01.07.2025 à 06:00
(Bruxelles) – Les États membres de l’Union européenne (UE), sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, sont en train de trahir leur engagement de protéger les droits humains et l’environnement dans le cadre des chaînes d’approvisionnement mondiales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 23 juin, ces États membres ont approuvé une proposition du Conseil européen qui, si elle prenait force de loi, rendrait caduque une directive de l’UE sur la protection des droits le long des chaînes d’approvisionnement.
Cette directive, connue sous le nom de Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD), était destinée à protéger les victimes d’abus des droits humains, ainsi que l’environnement, tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises. Elle a marqué une importante transition, les entreprises habituées jusque-là à appliquer certaines normes sur une base purement volontaire étant désormais tenues légalement responsables pour les violations des droits humains et de l’environnement commises tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Elle était entrée en vigueur en juillet 2024 dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), le projet phare de la Commission de l’UE pour rendre l’Union plus durable et neutre sur le plan climatique d’ici à 2050.
« Les États membres de l’UE veulent réduire la loi européenne sur les chaînes d’approvisionnement à un simple morceau de papier, trahissant les victimes et les survivants d’abus commis le long des chaînes d’approvisionnement des entreprises européennes », a déclaré Hélène de Rengervé, chargée de plaidoyer senior sur la responsabilité des entreprises à Human Rights Watch. « Cette proposition trahit l’engagement de l’UE en faveur des droits humains et de la durabilité et, si elle devenait loi, aurait très peu d’impact pour empêcher les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement. »
La prochaine étape aura lieu lorsque le Parlement européen adoptera sa position concernant cette proposition d’abandon de la CSDDD. Il s’agira d’une occasion cruciale et définitive pour le Parlement de se prononcer pour éviter que la directive ne devienne obsolète et pour conserver de réelles protections pour les victimes d’abus commis par les entreprises.
Les efforts en vue d’affaiblir la législation ont commencé en février 2025, lorsque la nouvelle Commission de l’UE a fait volte-face et avancé une proposition dite « Omnibus » visant à vider de leur substance les éléments les plus importants de la directive. Parmi ceux-ci figurent l’obligation pour les entreprises de faire preuve de vigilance en matière de droits humains et d’environnement tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi que la possibilité pour les victimes de poursuivre en justice les entreprises si leurs droits sont violés. Ces mesures étaient considérées comme d’importants compromis, obtenus à la suite de négociations minutieuses.
Certains lobbies industriels semblent avoir joué un rôle prépondérantdans les efforts en faveur des changements. Leurs appels à davantage de compétitivité et de simplification, qui sont utilisés pour justifier les démantèlements, masquent une vaste entreprise de déréglementation et ignorent le véritable objectif de la loi : protéger les victimes d’abus tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises.
L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE), des entreprises progressistes, des experts juridiques et des économistes, des personnalités de haut niveau, des responsables et experts de haut rang des Nations Unies et le Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme ont tous critiqué cette proposition, exhortant l’UE à ne pas affaiblir la directive.
La décision du 23 juin, prise sous l’égide de la présidence polonaise de l’UE, soutient le plan de la commission consistant à limiter les obligations de vigilance obligatoires et systématiques aux seuls fournisseurs directs. Mais, du fait que de nombreuses violations des droits humains sont commises plus loin le long de la chaîne mondiale d’approvisionnement, par exemple au niveau de l’extraction des matières premières ou de la fabrication, ces limites restreignent gravement la faculté de la loi d’empêcher les abus.
La décision est également en contradiction avec les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, qui étend la responsabilité des entreprises d’exercer leur vigilance en matière de droits humains à tous les maillons de leur chaîne de valeurs. Limiter le devoir de vigilance aux seuls fournisseurs directs équivaudrait à négliger les maillons de la chaîne d’approvisionnement où la plupart des abus sont commis, a déclaré Human Rights Watch.
« Si la CSDDD est limitée au fournisseur direct, cela voudra dire qu’elle ne sera plus que des paroles creuses pour les travailleurs », a déclaré Kalpona Akter, une activiste du droit du travail du Bangladesh. « Nous serions laissés de côté. C’est inacceptable. »
Les États membres de l’UE ont même proposé d’aller encore plus loin dans la réduction des exigences de la directive, en affaiblissant les plans d’atténuation des effets des changements climatiques et en limitant le champ d’application de la loi aux entreprises de plus de 5 000 employés et de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Des estimations effectuées par le Centre de recherche sur les entreprises multinationales (Centre for Research on Multinational Corporations), présentées dans sa base de données sur la CSDDD, montrent que l’imposition d’un tel seuil exclurait 72,5 % des entreprises actuellement concernées par la loi de 2024, réduisant à moins de 1 000 le nombre de celles qui resteraient concernées.
La proposition du Conseil de limiter le devoir de vigilance essentiellement aux fournisseurs directs signifie que les entreprises pourraient ignorer les maillons de leur chaîne d’approvisionnement où se situent la plupart des risques, tout en transférant à leurs fournisseurs directs les coûts et la responsabilité du devoir de vigilance dans le cadre de contrats commerciaux inéquitables.
La décision du Conseil de remplacer une règle commune et harmonisée pour tenir les entreprises responsables par des règles propres à chaque État membre signifierait aussi qu’il y aurait 27 ensembles de règles. Cela rendrait plus complexe et plus coûteux l’application de la loi, tout en affaiblissant son aspect préventif et en encourageant les entreprises à faire du « forum shopping » pour trouver les États membres ayant les règles les plus avantageuses, a déclaré Human Rights Watch.
Des désastres industriels faisant des morts et des blessés parmi les travailleurs, comme l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, et les violations par les grandes entreprises des droits humains, du droit du travail et des normes environnementales le long des chaînes mondiales d’approvisionnement ont suscité un vaste mouvement de soutien à des législations contraignantes afin de tenir les entreprises responsables. Les organisations de défense des droits, les syndicats, des consommateurs, des dirigeants politiques et des entreprises progressistes ont milité en faveur de la loi.
Mais le processus législatif, qui a débuté en 2020, a été difficile ; il s’est heurté à une vive opposition de la part de multinationales et d’associations patronales, et les gouvernements français, italien et allemand ont mené les efforts, directement et aussi par l’intermédiaire de leurs groupement de lobbyistes d’employeurs, pour diluer les dispositions les plus importantes de la loi.
La hâte inhabituelle avec laquelle la Commission a fait avancer la proposition Omnibus, au mépris de ses obligations administratives et procédurales et sans consulter sérieusement la société civile, a conduit huit organisations de la société civile à porter plainte auprès du bureau du Médiateur européen en avril. En réaction, la Médiatrice de l’UE a ouvert une enquête en mai.
Human Rights Watch soutient cette initiative très importante des organisations et exhorte le bureau de la Mediatrice à tenter de mener à bien son enquête le plus promptement possible, dans la mesure du possible avant que le texte final de la CSDDD remaniée soit adopté. Cette enquête constitue un pas essentiel vers une complète transparence et responsabilité dans le processus de décision de la Commission, contribuant à assurer qu’elle reflète effectivement les valeurs démocratiques fondamentales de l’UE.
« Le Parlement européen a l’occasion de mettre fin à cette course au nivellement par le bas et de se battre pour une loi qui tient réellement responsables les grandes entreprises pour leurs violations des droits humains et de l’environnement », a conclu Hélène de Rengervé. « Tant les victimes des abus des entreprises que les consommateurs de l’UE méritent mieux que la situation actuelle. »
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30.06.2025 à 01:00
(New York, le 29 juin 2025) – Le gouvernement chinois a supprimé les libertés à Hong Kong depuis qu’il a imposé sa draconienne Loi sur la sécurité nationale (National Security Law, NSL) le 30 juin 2020, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les autorités chinoises et hongkongaises ont sévèrement puni les détracteurs du gouvernement, instauré un régime de sécurité nationale extrêmement répressif et imposé un contrôle idéologique aux habitants de la ville. De plus en plus, seuls les fidèles du Parti communiste chinois (PCC) – autrement dit les « patriotes » – peuvent occuper des postes clés dans la société.
« En seulement cinq ans, le gouvernement chinois a mis fin au dynamisme politique et civil de Hong Kong et l’a remplacé par l’uniformité d’un patriotisme forcé », a déclaré Maya Wang, directrice adjointe pour la Chine à Human Rights Watch. « Cette oppression accrue risque d’avoir de graves conséquences à long terme pour Hong Kong, même si de nombreux Hongkongais ont trouvé des moyens subtils de résister au régime tyrannique. »
Play VideoDepuis l’adoption de la Loi sur la sécurité nationale, le gouvernement chinois a largement démantelé les libertés d'expression, d'association et de réunion, ainsi que des élections libres et équitables, le droit à un procès équitable et l'indépendance de la justice. Le gouvernement a de plus en plus politisé l'éducation, instauré l'impunité pour les abus policiers et mis fin à la semi-démocratie de la ville. De nombreux groupes indépendants de la société civile, syndicats, partis politiques et médias de Hong Kong ont été fermés.
Le gouvernement chinois a mis en place un nouveau régime juridique et une nouvelle bureaucratie opaques en matière de sécurité nationale, utilisant les tribunaux comme armes pour infliger de lourdes sanctions à la dissidence – jusqu’à la prison à vie – et harcelant et surveillant les Hongkongais dans le pays et à l’étranger. Les autorités réécrivent également l’histoire de Hong Kong.
Lors de la rétrocession de la souveraineté de Hong Kong à la Chine par le Royaume-Uni en 1997, Pékin avait promis un « haut degré d’autonomie » et que « le peuple de Hong Kong gouvernerait Hong Kong ». Depuis 2020, le Parti communiste chinois – qui n'est même pas enregistré comme parti politique à Hong Kong – y a toutefois étendu son contrôle sur tous les leviers du gouvernement local, en intégrant le concept de sécurité nationale de Pékin dans les lois de Hong Kong et en réorganisant la structure de gouvernance de la ville.
Plusieurs autres gouvernements ainsi que les Nations Unies ont exprimé leur préoccupation à propos de la détérioration rapide des libertés à Hong Kong, mais peu d’entre eux ont pris des mesures concrètes. Les États-Unis ont imposé des sanctions à des responsables chinois et hongkongais en 2020, 2021 et 2025 pour des abus liés à la loi sur la sécurité nationale, mais ils ont été le seul gouvernement à le faire. Le Royaume-Uni, l’Union européenne et l’Australie, qui ont également des régimes de sanctions en matière de droits humains, devraient imposer des sanctions ciblées aux responsables chinois et hongkongais les plus responsables des graves violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch..
« Les autres gouvernements devraient faire pression sur le gouvernement chinois pour qu'il mette fin à ses politiques répressives à Hong Kong, en demandant des comptes aux autorités responsables », a conclu Maya Wang. « Pékin ne devrait plus se sentir encouragé à resserrer son emprise sur la population de Hong Kong sans conséquences. »
Suite en anglais, comprenant plus de détails sur la répression à Hong Kong :
https://www.hrw.org/news/2025/06/29/china-building-a-patriots-only-hong-kong
28.06.2025 à 20:20
(Beyrouth) – Les récentes condamnations de 24 accusés à la réclusion à perpétuité aux Émirats arabes unis ont été prononcées à l'issue d'un procès collectif fondamentalement inéquitable, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le 26 juin, la Chambre criminelle de la Cour suprême fédérale a annulé un précédent jugement de non-lieu rendu à l’égard des 24 accusés, et les a condamnés à la réclusion à perpétuité. Ils étaient visés depuis 2023 par des accusations liées au terrorisme en vertu de la loi antiterroriste émiratie, qui est entachée de graves irrégularités.
Le jugement du 26 juin signifie que 83 des 84 accusés ont été reconnus coupables dans le cadre du procès collectif ; c’était auparavant le cas pour 53 accusés. Parmi les 83 personnes reconnues coupables, 67 ont été condamnées à la réclusion à perpétuité. Parmi les 84 accusés renvoyés en jugement en décembre 2023, une personne a apparemment été acquittée, mais Human Rights Watch n'a pas été en mesure de confirmer son identité.
Le 10 juillet 2024, la Cour d'appel fédérale d'Abou Dhabi a condamné 53 accusés à des peines allant de 10 ans de prison à la réclusion à perpétuité, à l'issue d'un procès collectif inéquitable – deuxième en termes de taille aux Émirats arabes unis – entaché de violations des garanties procédurales. La Cour a aussi classé sans suite les affaires concernant 24 autres accusés, mais le Procureur général des Émirats a ensuite fait appel de ces 24 décisions, qui ont été annulées le 26 juin dernier.
« Ce procès collectif, deuxième en termes de taille aux Émirats arabes unis, aurait été tenu pour lutter contre le terrorisme ; mais en réalité il a simplement fait partie des efforts incessants du gouvernement pour empêcher la réémergence d’une société civile indépendante dans ce pays », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur les Émirats arabes unis à Human Rights Watch. « Punir l’activisme non violent avec des peines de prison à vie reflète le profond mépris d'Abou Dhabi à l’égard de critiques pacifiques, et de l’état de droit. »
En décembre 2023, tout en accueillant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28), les autorités émiraties ont poursuivi au moins 84 personnes liées à la création en 2010 d'une organisation indépendante de défense des droits. Plusieurs accusés purgeaient déjà des peines de prison pour des infractions identiques ou similaires. Ce procès collectif inéquitable a été entaché de graves violations des garanties procédurales et de normes relatives à un procès équitable. Parmi ces violations figuraient un accès restreint aux documents et aux informations concernant les accusations, une assistance juridique limitée, des propos de juges visant à influencer les témoignages, des violations du principe de double incrimination, des allégations crédibles de graves abus et de mauvais traitements, ainsi que des audiences tenues à huis clos.
Selon une déclaration publiée en janvier 2024, les autorités émiraties ont accusé les 84 hommes d'avoir créé et dirigé le Comité pour la justice et la dignité, qualifiée d’organisation terroriste clandestine par les autorités. Ces accusations étaient portées en vertu de la loi antiterroriste abusive de 2014, qui prévoit des peines allant jusqu'à la prison à vie, voire la peine de mort, pour quiconque crée, organise ou dirige une organisation « terroriste ».
En juillet 2024, d'éminents activistes tels qu'Ahmed Mansoor (membre du conseil consultatif de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord) et l'universitaire Nasser bin Ghaith étaient jugés lors du procès collectif ; chacun a été condamné à 15 ans d'emprisonnement.
Étant donné que les accusations reposaient uniquement sur l'exercice pacifique par les accusés de leurs droits humains et que les condamnations ont été prononcées à l'issue d'un procès fondamentalement inéquitable, les autorités émiraties devraient immédiatement annuler les condamnations et libérer tous les accusés, a déclaré Human Rights Watch.
