09.12.2025 à 22:31
(Beyrouth) – L’arrestation en Syrie d'un dissident émirati soulève de sérieuses inquiétudes quant au risque que les Émirats arabes unis (EAU) fassent pression sur les autorités syriennes pour qu'elles l'extradent vers ce pays, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Une source bien informée a déclaré à Human Rights Watch que les autorités syriennes ont arrêté Jasem al-Shamsi, 55 ans, à un poste de contrôle dans les environs de Damas le 6 novembre, et continuaient de le détenir sans divulguer le fondement juridique de cette mesure. Ces dernières années, les Émirats arabes unis ont fait pression sur le Liban et la Jordanie pour qu'ils renvoient des dissidents vers ce pays. En cas d’expulsion vers les EAU, Jasem al-Shamsi serait exposé a un risque sérieux de disparition forcée, de détention arbitraire, de procès inéquitable et de torture.
« Human Rights Watch craint que les autorités émiraties n’exercent à nouveau des pressions sur un autre pays de la région pour qu'il renvoie de force un dissident condamné à l'issue d'un simulacre de procès », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur les Émirats arabes unis à Human Rights Watch. « Les autorités syriennes devraient rejeter toute demande concernant une extradition de Jasem al-Shamsi vers les Émirats arabes unis, où il serait exposé au risque d’une disparition forcée et d’une détention arbitraire prolongée. »
En 2013, les autorités émiraties ont condamné Jasem al-Shamsi par contumace à 10 ans de prison dans le cadre du tristement célèbre procès collectif inéquitable qui visait 94 dissidents politiques et défenseurs des droits humains (procès surnommé « UAE 94 »). Il a été condamné à la prison à vie par contumace pour son activisme pacifique, lors d'un deuxième procès collectif inéquitable tenu en juillet 2024.
En mars 2025, les autorités syriennes du département de l'Immigration et des passeports ont informé Jasem al-Shamsi qu'Interpol avait émis un mandat d'arrêt à son encontre ; Human Rights Watch n'a pas pu confirmer de manière indépendante l'existence d'un tel mandat d'arrêt. Certains mandats d'arrêt émis par le Conseil des ministres de l'Intérieur arabes, un organisme régional chargé des questions de sécurité, sont souvent qualifiés à tort de mandats d'arrêt arabes « Interpol ». Ces demandes ont conduit à l'arrestation et à l'extradition illégale de dissidents politiques et de défenseurs des droits humains dans des pays membres de la Ligue arabe, y compris dans le cas deux dissidents qui ont immédiatement fait l'objet de disparitions forcées et de détention arbitraire à leur arrivée aux Émirats arabes unis.
Jasem al-Shamsi circulait en voiture avec sa femme dans les environs de Damas lorsque des membres des forces de sécurité syriennes leur ont ordonné de s’arrêter, et leur ont demandé leurs papiers d'identité. Les forces de sécurité ont emmené Jasem al-Shamsi au centre de sécurité d'al-Fayha, a déclaré la source. Les agents de sécurité ont fouillé la voiture familiale sans présenter de mandat et n'ont pas répondu aux questions concernant l'arrestation. Les autorités syriennes n'ont pas informé Jasem al-Shamsi ni sa femme du motif de l'arrestation.
Le 8 novembre, l'épouse d'al-Shamsi est retournée au centre de sécurité d'al-Fayha pour s'enquérir du sort de son mari, mais les autorités ont nié avoir connaissance de sa détention et de l'endroit où il se trouvait, a déclaré la source. L'épouse d'al-Shamsi s'est rendue à l'administration pénitentiaire de Damas le 12 novembre, où les autorités ont confirmé qu'il était en détention mais ont nié avoir connaissance de son lieu de détention exact, a déclaré la source. Jasem al-Shamsi a pu contacter sa famille le 27 novembre, lorsqu'il a confirmé qu'il était en détention et a déclaré qu'il était bien traité, a déclaré la source.
Les autorités émiraties ont exercé à plusieurs reprises des pressions sur les pays membres du Conseil des ministres de l'Intérieur arabes pour qu'ils renvoient de force des dissidents aux Émirats arabes unis, où ils ont été victimes de disparitions forcées, de détentions arbitraires, de mauvais traitements et de tortures.
