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Directrice de publication : Aude Lancelin

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22.11.2024 à 02:37

«Le peuple peut-il gagner les élections ?» avec F. Cocq, D. Maïsto et H. Bernat

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Les animateurs de Quartier Populaire, Didier Maïsto et Harold Bernat, sont de retour pour analyser l’actualité avec vous. Ils reviennent cette fois à la politique intérieure française avec leur invité, François Cocq. Alors qu’un gouvernement illégitime a été mis en place à la rentrée 2024, quelles perspectives pour les forces populaires ? Que peuvent encore … Continued
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Les animateurs de Quartier Populaire, Didier Maïsto et Harold Bernat, sont de retour pour analyser l’actualité avec vous. Ils reviennent cette fois à la politique intérieure française avec leur invité, François Cocq. Alors qu’un gouvernement illégitime a été mis en place à la rentrée 2024, quelles perspectives pour les forces populaires ? Que peuvent encore les élections dans un système où l’information est prise en main par des oligarques en affaires avec l’État ? Le mouvement des paysans prendra-t-il bientôt de l’ampleur ? D’où peut repartir une nouvelle révolte, six ans après les Gilets jaunes ? Vos réactions à l’écran toute la soirée !

20.11.2024 à 22:20

« Bégaudeau: la clarification », avec F. Bégaudeau

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L’affaire démarre en 2020 sur un forum de fans de l’écrivain. François Bégaudeau y fait ce jour-là une blague vouée à rester privée sur une historienne de la gauche radicale. L’anecdote, qui aurait pu rester dans un recoin d’Internet, va déraper au point de se retrouver jugée au tribunal, suite à une plainte en diffamation. … Continued
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L’affaire démarre en 2020 sur un forum de fans de l’écrivain. François Bégaudeau y fait ce jour-là une blague vouée à rester privée sur une historienne de la gauche radicale. L’anecdote, qui aurait pu rester dans un recoin d’Internet, va déraper au point de se retrouver jugée au tribunal, suite à une plainte en diffamation. L’écrivain utilise cette anecdote comme point de départ de son nouveau livre, « Comme une Mule » (Stock), un essai foisonnant de près de 450 pages sur l’art mis à l’épreuve par la politique et la morale, la culture du cancel, la judiciarisation comme mode de règlement des conflits humains, l’humour en général, ou encore les rapports entre l’homme et l’artiste. Un texte où il se livre beaucoup, mettant sa peau sur la table. QG lui donne la parole. Un entretien passionnant, à ne pas manquer !

20.11.2024 à 11:45

« Généalogie inquiète du Macronisme, partie 3 » par Thibault Biscahie

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Ça y est, le mitan du second quinquennat d’Emmanuel Macron est enfin dépassé. En l’absence de réforme constitutionnelle d’envergure ou de recours aux pouvoirs exceptionnels du Président de la République figurant à l’Article 16, le mandat d’Emmanuel Macron s’achèvera dans une trentaine de mois. On avait quitté le camp présidentiel relativement rasséréné au sortir d’un … Continued
Texte intégral (7981 mots)

Ça y est, le mitan du second quinquennat d’Emmanuel Macron est enfin dépassé. En l’absence de réforme constitutionnelle d’envergure ou de recours aux pouvoirs exceptionnels du Président de la République figurant à l’Article 16, le mandat d’Emmanuel Macron s’achèvera dans une trentaine de mois. On avait quitté le camp présidentiel relativement rasséréné au sortir d’un long hiver de protestation sociale, au cours duquel la majorité extrêmement relative d’Elisabeth Borne avait imposé une réforme des retraites honnie en dévoyant éhontément l’article 49.3, outil constitutionnel d’exception désormais dévolu à l’étranglement de toute contestation politique. À peine plus d’un an plus tard, le Macronisme apparaît fourbu, esquinté par une dissolution et des élections législatives désastreuses pour la coalition présidentielle – qui a perdu des dizaines de députés – et qui ont vu la gauche unie arriver en tête, mais sans majorité.

