21.10.2025 à 18:16
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Le 20 octobre, les autorités saoudiennes ont exécuté un homme condamné pour des crimes qu'il aurait commis alors qu'il était mineur, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Abdullah al-Derazi avait été condamné à mort après avoir été accusé de terrorisme, suite à sa participation à des manifestations et à des cortèges funéraires. Il était la 300ème personne exécutée par les autorités saoudiennes à ce jour en 2025.
Les autorités saoudiennes ont procédé à des exécutions à un rythme sans précédent depuis le début de l'année 2025, apparemment sans respecter les normes de procédure régulière ; parmi les personnes exécutées figuraient au moins un journaliste de renom, et au moins 198 individus qui avaient été reconnus coupables d’infractions non violentes liées à la drogue. Le 21 août, les autorités ont procédé a l’exécution de Jalal al-Labbad, qui avait été visé par des chefs d'accusation similaires à celles portées contre Abdullah al-Derazi, suite à sa participation à des manifestations alors qu'il était mineur.
« En procédant à l'exécution d'Abdullah al-Derazi, les autorités saoudiennes ont franchi deux étapes horribles : 300 exécutions au cours des 10 premiers mois de 2025, et la deuxième exécution d'une personne accusée d'avoir commis des crimes en tant qu’enfant », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à Human Rights Watch. « Ces exécutions devraient dissiper tous les doutes qui subsistent encore dans le monde quant au bilan désastreux de l'Arabie saoudite en matière de droits humains. »
Abdullah al-Derazi appartenait à la minorité musulmane chiite du pays, qui souffre depuis longtemps de discrimination et de violence systématiques de la part du gouvernement. La police saoudienne l'a arrêté en août 2014 après l'avoir appréhendé et sévèrement battu dans la rue, selon l'Organisation européenne-saoudienne pour les droits humains (European Saudi Organization for Human Rights, ESOHR). Les autorités saoudiennes l'ont soumis à un isolement cellulaire prolongé, à d'autres formes de torture, notamment des coups et des brûlures au visage et autour des yeux, et l'ont contraint sous la torture à signer des aveux, selon l'ESOHR.
En février 2018, la Cour pénale spécialisée d'Arabie saoudite, de triste notoriété, a condamné Abdullah al-Derazi à mort pour des infractions liées à des manifestations qu'il aurait commises à l'âge de 17 ans ; cette condamnation a été prononcée en vertu de la loi antiterroriste du pays, selon des documents judiciaires. En 2023, ESOHR et MENA Rights Group ont appris que la Cour suprême avait rendu un arrêt secret confirmant la condamnation à mort d'Abdullah al-Derazi.
Le 20 octobre, le ministère de l'Intérieur saoudien a annoncé l'exécution d'Abdullah Al-Derazi, affirmant qu'il avait commis des « crimes terroristes » et « créé une organisation terroriste visant à déstabiliser la sécurité et à tirer sur les quartiers généraux des services de sécurité et ses membres, dans l'intention de les tuer, en collaboration avec un groupe de la même organisation ».
Précédemment, le 21 août 2025, les autorités ont exécuté Jalal al-Labbad, âgé de 15 ans au moment des faits qui lui étaient reprochés. Les autorités saoudiennes l’ont arrêté en 2017 après qu’il eut participé à des manifestations et à des cortèges funéraires, a rapporté l'ESOHR. Sa famille n'a pas été informée de la date de son exécution et aurait appris sa mort par les médias, selon un communiqué publié le 5 septembre par des experts en droits humains des Nations Unies. Ces experts ont appelé le gouvernement saoudien à « restituer immédiatement le corps de M. al-Labbad à ses proches, et à autoriser un examen médico-légal indépendant ».
