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Humans Right Watch enquête sur les violations des droits humains commises à travers le monde

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20.10.2025 à 14:19

Diplomatie féministe dans un contexte de recul mondial

Human Rights Watch
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Click to expand Image Des milliers de personnes descendent dans les rues de Barcelone, en Espagne, pour une manifestation massive à l'occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars 2025. © 2025 Albert Llop/NurPhoto via Getty Images

Lorsque les gouvernements se réuniront à Paris cette semaine pour une conférence sur la diplomatie féministe, les sujets à aborder ne manqueront pas. Dans sa description de l'événement, le gouvernement français déplore que les progrès vers l'égalité des genres « ne soient pas assez rapides ». C'est un énorme euphémisme. 
 

Nous sommes en proie à une crise mondiale qui menace les droits des femmes et des filles. Les droits reproductifs sont remis en cause partout dans le monde. Aux Nations Unies et dans d'autres instances internationales, les gouvernements antiféministes, de plus en plus entraînés par les États-Unis, tentent de saper les droits des femmes, et l'espace pour se faire entendre se réduit. En Afghanistan, l'oppression perpétrée par les talibans pousse à réclamer la création d'un crime international d'apartheid de genre. On assiste même à des débats sur la question de savoir si les femmes devraient être autorisées à voter. 
 

La misogynie est l'un des outils préférés des autocrates. Trop nombreux sont ceux qui leur cèdent du terrain. Les États-Unis et les pays européens, dont la France, ont réduit les montants de leur aide étrangère, ce qui porte préjudice au travail de nombreuses organisations de défense des droits des femmes dans le monde entier.  
 

La diplomatie féministe est un terme inventé en Suède en 2014. Bien que la Suède ait ensuite fait marche arrière, en 2024, une douzaine d'autres pays d'Europe, d'Amérique latine et d'Afrique du Nord se sont engagés à mettre en œuvre une politique étrangère féministe. La France a publié sa propre stratégie en mars. 
 

Les pays qui se réunissent à Paris devraient jouer un rôle de premier plan pour empêcher l'érosion des droits des femmes, en adoptant une approche intersectionnelle centrée sur la voix des femmes marginalisées, notamment celles qui sont en situation de handicap et en première ligne face à la crise climatique. Ils devraient reconnaître que le choix des mots est important, dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et ailleurs. Les « solutions de contournement », telles que le fait d'éviter d'utiliser le terme « genre » dans les résolutions, compromettent les progrès réalisés. 
 

Comme la France l'a également souligné, au rythme actuel, l'ONU prévoit que l'égalité des genres sera atteinte dans... 300 ans. Les pays qui mettent en œuvre une politique étrangère féministe devraient à la fois lutter contre les reculs et continuer à exiger des progrès. 
 

Ils devraient faire pression pour que tous les pays financent la protection contre les violences sexuelles et sexistes et garantissent l'accès à la santé, à l'éducation et au logement. 
 

Ils devraient insister pour que les défenseures des droits des femmes soient entenduess lors des débats du Conseil de sécurité, apporter leur soutien aux femmes soldats de la paix et faire pression pour que les femmes participent de manière équitable aux négociations de paix, à la rédaction des traités et à d'autres forums internationaux. Ils devraient soutenir une affaire devant la Cour internationale de justice concernant les violations de la convention sur les droits des femmes et créer un crime international d'apartheid de genre par le biais d'un traité des Nations unies sur les crimes contre l'humanité. 
 

Espérons que la conférence de Paris suscitera un sentiment d'urgence, d'unité, de détermination et de volonté de lutter. 

20.10.2025 à 06:00

Iran : Décès de trois prisonnières privées de soins médicaux

Human Rights Watch
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Click to expand Image L’entrée principale de la prison d'Evin, située dans le nord de la capitale de l’Iran, Téhéran, photographiée le 24 août 2008. Suite à l'attaque israélienne du 23 juin 2025 contre ce centre pénitentiaire, plusieurs prisonnières politiques qui y étaient détenues ont été transférées vers la prison pour femmes de Qarchak, située au sud de Téhéran. © Wikipédia / SabzPhoto

(Beyrouth, 20 octobre 2025) – Trois femmes détenues dans la prison de Qarchak, une prison pour femmes située au sud de Téhéran, en Iran, et tristement célèbre pour ses conditions de détention abjectes, sont décédées entre le 16 et le 25 septembre après avoir été privées de soins médicaux, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.

Les décès en détention de Soudabeh Asadi, de Jamile Azizi et de Somayeh Rashidi, une prisonnière politique âgée de 42 ans, mettent en lumière le problème de la violation par les autorités iraniennes du droit à la vie des personnes incarcérées : leur refus de fournir des soins médicaux est la cause de nombreux décès, ou y contribue. Ces cas reflètent la politique de longue date des autorités iraniennes consistant à refuser des soins médicaux aux prisonnier-ère-s, menée dans le contexte d’autres traitements brutaux qui mettent en danger la vie de ces personnes. 

« Les prisons en Iran, en particulier celle de Qarchak, sont devenues des lieux de tourments et de mort où la dignité et les droits fondamentaux des personnes détenues sont systématiquement bafoués », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Depuis des décennies, les autorités ont non seulement refusé d’améliorer les conditions de détention, mais elles ont délibérément utilisé le déni des droits fondamentaux, tels que l'accès aux soins médicaux, comme un outil de répression et de punition à l'encontre des personnes incarcérées. »

Selon les Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (« Règles Nelson Mandela »), chaque État « a la responsabilité d’assurer des soins de santé » adéquats aux personnes détenues.

La prison de Shahr-e Rey, aussi appelée prison de Qarchak, est tristement célèbre pour ses conditions de détention inhumaines, notamment le manque d'hygiène, les cellules surpeuplées et l'accès insuffisant aux services de base et aux soins médicaux. La situation est si désastreuse que de nombreuses prisonnières ont entamé des grèves de la faim, en guise de protestation. La prison de Qarchak est devenue un sombre symbole de la violation continue par le gouvernement iranien des droits humains des personnes détenues. 

Depuis des années, des organisations de défense des droits humains, des activistes, des experts et des organes des Nations Unies expriment leur inquiétude quant aux conditions de détention dans cette prison, et au refus des autorités d'y fournir des soins médicaux. En août 2025, Human Rights Watch a de nouveau tiré la sonnette d'alarme sur la situation désastreuse des prisonnières politiques iraniennes, notamment celle des détenues malades qui avaient été transférées de la prison d'Evin vers la section de quarantaine de la prison de Qarchak après l'attaque israélienne contre la prison d'Evin, menée le 23 juin. 

Parmi ces prisonnières transférées vers Qarchak fin juin se trouvait Somayeh Rashidi, qui avait été arrêtée en avril 2025 pour avoir écrit des slogans de protestation à Téhéran, selon Human Rights Activists in Iran (HRANA), une organisation de défense des droits humains basée aux États-Unis. Selon HRANA, le 16 septembre, Somayeh Rashidi a subi une crise d'épilepsie dans la prison de Qarchak ; elle a été transportée à l'hôpital Mofatteh de Varamin, ou elle est décédée le 25 septembre. Plus tard le même jour, l'agence de presse officielle du pouvoir judiciaire iranien, Mizan, a confirmé le décès d'une prisonnière identifiée comme « S.R. ».