En mars 2025, un tribunal émirati a rejeté les appels des 53 défenseurs des droits humains et dissidents politiques condamnés en juillet 2024, confirmant leurs condamnations injustes et leurs peines abusives. Le 1er mars, l'agence de presse officielle des Émirats arabes unis (Wakalat Anba'a al Emarat, WAM), avait annoncé que la Chambre chargée des affaires de la sécurité de l'État, une division de la Cour suprême fédérale, rendrait son verdict d'appel le 4 mars. L'audience du 4 mars était la première et unique audience en appel. Aucun des détenus n'était présent et seul l'un des avocats des accusés a pu assister à l'audience, selon le Centre de défense des droits humains des Émirats arabes unis (Emirates Detainees Advocacy Center, EDAC), qui soutient les défenseurs des droits emprisonnés dans ce pays.
Peu d’informations sont disponibles sur la situation des 53 activistes emprisonnés, la plupart étant privés de la possibilité de visites ou d'appels téléphoniques de leurs familles, a déclaré l'EDAC. « D'après ce que nous avons entendu, ils ne sont plus détenus à l'isolement, mais rien n'est confirmé en l’absence de sources fiables d'information », a déclaré un proche. « Il n'existe aucun moyen réel d'obtenir des informations. Nous pensons qu'il s’est agi d'un simulacre de procès. »
Parmi les 84 accusés, au moins 60 personnes avaient déjà été condamnées en 2013 dans le cadre d’un précédent procès collectif visant 94 personnes ; ils étaient déjà visés en raison de leur implication dans le Comité pour la justice et la dignité, a déclaré l'EDAC. En 2013, ce procès collectif dénommé « UAE 94 », manifestement inéquitable, avait abouti à la condamnation de 69 détracteurs du gouvernement, dont huit par contumace, en violation de leurs droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion. Ces 69 accusés faisaient partie de 94 personnes détenues à partir de mars 2012, dans le cadre d'une vague d'arrestations arbitraires, dans un contexte de répression sans précédent contre la dissidence.
« Les autorités émiraties devraient annuler ces condamnations et libérer les accusés immédiatement et sans condition », a conclu Joey Shea.
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27.06.2025 à 21:00
(Washington) – Des entretiens avec des policiers et des documents internes de la police au Salvador révèlent des pratiques abusives ayant conduit à des arrestations arbitraires et à des abus de pouvoir, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Des policiers ont déclaré à Human Rights Watch que de nombreuses arrestations dans le cadre de la « guerre contre les gangs » en cours résultaient de pressions exercées sur les policiers pour qu'ils atteignent leurs quotas quotidiens d'arrestations, et reposaient sur des preuves douteuses ou même fabriquées. Ces policiers ont décrit des arrestations fondées sur de simples tatouages, sur des informations manifestement fausses figurant dans des rapports de police ou sur des appels anonymes non corroborés. Ils ont également décrit un climat d'impunité qui a conduit certains policiers à exiger des pots-de-vin et, dans certains cas, à exiger des relations sexuelles de femmes en échange de la non-arrestation de leurs proches.
« Le président Nayib Bukele présente sa politique de sécurité comme un modèle positif pour le monde, mais les policiers avec lesquels nous nous sommes entretenus racontent une tout autre histoire », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Leurs témoignages offrent un aperçu rare de la manière dont la police salvadorienne a fabriqué des preuves pour atteindre ses quotas d'arrestations, extorqué des personnes innocentes, contourné les procédures régulières et bafoué des décisions judiciaires. »
Depuis mars 2022, le Salvador est sous état d'urgence, dans le cadre duquel certains droits à une procédure régulière ont été suspendus. Depuis lors, les forces de sécurité auraient arrêté plus de 86 000 personnes, dont plus de 3 000 enfants.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 11 policiers salvadoriens, dont la durée de l’expérience professionnelle est comprise entre 9 ans et 31 ans. Neuf sont des membres actifs de la police. Les deux autres possèdent une connaissance approfondie des pratiques policières, et entretiennent des liens étroits avec leurs collègues actuellement en poste. Il s’agissait d’agents de police, de sergents, d’enquêteurs et de techniciens médico-légaux travaillant dans les États de San Salvador, de Santa Ana et de San Vicente. Quatre entretiens ont été menés en personne à San Salvador, les autres ont été menés par téléphone. Human Rights Watch s’est abstenu de divulguer les noms des policiers et d'autres informations permettant de les identifier, pour des raisons de sécurité. Human Rights Watch a corroboré leurs témoignages en examinant des documents internes de la police, des décisions de justice, ainsi que des témoignages d'autres policiers et de victimes d'abus.
Human Rights Watch a précédemment documenté des violations généralisées des droits humains commises pendant l'état d'urgence, notamment des arrestations arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que de graves violations des garanties procédurales. La grande majorité des détenus sont en détention provisoire, souvent dans des conditions abjectes.
Les onze policiers ont certes évoqué les graves problèmes de sécurité posés par les gangs et reconnu que la violence liée aux gangs avait considérablement diminué ; toutefois, ils ont dénoncé les tactiques imposées par les supérieurs hiérarchiques. Les policiers ont déclaré être souvent sanctionnés s'ils n'atteignaient pas les quotas quotidiens d'arrestations. Certains ont affirmé ne pas pouvoir quitter leur service, prendre un repas ou se reposer au commissariat tant qu'ils n'avaient pas atteint leur quota. Lorsque des policiers refusaient ou exprimaient des inquiétudes quant au manque de preuves justifiant une arrestation, ils étaient menacés de mutations indésirables, ou d'inculpation pour « manquement au devoir ».
Des policiers ont aussi affirmé que certains dossiers étaient fabriqués de toutes pièces. Un policier a déclaré : « Il n'y a pas d'enquête. La police se contente de créer des profils. Ce sont des actes arbitraires… Ce profil devient la “preuve” de l'appartenance à un gang. »
Un autre policier a déclaré : « [Une personne] appelait simplement pour dire que quelqu'un était un “collaborateur”, et nous allions l'arrêter. » Il a résumé cette pratique ainsi : « Détenir d'abord, enquêter ensuite. »
De nombreux policiers ont déclaré que les accusations reçues par appels anonymes, qui ont parfois conduit à des arrestations, se sont avérées fausses et fondées uniquement sur des conflits personnels. Comme l'a expliqué un policier : « Des gens étaient arrêtés simplement parce qu'un voisin ne les aimait pas. »
Certains policiers ont également déclaré avoir reçu des instructions interdisant la libération des personnes détenues. Ils ont décrit un « protocole » visant à créer un nouveau dossier contre toute personne dont la libération avait été ordonnée par le tribunal, afin de la réarrêter immédiatement ; parfois, selon un policier, un détenu libéré était réarrêté « dès qu'il franchissait les portes de la prison ».
Les policiers ont également expliqué que l'état d'urgence et l'absence d’obligation de rendre des comptes avaient engendré un climat d'impunité. Selon l’un d’entre eux, la police se sentait « toute-puissante ».
Plusieurs policiers ont ajouté que les conditions de travail difficiles, les bas salaires et les risques pour la sécurité personnelle – problèmes persistants au Salvador – favorisent la corruption et les abus de pouvoir.
Des policiers ont décrit comment certains collègues extorquaient des personnes et se livraient à des actes d'exploitation sexuelle. « [Ils disent aux gens] : "Si vous ne faites pas ce que je demande, je vous traiterai selon l’état d'urgence" », a expliqué un policier. « L'état d'urgence est devenu un outil de coercition. »
« La violence des gangs a clairement diminué au Salvador », a déclaré Juanita Goebertus. « Mais les Salvadoriens ne sont pas véritablement en sécurité : ils sont exposés au risque d’abus commis en toute impunité par les forces de sécurité. Or, l'expérience montre que ces abus ne feront que s'aggraver et se propager si tout policier n'est pas tenu strictement responsable de ses actes. »
Suite en anglais, comprenant des témoignages de policiers.
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27.06.2025 à 11:35
La police hongroise a interdit aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) hongroises et à leurs sympathisants de se rassembler pacifiquement pour célébrer la Marche des Fiertés, tout en autorisant un groupe d’extrême droite à défiler le même jour.
Un autre événement lié à la communauté LGBT, prévu pour coïncider avec la Pride officielle à Budapest le 28 juin, a été interdit à trois reprises par la police. Les organisateurs ont contesté cette interdiction devant la Cour suprême, mais malgré deux décisions en leur faveur et l'ordre donné à la police de réexaminer leur demande, la Cour a finalement confirmé l'interdiction.
En réponse aux tentatives des autorités de restreindre la liberté de réunion, le maire de Budapest a annoncé le 17 juin que la ville, en collaboration avec les coorganisateurs de Rainbow Mission, accueillerait la Pride officielle comme un événement municipal, qui ne nécessite pas l'autorisation de la police. La police a tout de même émis une interdiction de l'événement, tandis que le maire a insisté pour que la Marche des Fiertés ait lieu le 28 juin. Le statut juridique de la Marche des Fiertés du 28 juin demeurait incertain, lors de la rédaction de cet article.
Au même moment, le 16 juin, un groupe d'extrême droite connu pour ses propos haineux a informé la police qu'il organiserait son propre rassemblement le jour de la Marche des Fiertés, le long de l’itinéraire habituel. Contrairement à la Pride, qui est pacifique, la police n'a pas interdit cette marche.
Le gouvernement hongrois discrimine et attise la haine à l’encontre des personnes LGBT depuis longtemps. Une loi controversée de 2021 interdit toute expression publique des identités LGBT, les présentant comme nuisibles aux enfants et les assimilant à tort à la pédophilie.
De nouvelles réformes juridiques draconiennes confortent les récentes tentatives des autorités d'interdire la Pride et d'autres événements LGBT, notamment des modifications constitutionnelles adoptées en avril sous prétexte de donner la priorité à la « protection de l’enfance », au détriment de la plupart des droits fondamentaux, et une réforme de la loi sur la liberté de réunion adoptée en mars.
Ces interdictions et ces lois discriminatoires ont fait l’objet de critiques internationales. En mai, 20 États membres de l'Union européenne ont publié une déclaration commune pour condamner les mesures législatives hongroises interdisant la Marche des Fiertés de Budapest et ont exhorté la Commission européenne à déployer tous ses outils de contrôle du respect de l'État de droit, à moins que Budapest ne revienne sur ces mesures.
La Pride est plus qu'une simple marche, c'est une célébration de l'amour, de la diversité, de l'égalité et de la liberté d'être soi-même. En Hongrie, cette liberté est menacée. Le droit de réunion pacifique est un pilier de la démocratie. Le gouvernement hongrois le considère comme facultatif.
Les dirigeants hongrois doivent revenir sur ces interdictions, abroger les lois discriminatoires et garantir que la Marche des Fiertés de Budapest puisse se dérouler publiquement et en toute sécurité. La Pride n'est pas une menace, la haine l'est.
25.06.2025 à 06:00
(Washington) – Un an après le déploiement en Haïti du premier contingent de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), autorisée par les Nations Unies, les violences et les atteintes aux droits humains continuent à augmenter, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les pénuries continuelles de personnel, de fonds et d’équipement ont nettement limité la capacité de la MMAS à contenir les violences, qui se sont intensifiées, notamment dans la capitale d’Haïti, tuant au moins 2 680 personnes et faisant 957 blessés, selon les données de l’ONU. Le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, mettait en évidence une inquiétante montée des graves violations commises à l’encontre des enfants, passées de 383 incidents en 2023 à 2 269 incidents en 2024. Parmi ces violations, on comptait douze fois plus de cas de recrutement et d’instrumentalisation d’enfants dans des groupes criminels, ainsi qu’une augmentation encore plus forte des viols et des violences sexuelles envers les enfants.
La violence a forcé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs domiciles, menant à une forte hausse du nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui s’élève désormais à 1,3 million – le plus haut niveau enregistré en Haïti, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
« Chaque jour, la violence force des centaines d’Haïtiens à fuir, en n’emportant que les vêtements qu’ils portaient, vers des sites de déplacement ou vers d’autres villes, où ils demeurent en danger et n’ont pas, ou peu, accès à la nourriture et à l’eau », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse senior auprès de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les pays membres de l’ONU devraient immédiatement renforcer la MMAS. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait mettre fin à son inaction et transformer la MMAS en mission des Nations Unies à part entière, dotée du personnel, des ressources et du mandat lui permettant de protéger efficacement la population haïtienne. »
Fin avril et début mai, des chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus à Cap-Haïtien, chef-lieu du département du Nord. Avec l’aide du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) et de l’Office de la protection du citoyen (OPC) d’Haïti, les chercheurs se sont entretenus avec 33 déplacés internes qui avaient récemment fui Port-au-Prince, sa zone métropolitaine ou d’autres municipalités. Ils ont également rencontré des travailleurs humanitaires, des diplomates et des représentants de la société civile haïtienne et des agences des Nations Unies.
Depuis début 2025, des groupes criminels ont intensifié les attaques dans des zones auparavant sûres, y compris à Port-au-Prince et dans sa zone métropolitaine, ainsi que dans les municipalités de Mirebalais et Saut-d’Eau, dans le département Centre, et Petite-Rivière, dans l’Artibonite. Ces violences – y compris des affrontements avec des brigades d’autodéfense, fonctionnant souvent grâce à l’implication de policiers, et avec les forces de sécurité – ont forcé plus de 245 000 personnes à fuir leur domicile, selon l’OIM.
De nombreuses personnes interrogées par Human Rights Watch étudiaient à l’université ou bien avaient des emplois stables et des ressources financières – notamment un domicile ou une petite entreprise – et, jusqu’à récemment, étaient capables de mener une vie largement épargnée par la violence.
« Je vivais bien dans mon quartier, c’était tranquille. Et puis, d’un coup, les problèmes de sécurité ont commencé », a ainsi déclaré un étudiant en génie civil âgé de 23 ans, déplacé en mars de Port-au-Prince vers Cap-Haïtien, après une agression ayant coûté la vie à son frère. « Des hommes sont arrivés, plein de bandits. Ils ont commencé à tirer. Ma famille et moi, on est sorti de la maison. En traversant la rue, [mon frère de 19 ans] a été touché par une balle. [L]a balle lui avait traversé la tête [...]. Après ça, on est venus à Cap-Haïtien. Dans mon quartier, il ne reste plus personne – juste les bandits. »
Lors des attaques récentes, plusieurs personnes interrogées ont témoigné que les groupes criminels se servaient d’applications pour diffuser des messages audio avertissant les habitants qu’il ne leur restait que quelques heures pour s’enfuir.