Les accusations portées contre Abdullah al-Derazi et Jalal al-Labbad, les deux Saoudiens accusés d'infractions commises lorsqu'ils étaient mineurs, reposaient presque exclusivement sur leurs aveux. Or, Human Rights Watch a documenté une série de violations des droits à un procès équitable et à une procédure régulière dans le cadre du système pénal saoudien, y compris l'utilisation d'aveux obtenus sous la contrainte, dans d’autres affaires de mineurs condamnés à mort. Ceci signifie qu’il est peu probable qu' Abdullah al-Derazi ou Jalal al-Labbad aient été jugés lors de procès équitables.
L'Arabie saoudite est un État partie à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qui interdit strictement le recours à la peine capitale pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans. Human Rights Watch s'oppose à la peine de mort dans tous les pays et en toutes circonstances, la considérant comme un châtiment cruel et inhumain.
Les tribunaux saoudiens ont condamné à mort au moins six autres individus accusés d'infractions lorsqu’ils étaient mineurs : Yousef al-Manasif, Ali al-Mabiouq, Jawad Qureiris, Ali al-Subaiti, Hassan al-Faraj et Mahdi al-Mohsen. Ces cinq derniers risquent d'être exécutés en raison d’accusations similaires à celles portées contre Abdullah al-Derazi et Jalal al-Labbad. Des experts de l'ONU et des organisations de défense des droits humains ont exhorté l’Arabie saoudite à mettre fin aux exécutions d’individus accusés d’infractions commises alors qu'ils étaient mineurs.
En novembre 2024, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire avait publié un avis concernant les cas de cinq détenus saoudiens – Abdullah al-Derazi, Jalal al-Labbad, Yusuf al-Manasif, Jawad Qureiris et Hassan al-Faraj – et conclu qu’il s’agissait de cinq cas de « détention arbitraire ».
Le droit international relatif aux droits humains, y compris la Charte arabe des droits de l'homme, ratifiée par l'Arabie saoudite, souligne que les pays qui appliquent la peine de mort ne peuvent le faire que dans les cas des « crimes les plus graves » et dans des circonstances exceptionnelles. Déjà en novembre 2022, Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme avait publié une déclaration exprimant son inquiétude au sujet du nombre alarmant d'exécutions en Arabie saoudite, suite à la fin d'un moratoire officieux de 21 mois sur l'application de la peine de mort pour des infractions liées à la drogue.
« Alors que le gouvernement saoudien poursuit ses efforts pour blanchir sa réputation désastreuse en matière de droits humains, en offrant des sommes colossales à des vedettes des mondes du spectacle et du sport, ces personnes devraient se demander si elles ne contribuent pas à faire oublier l'exécution d'hommes accusés d'infractions commises lorsqu'ils étaient mineurs », a conclu Joey Shea.
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21.10.2025 à 17:13
Human Rights Watch
(Bangkok) – Les autorités vietnamiennes ont réarrêté un ancien prisonnier politique, Huynh Ngoc Tuan, le 7 octobre, suite à ses commentaires sur les réseaux sociaux, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
La police de la province de Dak Lak a inculpé Huynh Ngoc Tuan de « propagande contre l'État » en vertu de l'article 117 du code pénal vietnamien. Elle devrait le libérer immédiatement. La loi vietnamienne autorise les autorités à refuser à Huynh Ngoc Tuan l'accès à un avocat et à toute visite de sa famille pendant la durée de l'enquête, qui peut prendre des mois, voire des années. S'il est reconnu coupable, il encourt jusqu'à 12 ans de prison.
« Les autorités vietnamiennes persécutent Huynh Ngoc Tuan depuis des décennies parce qu'il dénonce les injustices sociales au Vietnam », a déclaré Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement ne tolère vraiment aucune critique, d’où sa décision de l’emprisonner à nouveau. »
La réarrestation de Huynh Ngoc Tuan s'inscrit dans le cadre d’une nouvelle vague d'arrestations avant la tenue du 14ème Congrès du Parti communiste prévu en janvier 2026, ce qui suscite de vives inquiétudes quant à l'intensification de la répression de la liberté d'expression par le gouvernement. Ce Congrès, tenu tous les cinq ans depuis 1986, rassemblera les responsables chargés de sélectionner le bureau politique du parti, ses principaux dirigeants, le président de l'Assemblée nationale, ainsi que le président et le Premier ministre du pays. Une élection nationale est prévue en mars 2025, mais dans des conditions correspondant à un simulacre d’élection, ni libre ni équitable.