Des médecins ont indiqué que le retard pris dans l’hospitalisation de Somayeh Rashidi était la cause principale du déclin irréversible de son état de santé, a déclaré une source bien informée à HRANA. Selon HRANA, Somayeh Rashidi était parfois incapable de marcher ou de prendre soin d'elle-même lors de sa détention, en raison de ses problèmes de santé. Les autorités judiciaires et pénitentiaires, ainsi que le personnel médical de la prison de Qarchak, étaient informés du grave état de santé de Somayeh Rashidi, mais lui ont refusé des soins médicaux appropriés en temps opportun ; au lieu de cela, le personnel lui a administré des sédatifs et des médicaments psychiatriques qui ont aggravé ses symptômes, selon HRANA. Les responsables de la prison ont même accusé Somayeh Rashidi de simuler sa maladie lorsqu'elle est tombée si malade que d'autres prisonnières ont dû la porter jusqu'à la clinique de la prison le 15 septembre, ont déclaré des sources à Human Rights Watch. 

Conformément à la tendance des autorités iraniennes à nier les faits, à déformer la réalité ou à éluder leur responsabilité dans de tels incidents, l’agence du pouvoir judiciaire iranien Mizan a affirmé quelques jours après la mort de Somayeh Rashidi qu'elle avait des antécédents de toxicomanie et de troubles neurologiques, et qu'elle avait reçu un traitement approprié en prison. 

La mort de Somayeh Rashidi est survenue après les décès de deux autres détenues de la prison de Qarchak. Selon HRANA, Soudabeh Asadi, qui y était détenue pour des accusations de fraude financière, est décédée le 16 septembre, après que les autorités lui eurent refusé des soins médicaux et retardé son transfert à l'hôpital. Le 19 septembre, Jamile Azizi, qui était détenue pour des motifs dont Human Rights Watch n’a pas connaissance, a été emmenée à la clinique de la prison avec des symptômes de crise cardiaque. Après l'avoir examinée, les médecins lui ont dit qu'elle ne souffrait d’aucun trouble sérieux et devait retourner dans sa cellule ; elle y est décédée peu après, a déclaré une source à HRANA.

Une défenseure iranienne des droits humains précédemment détenue à Qarchak a déclaré à Human Rights Watch qu'elle y avait souffert d’intenses douleurs thoraciques ; toutefois, les responsables de la clinique de cette prison l'ont renvoyée dans sa cellule sans lui faire passer un examen. Même lorsque sa santé s’est dégradée, ces responsables ont délibérément retardé son transfert vers un hôpital. « Ils nous exposent toutes [les prisonnières] au risque de mort », a-t-elle affirmé. 

Les récents décès des trois détenues iraniennes sont les derniers en date d'une longue série de cas documentés dans lesquels les autorités ont refusé à des personnes incarcérées l'accès aux soins de santé, parfois pour punir et réduire au silence des dissident-e-s. Dans un rapport publié en avril 2022, Amnesty International a détaillé les circonstances entourant la mort en détention de dizaines d'hommes et de femmes dans 30 prisons à travers l’Iran depuis 2010, à la suite d'un refus de soins médicaux. De nombreux cas de ce type, en particulier parmi les prisonniers détenus pour des délits mineurs et ceux issus de communautés marginalisées, ne sont même pas signalés. La crainte de représailles de la part des autorités entrave aussi la capacité de nombreuses familles à défendre les intérêts de leurs proches.

Le 9 octobre, les autorités ont transféré plusieurs prisonnières politiques qui étaient détenues à Qarchak vers le quartier 6 de la prison d'Evin. Des activistes et des organisations de défense des droits humains ont signalé qu'elles y étaient détenues dans de mauvaises conditions, sans accès aux produits de première nécessité. La situation des prisonnières renvoyées à la prison d'Evin est préoccupante, étant donné que les frappes aériennes israéliennes du 23 juin ont causé d'importants dégâts aux installations vitales de cette prison, notamment à la clinique et à la salle des visites. 

Les autorités iraniennes continuent de refuser aux prisonnières politiques de Qarchak et d'Evin l'accès à des soins médicaux adéquats. Des sources ont indiqué à Human Rights Watch que Maryam Akbari Monfared, une femme âgée de 48 ans détenue à Qarchak, souffre de graves problèmes au niveau du dos et de la colonne vertébrale qui nécessiteraient une opération chirurgicale et un traitement spécialisé, sans lesquels elle risque la paralysie ; toutefois, son transfert provisoire vers un hôpital n’a toujours pas été autorisé. Maryam Akbari Monfared est emprisonnée à Qarchak depuis 15 ans, sur la base d'une accusation vague d'« inimitié envers Dieu » (« moharebeh »), sans avoir bénéficié d'un seul jour de permission. 

Warisha Moradi, une activiste kurde détenue à la prison d'Evin et qui a été condamnée à mort, a également besoin de soins médicaux urgents pour plusieurs problèmes de santé, a déclaré une source à Human Rights Watch. 

De nombreuses autres détenues souffrant de problèmes de santé dans diverses prisons en Iran, dont des prisonnières politiques telles que l’activiste kurde Zeynab Jalalian, sont également privées de soins médicaux. 

En vertu du droit international, les États ont l'obligation de mener des enquêtes indépendantes, impartiales, transparentes, efficaces et approfondies sur les décès survenus dans des circonstances potentiellement illégales, y compris ceux survenus en détention. Toutefois, dans un contexte d'impunité de longue date, les autorités iraniennes ont systématiquement manqué à leur devoir de mener de telles enquêtes sur les décès de personnes détenues. Dans plusieurs cas, les autorités ont simplement nié les allégations selon lesquelles elles auraient intentionnellement privé ces personnes de soins médicaux adéquats, lors de déclarations faites quelques heures après le décès ; dans d’autre cas, les autorités ont qualifié des décès de « suicides », ou de conséquence de la toxicomanie. 

Les autorités iraniennes devraient immédiatement fournir en temps opportun des soins médicaux appropriés – y compris l’autorisation de traitements spécialisés en dehors des prisons – à toutes les personnes détenues en ayant besoin, a déclaré Human Rights Watch.

« La communauté internationale devrait exercer une forte pression sur les autorités iraniennes afin qu'elles remédient aux conditions déplorables auxquelles les prisonnières et prisonniers sont soumises dans tout le pays, y compris à Qarchak, et qu'elles leur fournissent l’accès à des soins médicaux appropriés », a conclu Michael Page.

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CSDHI

 

16.10.2025 à 22:37

Chine : Renvois forcés de Nord-Coréens vers leur pays

Human Rights Watch
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Click to expand Image Des policiers chinois patrouillaient à l'aéroport de Pékin le 20 juin 2018, peu avant le départ du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, suite à sa visite de deux jours en Chine. © 2018 Greg Backer/AFP via Getty Images

(Séoul, 16 octobre 2025) – Depuis 2024, les autorités chinoises ont renvoyé de force au moins 406 personnes en Corée du Nord, malgré le grave risque de persécution et de mauvais traitements auquel ces retours les ont exposées, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.

Le renvoi forcé de Nord-Coréens par le gouvernement chinois les expose à un risque élevé de torture, d'emprisonnement abusif, de violences sexuelles, de travail forcé et d'exécution potentielle, en violation du droit international relatif aux droits humains. Les responsables chinois chargés de ces expulsions illégales s'exposent à des poursuites pénales pour avoir facilité des crimes commis sous le régime totalitaire du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un.

« Les autorités chinoises ont renvoyé des centaines de Nord-Coréens vers leur pays, tout en sachant qu’elles risquent d’y être sévèrement persécutées », a déclaré Lina Yoon, chercheuse senior sur la Corée à Human Rights Watch. « Pékin devrait immédiatement autoriser le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à accéder à toutes les personnes menacées de renvoi forcé vers la Corée du Nord, et publier des données sur tous les Nord-Coréens détenus en Chine ou déjà expulsés. »

Les 406 cas sont basés sur des informations fournies par Stephen Kim, pseudonyme d'une personne disposant de nombreux contacts en Corée du Nord et en Chine. Human Rights Watch considère depuis longtemps les rapports de son réseau sur les rapatriements forcés comme crédibles. Ce nouveau chiffre porte à au moins 1 070 le nombre total de retours forcés depuis 2020. Aucune donnée officielle n'est disponible.

