêtes, de campagnes de diffamation et d'intimidation, tandis que les locaux syndicaux sont visités par des représentants de l'État, que les documents syndicaux sont examinés, que les représentants syndicaux sont convoqués à des interrogatoires. Cela distrait et rend difficile, voire impossible, le travail de fond que mènent les syndicats ».

La priorité de la guerre

Depuis deux ans, la situation de guerre a affecté tous les pans de l'économie nationale, détruisant des millions d'emplois, et notamment les secteurs métallurgique et minier, principalement concentrés à l'est. Dans la cité industrielle de Kryvyi Rih, à 70 kilomètres du front, ArcelorMittal représente un des derniers piliers de l'économie régionale.

À l'entrée du complexe industriel, une immense affiche envahit l'espace. Elle représente une fillette entourée par un soldat et un métallurgiste, avec l'inscription en ukrainien : « Ensemble jusqu'à la victoire ». Implanté depuis l'époque soviétique à Kryvyi Rih, le groupe sidérurgique est le premier producteur d'acier de la ville. « Un tiers des revenus de Kryvyi Rih proviennent des taxes payées par ArcelorMittal », affirme avec fierté Volodymyr Haidash, responsable de la communication auprès de l'entreprise. « En aidant l'économie locale, l'entreprise participe à l'effort de guerre. »

Dans un hangar, un groupe d'ouvriers surveille le passage de l'acier laminé à chaud. Une épaisse fumée se dégage des machines. Elle s'échappe par un trou formé dans le toit après une attaque russe sur le site en décembre dernier.

« Malgré le danger, nous travaillons dur, nous contribuons à faire entrer l'argent dans les caisses de l'État et d'ArcelorMittal », affirme Oleksandr, un ouvrier métallurgiste, « donc il faudrait que nos salaires suivent l'inflation, car nous n'arrivons plus à vivre décemment ».

Le syndicat de la métallurgie et des mineurs, dont les bureaux se trouvent dans l'enceinte d'ArcelorMittal depuis les années 1930, a entamé des négociations pour augmenter les salaires, affirme sa présidente, Natalya Mariniuk : « Ils n'ont pas été augmentés depuis deux ans, alors que l'inflation a explosé de plus de 35% après l'invasion russe. » Le syndicat souhaite également obtenir un treizième mois de salaire en bonus, qui avait été « supprimé unilatéralement en 2023 par ArcelorMittal. » La présidente du syndicat de la métallurgie et des mineurs semble optimiste, « mais il faut se méfier », affirme Mykhaïlo Volynets, « les syndicats héritiers de l'époque soviétique sont proches du pouvoir, ils prétendent qu'il existe encore un dialogue social en Ukraine ».

Lors d'un sommet qui a eu lieu le 23 avril dernier, à Lublin, en Pologne, cette question de la restauration du dialogue social a été abordée par les syndicats ukrainiens et leurs homologues européens, tout comme le rôle des syndicats dans les discussions sur l'avenir et la reconstruction du pays. Le soutien international se poursuit ainsi dans les échanges que peuvent avoir les acteurs syndicaux avec les responsables politiques d'Ukraine et de l'UE.

Selon le président de la KVPU, l'amélioration des conditions de travail en Ukraine passe par « la fin de l'agression russe, l'adhésion à l'Union Européenne et le vote par la Rada de nouvelles lois respectueuses des droits des travailleurs ».

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