18.06.2025 à 06:00
(Nairobi) – Le groupe armé M23 contrôlé par le Rwanda a déporté plus de 1 500 personnes de l’est de la République démocratique du Congo occupée vers le Rwanda, en violation des Conventions de Genève de 1949, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement rwandais et le M23 devraient immédiatement mettre fin aux transferts forcés de citoyens congolais et de réfugiés rwandais, qui constituent des crimes de guerre.
Le soutien militaire, logistique ou d’une autre nature apporté par le Rwanda au M23 a été essentiel pour sa prise de Goma et de Bukavu, les capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu respectivement, des forces congolaises au début de l’année 2025. En février, le M23 a ordonné à plusieurs centaines de milliers de personnes de quitter les camps de déplacés autour de Goma et a démantelé pratiquement tous les camps. En mai, le M23 a rassemblé des personnes déplacées et les a transférées à Goma, d’où nombre d’entre elles ont ensuite été illégalement déportées vers le Rwanda avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
« Le transfert forcé de civils vers le Rwanda, qu’il s’agisse de citoyens congolais ou de réfugiés rwandais, est un crime de guerre en vertu des Conventions de Genève », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. « En raison du contrôle qu’il exerce sur le M23 dans l’est de la RD Congo, le Rwanda est en fin de compte responsable des nombreux abus commis par ce groupe armé. »
Le contrôle effectif exercé par le Rwanda sur des zones de l’est de la RD Congo, par le biais de ses propres forces armées et du M23 semble répondre aux critères d’une occupation belligérante aux termes des normes du droit international humanitaire. L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit, en tant que crime de guerre, les transferts forcés à l’intérieur d’un pays ainsi que les déportations hors du territoire occupé et vers d’autres pays, quel qu’en soit le motif. Le 9 juin, Human Rights Watch a écrit aux autorités rwandaises, en leur exposant ses conclusions, mais n’a pas reçu de réponse.
De février à mai, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 14 personnes qui ont été contraintes de quitter les camps de déplacés près de Goma après leur démantèlement ordonné par le M23, dont 8 personnes qui ont été transférées de force à Goma en mai.
Le 12 mai, le M23 a rassemblé près de 2 000 personnes de la ville de Sake, située à 25 kilomètres à l’ouest de Goma, et les a transférées de force à Goma, d’où beaucoup ont ensuite été déportées vers le Rwanda. Cela semblait faire partie d’une opération plus large du M23 menée contre des membres présumés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais à majorité hutue, dont certains dirigeants ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda. Un grand nombre des personnes à Sake étaient originaires de Karenga, dans le territoire de Masisi, qui est considéré comme un bastion des FDLR.
Click to expand Image Carte chronologique des déplacements de civils entre Karenga et les villages environnants, Sake, Goma et le Rwanda. Graphique © Human Rights WatchLes responsables du M23 se sont servis du centre de transit appelé Centre Chrétien du Lac Kivu (CCLK), qui tire son nom de son emplacement à Goma, pour déporter des personnes vers le Rwanda. Entre le 17 et le 19 mai, plusieurs convois ont quitté le centre de transit pour se rendre au Rwanda. Le HCR utilise en général le CCLK pour les rapatriements volontaires de réfugiés au Rwanda. Cependant, huit personnes présentes au centre ont indiqué que des citoyens congolais et des réfugiés rwandais figuraient parmi les personnes déportées contre leur volonté. Beaucoup ont fait part de leur crainte d’être victimes d’abus au Rwanda. Le M23 a déployé des forces autour du centre pour empêcher les personnes de s’échapper.
Certaines des personnes déportées se sont exprimées dans les médias pour critiquer la manière dont elles ont été transférées de force au Rwanda. Depuis longtemps, les autorités rwandaises prennent pour cible ceux qui critiquent publiquement le gouvernement, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile sous la protection du HCR. Le HCR devrait prendre des mesures pour garantir la sécurité des personnes déportées vers le Rwanda. Human Rights Watch n'a pas pu communiquer avec les personnes déportées du centre de transit depuis leur transfert vers le Rwanda.
Le HCR a écrit à Human Rights Watch le 27 mai, indiquant que « 1 600 [réfugiés rwandais] ont été amenés au centre de transit CCLK à Goma à la suite d'opérations de bouclage et de fouilles menées par les autorités de facto », que le contrôle effectué par le HCR « a été réalisé sous pression » et que, pour ce groupe, le retour au Rwanda « était la seule option possible ».
En vertu des Conventions de Genève, le transfert doit être « forcé », tout comme la déportation, pour constituer un crime de guerre. Le consentement au déplacement doit être volontaire, et ne pas être donné dans des conditions de coercition. Un transfert n’est pas volontaire dès lors que les personnes consentent ou cherchent à être transférées uniquement pour échapper au risque d’abus si elles restent.
Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé que son bureau renouvellerait les efforts d’enquête en RD Congo en se concentrant sur les crimes commis dans le Nord-Kivu depuis janvier 2022. La CPI est habilitée à poursuivre les auteurs du crime de guerre de « déportation ou transfert [par la puissance occupante] à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire », ainsi que les auteurs du crime contre l’humanité de « déportation ou transfert forcé de population ».
« Le gouvernement rwandais et le M23 commettent des crimes de guerre en transférant de force des personnes au sein des territoires occupés et en les déportant vers le Rwanda », a conclu Clémentine de Montjoye. « Une pression internationale concertée sur le Rwanda est nécessaire pour mettre fin immédiatement aux déportations, garantir la sécurité de toutes les personnes dans les zones occupées et traduire en justice les responsables d’abus. »
Pour de plus amples détails sur les déportations, veuillez lire la suite.
Les personnes transférées
Depuis la résurgence du M23 à la fin de l’année 2021, les forces armées congolaises et rwandaises, ainsi que les groupes armés qu’elles soutiennent, ont déplacé des centaines de milliers de personnes dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, souvent à plusieurs reprises sur des périodes prolongées. Les combattants ont forcé les civils à quitter leurs maisons et leurs terres, ont pillé leurs biens et les ont punis pour leur collaboration présumée avec des groupes ennemis. Beaucoup de personnes déplacées à l’intérieur du pays qui vivaient dans des camps autour de Goma avant que le M23 ne s’empare de la ville avaient fui les abus commis par les deux parties belligérantes, notamment des meurtres, des viols, des incendies de biens, des pillages, ainsi que du recrutement et du travail forcé.