En 2014, un rapport publié par la Commission d'enquête des Nations Unies sur les droits humains en Corée du Nord, avait conclu que les Nord-Coréens « rapatriés de force » sont « systématiquement » soumis à des actes constituant des crimes contre l'humanité, notamment la torture, les violences sexuelles, le travail forcé, les disparitions forcées et des conditions de détention inhumaines. La Commission avait alors averti que la coopération de la Chine dans l'identification et le rapatriement des fugitifs nord-coréens pourrait constituer une complicité dans ces crimes.

En mai 2024, des experts des droits humains de l'ONU ont réitéré leurs préoccupations concernant les retours forcés en Corée du Nord. En septembre 2025, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies a publié au sujet de ce pays un rapport constatant que « tout au long de la dernière décennie, les personnes rapatriées ont été victimes de graves violations des droits humains, notamment de détentions arbitraires, de tortures, de mauvais traitements, de disparitions forcées et de violences sexuelles et sexistes ». Le rapport rappelle que tous les États doivent « respecter pleinement le principe de non-refoulement », selon lequel une personne ne peut être renvoyée vers un pays où elle risque d'être maltraitée, et « s'abstenir systématiquement de procéder à des rapatriements forcés, compte tenu du risque réel de violations graves des droits humains ». 


En novembre 2024, plusieurs experts des droits humains des Nations Unies ont adressé aux gouvernements de la Corée du Nord et de la Chine un courrier exprimant leur inquiétude concernant les informations selon lesquelles, en août 2024, la Corée du Nord avait exécuté deux femmes qui faisaient partie des personnes rapatriées de force en octobre 2023. Les experts se sont aussi enquis du sort des autres personnes soumises à des rapatriements forcés, mais n’ont reçu aucune réponse.

Déjà en juillet 2023, dans le cadre de l'Examen périodique universel de la Chine au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HRC) avait exhorté ce pays à reconnaître que de nombreux Nord-Coréens ont besoin d'une protection internationale en raison des traitements sévères infligés à ceux qui sont renvoyés vers leur pays. Le HCR avait appelé Pékin à leur garantir l'accès aux procédures d'asile et aux documents qui leur permettraient de résider légalement en Chine.

Human Rights Watch a vérifié de nombreux cas de retours forcés depuis 2024, sans toutefois pouvoir obtenir des informations précises sur la situation actuelle de ces personnes, ni sur le lieu où elles se trouvent.

Parmi ces personnes figurent 108 travailleurs nord-coréens qui résidaient dans la ville de Helong, dans la province de Jilin en Chine ; ils ont été renvoyés en Corée du Nord en janvier 2024, après qu'une manifestation pour réclamer le versement de leurs salaires impayés a dégénéré en violences. Suite à leur retour en Corée du Nord, ils auraient été transférés vers des prisons où sont détenus des prisonniers politiques.

En avril 2024, 60 Nord-Coréens qui vivaient dans les provinces chinoises de Jilin et de Liaoning ont été renvoyés vers leur pays. Au cours de l'année 2024, 212 femmes nord-coréennes qui avaient été victimes du trafic de personnes, puis détenues en Chine dans les villes de Kunming (province du Yunnan), Nanning (province du Guangxi) et Pinxiang (province du Jiangxi) ont été renvoyées vers la Corée du Nord. Début 2025, un Nord-Coréen âgé de 36 ans et accusé de piratage informatique a été expulsé vers son pays. Vers la mi-2025, cinq femmes qui avaient été soumises à des mariages forcés dans les provinces chinoises de Jilin et Heilongjiang ont été renvoyées vers la Corée du Nord.

Entre décembre 2024 et juillet 2025, les autorités chinoises ont également renvoyé de force 20 femmes nord-coréennes, parmi 22 femmes détenues en Mongolie intérieure. Les deux femmes qui n'ont pas été renvoyées de force vers la Corée du Nord avaient été victimes de traite à des fins de mariage forcé en Chine, et étaient enceintes. Elles ont été contraintes de retourner dans les domiciles des deux hommes chinois qui avaient payé des trafiquants afin de les épouser.

Les femmes qui tombent enceintes lors de relations coercitives avec des hommes chinois sont soumises à un traitement particulièrement sévère en cas de retour en Corée du Nord, ont déclaré trois anciens responsables du gouvernement nord-coréen à Human Rights Watch. La Commission d'enquête de 2014 avait constaté que les autorités nord-coréennes soumettaient systématiquement ces femmes à des avortements forcés, voire même des infanticides de nourrissons. Selon le rapport, ces graves abus sont dus à une « attitude raciste à l’égard des enfants coréens d’origine mixte », perçus par le gouvernement comme une menace pour la soi-disant pureté du peuple nord-coréen.

Au mois de juillet 2025, plus d'une centaine de femmes nord-coréennes étaient toujours détenues dans des centres de détention des provinces du sud de la Chine. Elles avaient été victimes de traite à des fins de mariage forcé, avaient eu des enfants et tentaient de rejoindre un pays tiers sûr. Les autorités chinoises prévoyaient de les renvoyer chez les hommes auxquels elles avaient été « vendues », avant la visite du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un à Pékin, début septembre. Human Rights Watch a appris qu'au moins 28 de ces femmes ont en effet été renvoyées auprès de ces hommes, en Chine.

Le gouvernement chinois continue de qualifier de nombreux Nord-Coréens sans papiers de « migrants économiques » illégaux, et de les renvoyer de force vers leur pays, en vertu d'un protocole frontalier de 1986. Sous le président Xi Jinping, la surveillance de masse en Chine, exercée dans un contexte de répression croissante, a facilité le repérage systématique de personnes nord-coréennes et leur renvoi forcé vers leur pays.

Pékin a rejeté les appels internationaux visant à mettre fin à ces retours forcés. En 2024, lors de l'Examen périodique universel de la Chine au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, la délégation chinoise a explicitement rejeté les recommandations appelant à la cessation des expulsions de Nord-Coréens vers leur pays.

En tant qu'État partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à son Protocole de 1967, ainsi qu'à la Convention de 1984 contre la torture, la Chine est légalement tenue de ne renvoyer de force aucune personne vers un pays où elle risque réellement d'être persécutée ou torturée. Cette interdiction, en vertu du principe de non-refoulement, est également contraignante pour la Chine en vertu du droit international coutumier.

En 2010, le ministère nord-coréen de la Sécurité publique a adopté un décret faisant de la défection un crime de « trahison contre la nation », passible de la peine de mort. En vertu du droit international, les Nord-Coréens ayant quitté leur pays sans autorisation et qui risquent d'être rapatriés de force sont considérés comme des « réfugiés sur place », c'est-à-dire des personnes qui deviennent réfugiées, quelles que soient les raisons de leur départ ou les persécutions antérieures.

Le gouvernement chinois devrait immédiatement mettre fin aux renvois forcés de Nord-Coréens, accorder l'asile aux réfugiés nord-coréens et leur permettre de s'intégrer pleinement en Chine s'ils le souhaitent ; ou de manière alternative, il devrait leur permettre de demander la réinstallation dans un pays tiers, ou de traverser en toute sécurité le territoire chinois pour se rendre dans un pays tiers. Les autres gouvernements et les donateurs devraient accroître leur soutien aux organisations qui viennent en aide aux fugitifs, en particulier celles qui offrent une protection tenant compte des spécificités de genre aux femmes et aux enfants exposés au risque de traite ou de rapatriement.