Un plombier de 38 ans de Port-au-Prince, père d’un bébé de six mois, a déclaré à Human Rights Watch : « Les bandits ont envoyé des messages pour nous prévenir [...]. On savait qu’ils allaient venir. Et ils sont venus. Ils sont rentrés [dans le quartier] et [l’]ont saccagé. Les policiers avaient déserté. Ils ont tué des personnes, ils ont brûlé des maisons.J’ai perdu ma maison. On voyait des corps sans vie partout, ça laissait une odeur nauséabonde. Il fallait passer en courant [...]. Nous avons dû partir pour nous sauver. »
Des travailleurs humanitaires et d’organisations de défense des droits humains ont rapporté que les groupes criminels mettaient le feu à des domiciles autour des quartiers ciblés afin de forcer les habitants – et parfois la police – à prendre la fuite. Selon des responsables de l’ONU, ces tactiques semblent avoir pour but de dépeupler de force certaines zones afin de permettre aux groupes criminels d’étendre leur présence et de préparer le terrain pour prendre le contrôle d’autres zones.
De nombreuses personnes interrogées ont été déplacées à plusieurs reprises, ayant d’abord fui vers d’autres zones de Port-au-Prince ou des villes voisines, avant de trouver refuge à Cap-Haïtien. Elles ont voyagé en bus, prenant beaucoup de risques sur le chemin, puisque les groupes criminels contrôlent des voies de circulation clés, mettent en place des points de contrôle et extorquent les passagers.
Une femme de 37 ans de Cabaret – une zone au nord de Port-au-Prince contrôlée depuis longtemps par des groupes criminels – a confié à Human Rights Watch qu’après avoir été déplacée plusieurs fois dans la même zone, elle s’était enfuie à Mirebalais pour protéger sa fille de 14 ans du risque de violences sexuelles. Toutefois, fin mars, alors que des groupes armés attaquaient Mirebalais – incendiant des maisons et tuant plusieurs personnes –, elle avait dû s’enfuir à nouveau. « J’ai dû [...] me réfugier dans une église à Hinche [une ville proche]. Mon mari était sorti pour travailler, peignant une maison. Je n’ai plus eu de nouvelles de mon mari [...]. J’espère simplement qu’il n’est pas mort. J’ai quitté Hinche car des rumeurs circulaient sur une attaque imminente [...]. Aujourd’hui on est ici [à Cap-Haïtien], mais je crains que la violence ne nous poursuive. »
Les personnes déplacées, qui représentent désormais près de 11 % de la population d’Haïti, se réfugient actuellement dans les dix départements du pays. Cinquante-cinq pour cent des personnes déplacées sont des femmes et des filles ; la plupart sont hébergées auprès de familles ou vivent dans des sites spontanés, où elles sont confrontées à de graves pénuries de nourriture, d’eau, de soins médicaux et d’autres services essentiels. D’après le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), plus de 8 400 personnes vivant dans des sites de déplacement font face à la famine.
Les conditions régnant dans les lieux de vie des personnes déplacées dans tout Haïti sont de plus en plus difficiles, avec plus de 246 sites informels rapportés début juin, chacun hébergeant une moyenne de 2 000 personnes. De nombreuses personnes se sont réfugiées dans des écoles ou des espaces publics surpeuplés, subissant des risques de sécurité importants et ce que l’Office de la protection du citoyen a qualifié de conditions « inhumaines ».
L’étendue de la crise du déplacement a débordé les capacités existantes. Le Plan de réponse humanitaire de l’ONU, qui vise à aider 3,9 millions d’Haïtiens, sur les 6 millions ayant besoin d’une assistance humanitaire, n’est financé qu’à 80 %. Le fait que le gouvernement de transition se montre incapable de mettre en place un plan national global pour soutenir les déplacés internes a par ailleurs entravé les efforts visant à coordonner et maintenir une réponse efficace.
La communauté internationale ne fait pas suffisamment pour appuyer les efforts de la MMAS pour protéger les Haïtiens des groupes criminels qui les obligent à se déplacer, a déclaré Human Rights Watch.
Bien que huit pays aient averti en 2024 le secrétaire général de l’ONU de leur intention de contribuer en fournissant du personnel à la MMAS, seul le Kenya, qui dirige la mission, le Guatemala, le Salvador, la Jamaïque et les Bahamas ont déployé des forces armées. Le total des effectifs déployés n’est que de 991 militaires, bien en-deçà des 2 500 attendus.
Il manque toujours à la MMAS des financements supplémentaires pour pouvoir maintenir ses opérations jusqu’en décembre et pour mettre en place les neuf bases opérationnelles restantes, sur les douze prévues, qui sont cruciales pour sécuriser le territoire et consolider sa présence.
Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait veiller à ce que la MMAS, soutenue par l’ONU, reçoive le personnel et les ressources nécessaires pour mener à bien son mandat, et convienne de mesures pour transformer cette mission en opération à part entière des Nations Unies, capable de protéger les droits humains et d’éviter une escalade encore plus dramatique des violences, a déclaré Human Rights Watch.
« La violence en Haïti empire de jour en jour », a conclu Nathalye Cotrino. « Le Conseil de sécurité devrait cesser son attentisme et transformer la MMAS en véritable mission des Nations Unies. Combien de meurtres, de viols, d’enlèvements et de recrutements d’enfants devront encore être commis, avant que les autres gouvernements ne se réveillent et se rendent compte de ce qui doit être fait ? »
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24.06.2025 à 22:15
(Nairobi) – Les autorités rwandaises ont de nouveau arrêté Victoire Ingabire, dirigeante d'un parti politique non enregistré, le 19 juin 2025, dans le cadre d'un long procès visant des figures de l'opposition politique, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Les autorités devraient la libérer, ainsi que toutes les autres personnes détenues pour des raisons politiques, et garantir les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique.
Victoire Ingabire a été arrêtée à son domicile à Kigali, la capitale du pays. Un tweet de l’Office rwandais d’investigation a indiqué que le parquet avait demandé son arrestation dans le cadre du procès en cours contre des membres de son parti. Le tweet déclarait qu'elle était poursuivie pour avoir formé un groupe criminel, et planifié des activités visant à inciter au désordre public.
« L'arrestation de Victoire Ingabire et ce procès ne sont que les exemples les plus récents des dangers auxquels s'exposent les opposants politiques au Rwanda », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le message des autorités chargées des poursuites est clair : si vous osez briguer un mandat politique en dehors du parti au pouvoir, vous risquez l'emprisonnement. »
Victoire Ingabire a déjà passé près de huit ans en prison, de 2010 à 2018, à la suite d'un procès politiquement motivé. En 2012, elle a été condamnée à 15 ans de prison après avoir tenté de se présenter à l’élection présidentielle de 2010 ; elle était accusée de complot visant à renverser le gouvernement en place, et de négation du génocide rwandais de 1994. Elle a été graciée et libérée en septembre 2018. En mars 2024, un tribunal de Kigali a rejeté sa demande d’effacer son casier judiciaire et de lui permettre de se présenter à l'élection présidentielle de juillet 2024. Le président Paul Kagame a remporté l'élection avec plus de 99 % des voix.
Victoire Ingabire, qui était auparavant présidente du parti d'opposition non enregistré Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi), a créé un autre parti, Développement et Liberté pour tous (Dalfa-Umurinzi), en novembre 2019. Les autorités rwandaises ont refusé d'enregistrer le parti ou de lui permettre de participer aux élections, et ont à plusieurs reprises arrêté, emprisonné et harcelé ses membres. Depuis 2017, cinq membres de ces partis sont morts ou ont disparu dans des circonstances suspectes.
En octobre 2021, sept membres de Dalfa-Umurinzi ont été arrêtés. Sylvain Sibomana, Alexis Rucubanganya, Hamad Hagenimana, Jean-Claude Ndayishimiye, Alphonse Mutabazi, Marcel Nahimana et Emmanuel Masengesho ont tous été placés en détention dans les jours qui ont précédé et suivi ce que le parti avait déclaré comme la « journée Ingabire », prévue le 14 octobre. Ce jour-là, Victoire Ingabire avait prévu de s'exprimer sur la répression politique au Rwanda, notamment sur les morts suspectes, les meurtres, les disparitions et les poursuites abusives.
Ces membres du parti sont en détention provisoire depuis lors, bien que leur procès n'ait commencé qu'à la fin de l'année 2024. Sylvain Sibomana avait déjà passé près de huit ans en détention, de 2013 à début 2021. Human Rights Watch avait suivi les précédents procès de ces personnes et d'autres membres de l'opposition, au cours desquels les accusés ont déclaré à la cour que les enquêteurs les avaient torturés pour leur extorquer des aveux.
Théoneste Nsengimana, un journaliste qui prévoyait de couvrir la journée Ingabire, est également détenu et jugé avec les membres du parti. Deux autres personnes, Claudine Uwimana et Josiane Ingabire (sans lien de parenté avec Victoire), sont également visées dans cette affaire, Josiane Ingabire étant jugée par contumace.
Le parquet fonde ses accusations, telles que complot en vue d'inciter à l'insurrection, sur l'acquisition par le groupe d'un livre intitulé « Blueprint for Revolution » (« Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes »), écrit par Srdja Popovic, et sur la participation à une session de formation organisée par l'organisation de l'auteur, le Centre pour les actions et stratégies non violentes appliquées (Center for Applied Non-Violent Actions and Strategies, CANVAS). Le livre et la formation portent sur les stratégies pacifiques de résistance à l'autoritarisme, telles que la protestation non violente, la non-coopération, le boycott et la mobilisation. Le parquet rwandais a utilisé le contenu du livre et de la formation, y compris l'utilisation de Jitsi – une plateforme de communication en ligne cryptée – et l'utilisation de pseudonymes pendant la formation, comme preuves d'actes criminels.
Les chefs d'accusation comprennent « la diffusion de fausses informations ou de propagande préjudiciable dans l'intention de susciter une opinion internationale hostile à l'égard du gouvernement rwandais » et « association de malfaiteurs ».
Le 17 juin, le tribunal a convoqué Victoire Ingabire à comparaître le 19 juin, car elle avait été citée pendant le procès. Après avoir été interrogée au tribunal sur les accusés et leurs déclarations, le panel de trois juges, apparemment insatisfait, a ordonné au procureur d'enquêter sur elle directement et a ordonné sa détention.
Les manifestations et mobilisations sociales offrent aux citoyens la possibilité de faire part de leurs doléances et griefs légitimes aux autorités de manière non violente. Les gouvernements ont la responsabilité de créer un environnement sûr permettant aux individus et aux groupes d’exercer leurs droits à la liberté de réunion pacifique, d'expression et d'association, a déclaré Human Rights Watch.
Le Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir contrôle étroitement l'espace politique du pays en combinant restrictions légales, surveillance et intimidation des figures de l'opposition et des voix indépendantes. Les détracteurs sont souvent victimes de harcèlement ou d'emprisonnement, ou sont contraints à l’exil. Ces dernières années, certains prisonniers politiques sont morts dans des circonstances obscures. La société civile et les médias opèrent sous de lourdes contraintes, avec des lignes rouges autour de la critique du gouvernement ou des forces de sécurité, ou de tout écart par rapport aux discours officiels sur le génocide.
La nouvelle arrestation de Victoire Ingabire intervient alors que le Rwanda fait l'objet d'une surveillance internationale accrue en raison de son soutien militaire au groupe rebelle M23 dans l'est de la RD Congo, accusations qui ont conduit à la suspension de certaines aides occidentales et à des sanctions de la part des États-Unis et de l'Union européenne.
« Il est plus que troublant que les autorités rwandaises considèrent une formation sur la manière de résister pacifiquement à l'autoritarisme comme preuve d’association de malfaiteurs et une incitation à l'agitation », a déclaré Lewis Mudge. « Au lieu d’emprisonner des membres de l'opposition et de les traduire en justice, le gouvernement devrait ouvrir l'espace démocratique du pays à un débat politique dont il a grandement besoin. »
24.06.2025 à 20:00
(Johannesburg, 24 juin 2025) – Un groupe armé lié à l'État islamique (EI) a multiplié les enlèvements d'enfants dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. La plupart des enfants enlevés sont utilisés pour transporter des biens pillés, effectuer d’autres types de travail forcé ou participer aux combats ; des filles sont soumises à des mariages forcés.
Des organisations de la société civile mozambicaine et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) ont signalé une hausse du nombre de ces enlèvements. Le groupe armé, connu localement sous le nom d'Al-Chabab, a libéré certains enfants enlevés plus tôt cette année, mais d’autres enfants sont toujours portés disparus ; ceux qui sont retournés dans leurs communautés peinent à se réintégrer.
« La hausse du nombre d’enlèvements d'enfants à Cabo Delgado s’ajoute aux horreurs du conflit au Mozambique », a déclaré Ashwanee Budoo-Scholtz, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Al-Chabab devrait épargner les enfants dans le cadre du conflit, et libérer immédiatement ceux qui ont été enlevés. »
En mai et juin 2025, Human Rights Watch a mené au Mozambique des entretiens avec neuf personnes, dont des habitants de Cabo Delgado, des journalistes, des militants de la société civile et un responsable de l'ONU, qui ont tous exprimé leur inquiétude face à la recrudescence des enlèvements. « Ces derniers jours, au moins 120 enfants ont été enlevés », a déclaré Abudo Gafuro, directeur exécutif de Kwendeleya, une organisation mozambicaine qui surveille les attaques et apporte un soutien aux victimes.
Le 23 janvier 2025, Al-Chabab a attaqué le village de Mumu, dans le district de Mocímboa da Praia, et a enlevé quatre filles et trois garçons. Lors du retrait ultérieur d'Al-Chabab, deux enfants ont été libérés, mais cinq sont toujours portés disparus. En mars, le groupe armé a enlevé six enfants à Chibau, afin de les forcer à transporter des biens pillés ; quatre ont été libérés le lendemain. Le 3 mai, Al-Chabab a enlevé une fille dans le village de Ntotwe, dans le district de Mocímboa da Praia. Le 11 mai, ce groupe armé a enlevé six filles et deux garçons près du village de Magaia, dans le district de Muidumbe.
Lorsque les combattants d'Al-Chabab « pénètrent ou attaquent certaines zones, ils ont tendance à enlever des enfants », a déclaré Augusta Iaquite, coordinatrice de l'Association mozambicaine des femmes du secteur juridique (Associação Moçambicana das Mulheres de Carreira Jurídica, AMMCJ) à Cabo Delgado. « Ils les emmènent pour les former et pour en faire ensuite leurs propres combattants. »
Lorsque des enfants enlevés sont libérés et retournent dans leur communauté, il n’y a que peu de ressources pour les aider à se réinsérer, a déclaré Human Rights Watch. « Ce pays a besoin d'une stratégie claire sur les mesures à prendre lorsqu'un enfant, en particulier s'il a été secouru, revient [dans sa communauté] », a déclaré Benilde Nhalivilo, directrice exécutive du Forum de la société civile pour les droits de l'enfant (Fórum da Sociedade Civil para os Direitos das Crianças, ROSC).
