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Organisme national, l'OPC travaille sur l’articulation entre l’innovation artistique et culturelle, les évolutions de la société et les politiques publiques au niveau territorial

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08.11.2024 à 11:35

Prendre soin de l’hôpital par l’art et le design

Frédérique Cassegrain

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L’art, la créativité et le design peuvent contribuer à transformer les milieux du soin et de la santé, au service du mieux-être des personnes en situation de vulnérabilité. C’est ce que défendent Marie Coirié et Antoinette Parrau, deux designeuses agissant au sein de l’hôpital pour rendre l’endroit plus hospitalier et améliorer le quotidien des personnes qui y sont accueillies ou qui y travaillent.

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Texte intégral (3589 mots)
Mur avec affiches
IDEATION penser les lieux pour transformer le soin, Hôtel Pasteur 2024. © Antoinette Parrau, Hôtel Pasteur, Rennes

Marie Coirié a cofondé en 2016 un espace d’expérimentation unique en son genre dans un hôpital public : le lab-ah, laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité, attaché au Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences. Antoinette Parrau est designeuse associée au Centre régional de lutte contre le cancer (CLCC) Eugène Marquis à Rennes, en jumelage avec l’Hôtel Pasteur. Elles nous racontent ce qui les anime et la manière dont elles travaillent.

Vous venez du monde du design et des beaux-arts, qu’est-ce qui vous a conduit à vouloir intervenir en milieu hospitalier ?

Marie Coirié – Je suis issue d’une formation initiale en design et j’avais envie de travailler sur les enjeux d’hospitalité. Mais je fuyais les milieux qui incluent cette notion dans la transaction (hôtels, restaurants, galeries commerciales…), et qui font appel à des designers. Je voulais m’investir dans des espaces où l’hospitalité ne va pas de soi parce qu’il y a d’autres urgences : soigner, prendre en charge, accéder à des droits… J’ai constaté qu’il n’y avait pas de designers dans ces lieux d’accueil inconditionnels, dont l’hôpital fait partie.

Antoinette Parrau – De mon côté, j’ai fait une école d’art, en section design. J’ai par ailleurs été confrontée très tôt à des expériences d’accompagnement de proches malades, dans un contexte de soins à domicile, ce qui m’a conduit à travailler sur la matière lumière, objet domestique et source de confort émotionnel. Puis j’ai été moi-même en soins oncologiques au Centre Eugène Marquis (Rennes). C’est donc par mon vécu expérientiel que j’ai développé mon métier dans le milieu hospitalier.

La commande est-elle venue directement de l’hôpital ? Quels sont vos liens professionnels avec cette institution ?

A. Parrau – Pour mon premier projet j’ai été sollicitée par le centre d’art contemporain 40mcube dans le cadre du dispositif « Culture et Santé » porté par la DRAC, l’Agence régionale de santé et la Ville de Rennes. Durant deux ans, j’ai travaillé auprès des patients et des personnels autour de la curiethérapie La curiethérapie est une technique particulière de radiothérapie qui consiste à installer des substances radioactives directement au contact de zones à traiter, à l’intérieur du corps.. J’ai ensuite été en lien avec l’Hôtel Pasteur, un tiers-lieu de la Ville de Rennes qui facilite l’émergence d’initiatives citoyennes et notamment artistiques. Un projet de jumelage appelé « Penser les lieux pour transformer le soin » a été mis en place entre Pasteur, le Centre Eugène Marquis et moi-même, en tant que designeuse associée.

M. Coirié – En ce qui me concerne le cadre est différent car le lab-ah est un laboratoire d’innovation intégré au sein de l’institution depuis huit ans, dans un contexte de fusion de trois hôpitaux publics spécialisés en psychiatrie et en neurosciences Saint-Anne, Maison Blanche et Perray-Vaucluse, fusionnés en 2019 dans le Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences (GHU).. Nous sommes rattachés à la direction générale et avons eu carte blanche pour travailler avec une approche design autour des cultures institutionnelles et des cultures soignantes.

Comment définissez-vous vos fonctions et rôles, qui sont plutôt atypiques au sein de ces structures de soins ?

A. Parrau – À la suite de ma première expérience au Centre Eugène Marquis, j’ai très vite compris que le designer pouvait constituer un « nouvel outil » pour le corps médical. Non pas au sens technique du terme, mais un outil humanisant qui recrée du lien sensible avec l’ensemble des usagers : patients, accompagnants et, évidemment, le corps soignant. Le designer en milieu hospitalier a aussi une place transversale permettant de faire des ponts entre les hiérarchies et les services. 

M. Coirié – Effectivement, la position du lab-ah est de se situer entre le terrain (services et équipes de soins) et la stratégie (direction générale et comités de direction). Le but est de créer du lien avec eux et entre eux. Nous nous définissons comme un laboratoire d’expérimentations, partenaire des équipes de soins. Mais nous avons aussi un pied en dehors, en relation avec des organisations et des collègues qui ne viennent pas du secteur de la santé, ce qui nous préserve de l’« hospitalocentrisme » et de ses logiques institutionnelles parfois asphyxiantes.

Quelles sont les particularités de l’approche par le design ? Comment déployer cette démarche dans un établissement de santé ?

A. Parrau – Je dirais que les principes liés à la méthode en design sont l’immersion, la coconstruction, l’expérimentation, pour aboutir à une création. Et je pense que la première caractéristique réside dans la qualité de l’immersion : assurer une présence discrète, suivre les personnes dans leurs déplacements, comprendre leurs pratiques, relever les ressentis. Être en résidence avec les gens, patients et soignants, pour essayer de repérer les zones de manques et les endroits où il y aurait peut-être matière à intervenir. 

M. Coirié – Nous avons les mêmes balises avec Antoinette, même si je pense qu’il faut être vigilant, dans un environnement aussi normatif que l’hôpital, à ne pas trop se focaliser sur des méthodologies toutes faites. Mais il est en effet fondamental de s’imprégner profondément du terrain, en empruntant aux pratiques des sciences humaines et sociales. C’est un postulat pour aider à révéler par la forme, matérielle ou immatérielle, les idées, les désirs et les aspirations des personnes.

A. Parrau – Cette étape initiale d’immersion permet de proposer ensuite des expérimentations frugales, ayant valeur de test. Pour vous donner un exemple, je passe dans tous les services du Centre Eugène Marquis avec un questionnaire de cinq minutes, pour discuter et collecter des témoignages, en prenant quelques photos pour apporter un regard plastique, puis j’utilise cette matière pour faire des tests. Par exemple, je pose un petit film à réseau de diffraction sur les vitres des fenêtres, qui provoque un arc-en-ciel lorsque le soleil arrive, dans une salle de traitement en chimiothérapie occupée par des personnes portant un casque réfrigéré… L’idée est de créer des petits espaces d’émerveillement passagers.

LA CHAMBRE 238, expérimentations Hôtel Pasteur 2023. © Antoinette Parrau, Hôtel Pasteur, Rennes

L’une des caractéristiques d’un hôpital psychiatrique ou d’un centre de cancérologie est aussi de travailler avec des personnes en grande vulnérabilité. Vous parliez de coconstruction, mais comment inclure les patients qui traversent des moments d’extrême fragilité, ou les soignants qui sont parfois en souffrance dans leur travail ? 

M. Coirié – Plus les publics sont vulnérables, plus ils sont réceptifs à l’environnement qui les entoure et à la façon dont on se comporte avec eux. Nous menons des démarches participatives qui demandent beaucoup d’attention, de préparation et de temps, notamment dans la relation entre les usagers (patients ou soignants) et les experts du projet (architectes, designers…). Cela nécessite d’effectuer un travail sur sa propre posture. Il faut être attentif aux détails : la manière dont on aménage la place de chacun, les mots, les règles… Tout ce qui permet à des personnes très éloignées de ce type de démarche de se sentir à leur place. Et la question du feedback est essentielle, pour que les gens qui ont contribué s’estiment considérés, mais aussi pour que le projet évolue.

A. Parrau – Il est très important de prendre soin de celles et ceux qui font le quotidien de cet environnement. Un centre d’oncologie est très fermé, donc il faut créer des liens de confiance et adopter une posture discrète pour assurer le respect des informations confidentielles tout comme celui de la dignité et l’intimité des patients. Du côté des soignants, dont les journées sont chronométrées, le temps qu’ils nous accordent est très précieux. Je pense, comme le dit Marie, qu’il est indispensable – et peut-être plus qu’ailleurs – de leur faire les retours des ateliers coproduits ensemble, de marquer une réciprocité. Et si les soignants se sentent évoluer dans un endroit plus humanisant, cela apporte par incidence un mieux-être aux patients. Le travail que nous menons actuellement avec l’Hôtel Pasteur tend aussi vers une dynamique d’accueil hospitalier dans la ville, en permettant de faire des ponts entre l’hôpital et le domicile pour les patients et les soignants.

Comment vous situez-vous par rapport à des projets plus « classiques » d’interventions artistiques à l’hôpital centrés sur la présentation et la réception d’une œuvre ?

A. Parrau – Pour ma part, je me sens vraiment agir dans un cadre de politique culturelle pour la santé. Une approche par le design est un projet culturel. La différence réside sans doute dans l’aspect idéalement pérenne : on pense les choses pour qu’elles restent, qu’elles deviennent usages, plutôt que reconductibles. Aujourd’hui, grâce à notre jumelage entre Pasteur et Eugène Marquis, nous réfléchissons au développement d’un espace commun, un pop up care, dans lequel on pourrait prendre soin, siester, se poser, discuter… un mobilier en micro architecture assez flexible et adaptable pour chacun des lieux, qu’il soit du soin ou de la ville.

M. Coirié – Comme nous l’avons déjà évoqué, je n’arrive pas à penser la production d’une œuvre sans un travail en amont avec les personnes. Dans le cadre de projets artistiques éphémères, il peut se révéler plein de choses, parce qu’on est extérieur, on porte un regard neuf, on se sent autorisé à « mettre les pieds dans le plat »… Mais j’identifie aussi un phénomène de « lendemain de fête ». Une fois que l’œuvre est reçue, que l’artiste est parti, quid de la pérennité, l’appropriation, la durée ? Qui plus est, si l’intervention artistique a redonné de l’espoir, du ravissement, ça vaut la peine de penser l’après dans ce type de démarche, sinon cela peut être déceptif, voire douloureux dans ces milieux fragiles.

A. Parrau – Il y a aussi, dans nos façons de faire, la volonté de fournir des outils pour donner du pouvoir aux personnes sur elles-mêmes ou sur leur environnement, davantage que dans des logiques de médiation artistique où l’on explique ce qui est proposé. À travers des objets plus ou moins interactifs, l’usager a la possibilité de prendre part à son soin, à son espace, de faire des choix pour lui-même. 

M. Coirié – Je partage complètement cette approche. Je pense que lorsque l’objet est beau, doux, attirant, il est le déclencheur de quelque chose, mais il n’est pas central : c’est un prétexte à la relation à soi, à l’autre, et avec l’environnement. Alain Findeli Théoricien du design franco-canadien, professeur honoraire à l’Université de Montréal et professeur émérite à l’université de Nîmes. parle ainsi de « l’éclipse de l’objet » dans les nouvelles pratiques de design, qui déplace aussi la figure du créateur, du concepteur.

Antoinette, pourriez-vous illustrer votre démarche en évoquant votre travail autour du bien-être des patients, à travers l’expérience sensorielle ?

A. Parrau – Oui je peux parler de Ressources, un projet assez ambitieux en chambres de curiethérapie. C’était l’endroit, aux dires des soignants, le plus « déshumanisant » du Centre Eugène Marquis, car c’est une zone radioactive contrôlée.

Je suis partie de ma propre expérience de cure, du ressenti d’autres patients que j’ai interrogés, et du vécu des soignants qui se sentent dans l’incapacité d’accompagner pleinement les patients dans cet espace. Ma démarche était d’apporter de la distraction et de la magie avec une série de dispositifs interactifs. J’ai créé des lumières inspirées de phénomènes naturels sur lesquelles les patients peuvent agir. Nous avons mis en place une boîte avec six objets qui permettent des temps de soins de support Ensemble de soins et de soutiens permettant aux personnes de gérer au mieux les conséquences de la maladie et des traitements, sur les plans physique, psychologique et social., de type yoga, sophrologie, pleine conscience, avec un petit livret et des vidéos tuto. Nous avons aussi produit des objets bijoux, des objets poétiques et ludiques, un jeu vidéo low tech pour les adolescents… Il y a toujours une relation intuitive aux choses que je crée : proposer du possible et laisser le choix. Tout passe par le potentiel esthétique de ce qui est présenté. Ces dispositifs peuvent faire rentrer le patient dans un geste créatif ou dans une forme de concentration, de méditation.

Marie, vous travaillez beaucoup sur le sujet de l’accueil et de l’hospitalité mais aussi des liens avec l’extérieur de l’hôpital, des ponts avec la ville…

M. Coirié – Oui et pour l’illustrer je peux évoquer un projet récent baptisé Autour du livre qui est le fruit d’un partenariat entre le service des bibliothèques et de la lecture de la Ville de Paris et le Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences (GHU). En travaillant sur les espaces d’attente de l’hôpital, nous avons d’abord observé que la présence des livres dans les services était assez dégradée, au profit des télés avec des chaînes d’information en continu, ou des usages solitaires avec les smartphones. Cela peut provoquer de l’isolement ou de la pollution sonore et ajouter de l’agressivité à un climat qui n’est pas toujours très serein. Nous avons ensuite interrogé les patients qui se disent beaucoup trop fatigués pour la lecture, en revanche ils seraient sensibles aux images (livres de voyages, BD) ou à la possibilité de lire dans leur langue maternelle. Dans ces moments tragiques de l’existence, nous avons la conviction que le livre peut être un vrai compagnon et avons proposé de les réintroduire à l’hôpital, de manière qualitative.