Le 24 février à Karenga, un chef local accompagné de combattants armés du M23 a donné l’ordre aux habitants originaires de Karenga, Tuonane et Mugando, près du parc national des Virunga, de partir dès le lendemain. Nombre d’entre eux ont alors cherché refuge dans des écoles et d’autres endroits dans la ville voisine de Sake.
« Ils nous ont chassés de Karenga en disant que ceux qui refuseraient [de partir] “recevront une balle” », a raconté une femme de 25 ans interrogée par Human Rights Watch. Un homme de 36 ans a indiqué que le chef « nous a dit que ceux qui ont besoin d’une explication devaient se rendre à Kitchanga [une ville stratégique sous le contrôle du M23] pour poser la question aux autorités là-bas. Il a aussi dit que la Croix-Rouge ramassera le corps de toute personne trouvée dans le village après la date butoir. »
De nombreuses personnes déplacées avec qui Human Rights Watch s’est entretenu qui sont retournées à Karenga en février avaient fui avant la prise de contrôle de la zone par le M23 en novembre 2023. Le M23 n’a fourni aucune raison concernant l’expulsion de la population, mais certaines sources estiment que la décision était liée à la présence de membres présumés des FDLR dans la zone. Les personnes interrogées ont indiqué que, même si certaines des personnes précédemment déplacées de Karenga étaient d’origine rwandaise, beaucoup étaient des citoyens congolais ou avaient vécu au Congo toute leur vie.
Parmi les personnes déplacées de force depuis Sake, le M23 a transféré certains hommes – et plus tard leurs proches – au Stade de l’Unité à Goma. Le porte-parole militaire du M23, Willy Ngoma, a présenté aux médias 181 hommes dans le stade, les qualifiant de « sujets rwandais », alors qu’ils avaient des papiers congolais. Des témoins ont raconté que le M23 a brûlé les cartes d’électeur congolaises – qui constituent la principale forme d’identification en RD Congo – et a ordonné aux personnes perçues comme étant d’origine rwandaise de retourner au Rwanda.
La citoyenneté congolaise est difficile à établir en raison de l’absence d’un système d’identification national fonctionnel et de décennies de mouvements de population transfrontaliers – provoqués à la fois par les conflits et les opportunités économiques – entre la RD Congo et le Rwanda. La carte d’électeur est le seul document d’identification disponible pour de nombreuses personnes, à condition qu’elles soient inscrites sur les listes électorales et en âge de voter. Au stade, le M23 a accusé des personnes d’être en possession de cartes « falsifiées », rejetant de fait leur citoyenneté congolaise, d’après des reportages des médias et des récits de témoins.
Le M23 a accusé des opposants présumés, souvent sans fondement, de soutenir les FDLR. Des témoins ont expliqué que, le 12 mai à Sake, le M23 a emmené au moins cinq jeunes hommes soupçonnés d’être des membres des FDLR. Au stade, le M23 a également cherché à séparer ceux perçus comme soutenant l’armée congolaise ou ses alliés : « Ceux qui ont été identifiés comme membres des FDLR ou des Wazalendo [une coalition progouvernementale de groupes armés congolais] ont été mis dans un bus, et nous ne savons pas où ils sont allés », a raconté un homme qui était présent au stade.
Déportations depuis le centre de transit CCLK
Les personnes identifiées en vue d’une déportation ont été transférées vers le centre de transit CCLK que la Commission Nationale pour les Réfugiés congolaise et le HCR utilisent pour les rapatriements de réfugiés rwandais en vertu de l’accord tripartite de 2010 sur les retours volontaires conclu entre le HCR, le Rwanda et la RD Congo.
L’accord tripartite fixe les conditions du retour volontaire des réfugiés congolais au Rwanda et des réfugiés rwandais en RD Congo. D’après les lignes directrices du HCR, les réfugiés et les demandeurs d’asile n’ont pas besoin d’indiquer explicitement qu’ils ont été contraints au retour pour que le HCR conclue que leur rapatriement est involontaire.
Le HCR a indiqué dans sa réponse à Human Rights Watch que les rapatriements de réfugiés « doivent être volontaires, sûrs et effectués dans la dignité » pour être conformes au principe de non-refoulement, soit l’interdiction légale internationale de renvoyer des personnes vers des risques de persécution, de torture ou d’autres préjudices graves.
Mais les personnes au centre ont déclaré que, même si les agents du HCR les avaient interrogées sur leurs origines, le HCR ne leur avait pas laissé le choix concernant leur transfert au Rwanda. Une femme congolaise a expliqué : « [Le HCR] fait ce qu’il veut de nous. Nous n’avons pas le choix. »
Le 22 mai, le HCR a publié une déclaration affirmant qu’il surveillait et était impliqué dans « l’évolution de la situation concernant le groupe d’individus » au centre de transit ainsi que « plus de 1 700 réfugiés » de retour au Rwanda. Cependant, il ressort des entretiens menés par Human Rights Watch que certaines personnes conduites de force au centre puis expulsées vers le Rwanda n’étaient pas des réfugiés rwandais enregistrés.
Trois citoyens congolais ont expliqué que, le 27 mai, le HCR avait reconduit 74 personnes – principalement des femmes et des enfants – à Sake après avoir confirmé qu’ils étaient des ressortissants congolais. Ils ont ajouté que certains Congolais au centre de transit n’ont pas pu prouver leur identité parce que le M23 avait brûlé leurs papiers et que ces personnes ont ensuite été transférées de force au Rwanda. « Des gens de Karenga que je connais, qui sont des Congolais, ont été envoyés au Rwanda », a raconté un homme qui a été reconduit à Sake. « D’autres ont accepté de partir parce qu’ils avaient peur du M23. Le M23 a brûlé ma carte d’électeur... Je ne peux plus quitter Sake maintenant. Si on m’arrête, je serai accusé de faire partie des FDLR. »
Le 17 mai, le ministre rwandais des Affaires étrangères a déclaré que les réfugiés rapatriés avaient été précédemment pris en otage par les FDLR, dans une tentative apparente de justifier les déportations. Le ministère de l’Intérieur de la RD Congo a contesté cette affirmation.