Les organisations de la société civile ont appelé le gouvernement mozambicain à respecter les obligations du pays en vertu du droit national et international, et mieux protéger les enfants de ce pays.
La Constitution du Mozambique et la Loi pour la promotion et la protection des droits de l'enfant de 2008 stipulent que l'État a le devoir de protéger les enfants contre toute forme de violence, d'exploitation et de maltraitance. En outre, le Mozambique est un État partie à divers instruments juridiques internationaux et africains garantissant les droits de l'enfant, notamment la Convention de l’ONU relative aux droits de l'enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Ces deux textes interdisent explicitement l'enlèvement, le recrutement et l'exploitation des enfants. Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés et ratifié par le Mozambique en 2004, interdit aux groupes armés non étatiques de recruter ou d'utiliser des enfants âgés de moins de 18 ans.
En vertu du droit international humanitaire coutumier et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, les enfants ont droit à une protection particulière ; le recrutement ou l'utilisation d'enfants de moins de 15 ans pour participer activement à des hostilités constitue un crime de guerre.
Les autorités mozambicaines devraient s'efforcer de prévenir de nouveaux enlèvements, d'enquêter sur les cas existants, de poursuivre équitablement les responsables et d'assurer un soutien adéquat aux victimes, a déclaré Human Rights Watch. Les enfants secourus ont besoin de soins médicaux, d'une assistance psychosociale et de mécanismes de réinsertion qui assurent leur protection et leur bien-être.
« Le gouvernement mozambicain devrait prendre des mesures concrètes pour protéger les enfants et empêcher les groupes armés de les utiliser dans le cadre du conflit », a conclu Ashwanee Budoo-Scholtz. « Il devrait aussi garantir la mise en place de mesures de réinsertion solides, afin que les enfants ne soient pas davantage ostracisés, suite à leur retour dans leur communauté. »
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Médias
TV5Monde AfricaRadio/AFP Vidéo
Euronews
24.06.2025 à 10:20
En Guinée, tôt samedi matin, au moins une demi-douzaine d'hommes lourdement armés se sont introduits au domicile de Mohamed Traoré, éminent avocat et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Guinée, l'ont agressé lui et sa fille, puis l'ont forcé à monter dans une voiture et l'ont emmené. Mohamed Traoré avait publiquement critiqué la junte militaire, au pouvoir depuis septembre 2021.
Après son enlèvement dans la capitale du pays, Conakry, Mohamed Traoré a été retrouvé quelques heures plus tard, présentant de nombreuses traces de torture, à Bangouyah, à environ 170 kilomètres de là, par des habitants de la ville. Le Barreau de Guinée a indiqué qu'il était soigné dans un établissement de santé.
L'enlèvement et l'agression de Mohamed Traoré s'inscrivent dans une série d'attaques menées par les forces de sécurité gouvernementales contre des détracteurs de la junte, des dissidents et des opposants politiques.
Lundi, en réponse à cette attaque, les avocats du Barreau de Guinée ont adopté une série de mesures, notamment le boycott de toutes les audiences pendant deux semaines et le retrait de tous les avocats siégeant dans les institutions de transition mises en place par la junte depuis le coup d'État. Ils ont également annoncé qu'ils allaient porter plainte.
Dans un communiqué du 21 juin, le Barreau de Guinée a déclaré que pendant sa captivité, Mohamed Traoré avait été « fouetté » jusqu'à 500 fois, que son visage avait été « couvert de force à l’aide d'un habit dans une tentative manifeste de l'asphyxier » et que ses ravisseurs l'avaient menacé de mort.
Cette attaque pourrait constituer une mesure de représailles suite à la démission de Mohamed Traoré du Conseil national de transition (CNT), principal organe de transition de la junte, au sein duquel il occupait le poste de conseiller depuis 2022. Mohamed Traoré avait annoncé sa démission en janvier, invoquant le non-respect par le CNT du délai fixé pour le retour à un régime civil en Guinée, précédemment annoncé pour le 31 décembre 2024.
L'expiration de ce délai a déclenché des manifestations de l'opposition qui ont paralysé Conakry en janvier. À la suite des manifestations, les autorités ont annoncé un nouveau calendrier électoral. Le 1er avril, le chef militaire guinéen, Mamady Doumbouya, a fixé au 21 septembre 2025 la date d'un nécessaire référendum constitutionnel. Le 12 mai, le Premier ministre Amadou Oury Bah a annoncé que l’élection présidentielle aurait lieu en décembre 2025.
Depuis sa prise du pouvoir, la junte a réprimé l'opposition politique, les médias et la dissidence pacifique. Elle a suspendu des médias indépendants, arrêté arbitrairement des journalistes et fait disparaître de force et aurait torturé d'éminents militants politiques.
Les autorités guinéennes devraient mener dans les meilleurs délais une enquête crédible et impartiale sur l’enlèvement et la torture de Mohamed Traoré. Elles devraient également dénoncer publiquement les abus commis à l'encontre des détracteurs et des opposants, et veiller à ce que leurs auteurs soient traduits en justice.
23.06.2025 à 20:28
Samedi dernier, dans le cadre d’une grâce présidentielle, les autorités du Bélarus ont libéré 14 prisonniers qui étaient incarcérés à la suite de poursuites à caractère politique, et les ont transférés en Lituanie, pays voisin. Parmi les prisonniers libérés figurent l'éminent opposant politique Siarhei Tsikhanouski, ainsi que des activistes et des journalistes indépendants.
Parmi les personnes libérées, certaines détiennent des passeports de pays étrangers, dont les États-Unis, la Lettonie, l'Estonie, la Pologne, la Suède et le Japon.
Plus de 1 000 prisonniers politiques demeurent toutefois derrière les barreaux au Bélarus.
Siarhei Tsikhanouski, un blogueur populaire qui comptait se présenter comme candidat à l’élection présidentielle d’août 2020 au Bélarus, a été arrêté en mai 2020, quelques mois avant la tenue du scrutin. Son épouse, Sviatlana Tsikhanouskaya, s'est alors présentée à sa place à l’élection présidentielle, qu’elle aurait remportée selon de nombreux observateurs ; mais dans un contexte de trucage, le président Alexandre Loukachenko a été annoncé comme le vainqueur, réélu à son poste qu’il occupe depuis 1994. Depuis, Sviatlana Tsikhanouskaya, réfugiée en Lituanie, est devenue une dirigeante de l'opposition en exil et une fervente défenseure de son mari, qui fut condamné à 19 ans et 6 mois de prison sur la base d’accusations criminelles fallacieuses.
La libération des 14 prisonniers a été annoncée lors de la visite à Minsk, la capitale du Bélarus, de Keith Kellogg, Envoyé spécial des États-Unis pour l’Ukraine et la Russie ; cette libération a apparemment été négociée par Washington.
Une vidéo montrant l’embrassade entre Sviatlana et Sirhei après cinq ans de séparation est profondément émouvante. Mais les familles d'au moins 1 177 autres prisonniers politiques n'ont pas eu la chance de telles retrouvailles avec leurs proches, toujours incarcérés.
Depuis juillet 2024, Loukachenko a libéré 314 prisonniers politiques, apparemment dans l’espoir d’améliorer ses relations avec l'Union européenne et les États-Unis. Cependant, la répression politique se poursuit en Bélarus, où les prisonniers sont régulièrement victimes de mauvais traitements, et parfois de détention au secret.
Sirhei Tsikhanouski et d'autres prisonniers libérés ont évoqué l'isolement prolongé, les pressions psychologiques et d’autres traitements cruels subis dans les prisons biélorusses. Les enfants de Sirhei Tsikhanouski ne l'ont pas immédiatement reconnu en raison de son importante perte de poids, conséquence de la malnutrition derrière les barreaux.
Parmi les personnes toujours emprisonnées et isolées du monde figurent Ales Bialiatski, co-lauréat du prix Nobel de la paix et fondateur de l'organisation de défense des droits humains Viasna, l'opposante Maria Kalesnikava et le journaliste Ihar Losik. Certains prisonniers politiques sont morts derrière les barreaux, y compris en raison de la privation de soins médicaux adéquats.
Nous ignorons encore ce qu’Alexandre Loukachenko a reçu ou espère recevoir en échange de la libération de Sirhei Tsikhanouski et des 13 autres prisonniers. Mais la vie de personnes ne devrait pas être une monnaie d'échange pour des marchandages politiques. Les autorités biélorusses devraient libérer immédiatement toutes les personnes poursuivies simplement pour avoir exercé leurs droits humains, et tenté de faire valoir leurs libertés.
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20.06.2025 à 18:54
Plus de 100 ONG et syndicats appellent à la suspension partielle de cet accord, dont Israël viole l’Article 2 par le biais de ses actions à Gaza et en Cisjordanie
(Bruxelles, le 20 juin 2025) – L'Union européenne devrait immédiatement suspendre son accord commercial avec Israël tant que les crimes atroces commis par ce pays persisteront, selon une déclaration conjointe publiée le 19 juin par plus de 110 organisations, dont Human Rights Watch, et syndicats. Il s'agirait de la première mesure prise par l'UE au cours des deux dernières années afin de viser l'obligation de rendre des comptes pour les violations flagrantes commises par les autorités israéliennes à l'encontre des Palestiniens.
Lors de la réunion du Conseil européen prévue le 23 juin, les ministres des Affaires étrangères de l'UE devraient discuter de l'Accord d'association UE-Israël. Ils évalueront alors les résultats d’un examen portant sur le respect ou non par Israël de l'Article 2 du texte, selon lequel « le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques », sur le plan des « politiques internes et internationales », constitue un « élément essentiel » de l'accord. Cet examen a été lancé le 20 mai, lorsque 17 des 27 ministres des Affaires étrangères de l'UE ont soutenu une proposition du gouvernement néerlandais à cet égard. L'UE est le principal partenaire commercial d'Israël, et la suspension du volet commercial de l'accord rétablirait les droits de douane sur les échanges bilatéraux.
« En tant qu’États parties à la Convention sur le génocide, tous les pays membres de l'UE sont tenus d'employer tous les moyens raisonnables pour mettre fin aux atrocités israéliennes ; mais plusieurs d’entre eux sont restés passifs et silencieux, risquant de se rendre complices de tels crimes », a déclaré Claudio Francavilla, directeur par intérim des relations avec UE à Human Rights Watch. « Les ministres européens des Affaires étrangères ne devraient pas laisser l'escalade des hostilités entre Israël et l'Iran détourner l’attention des actes d’extermination et d’apartheid à l’encontre des Palestiniens, qui se poursuivent ; ils devraient suspendre sans tarder le volet commercial de l'Accord d'association UE-Israël. »
L’examen de l'Accord UE-Israël a lieu alors que les autorités israéliennes poursuivent leurs opérations militaires à Gaza, au cours desquelles elles ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des actes de génocide. Les autorités israéliennes ont également bafoué trois ordonnances contraignantes émises (en janvier, en mars et en mai 2024) par la Cour internationale de Justice (CIJ), dans le cadre de l’affaire portée par l'Afrique du Sud, alléguant qu'Israël viole la Convention sur le génocide. Les ordonnances de la CIJ imposaient à Israël l'obligation de prendre des mesures pour prévenir des actes de génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza, notamment en permettant la fourniture d’aide humanitaire et de services de base, en agissant pour empêcher l'incitation au génocide, et en punissant une telle incitation.
Human Rights Watch appelle depuis longtemps les États à user de leur influence pour inciter Israël à mettre fin à ses abus et à respecter les ordonnances de la CIJ. En tant qu’États parties à la Convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide, tous les pays membres de l'UE ont l'obligation de « mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition » pour prévenir un génocide. Cette obligation incombe à tout État qui a connaissance, ou qui aurait normalement dû avoir connaissance, d'un risque sérieux de génocide. Ceci ne nécessite pas d’attendre une détermination définitive qu'un génocide est déjà en cours, comme l'a indiqué Human Rights Watch dans une intervention auprès de la Haute Cour de Justice britannique en avril 2025 ; cette intervention contestait la délivrance par le gouvernement britannique de licences à des sociétés pour la vente à Israel d’équipements militaires utilisés par la suite à Gaza.
La capacité d'un État à influencer des acteurs risquant de commettre un génocide est un important facteur dans l’évaluation, par un tribunal, de son éventuelle responsabilité pour manquement à l'obligation de prévenir un génocide, selon le droit international. Il s’agit notamment de la proximité géographique, des liens politiques et d’autres types de relations, ainsi que des moyens dont dispose l'État pour exercer son influence. Concernant cette responsabilité, la CIJ a émis un arrêt indiquant qu’« [un] État est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention spécifique (dolus specialis), de mettre en œuvre ces moyens ... »
Les autorités israéliennes ont également manqué aux obligations découlant d'un avis consultatif historique émis par la CIJ en juillet 2024, et d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2024 approuvant largement son contenu. La CIJ a jugé l'occupation par Israël du Territoire palestinien occupé illégale et entachée de graves violations – notamment l'apartheid et la ségrégation raciale – et a déclaré que cette occupation, ainsi que les colonies illégales israéliennes, devaient être démantelées. En mars 2025, un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a documenté une expansion significative des colonies israéliennes en Cisjordanie, où les forces israéliennes ont intensifié la répression, déplaçant des dizaines de milliers de Palestiniens à une échelle jamais vue depuis 1967 et tuant plus de 930 personnes depuis octobre 2023.
Dans son avis consultatif du 19 juillet 2024, la CIJ a également rappelé l'obligation de tous les États parties à la Quatrième Convention de Genève – y compris tous les États membres de l'UE –de « s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention ». L'avis consultatif indiquait aussi que les États devraient prendre des mesures pour « empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé ».
Pourtant, malgré de profondes divisions, l'UE n'a adopté aucune mesure pour faire pression sur les autorités israéliennes afin qu'elles respectent les lois de la guerre et préviennent le génocide.
Contrairement aux mesures qui requièrent l'unanimité – telles que les sanctions ciblées, un embargo sur les armes à l'échelle de l'UE ou la suspension de l'ensemble de l'Accord d'association UE-Israël – la suspension du volet commercial de l'Accord nécessiterait le soutien d'une majorité qualifiée des États membres de l'UE. Cette suspension, initialement demandée conjointement par l'Espagne et l'Irlande en février 2024, n'entraînerait pas une interdiction commerciale totale, mais rétablirait les droits de douane sur les échanges bilatéraux.