Pour cela nous nous sommes rapprochées du Bureau des bibliothèques et de la lecture de la Mairie de Paris qui a mis à notre disposition de nombreux ouvrages dans toutes les langues, stockés dans leur réserve centrale. Nous avons ensuite dessiné et fait construire des lutrins, pour les présenter, comme en librairie, dans chaque service, afin de rallumer la flamme, le désir du livre.

© GHU Paris psychiatrie & neurosciences

Cela vous a-t-il permis de construire des échanges plus poussés entre la structure hospitalière et cette institution culturelle ? 

M. Coirié – Tout à fait. En dialoguant avec les services culturels, on s’est rendu compte qu’ils ont du mal à animer leur politique d’accès inconditionnel, et notamment en direction de ce que certains appellent du doux nom de « publics empêchés ». Nous avons donc signé une convention de partenariat pour construire ensemble une médiation culturelle de territoire, avec notamment des formations croisées, soignants/bibliothécaires. En bibliothèque, ils ont expérimenté la constitution d’un fonds de livres adaptés, plus inclusifs, ou ont amélioré leur signalétique, notamment dans l’espace petite enfance, parce qu’en pédopsychiatrie, il y a beaucoup de langage visuel.

Du côté du patient, cela permet aussi de préparer le retour à la cité. Quand on est hospitalisé en psychiatrie, quoi de mieux que d’aller fréquenter un lieu de culture ouvert, bien aménagé, et dans lequel il y a une diversité de services gratuits…?

Et à l’hôpital, quand les livres se volatilisent, on est très contents, parce que ça veut dire qu’ils poursuivent leur chemin ailleurs !

Est-ce que cette approche du design dans le champ du soin, de la santé, du social est aujourd’hui enseignée dans les écoles des beaux-arts ou de design ? Les étudiants y sont-ils réceptifs ?

A. Parrau – J’observe qu’il y a une véritable volonté de faire autrement chez les élèves en école d’art, non pas pour répondre à de nouveaux codes sociaux, mais pour faire société. Travailler sur le climat de soin, être à l’écoute, utiliser des matériaux d’éco-conception… Je sens une évolution. Avant, la question du soin n’avait pas autant de place dans les écoles. Aujourd’hui je vois des étudiants et étudiantes s’approprier ces questions dans l’espace domestique, en milieu hospitalier et jusque dans la ville. Développer un climat de soin de l’hôpital à la cité fait partie des utopies que je veux aider à porter, pour un futur désirable.

M. Coirié – Je crois aussi qu’un mouvement est en cours. Nous recevons de plus en plus d’étudiants – principalement des filles – réceptifs, politisés et débrouillards. Autre signe : on compte aujourd’hui une dizaine de designers embauchés dans des hôpitaux en France, et il y a des postes qui se créent. Cela dit ce n’est cependant pas facile d’arriver dans une grosse machine comme l’hôpital. Le designer y est aussi vulnérable. Je pense que les écoles peuvent encore faire un pas de plus à cet endroit pour aider les élèves à s’y préparer. 

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23.10.2024 à 11:29

Baromètre sur les budgets et choix culturels des collectivités territoriales : volet national 2024

Frédérique Cassegrain

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Comment les collectivités territoriales et intercommunalités envisagent-elles l’évolution de leurs dépenses culturelles en 2024 après plusieurs années de crises (Covid-19, crises énergétique et inflationniste, etc.) et alors que les alertes sur leurs finances se font toujours plus nombreuses ? Quelles sont leurs priorités ? Comment s’orientent leurs choix de politique culturelle ? 

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Texte intégral (6027 mots)

[La publication complète du baromètre 2024 est disponible ici.]

Outil annuel de mesure de l’évolution de l’action publique territoriale de la culture, le baromètre s’appuie sur une enquête réalisée auprès d’un échantillon de collectivités territoriales par l’Observatoire des politiques culturelles avec le soutien du ministère de la Culture-DEPS et DG2TDC, et en partenariat avec Régions de France, Départements de France, France urbaine, Intercommunalités de France, Villes de France, FNADAC, FNCC, Culture·Co, Culture & départements.

Le volet national du baromètre2024 repose sur les données déclarées L’enquête a été menée par questionnaire (via emailing et campagne téléphonique auprès des directeurs et directrices des affaires culturelles prioritairement) d’avril à juin 2024. par un échantillon de 202 collectivités (régions, départements, collectivités à statut particulier, communes de plus de 50 000 habitants) et intercommunalités (comprenant une ville de plus de 50 000 habitants) en matière d’évolution des budgets primitifs et de positionnement culturel. Il concerne également des éléments de conjoncture.

Avec un nombre de répondants supérieur à l’enquête 2023, le baromètre 2024 offre des résultats consolidés pour les principales catégories territoriales. Le taux de réponse est de 100 % pour les régions. Il avoisine les 75 % pour les départements, les 55 % pour les communes de plus de 50 000 habitants, ainsi que pour les intercommunalités comprenant une ville de plus de 50 000 habitants (dont 85 % de taux de réponse pour les métropoles) L’échantillon est constitué de : 13 régions ; 68 départements ; 73 communes de plus de 50 000 habitants, dont 23 communes de plus de 100 000 habitants et 50 communes de 50 000 à 100 000 habitants ; 45 intercommunalités comprenant une ville de plus de 50 000 habitants, dont 19 métropoles, 3 communautés urbaines, 23 communautés d’agglomération ; 3 collectivités d’Outre-mer à statut particulier (2 collectivités d’Outre-mer et une collectivité à statut particulier située en Outre-mer)..

1. Évolutions des budgets primitifs, des emplois culturels et des subventions des collectivités et intercommunalités

Ce qu’il faut retenir : les évolutions déclarées en matière budgétaire pour 2024 s’inscrivent dans la continuité des tendances observées sur la période précédente (2022-2023). Les collectivités territoriales cherchent majoritairement à maintenir leur niveau de soutien à la vie culturelle malgré des marges de manœuvre limitées, voire plus contraintes pour certaines d’entre elles https://www.banquedesterritoires.fr/finances-locales-le-bloc-communal-resilient-departements-et-regions-la-peine. Pour l’ensemble des collectivités territoriales, on constate moins d’augmentations des budgets primitifs culturels de fonctionnement (hors masse salariale) entre 2023 et 2024 qu’au cours de la période précédente, mais cette tendance générale est à relativiser au regard de certaines évolutions plus favorables déclarées par le bloc local (communes et intercommunalités) et de son poids prépondérant dans les dépenses culturelles. La situation budgétaire globalement stable qui ressort du baromètre 2024 n’enlève rien aux difficultés financières éprouvées par les milieux culturels, du fait notamment des flambées inflationnistes de ces dernières années que ne parviennent pas à compenser les évolutions des dépenses des collectivités dans ce domaine. Ajoutons que cette situation pourrait être encore impactée négativement par les efforts budgétaires importants demandés par l’État aux collectivités locales dans le projet de loi de finances 2025.

Concernant les évolutions des budgets (budgets primitifs totaux non uniquement culture, budgets culturels de fonctionnement et d’investissement), des emplois et des subventions culturels des collectivités entre 2023 et 2024, la stabilité (comprenant les évolutions inférieures à 1 %) arrive systématiquement en tête si l’on considère l’échantillon complet. Et le cumul des réponses indiquant une hausse est supérieur à celui des déclarations de baisses. Ces tendances confirment celles constatées dans le baromètre précédent qui traitait des évolutions entre 2022 et 2023.

Plusieurs directeurs et directrices des affaires culturelles (DAC) insistent dans leurs réponses sur le contexte financier dégradé de leur collectivité, avec des perspectives pessimistes pour l’avenir [Le budget est] « stable du fait du maintien de la politique, mais avant des baisses probables au regard du contexte national des départements. » ; « L’arbitrage est de plus en plus complexe, du fait de l’augmentation des demandes et de la baisse des moyens alloués (budgets). » ; « Si les tensions budgétaires n’ont quasiment pas eu d’impact sur l’engagement de la collectivité en matière culturelle, la préparation du budget 2025 laisse entrevoir des baisses de crédits significatives, évaluées à ce stade à plus ou moins 10 %. ». Certains évoquent des adaptations nécessaires face aux contractions budgétaires, notamment à travers la reconfiguration ou l’arrêt de certains dispositifs de soutien : « La légère baisse du budget a été possible de façon assez neutre grâce à des dispositifs qui arrivaient à échéance. » ; « Un grand nombre de dispositifs ont été baissés ou suspendus. L’effet sur l’emploi n’est pas encore tangible, mais devrait se faire sentir au gré des départs (objectif annoncé de baisse de la masse salariale). » Comme le soulignent plusieurs responsables culturels, un maintien du budget revient, avec l’inflation, à faire moins d’actions et ne compense pas la hausse des charges, par exemple dans l’économie du spectacle vivant (cachets artistiques, dépenses énergétiques…).

Graphique 1 : évolution des budgets culturels de fonctionnement (hors masse salariale) votés par les collectivités et intercommunalités entre 2023 et 2024

Indication de lecture : 4 régions indiquent une baisse de 1 à 4,9 % de leur budget culturel de fonctionnement entre 2023 et 2024, etc.

Graphique 2 : Évolution des budgets culturels de fonctionnement (hors masse salariale) votés par les collectivités et intercommunalités entre 2023 ey 2024.

L’examen des budgets primitifs culturels de fonctionnement (hors masse salariale) montre que 49 % des collectivités et intercommunalités de l’échantillon déclarent une stabilité entre 2023 et 2024, contre 43 % l’année précédente. 30 % indiquent une augmentation, en retrait de 8 points par rapport à l’enquête précédente. 21 % déclarent une baisse.

À peine 14 % des collectivités déclarent augmenter leur budget culturel de fonctionnement dans des proportions égales ou supérieures au taux d’inflation 2023 (+4,9 %). Par ailleurs, les hausses déclarées de budgets culturels de fonctionnement sont moins fréquentes que celles des budgets primitifs totaux (non uniquement culture) votés par les collectivités entre 2023 et 2024 (30 % contre 41 %) Cf. graphique p. 22 de la publication complète du baromètre 2024.. À l’inverse, les baisses des budgets culturels de fonctionnement s’annoncent plus nombreuses que celles des budgets primitifs totaux. Cette double tendance pourrait être interprétée comme le signe d’une dépriorisation politique de la culture dans les constructions budgétaires ou encore la conséquence du jeu des dépenses obligatoires, en particulier pour les départements.  

La stabilité budgétaire en fonctionnement domine pour l’ensemble des grandes catégories de collectivités (ou de leurs groupements) entre 2023 et 2024. Par rapport à l’enquête précédente, la situation est plus dégradée pour les régions (plus de deux fois plus de baisses) et pour les départements. La part des départements qui baissent leurs budgets de fonctionnement a en effet doublé (de 9 % dans le baromètre 2023 à 20 % dans l’enquête 2024) et celle des départements qui les augmentent est passée de 49 % à 27 %.

Ce sont les intercommunalités qui déclarent le plus d’augmentations entre 2023 et 2024 : 34 % de l’échantillon des communautés urbaines et d’agglomération (contre près de 20 % sur la période précédente) et 42 % des métropoles (contre 39 % sur la période antérieure).

La situation des communes de plus de 50 000 habitants, relativement dégradée sur la période précédente, est plus favorable cette année : la part des communes qui indiquent baisser leur budget primitif culturel de fonctionnement est passée de 34 % dans l’enquête 2023 à 21 % cette année. C’est une indication importante au regard de la structuration budgétaire des politiques culturelles puisque le bloc local représente environ 80 % des dépenses culturelles des collectivités territoriales, devant les départements (12 %) et les régions (9 %). 

Graphique 3 :  évolution des budgets de fonctionnement (hors masse salariale) par domaines entre 2023 et 2024.

L’observation de l’évolution des budgets de fonctionnement (hors masse salariale) par domaines de politique culturelle confirme la tendance à la stabilité, pour plus de la moitié des collectivités quel que soit le domaine. Les augmentations les plus fréquentes concernent les festivals/événements, l’action culturelle/EAC, dans la lignée de ce que l’on constatait déjà dans l’enquête 2023. En revanche, les baisses se répartissent de manière plus homogène entre les domaines qu’en 2023 où le spectacle vivant apparaissait particulièrement touché.

Plus de 30 % des régions déclarent augmenter leur soutien à l’action culturelle/EAC ainsi qu’au livre et à la lecture. 38 % des communes indiquent augmenter leur soutien aux festivals/événements. 37 % des métropoles déclarent un soutien à la hausse pour le spectacle vivant et 32 % au livre et à la lecture ainsi qu’aux festivals/événements.

Au niveau des départements, les baisses impactent un peu moins souvent certaines compétences obligatoires (livre et lecture, enseignement artistique), alors qu’au niveau des communes ce sont les enseignements artistiques qui doivent le plus fréquemment composer avec des baisses budgétaires.

Graphique 4 :  Évolution des budgets culturels d'investissement votés par  les collectivités et intercommunalités entre 2023 et 2024.

42 % des collectivités et intercommunalités de l’échantillon déclarent une stabilité de leur budget primitif culturel d’investissement entre 2023 et 2024 (elles étaient 48 % pour la période 2022-2023), 37 % une augmentation (contre 35 % pour la période précédente) et 22 % une baisse (contre 18 % pour la période précédente).

Les baisses impactent de façon assez homogène les différents échantillons de catégories de collectivités entre 2023 et 2024. Les fortes baisses (supérieures à 10 %) sont plus nombreuses que sur la période précédente. La situation s’est particulièrement dégradée pour les métropoles : elles sont plus nombreuses à baisser leur budget culturel d’investissement cette année et moins nombreuses à l’augmenter qu’entre 2022 et 2023.