« Le gouvernement chinois devrait cesser de renvoyer de force des Nord-Coréens, et demander plutôt à Pyongyang de mettre fin aux conditions oppressives qui poussent les gens à fuir la Corée du Nord », a conclu Lina Yoon. « Les autres gouvernements devraient exhorter la Corée du Nord à permettre à des personnes de partir librement, et ils devraient apporter un soutien durable aux organisations qui protègent les fugitifs nord-coréens. »

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16.10.2025 à 22:00

Tchad : Une modification constitutionnelle menace l'état de droit et la démocratie

Human Rights Watch
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Click to expand Image Le président tchadien Mahamat Idriss Déby (au centre) arrive à son inauguration au Palais des Arts et de la Culture à N'Djamena, le 23 mai 2024. © Photo by JORIS BOLOMEY/AFP via Getty Images

(Nairobi) – La nouvelle révision de la constitution du Tchad abolissant la limitation du nombre de mandats présidentiels constitue un grave recul pour l'état de droit et la démocratie, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Cette modification ouvre la voie à un maintien indéfini au pouvoir du président Mahamat Idriss Déby, affaiblissant encore davantage les perspectives d'un changement démocratique significatif du gouvernement, de manière conforme aux normes internationales, notamment en matière de droit de vote et de participation politique.

« En supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels, les autorités tchadiennes ont démantelé un garde-fou important contre l'autoritarisme », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Au lieu de renforcer les normes démocratiques qui permettent une concurrence politique dans le cadre d'élections périodiques, libres et équitables, le gouvernement a consolidé les bases d'un régime dominé par un seul homme. »

Le 3 octobre, le président a finalisé les modifications constitutionnelles, qui avaient été accélérées et approuvées par les deux chambres du Parlement après avoir été votées à la mi-septembre. Le Mouvement patriotique du salut (MPS), qui domine l'Assemblée nationale, a approuvé à une forte majorité des amendements importants à des dispositions constitutionnelles, qui suppriment les limites du mandat présidentiel et prolongent chaque mandat de cinq à sept ans. Certains députés de l'opposition ont toutefois boycotté le vote, qualifiant le processus d'anticonstitutionnel et d'illégitime.

Le gouvernement a défendu cette révision constitutionnelle comme étant « technique », mais ces modifications rendent légal un règne d’une période indéfinie pour Mahamat Idriss Déby, qui est au pouvoir depuis 2021 après la mort de son père, l'ancien président Idriss Déby Itno, qui avait lui-même dirigé le Tchad pendant 30 ans.

L'abolition de la limitation du nombre de mandats supprime également un contrôle constitutionnel essentiel qui garantit le transfert pacifique du pouvoir, a déclaré Human Rights Watch. Sans cette garantie, une seule personne et un seul parti pourraient dominer la présidence. Cette mesure s'inscrit dans une tendance au recul démocratique en Afrique centrale, où les gouvernements ont recours à des amendements constitutionnels pour consolider leur pouvoir, une tendance que certains experts qualifient de « coups d'État constitutionnels ». Et ce, malgré la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, à laquelle le Tchad est un État partie, qui stipule que « tout amendement ou toute révision des Constitutions [...] qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique » est un « moyen [...] pour se maintenir au pouvoir [qui] constitue un changement anticonstitutionnel » qui doit être sanctionné. Au Tchad, où les partis d'opposition et la société civile sont déjà victimes de harcèlement et d'intimidation de la part du gouvernement, ce changement renforce encore davantage le pouvoir du MPS.

À l'approche des élections d'avril 2021, tenues juste avant la mort de feu Idriss Déby Itno, les forces de sécurité avaient violemment dispersé à plusieurs reprises des manifestations pacifiques de l'opposition à N'Djamena, tirant des gaz lacrymogènes, frappant les manifestants et arrêtant arbitrairement des membres de l'opposition et des activistes de la société civile.

Après la mort d’Idriss Déby Itno, l'armée, dirigée par Mahamat Idriss Déby, a pris le contrôle du pays.

Alors que les autorités militaires avaient promis une transition vers la démocratie après la prise de pouvoir, elles ont au contraire suivi un scénario familier de consolidation du pouvoir et de restriction des libertés politiques, a déclaré Human Rights Watch. La transition militaire qui a suivi la mort d’Idriss Déby Itno n'aurait jamais dû avoir lieu. Selon la Constitution tchadienne alors en vigueur, adoptée en 2018, en cas de décès du président, le président de l'Assemblée nationale devrait provisoirement diriger le pays pendant 45 à 90 jours avant d'organiser de nouvelles élections.

Les violences ont atteint leur paroxysme en octobre 2022 lorsque des manifestants ont exigé une transition vers un régime civil. Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, tuant nombre de personnes, et en ont arrêté des centaines d’autres avant de les envoyer à la prison de haute sécurité de Koro Toro, dans le nord du pays.

Après des affrontements intercommunautaires meurtriers dans la province du Logone occidental, le dirigeant de l'opposition et ancien Premier ministre Succès Masra a été arrêté à N'Djamena en mai 2025 sur la base de diverses accusations, notamment incitation à la haine et à la violence. À l'issue d'un procès à motivation politique, il a été condamné à 20 ans de prison et à une amende d'un milliard de francs CFA. Il est toujours en détention aujourd'hui.

Au lieu de tirer les leçons de l'Histoire, les dirigeants tchadiens réécrivent et répètent les mêmes erreurs qui ont maintenu le pays emprisonné dans un cycle d'autoritarisme, a déclaré Human Rights Watch.

Ce n'est pas la première fois que le Tchad supprime la limitation du nombre de mandats. Feu Idriss Déby Itno avait supprimé cette limitation en 2005, lui permettant de rester au pouvoir jusqu'à sa mort. En 2018, la limitation à deux mandats avait été rétablie, mais avec une augmentation de la durée de chaque mandat de cinq à six ans. Le défunt président avait été autorisé à se présenter à ces deux mandats supplémentaires jusqu'à sa mort. La décision de son fils de supprimer à nouveau la limitation, sept ans seulement après son rétablissement, souligne à quel point la manipulation constitutionnelle est devenue un outil de maintien d’emprise sur le pouvoir.

Les autorités tchadiennes devraient envisager de rétablir la limitation du nombre de mandats présidentiels et veiller à ce que tout processus de réforme constitutionnelle soit transparent et inclusif. Les dirigeants de l'opposition qui ont boycotté le vote parlementaire ont demandé la tenue d'un référendum afin de s'assurer du soutien populaire de ces changements. Un référendum similaire avait été organisé en 2023 pour approuver une nouvelle constitution, mettant fin au régime militaire.

Les autorités devraient également mettre immédiatement fin aux poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques, libérer les dirigeants de l'opposition politique tels que Succès Masra et garantir la liberté d'expression et de réunion.

« La répression est devenue monnaie courante au Tchad et aujourd'hui, la Constitution elle-même est en train d'être réécrite afin de restreindre davantage les droits des citoyens », a conclu Lewis Mudge. « En l'absence de mécanisme crédible de passation démocratique du pouvoir, d'autres institutions telles que le Parlement, le pouvoir judiciaire et la presse perdent leur capacité à exercer un contrôle efficace sur le pouvoir exécutif. »

15.10.2025 à 21:18

Yémen : Arrestation d'un avocat défenseur des droits humains

Human Rights Watch
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Click to expand Image L'avocat yéménite Abdulmajeed Sabra. © Privé

(Beyrouth) – Le 25 septembre, les autorités houthies au Yémen ont arrêté Abdulmajeed Sabra, un avocat défenseur des droits humains qui avait publié sur les réseaux sociaux un message commémorant une fête nationale d’indépendance à laquelle s'opposent les Houthis ; les autorités devraient le libérer immédiatement, ont déclaré aujourd'hui 17 organisations non gouvernementales, dont Human Rights Watch.