En novembre 2024, les ministres des Affaires étrangères de l'UE ont reçu un rapport d'Olof Skoog, Représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme ; ce rapport, qui a fait l’objet d’une fuite, compilant les conclusions d'organismes indépendants de l'ONU et de tribunaux internationaux sur les exactions commises par Israël dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé. Peu après, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre Mohammed Diab Ibrahim al-Masri (« Mohammed Deif »), un dirigeant militaire du Hamas qui a été assassine par la suite.
Déjà durant cette période, les ministres des Affaires étrangères de l'UE auraient pu prendre des mesures concrètes, comme un examen de l'Accord d'association UE-Israël. Au lieu de cela, ils ont convoqué une réunion officielle du Conseil d'association UE-Israël avec leur homologue israélien, Gideon Saar.
Lors de cette réunion, tenue en février dans un contexte de cessez-le-feu fragile à Gaza, l'UE a déclaré que le gouvernement israélien devait prendre un certain nombre de mesures, notamment la mise en œuvre des décisions contraignantes de la CIJ afin de permettre l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire à grande échelle dans toute la bande de Gaza, et la fin de la politique de colonisation illégale d'Israël en Cisjordanie. Les autorités israéliennes se sont toutefois abstenues de prendre de telles mesures ; à l’inverse, elles ont imposé un siège total à Gaza, et ont approuvé l’expansion des colonies en Cisjordanie.
Une conférence des Nations Unies sur une solution à deux États et la paix au Moyen-Orient, prévue du 17 au 20 juin, a été reportée en raison de la poursuite des hostilités entre Israël et l'Iran. Dans une lettre du 5 juin, Human Rights Watch a exhorté les États membres de l'UE à saisir l'occasion de cette conférence pour aller au-delà des affirmations répétées de soutien aux droits humains et au droit international ; les États devraient adopter des mesures concrètes – telles que la suspension des transferts d'armes et des accords bilatéraux, et l'interdiction du commerce avec les colonies – et assorties de délais afin de garantir leur mise en œuvre.
En réalité, à l'exception d'initiatives notables prises par certains États membres et de sanctions ciblées visant certains colons israéliens violents, l'action de l'UE a été largement paralysée par la réticence de la Commission européenne à agir. Certains pays – principalement la Hongrie, la République tchèque, l'Allemagne, l'Italie et l'Autriche, mais aussi la Grèce, Chypre, la Croatie, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie – ont aussi exprimé leur opposition à la prise de mesures fortes par l’UE, donnant ainsi aux autorités israéliennes un certain sentiment d'impunité.
L’actuel examen de l'Accord d'association UE-Israël est la mesure la plus proche que l'UE ait prise pour demander des comptes aux autorités israéliennes ; toutefois, cet examen n'aura que peu d'effet pratique s’il n’aboutit pas à la suspension du volet commercial de l’Accord, a déclaré Human Rights Watch.
« Depuis près de 21 mois, l'UE assiste à une escalade des atrocités contre les Palestiniens sans prendre aucune mesure concrète pour faire respecter le droit international », a conclu Claudio Francavilla. « L’examen et la suspension de l'Accord d'association UE-Israël permettraient à l'Union de démontrer la crédibilité de son engagement en faveur des droits humains et du droit international, et d'agir enfin pour répondre aux actes de génocide perpétrés par les autorités israéliennes. »
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Articles
Times of Israel (FR)
19.06.2025 à 06:01
(Paris) – Un projet de loi examiné à l’Assemblée nationale portant sur la reconstruction du département d’Outre-mer de Mayotte devrait inclure l’accès à l’éducation et aux autres droits économiques et sociaux fondamentaux des enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Située dans l’océan Indien, au nord-ouest de Madagascar, Mayotte est depuis longtemps délaissée par les autorités françaises. Son système éducatif est confronté depuis des années à un manque d’infrastructures scolaires, à des classes surpeuplées et à une pénurie d’enseignants. Les enfants de familles sans papiers et ceux vivant dans des bidonvilles rencontrent de manière disproportionnée des obstacles à leur scolarisation. La sécheresse a provoqué de fréquentes pénuries d’eau, et un cyclone dévastateur en décembre 2024 a entraîné des destructions importantes des habitations, des écoles et des infrastructures.
« L’éducation n’est pas seulement un droit pour tous les enfants, elle est obligatoire en France de 3 à 16 ans », a déclaré Elvire Fondacci, chargée de plaidoyer à Human Rights Watch. « Pourtant, à Mayotte, des milliers d’enfants – en raison de leur nationalité ou de leur statut migratoire – n’ont pas accès à l’éducation ni à d’autres services sociaux essentiels. »
Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 40 enfants et parents, ainsi qu’avec des organisations de la société civile, des institutions indépendantes, des enseignants, du personnel éducatif, et des représentants des autorités locales et nationales, lors d’une mission de recherche de 10 jours à Mayotte en mai 2025.
Mayotte est l’un des 13 départements et territoires français d’Outre-mer, hérités de son passé colonial. C’est le département le plus pauvre de France, et l’un des plus défavorisés de l’Union européenne. Plus de 75 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté.
Près de la moitié de la population de l’archipel a moins de 18 ans, et 8 enfants sur 10 vivent dans la pauvreté. Le système éducatif était déjà sous pression bien avant le cyclone Chido, avec des écoles et des classes surchargées.
Une étude menée en 2023 par l’Université Paris-Nanterre a estimé que jusqu’à 9 % des enfants de Mayotte en âge d’aller à l’école n’étaient pas scolarisés. Le Défenseur des droits a signalé en octobre 2023 que jusqu’à 15 000 enfants n’avaient pas accès à une journée scolaire complète dans une école publique. Pourtant, selon la loi, l’instruction en France est gratuite, obligatoire de 3 à 16 ans, et devrait être accessible à tous les enfants, indépendamment de leur statut migratoire.
L’enseignement primaire relève principalement des municipalités, dont certaines imposent des exigences administratives supplémentaires pour l’inscription scolaire. Certaines demandent des documents délivrés récemment comme un acte de naissance ou une attestation de domicile sur lesquelles figurent l’adresse des enfants — des documents difficiles à fournir pour les familles vivant en habitat informel ou sans papiers.
Certaines collectivités sont également réticentes à construire de nouvelles écoles, perçues comme profitant avant tout aux enfants de familles immigrées, notamment originaires des Comores voisines, ou comme favorisant l’immigration. Priver des enfants de leurs droits fondamentaux, notamment celui à l’éducation, ne devrait jamais être utilisé comme moyen de dissuasion contre la migration, rappelle Human Rights Watch. Le Défenseur des droits a souligné début juin que les carences du système éducatif mahorais contribuent à exacerber et renforcer les inégalités existantes.
La crainte d’être arrêtés par la police aux frontières (PAF), notamment à proximité des écoles et des mairies, dissuade de nombreuses familles d’accompagner leurs enfants à l’école ou de recourir à des services publics essentiels comme la vaccination, et complique les démarches d’inscription scolaire.
Les politiques migratoires spécifiques à Mayotte sont de plus en plus restrictives —encore plus qu’en métropole— et ont entraîné une augmentation du nombre d’enfants qui se retrouvent sans papiers à 18 ans, quelle que soit la durée de leur présence ou même s’ils sont nés sur place. L'incertitude des enfants quant à leur avenir est une source d'angoisse et en conduit certains à abandonner l'école prématurément.
Un membre d’une association locale de soutien aux enfants non scolarisés témoigne : « À 13 ans, certains élèves se demandent déjà si cela vaut vraiment la peine de rester à l’école. »
Des milliers d’enfants à Mayotte vivent dans des bidonvilles, souvent dans des logements de fortune —appelés bangas— sans eau courante ni électricité. Certains étudient à la lumière d’une bougie ou du flash de leur téléphone ; d’autres laissent leurs cahiers à l’école pour éviter qu’ils ne soient abîmés en cas de pluie.
Les enfants vivant dans les bidonvilles souffrent souvent de malnutrition. Des enseignants rapportent que certains enfants s’endorment en classe ou n’arrivent pas à se concentrer parce qu’ils ont faim. À la différence de la métropole, où les élèves reçoivent un repas complet à midi, la plupart des écoles à Mayotte ne fournissent qu’une simple collation, qui constitue pour de nombreux élèves le seul repas de la journée.
« Depuis Chido, on n’a pas à manger. Mes parents ne trouvent plus de riz », témoigne une fille de 12 ans. « Un jour on mange, un jour on ne mange pas. C’est un jour sur deux. Je mange la collation au collège. »
Certains enfants, dont les familles ne peuvent pas payer le prix des collations —65 euros par an dans le primaire à Mamoudzou—, se retrouvent sans rien à manger. « C’est difficile de vivre dans un bidonville. Si on n’a pas payé la cantine, on ne peut pas manger. C’est très difficile d’aller à l’école quand on a faim », témoigne une élève de 15 ans.
Le français n’est pas la langue maternelle de nombreux enfants — y compris les enfants français nés à Mayotte, ceux vivant depuis longtemps à Mayotte sans avoir la nationalité française et les primo-arrivants— qui peuvent avoir une maîtrise limitée de la langue. Le manque de soutien adapté, de formation des enseignants, et de reconnaissance de la diversité linguistique entrent en contradiction avec les exigences nationales en matière d’éducation, rendent l’apprentissage extrêmement difficile pour les élèves et posent des défis majeurs aux enseignants.
Les enfants de demandeurs d’asile ou de migrants récemment arrivés d’Afrique centrale et orientale — notamment de République démocratique du Congo, du Rwanda, d’Érythrée ou de Somalie — vivent dans des conditions particulièrement désastreuses, dans des tentes délabrées, au sein d’un campement informel qui ne dispose pas de toilettes pour ses centaines d'habitants et n'offre aucun accès à l'éducation.
L’Assemblée nationale s’apprête à examiner un projet de loi qui définira les priorités et le cadre d’une politique publique spécifique pour la reconstruction de Mayotte.
Les députés devraient garantir aux enfants de Mayotte l’exercice de leurs droits fondamentaux, notamment le droit à l’éducation. Les autorités, nationales comme locales, devraient agir de toute urgence pour faire en sorte que les écoles soient à même de répondre aux besoins élémentaires des enfants (accès à l’eau potable, à l’assainissement, à une alimentation suffisante, à un environnement sûr) et mettre fin aux pratiques discriminatoires sans attendre de nouvelle législation, a déclaré Human Rights Watch.
« Le projet de loi en débat à l’Assemblée nationale est l’occasion de mettre fin à des décennies de sous-investissement, de mauvaise gestion et de manque persistant de volonté politique qui ont gravement compromis l’accès à l'éducation à Mayotte », a déclaré Elvire Fondacci. « Garantir le droit à l'éducation pour tous les enfants en France ne devrait pas être facultatif à Mayotte simplement parce qu'il s'agit d'un territoire d'Outre-mer. »
18.06.2025 à 06:00
(Nairobi) – Le groupe armé M23 contrôlé par le Rwanda a déporté plus de 1 500 personnes de l’est de la République démocratique du Congo occupée vers le Rwanda, en violation des Conventions de Genève de 1949, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement rwandais et le M23 devraient immédiatement mettre fin aux transferts forcés de citoyens congolais et de réfugiés rwandais, qui constituent des crimes de guerre.
Le soutien militaire, logistique ou d’une autre nature apporté par le Rwanda au M23 a été essentiel pour sa prise de Goma et de Bukavu, les capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu respectivement, des forces congolaises au début de l’année 2025. En février, le M23 a ordonné à plusieurs centaines de milliers de personnes de quitter les camps de déplacés autour de Goma et a démantelé pratiquement tous les camps. En mai, le M23 a rassemblé des personnes déplacées et les a transférées à Goma, d’où nombre d’entre elles ont ensuite été illégalement déportées vers le Rwanda avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
« Le transfert forcé de civils vers le Rwanda, qu’il s’agisse de citoyens congolais ou de réfugiés rwandais, est un crime de guerre en vertu des Conventions de Genève », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. « En raison du contrôle qu’il exerce sur le M23 dans l’est de la RD Congo, le Rwanda est en fin de compte responsable des nombreux abus commis par ce groupe armé. »
Le contrôle effectif exercé par le Rwanda sur des zones de l’est de la RD Congo, par le biais de ses propres forces armées et du M23 semble répondre aux critères d’une occupation belligérante aux termes des normes du droit international humanitaire. L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit, en tant que crime de guerre, les transferts forcés à l’intérieur d’un pays ainsi que les déportations hors du territoire occupé et vers d’autres pays, quel qu’en soit le motif. Le 9 juin, Human Rights Watch a écrit aux autorités rwandaises, en leur exposant ses conclusions, mais n’a pas reçu de réponse.
De février à mai, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 14 personnes qui ont été contraintes de quitter les camps de déplacés près de Goma après leur démantèlement ordonné par le M23, dont 8 personnes qui ont été transférées de force à Goma en mai.
Le 12 mai, le M23 a rassemblé près de 2 000 personnes de la ville de Sake, située à 25 kilomètres à l’ouest de Goma, et les a transférées de force à Goma, d’où beaucoup ont ensuite été déportées vers le Rwanda. Cela semblait faire partie d’une opération plus large du M23 menée contre des membres présumés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais à majorité hutue, dont certains dirigeants ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda. Un grand nombre des personnes à Sake étaient originaires de Karenga, dans le territoire de Masisi, qui est considéré comme un bastion des FDLR.
Click to expand Image Carte chronologique des déplacements de civils entre Karenga et les villages environnants, Sake, Goma et le Rwanda. Graphique © Human Rights WatchLes responsables du M23 se sont servis du centre de transit appelé Centre Chrétien du Lac Kivu (CCLK), qui tire son nom de son emplacement à Goma, pour déporter des personnes vers le Rwanda. Entre le 17 et le 19 mai, plusieurs convois ont quitté le centre de transit pour se rendre au Rwanda. Le HCR utilise en général le CCLK pour les rapatriements volontaires de réfugiés au Rwanda. Cependant, huit personnes présentes au centre ont indiqué que des citoyens congolais et des réfugiés rwandais figuraient parmi les personnes déportées contre leur volonté. Beaucoup ont fait part de leur crainte d’être victimes d’abus au Rwanda. Le M23 a déployé des forces autour du centre pour empêcher les personnes de s’échapper.