Occupation de l’est de la RD Congo par le Rwanda
Le déploiement par le Rwanda de près de 9 000 soldats dans l’est de la RD Congo au plus fort de l’offensive du M23 en janvier et février et son contrôle global apparent du M23, les autorités de facto, indiquent que le Rwanda est une puissance occupante en vertu du droit international humanitaire. Des témoins d’incidents, des reportages dans les médias et des sources des Nations Unies et militaires ont déclaré que du personnel militaire rwandais avait dirigé et mené des opérations pendant les offensives, y compris celles qui ont débouché sur la prise de Goma et de Bukavu.
Des sources militaires ont expliqué que plusieurs centaines de soldats rwandais, utilisant des armes modernes telles que des drones blindés et des mortiers guidés par GPS, ont conduit l’avancée sur Goma. Des soldats rwandais ont également commandé des patrouilles dans les territoires de Masisi et Rutshuru. Des commandants militaires rwandais étaient présents lors de la formation des recrues dans au moins deux centres d’entraînement en RD Congo, selon les dires d’anciennes recrues à Human Rights Watch. Les autorités rwandaises ont également coordonné une visite de presse dans les territoires occupés de l'est du Congo. En mai, plus de dix journalistes ont effectué un voyage de presse depuis Kigali, la capitale du Rwanda, vers Goma et le territoire de Masisi, organisé et accompagné par le personnel du Bureau du porte-parole du gouvernement rwandais, selon quatre journalistes et des messages examinés par Human Rights Watch.
Le Rwanda a également été impliqué dans des négociations de cessez-le-feu et d’autres actions pour le compte du M23. La prise de la ville de Walikale par le M23 en mars a contraint la société Alphamin Resources à suspendre ses activités à la mine de Bisie, une importante mine qui produit 6 pour cent de l’approvisionnement mondial en étain. Reuters a rapporté que les États-Unis ont directement engagé le dialogue avec les gouvernements rwandais et congolais pour obtenir des garanties concernant le retrait du M23 et pour que les forces congolaises n’attaquent pas, afin de permettre la reprise de des activités de la mine. Alphamin Resources a annoncé une reprise des opérations après le retrait du M23.
Ces actions des forces rwandaises et l’absence d’autorité congolaise dans la région semblent remplir les critères du droit international constitutifs d’une occupation belligérante de certaines parties de l’est de la RD Congo.
L’occupation en vertu du droit international
Le droit international humanitaire de l’occupation est principalement énoncé dans la Convention de La Haye de 1907, la Quatrième Convention de Genève de 1949, le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève et le droit international humanitaire coutumier.
L’Article 42 de la Convention de La Haye stipule qu’« [u]n territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. »
Le Commentaire de 2016 du Comité international de la Croix-Rouge sur l’Article 2 commun aux Conventions de Genève établit trois critères pour caractériser une occupation belligérante : la présence de forces militaires étrangères sans le consentement de l’État souverain ; la capacité de l’armée étrangère à exercer son autorité sur le territoire ; et l’incapacité connexe des autorités de l’État souverain à exercer son contrôle sur le territoire. Ces éléments ont été décrits dans des décisions de justice, des manuels militaires et des travaux universitaires comme le « test du contrôle effectif » qui vise à déterminer si une situation répond aux critères d’occupation aux termes du droit international humanitaire.
Dans le cadre du test du contrôle effectif, la force d’occupation doit contrôler en grande partie le territoire et peut déployer des troupes au besoin. Ces forces ne doivent pas nécessairement être présentes sur l’ensemble du territoire, mais doivent être en mesure d’exercer leur autorité si nécessaire. L’État souverain doit être substantiellement incapable d’exercer son autorité du fait de la présence des forces étrangères. Cependant, la simple présence de forces armées nationales ou de groupes armés s’opposant aux forces étrangères n’exclut pas l’occupation.
En outre, un contrôle effectif sur un territoire peut être exercé par des forces armées de substitution ou des groupes armés non étatiques aussi longtemps que les forces occupantes conservent un contrôle global. Ainsi, un État pourrait être considéré comme une puissance occupante lorsqu’il exerce un contrôle global sur les autorités locales de facto ou des groupes armés qui exercent eux-mêmes un contrôle effectif sur tout ou partie d’un territoire. Ce contrôle effectif indirect vise à empêcher un vide juridique découlant du fait qu’un État recoure à des substituts locaux pour se soustraire à ses obligations – notamment celles de fournir de la nourriture et des soins médicaux à la population – en vertu du droit international de l’occupation.
17.06.2025 à 17:30
Lundi, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a présenté les conclusions préliminaires effrayantes de l’enquête menée par la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur les conséquences dévastatrices du conflit armé dans l'est de la République démocratique du Congo sur les civils.
Depuis que le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, a pris le contrôle des capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, Goma et Bukavu, au début de l'année 2025, la Mission d’établissement des faits a reçu des informations faisant état d'exécutions extrajudiciaires, d'actes de torture, d’attaques contre des hôpitaux, d'enlèvements et de déplacements et de recrutements forcés commis par le M23. La Mission a également reçu des informations faisant état d'arrestations arbitraires et de disparitions forcées de partisans présumés du M23 par les services de renseignement militaires congolais, ainsi que d'exécutions sommaires, d'arrestations arbitraires, d'enlèvements et d'extorsion par la coalition Wazalendo, regroupant des groupes armés soutenus par le gouvernement congolais.