Les régions et les communes sont les catégories qui déclarent le plus d’augmentations en investissement.

L’examen des données qualitatives de l’enquête apporte quelques compléments d’information utiles. Plusieurs projets d’équipements – notamment muséaux – y sont mentionnés afin d’expliquer certaines évolutions à la hausse des budgets culturels. Parfois, l’inscription dans une démarche de labélisation avec la candidature à un titre de « Capitale culturelle » peut favoriser un niveau d’engagement budgétaire renforcé. Enfin, plusieurs DAC indiquent également des apports de crédits en 2024 liés à l’année olympique.

Concernant l’évolution du nombre d’emplois culturels dans les collectivités et intercommunalités, la situation est assez proche de celle de la période antérieure, avec une stabilité déclarée par plus de 60 % des répondants Cf. graphiques p. 28 de la publication complète du baromètre 2024.. Le cas des communes de 50 000 à 100 000 habitants se distingue avec une situation plus éclatée que celle des autres catégories territoriales : c’est dans ces communes que l’on trouve à la fois le plus fort taux de baisses et le plus fort taux de hausses déclarées du nombre d’emplois culturels.

Graphique 5 : Évolution du montant total des subventions versées aux associations culturelles par les collectivités et intercommunalités entre 2023 et 2024.

La stabilité domine également pour ce qui est des subventions versées aux associations culturelles entre 2023 et 2024 par les collectivités de l’échantillon (près de 60 %). Les hausses déclarées ont augmenté entre 2023 et 2024 par rapport à la période 2022-2023 : 27 % contre 21 %.

La situation s’avère néanmoins assez disparate selon les types de collectivités. Les départements sont ceux qui indiquent le plus grand nombre de baisses de leurs subventions aux associations culturelles entre 2023 et 2024 : ils sont deux fois plus nombreux cette année par rapport à la période 2022-2023 (21 % contre 10 %). À l’inverse, la situation semble s’améliorer – avec plus de hausses – au niveau du bloc local (communes et intercommunalités) ; faut-il y voir le signe d’une proximité plus marquée entre l’exécutif et les acteurs subventionnés ?

2. Positionnement des collectivités et intercommunalités en matière culturelle

Ce qu’il faut retenir : le volet du baromètre qui traite des orientations de politique culturelle et des positionnements en matière de coopération publique montre une certaine continuité par rapport à l’année précédente.

Les registres d’offre et d’accès continuent à dominer l’agenda des exécutifs territoriaux, au côté des logiques territoriales et éducatives de l’intervention culturelle. La philosophie d’action de la démocratie culturelle et les problématiques de transitions du secteur apparaissent plus dynamiques que lors de l’enquête précédente. Du point de vue des nouvelles formes de pilotage des politiques culturelles, une majorité de collectivités applique des critères de conditionnalité à leurs aides financières dans la culture, bien que dans des proportions un peu moindres qu’en 2023.

a/ Orientations de politique culturelle

Comment les DAC perçoivent-ils la place donnée à la politique culturelle ? 67 % considèrent qu’il n’y a pas eu de dépriorisation au cours des deux dernières années et que la politique culturelle est autant une priorité qu’avant pour leur collectivité. 23 % estiment qu’il s’agit encore plus d’une priorité qu’avant (en particulier pour une partie significative des communes de plus de 100 000 habitants) ; ils étaient 30 % à le déclarer dans le baromètre 2023. Si elle reste significative, l’importance politique accordée à la politique culturelle subit une légère érosion.

Quels sont les objectifs politiques qui orientent en priorité les choix culturels des exécutifs ? Les réponses des collectivités et intercommunalités – demandées sous forme de trois mots-clés – sont représentées sur le nuage de mots. En 2024, au niveau de l’ensemble de l’échantillon, plusieurs orientations (les occurrences les plus fréquentes) se dégagent, qui prolongent les résultats du baromètre 2023 et confortent cette priorisation globale de l’action publique culturelle : accessibilité, éducation artistique et culturelle, territoire.

Graphique 6 : Objectifs politiques qui orientent en priorité les choix culturels de l'exécutif des collectivités et intercommunalités (nuage de mots faisant ressortir les termes « accessibilité », « territorial »,  « diversité » et « Eac ».

Pour faciliter la lecture et atténuer les effets liés à la pluralité des termes utilisés pour qualifier un même type de positionnement culturel, une thématisation en 14 registres d’action a été élaborée à partir des objectifs politiques qui orientent en priorité les choix des exécutifs des collectivités et intercommunalités répondantes. Chaque thème inclut une série de mots-clés, dont voici les principaux exemples :

– Accès : accessibilité/accès (pour tous), culture pour tous, démocratisation, médiation, publics…

– Création artistique : création, soutien aux artistes, présence artistique…

– Démocratie culturelle : diversité, participation, droits culturels…

– Domaines culturels : patrimoine, lecture publique, arts plastiques, numérique, industries culturelles…

– Éducation-jeunesse : jeunesse, éducation, EAC, jeune public…

– Gouvernance-coopération : partenariats, coopération, mutualisation, réseaux, concertation…

– Impact social : lien social, inclusion, vivre ensemble, mixité, solidarité, cohésion, émancipation… 

– Ingénierie : accompagnement, structuration, ingénierie…

– Logiques économiques : budget, modèle économique, économies budgétaires…

– Logiques territoriales : territoire, attractivité, rayonnement, équité, proximité, ancrage territorial, maillage, identité, ruralité, aménagement… 

– Offre : diffusion, équipements, événementiel, qualité, exigence, lisibilité…

– Principes d’action publique : continuité, efficacité, innovation, pluridisciplinarité…

– Transitions : transition, environnement…

– Divers : cette catégorie correspond à plusieurs terminologies générales qui ne rentrent pas dans les catégories précédentes.

Graphique 7 : Registres d'action : thématisation des objectifs politiques qui orientent en priorité les choix culturels de l'exécutif des collectivités et intercommunalités (plusieurs entrées possibles par collectivité).

Les logiques territoriales, d’accès, d’offre et d’éducation-jeunesse continuent à dominer les choix de priorisation de l’action publique culturelle. Les registres de la démocratie culturelle et des transitions apparaissent renforcés par rapport à 2023, manifestant des volontés de changement et de transformation du secteur ; les problématiques de transitions sont particulièrement investies par les politiques culturelles régionales.  

On note aussi des variations dans les priorités affichées selon les niveaux de collectivités : 

– régions : les registres des logiques territoriales, de l’accès, de la création artistique et des transitions arrivent en tête ; 

– départements : les registres des logiques territoriales et d’accès sont prioritaires, devant les registres d’éducation-jeunesse et d’impact social ;

– communes : les registres d’accès, d’offre et d’éducation-jeunesse dominent les choix culturels des exécutifs locaux, bien que la philosophie d’action de la démocratie culturelle y soit plus affirmée que dans les autres niveaux de collectivités. Comme en 2023, il s’agit de la catégorie de collectivité où la palette des registres prioritaires de politiques culturelles investis est la plus large : autrement dit, l’échelon communal apparaît comme étant le plus généraliste et le moins focalisé sur tel ou tel registre d’action ;

– métropoles : les logiques territoriales dominent, souvent autour d’enjeux de rayonnement, avec également une place notable des orientations visant à infléchir les pratiques de gouvernance et de coopération dans le secteur culturel, ainsi que d’y promouvoir des principes généraux d’action publique (développement, intersectorialité, complémentarité…) ;

– communautés urbaines et communautés d’agglomération : les logiques territoriales sont les plus plébiscitées, devant les registres d’offre et d’éducation-jeunesse.

Le baromètre 2024 a également abordé le sujet du soutien aux pratiques artistiques en amateur au cours des deux dernières années Cf. graphiques p. 38 de la publication complète du baromètre 2024. : sur l’ensemble de l’échantillon, 57 % des collectivités et intercommunalités indiquent un maintien de leur effort dans ce domaine, 6 % un affaiblissement et 24 % un renforcement. 57 % des communes de plus de 100 000 habitants déclarent un accroissement de leur appui aux pratiques artistiques en amateur.

Graphique 8 : Critères de conditionnalité des aides financières attribuées par les collectivités et intercommunalités  (plusieurs réponses possibles).

La manière dont les collectivités conditionnent (ou non) certaines de leurs aides financières apporte des informations complémentaires sur la conduite de l’action publique et sa (re)politisation à partir de critères exogènes. En 2024, les répondants qui indiquent une absence de critères de conditionnalité sont plus nombreux qu’en 2023 La notion est parfois complexe dans son application et certains répondants précisent ne pas parler stricto sensu de « conditionnalité » pour certaines modalités, mais plutôt d’éléments d’appréciation ou d’une attention portée à certaines dimensions : « Ces éléments font partie de nos critères d’appréciation, mais les subventions, si elles dépendent en partie de ces critères, ne sont pas à proprement parler “conditionnées”. » ; « Sur certains items, des points d’attention dans l’instruction plus que des conditionnalités pures et dures. » : 43 % cette année, contre 34 % l’an dernier. Pour les collectivités qui en déclarent, la promotion de la diversité culturelle est privilégiée (plus d’un tiers des répondants), devant l’égalité entre femmes et hommes et l’impact écologique. Ce critère écologique est étonnamment en net retrait par rapport au baromètre 2023. 

Parmi les réponses « autres » figurent des critères autour de la dimension territoriale (équité ou couverture territoriale) et de la laïcité.

b/ Coopération publique

Graphique 9 : Évolution de la coopération des collectivités et intercommunalités en matière de politique culturelle

Par rapport au baromètre 2023, on ne constate pas de réelle modification dans la perception du système de coopération publique inhérent aux politiques culturelles. Une certaine stabilité partenariale domine : un peu plus de la moitié des DAC estiment que la coopération n’a pas évolué avec l’État et un peu moins de la moitié considèrent qu’elle n’a pas évolué avec les autres niveaux de collectivités territoriales. Et 39 % estiment qu’elle s’est même accrue dans les deux cas.

De façon complémentaire, la majorité des collectivités indiquent ne pas être à la recherche d’une plus grande autonomie dans la conduite de leur politique culturelle par rapport à celle de l’État (57 %) et à celle des autres niveaux de collectivités territoriales (65 %). Ces résultats peuvent être lus comme le souhait, dans un contexte budgétaire contraint, de maintenir les partenariats à l’œuvre et les logiques de mutualisation budgétaire, et comme le signe d’une forte imbrication des politiques culturelles des collectivités territoriales avec les dispositifs de l’État.

Graphique 10 : Positionnement des collectivités et intercommunalités : recherche d'une plus grande autonomie dans la conduite de leur politique culturelle par rapport à celle de l'état.

Plus des deux tiers des régions déclarent toutefois rechercher une plus grande autonomie (fonctionnelle et/ou politique) dans la conduite de leur intervention culturelle vis-à-vis de l’État : cette tendance s’est nettement accentuée depuis 2023. Faut-il y voir une volonté de leur part de jouer un rôle différent dans la gouvernance des politiques culturelles territoriales, ou un souhait d’une délégation accrue de compétences de l’État ? Par ailleurs, cette tendance est aussi plus prononcée en 2024 pour les communes de plus de 100 000 habitants, dont le poids important dans les financements croisés se double d’une volonté de mobiliser les activités culturelles dans leurs propres logiques politiques et de développement territorial.

Graphique 11 : Positionnement des collectivités et intercommunalités : recherche d'une plus grande autonomie dans la conduite de leur politique culturelle par rapport à celle des autres niveaux de collectivités territoriales.

La volonté de bénéficier de davantage d’autonomie vis-à-vis des autres niveaux de collectivités territoriales est plus prononcéequ’en 2023 pour les communes et les intercommunalités. Elle est cependant en reflux pour les départements. Seuls 4 % d’entre eux déclarent rechercher une plus grande autonomie dans la conduite de leur politique culturelle par rapport aux autres niveaux de collectivités territoriales. De nombreux départements ont en effet développé un rôle de facilitateur au sein des systèmes territoriaux de coopération publique et se positionnent aujourd’hui comme des partenaires privilégiés des EPCI pour les accompagner dans le déploiement de leurs politiques culturelles (ingénierie, dispositifs territorialisés, projets culturels de territoire, etc.). 

Ces évolutions augurent-elles l’émergence de nouveaux équilibres et de nouvelles configurations de coopération entre collectivités dans la culture ? Notons que le nombre de répondants qui indiquent ne pas être en mesure de renseigner l’information sur une éventuelle recherche d’autonomie a augmenté par rapport à l’enquête 2023, renforçant ainsi le sentiment d’une plus grande incertitude quant aux positionnements politiques en matière de partenariat public.

3. Focus sur la transition écologique et sur les entraves à la liberté de création/diffusion artistique et les atteintes matérielles contre des œuvres ou des équipements culturels

Ce qu’il faut retenir :l’édition 2024 du baromètre a permis d’approfondir les problématiques de transition écologique dans le secteur public de la culture et d’aborder de nouvelles questions conjoncturelles autour des formes de pressions qui impactent la liberté de création/diffusion artistique ainsi que des atteintes matérielles aux biens culturels.

Graphique 12 : Place de la transition écologique dans la politique culturelle des collectivités et intercommunalités.

Les DAC ont d’abord été interrogés sur l’importance accordée à la transition écologique dans la politique culturelle de leur collectivité, sur une échelle de 0 (inexistante) à 5 (très importante). Sa place est jugée plus prépondérante pour les communes de plus de 100 000 habitants (note de 3,8) devant les régions (3,2), les métropoles (3), les communes de moins de 100 000 habitants (2,6), les communautés urbaines et d’agglomération (2,4) et les départements (2,1) Cf. graphique p. 48 de la publication complète du baromètre 2024..