Certaines des personnes déportées se sont exprimées dans les médias pour critiquer la manière dont elles ont été transférées de force au Rwanda. Depuis longtemps, les autorités rwandaises prennent pour cible ceux qui critiquent publiquement le gouvernement, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile sous la protection du HCR. Le HCR devrait prendre des mesures pour garantir la sécurité des personnes déportées vers le Rwanda. Human Rights Watch n'a pas pu communiquer avec les personnes déportées du centre de transit depuis leur transfert vers le Rwanda.
Le HCR a écrit à Human Rights Watch le 27 mai, indiquant que « 1 600 [réfugiés rwandais] ont été amenés au centre de transit CCLK à Goma à la suite d'opérations de bouclage et de fouilles menées par les autorités de facto », que le contrôle effectué par le HCR « a été réalisé sous pression » et que, pour ce groupe, le retour au Rwanda « était la seule option possible ».
En vertu des Conventions de Genève, le transfert doit être « forcé », tout comme la déportation, pour constituer un crime de guerre. Le consentement au déplacement doit être volontaire, et ne pas être donné dans des conditions de coercition. Un transfert n’est pas volontaire dès lors que les personnes consentent ou cherchent à être transférées uniquement pour échapper au risque d’abus si elles restent.
Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé que son bureau renouvellerait les efforts d’enquête en RD Congo en se concentrant sur les crimes commis dans le Nord-Kivu depuis janvier 2022. La CPI est habilitée à poursuivre les auteurs du crime de guerre de « déportation ou transfert [par la puissance occupante] à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire », ainsi que les auteurs du crime contre l’humanité de « déportation ou transfert forcé de population ».
« Le gouvernement rwandais et le M23 commettent des crimes de guerre en transférant de force des personnes au sein des territoires occupés et en les déportant vers le Rwanda », a conclu Clémentine de Montjoye. « Une pression internationale concertée sur le Rwanda est nécessaire pour mettre fin immédiatement aux déportations, garantir la sécurité de toutes les personnes dans les zones occupées et traduire en justice les responsables d’abus. »
Pour de plus amples détails sur les déportations, veuillez lire la suite.
Les personnes transférées
Depuis la résurgence du M23 à la fin de l’année 2021, les forces armées congolaises et rwandaises, ainsi que les groupes armés qu’elles soutiennent, ont déplacé des centaines de milliers de personnes dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, souvent à plusieurs reprises sur des périodes prolongées. Les combattants ont forcé les civils à quitter leurs maisons et leurs terres, ont pillé leurs biens et les ont punis pour leur collaboration présumée avec des groupes ennemis. Beaucoup de personnes déplacées à l’intérieur du pays qui vivaient dans des camps autour de Goma avant que le M23 ne s’empare de la ville avaient fui les abus commis par les deux parties belligérantes, notamment des meurtres, des viols, des incendies de biens, des pillages, ainsi que du recrutement et du travail forcé.
Le 24 février à Karenga, un chef local accompagné de combattants armés du M23 a donné l’ordre aux habitants originaires de Karenga, Tuonane et Mugando, près du parc national des Virunga, de partir dès le lendemain. Nombre d’entre eux ont alors cherché refuge dans des écoles et d’autres endroits dans la ville voisine de Sake.
« Ils nous ont chassés de Karenga en disant que ceux qui refuseraient [de partir] “recevront une balle” », a raconté une femme de 25 ans interrogée par Human Rights Watch. Un homme de 36 ans a indiqué que le chef « nous a dit que ceux qui ont besoin d’une explication devaient se rendre à Kitchanga [une ville stratégique sous le contrôle du M23] pour poser la question aux autorités là-bas. Il a aussi dit que la Croix-Rouge ramassera le corps de toute personne trouvée dans le village après la date butoir. »
De nombreuses personnes déplacées avec qui Human Rights Watch s’est entretenu qui sont retournées à Karenga en février avaient fui avant la prise de contrôle de la zone par le M23 en novembre 2023. Le M23 n’a fourni aucune raison concernant l’expulsion de la population, mais certaines sources estiment que la décision était liée à la présence de membres présumés des FDLR dans la zone. Les personnes interrogées ont indiqué que, même si certaines des personnes précédemment déplacées de Karenga étaient d’origine rwandaise, beaucoup étaient des citoyens congolais ou avaient vécu au Congo toute leur vie.
Parmi les personnes déplacées de force depuis Sake, le M23 a transféré certains hommes – et plus tard leurs proches – au Stade de l’Unité à Goma. Le porte-parole militaire du M23, Willy Ngoma, a présenté aux médias 181 hommes dans le stade, les qualifiant de « sujets rwandais », alors qu’ils avaient des papiers congolais. Des témoins ont raconté que le M23 a brûlé les cartes d’électeur congolaises – qui constituent la principale forme d’identification en RD Congo – et a ordonné aux personnes perçues comme étant d’origine rwandaise de retourner au Rwanda.
La citoyenneté congolaise est difficile à établir en raison de l’absence d’un système d’identification national fonctionnel et de décennies de mouvements de population transfrontaliers – provoqués à la fois par les conflits et les opportunités économiques – entre la RD Congo et le Rwanda. La carte d’électeur est le seul document d’identification disponible pour de nombreuses personnes, à condition qu’elles soient inscrites sur les listes électorales et en âge de voter. Au stade, le M23 a accusé des personnes d’être en possession de cartes « falsifiées », rejetant de fait leur citoyenneté congolaise, d’après des reportages des médias et des récits de témoins.
Le M23 a accusé des opposants présumés, souvent sans fondement, de soutenir les FDLR. Des témoins ont expliqué que, le 12 mai à Sake, le M23 a emmené au moins cinq jeunes hommes soupçonnés d’être des membres des FDLR. Au stade, le M23 a également cherché à séparer ceux perçus comme soutenant l’armée congolaise ou ses alliés : « Ceux qui ont été identifiés comme membres des FDLR ou des Wazalendo [une coalition progouvernementale de groupes armés congolais] ont été mis dans un bus, et nous ne savons pas où ils sont allés », a raconté un homme qui était présent au stade.
Déportations depuis le centre de transit CCLK
Les personnes identifiées en vue d’une déportation ont été transférées vers le centre de transit CCLK que la Commission Nationale pour les Réfugiés congolaise et le HCR utilisent pour les rapatriements de réfugiés rwandais en vertu de l’accord tripartite de 2010 sur les retours volontaires conclu entre le HCR, le Rwanda et la RD Congo.
L’accord tripartite fixe les conditions du retour volontaire des réfugiés congolais au Rwanda et des réfugiés rwandais en RD Congo. D’après les lignes directrices du HCR, les réfugiés et les demandeurs d’asile n’ont pas besoin d’indiquer explicitement qu’ils ont été contraints au retour pour que le HCR conclue que leur rapatriement est involontaire.
Le HCR a indiqué dans sa réponse à Human Rights Watch que les rapatriements de réfugiés « doivent être volontaires, sûrs et effectués dans la dignité » pour être conformes au principe de non-refoulement, soit l’interdiction légale internationale de renvoyer des personnes vers des risques de persécution, de torture ou d’autres préjudices graves.
Mais les personnes au centre ont déclaré que, même si les agents du HCR les avaient interrogées sur leurs origines, le HCR ne leur avait pas laissé le choix concernant leur transfert au Rwanda. Une femme congolaise a expliqué : « [Le HCR] fait ce qu’il veut de nous. Nous n’avons pas le choix. »
Le 22 mai, le HCR a publié une déclaration affirmant qu’il surveillait et était impliqué dans « l’évolution de la situation concernant le groupe d’individus » au centre de transit ainsi que « plus de 1 700 réfugiés » de retour au Rwanda. Cependant, il ressort des entretiens menés par Human Rights Watch que certaines personnes conduites de force au centre puis expulsées vers le Rwanda n’étaient pas des réfugiés rwandais enregistrés.
Trois citoyens congolais ont expliqué que, le 27 mai, le HCR avait reconduit 74 personnes – principalement des femmes et des enfants – à Sake après avoir confirmé qu’ils étaient des ressortissants congolais. Ils ont ajouté que certains Congolais au centre de transit n’ont pas pu prouver leur identité parce que le M23 avait brûlé leurs papiers et que ces personnes ont ensuite été transférées de force au Rwanda. « Des gens de Karenga que je connais, qui sont des Congolais, ont été envoyés au Rwanda », a raconté un homme qui a été reconduit à Sake. « D’autres ont accepté de partir parce qu’ils avaient peur du M23. Le M23 a brûlé ma carte d’électeur... Je ne peux plus quitter Sake maintenant. Si on m’arrête, je serai accusé de faire partie des FDLR. »
Le 17 mai, le ministre rwandais des Affaires étrangères a déclaré que les réfugiés rapatriés avaient été précédemment pris en otage par les FDLR, dans une tentative apparente de justifier les déportations. Le ministère de l’Intérieur de la RD Congo a contesté cette affirmation.
Occupation de l’est de la RD Congo par le Rwanda
Le déploiement par le Rwanda de près de 9 000 soldats dans l’est de la RD Congo au plus fort de l’offensive du M23 en janvier et février et son contrôle global apparent du M23, les autorités de facto, indiquent que le Rwanda est une puissance occupante en vertu du droit international humanitaire. Des témoins d’incidents, des reportages dans les médias et des sources des Nations Unies et militaires ont déclaré que du personnel militaire rwandais avait dirigé et mené des opérations pendant les offensives, y compris celles qui ont débouché sur la prise de Goma et de Bukavu.
Des sources militaires ont expliqué que plusieurs centaines de soldats rwandais, utilisant des armes modernes telles que des drones blindés et des mortiers guidés par GPS, ont conduit l’avancée sur Goma. Des soldats rwandais ont également commandé des patrouilles dans les territoires de Masisi et Rutshuru. Des commandants militaires rwandais étaient présents lors de la formation des recrues dans au moins deux centres d’entraînement en RD Congo, selon les dires d’anciennes recrues à Human Rights Watch. Les autorités rwandaises ont également coordonné une visite de presse dans les territoires occupés de l'est du Congo. En mai, plus de dix journalistes ont effectué un voyage de presse depuis Kigali, la capitale du Rwanda, vers Goma et le territoire de Masisi, organisé et accompagné par le personnel du Bureau du porte-parole du gouvernement rwandais, selon quatre journalistes et des messages examinés par Human Rights Watch.
Le Rwanda a également été impliqué dans des négociations de cessez-le-feu et d’autres actions pour le compte du M23. La prise de la ville de Walikale par le M23 en mars a contraint la société Alphamin Resources à suspendre ses activités à la mine de Bisie, une importante mine qui produit 6 pour cent de l’approvisionnement mondial en étain. Reuters a rapporté que les États-Unis ont directement engagé le dialogue avec les gouvernements rwandais et congolais pour obtenir des garanties concernant le retrait du M23 et pour que les forces congolaises n’attaquent pas, afin de permettre la reprise de des activités de la mine. Alphamin Resources a annoncé une reprise des opérations après le retrait du M23.
Ces actions des forces rwandaises et l’absence d’autorité congolaise dans la région semblent remplir les critères du droit international constitutifs d’une occupation belligérante de certaines parties de l’est de la RD Congo.
L’occupation en vertu du droit international
Le droit international humanitaire de l’occupation est principalement énoncé dans la Convention de La Haye de 1907, la Quatrième Convention de Genève de 1949, le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève et le droit international humanitaire coutumier.
L’Article 42 de la Convention de La Haye stipule qu’« [u]n territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. »
Le Commentaire de 2016 du Comité international de la Croix-Rouge sur l’Article 2 commun aux Conventions de Genève établit trois critères pour caractériser une occupation belligérante : la présence de forces militaires étrangères sans le consentement de l’État souverain ; la capacité de l’armée étrangère à exercer son autorité sur le territoire ; et l’incapacité connexe des autorités de l’État souverain à exercer son contrôle sur le territoire. Ces éléments ont été décrits dans des décisions de justice, des manuels militaires et des travaux universitaires comme le « test du contrôle effectif » qui vise à déterminer si une situation répond aux critères d’occupation aux termes du droit international humanitaire.
Dans le cadre du test du contrôle effectif, la force d’occupation doit contrôler en grande partie le territoire et peut déployer des troupes au besoin. Ces forces ne doivent pas nécessairement être présentes sur l’ensemble du territoire, mais doivent être en mesure d’exercer leur autorité si nécessaire. L’État souverain doit être substantiellement incapable d’exercer son autorité du fait de la présence des forces étrangères. Cependant, la simple présence de forces armées nationales ou de groupes armés s’opposant aux forces étrangères n’exclut pas l’occupation.
En outre, un contrôle effectif sur un territoire peut être exercé par des forces armées de substitution ou des groupes armés non étatiques aussi longtemps que les forces occupantes conservent un contrôle global. Ainsi, un État pourrait être considéré comme une puissance occupante lorsqu’il exerce un contrôle global sur les autorités locales de facto ou des groupes armés qui exercent eux-mêmes un contrôle effectif sur tout ou partie d’un territoire. Ce contrôle effectif indirect vise à empêcher un vide juridique découlant du fait qu’un État recoure à des substituts locaux pour se soustraire à ses obligations – notamment celles de fournir de la nourriture et des soins médicaux à la population – en vertu du droit international de l’occupation.
17.06.2025 à 17:30
Lundi, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a présenté les conclusions préliminaires effrayantes de l’enquête menée par la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur les conséquences dévastatrices du conflit armé dans l'est de la République démocratique du Congo sur les civils.
Depuis que le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, a pris le contrôle des capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, Goma et Bukavu, au début de l'année 2025, la Mission d’établissement des faits a reçu des informations faisant état d'exécutions extrajudiciaires, d'actes de torture, d’attaques contre des hôpitaux, d'enlèvements et de déplacements et de recrutements forcés commis par le M23. La Mission a également reçu des informations faisant état d'arrestations arbitraires et de disparitions forcées de partisans présumés du M23 par les services de renseignement militaires congolais, ainsi que d'exécutions sommaires, d'arrestations arbitraires, d'enlèvements et d'extorsion par la coalition Wazalendo, regroupant des groupes armés soutenus par le gouvernement congolais.
Les violences sexuelles, qui atteignaient déjà un niveau alarmant, sont utilisées « comme une forme de représailles contre certaines communautés, contre les proches des opposants présumés, et contre des membres d'autres groupes ethniques », a déclaré Volker Türk. « Près de 40 pour cent des survivants des violences sexuelles et basées sur le genre sont des enfants. »
Bon nombre de ces conclusions correspondent aux nôtres. Human Rights Watch a documenté l'exécution sommaire par le M23 d'au moins 21 civils à Goma en février. Nous avons également documenté des abus généralisés contre des civils par les Wazalendo dans le Sud-Kivu, notamment des passages à tabac, des meurtres et des extorsions, parfois basés sur des critères ethniques.