En mai 2023, les autorités jordaniennes ont arrêté et extradé de force vers les Émirats arabes unis un citoyen ayant la double nationalité émiratie et turque, Khalaf Abdulrahman al-Romaithi. Les autorités émiraties l’ont fait disparaître de force dès son arrivée aux Émirats arabes unis, et l'ont condamné à la prison à vie en 2024. Al-Romaithi et al-Shamsi ont été jugés ensemble par contumace dans le cadre du tristement célèbre procès collectif inéquitable « UAE94 » en 2013.
En janvier 2025, les autorités libanaises ont expulsé un poète égypto-turc, Abdulrahman Youssef al-Qardawi, vers les Émirats arabes unis à la demande des autorités émiraties, qui invoquaient des accusations liées à son activité pacifique sur les réseaux sociaux. Les autorités libanaises ont extradé al-Qardawi alors qu'il n'était pas citoyen émirati et qu'il ne se trouvait pas aux Émirats arabes unis au moment où les infractions présumées auraient été commises.
En décembre 2023, le gouvernement émirati a mené son deuxième plus grand procès collectif contre 84 activistes, dissidents et défenseurs des droits humains, dont al-Shamsi et al-Romaithi, en guise de représailles pour avoir formé une organisation indépendante de plaidoyer en 2010. Plusieurs personnes avaient déjà purgé des peines de prison à la suite d’un précédent procès inique et arbitraire tenu en 2013, pour des motifs similaires.
Le 19 novembre 2025, Ali al-Khaja, l'un des accusés dans les deux procès, est décédé lors de sa détention dans la tristement célèbre prison d'al-Razeen aux Émirats arabes unis.
La Syrie est tenue de respecter le principe de non-refoulement qui est inscrit dans le droit international ; ce principe interdit aux pays de renvoyer une personne vers un autre pays où elle serait exposée a un risque réel de persécution, de torture ou d'autres graves abus, ou où sa vie serait menacée. Ce principe est codifié dans la Convention contre la torture, à laquelle la Syrie est un État partie, et dans le droit international coutumier.
« Le gouvernement syrien devrait agir de manière juste et éviter de se rendre complice des violations des droits humains commises par les Émirats arabes unis, ce qui serait le cas s'il renvoyait de force Jasem al-Shamsi vers ce pays », a conclu Joey Shea.
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OLJ
09.12.2025 à 19:14
(Washington, le 9 décembre 2025) - Les gouvernements partenaires des États-Unis dans les efforts de lutte contre le narcotrafic devraient rejoindre les autres nations qui ont publiquement critiqué les frappes illégales de l’administration Trump contre des bateaux suspectés de narcotrafic, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les gouvernements de ces pays – le Canada, le Royaume-Uni, le France et les Pays-Bas, parmi d’autres - devraient prendre des mesures pour déterminer si certaines activités de partage de renseignements avec les États-Unis risquent de les rendre complices de ces frappes. Ils devraient rendre publiques toutes les évaluations légales internes visant à établir si les frappes américaines constituent une violation du droit international, s’appuyer sur leurs relations bilatérales pour faire part directement de leurs préoccupations aux responsables américains et demander que les auteurs de ces frappes en soient tenus pénalement responsables, à titre individuel.
« Le Royaume-Uni, le Canada et d’autres nations alliées qui sont partenaires des États-Unis dans la lutte contre le trafic de stupéfiants disposent largement de preuves indiquant que ce pays tue illégalement des gens en mer », a déclaré Sarah Yager, directrice du bureau de Washington de Human Rights Watch. « L’ordre international basé sur des règles repose sur le fait que les pays dénoncent les violations, même lorsqu’elles sont commises par des amis puissants. »
Depuis la mi-septembre 2025, l’administration Trump a mené au moins 23 frappes militaires mortelles contre des bateaux en mer des Caraïbes et dans des régions voisines de l’océan Pacifique et tué 87 personnes, assurant que ces frappes ciblaient des narcoterroristes menaçant la sécurité des États-Unis. Il n’y a que deux survivants connus. Les frappes américaines constituent des exécutions extrajudiciaires illégales qui violent les droits fondamentaux à la vie et à une procédure régulière, a déclaré Human Rights Watch. La loi des États-Unis et le droit international disposent que les personnes accusées de crime devraient être arrêtées et traduites en justice, et non exécutées sommairement.