Les violences sexuelles, qui atteignaient déjà un niveau alarmant, sont utilisées « comme une forme de représailles contre certaines communautés, contre les proches des opposants présumés, et contre des membres d'autres groupes ethniques », a déclaré Volker Türk. « Près de 40 pour cent des survivants des violences sexuelles et basées sur le genre sont des enfants. »
Bon nombre de ces conclusions correspondent aux nôtres. Human Rights Watch a documenté l'exécution sommaire par le M23 d'au moins 21 civils à Goma en février. Nous avons également documenté des abus généralisés contre des civils par les Wazalendo dans le Sud-Kivu, notamment des passages à tabac, des meurtres et des extorsions, parfois basés sur des critères ethniques.
En février, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a mis en place la Mission d’établissement des faits du Haut-Commissariat aux droits de l'homme ; cette mission doit être suivie d'une Commission d'enquête indépendante chargée d'enquêter sur les abus commis par toutes les parties au conflit.
Mais Volker Türk a également annoncé lundi qu'en raison de la crise financière de l'ONU, la mise en place de la Commission d'enquête serait probablement reportée à 2026. Cela risque d’engendrer de graves lacunes en matière de protection, et constitue un revers majeur pour la documentation des abus commis dans l'est de la RD Congo, qui fait cruellement défaut, en particulier à un moment où le M23 et d’autres parties au conflit répriment de plus en plus les groupes de la société civile et les médias.
Le mandat de la Commission, qui consiste à recueillir et conserver des preuves, à identifier les responsables d'abus graves et à soutenir les efforts visant à les traduire en justice, est une étape essentielle pour mettre fin à l'impunité.
La crise financière sans précédent que traverse l'ONU n'est pas une question de calculs financiers abstraits ; elle aura un impact réel sur la vie des personnes en danger. Alors que des crimes terribles se poursuivent sans relâche dans l’est de la RD Congo, il est plus que jamais nécessaire de mener des enquêtes approfondies et d’assurer la reddition des comptes.
16.06.2025 à 07:01
(Abuja) – La plupart des gouvernements d’Afrique ont échoué régulièrement à atteindre les objectifs fixés aux niveaux mondial et régional en matière de financement d’un enseignement public de qualité, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, à l’occasion de la Journée de l’enfant africain organisée par l’Union africaine (UA).
Le thème de cette Journée pour 2025 est «Planification et budgétisation des droits de l’enfant : progrès depuis 2010 ». Or, selon les données nationales communiquées à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture (UNESCO), seulement un tiers des pays africains ont atteint les seuils qui avaient été collectivement approuvés pour le financement de l’éducation, en termes de dépenses annuelles moyennes pour la décennie 2013-2023. Cette proportion a même décliné, passant à un quart des pays, pour les années 2022 et 2023. Quatorze pays africains n’ont atteint aucun de ces seuils pendant toutes les années de la dernière décennie.
« Les chefs d’État et de gouvernement africains, ainsi que l’Union africaine, ont tous pris des engagements audacieux en faveur de l’investissement national dans l’éducation », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Mais les gouvernements ne concrétisent pas ces engagements sous forme d’un financement soutenu, et beaucoup d’entre eux ont même réduit les niveaux de dépenses ces dernières années. »
Un investissement public insuffisant dans l’éducation entrave la capacité des gouvernements africains à respecter leurs obligations légales de garantir un enseignement primaire de qualité gratuit et obligatoire pour tous et de rendre un cycle d’enseignement secondaire disponible, accessible et gratuit pour tous les enfants. Cela remet également en cause leurs engagements politiques de réalisation des objectifs de développement internationaux et ceux de l’UA, ainsi que les objectifs d’étape. Dans le cadre des Objectifs de développement durable de l’ONU, en plus de fournir au moins une année d’enseignement en école maternelle, les gouvernements africains sont tenus d’assurer que tous les enfants suivent un cycle complet d’enseignement secondaire gratuit d’ici à 2030.
En 2015, les États membres de l’UNESCO, dont 54 États africains, ont accepté d’augmenter leurs dépenses dans le domaine de l’éducation en les faisant passer à au moins 4 à 6 % de leur produit national brut (PNB) et/ou à au moins 15 à 20 % de leurs budgets globaux. Ces normes de référence internationalement agréées pour le financement de l’éducation ont été incluses dans au moins cinq déclarations ou plans d’action mondiaux ou inter-africains, dont la Déclaration d’Incheon de 2015 approuvée par tous les États membres de l’UNESCO ; la Déclaration (« Kenyatta ») des chefs d’État sur le financement national de l’éducation, approuvée par 17 chefs d’État ou de gouvernement et ministres africains ; la Déclaration de Paris de 2021 (« Appel mondial en faveur de l’investissement dans les futurs de l’éducation ») ; et la Déclaration de Fortaleza de 2024. En décembre 2024, l’UA et les chefs d’État et de gouvernement africains ont relevé, de six à sept pour cent, la limite supérieure de l’objectif en termes de part du PNB, dans la Déclaration de Nouakchott.
Les États membres de l’UNESCO ont pris l’engagement supplémentaire de consacrer au moins 10 pour cent des dépenses d’éducation à garantir au moins une année d’enseignement gratuit et obligatoire en école maternelle, d’ici à 2030. En 2024, les pays africains ont accepté d’assurer qu’une part accrue de leur dépense publique soit consacrée à l’éducation en école maternelle.
Mais en dépit de ces obligations et de ces engagements, les gouvernements se sont abstenus de supprimer les frais d’inscription et les autres frais de scolarité, en particulier aux niveaux pré-primaire et secondaire, ce qui crée une inégalité d’accès et des écoles de mauvaise qualité, dont l’impact affecte de manière disproportionnée les enfants des familles les plus pauvres. Sur tout le continent africain, les familles continuent de porter comme un fardeau une énorme part du financement de l’éducation, assurant 27 pour cent du total des dépenses dans ce domaine, selon des données de la Banque mondiale pour l’année 2021.
L’Afrique est le continent qui compte le plus grand nombre d’enfants non scolarisés, estimé à plus de 100 millions d’enfants et d’adolescents à travers toutes les sous-régions à l’exception de l’Afrique du Nord. Les taux d’enfants non scolarisés ont augmenté depuis 2015 pour des raisons diverses, notamment les hausses de populations, la persistance des différences entre les sexes, les effets cumulés des fermetures d’écoles dues à la pandémie de Covid-19, des situations d’urgence climatique et des conflits.