Graphique 13 : démarches mises en place par le service culturel des collectivités et intercommunalités en faveur de la transition écologique (plusieurs réponses possibles).

Il a également été demandé aux responsables culturels quelles démarches ont été mises en place par leur service en faveur de la transition écologique. 18 % indiquent ne pas avoir mis en place d’action spécifique. Pour les collectivités et intercommunalités qui en déclarent, les mesures de sobriété énergétique (équipements culturels, adaptation du patrimoine…) sont les plus citées (plus de la moitié des 202 répondants ; deux tiers des communes et des métropoles), devant les démarches de concertation avec les acteurs culturels du territoire (notamment citées par 85 % des régions) et les actions de formation des agents.

Quelques responsables culturels évoquent par ailleurs la mise en œuvre d’un plan d’action global au niveau de la direction générale et/ou culturelle de la collectivité.

Graphique 14 : Constatation d'entraves et d'atteintes sur le territoire en 2023-2024.

Enfin, le baromètre 2024 a porté un regard sur les problématiques d’entraves à la liberté de création/diffusion artistique et d’atteintes matérielles contre des œuvres ou des équipements culturels pris pour cible, alors que nombre de débats, tribunes et articles de presse ont relaté des événements de ce type ou se sont emparés du sujet au cours de l’année écoulée.

Une grande majorité de responsables culturels (environ 8 sur 10) indiquent ne pas constater ces phénomènes en 2023-2024 sur leur territoire. Pour plus ou moins 10 % des collectivités et intercommunalités répondantes, ils sont jugés en augmentation. 

Les précisions apportées par les responsables culturels montrent qu’une petite moitié des entraves à la liberté de création/diffusion artistique s’apparente à des intimidations et des pressions citoyennes et associatives, liées pour certaines à des convictions religieuses.

Concernant les atteintes matérielles, il s’agit pour moitié de dégradations et d’incendies d’équipements liés aux émeutes de l’été 2023. Et près de 40 % correspondent à des dégradations ou vols d’œuvres et des actes de vandalisme dans l’espace public, dont des tags.

L’ensemble des traitements, notamment par catégories territoriales, est disponible dans la publication complète du baromètre 2024 (à télécharger ci-dessous).

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18.10.2024 à 09:49

Geneviève Gentil : une grande dame du ministère de la Culture vient de nous quitter

Lisa Pignot

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C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Geneviève Gentil, personnalité active et radieuse de notre Assemblée générale pendant de longues années, qui a tant apporté à l’OPC par son esprit vif et son regard bienveillant. Au-delà des moments partagés, reste l'impressionnante collection d’ouvrages sur les politiques culturelles qu’elle a pilotée au sein du Comité d’histoire du ministère de la Culture. Philippe Poirrier lui rend ici hommage.

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Texte intégral (1008 mots)

La disparition brutale de Geneviève Gentil (1930-2024) a suscité une large émotion chez ceux qui, du Service des études et recherches (SER) devenu Département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation (DEPS) au Comité d’histoire du ministère de la Culture, ont croisé son chemin et ont bénéficié de ses conseils et de son aide.

J’ai rencontré Geneviève au milieu des années 1990. Le petit groupe de chercheurs auquel j’appartenais, issu du séminaire d’histoire culturelle que dirigeaient Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli à l’Institut d’histoire du temps présent du CNRS, avait organisé à l’Institut d’études politiques de Paris, en février 1994, une journée d’études sur l’histoire des politiques culturelles des collectivités locales. À l’issue de cette journée, à laquelle elle avait assisté avec Augustin Girard, Geneviève nous proposa de publier les actes dans la toute jeune collection du Comité d’histoire du ministère de la Culture (CHMC). Une étroite collaboration de plus de vingt ans s’ensuivit. En 1996, Geneviève quittait le DEPS où elle était entrée en 1967 : une fausse « retraite » car elle allait s’engager jusqu’en 2011 dans le fonctionnement du Comité d’histoire, avec Augustin Girard (1993-2007) puis avec Maryvonne de Saint-Pulgent. Ensuite, elle resta officiellement « conseillère » de cette dernière et aidera ses successeurs au secrétariat général du CHMC.  

Pendant toutes ces années, Geneviève sera la grande organisatrice des multiples actions entreprises par le CHMC. Celui-ci s’imposa comme un des lieux où se construisait et s’écrivait l’histoire des politiques et institutions culturelles. Séminaires, journées d’études et colloques, campagnes d’histoire orale, actions commémoratives, opérations de sensibilisation destinées aux agents du ministère rythmaient un calendrier d’une grande densité. Je souhaite surtout insister sur l’aide essentielle qu’elle apporta aux (jeunes) chercheurs. Geneviève permettait un luxe comme nulle part ailleurs : travailler sans se soucier des questions matérielles et financières. Sa connaissance des arcanes de l’administration centrale du ministère de la Culture et ses relations personnelles avec ceux et celles qui, depuis les années Malraux, avaient porté cette politique permettaient d’ouvrir bien des portes, d’accéder à des archives, de nouer des relations fructueuses pour la recherche. Surtout, Geneviève accordait une place essentielle à la publication des travaux ; le plus souvent publiés sous la forme de livres diffusés par La Documentation française. L’expérience du DEPS lui avait appris qu’il ne reste pas grand-chose d’un séminaire ou d’un colloque si les actes ne sont pas publiés. Ensuite, elle savait que le livre vivrait sa propre vie, circulerait au sein du ministère, serait approprié par les chercheurs et pourrait toucher un plus large public, celui des acteurs des mondes de la culture, et quelquefois bien au-delà. Deux ou trois générations de chercheurs lui doivent beaucoup.

L’Observatoire des politiques culturelles (OPC) et le Comité d’histoire du ministère de la Culture partageaient certaines valeurs et convictions : que tout ne se passe pas à Paris ; un intérêt non démenti pour la décentralisation et la déconcentration culturelle ; le dialogue entre chercheurs et acteurs des politiques culturelles ; l’écho lointain, mais toujours présent, de l’éducation populaire ; la volonté de transmettre et de partager les connaissances et les expériences. L’Observatoire, revue de l’OPC, accorda toujours une large place aux publications du Comité d’histoire. Geneviève jouait un rôle d’intermédiaire. Elle avait conservé de solides amitiés chez les « Grenoblois » : René Rizzardo bien sûr ; mais aussi Jean-Pierre Saez et Guy Saez. En 2004, René Rizzardo, membre du Comité d’histoire, ancien élu grenoblois et ancien directeur de l’Observatoire des politiques culturelles, suggéra de poursuivre les travaux afin de mieux comprendre la construction historique de la coopération entre l’État et les collectivités locales. En novembre 2005, un premier séminaire se déroula sur trois demi-journées à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Cette première manifestation a été suivie par des séminaires, des journées d’étude et une campagne de recueils de témoignages oraux. La restitution de ces travaux a fait l’objet de l’ouvrage publié en 2009 (Une ambition partagée ? La coopération entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales, 1959-2009) et d’une journée d’études au Sénat.

Par-delà l’ampleur du travail accompli, c’est la personnalité de Geneviève qui a frappé tous ceux qui ont eu la chance de collaborer avec elle. Une forme d’autorité naturelle était tempérée par une bienveillance de tous les instants ; une écoute et une générosité ; la volonté de vous aider pour que vos projets aboutissent. Geneviève a incarné une haute idée du service public de la culture ; ne ménageant ni son énergie, ni son temps ; avec humilité et modestie. Elle croyait au rôle émancipateur de la culture. Elle nous manque.

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17.10.2024 à 13:31

Les années 70, le développement culturel et l’esprit de Mai 68

Aurélie Doulmet

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Mai 68 a-t-il eu un impact sur les politiques culturelles ? « Il faut beaucoup d’églises autour des cathédrales. » Par ces mots, Jacques Duhamel, ministre de 1971 à 1973, résume la philosophie des centres de développements culturels qu’il crée dans un esprit plus modeste, et en plus grand nombre que les maisons de la culture. Une idée qui […]

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Mai 68 a-t-il eu un impact sur les politiques culturelles ? « Il faut beaucoup d’églises autour des cathédrales. » Par ces mots, Jacques Duhamel, ministre de 1971 à 1973, résume la philosophie des centres de développements culturels qu’il crée dans un esprit plus modeste, et en plus grand nombre que les maisons de la culture. Une idée qui répond alors aux aspirations de Mai 68.

Dans ce 8e épisode, Guy Saez dépeint des années marquées par une valse de ministres et une atonie, à l’exception de l’empreinte laissée par Jacques Dumahel. Une violente conflictualité éclate au sein des milieux culturels, déchirés entre vision militante de l’action culturelle et aspiration à donner les pleins pouvoirs aux artistes.

Partenaires

Un podcast imaginé par l’OPC et le Comité d’histoire du ministère de la Culture.

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10.10.2024 à 11:37

Les théâtres universitaires : où les situer dans le paysage culturel ?

Frédérique Cassegrain

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En marge des scènes traditionnelles, les théâtres universitaires jouent un rôle essentiel dans la vie culturelle étudiante, mais aussi en tant que lieux d’expérimentation et d’émergence artistique. Quels sont leurs statuts et modalités de gouvernance ? Parviennent-ils à articuler leurs missions avec les politiques culturelles des universités ? Et quelles voies explorent-ils pour dialoguer avec l’ensemble des parties prenantes universitaires et culturelles sur leur territoire ?

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Texte intégral (3709 mots)
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Les théâtres universitaires (TU) s’inscrivent dans une longue histoire, autour d’un passé particulièrement riche en initiatives et découvertes dans ses rapports aux artistes, aux étudiants, aux publics, avec le développement de projets (festivals, formes et pratiques théâtrales audacieuses), sans oublier qu’ils furent un incroyable vivier de l’émergence artistique Ph. Poirrier, R. Germay (dir.), Le Théâtre universitaire. Pratiques et expériences, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2013. comme en témoignent le Festival mondial du théâtre universitaire à Nancy, créé en 1963 par Jack Lang, ainsi que les parcours d’Ariane Mnouchkine, Jacques Nichet, Jean-Marie Serreau.

Ces théâtres ont longtemps été réputés pour leur place charnière entre l’univers artistique et universitaire, le monde professionnel et les amateurs, en favorisant des lieux de travail, de rencontres et de sociabilité où s’expérimentent d’autres liens et formes artistiques susceptibles de se déployer au-delà des campus.

Pourtant, ils semblent aujourd’hui s’être quelque peu effacés du monde universitaire et du paysage culturel français. Où les situer ? Si « le théâtre universitaire a toujours peu ou prou été le miroir de la place qu’occupe ou que cherche l’université dans la société R. Germay, « Le théâtre universitaire : jeux et enjeu », Coulisses. Revue de théâtre, no 8, été 1993. », quelles sont aujourd’hui ses missions dans une université française de plus en plus autonome ? Parviennent-elles à s’articuler à celles des universités, voire aux politiques culturelles qui leur sont propres ? (Re)poser cette question en 2024, c’est aussi interroger en creux la place de la culture et des humanités dans un système universitaire en grande transformation où l’utilitarisme et l’économisme sont devenus des dogmes structurants Ph. Poirrier, R. Germay (dir.), 2013, op. cit., p. 10.. C’est à ces questionnements que se consacre cet article, en s’appuyant sur le colloque Participaient à ce débat : Nolwenn Bihan (Nantes Université), Lee Fou Messica (université de Metz), Nicolas Dubourg (université de Montpellier) et Emmanuel Ethis (recteur de la région académique Bretagne). organisé lors des journées de recherche des 30 juin et 1er juillet 2022, au TU-Nantes.

Une appellation commune qui occulte une palette de missions et de statuts 

En 1997, Christian Pratoussy Chr. Pratoussy, « Théâtre et université : les effets d’une rencontre. Étude sur les conditions de l’enseignement du théâtre à l’université », thèse de doctorat en sciences de l’éducation, université Lyon 2, 1997. rappelait très justement que « le théâtre universitaire ne se résume peut-être pas qu’à la réunion d’un article, d’un nom et d’un adjectif. Il se pourrait fort bien que le tout soit différent de la somme des parties ». En France comme en Europe, on ne peut, en effet, que constater leur très grande diversité Un réseau international des TU a même cherché à les fédérer avec la Charte de Liège, établie en Belgique en 1994..

Un TU, c’est avant tout « un projet issu du terrain », pour reprendre la formule de Nicolas Dubourg, directeur du théâtre universitaire La Vignette, à l’université Paul-Valéry de Montpellier : « C’est souvent un projet qui a été amorcé par des enseignants, ou des militants de la culture et qui, peu à peu, s’est fait une place dans l’institution universitaire. » Certains entretiennent des relations étroites avec le CROUS Certains TU ont été créés par un CROUS : par exemple à Dijon, le service culturel du CROUS dispose de trois structures culturelles, fédérées autour d’un intérêt commun à agir, proposant des espaces permettant l’émergence créatrice (pour les associations culturelles étudiantes, les étudiants – spectateurs ou acteurs – et les jeunes artistes).. Des associations étudiantes peuvent être très impliquées dans la gouvernance, la gestion et la programmation. Aussi, comme le souligne Nicolas Dubourg, « les missions diffèrent d’un théâtre à l’autre, selon son territoire et son histoire », mais également selon la reconnaissance institutionnelle et les moyens humains ou financiers alloués.

Si, historiquement, chaque TU marque de son empreinte culturelle un territoire, la nature des liens entre le théâtre et l’université varie localement. Son projet, fruit d’un héritage parfois oublié par les responsables universitaires eux-mêmes, évolue, sous l’impulsion de la direction de chaque théâtre.