Le Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas exercent une influence importante dans les Caraïbes en raison des territoires qu’ils possèdent dans cette région. Ces trois pays participent également à la campagne Martillo, une opération multinationale de détection, de surveillance et d’interdiction du narcotrafic dans laquelle sont déployés des navires de la Marine américaine et des garde-côtes, ainsi que des unités militaires et policières issues d’une dizaine d’autres nations, dont le Canada. Ces pays devraient exercer leur devoir de vigilance et évaluer leur coopération maritime avec les États-Unis afin de s’assurer qu’ils ne risquent pas d’être complices de la campagne d’exécutions extrajudiciaires de l’administration Trump, a déclaré Human Rights Watch.
L’Australie et la Nouvelle-Zélande, membres de l’alliance « Five Eyes » aux côtés des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada, au sein de laquelle les gouvernements s’échangent par défaut tous les signaux et les renseignements géospatiaux, pourraient donc elles aussi se retrouver impliquées dans ces frappes et devraient prendre des mesures pour évaluer leurs propres risques. Selon l’ONG Privacy International, qui travaille sur les questions à l’intersection de la technologie et des droits, les pays de l’alliance « gèrent conjointement des centres d’opérations où des agents, issus de leurs agences de renseignement respectives, travaillent les uns avec les autres » et « le niveau de coopération défini dans l’accord est si exhaustif qu’il est souvent impossible de distinguer un produit national en particulier ».
Des représentants de la Barbade, du Belize, du Brésil, de la Chine, de la Colombie, de la France, de l’Iran, du Mexique et de la Russie ont indiqué que selon leurs évaluations, les États-Unis violaient le droit international. Cependant, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a déclaré publiquement que lors du récent sommet du G7 au Canada, aucun diplomate ne lui avait exprimé directement de telle préoccupations. Interrogées à ce sujet, les ministres des Affaires étrangères du Canada et de l’Australie ont toutes deux laissé entendre qu’il revenait aux États-Unis d’évaluer la légalité de leur conduite.
Le 31 octobre, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a affirmé que les frappes constituaient des exécutions extrajudiciaires illégales, soulignant qu’« aucune des personnes se trouvant à bord des bateaux visés ne semblait représenter une menace imminente pour la vie d’autrui ou justifier autrement le recours à la force armée létale à leur encontre ». Le 2 décembre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a exprimé sa profonde inquiétude concernant les frappes et a demandé aux États-Unis de « s’abstenir d’utiliser une force militaire létale dans le contexte d’opérations de sécurité publique, pour garantir que toute opération de lutte contre la criminalité et de sécurité respecte pleinement les normes internationales en matière de droits de l’homme ; de mener des enquêtes rapides, impartiales et indépendantes sur tous les décès et les détentions découlant de ces actes ; et d’adopter des mesures efficaces pour en prévenir la récurrence. »
Les gouvernements partenaires des États-Unis dans la lutte contre le narcotrafic devraient prendre des mesures pour s’assurer qu’ils ne sont pas complices de ces exécutions extrajudiciaires, notamment au travers d’activités de partage de renseignements, a déclaré Human Rights Watch.
« Le trafic de drogue est un crime grave, mais les gouvernements du monde ont élaboré de meilleurs moyens pour le combattre », a conclu Sarah Yager. « Les gouvernements devraient condamner les frappes ciblant des navires, car elles sont illégales et inefficaces. »
Suite détaillée en anglais, au sujet de l’Opération Southern Spear (« Lance du Sud » ) menée par les Etats-Unis : aspects illégaux des frappes et réactions de divers pays.
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LaLibre.be Radio-Canada
09.12.2025 à 06:00
(Beyrouth) – Les autorités tunisiennes ont arrêté trois activistes de premier plan lors des dernières semaines après leur condamnation injuste à l'issue d'un simulacre de procès portant sur des accusations de complot et terrorisme, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient immédiatement annuler ces condamnations injustes, et libérer toutes les personnes détenues.
Le 28 novembre 2025, une cour d'appel de Tunis a condamné 34 accusés dans une affaire à motivation politique dite « affaire du complot », dont des opposants politiques, des activistes et des avocats, à des peines allant de 5 à 45 ans de prison. Les autorités ont depuis arrêté Chaima Issa, une activiste politique, Ayachi Hammami, un avocat des droits humains, et Ahmed Nejib Chebbi, un opposant politique de premier plan, qui ont été condamnés respectivement à 20, 5 et 12 ans de prison.