De nombreux enfants abandonnent aussi leurs études à cause de l’incidence des violences sexistes et des mesures discriminatoires d’exclusion prises à l’encontre des filles enceintes et mères, des réfugiés et des enfants handicapés, entre autres pratiques négatives.
Seulement 14 pays d’Afrique garantissent un accès gratuit à l’éducation, allant d’au moins une année d’enseignement pré-primaire jusqu’à la fin du cycle secondaire, selon des données de l’UNESCO et des recherches effectuées par Human Rights Watch. Seuls 21 pays garantissent un accès gratuit à 12 années d’enseignement primaire et secondaire, tandis que 6 autres garantissent l’accès à au moins une année d’enseignement pré-primaire gratuit.
Human Rights Watch a constaté que le Maroc, sans compter le territoire du Sahara occidental qu’il occupe, la Namibie et la Sierra Leone sont les seuls pays africains qui garantissent légalement à la fois un accès gratuit universel à des enseignements primaire et secondaire et à au moins une année d’enseignement pré-primaire gratuit, et qui ont en même temps atteint les objectifs internationaux de financement de l’éducation lors de la dernière décennie.
De nombreux pays africains continuent de sous-investir dans l’enseignement public, afin de faire face aux urgences liées au climat et aux crises dérivant des conflits, mais cela est également dû à des décisions politiques et à des choix économiques. De nombreux gouvernements africains appliquent des mesures d’austérité régressives pour pouvoir faire face au service et au remboursement de leur dette. Quinze pays consacrent davantage de ressources au service de leur dette qu’à l’éducation de leurs enfants, ce qui conduit à des réductions drastiques des revenus des enseignants, à des pénuries de fournitures scolaires et à des salles de classe surpeuplées. Les gouvernements et institutions qui leur prêtent des fonds devraient envisager une restructuration ou un abandon de la dette, afin d’assurer que les gouvernements débiteurs puissent protéger les droits de manière adéquate, y compris le droit à l’éducation.
Dans une évolution positive, la Sierra Leone co-préside actuellement une initiative au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU visant à rédiger une version actualisée connue sous le nom de protocole facultatif de la Convention des droits de l’enfant, avec pour but de reconnaître que chaque enfant a droit à la protection et à l’éducation de la petite enfance et de garantir que les États rendent accessibles à tous et gratuits les cycles d’enseignement publics élémentaire et secondaire. L’Afrique du Sud, le Botswana, le Burundi, la Gambie, le Ghana, le Malawi et le Soudan du Sud ont exprimé publiquement leur soutien à ce processus.
« Les gouvernements africains devraient honorer d’urgence leurs promesses de garantir un accès universel à une éducation de qualité et gratuite aux niveaux primaire et secondaire », a conclu Mausi Segun. « Les gouvernements devraient se concentrer sur la nécessité de protéger les dépenses publiques destinées à l’éducation de toute mesure régressive de réduction et allouer à l’éducation des ressources compatibles avec leurs obligations de garantir l’accès à un enseignement public de qualité. »
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14.06.2025 à 02:45
La semaine dernière marquait trois mois depuis l'arrestation au Tchad d'Olivier Monodji, directeur de publication de l’hebdomadaire Le Pays et correspondant de Radio France Internationale, et de Mahamat Saleh Alhissein, reporter de la chaîne publique Télé Tchad. Leur affaire concerne aussi d’autres co-accusés. Les procureurs ont allégué que les journalistes étaient de connivence avec le groupe Wagner, un groupe mercenaire russe présent en Afrique centrale et au Sahel, et les ont accusés d'espionnage, de conspiration et de mise en danger de la sécurité de l'État.
Parmi les preuves dans cette affaire figurent des documents qui auraient été traduits du français à l'arabe par Mahamat Saleh Alhissein et un article d’Olivier Monodji dans Le Pays sur l'ouverture d'un centre culturel russe.
Les journalistes semblent avoir été pris pour cible en raison de leurs liens présumés avec le groupe Wagner, dont les affaires au Tchad sont un sujet sensible. En 2023, les médias ont rapporté des preuves d'un complot de ce groupe mercenaire contre le Tchad. Le groupe soutient activement divers groupes armés dans presque tous les pays environnants. Human Rights Watch a précédemment documenté comment des Russes soupçonnés d'appartenir au groupe Wagner ont joué un rôle déterminant dans la répression autoritaire en République centrafricaine voisine.
Cette semaine, un juge qui enquêtait sur cette affaire depuis deux mois a requalifié les charges en vertu de l'article 95 du Code pénal tchadien, qui concerne l’« entretien avec les agents d'une puissance étrangère d’[…] intelligences, » passible d'une peine d'un à cinq ans, et a renvoyé les accusés devant le tribunal. Leur détention a toutefois été prolongée, malgré le rejet des accusations plus graves d’attentat et de complot contre l’État. Leur maintien en détention bafoue le droit relatif aux droits humains, qui prévoit que les accusés ne doivent en général pas être placés en détention provisoire, et reflète une tendance inquiétante à la répression.
À l'approche des élections de 2024, les autorités tchadiennes ont pris pour cible les médias, la société civile et les voix de l'opposition. Elles ont révoqué les licences de certains médias, interdit la couverture médiatique des rassemblements politiques, coupé l'accès à Internet, suspendu des plateformes médiatiques et proféré des menaces juridiques pour faire taire la dissidence. Succès Masra, ancien Premier ministre et dirigeant du principal parti d'opposition du Tchad, est détenu depuis près d'un mois. Il est accusé d'incitation à la haine et à la violence par le biais de publications sur les réseaux sociaux.
Le Tchad est particulièrement instable depuis la mort en 2021 de l’ex-président Idriss Déby Itno, père de l’actuel président Mahamat Idriss Déby ; ce décès avait marqué le début d'une période de transition entachée de violences, de troubles de l’ordre public et de bains de sang. Quelques mois avant les élections de 2024, un éminent opposant politique a été tué lors d'une attaque dans la capitale du Tchad, N’Djamena.