Huynh Ngoc Tuan, âgé de 62 ans, a été arrêté pour la première fois en 1992 et condamné à 10 ans de prison pour des ouvrages de fiction considérés comme politiquement inacceptables par les autorités. Après sa libération en 2002, il a repris ses activités dissidentes, écrivant un mémoire détaillant ses dix années passées dans différentes prisons et commentant les questions sociopolitiques nationales et internationales. Il a milité pour la liberté des médias, la liberté d'expression, les droits civils et politiques fondamentaux et la démocratie, proclamant comme devise : « Je m'exprime, donc je suis ».
Les autorités ont également pris pour cible la famille de Huynh Ngoc Tuan. En 2021, sa fille, Huynh Thuc Vy, a commencé à purger une peine de 30 mois de prison pour « manque de respect envers le drapeau national ». En juin et août 2025, la police a interdit au fils de Huynh Ngoc Tuan, Huynh Trong Hieu, de quitter le Vietnam pour des « raisons de sécurité ». En 2012, Human Rights Watch a décerné à Huynh Ngoc Tuan et à Huynh Thuc Vy le prix Hellman/Hammett pour la liberté d'expression, en reconnaissance de leur « courage et de leur conviction face à la persécution politique ».
Dans un message publié sur les réseaux sociaux en juillet, Huynh Ngoc Tuan a appelé le gouvernement vietnamien à agir en conformité avec ses « engagements juridiques internationaux, en particulier en matière de droits humains ». Il a affirmé : « Abroger les lois répressives, garantir la liberté de la presse et respecter la société civile sont non seulement des mesures nécessaires pour améliorer la situation intérieure, mais aussi une stratégie à long terme pour construire une alliance internationale résiliente. »
Le 7 octobre, la police de la province de Dak Lak a également arrêté Y Nuen Ayun, un pasteur montagnard de l'Église évangélique du Christ des Hauts Plateaux du Centre, et l'a inculpé d’« atteinte à la politique d'unité » en vertu de l'article 116 du code pénal. Les autorités l'ont accusé d'avoir « fourni à plusieurs reprises des informations fabriquées de toutes pièces sur les activités religieuses dans les Hauts Plateaux du Centre ». Elles l’ont aussi accusé d'avoir « calomnié le gouvernement » en soutenait que celui-ci avait arrêté et opprimé des personnes adhérant au « protestantisme chrétien ».
Les 6 et 8 octobre, la police de la province de Gia Lai a arrêté respectivement la militante des droits fonciers Vo Thi Phung, puis Nguyen Van Tong, accusé d’être son complice ; les deux activistes s’étaient opposés à la cérémonie d'inauguration d'un parc industriel, un projet de développement pour lequel les autorités locales avaient confisqué les terres des habitants. Les autorités ont accusé les deux personnes d'« abus des droits à la liberté et à la démocratie pour porter atteinte aux intérêts de l'État », en vertu de l'article 331 du code pénal.
Le 9 octobre, la police de la province de Nghe An a arrêté un blogueur, Nguyen Duy Niem, et l'a inculpé de propagande contre l'État en vertu de l'article 117 du code pénal. Les autorités l'ont poursuivi pour ses liens présumés avec l’Assemblée pour la démocratie et le pluralisme, un collectif fondé en France en 1982 pour militer en faveur des droits civils et politiques au Vietnam. La police a précédemment arrêté deux autres activistes, Tran Khac Duc (en novembre 2024) et Quach Gia Khang (en mars 2025), en raison de leur affiliation présumée à ce collectif.
Au cours des dix premiers mois de 2025, les autorités ont arrêté au moins 40 personnes pour avoir critiqué le gouvernement ou pour leur affiliation présumée à des groupes religieux ou politiques indépendants. Ces personnes ont été accusées d'« usage abusif des droits à la liberté [d’expression] et à la démocratie pour porter atteinte aux intérêts de l'État » (article 331), de « propagande contre l'État » (article 117) ou de « porter atteinte à la politique d'unité » (article 116).