« L’arrestation de figures de premier plan de l’opposition constitue la dernière étape du plan du président Kais Saied visant à éliminer toute alternative à son pouvoir personnel », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Avec ces arrestations, les autorités tunisiennes sont effectivement parvenues à mettre la majeure partie de l'opposition politique derrière les barreaux. »
Des membres des forces de sécurité en civil ont arrêté Chaima Issa, 45 ans, dans une rue de Tunis le 29 novembre, après sa participation à une manifestation dénonçant les nombreuses atteintes aux libertés et aux droits. Une vidéo circulant en ligne semble montrer son arrestation. Chaima Issa, détenue à la prison de Manouba près de Tunis, a entamé une grève de la faim le jour de son arrestation, a déclaré sa famille à Human Rights Watch. Elle a également indiqué avoir été blessée au pied lors de son arrestation.
Chaima Issa avait déjà été arrêtée en février 2023 et placée en détention provisoire mais elle avait été relâchée en juillet 2023. Condamnée en première instance à 18 ans de prison, peine portée à 20 ans en appel, Chaima Issa est membre du Front de salut national, principale coalition d'opposition au président Saied, et cofondatrice du collectif Citoyens contre le coup d'État. Ces deux organisations s'opposent à la prise de contrôle des institutions étatiques tunisiennes par le président Saied le 25 juillet 2021.
Ayachi Hammami, 66 ans, avocat et défenseur des droits, a été arrêté le 2 décembre dans sa maison d’une banlieue de Tunis. Plus tôt dans la journée, ses avocats avaient déposé un pourvoi devant la Cour de cassation, la plus haute juridiction de Tunisie, ainsi qu'une requête en suspension de l'exécution du jugement dans l'attente d'une décision définitive.
Ayachi Hammami était initialement l’un des avocats de la défense dans l'affaire du complot, mais il a été inculpé en mai 2023. Condamné en première instance à huit ans de prison, sa peine a été réduite à cinq ans en appel. Il est actuellement incarcéré à la prison de Mornaguia.
Dans une vidéo pré-enregistrée publiée après son arrestation, Hammami a déclaré que son arrestation était politique et a annoncé une grève de la faim..
Ahmed Nejib Chebbi, 81 ans, a été arrêté le 4 décembre après plusieurs jours de surveillance policière autour de son domicile. Chebbi avait boycotté le procès.
Chebbi est un avocat qui a cofondé la coalition du Front national de salut. Il a été condamné à 18 ans de prison, peine réduite à 12 ans lors d’un appel initial. Il a refusé de se pourvoir en cassation.
Le 19 avril, le Tribunal de première instance de Tunis avait condamné 37 prévenus à des peines de 4 à 66 ans d’emprisonnement pour « complot contre la sécurité de l’État » et « infractions terroristes ». Ils ont été condamnés après seulement trois audiences lors d'un procès qui a violé leurs droits à une procédure régulière.
Les accusés ont été inculpés en vertu de nombreux articles du Code pénal tunisien et de la Loi antiterroriste de 2015 de complot visant à déstabiliser le pays. Human Rights Watch a examiné des documents judiciaires de l'affaire et a conclu que les accusations étaient infondées et non étayées par des preuves crédibles.
La Cour d'appel a rendu son arrêt dans ce procès collectif après seulement trois audiences, tenues en l'absence des prévenus détenus, violant ainsi leur droit d'être physiquement présents devant un juge capable d'apprécier la légalité et les conditions de leur détention ainsi que leur état de santé. Trois prévenus ont été acquittés en appel.
Les quinze personnes condamnées dans cette affaire et se trouvant en Tunisie sont actuellement incarcérées. Les autres, qui résident à l'étranger, ont été condamnées par contumace. Human Rights Watch a déclaré que la Cour devrait immédiatement annuler ces condamnations abusives et libérer tous les détenus.
À la suite de la prise de pouvoir du président Saied, les autorités ont considérablement intensifié la répression de la dissidence. Depuis début 2023, elles ont intensifié les arrestations et la détention arbitraires des personnes de tout l'échiquier politique perçues comme critiques envers le gouvernement. Les attaques répétées des autorités contre le pouvoir judiciaire, notamment la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature par Saied, ont gravement porté atteinte à son indépendance et mis en péril le droit des Tunisiens à un procès équitable.
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui garantissent les droits à la liberté d'expression et de réunion, à un procès équitable et à la protection contre l'arrestation ou la détention arbitraires.
« Les autorités tunisiennes ont de facto criminalisé l'opposition politique et l’activisme en faveur des droits humains, anéantissant tout espoir de retour à un processus démocratique », a conclu Bassam Khawaja. « Les partenaires internationaux de la Tunisie, notamment l’Union européenne, devraient condamner le basculement du pays vers l’autoritarisme. »