Déclaration conjointe des 17 organisations :

Le 25 septembre, selon un membre de sa famille, plusieurs militaires houthis et d'autres hommes armés en tenue civile ont fait irruption dans le bureau Abdulmajeed Sabra, situé dans le quartier de Shamila dans la capitale, Sanaa ; ils l’ont arrêté et emmené vers une destination inconnue.

Selon un autre proche, ces hommes lui ont présenté un mandat d'arrêt et ont déclaré que son arrestation était due à ses publications sur les réseaux sociaux marquant l'anniversaire de la révolution du 26 septembre 1962 au Yémen, une date que les Houthis refusent de célébrer. Ils estiment que c'est plutôt la date anniversaire du 21 septembre 2014, lorsqu’ils ont pris le contrôle de la capitale, qui devrait être célébrée.

La famille d’Abdulmajeed Sabra n'a pu obtenir aucune information sur le lieu où il est détenu et n'a pas pu communiquer avec lui depuis son arrestation, ce qui est susceptible de constituer le crime de disparition forcée.

L'arrestation d’Abdulmajeed Sabra s'inscrit dans le cadre d'une vague d'arrestations de personnes commémorant publiquement l'anniversaire du 26 septembre 1962. Des sources crédibles ont rapporté que les Houthis ont procédé à une vague d'arrestations et détenu des dizaines de personnes dans les gouvernorats du nord du Yémen, pour avoir célébré pacifiquement ou publié sur les réseaux sociaux des contenus liés à l'anniversaire du 26 septembre.

Abdulmajeed Sabra est l'un des principaux avocats ayant travaillé sans relâche pour défendre les personnes détenues après avoir tenté d’exercer pacifiquement leurs droits au Yémen. Il utilise sa page Facebook pour exprimer ses opinions personnelles, défendre les droits des Yéménites et publier des informations au sujet des affaires sur lesquelles il travaille.

Les organisations non gouvernementales soussignées appellent les autorités houthies au Yémen à :

Libérer immédiatement et sans condition l'avocat défenseur des droits humains Abdulmajeed Sabra, ainsi que toutes les autres personnes détenues uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains, notamment leurs droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association ;Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes qui sont toujours détenues de manière arbitraire, y compris les dizaines de membres du personnel des Nations Unies et de la société civile arrêtés et soumis à des disparitions forcées en 2024 et 2025 ;Respecter et défendre les droits humains de chaque personne, y compris les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique, ainsi que la liberté des médias ; etVeiller à ce que les défenseurs des droits humains, les journalistes, les blogueurs, les universitaires et les activistes utilisant l’Internet puissent travailler et s'exprimer librement, sans crainte de représailles ni de harcèlement judiciaire.

Organisations signataires :

Amnesty InternationalCairo Institute for Human Rights StudiesCIVICUSDemocracy for the Arab World Now (DAWN)Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humainsFront Line DefendersGulf Centre for Human Rights (GCHR)Human Rights First (HRF)Human Rights Watch (HRW)HuMENA for Human Rights and Civic EngagementIFEXInternational Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI)International Service for Human Rights (ISHR)MENA Rights GroupMwatana for Human RightsOrganisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humainsYemeni Archive

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15.10.2025 à 17:00

Maroc : Répression violente de manifestations

Human Rights Watch
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Click to expand Image Des membres des forces de sécurité avançaient devant un véhicule utilisant un canon à eau pour disperser des jeunes manifestants réclamant des réformes des soins de santé et de l'éducation, à Salé, au Maroc, le 1er octobre 2025.  © 2025 Mosa'ab Elshamy/AP Photo

(Beyrouth) — Les autorités marocaines ont violemment réprimé des manifestations organisées par un collectif de jeunes appelant à de vastes réformes des services publics, ce qui a entraîné des décès et des arrestations massives, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient plutôt écouter les appels des manifestants et respecter les droits aux soins de santé et à l’éducation, ainsi que le droit de manifester pacifiquement. Elles devraient également enquêter sur le recours par la Gendarmerie royale à la force létale, et sur les autres allégations d’abus généralisés commis par les forces de sécurité publique à l’encontre des manifestants.

Des manifestations d’ampleur nationale ont éclaté le 27 septembre ; des représentants du mouvement de jeunesse GenZ 212 ont exhorté les Marocains à descendre pacifiquement dans la rue, afin d'exiger une augmentation des dépenses consacrées aux systèmes publics de soins de santé et d’éducation, ainsi que la fin de la corruption. Les manifestants ont critiqué les dépenses publiques consacrées aux méga-événements sportifs que le pays s’apprête à accueillir, tels que la Coupe du monde de la FIFA 2030.

Certains manifestants ont endommagé des biens privés et publics. La police et la Gendarmerie royale ont réagi en interdisant les manifestations et en dispersant les manifestants par la force, y compris par la force létale. Trois personnes ont été tuées et douze blessées. Près de 1 000 personnes ont été arrêtées et au moins 270 manifestants, dont 39 mineurs, ont été traduits en justice, dont certains sont toujours en détention. Certains tribunaux ont condamné les manifestants à des peines de prison et à des amendes.

« Des jeunes Marocains expriment leur mécontentement face à l’état des soins de santé et de l’éducation dans le pays », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait tenir compte des appels des manifestants, et remplacer ses tactiques répressives par un dialogue public et des réformes de grande envergure. »

Les carences du système de santé marocain, amplifiées par la mort récente de plusieurs femmes enceintes au sein d’un hôpital public d’Agadir, ont contribué à attiser la colère et à susciter des manifestations. Pendant ce temps, le Maroc se prépare à accueillir la Coupe d’Afrique des Nations en décembre 2025 et à co-organiser la Coupe du monde de la FIFA de 2030, ce qui engendrerait cinq milliards de dollars de dépenses destinées à la construction de stades, de complexes sportifs, de transports publics et de logements.

Des manifestations largement pacifiques ont débuté le 27 septembre dans au moins 11 villes, notamment à Rabat, Casablanca, Tanger, Salé, Agadir, Marrakech, Sidi Taïbi et Inezgane.

Human Rights Watch a géolocalisé une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 1er octobre, où l’on voit une camionnette des forces de sécurité de couleur sombre fonçant sur des manifestants dans un rond-point à Oujda, dans la nuit du 30 septembre, avant de repartir. Une autre vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 1er octobre et géolocalisée par les chercheurs montre une camionnette des forces de sécurité de couleur sombre fonçant sur un groupe de manifestants à environ 350 mètres du rond-point d’Oujda, écrasant un homme contre un mur avant de faire marche arrière et de repartir. Selon les informations recueillies, les voitures des forces de sécurité utilisées pour percuter les manifestants ont blessé au moins deux personnes à Oujda cette nuit-là, dont Wassim Eltaibi, 17 ans, dont la mère a déclaré aux journalistes qu’il avait besoin de soins médicaux urgents, et Amine Boussaada, 19 ans, dont le père a déclaré qu’il avait été amputé de la jambe gauche.