Michel Barnier est issu du parti arrivé en 4ème position lors des législatives de juillet 2024. Il était aussi arrivé 3ème de lors de la primaire LR de 2022. Néanmoins, dans une 5ème République exténuée, où tous les contre-pouvoirs sont abîmés, il est aujourd’hui Premier ministre

Le martyr infligé à la Constitution de la Vème République par le gouvernement minoritaire d’Elisabeth Borne avait tôt fait de nous évoquer le recours à l’Article 48 de la Constitution de Weimar, mesure discrétionnaire par excellence dont le Président du Reich Paul von Hindenburg fit un usage compulsif au début des années 1930 pour imposer des textes impopulaires en l’absence de majorité parlementaire au Reichstag. Même si l’Article 48 était un pouvoir présidentiel (à l’image de notre Article 16) et que l’Article 49.3 est du ressort du gouvernement, le parallèle entre les deux constitutions est avéré. Comme le rappelle la juriste Eugénie Mérieau, la constitution de 1958, mise en place sous état d’urgence et dont l’esprit parlementaire sera vite amoindri par l’élection du président au suffrage universel dès 1962, est largement inspirée de la constitution de ce régime « semi-présidentiel » que fut la République de Weimar. Avec ses prérogatives présidentielles étendues – pouvoir de dissolution, pouvoir de référendum et pleins pouvoirs – elle porte « les germes de la dictature ». 

Il n’est donc guère surprenant que les terrifiantes incongruités électorales de la république allemande à l’agonie se trouvent aujourd’hui reflétées dans la monstruosité démocratique que constitue le gouvernement de Michel Barnier. En mars 1930, lorsque la coalition menée par Hermann Müller et les sociaux-démocrates s’effondre, Hindenburg nomme le « centriste » Heinrich Brüning pour imposer une austérité mortifère et assurer l’intérim jusqu’aux élections de septembre. Lorsque le parti centriste (Zentrum) se trouve désavoué à la suite de ces dernières (arrivant quatrième derrière les communistes, le parti nazi et les sociaux-démocrates, arrivés en tête mais sans majorité), Hindenburg n’en a cure et reconduit Brüning, qui légifèrera par décrets pendant les deux années qui suivront ; pour le bonheur des grands industriels qui verront la balance commerciale allemande redevenir positive, et au grand dam des travailleurs, qui seront 6 millions à pointer au chômage. Sur les 577 députés qui composent alors le Reichstag, le Zentrum n’en compte que 68. 

Bruno Retailleau, nouveau ministre de l’Intérieur issu des LR, est un des membres les plus droitiers du gouvernement Barnier. Sa nomination a été saluée autant par les rédactions du groupe Bolloré, que par des influenceurs identitaires très radicaux sur les réseaux sociaux

À la suite des élections législatives hâtivement provoquées les 30 juin et 7 juillet 2024, et d’un été dont les interminables tergiversations ont servi à mieux organiser la confusion, Emmanuel Macron a nommé en septembre 2024 un Premier ministre de droite à Matignon, flanqué d’un aéropage de seconds couteaux représentant les franges les plus conservatrices du parti Les Républicains (LR). Tout comme le Zentrum dans les dernières années de Weimar, les Républicains sont arrivés quatrième aux législatives, et comptent seulement 47 députés sur les 577 siégeant à l’Assemblée nationale française. Bien qu’arrivés derniers dans les urnes parmi les grands partis, les LR ont été arrimés par le Président Macron à son nouveau concept fumeux d’« arc républicain » – une forme de demi-cercle partidaire qui réunirait les principaux courants de la droite française – et qui demeurent, dans l’état actuel des choses, les meilleurs pourvoyeurs de l’austérité.