Aujourd’hui, on peut distinguer trois types de théâtres universitaires, selon leurs statuts et modalités de gouvernance :

  • certains existent grâce à l’engagement associatif d’un collectif d’étudiants appelés à se renouveler (comme à Besançon ou à Dijon), appuyé par les services culturels du CROUS et parfois quelques salariés permanents ;
  • d’autres (la plupart d’entre eux) sont – sur le plan institutionnel – portés par des services communs de l’université ;
  • enfin, quelques TU sont des scènes conventionnées d’intérêt national (comme ceux de Metz, Montpellier et Nantes) dans le cadre d’une convention avec le ministère de la Culture d’une durée de quatre ans, établie sur la base de leur projet Le label « Scène conventionnée d’intérêt national » est attribué à des structures de création et de diffusion du spectacle vivant reconnues par le ministère de la Culture pour la qualité de leurs programmes d’actions artistiques et culturelles. Les scènes conventionnées ont pour objectif « d’identifier et de promouvoir un programme d’actions artistiques et culturelles présentant un intérêt général pour la création artistique et le développement de la participation à la vie culturelle mis en œuvre par des structures et contribuant à l’aménagement et à la diversité artistique et culturelle d’un territoire »..

Entre culture et enseignement supérieur : une articulation ambivalente de leurs missions

Du fait de cette diversité de statuts, l’imbrication (voire la complémentarité) des missions des TU avec la politique culturelle de leur université et les éventuels autres partenaires (ville, département, région, État) présente des configurations différentes. Les orientations et la latitude que chaque théâtre déploie dans son projet et ses missions, supposent d’être analysées au prisme de cette réalité institutionnelle et statutaire mais aussi de son ancrage local.

Situé aux confins des politiques du ministère de la Culture, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et des collectivités territoriales, chaque TU se doit d’inscrire ses missions dans ce contexte politique complexe, multi-acteurs et multi-niveaux. Hormis les théâtres universitaires conventionnés avec le ministère de la Culture qui disposent d’un cahier des charges, pour les autres, les missions sont celles que les directeurs et directrices de TU inventent en composant avec les interlocuteurs, les équipes et dispositifs universitaires en place. Ainsi, sur certains territoires, les projets des TU et ceux de l’université peuvent se développer de manière parallèle, sans véritable synergie J. Panisset, « Spectacle vivant et université : un lien organique en évolution », L’Observatoire, hors-série no 5, juillet 2014, p. 42-46. et ambition commune. Une situation que les TU conventionnés ont d’ailleurs cherché à faire évoluer par le passé (mais en vain), lorsqu’ils avaient formulé l’hypothèse d’un double conventionnement (Culture et Enseignement) afin de développer des convergences et une articulation de leurs missions au bénéfice réciproque des projets de chaque TU et de la politique culturelle universitaire.

La place du TU dans une université autonome 

En 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) reconnaît à chaque université une autonomie dans la conception et le pilotage de sa politique. Cette réforme pousse les universités à se réorganiser pour mieux affronter la concurrence internationale, avec des incidences fortes sur la mise en œuvre de leur politique culturelle, la gestion de leurs ressources humaines et financières, mais aussi, par ricochet, sur les théâtres universitaires.

Après avoir alerté Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, sur les risques (notamment budgétaires) encourus par la culture à l’université, Emmanuel Ethis (alors, président de l’université d’Avignon) se voit confier, en 2009, la présidence d’une commission (composée d’universitaires, d’artistes et de représentants de la culture) : « Mon intention était d’alerter mes collègues sur l’importance de la culture à l’université… et d’avoir une réflexion de fond. » Après deux années d’observation, il défend la nécessité de préserver des budgets pour garantir l’accès à une très large offre culturelle et permettre à chaque étudiant de pouvoir choisir son université en fonction des projets et équipements culturels proposés (comme cela s’observe dans plusieurs pays).

Parmi les 128 propositions du rapport E. Ethis, De la culture à l’université – 128 propositions, rapport remis le 5 octobre 2010. figurent le soutien à un théâtre universitaire et républicain, la capacité à rémunérer les artistes dans les phases de création, la promotion de la place du théâtre auprès des étudiants comme de l’ensemble du personnel universitaire (enseignants-chercheurs, personnel administratif). Si la problématique des théâtres universitaires figurait dans les propositions de ce rapport, il appartenait ensuite à chaque présidence d’université de s’en saisir. Comme le souligne Emmanuel Ethis, « il faut qu’il y ait un sens à l’existence d’un théâtre universitaire… Il faut imaginer qui est son public réel. Est-ce un théâtre dans une université ? […] Est-ce que l’on y fait venir d’autres publics et, si oui, pourquoi ? À quelles fins ? ».

(Ré)interroger leurs missions et leur place dans la politique culturelle universitaire constitue l’étape préalable pour une présidence (trop souvent) assaillie par d’autres priorités.

De cette réflexion naîtra l’élaboration, en 2013, d’une convention-cadre « Université, lieu de culture », entre les deux ministères concernés et la conférence des présidents d’université. « La politique culturelle universitaire s’inscrit dans les missions assignées par la loi aux universités [code de l’éducation, article L.123-6] et concourt à la politique de développement culturel territorial mise en œuvre par le ministère de la Culture et de la Communication en partenariat avec les collectivités territoriales. »

Du fait de leur implantation sur les campus, les TU sont donc appelés à jouer un rôle majeur. (Ré)interroger leurs missions et leur place dans la politique culturelle universitaire constitue l’étape préalable pour une présidence (trop souvent) assaillie par d’autres priorités scientifiques, éducatives, managériales, financières et démunie face à des problématiques culturelles mouvantes. Rappelons qu’à l’époque de la réalisation du rapport, les constats étaient sévères : une enquête réalisée à l’université d’Avignon montrait qu’un étudiant n’avait que 5 euros à dépenser par mois pour la culture. Quant aux pratiques artistiques et culturelles, elles ne concernaient que 12 à 30 % des étudiants.

Le comité national de pilotage de la convention définit alors sept indicateurs annuels pour évaluer la place de la culture au sein de chaque université : 1) nombre d’universités ayant un service culturel ; 2) nombre d’actions culturelles ; 3) nombre d’ateliers et de résidences d’artistes mis en place sur le campus ; 4) nombre et typologie des spectateurs ayant assisté à un événement culturel ; 5) nombre de conventions de partenariats signées avec les institutions culturelles de proximité ; 6) pourcentage d’étudiants participant aux activités culturelles ; 7) nombre d’unités d’enseignement libres (ou d’ouverture) consacrées à la culture dans les universités.

Si ces critères donnent des indications, ils ne traduisent que grossièrement la réalité des projets menés par les universités en matière de culture et surtout ils interrogent la position et la responsabilité des TU dans la définition, le déploiement de la politique culturelle universitaire, et leur rôle dans les processus mis en œuvre autour d’actions artistiques et culturelles transdisciplinaires.

Entre cette convention-cadre et une vision idéaliste de l’université, en tant que lieu d’émancipation et de transformation de la société, quelle place réussissent à se frayer voire à conquérir aujourd’hui les théâtres universitaires ?

Des TU qui se réinventent, en conjuguant création artistique, action culturelle et recherche

Dans ce paysage universitaire en refondation, les TU explorent des voies pour dialoguer avec l’ensemble des parties prenantes universitaires et culturelles sur leur territoire, à commencer par les modalités d’interaction avec l’équipe présidentielle, tant sur les volets de la formation, de la production de connaissances (via la recherche), que sur l’engagement dans la société (avec la diffusion de la culture humaniste et de la culture scientifique et technique). Conscients de leurs nouvelles responsabilités, soucieux d’impulser un autre sens à l’action artistique et culturelle sur les campus, mais également dans la cité, les responsables des TU veillent à ce que le théâtre ne soit pas réduit à un simple lieu – outil d’attractivité universitaire, voire de marketing territorial – auquel on les assimile N. Schieb-Bienfait, avec P. Boivineau, A.-L. Saives, B. Sergot, « Lieuifer le théâtre : le cas du TU-Nantes », dans A. Hertzog, E. Auclair (dir.), L’Empreinte des lieux culturels sur les territoires, Paris, Éditions Le Manuscrit, 2023. quelquefois.

La dimension « lieuitaire » des TU, leur reconnaissance Cf. les travaux menés par le collectif de recherche PACE (Publics-Artistes-Créations-Expériences) en partenariat avec le TU de Nantes et la MSH Ange Guépin. comme espaces de recherche et d’innovation qui osent des choses sur des terrains où on ne les attend pas, est cependant loin d’être acquise. Face aux difficultés actuelles du monde universitaire, ils sont confrontés à des contradictions et tensions parfois difficiles à surmonter. Entre logique de service public et privatisation, conflits de temporalité, arbitrages budgétaires, les responsables universitaires questionnent souvent les directeurs et directrices de TU sur le sens de leur action : à quoi bon un TU ? Pourquoi le financer ? Comment garantir une indépendance artistique ? Véritables caisses de résonance des problèmes socioculturels, économiques et des préoccupations qui animent le milieu étudiant, le monde universitaire et la société en général, les TU cherchent comment se dégager de ces contradictions, voire de ces controverses.

Aussi bien à Nantes qu’à Montpellier, la dimension de la recherche, très structurante dans les missions universitaires, n’a pas échappé aux responsables de ces TU, dans la conception de leurs projets respectifs. Engager des expérimentations avec des chercheurs est notamment un enjeu majeur, ainsi que l’évoque Nicolas Dubourg : « Le théâtre universitaire peut être cet espace qui permet à la création artistique de se développer dans cet esprit d’indépendance et d’éthique propre à la recherche publique. » À Montpellier, « le projet de La Vignette concerne l’ensemble des disciplines », par exemple en travaillant avec le master d’études culturelles sur les questions postcoloniales. Il a notamment répondu à un PIA (programme d’investissement d’avenir), en lien avec le conseil scientifique, portant sur les relations entre arts et création dans de nombreux domaines (philosophie, géographie, sociologie…).

À Nantes, le TU a mis en place un « laboratoire éphémère » dans une salle dédiée, pour une réflexion partagée entre artistes, enseignants-chercheurs et groupes d’étudiants sur la recherche artistique, s’interrogeant sur l’amont de toute production : de quoi est constituée la création ? Quelle est sa temporalité ? De quoi un artiste a-t-il besoin pour créer ? Par ailleurs, le TU est impliqué dans des rencontres entre artistes et chercheurs. « L’objectif est qu’ils et elles s’ouvrent, autour d’objets communs, à de nouveaux récits et imaginaires. Ce qui nous intéresse, c’est de favoriser l’essai, l’expérimentation – puisque c’est une dimension fondamentale de la recherche universitaire et de la création artistique », ajoute Nolwenn Bihan. Le TU intègre aussi des questions artistiques dans des programmes de recherche (par exemple le projet scientifique MIMI Le projet de recherche MIMI, piloté par l’IFREMER, a pour partenaires l’université de Nantes, le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, l’Institut universitaire Mer et Littoral et le TU-Nantes. Chercheurs et artistes participent d’une même équipe. sur les imaginaires de la mer). Cette mission ne pouvant s’adosser à une formation spécifique en arts du spectacle, car il n’en existe pas à l’université de Nantes, « cela oblige à inventer d’autres chemins avec (et au sein de) Nantes Université, au-delà des disciplines artistiques, à partir d’enjeux transversaux et sociétaux ».

À travers cette logique transdisciplinaire, les questions se formulent de manière différente, inspirant de nouveaux protocoles à la fois dans les pratiques artistiques et l’éducation culturelle (notamment avec la création de « conversations partagées », où artistes du spectacle vivant et enseignants-chercheurs en géographie, histoire et anthropologie travaillent ensemble, par exemple, sur la question du rapport entre l’homme et l’animal).

À l’heure où les chercheurs s’interrogent sur les formes de l’écriture en sciences humaines et sociales, encore très codifiées et dominées par les normes de l’édition scientifique et les formats académiques traditionnels, ces expérimentations entre TU et chercheurs ouvrent des perspectives pour imaginer des formes renouvelées par les pratiques artistiques. Pour Nolwenn Bihan, c’est aussi un défi, en tant que responsable d’un TU : « cette manière de travailler est co-évolutive : elle produit une influence tant sur les artistes que sur les chercheurs. Il y a réellement un double enjeu à ce que cela se multiplie dans notre projet ».

En se frayant des voies de dialogue et de coconstruction avec leurs universités, les TU démontrent leur capacité à s’affirmer à leurs côtés comme des opérateurs singuliers dans la vie artistique et culturelle locale, nationale, voire internationale. Leur implication dans la conception et mise en œuvre d’une politique artistique et culturelle à l’échelle du campus et du territoire demeure un sujet encore trop délaissé par les diverses parties prenantes (politiques et universitaires). Les universités et les acteurs publics sauront-ils relever ce défi, alors que des TU sont plus que jamais des espaces vivants et actifs, moteurs du bien commun Fr. Flahault, Où est passé le bien commun ?, Paris, Fayard, 2011., autour de l’émergence artistique, du partage des pratiques, de la recherche, de la mise en débat au service de l’éducation artistique et culturelle ?

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03.10.2024 à 12:07

Coconstruire les politiques publiques : pourquoi et comment ?

Frédérique Cassegrain

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La coconstruction des politiques publiques est devenue le leitmotiv de nombreux débats, notamment en matière de politiques culturelles. Mais que recouvre exactement ce mot ? Quelles sont les tensions et problématiques suscitées par ce mode d’action politique encore expérimental ? Ces questions étaient au cœur d’une table ronde consacrée à ce thème lors de la dernière édition de POP MIND organisée à l’initiative de l’UFISC et du CRID à Rennes du 13 au 15 mai 2024.

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Texte intégral (3802 mots)
Dessin : un professeur pose une question « facile » sur les politiques publiques.