Le 1er octobre, la Gendarmerie royale a fait usage de la force létale pour réprimer des manifestations qui avaient dégénéré devant un poste de gendarmerie à Lqliâa, dans la préfecture d’Agadir, tuant apparemment trois hommes et blessant d’autres personnes, dont un enfant. Parmi les personnes tuées figurent Abdessamade Oubalat, un étudiant en cinéma de 22 ans, ainsi qu’un homme de 25 ans. Dans une déclaration télévisée du 2 octobre, un porte‑parole du ministère de l’Intérieur a cherché à justifier le recours à la force létale, affirmant que les manifestants avaient utilisé des pierres et, semble-t-il, des couteaux comme armes. Il a déclaré que les forces armées avaient d’abord utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule, puis fait usage de leurs armes à feu « en situation de légitime défense ». 

Human Rights Watch a analysé et géolocalisé une série de vidéos des événements s’étant produits à Lqliâa, publiées sur les réseaux sociaux le 2 octobre. 

Des images de vidéosurveillance filmées à l’extérieur du poste de gendarmerie et horodatées à 21 h 28 montrent des dizaines de manifestants jetant de grosses pierres, défonçant la porte d’entrée et allumant des feux. La vidéo diffusée en ligne constitue un montage d’extraits de vidéos de surveillance. Un homme en uniforme à l’intérieur du poste tire avec une arme en direction des manifestants. Cette vidéo est horodatée à 21h34. 

Les images montrent également l’utilisation de gaz lacrymogène à l’extérieur une minute plus tard, mais Human Rights Watch n’a pas pu déterminer de manière concluante si les autorités avaient utilisé le gaz lacrymogène avant la force meurtrière, comme elles l’ont affirmé. Une vidéo montrait un homme gravement blessé, ou peut-être mort, allongé à environ 70 mètres de l’entrée, avec une blessure ensanglantée dans le dos, mais Human Rights Watch n’a pas pu déterminer de manière concluante s’il avait reçu une balle dans le dos.

Les autorités marocaines devraient mener de toute urgence une enquête transparente sur les événements de Lqliâa et sur l’assassinat présumé de trois hommes, et demander des comptes à tout membre de la gendarmerie jugé responsable d’actes répréhensibles, a déclaré Human Rights Watch. 

Les manifestations nationales du 1er octobre ont également fait 354 blessés, dont 326 membres de la sécurité publique, et endommagé 271 de leurs véhicules et 175 véhicules privés, selon un porte-parole du ministère de l’Intérieur. 

Le 2 octobre, de violents affrontements ont éclaté à Marrakech entre la police et les manifestants, qui auraient endommagé trois agences bancaires. Les autorités ont arrêté des dizaines de personnes.

Des poursuites sont en cours contre les manifestants. Le 4 octobre, le tribunal de première instance d’Agadir aurait condamné un homme à quatre ans de prison et à une amende de 50 000 dirhams (environ 5 400 dollars) pour « incitation à des délits et crimes mineurs par la voie des réseaux sociaux ». Le 8 octobre, la Cour d’appel d’Agadir aurait condamné un homme à 10 ans de prison pour son rôle supposé dans la destruction de biens publics lors des événements de Lqliâa, ainsi que pour des violences qu’il aurait commises contre les forces de sécurité. Le 9 octobre, la Cour d’appel de Silla aurait condamné plusieurs accusés à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour de supposés « actes de vandalisme ».

Les manifestations de la GenZ 212 font suite aux manifestations de la génération Z qui ont eu lieu à Madagascar, en Indonésie, au Kenya, au Népal, au Pérou et aux Philippines. Les appels des manifestants font écho à des griefs de longue date, un tiers des jeunes Marocains étant confrontés au chômage, ainsi qu’à des systèmes d’éducation publique et de santé de mauvaise qualité et à des filets de sécurité sociale insuffisants. 

En 2022, les dépenses publiques de soins de santé du Maroc ne représentaient que 2,3 % de son PIB, soit moins de la moitié du pourcentage de référence international, qui s’établit à 5 % au moins, selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé. Dans le cadre de la Déclaration d’Abuja de 2001, le Maroc a également pris des engagements clairs à consacrer au moins 15 % de son budget national à la promotion de la santé, mais moins de la moitié de cette somme a été dépensée en 2022. La loi-cadre sur le système de protection sociale de 2021 du Maroc visait à combler les lacunes en matière de protection sociale, mais près de la moitié des 38 millions d’habitants du pays ne bénéficient pas d’une couverture de soins de santé. 

Les dépenses publiques destinées à l’éducation au Maroc, à l’exclusion du territoire du Sahara occidental qu’il occupe, ont atteint 6 % de son PIB en 2023, pourcentage conforme aux recommandations en matière de dépenses publiques pour l’éducation. Cependant, en 2022, moins de 20 % des adolescents avaient atteint les compétences minimales en lecture et en mathématiques et les taux d’alphabétisation des adultes et des jeunes stagnaient à 77 %.

Dans un discours prononcé le 10 octobre, le roi du Maroc Mohamed VI a déclaré que « la création d’emplois pour les jeunes et l’amélioration concrète des secteurs de l’éducation et de la santé » étaient des priorités, sans mentionner les manifestations des jeunes ni les mesures que le gouvernement prendrait pour atteindre ces objectifs. 

Le Maroc devrait adopter une approche des droits de l’homme qui mette l’accent sur la distribution équitable des ressources pour réaliser des droits tels que l’accès universel à des soins de santé de qualité, à l’éducation et à la sécurité sociale, en vertu du droit international des droits de l’homme, et veiller à ce que la population reçoive un salaire décent, a déclaré Human Rights Watch. La Constitution de 2011 du pays garantit « le droit aux soins de santé, à la protection sociale, à l’éducation, à un logement décent [et] au travail ». 

En vertu de la législation sur les droits humains, les gouvernements et les institutions financières internationales qui les soutiennent sont tenus d’apporter une réponse aux crises économiques en mettant tout en œuvre pour protéger et faire progresser les droits. Ils devraient veiller à ce que les réformes proposées, notamment en matière de politique fiscale et de dépenses publiques, respectent au mieux les droits économiques, sociaux et culturels des citoyens.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Maroc est un État partie, consacre les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Toute intervention des forces de l’ordre lors de manifestations devrait respecter les normes internationales. Les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois disposent que les forces de sécurité doivent utiliser des moyens non violents avant de recourir à la force. Lorsque cela est nécessaire à des fins légitimes de maintien de l’ordre au cours d’un rassemblement, seule la force minimale nécessaire peut être utilisée. L’utilisation intentionnelle d’armes à feu à des fins létales ne peut avoir lieu que lorsqu’elle est strictement inévitable pour protéger la vie. 

Correction du 10 octobre 2024 : Le communiqué de presse a été mis à jour afin d'indiquer que certaines des personnes arrêtées par la police et la Gendarmerie royale, et non toutes, sont toujours en détention.

« Les jeunes Marocains réclament clairement de meilleurs soins de santé, une meilleure éducation et la fin de la corruption », a conclu Hanan Salah. « Si le gouvernement peut financer des stades de football ultramodernes, il peut aussi financer son système de santé, et les personnes qui réclament une chance équitable pour leur avenir ne devraient pas être confrontées à la force létale et à la répression. »

15.10.2025 à 06:00

Brésil : Des ranchs illégaux dévastent la forêt tropicale et des moyens de subsistance

Human Rights Watch
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Play Video L’élevage illégal de bétail a dévasté les territoires de petits propriétaires terriens et de communautés autochtones dans la région de l’Amazonie où se tiendra cette année la COP30, le sommet sur le climat.Malgré ses engagements de longue date, l’entreprise JBS, principal producteur de viande dans le monde, ne dispose pas de système de traçage de ses fournisseurs indirects de bétail ; l’entreprise s’est donc peut-être approvisionnée en bétail provenant d’élevages illégaux dans les territoires concernés.Le gouvernement brésilien devrait démanteler les ranchs pratiquant l’élevage illégal de bétail dans cette région, et JBS devrait respecter ses engagements et remédier aux abus auxquels elle a pu contribuer, même involontairement.