Un gouvernement ni légitime ni à l’écoute

Même s’il a été publiquement déclaré par Barnier, ancien négociateur du Brexit, que l’objectif serait de « dépasser les divisions » et bien entendu d’agir « pour l’intérêt supérieur du pays », l’équipe gouvernementale peut bel et bien être qualifiée d’union des droites sous l’égide des Républicains. Malgré leur position ultra minoritaire dans les urnes, ces derniers ont désormais l’opportunité de donner le ton dans l’espace médiatique. Des signaux inquiétants ont déjà été envoyés, comme la désinvolture avec laquelle le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau remet en cause le fondement même de l’État de droit. L’anomalie démocratique que constitue le gouvernement Barnier apparaît pourtant très fragile, notamment parce que son maintien en place dépend du bon vouloir du Rassemblement National, à qui il faut bien donner des gages. Ce n’est bien sûr pas sur le plan de l’austérité que ceux-ci s’opposeront frontalement au gouvernement, leur programme n’étant qu’une succession de mesures néolibérales très classiques (diminution des dépenses de l’État, des impôts et des normes), comme le rappelait l’économiste Dany Lang sur le site de QG. C’est plutôt sur les plans migratoire et sécuritaire que la pression du RN a le plus de chance de désinhiber des LR déjà très droitiers.

Marine Le Pen tient en joue le gouvernement Barnier. Le RN peut faire tomber celui-ci prochainement par une motion de censure, et ne se prive pas de le lui rappeler souvent dans les médias

C’est pourtant, à juste titre, la question des finances publiques et du budget qui occupent ces dernières semaines l’agenda. En prise avec une procédure de déficit excessif déclenchée par la Commission Européenne, la France accumule un déficit équivalent à 6,1% de son Produit Intérieur Brut (PIB). Le Pacte de stabilité et de croissance a été renégocié au printemps dernier après quatre années de suspension des règles budgétaires pour faire face à la crise sanitaire, et la France dispose désormais de quatre ans pour revenir à un déficit de 3%. Pour la seule année 2025, Bercy et Matignon envisagent 60 milliards d’économies, avec deux tiers de baisses de dépenses et un tiers fondé sur des hausses d’impôts. S’il est adopté à grand renfort de 49.3 comme on peut légitimement le redouter, ce budget signifiera moins de services publics et une baisse de pouvoir d’achat pour le plus grand nombre.

Le choix d’un rythme accéléré dans la réduction des dépenses publiques pose évidemment question. Il suggère que l’ampleur de ce programme d’austérité serait pratiquement du jamais vu sous la Cinquième. Assujetties à un calendrier deux fois plus rapide qu’exigé par les règles budgétaires européennes, les économies proposées par le gouvernement représentent un remède bien plus sévère que celui mandaté par les institutions supranationales. Appliqué tel quel, le plan garantit la récession pour l’an prochain. Les carnets de commandes des entreprises vont en pâtir, ce qui détruira de l’emploi dans un contexte particulièrement adverse pour les travailleurs, du fait des réformes successives de l’assurance chômage. De même, la dépense publique va se contracter, privant la France d’investissements cruciaux dans son système de santé comme dans la mise en œuvre d’une hypothétique planification écologique. 

La facture de la politique de l’offre

La facture aujourd’hui présentée à la France est bien sûr celle de la politique de l’offre. Depuis la mise en place du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2013, la France a connu une décennie de politique de l’offre effrénée et dispendieuse. Emmanuel Macron a été aux commandes tout au long de cette période, successivement en tant que Secrétaire général de l’Élysée, ministre de l’Économie et Président de la République. Les gouvernements qui se sont succédés depuis sa première élection n’ont eu de cesse d’abaisser la fiscalité des entreprises, afin d’accroître la compétitivité des compagnies hexagonales et de renforcer l’attractivité de la France, dans l’espoir de corriger le déficit de sa balance commerciale. Sur les 1000 milliards de dettes supplémentaires accumulées en 7 ans, une partie significative s’explique par ces largesses accordées au capital. Sur la même période, des milliers de postes ont été supprimés à la Direction générale des finances publiques, l’État se privant ainsi volontairement de moyens humains pour lutter contre l’évasion fiscale et récolter davantage de recettes.