Sous-titrées « Culture et solidarité : l’urgence d’agir en commun ! », les rencontres POP MIND visent à rassembler les énergies du monde culturel, de l’éducation populaire, de l’ESS, du secteur associatif et de la solidarité internationale en proposant des temps de réflexion prospective et participatifs. Parmi les nombreuses activités de l’édition 2024 : une table ronde et un atelier sur la coconstruction animés par Luc de Larminat (codirecteur de l’association Opale, membre du Mouvement pour l’économie solidaire) et Alice-Anne Jeandel (responsable de l’animation des communautés professionnelles à l’Observatoire des politiques culturelles), avec la participation du socio-économiste Laurent Fraisse Membre associé au Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (LISE). pour le volet théorique, ainsi que de Guillaume Robic, élu à la communauté de communes Kreiz Breizh et maire de Rostrenen, et Rozenn Andro, élue à la vie associative de Rennes, pour la mise en œuvre pratique des démarches. L’objectif était d’aller au-delà de la théorie et des mots en donnant des exemples concrets, en l’occurrence locaux, à Rennes et dans les Côtes-d’Armor.

Ce qu’est la coconstruction, ce qu’elle n’est pas

Qu’est-ce que la coconstruction ? Invités à répondre à cette question, les participants de la table ronde ont évoqué plusieurs éléments : coopération, dialogue et temps long, diagnostic partagé, inclusion, relation de confiance, méthode commune, croisements des enjeux de politique publique et d’intérêt général, reconnaissance des expertises citoyennes… Autant de mots que l’on retrouve dans les recherches-actions menées actuellement par des acteurs de l’ESS et du monde associatif, telle ESCAPE ESCAPE (Économie solidaire, co-construction, action publique émergente), recherche-action soutenue par le dispositif de recherche participative de l’ANR, basée sur un comité de pilotage (constitué de réseaux, chercheurs et collectivités), des études de cas (monographies) et des temps forts de rencontres et de débats nationaux avec une mise en perspective internationale., conduite entre autres avec l’UFISC, le Collectif des associations citoyennes et le Mouvement pour l’économie solidaire, note Laurent Fraisse. ESCAPE est un projet qui prolonge une étude dont il a rédigé le rapport, « La Coconstruction de l’action publique : définition, enjeux, discours et pratiques Rapport rédigé en 2018, avec la participation de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (UFISC), le Collectif des associations citoyennes (CAC), le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES), le Réseau national des Maison des associations (RNMA) et le Mouvement associatif (LMA). Voir aussi les Repères du RTES (réseau des collectivités pour l’ESS) sur la coconstruction :https://www.rtes.fr/system/files/inline-files/Reperes_Coconstruction_2019_2.pdf ».

Il y propose une définition de la coconstruction : « Un processus institué de participation ouverte et organisée d’une pluralité d’acteurs à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation de l’action publique. » L’idée est que les associations et les citoyens – et pas seulement les élus et les fonctionnaires – puissent participer à l’élaboration du bien commun, de l’intérêt général.

Un horizon souhaité, ponctué d’un certain nombre d’expériences, toutefois minoritaires, souligne Laurent Fraisse, qui complète cette définition en précisant ce que la coconstruction n’est pas :

  • Elle s’oppose au décisionnisme lorsque les pouvoirs publics ne prennent pas, ou peu en compte, la société civile organisée, comme dans le système présidentiel à la française.
  • Elle diffère aussi du technocratisme quand la fabrique de l’action publique se fait au sein de l’administration avec l’aide de cabinets de conseil.
  • Elle ne se confond pas avec des interactions informelles et les relations clientélistes entre acteurs de la société civile, élus ou techniciens : c’est un processus public où les participants se posent en garants de l’intérêt général « et non une démarche de lobbying ! » insiste Laurent Fraisse.
  • « Et, conclut-il, elle se distingue aussi de la nouvelle gestion publique (new public management)qui use de la commande publique comme mode de relations avec des acteurs davantage considérés comme des prestataires que comme des partenaires. »

Une nébuleuse de « mots en co »

Laurent Fraisse expose aussi les nuances qui existent entre « les mots en co », si récurrents. « La coconstruction, explique-t-il, se différencie de la consultation. Il existe beaucoup d’instances consultatives qui se basent sur le recueil d’avis d’habitants et de citoyens, dont les pouvoirs publics tiennent plus ou moins compte. La coconstruction, elle, demande que les acteurs soient comptables et copilotes des actions, jusqu’à l’élaboration d’une feuille de route. Quant à la coopération, elle concerne plutôt des projets, alors que la coconstruction s’attelle à l’action publique. »

En revanche, ajoute-t-il, la coopération entre acteurs favorise la coconstruction : on le voit par exemple avec les SOLIMA Schémas d’orientation et de développement des musiques actuelles. Il s’agit d’une démarche de concertation et coconstruction entre acteurs, collectivités territoriales et État pour développer les politiques actuelles à l’échelle de territoires régionaux, départementaux ou d’une agglomération. Cette méthode, initiée dès 2004 par la Fédélima, a été reprise par d’autres disciplines artistiques : il existe par exemple les SODAVI pour les arts visuels et les SODAREP pour les arts de la rue et de l’espace public.. En retour, le processus génère l’apparition d’un interlocuteur collectif qui produit de l’interconnaissance.

Jusqu’où peut aller la coconstruction des politiques publiques ? Laurent Fraisse pointe deux limites : elle n’est pas synonyme de codécision, ni de cogestion de l’argent public. « C’est ce qui est intéressant, conclut-il. Il existe un possible écart entre ce qui a été coconstruit, et ce qui va être voté par une instance représentative d’élus. Si la coconstruction a été bien menée, l’écart est faible. Le dernier aspect, c’est la cogestion, qui fait partie de l’imaginaire possible entre pouvoirs publics et associations de l’éducation populaire, où l’on discute vraiment des conditions financières et matérielles de l’activité associative. Mais aborder la question budgétaire demeure difficile, car celle-ci reste considérée comme une prérogative des pouvoirs publics. »

Personnes autour d'une table ronde lors d'un atelier Popmind en 2024.
POPMIND 2024, L’Antipode, Rennes ©Alice-Anne Jeandel

Le Kreiz Breizh : la coconstruction comme nécessité bienvenue

Guillaume Robic qualifie le Kreiz Breizh de « Petit Poucet » des démarches de coconstruction : le territoire a usé de tous les termes précédemment cités – consultation populaire, coopération… – pour travailler à son développement depuis une trentaine d’années.

Le contexte s’y prête. Le Kreiz Breizh (« centre Bretagne ») est une communauté de communes des Côtes-d’Armor, seul territoire breton qualifié d’hyper-rural, à équidistance des grands pôles urbains et présentant certaines fragilités structurelles (accessibilité, mobilités, caractéristiques socio-économiques). Il compte 23 communes pour 18 710 habitants et bénéficie d’une trajectoire démographique récente positive après plus d’une décennie de déprise constante. « C’est une communauté de communes au mode de développement original et forcément décentralisé, parce qu’il n’y a pas de ville-centre surdimensionnée : on n’a pas le choix, précise Guillaume Robic. Les politiques publiques s’y sont développées grâce à l’implication populaire. La coconstruction se fait avec une communauté citoyenne très investie, et un tissu associatif très dense et vivant. »

Le Kreiz Breizh s’est doté de la compétence culturelle et sa politique reflète cette dimension de coconstruction. La mise en œuvre n’est jamais portée exclusivement par la communauté de communes et ne se déploie pas au travers d’équipements culturels communautaires, mais par l’accompagnement des acteurs associatifs. Un pacte de développement culturel a été élaboré autour de plusieurs enjeux prioritaires : EAC, droits culturels, soutien à la coopération et à la mutualisation des associations, appui à l’ingénierie communautaire.

Quels résultats pour l’intérêt général ? Guillaume Robic donne l’exemple de l’école de musique, restée associative, qui a débuté avec une dizaine d’adhérents et en compte aujourd’hui plus de 650, soit un pourcentage de la population supérieur à celui d’un conservatoire urbain. « Cette politique, ajoute-t-il, évite deux écueils : celui du centralisme et celui de la récupération des initiatives associatives par les collectivités en régie ou en direct. »

Une récolte du sensible

Dans le cadre du pacte de développement culturel du territoire, impulsé par l’État, le Département et la Région (sur des territoires majoritairement ruraux), la communauté de communes a lancé une consultation intitulée « Les portraits du Kreiz Breizh », afin de nourrir les politiques publiques, associatives et culturelles dans les cinq à dix ans à venir.

« Nous nous sommes efforcés d’aller vers la population, dans ce que l’on préfère nommer “grande récolte” plutôt qu’“enquête” ou “consultation”, explique Guillaume Robic. Il s’agit de s’ouvrir plus largement à la vie quotidienne des gens. Nous ne leur demandons pas “que pourrait-on faire mieux et autrement ?”, mais “dites-nous ce qui vous préoccupe quand vous vous levez le matin et on essaiera de construire ensemble les réponses”. » Le prisme n’est pas celui des pratiques artistiques, mais celui de la vie intime ou quotidienne et des liens au territoire. Cette démarche est inspirée du référentiel des droits culturels, tels qu’ils sont énoncés dans la Déclaration de Fribourg.

Les modes d’enquête et de prise de contact se distinguent aussi fortement des classiques « diagnostics territoriaux » : pas de questionnaire, mais d’autres façons d’entrer en relation, notamment celles proposées par la compagnie OCUS qui a imaginé des dispositifs pour récolter la parole les gens, dont un bar itinérant. Le collectage a également été pensé de pair à pair : la communauté de communes a outillé les habitants, par exemple avec un jeu de cartes proposant des questions ouvertes, pour les laisser aller à la rencontre les uns des autres.

In fine, cette enquête permet de dresser une carte sensible qui, précise Guillaume Robic, a révélé de vraies disparités territoriales mais aussi des lignes communes à l’échelle d’une communauté très rurale. Elle pose une série de questionnements auxquels les politiques publiques doivent désormais s’attacher à répondre dans les années à venir.

Rennes : le choix de la coresponsabilité autour de chartes d’engagement

La Ville de Rennes est héritière d’une longue tradition associative. Avant même l’arrivée d’Edmond Hervé Maire socialiste de Rennes de 1977 à 2008. à la tête de la municipalité, les équipements de quartier étaient en gestion associative, explique Rozenn Andro, adjointe déléguée à la vie associative à Rennes, en préambule de son intervention sur les deux chartes d’engagements réciproques et de cohésion sociale qui régissent les relations entre Ville et associations. « Rennes est fortement imprégnée de cette philosophie politique sur l’action associative et l’action politique en direction des habitants Pour aller plus loin sur la politique culturelle rennaise caractérisée par une culture du dialogue, de la coopération et de l’expérimentation, voir l’article paru dans la revue L’Observatoire, no 59, printemps 2022., commente-t-elle. Elle ne compte pas moins de 7 000 associations. »

En 2020, c’est ce monde associatif rennais qui s’est adressé à la municipalité pour lui demander de réécrire la charte des engagements réciproques en place depuis 2006 et qui régit l’aide aux associations, en raison de nouveaux défis : la transition écologique, la crise démocratique et la volonté de passer du mythe d’une société égalitaire à l’égalité réelle.

Personnes sur une scène répondant à un auditoire lors d'un atelier Popmind 2024.
POPMIND 2024, L’Antipode, Rennes ©Lucile Rivera-Bailacq

165 associations ont participé aux ateliers menés pour la réécriture de cette charte. Parallèlement, la Ville a mis en place des chantiers dans les douze quartiers rennais en vue d’élaborer des « chartes de la cohésion sociale », basées sur les besoins sociaux et éducatifs de chacun d’entre eux, à partir des portraits de quartier réalisés avec les associations gestionnaires d’équipements de proximité. Construites autour de 132 engagements et sept grands principes – dont celui du respect de la liberté d’expression et des libertés associatives –, les chartes de la cohésion sociale se traduisent par des plans d’action que les associations mettent en place dans les douze quartiers. Deux d’entre eux expérimentent même la cogestion, en disposant d’enveloppes mutualisées.

« L’idée est que les chartes soient vivantes et en interpellation permanente, souligne Rozenn Andro, il s’agit pour la Ville d’un enjeu démocratique : défendre l’accès de tous à la parole publique et avoir la conviction que les associations sont la première porte d’entrée vers l’intérêt général. »

Les freins et limites à la coconstruction

Les différents exposés ont suscité nombre d’interrogations chez les participants. La première est liée au bon vouloir des élus quant au partage de la conception, voire de la décision. Pourtant, répond en substance Rozenn Andro, « un homme ou une femme politique ne peut plus aujourd’hui se placer dans la position du sachant. On voit ce qu’on a à perdre en refusant la coconstruction, qui est un impératif démocratique, une résistance à des forces hostiles basées sur la concentration des pouvoirs ».

Guillaume Robic met en lumière une dimension fondamentale dans ces démarches auxquelles les habitants sont très réceptifs : celle de l’humilité face à des objectifs difficiles. Laisser les clefs, c’est aussi ne pas s’engager au-delà de ce qu’on est capable de faire.

« Le dessaisissement des collectivités par rapport aux compétences qu’elles ont prises est indispensable si on ne veut pas “aller dans le mur” démocratique, ajoute-t-il. Sur notre territoire, avant de s’interroger sur ce qu’on pourrait mettre en place comme politiques publiques, on se demande déjà qui fait quelque chose. Ça ne s’applique pas qu’à la culture : l’abattoir est géré par une association de paysannes et paysans. On ne considère pas les associations comme destinataires de nos volontés et de nos enjeux, nous sommes en dialogue avec elles pour savoir où l’on va. » D’où le choix, au niveau local, de privilégier le conventionnement au long cours plutôt que l’appel à projets, procédure actuellement prisée des collectivités mais fortement critiquée par le secteur associatif.