En février, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a mis en place la Mission d’établissement des faits du Haut-Commissariat aux droits de l'homme ; cette mission doit être suivie d'une Commission d'enquête indépendante chargée d'enquêter sur les abus commis par toutes les parties au conflit.
Mais Volker Türk a également annoncé lundi qu'en raison de la crise financière de l'ONU, la mise en place de la Commission d'enquête serait probablement reportée à 2026. Cela risque d’engendrer de graves lacunes en matière de protection, et constitue un revers majeur pour la documentation des abus commis dans l'est de la RD Congo, qui fait cruellement défaut, en particulier à un moment où le M23 et d’autres parties au conflit répriment de plus en plus les groupes de la société civile et les médias.
Le mandat de la Commission, qui consiste à recueillir et conserver des preuves, à identifier les responsables d'abus graves et à soutenir les efforts visant à les traduire en justice, est une étape essentielle pour mettre fin à l'impunité.
La crise financière sans précédent que traverse l'ONU n'est pas une question de calculs financiers abstraits ; elle aura un impact réel sur la vie des personnes en danger. Alors que des crimes terribles se poursuivent sans relâche dans l’est de la RD Congo, il est plus que jamais nécessaire de mener des enquêtes approfondies et d’assurer la reddition des comptes.
16.06.2025 à 07:01
(Abuja) – La plupart des gouvernements d’Afrique ont échoué régulièrement à atteindre les objectifs fixés aux niveaux mondial et régional en matière de financement d’un enseignement public de qualité, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, à l’occasion de la Journée de l’enfant africain organisée par l’Union africaine (UA).
Le thème de cette Journée pour 2025 est «Planification et budgétisation des droits de l’enfant : progrès depuis 2010 ». Or, selon les données nationales communiquées à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture (UNESCO), seulement un tiers des pays africains ont atteint les seuils qui avaient été collectivement approuvés pour le financement de l’éducation, en termes de dépenses annuelles moyennes pour la décennie 2013-2023. Cette proportion a même décliné, passant à un quart des pays, pour les années 2022 et 2023. Quatorze pays africains n’ont atteint aucun de ces seuils pendant toutes les années de la dernière décennie.
« Les chefs d’État et de gouvernement africains, ainsi que l’Union africaine, ont tous pris des engagements audacieux en faveur de l’investissement national dans l’éducation », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Mais les gouvernements ne concrétisent pas ces engagements sous forme d’un financement soutenu, et beaucoup d’entre eux ont même réduit les niveaux de dépenses ces dernières années. »
Un investissement public insuffisant dans l’éducation entrave la capacité des gouvernements africains à respecter leurs obligations légales de garantir un enseignement primaire de qualité gratuit et obligatoire pour tous et de rendre un cycle d’enseignement secondaire disponible, accessible et gratuit pour tous les enfants. Cela remet également en cause leurs engagements politiques de réalisation des objectifs de développement internationaux et ceux de l’UA, ainsi que les objectifs d’étape. Dans le cadre des Objectifs de développement durable de l’ONU, en plus de fournir au moins une année d’enseignement en école maternelle, les gouvernements africains sont tenus d’assurer que tous les enfants suivent un cycle complet d’enseignement secondaire gratuit d’ici à 2030.
En 2015, les États membres de l’UNESCO, dont 54 États africains, ont accepté d’augmenter leurs dépenses dans le domaine de l’éducation en les faisant passer à au moins 4 à 6 % de leur produit national brut (PNB) et/ou à au moins 15 à 20 % de leurs budgets globaux. Ces normes de référence internationalement agréées pour le financement de l’éducation ont été incluses dans au moins cinq déclarations ou plans d’action mondiaux ou inter-africains, dont la Déclaration d’Incheon de 2015 approuvée par tous les États membres de l’UNESCO ; la Déclaration (« Kenyatta ») des chefs d’État sur le financement national de l’éducation, approuvée par 17 chefs d’État ou de gouvernement et ministres africains ; la Déclaration de Paris de 2021 (« Appel mondial en faveur de l’investissement dans les futurs de l’éducation ») ; et la Déclaration de Fortaleza de 2024. En décembre 2024, l’UA et les chefs d’État et de gouvernement africains ont relevé, de six à sept pour cent, la limite supérieure de l’objectif en termes de part du PNB, dans la Déclaration de Nouakchott.
Les États membres de l’UNESCO ont pris l’engagement supplémentaire de consacrer au moins 10 pour cent des dépenses d’éducation à garantir au moins une année d’enseignement gratuit et obligatoire en école maternelle, d’ici à 2030. En 2024, les pays africains ont accepté d’assurer qu’une part accrue de leur dépense publique soit consacrée à l’éducation en école maternelle.
Mais en dépit de ces obligations et de ces engagements, les gouvernements se sont abstenus de supprimer les frais d’inscription et les autres frais de scolarité, en particulier aux niveaux pré-primaire et secondaire, ce qui crée une inégalité d’accès et des écoles de mauvaise qualité, dont l’impact affecte de manière disproportionnée les enfants des familles les plus pauvres. Sur tout le continent africain, les familles continuent de porter comme un fardeau une énorme part du financement de l’éducation, assurant 27 pour cent du total des dépenses dans ce domaine, selon des données de la Banque mondiale pour l’année 2021.
L’Afrique est le continent qui compte le plus grand nombre d’enfants non scolarisés, estimé à plus de 100 millions d’enfants et d’adolescents à travers toutes les sous-régions à l’exception de l’Afrique du Nord. Les taux d’enfants non scolarisés ont augmenté depuis 2015 pour des raisons diverses, notamment les hausses de populations, la persistance des différences entre les sexes, les effets cumulés des fermetures d’écoles dues à la pandémie de Covid-19, des situations d’urgence climatique et des conflits.
De nombreux enfants abandonnent aussi leurs études à cause de l’incidence des violences sexistes et des mesures discriminatoires d’exclusion prises à l’encontre des filles enceintes et mères, des réfugiés et des enfants handicapés, entre autres pratiques négatives.
Seulement 14 pays d’Afrique garantissent un accès gratuit à l’éducation, allant d’au moins une année d’enseignement pré-primaire jusqu’à la fin du cycle secondaire, selon des données de l’UNESCO et des recherches effectuées par Human Rights Watch. Seuls 21 pays garantissent un accès gratuit à 12 années d’enseignement primaire et secondaire, tandis que 6 autres garantissent l’accès à au moins une année d’enseignement pré-primaire gratuit.
Human Rights Watch a constaté que le Maroc, sans compter le territoire du Sahara occidental qu’il occupe, la Namibie et la Sierra Leone sont les seuls pays africains qui garantissent légalement à la fois un accès gratuit universel à des enseignements primaire et secondaire et à au moins une année d’enseignement pré-primaire gratuit, et qui ont en même temps atteint les objectifs internationaux de financement de l’éducation lors de la dernière décennie.
De nombreux pays africains continuent de sous-investir dans l’enseignement public, afin de faire face aux urgences liées au climat et aux crises dérivant des conflits, mais cela est également dû à des décisions politiques et à des choix économiques. De nombreux gouvernements africains appliquent des mesures d’austérité régressives pour pouvoir faire face au service et au remboursement de leur dette. Quinze pays consacrent davantage de ressources au service de leur dette qu’à l’éducation de leurs enfants, ce qui conduit à des réductions drastiques des revenus des enseignants, à des pénuries de fournitures scolaires et à des salles de classe surpeuplées. Les gouvernements et institutions qui leur prêtent des fonds devraient envisager une restructuration ou un abandon de la dette, afin d’assurer que les gouvernements débiteurs puissent protéger les droits de manière adéquate, y compris le droit à l’éducation.
Dans une évolution positive, la Sierra Leone co-préside actuellement une initiative au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU visant à rédiger une version actualisée connue sous le nom de protocole facultatif de la Convention des droits de l’enfant, avec pour but de reconnaître que chaque enfant a droit à la protection et à l’éducation de la petite enfance et de garantir que les États rendent accessibles à tous et gratuits les cycles d’enseignement publics élémentaire et secondaire. L’Afrique du Sud, le Botswana, le Burundi, la Gambie, le Ghana, le Malawi et le Soudan du Sud ont exprimé publiquement leur soutien à ce processus.
« Les gouvernements africains devraient honorer d’urgence leurs promesses de garantir un accès universel à une éducation de qualité et gratuite aux niveaux primaire et secondaire », a conclu Mausi Segun. « Les gouvernements devraient se concentrer sur la nécessité de protéger les dépenses publiques destinées à l’éducation de toute mesure régressive de réduction et allouer à l’éducation des ressources compatibles avec leurs obligations de garantir l’accès à un enseignement public de qualité. »
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14.06.2025 à 02:45
La semaine dernière marquait trois mois depuis l'arrestation au Tchad d'Olivier Monodji, directeur de publication de l’hebdomadaire Le Pays et correspondant de Radio France Internationale, et de Mahamat Saleh Alhissein, reporter de la chaîne publique Télé Tchad. Leur affaire concerne aussi d’autres co-accusés. Les procureurs ont allégué que les journalistes étaient de connivence avec le groupe Wagner, un groupe mercenaire russe présent en Afrique centrale et au Sahel, et les ont accusés d'espionnage, de conspiration et de mise en danger de la sécurité de l'État.
Parmi les preuves dans cette affaire figurent des documents qui auraient été traduits du français à l'arabe par Mahamat Saleh Alhissein et un article d’Olivier Monodji dans Le Pays sur l'ouverture d'un centre culturel russe.
Les journalistes semblent avoir été pris pour cible en raison de leurs liens présumés avec le groupe Wagner, dont les affaires au Tchad sont un sujet sensible. En 2023, les médias ont rapporté des preuves d'un complot de ce groupe mercenaire contre le Tchad. Le groupe soutient activement divers groupes armés dans presque tous les pays environnants. Human Rights Watch a précédemment documenté comment des Russes soupçonnés d'appartenir au groupe Wagner ont joué un rôle déterminant dans la répression autoritaire en République centrafricaine voisine.
Cette semaine, un juge qui enquêtait sur cette affaire depuis deux mois a requalifié les charges en vertu de l'article 95 du Code pénal tchadien, qui concerne l’« entretien avec les agents d'une puissance étrangère d’[…] intelligences, » passible d'une peine d'un à cinq ans, et a renvoyé les accusés devant le tribunal. Leur détention a toutefois été prolongée, malgré le rejet des accusations plus graves d’attentat et de complot contre l’État. Leur maintien en détention bafoue le droit relatif aux droits humains, qui prévoit que les accusés ne doivent en général pas être placés en détention provisoire, et reflète une tendance inquiétante à la répression.
À l'approche des élections de 2024, les autorités tchadiennes ont pris pour cible les médias, la société civile et les voix de l'opposition. Elles ont révoqué les licences de certains médias, interdit la couverture médiatique des rassemblements politiques, coupé l'accès à Internet, suspendu des plateformes médiatiques et proféré des menaces juridiques pour faire taire la dissidence. Succès Masra, ancien Premier ministre et dirigeant du principal parti d'opposition du Tchad, est détenu depuis près d'un mois. Il est accusé d'incitation à la haine et à la violence par le biais de publications sur les réseaux sociaux.
Le Tchad est particulièrement instable depuis la mort en 2021 de l’ex-président Idriss Déby Itno, père de l’actuel président Mahamat Idriss Déby ; ce décès avait marqué le début d'une période de transition entachée de violences, de troubles de l’ordre public et de bains de sang. Quelques mois avant les élections de 2024, un éminent opposant politique a été tué lors d'une attaque dans la capitale du Tchad, N’Djamena.
Cependant, aucun de ces éléments ne justifie la détention prolongée des journalistes, laquelle exigerait des preuves individuelles de la nécessité et de la légalité d’une telle détention. Le gouvernement tchadien devrait respecter son engagement en faveur d'une procédure régulière, veiller à ce que ces hommes soient libérés et garantir un procès équitable.
13.06.2025 à 17:33
Cinq ans après avoir accueilli les Jeux olympiques de Tokyo de 2020, et quatre ans après les Jeux paralympiques de 2021, le Japon prend enfin des mesures pour protéger les athlètes contre les abus dans le sport. Ce mois-ci, le Parlement japonais (« Kokkai », ou Diète nationale) a adopté une révision de la Loi fondamentale sur le sport (« Basic Act on Sport ») de 2011. Cet amendement législatif exige du gouvernement japonais, au niveau national et local, qu'il adopte des mesures contre toute forme d'abus physique ou sexuel, ainsi que contre les violences verbales et d’autre abus commis par des entraîneurs et d'autres personnes en position de pouvoir dans le monde du sport.
En juillet 2020, Human Rights Watch a publié un rapport documentant le recours aux châtiments corporels dans le sport au Japon ; le rapport dénonçait les abus systémiques envers les enfants dans le cadre des entraînements sportifs, du niveau scolaire jusqu'aux institutions d'élite. Nous avons appelé à l'interdiction de toute forme d'abus envers les enfants athlètes dans le sport organisé. Peu après, nous avons lancé avec des organisations partenaires, la campagne internationale #AthletesAgainstAbuse (« Athlètes anti-abus »), visant à mettre fin aux abus dans le sport.
Ces réformes restent tout à fait nécessaires. En avril dernier au Japon, un entraîneur de baseball d'un lycée a été sanctionné pour avoir giflé des joueurs. En février, un entraîneur de kendo dans un collège a été sanctionné pour avoir frappé des élèves avec un « shinai » (bâton de kendo) et refusé de laisser boire de l'eau à un élève malade pendant un entraînement d'été.
Des initiatives courageuses prises par des athlètes japonais, ainsi que des pressions nationales et internationales, ont contribué à accélérer la réforme juridique.
En août 2020, le Comité international olympique a demandé au Comité olympique japonais de mettre fin aux abus et au harcèlement dans le sport japonais. En avril 2023, six grandes instances sportives japonaises ont lancé la campagne « Non au harcèlement sportif » pour sensibiliser le public à ce problème.
D’autres acteurs ont aussi agi dans ce sens. L’Agence japonaise des sports (Japan Sports Agency, JSA), chargée de la promotion du sport dans ce pays, a publié une liste de lignes d'assistance téléphonique pour signaler les abus pour chaque organisation sportive. L’Association japonaise des sports (Japan Sport Association, JSPO), a mis en place un code disciplinaire pour les entraîneurs. La JSA prévoit également d'établir des lignes directrices concernant des sanctions disciplinaire en cas d’abus commis par des entraîneurs dans les écoles.