L’impasse budgétaire française ne vient évidemment pas des dépenses. L’assertion ânonnée par de nombreux éditorialistes selon laquelle les dépenses publiques de l’Hexagone seraient « les plus élevées du monde » à « plus de 50% du PIB », dissimule le fait qu’il s’agit là de la manifestation comptable de choix politiques, ou même simplement administratifs. Pour s’en convaincre, on peut prendre l’exemple des dépenses de santé en s’appuyant sur les trois pays dans lesquels ces dépenses sont les plus élevées en pourcentage de leur PIB : les États-Unis, l’Allemagne et la France. Dans ces trois pays, ces dépenses revêtent une réalité comptable complètement différente. Elles figurent dans la dépense publique française, mais pas vraiment voire pas du tout dans celles des deux autres pays : elles représentent un agrégat qui est aux États-Unis largement associé au secteur privé, et sont seulement en partie rattachées à la comptabilité du secteur public en Allemagne, puisque les églises y gèrent un tiers des hôpitaux dans le cadre d’une délégation de service public.

De même, la majorité des retraites américaines reposent dans des fonds de pension très concentrés à l’image de BlackRock, et ne sont donc pas prises en compte dans le calcul de la dépense publique états-unienne, alors qu’elles le sont en France. Nous sommes en présence de réalités politiques et comptables qui ne se prêtent guère à la comparaison ; la France ne fait donc pas face à une explosion de sa dépense publique comparativement aux autres économies transatlantiques, dont les citoyens paient en outre souvent plus cher leurs soins de santé, et bénéficient de pensions qui demeurent vulnérables aux crises financières. Mais il sied évidemment mieux aux actionnaires, dont les éditorialistes sont l’émanation, de suggérer que l’État français est gargantuesque, et qu’il dépenserait infiniment davantage pour soutenir ses services publics que ses voisins, notamment européens. 

Alexandre Bompard (photo), directeur général du groupe Carrefour. Ce dernier a touché près de 800 millions d’€ de l’État dans le cadre du CICE . Une politique favorable aux grands groupes qui a mené la France droit dans le mur budgétaire

Le déficit français a bien plutôt été creusé par un manque de recettes, et notamment par une fiscalité trop accommodante avec le capital, via notamment les subventions et baisses d’impôts massives accordées au secteur privé depuis une dizaine d’années. Un rapport du Centre lillois de recherches sociologiques et économiques (CLERSÉ) datant de 2022 estimait ainsi à 157 milliards d’euros le montant des aides accordées aux entreprises en 2019 (avant donc les mesures liées à la pandémie), un soutien public qui a plus que doublé depuis l’année 2000, passant d’environ 3% à 6,44% du PIB.

Pourtant, la question de la fiscalité est peu investie démocratiquement en France ; elle a disparu ces dernières années des débats de campagne électorale, malgré de puissantes aspirations populaires à une fiscalité plus juste et moins opaque, telles que notamment portées par le mouvement des Gilets jaunes. La question cruciale de l’impôt est laissée à la technocratie, alors même que le consensus citoyen sur le fait d’augmenter les impôts sur les plus grandes fortunes existe. Cette esquive démocratique est particulièrement problématique dans un pays où les inégalités patrimoniales sont si gigantesques, bien davantage encore que les inégalités salariales, comme l’ont notamment montré les travaux de Thomas Piketty. La question d’une plus grande taxation des successions – en dépit du tabou moral qui l’accompagne – devrait donc être posée plus effrontément, pour les ménages comme pour les entreprises. Plutôt que de mettre une réforme fiscale d’envergure à l’agenda, les gouvernements successifs proposent d’alléger les impôts sur les successions et de couper en parallèle dans les dépenses ; il s’agit là d’une constante historique sous la Cinquième République, un choix en faveur de l’austérité effectué de manière dialectique avec les institutions européennes depuis au moins 1958.