Plusieurs participants s’interrogent sur la capacité des associations à s’engager dans ces démarches de coconstruction, pour ce qui est des moyens matériels et humains : « N’y a-t-il pas le risque de marginaliser les plus petites et sous-dotées d’entre elles ? »« Là, répond Rozenn Andro, c’est précisément la coopération et l’interconnaissance qui leur permettent de se faire reconnaître. » La Ville de Rennes a déconcentré sa Direction de la vie associative, jeunesse et égalité dans les quartiers pour être justement en contact direct avec les structures de la société civile qui y travaillent.

En conclusion, Laurent Fraisse rappelle quelques principes, dont la liberté pour une association de ne pas participer à une démarche de ce type. Même si la coconstruction ne saurait se réduire à « une politique de chartes », la charte des engagements réciproques instaure un cadre de confiance à l’opposé de la défiance suscitée par l’obligation de signer le contrat d’engagement républicain vivement critiqué par le mouvement associatif Laurent Fraisse a réalisé une étude pour le Réseau national des Maisons des associations en 2023 sur la coconstruction de la politique de la vie associative de la Ville de Rennes : https://www.rnma.fr/ressources/co-construire-la-politique-de-la-vie-associative-de-la-ville-de-rennes.

Il constate enfin que toute démarche de coconstruction pose la question de « qui coconstruit ? » : « Le risque étant que les petites associations comme les citoyens ne soient représentés que par les têtes de réseau, ce qui conforterait un certain élitisme. » L’exemple des SOLIMA montre à l’inverse que la coopération permet l’expression d’une multiplicité de voix.

Enfin, il souligne le risque que les politiques de coconstruction ne se cantonnent qu’à des secteurs plutôt émergents ou faiblement dotés qui disposent de peu de cadres de référence. L’enjeu est de savoir si ces démarches peuvent aussi irriguer l’ensemble des politiques publiques et faire bouger les lignes des secteurs de droit commun très réglementés.

La 6e édition de POP MIND s’est tenue à Rennes les 13, 14 et 15 mai 2024. Les rencontres ont été organisées conjointement par l’UFISC et le CRID, collectifs réunissant à eux deux une cinquantaine de structures partenaires avec lesquelles l’évènement a été coconstruit.

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26.09.2024 à 12:56

Quand le théâtre public perd de vue le populaire : socio-histoire d’une contradiction

Frédérique Cassegrain

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Critiqué pour son entre-soi, le théâtre public est en proie à une contradiction. Alors qu’il a fondé sa légitimité de service public sur sa vocation sociale ou civique, il s’est progressivement éloigné du populaire. Fatalité ou processus ? La lecture socio-historique proposée par Marjorie Glas permet de retracer la place prise par ce « recours au peuple » dans les politiques de la culture, de sa version militante jusqu’à ses trébuchements.

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Texte intégral (5243 mots)
Une femme et un homme assis côte à côte dans un théâtre vide et regardant chacun dans une direction opposée.
© Isis Petroni, Pexels

[Article paru dans le dernier numéro de l’Observatoire no 62, juillet 2024]

La ministre de la Culture, Rachida Dati, a, dès sa nomination, appelé à bâtir une « nouvelle culture populaire », disqualifiant à mi-mot la politique culturelle menée ces dernières décennies, renvoyée à son caractère élitiste. Au-delà des enjeux politiques et électoraux qui sous-tendent cette exhortation à un retour au peuple, elle gagne à être analysée dans une perspective socio-historique, dans la mesure où l’appel à une relation privilégiée aux classes populaires remonte à la création même des politiques publiques de la culture en France.

Plusieurs travaux montrent en effet que l’intervention publique en matière culturelle a été en partie fondée sur le rôle social ou civique que la culture pouvait jouer auprès de la population. Les spécialistes de droit public font remonter la constitution de la culture comme service public à l’entre-deux-guerres, période pendant laquelle s’affirme progressivement le soutien à la liberté artistique et aux enjeux éducatifs de l’art – missions que le secteur privé seul ne pourrait pas assurer L’artiste, l’administrateur et le juge. L’invention du service public culturel. Le rôle du Conseil d’État, Actes du colloque des 26 et 27 novembre 2021, Conseil d’État et Comédie-Française, La Rumeur libre éditions, 2023..

Vincent Dubois a montré, de son côté, que la légitimité même de la politique culturelle repose, dès la IVe République, sur le rôle éducatif de la culture V. Dubois, Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999.. La France n’est pas le seul pays européen à avoir forgé sa politique culturelle sur un socle social. En Allemagne également, on a fait du théâtre un outil de l’action publique et de l’État providence dès le XVIIIe siècle. Si le fondement social d’un soutien à la culture est commun aux deux pays, « chacun [d’entre eux a ensuite] défini un type de culture pour laquelle une intervention était appropriée (culture populaire, légitime ou encore subversive) V. Dubois, P. Laborier, « The “social” in the institutionalisation of local cultural policies in France and Germany », International Journal of Cultural Policy, vol. 9, no 2, 2003, p. 195-206. ».

Si le recours au peuple n’a cessé d’être revendiqué tout au long des sept dernières décennies, une analyse socio-historique plus fine laisse apparaître un éloignement, voire un abandon progressif des classes populaires.

Le champ politique a certes joué un rôle fondamental dans la constitution d’une culture à vocation sociale ou civique, néanmoins ce mouvement a été initialement porté par les acteurs culturels eux-mêmes et spécifiquement par ceux qui se réclamaient d’un théâtre populaire après-guerre. C’est le cas des troupes qui essaiment sur le territoire français et rattachent leur action à l’histoire, déjà bien ancrée, d’un théâtre à vocation sociale, allant du théâtre politique de Romain Rolland qui voyait dans celui-ci un outil d’instruction de la classe ouvrière, aux expériences d’éducation populaire menées par les mouvements catholiques ou communistes pendant l’entre-deux- guerres. Ces troupes dites « de la décentralisation dramatique » fondent alors leur démarche sur deux éléments centraux : la qualité artistique de leur travail (répertoire, jeu) et leur capacité à toucher un public large et populaire. Ce sont ces deux piliers qui ont été repris par les agents du secrétariat d’État aux Beaux-Arts dès 1947, puis du ministère des Affaires culturelles en 1959, pour créer un service public du théâtre.

C’est peu dire donc que la question du public est un enjeu central de légitimation, tant pour les acteurs du théâtre public que pour le champ politique. Pourtant, si le recours au peuple n’a cessé d’être revendiqué tout au long des sept dernières décennies, une analyse socio-historique plus fine laisse apparaître un éloignement, voire un abandon progressif des classes populaires. Cette contradiction est le fruit d’une histoire longue, relevant tout à la fois de l’institutionnalisation du secteur et de la transformation de la société dans son ensemble.

La constitution socio-historique des enjeux liés au public dans le théâtre public

Dans l’immédiat après-guerre, des troupes prennent ancrage en province et portent l’idéal d’un théâtre populaire, convergence entre les préceptes du théâtre d’art inspiré de l’avant-garde de la rive gauche parisienne et les principes de l’éducation populaire. Cette alliance prend corps dans le profil même des animateurs qui dirigent ces troupes. Beaucoup sont des comédiens parisiens aguerris, connaisseurs du répertoire classique et revendiquant un théâtre exigeant, distinct du théâtre de boulevard. Ils ont tous également à leur actif une solide expérience des tournées en province, qu’ils ont vécue sous l’égide de Léon Chancerel (Comédiens routiers) ou de Jacques Copeau (Copiaus). Ainsi outillés, ils inscrivent cette articulation entre exigence esthétique et recherche des publics dans des pratiques qui, bien qu’ajustées au territoire qu’ils sillonnent, utilisent un référentiel commun à toutes les troupes de la décentralisation dramatique. Sont privilégiés un répertoire majoritairement classique et quelques auteurs contemporains habituellement joués, pour la plupart, dans les théâtres proches du Cartel des quatre (Louis Jouvet, Charles Dullin, Gaston Baty et Georges Pitoëff) à Paris. Les pièces sont présentées dans des salles des fêtes ou de patronage ; cette itinérance impose un travail constant pour amener le public. Des relais locaux – issus du monde de l’éducation populaire, de l’éducation nationale, des réseaux associatifs – assurent aux troupes un ancrage solide auprès de la population. Le public est alors au centre des discours et des pratiques de ces animateurs. S’ils se réfèrent aux expériences rurales de Chancerel et Copeau en matière de politique en direction des publics, la seconde référence structurante est celle du Théâtre national populaire de Jean Vilar. Premier à instaurer un système de correspondants dans les milieux scolaires, associatifs ou militants, il met en place également toute une série d’outils dont l’objectif est d’élargir ou de renouveler le public : politique tarifaire, édition de livrets explicatifs, développement des associations des Amis du théâtre populaire sont autant d’éléments qui forgent ce référentiel commun aux troupes du théâtre populaire.

Le secrétariat d’État aux Beaux-Arts va accompagner et encourager la diffusion de ce modèle par l’attribution de subventions, mais également du label de Centre dramatique national. Cette intervention publique inédite en matière théâtrale s’appuie sur la capacité de ces troupes à articuler travail de création et élargissement des publics en province. Les notes d’inspection, visibles dans les archives du secrétariat d’État aux Beaux-Arts, éclairent bien cet aspect et montrent même que l’enjeu du public supplante parfois celui de la création. Ainsi, Pierre-Aimé Touchard (inspecteur principal des spectacles à la direction générale des Arts et Lettres, chargé de la décentralisation dramatique et des jeunes compagnies) indique-t-il, dans un rapport consacré à Jean Guichard, que si la qualité des spectacles n’est pas tout à fait celle attendue, la capacité de la troupe à mobiliser et fidéliser un public justifie à elle seule le soutien financier de l’État. Et d’ajouter que l’envoi de comédiens parisiens pourrait être une manière supplémentaire de les professionnaliser. Au-delà de l’anecdote, ce rapport montre bien à quel point l’enjeu du public est central. 

Si la recherche de public fonde l’action de ces troupes, l’objectif de la démarche ne fait pas consensus parmi les acteurs théâtraux de l’époque. Les pionniers de la décentralisation dramatique envisagent, pour la majorité d’entre eux, et dans l’héritage catholique de Léon Chancerel et de Jacques Copeau, le théâtre comme un « moyen de communion entre les hommes Citation issue du journal de Léon Chancerel, 26 janvier 1921 (cité par H. Gignoux, Histoire d’une famille théâtrale, Lausanne, Éditions de L’Aire, 1984, p. 416. ». Dans cette perspective, le public visé est la communauté nationale tout entière, sans distinction d’origine sociale ou de provenance géographique, et le théâtre est destiné à réunir la population dans son ensemble, sans distinction sociale, dans un contexte de reconstruction du pays. La vocation sociale et morale de ce théâtre unificateur est alors soutenue par la revue Théâtre populaire, créée en 1953 et qui contribue à diffuser ce modèle d’intervention.

L’introduction du théâtre de Brecht en France, à partir du milieu des années 1950, va susciter des débats entre les tenants de la décentralisation dramatique quant au rôle social que le théâtre doit jouer. Bien que la question de l’élargissement des publics au-delà du petit cercle des spécialistes reste centrale, les enjeux du théâtre populaire ne font plus consensus. Brecht défend en effet un théâtre dont l’aspiration politique, plus assumée, suggère de s’adresser en priorité à la classe ouvrière, dans un contexte de lutte des classes. Le travail auprès des ouvriers vise à leur émancipation. Les animateurs de troupe, historiquement proches du parti communiste, s’en emparent et développent une pratique en direction des publics qui se différencie du modèle vilarien. La revue Théâtre populaire effectue alors un tournant éditorial qui accompagne ce mouvement. Implantées dans le cœur industriel des banlieues des grandes villes, ces troupes travaillent en lien étroit avec les réseaux syndicaux et expérimentent diverses modalités de médiation permettant de toucher le potentiel public ouvrier (spectacles en langue étrangère, constitution de troupes amateures, pièces jouées dans les usines, etc.).

L’objectif social et politique de ces modèles parallèles varie, mais tous deux s’appuient de manière équilibrée sur les deux piliers fondateurs du théâtre public que sont la création artistique et la recherche de publics. L’enjeu du public reste un moteur de consécration fondamental pour les chefs de troupe, tant parce qu’il est constitutif des valeurs propres à l’espace du théâtre public que parce qu’il est un critère primordial de financement par l’État.

Les années 1970 ou l’abstraction du public

La création du ministère des Affaires culturelles en 1959 est réputée avoir coupé le secteur de la création de celui de l’animation, c’est-à-dire de la relation avec les publics. André Malraux procède, dès sa nomination, d’une part à l’exclusion de l’éducation populaire du champ de son ministère (renvoyée à la jeunesse et aux sports) et, d’autre part, à la séparation des missions de création et d’animation, chacune relevant respectivement des centres dramatiques (dirigés par des artistes) et des maisons de la culture (dirigées par des animateurs). Pour autant, des pratiques hybrides, mêlant amateurs et professionnels, art et éducation populaire, création et animation, continuent d’exister au sein des établissements nouvellement labellisés. Les directeurs, eux-mêmes issus de la mouvance du théâtre populaire, n’envisagent pas leur métier autrement qu’en convoquant tout à la fois exigence artistique et relation avec le public.

Les directions de ces établissements priorisent le repérage de jeunes talents de l’avant-garde et délèguent progressivement la recherche de publics à des emplois subalternes.