L'amendement à la Loi fondamentale sur le sport pourrait marquer un tournant et mettre fin à la tradition du recours à la violence physique comme technique d'entraînement. Mais le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba ne devrait pas s'arrêter là. Pour lutter contre les abus dans le sport, il devrait également créer un organisme indépendant chargé exclusivement de signaler et de sanctionner les abus envers les enfants dans le sport. Ce serait une importante avancée si le Japon souhaite sérieusement mettre fin aux abus envers ses athlètes.
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13.06.2025 à 16:29
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a rendu une décision historique, tenant le Guatemala responsable de la violation des droits de Fátima, une adolescente de 13 ans contrainte de poursuivre une grossesse suite à un viol et de devenir mère alors qu'elle était encore enfant. Cette décision met en évidence la nécessité pour le Guatemala d'agir pour prévenir les violences sexuelles et garantir que les survivantes, en particulier les filles, reçoivent le soutien et la justice qu'elles méritent.
Le Comité a estimé que l'absence d'enquête du Guatemala sur les nombreux viols subis par Fátima et l'absence de poursuites contre l'auteur des viols, un enseignant ayant aussi travaillée comme fonctionnaire pour l’Etat, constituaient une violation des droits de Fátima au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a conclu que son droit à une vie digne avait été lésé en raison de l'impact de la grossesse, due à un viol, sur sa santé mentale, physique et sociale, ainsi que sur d’autres facettes de sa vie. Le Comité a souligné que le fait de forcer Fátima à mener sa grossesse contre son gré l'avait soumise à des traitements assimilables à de la torture et avait mis sa vie en danger. Le Comité a en outre constaté que Fátima manquait de recours efficaces en raison de l'incapacité du gouvernement à lui garantir l'accès à une éducation sexuelle complète et à l'avortement. Bien que le cadre juridique guatémaltèque autorise l'avortement thérapeutique – une option envisageable en cas de risque vital pour la personne enceinte –, les filles ne sont souvent pas informées de leur droit à ces soins, ce qui les prive de fait du soutien nécessaire.
Le cas de Fátima illustre une tendance plus large à la violence sexuelle, un problème omniprésent et systémique au Guatemala. Entre 2018 et 2024, 14 696 filles de moins de 14 ans ont accouché et sont devenues mères, souvent contre leur gré. Les recherches de Human Rights Watch montrent que les filles ayant subi des violences sexuelles au Guatemala sont souvent exclues de l'éducation, peinent à accéder aux soins de santé et à la sécurité sociale, et se heurtent à d'énormes obstacles pour accéder à la justice. Le Guatemala manque d'une approche centrée sur les droits des enfants et tenant en compte les questions liées au genre, face au problème des violences sexuelles. Les filles autochtones et les filles malentendantes sont confrontées à des difficultés supplémentaires en raison des barrières linguistiques, entre autres.
La récente décision du Comité des droits de l'homme des Nations Unies représente une étape cruciale dans la défense des droits des femmes et des filles au Guatemala et est le fruit de plusieurs années de plaidoyer du mouvement « Niñas, No Madres » (« Des filles, pas des mères »).
Le Guatemala a besoin de réformes globales pour mieux prévenir les violences sexuelles, notamment contre les filles, et pour garantir aux filles un accès complet aux soins de santé, à l'éducation, à la sécurité sociale et à la justice, y compris à des réparations adéquates.
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12.06.2025 à 09:30
(Nairobi, 12 juin 2025) – Les élections législatives et communales qui se sont tenues au Burundi le 5 juin se sont déroulées dans un contexte de restrictions sévères à la liberté d'expression et de l'espace politique, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé lors d’une conférence de presse le 11 juin que le parti au pouvoir avait remporté 96,5 pour cent des voix et la totalité des sièges élus à l'Assemblée nationale. Le parti au pouvoir a aussi remporté la quasi-totalité des sièges au niveau communal. Des responsables du parti au pouvoir et des jeunes ont intimidé, harcelé et menacé la population et censuré la couverture médiatique afin d'assurer une victoire écrasante.
« Les Burundais ont voté lors d'une élection sans véritable concurrence politique, permettant au parti au pouvoir de consolider davantage son contrôle », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior sur les Grands Lacs à Human Rights Watch. « Face aux frustrations grandissantes suscitées par l'aggravation de la crise économique et les manquements systémiques à l’égard des droits humains, le parti au pouvoir n'a pris aucun risque lors de ces élections. »
Le Conseil national de défense de la démocratie–Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), au pouvoir au Burundi depuis 2005, a cherché à démanteler toute opposition réelle, y compris de la part de son principal rival, le Congrès national pour la liberté (CNL). Plusieurs partis d'opposition, dont le CNL, le Conseil des Patriotes (CDP) et l'Union pour le progrès national (UPRONA), ont dénoncé des irrégularités lors du scrutin. Des élections sénatoriales et d'autres élections locales sont prévues respectivement pour le 23 juillet et le 25 août, et la prochaine élection présidentielle se tiendra en 2027.
Dans les jours qui ont suivi le scrutin, Human Rights Watch a mené des entretiens avec des activistes locaux, des journalistes, des citoyens et un membre de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, qui ont fait état d'actes d'intimidation et d'irrégularités aussi bien pendant la période préélectorale que pendant le scrutin.
Des médias et récits de témoins indiquent que le scrutin du 5 juin a été largement dominé par le parti au pouvoir. « Les Imbonerakure se tenaient devant le bureau de vote et disaient aux gens de voter pour le parti au pouvoir », a déclaré un électeur dans la ville de Bururi. « Tous les agents au bureau de vote étaient membres du parti au pouvoir. Le chef du bureau de vote m'a lui-même dit de voter pour le parti au pouvoir. »
Des personnes interviewées à Bujumbura, la plus grande ville du pays, ainsi qu’à Cibitoke et Rumonge ont décrit des scènes similaires dans leurs bureaux de vote. Une organisation de la société civile burundaise a fait état des mêmes pratiques à Bubanza, Gitega, Makamba et Ngozi. « On nous a dit de faire tout ce qui était nécessaire pour que les gens votent uniquement pour le CNDD-FDD », a déclaré un membre des Imbonerakure.
Des partis d'opposition et des témoins ont déclaré que des représentants de partis d'opposition, des journalistes et des observateurs ont été empêchés d'entrer dans des bureaux de vote, y compris pendant le dépouillement des votes.
Dans plusieurs communes, le nombre de votes exprimés aurait dépassé le nombre d'électeurs inscrits. Des médias et des témoins ont également fait état de bourrage d'urnes et de distribution sélective des cartes d'électeur, empêchant les membres de l'opposition de voter.
Une coalition de stations de radio, de chaînes de télévision et de journaux imprimés ou en ligne a coordonné la couverture des élections, qui aurait été financée par le ministère de la Communication, des Technologies de l’Information, et tous les contenus produits devaient être soumis à une équipe éditoriale centrale, qui censurait les reportages qui ne correspondaient pas au discours officiel, selon des médias. Un journaliste a déclaré à Human Rights Watch que des responsables de la CENI ont demandé aux médias « de ne pas parler des irrégularités ».
En décembre, la CENI a rejeté les candidatures de membres de l'opposition, notamment des membres de la coalition d'opposition Burundi pour tous (Burundi Bwa Bose en Kirundi) et du CNL, qui souhaitaient se présenter aux élections de juin, écartant ainsi les principales voix de l'opposition. Certains ont pu faire recours de cette décision devant la Cour constitutionnelle, mais Agathon Rwasa, arrivé second à la dernière élection présidentielle et ancien dirigeant du CNL, et d’autres étaient toujours interdits de se présenter.
En janvier 2024, le ministre de l'Intérieur a accusé le CNL de collaborer avec une organisation terroriste, à la suite de quoi l'assemblée générale du parti a voté la destitution d'Agathon Rwasa de ses fonctions de dirigeant. En avril 2024, le Burundi a adopté un nouveau code électoral qui a considérablement augmenté les frais d'inscription des candidats et imposé aux personnes ayant quitté un parti politique d'attendre deux ans avant de pouvoir se présenter à nouveau, empêchant ainsi Agathon Rwasa de se présenter.
Les autorités, aidées par les Imbonerakure, ont forcé la population à s'inscrire sur les listes électorales fin 2024, selon des informations relayées par les médias et des témoignages. « La population voulait montrer qu'elle ne voyait pas l'intérêt de ces élections et a tenté de boycotter le processus d'inscription », a déclaré un observateur à Cibitoke. « Les gens ont été forcés [de s'inscrire], empêchés d'accéder aux marchés, aux centres de santé, aux services administratifs ou d'aller aux champs. Les Imbonerakure étaient partout pour intimider les gens. »
L'Union africaine a déployé une mission d'observation et publié un rapport préliminaire le 7 juin, saluant le déroulement « pacifique » des élections législatives et communales au Burundi. L’UA a également salué le taux de participation élevé, le « climat de liberté et de transparence » et la couverture médiatique. Cette évaluation contraste fortement avec le propre cadre normatif de l'UA en matière de démocratie, d'élections et de droits humains, qui promeut des processus électoraux crédibles, inclusifs et transparents. La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et la Communauté économique des États de l'Afrique centrale ont également déployé des missions d'observation. L'Église catholique, qui a critiqué les élections précédentes au Burundi, a déployé des observateurs, mais certains ont été refoulés des bureaux de vote.
Les élections générales de mai 2020 s’étaient déroulées dans un climat très répressif, entaché d'allégations d'irrégularités. Tout au long de la période préélectorale, des membres des Imbonerakure avaient commis de nombreux abus, en particulier à l'encontre de personnes perçues comme opposées au parti au pouvoir, y compris des meurtres, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, des passages à tabac, et des actes d’extorsion et d'intimidation.
Des Burundais ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils ressentaient une frustration grandissante à l'égard de la gouvernance du parti au pouvoir, dans un contexte où la population est confrontée à un taux d'inflation annuel de 40 %, à des pénuries chroniques, à des écarts importants entre les taux de change officiels et officieux, à des réserves limitées de devises étrangères et à une crise du carburant qui paralyse les transports depuis des années. L’aggravation du conflit en République démocratique du Congo voisine, qui a compromis le commerce transfrontalier et provoqué l'arrivée de plus de 70 000 réfugiés et demandeurs d’asile depuis janvier 2025, ainsi que la réduction des financements des bailleurs de fonds, ont encore aggravé la situation.
En février, les autorités burundaises ont expulsé du pays la directrice et une chargée de sécurité du Programme alimentaire mondial des Nations Unies, après qu’elles eurent conseillé au personnel de faire des réserves de produits de première nécessité. La société civile et des figures de l'opposition continuent de signaler des cas de harcèlement, d'extorsion, de détentions arbitraires et de passages à tabac perpétrés par les Imbonerakure et les autorités, alors que le gouvernement reste profondément hostile à toute critique, réelle ou perçue.
L'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Burundi est un État partie, stipule que « Tout citoyen a le droit et la possibilité ... [de] voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs. »
« La démocratie burundaise a été vidée de sa substance, avec un parti au pouvoir qui ne rend pas de comptes à son peuple et qui refuse toute dissidence, alors même que le désespoir lié à la situation économique s’accroit » a conclu Clémentine de Montjoye. « En l'absence d'une opposition crédible, ces élections ne font que renforcer le pouvoir autoritaire et plongent davantage les Burundais dans une crise profonde de gouvernance. »
11.06.2025 à 20:24
L'Australie et quatre autres pays – le Canada, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni – ont imposé des sanctions à deux haut responsables israéliens : Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, ministre des Finances. Ces mesures sont semblables aux sanctions « Magnitsky » infligées dans d’autres cas.
Ces deux ministres ont été sanctionnés en raison de leur rôle dans l’« incitation à la violence contre les Palestiniens en Cisjordanie ». Depuis octobre 2023, les démolitions perpétrées par l’armée israélienne et les violences des colons ont déplacé plus de 6 400 Palestiniens vivant en Cisjordanie. Itamar Ben-Gvir aurait émis une directive enjoignant les policiers de s’abstenir d’appliquer la loi envers des colons violents, selon des médiasisraéliens.
Il s'agit des premières sanctions imposées par l'Australie à de hauts responsables israéliens. En novembre 2023, en réponse aux attaques du 7 octobre menées par le Hamas dans le sud d’Israël, le gouvernement australien (ayant déjà sanctionné le Hamas en 2001) avait imposé de nouvelles sanctions a une entité affilié au Hamas, ainsi qu’à huit personnes ayant des liens avec cette organisation. Puis, en juillet 2024, le gouvernement avait sanctionné sept colons israéliens et une entité, en raison de leur implication dans des attaques contre des Palestiniens en Cisjordanie. Jusqu'à présent, le gouvernement australien n'a cependant pas sanctionné d'autres colons israéliens ou entités, malgré la multiplication des exactions en Cisjordanie. Le gouvernement n'a pas non plus adopté de mesures en réponse aux atrocités commises à Gaza.
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui bénéficie aussi du statut de ministre au sein du ministère de la Défense et qui est un membre du Comité ministériel chargé des affaires de sécurité nationale (« Cabinet de sécurité »), a appelé au nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Le 6 mai, Smotrich a affirmé qu'une victoire israélienne signifierait que la bande de Gaza serait « totalement détruite », ce qui conduirait les habitants palestiniens à « partir en grand nombre vers des pays tiers », même si tous les otages encore en vie étaient libérés. Le 12 mai, Itamar Ben-Gvir a déclaré qu'Israël devrait « encourager la migration des Gazaouis vers des pays à travers le monde ».
Ces sanctions suggèrent que l'Australie est disposée à jouer un rôle plus important, mais de nouvelles mesures sont urgemment requises. Les autorités israéliennes continuent d'utiliser la famine comme méthode de guerre, au mépris de trois ordonnances émises par la Cour internationale de justice (en janvier, en mars et en mai 2024) sur la prise de « mesures conservatoires », dans le cadre de l'affaire de génocide intentée par l'Afrique du Sud contre Israël. L'Australie devrait sanctionner d'autres responsables israéliens impliqués dans de graves exactions, et aussi interdire le commerce avec les colonies illégales en Cisjordanie.
En novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d'arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, accusés d’implication dans des crimes graves commis à Gaza. Le 6 février 2025, le président américain Donald Trump a émis un décret imposant des sanctions a des responsables de la CPI ; le lendemain, 79 pays ont réaffirmé leur « soutien indéfectible » à la Cour, mais l’Australie n’a pas cosigné cette déclaration. L'Australie devrait soutenir publiquement la CPI, et s'engager à exécuter tous ses mandats d'arrêt quand l’occasion se présentera.
À l'heure où de hauts responsables israéliens et des forces militaires portent atteinte au droit international, le gouvernement australien devrait user de son influence pour empêcher de nouvelles atrocités de masse, et exiger que les auteurs d’abus soient tenus de rendre des comptes.
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