Du Gaullisme au Macronisme, le perpétuel retour de l’austérité

On pourrait nous accuser d’exagérer. Avec Michel Barnier à la tête de cette fière équipe, est-on bien sûr qu’il ne s’agit pas du retour du « gaullisme social » ? Lors de sa nomination à la fin de l’été, on nous aurait presque fait passer l’ancien commissaire européen pour un chrétien de gauche. Pour peu que la catégorie de « gaullisme social » possède une quelconque pertinence près de 70 ans après le retour au pouvoir de Charles de Gaulle, la mobilisation de ce label creux souligne à nouveau cruellement la mémoire historique sélective des caciques de la droite comme des éditorialistes, qui semblent avoir oublié que la première chose que le Général a entrepris en revenant au pouvoir en 1958 a précisément été un gigantesque plan d’austérité.

Sous l’impulsion et la férule de son intellectuel organique Jacques Rueff, véritable thuriféraire de l’économie sociale de marché allemande, une commission composée de banquiers, de grands patrons et de hauts fonctionnaires hâtivement mise sur pied va donner naissance au Plan Pinay-Rueff. Profondément anti-keynésien, ce programme de « rénovation » économique et financière était destiné à accompagner la transition de la République française vers une cinquième constitution. Le plan présente trois volets : budgétaire (baisse des dépenses), monétaire (création d’un « nouveau » franc mieux convertible pour rassurer les investisseurs) et commercial (accélération de l’ouverture au commerce via l’intégration à l’Organisation européenne de coordination économique (OECE) et à la toute récente Communauté économique européenne (CEE), dont le Traité fondateur de Rome avait été ratifié un an plus tôt). Le plan est si drastique qu’il est froidement reçu en haut lieu. Comme l’explique l’historien de l’économie Michel-Pierre Chélini, cela ne dissuade pas de Gaulle, qui en impose le contenu par le biais d’une cinquantaine d’ordonnances et de décrets. Furent ainsi mis en place un nouveau franc arrimé à l’étalon or, des politiques de modération salariale, ainsi qu’une baisse considérable des droits de douane. Malgré des dehors iconoclastes, le Général de Gaulle se montrait relativement docile face aux « experts », comme il le confiera dans le chapitre de ses Mémoires d’espoir modestement intitulé « L’économie » (p. 154) : 

« J’adopte le projet des experts (…) Du point de vue de la technique : taux, dates, spécifications, etc., je m’en remets dans l’ensemble aux spécialistes qui me les soumettent »

Cinq ans plus tard, Jacques Rueff remettra le couvert avec une autre commission dédiée à la consolidation budgétaire et monétaire et à l’ouverture aux échanges (le Plan Rueff-Armand), mais dont les propositions travaillées par un certain Valéry Giscard d’Estaing seront jugées trop radicales pour être mises en œuvre. C’est d’ailleurs vers la présidence de ce dernier – premier chef d’État français élu sur un programme ouvertement néolibéral – que l’on peut lorgner pour rendre compte de la banalité du Barniérisme.

Raymond Barre, ministre économe 

Il faut s’arrêter un instant sur la figure originale de Raymond Barre, Premier ministre de 1976 à 1981. C’est sous l’égide de Barre que l’austérité fera son grand retour à la suite des chocs pétroliers de la décennie 1970. Lecteur attentif de l’économiste de Fribourg Walter Eucken, traducteur de Friedrich Hayek, Raymond Barre était un admirateur de l’économie sociale de marché allemande, et un fervent partisan de l’unification économique européenne (il fut vice-président de la Commission de 1967 à 1973). Comme Barnier, Barre s’est tenu à l’écart des querelles de clocher de la droite française, leur préférant les institutions supranationales : cette distance apparente avec la politique nationale confère aux deux hommes les habits de l’arbitre neutre au service du pays lorsqu’est décrété le temps des sacrifices.  