(São Paulo) – L’élevage illégal de bétail dans l’État brésilien du Pará, qui accueillera cette année le sommet sur le climat COP30, y a dévasté les territoires de petits agriculteurs et de communautés autochtones, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. L’entreprise brésilienne JBS, principal producteur de viande dans le monde, a peut-être exporté vers l’Union européenne du bœuf et des cuirs provenant de bétail élevé dans des ranchs illégaux de cette région.

15 octobre 2025 Tainted

Le rapport de 86 pages, intitulé « Tainted: JBS and the EU’s Exposure to Human Rights Violations and Illegal Deforestation in Pará, Brazil » (« Un processus terni : JBS et l’exposition de l’UE aux violations des droits humains et à la déforestation illégale dans l’État du Pará, au Brésil ») détaille comment des éleveurs de bétail ont illégalement saisi des terres et détruit les moyens de subsistance des habitants légitimes de la petite colonie agricole de Terra Nossa et du territoire autochtone de Cachoeira Seca, portant atteinte à leurs droits au logement, à la terre et à la culture. L’analyse de sources officielles réalisée par Human Rights Watch montre que des ranchs illégaux de ces régions ont vendu du bétail à plusieurs fournisseurs directs de JBS.

« L’entreprise JBS ne dispose toujours pas d’un système de traçage de ses fournisseurs indirects de bétail, alors qu’elle s’était engagée à mettre un tel processus en place dès 2011 », a déclaré Luciana Téllez Chávez, chercheuse senior à la division Environnement et droits humains de Human Rights Watch. « Sans ce système, l’entreprise ne peut pas tenir ses engagements visant à éliminer la déforestation de sa chaîne d’approvisionnement d’ici la fin de l’année 2025. »

Click to expand Image Cleve Gonçalves da Silva, membre d’une communauté autochtone vivant sur le territoire agricole PDS Terra Nossa dans l’État de Pará, en Amazonie brésilienne, y conduisait sa moto le 11 novembre 2024. Des éleveurs de bétail ont illégalement saisi des terres dans cette zone, déboisé des parties de la forêt tropicale afin d’y établir des ranchs, et menacé les habitants qui protestaient contre ces actions.  © 2024 Thaís Farias pour Human Rights Watch

En s’appuyant sur l’analyse des permis de transport de bétail délivrés par le gouvernement régional de l’État du Pará, Human Rights Watch a identifié cinq cas dans lesquels des ranchs illégalement établis dans les territoires de Terra Nossa et de Cachoeira Seca ont fourni du bétail à d’autres ranchs situés en dehors de ces zones en principe protégées ; ces autres ranchs ont ensuite vendu le bétail à des abattoirs de JBS. Les ranchs d’élevage bovin dans les deux territoires sur lesquels Human Rights Watch a enquêté sont illégaux, au regard de la loi fédérale brésilienne.

En 2006, l’agence brésilienne chargée de la réforme agraire (Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária, INCRA), a créé la colonie rurale Terra Nossa pour des petits agriculteurs. Ce projet était conçu pour permettre à des familles d’y cultiver la terre, récolter les fruits et les noix de la forêt tropicale – qui représentait initialement 80 % des 150 000 hectares de la colonie – et vendre leurs produits sur les marchés locaux.

Des éleveurs ont toutefois empiété illégalement sur Terra Nossa. Ils ont violemment riposté contre les personnes qui s’opposaient à eux. En 2023, 45,3 % de ce territoire avait été converti en pâturages.

À partir de 2016, l’agence chargée de la réforme agraire a inspecté la colonie Terra Nossa et a finalement constaté que 78,5 % de celle-ci était illégalement occupée. Pendant des années pourtant, elle n’a pris aucune mesure pour expulser les éleveurs illégaux. L’agence examine actuellement un plan qui consisterait à diviser ce territoire et à réviser son statut, ce qui aurait toutefois probablement pour effet de maintenir l’impunité des auteurs de crimes environnementaux.

À Cachoeira Seca, le peuple autochtone Arara dépend de la forêt tropicale qui couvre une partie de son territoire de 733 000 hectares. Le gouvernement fédéral est légalement tenu d’expulser les occupants non autochtones. Mais au lieu de cela, des éleveurs se sont installés pour y exploiter d’autres ranchs illégaux, ce qui réduit la quantité de gibier et de produits forestiers disponibles, restreint la liberté de mouvement des peuples autochtones sur leur propre territoire et porte atteinte à leurs droits culturels. Parmi les territoires autochtones de l’Amazonie brésilienne, Cachoeira Seca a enregistré en 2024 la plus grande superficie déboisée.

Déforestation dans l'État de Pará, au Brésil

 

2000: © 2025 Human Rights Watch 2024: © 2025 Human Rights Watch

Carte montrant le déboisement progressif (via le curseur rouge) de la forêt amazonienne dans l'État de Pará, au Brésil, entre 2000 et 2024.

L’entreprise JBS ne procède pas à un traçage systématique de ses fournisseurs indirects, et n’est donc pas en mesure de garantir que sa chaîne d’approvisionnement n’inclut pas du bétail lié à des pratiques illégales, a déclaré Human Rights Watch. Le Brésil ne dispose pas au niveau fédéral d’une règlementation obligeant le traçage individuel des bovins transportés d’un ranch à l’autre.

Dans ses échanges de courrier avec Human Rights Watch, l’entreprise JBS a soutenu qu’elle vérifiait que les exploitations agricoles de ses fournisseurs directs respectaient sa politique d’approvisionnement. L’entreprise a également déclaré qu’à compter du 1er janvier 2026, ses fournisseurs directs seraient tenus de divulguer des informations sur leurs fournisseurs sous-traitants.

Le gouvernement de l’État du Pará a annoncé qu’il mettrait en place un système de traçabilité individuelle du bétail d’ici 2026, et des responsables ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils cesseraient de manière générale de délivrer des permis pour le déplacement du bétail dans les forêts protégées. Le gouvernement fédéral a annoncé un plan visant à mettre en œuvre un système national de traçabilité individuelle du bétail d’ici 2032. Compte tenu de la dynamique transfrontalière du commerce illégal de bétail, la lenteur de la mise en œuvre du système fédéral risque toutefois d’entraver les progrès dans ce sens, a déclaré Human Rights Watch.

Les pays de l’UE devraient appliquer le Règlement sur les produits sans déforestation à compter de janvier 2026. Ce règlement interdira la mise sur le marché d européen de produits bovins provenant de terres déboisées après 2020, ou dont la production enfreindrait les lois nationales du pays d’origine. Les législateurs européens envisagent cependant de reporter d'un an l'application de ce règlement. Un tel report signifierait toutefois que des produits liés à des pratiques illégales continueraient d’affluer sur le marché européen, et remettrait en question l'engagement de l'UE à lutter contre son la déforestation à l’échelle mondiale, a observé Human Rights Watch.

Human Rights Watch a analysé des chiffres relatifs aux échanges commerciaux entre 2020 et 2025 et a constaté que l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Irlande, les Pays-Bas, et la Suède importaient du bœuf provenant des municipalités qui accueillent des installations de JBS identifiées dans le rapport de l’organisation ; l’Italie était une destination majeure pour les produits en cuir.