L’avant-garde du théâtre, dont la formation universitaire est plus orientée sur les enjeux esthétiques, revendique aussi une proximité avec le travail d’animation. Cela s’explique notamment par leur forte politisation. Ainsi en est-il de Patrice Chéreau ou de Jean-Pierre Vincent, pour les plus emblématiques d’entre eux, qui, tout au long des années 1960, portent l’idéal d’un théâtre politique, influencé par leurs engagements proches des mouvements maoïstes. Cette intrication entre pratique théâtrale et politisation aboutit, en Mai 68, aux revendications de la fraction la plus jeune et la plus radicale du champ théâtral public en faveur d’un théâtre de subversion, élargissant encore davantage son public et œuvrant dans une optique révolutionnaire. L’après-Mai 68 voit ainsi fleurir des initiatives nombreuses auprès du monde ouvrier en particulier. Pièces dans les usines, travail étroit avec les comités d’entreprise, politisation du répertoire et créations collectives sont autant de façons de rapprocher le théâtre du peuple et d’en faire un outil d’émancipation de la classe ouvrière.

C’est paradoxalement dans la foulée de ces années d’intense politisation que la scission entre création et animation, amorcée au sein du ministère, va réellement prendre corps. Le processus, qui aboutira à un rapport au public plus abstrait, correspond à la conjonction de plusieurs facteurs, relevant tout à la fois de la multiplication des intermédiaires, de la technicisation des enjeux liés au public et de la transformation des métiers de l’animation.

Le premier facteur relève de la spécialisation des directeurs de théâtre. Les années 1970 voient la montée en puissance de la figure du metteur en scène qui s’impose comme un maillon central du dispositif de création. L’affirmation de cette figure va de pair avec la recherche esthétique et formelle, revendiquée par les tenants de l’avant-garde dès le milieu des années 1970, en lien resserré avec le champ des études théâtrales à l’université. C’est cette même avant-garde qui est nommée sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing à la tête des centres dramatiques nationaux et des théâtres nationaux, avec pour effet le recentrage des activités de ces établissements sur la création au détriment des services d’animation. Beaucoup d’animateurs sont licenciés et les budgets se concentrent sur la production de spectacles.

Ce phénomène pouvait augurer d’un renvoi des pratiques d’animation dans les maisons de la culture. On y observe pourtant un phénomène analogue de recentrement sur les enjeux de la création : les directions de ces établissements priorisent le repérage de jeunes talents de l’avant-garde et délèguent progressivement la recherche de publics à des emplois subalternes. C’est la figure du programmateur qui émerge.

Ce processus est rendu possible par la transformation concomitante des attendus du ministère de la Culture concernant la mission des structures subventionnées du théâtre public. L’enjeu du public, dont nous avons vu qu’il était un critère primordial de financement dans les années 1950, se transforme peu à peu. Tout d’abord, le pouvoir politique nouvellement élu porte haut la notion de liberté de création, moyen utile de travailler le vernis libéral du président de la République et de casser le monopole de la gauche en la matière. Pour autant, l’intervention publique continue de s’appuyer sur le rôle social du théâtre et la nécessité de s’adresser à un public large. Mais les modalités d’évaluation évoluent. Nous avons vu précédemment que la qualité du public, comme la réception des spectacles, importait largement dans les critères de subventionnement. Les chiffres de fréquentation étaient bien entendu pris en compte, mais ne représentaient qu’un enjeu parmi d’autres. La multiplication des études statistiques tout au long des années 1970, ainsi que le processus de rationalisation de l’action publique D. Dulong, Moderniser la politique. Aux origines de la Ve République, Paris, L’Harmattan, 1997., tendent à faire des spectateurs un enjeu de plus en plus technique. Au sein du ministère, le SER (Service d’études et de recherches), créé en 1963 pour approfondir la connaissance des publics, joue un rôle accru. Les chiffres deviennent l’outil de pilotage privilégié de l’action publique en matière culturelle.

Les années 1980 et l’éloignement des publics populaires

L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 confirme ce mouvement de technicisation des enjeux liés au public et, partant, d’abstraction des enjeux sociaux qui s’y rattachent. Jack Lang, nommé ministre, s’il consacre la prééminence du metteur en scène et de la création dans le fonctionnement des théâtres (à travers les hiérarchies internes, les logiques de programmation), contribue au développement des métiers de la médiation et au retour des animateurs dans les théâtres. De nouvelles formations sont mises en place dans les universités pour former à des pratiques d’animation renouvelées. Ce processus de professionnalisation a deux effets principaux. Tout d’abord, et comme l’a montré Vincent Dubois V. Dubois, La Culture comme vocation, Paris, Raisons d’agir, 2013., il concourt à l’élitisation du profil des médiateurs. Jusque dans les années 1970, la majorité de ceux qu’on appelait alors encore des animateurs s’était formée « sur le tas », dans le giron des troupes du théâtre populaire ou via les comités d’entreprise dont ils étaient membres actifs. Ces modes d’intronisation aux métiers de la culture induisaient des profils d’origines variées, majoritairement populaires. Le passage par l’université dans les années 1980 conduit à une élévation du niveau social de recrutement de ces derniers, ce qui n’est pas sans incidence sur la perception qu’ils peuvent avoir des classes populaires. Le second effet identifiable de ces formations est le développement d’une conception fragmentée des publics, le plus souvent inspirée des catégories administratives créées par le ministère. Cette logique aboutit à une segmentation artificielle des spectateurs en fonction de leur institution d’appartenance (prison, hôpital, centre social, école, etc.) et des lignes de financement existantes et contribue à l’invisibilisation des classes populaires qui avaient représenté une cible prioritaire pour le monde du théâtre public jusqu’à la fin des années 1970.

Si le public continue donc d’être présenté comme un enjeu de premier plan, tant dans la bouche des directeurs de théâtre que des agents du ministère de la Culture, il devient en réalité un critère secondaire de consécration, et ce, dès le milieu des années 1970. Délégué à des professionnels situés au bas de la hiérarchie théâtrale, le public est réduit à un enjeu technique et quantitatif. La professionnalisation de la relation au public et son découpage en catégories administratives amènent en outre à la disparition de l’intérêt autrefois accordé aux classes populaires.

Cette évolution fait écho aux nombreux discours portés dans les années 1980 autour d’une « moyennisation » de la société, clamant la disparition de la classe ouvrière au profit d’une classe moyenne, phénomène auquel les partis politiques de gauche ont également largement participé J. Mischi, Le Communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, Marseille, Agone, 2014.. Le secteur théâtral n’échappe pas à cette évolution. Les rares ouvriers ou employés qui fréquentaient les théâtres ne s’y trompent pas et désertent, sauf exception, les établissements culturels publics. En effet, les chiffres de fréquentation montrent bien la progressive homogénéisation des salles qui s’opère dès le milieu des années 1970. Ce mouvement est avalisé par le pouvoir politique lui-même : un rapport du Commissariat général au plan, publié en 1982, explique ainsi que, si des efforts doivent être faits pour « élargir l’accès » à la culture, « on ne voit guère pourquoi il serait nécessaire d’y acculturer un public qui y reste structurellement rétif Commissariat général du plan, Rapport du groupe long terme culture, L’impératif culturel, novembre 1982. ».

Cet effacement des classes populaires n’est pas propre au théâtre public, mais il est potentiellement problématique dans un secteur qui a fondé sa légitimité et son statut de service public sur sa capacité à créer du lien social, particulièrement auprès des personnes les plus éloignées de l’offre culturelle reconnue « de qualité ». Le secteur du théâtre public n’abandonne d’ailleurs pas la référence au public, mais celle-ci se trouve régulièrement disqualifiée au nom d’une opposition entre populisme et exigence artistique. Les notions de peuple et de populaire s’essoufflent progressivement au profit d’un vocabulaire moins connoté politiquement. Dans les éditoriaux des théâtres, dans les revues théâtrales, dans les discours, bien que la référence au monde social reste présente, c’est plutôt à travers l’usage des termes « monde » ou « population ». Le mot « populaire » disparaît. À titre d’exemple, il n’est pas utilisé une seule fois dans les éditoriaux du Festival d’Avignon entre 1980 et 2003. 

Les notions de peuple et de populaire s’essoufflent progressivement au profit d’un vocabulaire moins connoté politiquement.

On peut donc se demander comment les directeurs, les médiateurs, les artistes gèrent cette contradiction d’un appel récurrent au rôle démocratique du théâtre et de l’éloignement des classes populaires. La réponse se trouve, dans les années 1980, dans le renouvellement des théories de la médiation qui délaissent l’analyse sociale de la réception au profit d’une conception individualisée de celle-ci. À ce titre, l’évolution de la revue Théâtre/Public est éclairante. Fondée et animée par des chercheurs en études théâtrales et des metteurs en scène, elle nourrit initialement en son sein deux types d’analyse : l’une s’intéressant aux conditions sociales de la réception des œuvres et l’autre, qui deviendra majoritaire, défendant la relation spontanée du spectateur à l’œuvre. Ce second point de vue s’affirme particulièrement dans les années 1980, à travers la défense du caractère « indicible, informulable de la représentation, ce par quoi le spectateur échappe aux déterminations de son groupe social B. Dort, Théâtre/Public, no 55, avril-juin 1984. ». Cette analyse élude le caractère socialement situé de la réception, pourtant largement démontré par la sociologie de la culture, des travaux de Bourdieu dans les années 1960 P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979. à ceux, plus récents, de Bernard Lahire B. Lahire, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2006..

Statu quo et affaiblissement des ambitions sociales du théâtre

Depuis la fin des années 1980, cette coupure du théâtre public avec les classes populaires et, spécifiquement, des travailleurs qui les composent, a peu été interrogée – les critères de subventionnement restant centrés sur la création, et la question du public continuant d’être un enjeu technique et quantitatif. 

Les politiques culturelles portées depuis les années 1990, qui s’inscrivent dans une logique gestionnaire de plus en plus marquée, principalement depuis la réforme générale des politiques publiques de 2007, contribuent à maintenir ce statu quo. L’affaiblissement du pouvoir symbolique attribué à la culture au sein du champ politique accompagne une certaine dépolitisation des enjeux portés par la culture au sein du monde social.

L’entre-soi du théâtre public se renforce concomitamment. En miroir de la composition du public, le profil des équipes travaillant dans les lieux s’homogénéise. Nous avons identifié une élitisation du profil des chargés de médiation dès les années 1980, et le mouvement est analogue concernant les directeurs à partir de la fin des années 1990. On constate en effet une élévation importante du niveau de diplôme des directeurs recrutés, passant de 50 % des directeurs nommés détenteurs d’un diplôme du supérieur dans les années 1980 et 1990 à 90 % d’entre eux aujourd’hui, indice probant de l’élitisation sociale des profils, qu’il s’agisse d’artistes ou de programmateurs. Cet entre-soi social est doublé d’un entre-soi de nature plus politique, dans la mesure où s’observe une porosité croissante entre les directeurs de théâtre public et les agents du ministère de la Culture.

Cet entre-soi fait l’objet de violentes critiques dès le milieu des années 1990, de la part de certains éditorialistes, tout d’abord, qui fustigent la « culture de cour » et le pouvoir dévolu à certains artistes dans le cadre des institutions, mais également de la part de la fraction la plus dominée du théâtre public qui dénonce les inégalités d’accès aux ressources publiques. C’est le cas de compagnies indépendantes ou de partisans d’un travail d’action culturelle qui appellent à revoir les critères de financement de la culture au nom de la diversité de l’offre et de l’attention portée au public. Enfin, c’est le projet même de démocratisation culturelle qui est alors confronté à un constat d’échec.

Face à ces critiques, émanant d’espaces politiques et professionnels variés et parfois contradictoires, la fraction dominante du théâtre public réaffirme son rôle social. C’est notamment la capacité du théâtre à « faire assemblée » qui est portée dans les années 1990 puis 2000 dans les éditoriaux des théâtres et au sein des revues professionnelles. L’argument est alors le suivant : puisque la représentation théâtrale met en présence différents groupes d’individus, le théâtre est un art éminemment collectif et politique. Nombre de metteurs en scène n’ont par ailleurs pas abandonné l’idéal d’un théâtre qui s’engagerait en faveur des plus fragiles. Mais cet engagement politique, toujours fort dans le discours, est passé d’une lecture marxiste du monde qui supposait un travail auprès de la classe ouvrière, à la lutte pour des causes plus humanistes, justifiant de délaisser un peu plus les classes populaires comme cible privilégiée du théâtre public.

Ironie de l’histoire, c’est peut-être à la marge, parmi les acteurs du théâtre public si longtemps disqualifiés en raison de leur ancrage socioculturel, que le secteur trouvera l’inspiration pour une renaissance.

Conclusion : la réactivation récente du peuple

Ainsi invisibilisées depuis les années 1980, les classes populaires ont fait l’objet d’une résurgence récente dans l’actualité, par le mouvement des « gilets jaunes » ou la mise en avant des « métiers de la première ligne » lors de la crise sanitaire. Ce phénomène a contribué à refaire de cette partie de la population une catégorie à reconquérir. Toucher les classes populaires est redevenu un enjeu de légitimation après des décennies de disqualification durant lesquelles l’intérêt qu’elles suscitaient était renvoyé à une posture populiste ou démagogique. Le retour récent du théâtre public à la notion de populaire doit être en partie compris dans ce contexte politique. Cette entreprise peut également être saisie à la lumière de la crise actuelle que traverse le secteur. Fragilisés par des baisses budgétaires régulières, vilipendés pour leur élitisme et leur entre-soi, les professionnels du théâtre public n’ont plus d’autre choix que de trouver des alliés en renouant avec les valeurs qui ont forgé le modèle du théâtre populaire. Ironie de l’histoire, c’est peut-être à la marge, parmi les acteurs du théâtre public si longtemps disqualifiés en raison de leur ancrage socioculturel, que le secteur trouvera l’inspiration pour une renaissance.

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