Raymond Barre, candidat à la présidentielle en 1988. Il fut l’un des principaux artisans de l’austérité en France dans les années 1970, notamment en tant que Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing

Raymond Barre a incarné l’austérité dans toutes ses composantes (budgétaire, monétaire, industrielle). Son obsession anti-inflationniste le poussera à comprimer les dépenses et à utiliser le chômage de manière instrumentale pour freiner la hausse des salaires, que l’on tenait pour responsable de la hausse des prix. L’objectif de consolider le franc face au mark mena à l’adoption du Système monétaire européen (SME) en 1979, co-construit avec Helmut Schmidt, qui posera les premiers jalons de la contrainte extérieure sur les politiques fiscales et budgétaires des États-membres. Dans le même temps, les industries jugées non-compétitives étaient vouées à la fermeture ; le volet sidérurgique du Plan Barre, entrepris en 1979, accélérera le démantèlement du secteur de l’acier, en Lorraine notamment, et provoquera des tensions sociales aigües. Les résultats sur le front de l’inflation seront pourtant loin d’être phénoménaux, puisqu’ elle continuera d’atteindre 11% en 1979. 

Par la suite, chaque décennie connaîtra son plan d’austérité d’envergure, du tournant de la « rigueur » initié par Pierre Mauroy en 1983, dont le plan d’économies permettra de dévaluer le franc tout en restant dans le SME, jusqu’au plan de réformes qui déclenchera les grandes grèves de 1995, voulu par Jacques Chirac en vertu de la promesse faite à Helmut Kohl que la France respectera les règles budgétaires entérinées à Maastricht, afin de correctement remplir les critères d’accession à la monnaie unique. Puis viendra la crise de la zone euro, sur laquelle est récemment revenu l’ex-ministre des finances grec Yanis Varoufakis sur l’antenne de QG. La récurrence de ces discours et pratiques austéritaires doit nous interroger sur les intérêts qui sont servis par ce que l’on nomme pudiquement la « consolidation budgétaire ». Quels sont exactement les buts poursuivis par les gouvernements qui recourent à l’austérité ?

L’austérité, meilleur rempart des capitalistes

Tâchons en premier lieu de dissiper quelques malentendus sur l’austérité, qui n’est pas une politique conjoncturelle parmi d’autres. L’austérité ne constitue pas un assemblage de mesures techniques, ou un programme de politiques économiques d’apparition récente, qui aurait accompagné le développement du néolibéralisme. De même, s’il est de notoriété publique que le principe directeur de l’austérité n’est pas d’œuvrer au bien-être collectif, il n’est pas suffisamment rappelé que ce n’est pas non plus d’améliorer les indicateurs économiques ou les grands agrégats. Bien que son imposition soit souvent présentée comme une solution technique à un problème urgent, l’austérité relève d’un choix éminemment politique. Elle constitue le perpétuel ressac du système capitaliste : l’austérité est l’arme à laquelle les gouvernants recourent dès lors que ce système est contesté ou confronté à des crises majeures. 

Le socialiste Pierre Mauroy a initié dans le courant des années 1980 des plans d’austérité, notamment sous la présidence de François Mitterrand

Les recettes austéritaires destinées à « équilibrer » les comptes publics sont bien connues de tous. Les gouvernements jouent généralement sur trois leviers : le fiscal, le monétaire et l’industriel. Sur le plan fiscal, il s’agit souvent d’introduire des mécanismes de fiscalité régressifs (hausse des impôts sur la consommation, auxquels tous les citoyens contribuent, et baisse des impôts payés par les plus fortunés) ou bien, plus prosaïquement, d’organiser des coupes budgétaires (dans les services sociaux, dans l’éducation, la santé ou le logement), justifiées par la nécessité de rembourser ou même simplement de « rassurer » les créditeurs. Du point de vue monétaire, les gouvernements qui n’ont pas renoncé à cette prérogative peuvent décider de diminuer la masse de monnaie en circulation, en restreignant par exemple l’accès au crédit (via une hausse des taux d’intérêt). La diminution de la masse monétaire contracte certes l’activité économique, mais le vrai objectif est ailleurs : réduire l’inflation, et ce faisant protéger la manne des épargnants. Enfin, l’austérité de type industriel est la plus ouvertement coercitive, puisqu’elle peut prendre la forme de limogeages massifs d’agents publics, de politiques de modération salariale extrêmes, d’une moindre protection et indemnisation des chômeurs, ou de politiques de franche répression syndicale. 