Cependant, aucun de ces éléments ne justifie la détention prolongée des journalistes, laquelle exigerait des preuves individuelles de la nécessité et de la légalité d’une telle détention. Le gouvernement tchadien devrait respecter son engagement en faveur d'une procédure régulière, veiller à ce que ces hommes soient libérés et garantir un procès équitable.
13.06.2025 à 17:33
Cinq ans après avoir accueilli les Jeux olympiques de Tokyo de 2020, et quatre ans après les Jeux paralympiques de 2021, le Japon prend enfin des mesures pour protéger les athlètes contre les abus dans le sport. Ce mois-ci, le Parlement japonais (« Kokkai », ou Diète nationale) a adopté une révision de la Loi fondamentale sur le sport (« Basic Act on Sport ») de 2011. Cet amendement législatif exige du gouvernement japonais, au niveau national et local, qu'il adopte des mesures contre toute forme d'abus physique ou sexuel, ainsi que contre les violences verbales et d’autre abus commis par des entraîneurs et d'autres personnes en position de pouvoir dans le monde du sport.
En juillet 2020, Human Rights Watch a publié un rapport documentant le recours aux châtiments corporels dans le sport au Japon ; le rapport dénonçait les abus systémiques envers les enfants dans le cadre des entraînements sportifs, du niveau scolaire jusqu'aux institutions d'élite. Nous avons appelé à l'interdiction de toute forme d'abus envers les enfants athlètes dans le sport organisé. Peu après, nous avons lancé avec des organisations partenaires, la campagne internationale #AthletesAgainstAbuse (« Athlètes anti-abus »), visant à mettre fin aux abus dans le sport.
Ces réformes restent tout à fait nécessaires. En avril dernier au Japon, un entraîneur de baseball d'un lycée a été sanctionné pour avoir giflé des joueurs. En février, un entraîneur de kendo dans un collège a été sanctionné pour avoir frappé des élèves avec un « shinai » (bâton de kendo) et refusé de laisser boire de l'eau à un élève malade pendant un entraînement d'été.
Des initiatives courageuses prises par des athlètes japonais, ainsi que des pressions nationales et internationales, ont contribué à accélérer la réforme juridique.
En août 2020, le Comité international olympique a demandé au Comité olympique japonais de mettre fin aux abus et au harcèlement dans le sport japonais. En avril 2023, six grandes instances sportives japonaises ont lancé la campagne « Non au harcèlement sportif » pour sensibiliser le public à ce problème.
D’autres acteurs ont aussi agi dans ce sens. L’Agence japonaise des sports (Japan Sports Agency, JSA), chargée de la promotion du sport dans ce pays, a publié une liste de lignes d'assistance téléphonique pour signaler les abus pour chaque organisation sportive. L’Association japonaise des sports (Japan Sport Association, JSPO), a mis en place un code disciplinaire pour les entraîneurs. La JSA prévoit également d'établir des lignes directrices concernant des sanctions disciplinaire en cas d’abus commis par des entraîneurs dans les écoles.
L'amendement à la Loi fondamentale sur le sport pourrait marquer un tournant et mettre fin à la tradition du recours à la violence physique comme technique d'entraînement. Mais le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba ne devrait pas s'arrêter là. Pour lutter contre les abus dans le sport, il devrait également créer un organisme indépendant chargé exclusivement de signaler et de sanctionner les abus envers les enfants dans le sport. Ce serait une importante avancée si le Japon souhaite sérieusement mettre fin aux abus envers ses athlètes.
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13.06.2025 à 16:29
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a rendu une décision historique, tenant le Guatemala responsable de la violation des droits de Fátima, une adolescente de 13 ans contrainte de poursuivre une grossesse suite à un viol et de devenir mère alors qu'elle était encore enfant. Cette décision met en évidence la nécessité pour le Guatemala d'agir pour prévenir les violences sexuelles et garantir que les survivantes, en particulier les filles, reçoivent le soutien et la justice qu'elles méritent.
Le Comité a estimé que l'absence d'enquête du Guatemala sur les nombreux viols subis par Fátima et l'absence de poursuites contre l'auteur des viols, un enseignant ayant aussi travaillée comme fonctionnaire pour l’Etat, constituaient une violation des droits de Fátima au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a conclu que son droit à une vie digne avait été lésé en raison de l'impact de la grossesse, due à un viol, sur sa santé mentale, physique et sociale, ainsi que sur d’autres facettes de sa vie. Le Comité a souligné que le fait de forcer Fátima à mener sa grossesse contre son gré l'avait soumise à des traitements assimilables à de la torture et avait mis sa vie en danger. Le Comité a en outre constaté que Fátima manquait de recours efficaces en raison de l'incapacité du gouvernement à lui garantir l'accès à une éducation sexuelle complète et à l'avortement. Bien que le cadre juridique guatémaltèque autorise l'avortement thérapeutique – une option envisageable en cas de risque vital pour la personne enceinte –, les filles ne sont souvent pas informées de leur droit à ces soins, ce qui les prive de fait du soutien nécessaire.
Le cas de Fátima illustre une tendance plus large à la violence sexuelle, un problème omniprésent et systémique au Guatemala. Entre 2018 et 2024, 14 696 filles de moins de 14 ans ont accouché et sont devenues mères, souvent contre leur gré. Les recherches de Human Rights Watch montrent que les filles ayant subi des violences sexuelles au Guatemala sont souvent exclues de l'éducation, peinent à accéder aux soins de santé et à la sécurité sociale, et se heurtent à d'énormes obstacles pour accéder à la justice. Le Guatemala manque d'une approche centrée sur les droits des enfants et tenant en compte les questions liées au genre, face au problème des violences sexuelles. Les filles autochtones et les filles malentendantes sont confrontées à des difficultés supplémentaires en raison des barrières linguistiques, entre autres.
La récente décision du Comité des droits de l'homme des Nations Unies représente une étape cruciale dans la défense des droits des femmes et des filles au Guatemala et est le fruit de plusieurs années de plaidoyer du mouvement « Niñas, No Madres » (« Des filles, pas des mères »).