Fin août et début septembre, la police de Hô Chi Minh-Ville a arrêté les activistes démocrates Ho Sy Quyet, Tran Quang Trung, Tran Quang Nam et Nguyen Van Tu. Dans les avis d'arrestation envoyés à leurs familles, la police n'a cité aucune raison concrète pour justifier ces arrestations.
« Le Vietnam vient d'être réélu en tant que pays membre du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies à Genève », a déclaré Patricia Gossman. « Le gouvernement vietnamien devrait montrer qu'il a sa place au sein du Conseil en libérant immédiatement toutes les personnes détenues simplement pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. »
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20.10.2025 à 14:19
Human Rights Watch
Lorsque les gouvernements se réuniront à Paris cette semaine pour une conférence sur la diplomatie féministe, les sujets à aborder ne manqueront pas. Dans sa description de l'événement, le gouvernement français déplore que les progrès vers l'égalité des genres « ne soient pas assez rapides ». C'est un énorme euphémisme.
Nous sommes en proie à une crise mondiale qui menace les droits des femmes et des filles. Les droits reproductifs sont remis en cause partout dans le monde. Aux Nations Unies et dans d'autres instances internationales, les gouvernements antiféministes, de plus en plus entraînés par les États-Unis, tentent de saper les droits des femmes, et l'espace pour se faire entendre se réduit. En Afghanistan, l'oppression perpétrée par les talibans pousse à réclamer la création d'un crime international d'apartheid de genre. On assiste même à des débats sur la question de savoir si les femmes devraient être autorisées à voter.
La misogynie est l'un des outils préférés des autocrates. Trop nombreux sont ceux qui leur cèdent du terrain. Les États-Unis et les pays européens, dont la France, ont réduit les montants de leur aide étrangère, ce qui porte préjudice au travail de nombreuses organisations de défense des droits des femmes dans le monde entier.
La diplomatie féministe est un terme inventé en Suède en 2014. Bien que la Suède ait ensuite fait marche arrière, en 2024, une douzaine d'autres pays d'Europe, d'Amérique latine et d'Afrique du Nord se sont engagés à mettre en œuvre une politique étrangère féministe. La France a publié sa propre stratégie en mars.
Les pays qui se réunissent à Paris devraient jouer un rôle de premier plan pour empêcher l'érosion des droits des femmes, en adoptant une approche intersectionnelle centrée sur la voix des femmes marginalisées, notamment celles qui sont en situation de handicap et en première ligne face à la crise climatique. Ils devraient reconnaître que le choix des mots est important, dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et ailleurs. Les « solutions de contournement », telles que le fait d'éviter d'utiliser le terme « genre » dans les résolutions, compromettent les progrès réalisés.
Comme la France l'a également souligné, au rythme actuel, l'ONU prévoit que l'égalité des genres sera atteinte dans... 300 ans. Les pays qui mettent en œuvre une politique étrangère féministe devraient à la fois lutter contre les reculs et continuer à exiger des progrès.
Ils devraient faire pression pour que tous les pays financent la protection contre les violences sexuelles et sexistes et garantissent l'accès à la santé, à l'éducation et au logement.
Ils devraient insister pour que les défenseures des droits des femmes soient entenduess lors des débats du Conseil de sécurité, apporter leur soutien aux femmes soldats de la paix et faire pression pour que les femmes participent de manière équitable aux négociations de paix, à la rédaction des traités et à d'autres forums internationaux. Ils devraient soutenir une affaire devant la Cour internationale de justice concernant les violations de la convention sur les droits des femmes et créer un crime international d'apartheid de genre par le biais d'un traité des Nations unies sur les crimes contre l'humanité.
Espérons que la conférence de Paris suscitera un sentiment d'urgence, d'unité, de détermination et de volonté de lutter.