Il est communément admis que les politiques austéritaires engendrent des souffrances sociales d’envergure, d’où les inquiétudes et les colères qui accompagnent les « efforts » imposés à la population en périodes de « crise budgétaire ». Mais ces peines ne sont que les symptômes d’une stratégie vouée à satisfaire un nombre assez restreint d’individus. En effet, les politiques austéritaires servent au premier chef à dépolitiser l’économie. Sous couvert d’assistance et de savoir-faire « techniques », l’austérité vise à séparer les sphères de la politique et de l’économie, cela en vue d’imposer une vision unique du mode de production et de l’ordre économique qui lui est associé. L’objectif poursuivi par cette dépolitisation de l’économie est double : consolider la répartition existante des richesses et sanctuariser la propriété privée et la primauté du secteur privé dans l’économie, aux dépens de toute conception alternative de la vie bonne.

En situation de tumulte, l’austérité sert donc à « naturaliser » et donc protéger de la contestation populaire la sacro-sainte relation capitaliste de production, qui structure si profondément et intimement nos existences : la nécessité de vendre sa force de travail pour un salaire, sur un marché. La manne existante – le stock accumulé par les forces capitalistes les plus puissantes et les plus concentrées – doit être protégée à tout prix. La logique salariale, qui permet ce processus d’accumulation capitaliste, doit donc être elle aussi sanctifiée. La précarisation accrue des travailleurs et le retrait des services publics induits par l’austérité servent à rendre cette logique inéluctable et indisputable ; elles visent à faire le salariat aller de soi, et à punir les récalcitrants.

Figer les rapports de force

Contrairement à ce que l’on pourrait penser à brûle-pourpoint, les tenants de l’austérité ne sont donc pas des partisans du court-termisme en politique. La protection des patrimoines et la préservation du lien salarial (qui rend possible l’accumulation capitaliste) priment en fin de compte sur l’accroissement de la productivité à court-terme ou la recherche immédiate de la croissance. C’est en ce sens que provoquer un ralentissement économique n’est pas foncièrement problématique pour les partisans de l’austérité. 

Les buts qu’ils poursuivent sont bien plus cruciaux. Matériellement, il s’agit de faire payer à la collectivité le coût exorbitant des subventions accordées aux grands groupes capitalistes, évidemment surenchéries en temps de crise. Il importe également de protéger l’épargne existante : il faut pour cela favoriser la déflation afin de garantir la robustesse de la monnaie, comme lors des années 2010, décennie plombée par les politiques austéritaires de la zone euro. Symboliquement, il s’agit de dépolitiser la manière dont l’accumulation capitaliste se déroule en mobilisant l’expertise technocratique, dont l’autorité ferme la porte à tout système alternatif de production et de répartition des richesses. En somme, il s’agit de figer les rapports de force économique et politique. Les dommages sociaux provoqués par les politiques austéritaires – saccage des services publics, explosion du taux de chômage et de la pauvreté, consommation en berne, contractation générale de l’activité économique, etc. – constituent donc des maux nécessaires à la sauvegarde de l’épargne, des tributs essentiels à la préservation sur le long terme du taux de profit des entreprises, une dîme assurant la bonne santé des rentes diverses.

Les politiques d’austérité dans l’Union Européenne ont été très nombreuses, notamment autour des années 2010