Le Guatemala a besoin de réformes globales pour mieux prévenir les violences sexuelles, notamment contre les filles, et pour garantir aux filles un accès complet aux soins de santé, à l'éducation, à la sécurité sociale et à la justice, y compris à des réparations adéquates.
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12.06.2025 à 09:30
(Nairobi, 12 juin 2025) – Les élections législatives et communales qui se sont tenues au Burundi le 5 juin se sont déroulées dans un contexte de restrictions sévères à la liberté d'expression et de l'espace politique, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé lors d’une conférence de presse le 11 juin que le parti au pouvoir avait remporté 96,5 pour cent des voix et la totalité des sièges élus à l'Assemblée nationale. Le parti au pouvoir a aussi remporté la quasi-totalité des sièges au niveau communal. Des responsables du parti au pouvoir et des jeunes ont intimidé, harcelé et menacé la population et censuré la couverture médiatique afin d'assurer une victoire écrasante.
« Les Burundais ont voté lors d'une élection sans véritable concurrence politique, permettant au parti au pouvoir de consolider davantage son contrôle », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior sur les Grands Lacs à Human Rights Watch. « Face aux frustrations grandissantes suscitées par l'aggravation de la crise économique et les manquements systémiques à l’égard des droits humains, le parti au pouvoir n'a pris aucun risque lors de ces élections. »
Le Conseil national de défense de la démocratie–Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), au pouvoir au Burundi depuis 2005, a cherché à démanteler toute opposition réelle, y compris de la part de son principal rival, le Congrès national pour la liberté (CNL). Plusieurs partis d'opposition, dont le CNL, le Conseil des Patriotes (CDP) et l'Union pour le progrès national (UPRONA), ont dénoncé des irrégularités lors du scrutin. Des élections sénatoriales et d'autres élections locales sont prévues respectivement pour le 23 juillet et le 25 août, et la prochaine élection présidentielle se tiendra en 2027.
Dans les jours qui ont suivi le scrutin, Human Rights Watch a mené des entretiens avec des activistes locaux, des journalistes, des citoyens et un membre de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, qui ont fait état d'actes d'intimidation et d'irrégularités aussi bien pendant la période préélectorale que pendant le scrutin.
Des médias et récits de témoins indiquent que le scrutin du 5 juin a été largement dominé par le parti au pouvoir. « Les Imbonerakure se tenaient devant le bureau de vote et disaient aux gens de voter pour le parti au pouvoir », a déclaré un électeur dans la ville de Bururi. « Tous les agents au bureau de vote étaient membres du parti au pouvoir. Le chef du bureau de vote m'a lui-même dit de voter pour le parti au pouvoir. »
Des personnes interviewées à Bujumbura, la plus grande ville du pays, ainsi qu’à Cibitoke et Rumonge ont décrit des scènes similaires dans leurs bureaux de vote. Une organisation de la société civile burundaise a fait état des mêmes pratiques à Bubanza, Gitega, Makamba et Ngozi. « On nous a dit de faire tout ce qui était nécessaire pour que les gens votent uniquement pour le CNDD-FDD », a déclaré un membre des Imbonerakure.
Des partis d'opposition et des témoins ont déclaré que des représentants de partis d'opposition, des journalistes et des observateurs ont été empêchés d'entrer dans des bureaux de vote, y compris pendant le dépouillement des votes.
Dans plusieurs communes, le nombre de votes exprimés aurait dépassé le nombre d'électeurs inscrits. Des médias et des témoins ont également fait état de bourrage d'urnes et de distribution sélective des cartes d'électeur, empêchant les membres de l'opposition de voter.
Une coalition de stations de radio, de chaînes de télévision et de journaux imprimés ou en ligne a coordonné la couverture des élections, qui aurait été financée par le ministère de la Communication, des Technologies de l’Information, et tous les contenus produits devaient être soumis à une équipe éditoriale centrale, qui censurait les reportages qui ne correspondaient pas au discours officiel, selon des médias. Un journaliste a déclaré à Human Rights Watch que des responsables de la CENI ont demandé aux médias « de ne pas parler des irrégularités ».
En décembre, la CENI a rejeté les candidatures de membres de l'opposition, notamment des membres de la coalition d'opposition Burundi pour tous (Burundi Bwa Bose en Kirundi) et du CNL, qui souhaitaient se présenter aux élections de juin, écartant ainsi les principales voix de l'opposition. Certains ont pu faire recours de cette décision devant la Cour constitutionnelle, mais Agathon Rwasa, arrivé second à la dernière élection présidentielle et ancien dirigeant du CNL, et d’autres étaient toujours interdits de se présenter.
En janvier 2024, le ministre de l'Intérieur a accusé le CNL de collaborer avec une organisation terroriste, à la suite de quoi l'assemblée générale du parti a voté la destitution d'Agathon Rwasa de ses fonctions de dirigeant. En avril 2024, le Burundi a adopté un nouveau code électoral qui a considérablement augmenté les frais d'inscription des candidats et imposé aux personnes ayant quitté un parti politique d'attendre deux ans avant de pouvoir se présenter à nouveau, empêchant ainsi Agathon Rwasa de se présenter.
Les autorités, aidées par les Imbonerakure, ont forcé la population à s'inscrire sur les listes électorales fin 2024, selon des informations relayées par les médias et des témoignages. « La population voulait montrer qu'elle ne voyait pas l'intérêt de ces élections et a tenté de boycotter le processus d'inscription », a déclaré un observateur à Cibitoke. « Les gens ont été forcés [de s'inscrire], empêchés d'accéder aux marchés, aux centres de santé, aux services administratifs ou d'aller aux champs. Les Imbonerakure étaient partout pour intimider les gens. »
L'Union africaine a déployé une mission d'observation et publié un rapport préliminaire le 7 juin, saluant le déroulement « pacifique » des élections législatives et communales au Burundi. L’UA a également salué le taux de participation élevé, le « climat de liberté et de transparence » et la couverture médiatique. Cette évaluation contraste fortement avec le propre cadre normatif de l'UA en matière de démocratie, d'élections et de droits humains, qui promeut des processus électoraux crédibles, inclusifs et transparents. La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et la Communauté économique des États de l'Afrique centrale ont également déployé des missions d'observation. L'Église catholique, qui a critiqué les élections précédentes au Burundi, a déployé des observateurs, mais certains ont été refoulés des bureaux de vote.