Le gouvernement brésilien devrait démanteler les ranchs illégaux, et exiger que les responsables de l’occupation et de l’utilisation illégales des terres versent des réparations aux communautés touchées. Le gouvernement fédéral devrait également accélérer la mise en œuvre et l’application effective d’un système de traçabilité du bétail.

L’entreprise JBS devrait prendre des mesures pour remédier à toute fraude foncière, déforestation illégale ou violation des droits humains à laquelle elle aurait pu contribuer, même involontairement, à Terra Nossa et Cachoeira Seca.

« La lutte contre la déforestation et les abus liés aux chaînes d’approvisionnement en bétail est une responsabilité qui incombe aux vendeurs ainsi qu’aux acheteurs », a conclu Luciana Téllez Chávez. « Le Brésil et l’UE devraient travailler ensemble pour protéger la forêt tropicale, et défendre les droits des communautés qui en dépendent. »

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13.10.2025 à 07:00

Liban : Obtenir justice pour les journalistes tués par les forces israéliennes

Human Rights Watch
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Click to expand Image Le journaliste libanais Issam Abdallah effectuait un reportage pour Reuters à Zaporijia, en Ukraine, le 17 avril 2022, lors d’une offensive russe. L’année suivante, le 13 octobre 2023, Issam Abdallah a été tué par une frappe israélienne alors qu’il travaillait dans le sud du Liban. © 2022 Ueslei Marcelino/Reuters

(Beyrouth) – Le 9 octobre, le gouvernement libanais a chargé le ministère de la Justice d'examiner les mesures juridiques qui pourraient être prises à l’encontre d’Israël suite aux attaques menées par les forces de ce pays contre des journalistes lors du dernier conflit ; ceci présente une nouvelle occasion de rendre justice aux victimes, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Deux ans après l'attaque apparemment délibérée menée par les forces israéliennes le 13 octobre 2023 contre des journalistes dans le sud du Liban, lors de laquelle le journaliste de Reuters Issam Abdallah a été tué, les victimes de crimes de guerre au Liban n'ont toujours pas accès à la justice, ni à la possibilité de voir les auteurs de ces crimes tenus de rendre des comptes, selon Human Rights Watch. Le nouveau gouvernement libanais, nommé en février 2025, n'a toujours pas pris de mesures significatives pour faire progresser l’obligation de rendre des comptes.

« Le meurtre apparemment délibéré d'Issam Abdallah par Israël aurait dû servir de message clair au gouvernement libanais : l'impunité pour les crimes de guerre engendre davantage de crimes de guerre », a déclaré Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban à Human Rights Watch. « Toutefois, depuis le meurtre d'Issam Abdallah, des dizaines d'autres civils ont été tués au Liban lors d'attaques apparemment délibérées ou indiscriminées ayant violé les lois de la guerre et constitué des crimes de guerre. »

Depuis l’attaque du 13 octobre 2023 au Liban, selon Reporters sans frontières, les forces israéliennes ont tué plus de 200 journalistes à Gaza, dont beaucoup délibérément. Récemment, les forces israéliennes ont également mené une frappe contre un centre médiatique à Sanaa, au Yémen tuant 31 journalistes et professionnels des médias, selon le Comité pour la protection des journalistes.

Au Liban, Human Rights Watch a documenté une série d'attaques illégales et de crimes de guerre apparents commis par l'armée israélienne pendant les hostilités, y compris d'autres attaques apparemment délibérées contre des journalistes, ainsi que contre des Casques bleus de l’ONU, des secouristes et des structures civiles. La démolition délibérée par Israël de maisons civiles, la destruction de vastes portions d'infrastructures civiles et de services publics essentiels, ainsi que son utilisation d'armes explosives dans des zones peuplées ont empêché de nombreux habitants de retourner dans leurs villages et leurs maisons.

Human Rights Watch a également documenté l'utilisation généralisée par l'armée israélienne de phosphore blanc, y compris de manière illégale au-dessus de zones résidentielles densément peuplées, la destruction et le pillage d'écoles de manière apparemment délibérée, et l'utilisation illégale de dispositifs piégés. Human Rights Watch a également constaté que le Hezbollah n'avait pas pris les précautions nécessaires pour protéger les civils lors de ses attaques contre le nord d'Israël entre septembre et novembre 2024, lançant des armes explosives dans des zones peuplées et omettant d'avertir efficacement les civils des attaques.

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Human Rights Watch a constaté que les frappes israéliennes qui ont tué Issam Abdallah et blessé six autres journalistes d'Al-Jazeera, de Reuters et de l'AFP constituaient apparemment une attaque délibérée contre des civils et donc un crime de guerre. Une enquête menée par la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) a conclu qu'un char israélien avait tiré deux obus de 120 mm sur ce groupe de « journalistes clairement identifiables », dont Issam Abdallah, en violation du droit international. Les enquêteurs ont déclaré que le personnel de la FINUL n'avait enregistré aucun échange de tirs à la frontière entre Israël et le Liban pendant plus de 40 minutes avant que le char israélien Merkava n'ouvre le feu.

Les journalistes se trouvaient loin des hostilités en cours, étaient clairement identifiables comme membres des médias et étaient restés immobiles pendant au m oins 75 minutes avant d'être touchés par deux frappes consécutives. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve de la présence d'une cible militaire à proximité de l'endroit où se trouvaient les journalistes. Les preuves examinées par Human Rights Watch indiquent en outre que l'armée israélienne savait ou aurait dû savoir que le groupe de personnes sur lequel elle tirait était composé de civils.

En janvier et février 2025, l'armée israélienne s'est retirée de la plupart des villages et villes frontaliers du sud du Liban qu'elle occupait depuis fin 2024, mais ses forces sont restées stationnées sur le territoire libanais dans au moins cinq endroits. La Banque mondiale a évalué le « coût économique » des hostilités au Liban a près de 14 milliards de dollars US, dont 6,8 milliards de dollars de dommages matériels. Plusieurs villes et villages frontaliers ont été réduits en ruines et, en mai 2025, plus de 80 000 personnes étaient déplacées a l’intérieur du pays.

Le Liban n'a pas encore pleinement intégré les crimes internationaux ou les violations du droit de la guerre dans son cadre juridique national. Le 10 octobre, suite à sa visite au Liban, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Morris Tidball-Binz, a appelé les autorités libanaises à « signaler et, le cas échéant, poursuivre les comportements pouvant constituer des crimes internationaux, conformément aux obligations du Liban en vertu du droit international des droits humains et, le cas échéant, du droit international humanitaire ».

Bien qu'un cessez-le-feu soit entré en vigueur entre Israël et le Hezbollah le 27 novembre 2024, au moins 103 civils ont été tués au Liban au cours des dix mois qui ont suivi l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.

En mars 2024, le gouvernement libanais de l'époque avait annoncé sa décision d'accorder à la Cour pénale internationale (CPI) la compétence pour juger les crimes commis sur le territoire libanais depuis le 7 octobre 2023 ; toutefois, le gouvernement est revenu sur cette décision, un peu plus d'un mois plus tard. Les autorités judiciaires libanaises devraient ouvrir des enquêtes nationales sur les attaques illégales ; le gouvernement devrait aussi adhérer au Statut de Rome de la CPI et soumettre une déclaration acceptant la compétence de la Cour avant la date d'adhésion, y compris depuis au moins le 7 octobre 2023, selon Human Rights Watch.

« Le gouvernement libanais peut et doit honorer les demandes de justice des victimes en permettant l'ouverture d'enquêtes sur les attaques illégales et les crimes de guerre qui ont causé des dommages et des souffrances indicibles », a conclu Ramzi Kaiss.

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OLJ  

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