Les élections générales de mai 2020 s’étaient déroulées dans un climat très répressif, entaché d'allégations d'irrégularités. Tout au long de la période préélectorale, des membres des Imbonerakure avaient commis de nombreux abus, en particulier à l'encontre de personnes perçues comme opposées au parti au pouvoir, y compris des meurtres, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, des passages à tabac, et des actes d’extorsion et d'intimidation.
Des Burundais ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils ressentaient une frustration grandissante à l'égard de la gouvernance du parti au pouvoir, dans un contexte où la population est confrontée à un taux d'inflation annuel de 40 %, à des pénuries chroniques, à des écarts importants entre les taux de change officiels et officieux, à des réserves limitées de devises étrangères et à une crise du carburant qui paralyse les transports depuis des années. L’aggravation du conflit en République démocratique du Congo voisine, qui a compromis le commerce transfrontalier et provoqué l'arrivée de plus de 70 000 réfugiés et demandeurs d’asile depuis janvier 2025, ainsi que la réduction des financements des bailleurs de fonds, ont encore aggravé la situation.
En février, les autorités burundaises ont expulsé du pays la directrice et une chargée de sécurité du Programme alimentaire mondial des Nations Unies, après qu’elles eurent conseillé au personnel de faire des réserves de produits de première nécessité. La société civile et des figures de l'opposition continuent de signaler des cas de harcèlement, d'extorsion, de détentions arbitraires et de passages à tabac perpétrés par les Imbonerakure et les autorités, alors que le gouvernement reste profondément hostile à toute critique, réelle ou perçue.
L'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Burundi est un État partie, stipule que « Tout citoyen a le droit et la possibilité ... [de] voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs. »
« La démocratie burundaise a été vidée de sa substance, avec un parti au pouvoir qui ne rend pas de comptes à son peuple et qui refuse toute dissidence, alors même que le désespoir lié à la situation économique s’accroit » a conclu Clémentine de Montjoye. « En l'absence d'une opposition crédible, ces élections ne font que renforcer le pouvoir autoritaire et plongent davantage les Burundais dans une crise profonde de gouvernance. »
11.06.2025 à 20:24
L'Australie et quatre autres pays – le Canada, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni – ont imposé des sanctions à deux haut responsables israéliens : Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, ministre des Finances. Ces mesures sont semblables aux sanctions « Magnitsky » infligées dans d’autres cas.
Ces deux ministres ont été sanctionnés en raison de leur rôle dans l’« incitation à la violence contre les Palestiniens en Cisjordanie ». Depuis octobre 2023, les démolitions perpétrées par l’armée israélienne et les violences des colons ont déplacé plus de 6 400 Palestiniens vivant en Cisjordanie. Itamar Ben-Gvir aurait émis une directive enjoignant les policiers de s’abstenir d’appliquer la loi envers des colons violents, selon des médiasisraéliens.
Il s'agit des premières sanctions imposées par l'Australie à de hauts responsables israéliens. En novembre 2023, en réponse aux attaques du 7 octobre menées par le Hamas dans le sud d’Israël, le gouvernement australien (ayant déjà sanctionné le Hamas en 2001) avait imposé de nouvelles sanctions a une entité affilié au Hamas, ainsi qu’à huit personnes ayant des liens avec cette organisation. Puis, en juillet 2024, le gouvernement avait sanctionné sept colons israéliens et une entité, en raison de leur implication dans des attaques contre des Palestiniens en Cisjordanie. Jusqu'à présent, le gouvernement australien n'a cependant pas sanctionné d'autres colons israéliens ou entités, malgré la multiplication des exactions en Cisjordanie. Le gouvernement n'a pas non plus adopté de mesures en réponse aux atrocités commises à Gaza.
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui bénéficie aussi du statut de ministre au sein du ministère de la Défense et qui est un membre du Comité ministériel chargé des affaires de sécurité nationale (« Cabinet de sécurité »), a appelé au nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Le 6 mai, Smotrich a affirmé qu'une victoire israélienne signifierait que la bande de Gaza serait « totalement détruite », ce qui conduirait les habitants palestiniens à « partir en grand nombre vers des pays tiers », même si tous les otages encore en vie étaient libérés. Le 12 mai, Itamar Ben-Gvir a déclaré qu'Israël devrait « encourager la migration des Gazaouis vers des pays à travers le monde ».
Ces sanctions suggèrent que l'Australie est disposée à jouer un rôle plus important, mais de nouvelles mesures sont urgemment requises. Les autorités israéliennes continuent d'utiliser la famine comme méthode de guerre, au mépris de trois ordonnances émises par la Cour internationale de justice (en janvier, en mars et en mai 2024) sur la prise de « mesures conservatoires », dans le cadre de l'affaire de génocide intentée par l'Afrique du Sud contre Israël. L'Australie devrait sanctionner d'autres responsables israéliens impliqués dans de graves exactions, et aussi interdire le commerce avec les colonies illégales en Cisjordanie.
En novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d'arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, accusés d’implication dans des crimes graves commis à Gaza. Le 6 février 2025, le président américain Donald Trump a émis un décret imposant des sanctions a des responsables de la CPI ; le lendemain, 79 pays ont réaffirmé leur « soutien indéfectible » à la Cour, mais l’Australie n’a pas cosigné cette déclaration. L'Australie devrait soutenir publiquement la CPI, et s'engager à exécuter tous ses mandats d'arrêt quand l’occasion se présentera.
À l'heure où de hauts responsables israéliens et des forces militaires portent atteinte au droit international, le gouvernement australien devrait user de son influence pour empêcher de nouvelles atrocités de masse, et exiger que les auteurs d’abus soient tenus de rendre des comptes.
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