En limitant les pouvoirs et les capacités du secteur public, l’austérité fragilise les conditions de subsistance du plus grand nombre, ce qui garantit paradoxalement une certaine paix sociale, du moins pour un temps. Car au-delà des dérèglementations que l’austérité peut directement induire (sur les lois encadrant le marché du travail, ou l’indemnisation du chômage), ses effets rendent matériellement plus compliqué le fait de défendre ses droits. Lorsque l’on se retrouve en peine d’assurer des conditions de subsistance pérennes parce que les services publics dysfonctionnement et que les mécanismes de redistribution sont escamotés, il devient encore plus difficile et coûteux de s’indigner à l’égard de son employeur, de lutter contre une répartition inégalitaire des richesses, ou même – et c’est là sans doute le verrou mental le plus porteur d’effets – d’envisager un système économique alternatif. La toxicité extrême de l’austérité vient du fait qu’elle appauvrit considérablement les imaginaires. C’est en ce sens qu’elle constitue le meilleur rempart du système capitaliste : d’un point de vue tant matériel que symbolique, elle offre la garantie que l’exploitation se perpétue, que la répartition inégalitaire des richesses demeure inchangée, et que les citoyens n’auront pas les moyens matériels, idéologiques, ni même oniriques de contester cet ordre des choses.

Étouffer dans l’oeuf toute velléité de changement

L’économiste Clara Mattei offre une implacable démonstration des objectifs stratégiques et des effets délétères de l’austérité dans The Capital Order: How Economists Invented Austerity and Paved the Way to Fascism (University of Chicago Press, 2022, non encore traduit). Cet ouvrage remarquable nous plonge dans la décennie 1920, au cours de laquelle l’austérité a joué un rôle central dans deux pays européens dont les régimes politiques n’auraient, si l’on en croit les bonnes âmes, pas grand-chose de commun : la Grande-Bretagne libérale et l’Italie fasciste. Dans ces deux pays, la politisation accrue des travailleurs au sortir du premier conflit mondial alarmait vivement le patronat. L’économie de guerre dirigée avait entraîné une valorisation du labeur collectif, qui mêlait fierté du travail accompli, reconnaissance symbolique du rôle primordial des travailleurs et travailleuses dans l’effort de guerre, et hausses conséquentes des rémunérations. Plus inquiétant, les travailleurs s’étaient également politisés pour défendre leurs acquis et œuvrer à une démocratisation de l’économie : ils s’étaient organisés en coopératives, en guildes, en syndicats et avaient participé à des occupations d’usine pour défendre leurs intérêts et porter des demandes pour davantage de démocratie économique. 

La mise en place temporaire d’une économie dirigée avait fait prendre conscience aux travailleurs que la relation sociale que constitue le capitalisme – la mise en vente de sa force de travail sur un marché – n’avait absolument rien de naturel, et qu’en conséquence cet ordre des choses pouvait être contesté, renversé, voire aboli. En effet les gouvernements des pays belligérants avaient collectivisé les industries stratégiques (mines, transports, fabricants de munitions, chemins de fer, etc.) et employaient directement des millions de travailleurs. La propriété privée avait été subordonnée à l’intérêt national. Par le contrôle et la discipline qu’il exerçait sur les travailleurs, l’État avait démontré la relation symbiotique qui existe entre pouvoir politique et pouvoir économique. En Italie et en Grande-Bretagne, l’État avait assisté les forces capitalistes avec déférence : il était devenu le principal client de l’industrie, le garant des banques, procurait des matières premières, assurait la discipline des travailleurs et distribuait des subventions. Cela mit en évidence le fait que « les lois du marché » constituaient une chimère : les marchés devenaient reconnus comme des institutions éminemment politiques, ce qui faisait d’eux un terrain de contestation et un enjeu de pouvoir dans les changements sociaux en cours. Dès lors, les limites du possible pouvaient s’élargir. 

La Révolution russe de 1917 présenta longtemps un modèle d’inspiration pour les différents mouvements ouvriers et syndicats à travers l’Europe

En Grande-Bretagne, les guildes se multiplièrent, de même que les syndicats (avec un doublement du nombre de syndiqués entre 1914 et 1920, du fait de l’entrée sur le marché du travail des femmes et des ouvriers moins qualifiés). En Italie, on vit fleurir les coopératives, au sein desquelles les travailleurs jouissaient de leurs propres moyens de production tout en partageant leur surplus. Sur le plan électoral, le Parti Travailliste engrangeait ses premiers succès outre-Manche aux dépens des libéraux, et le Parti Socialiste était en tête des élections en Italie. Dans un contexte international marqué par les révolutions bolchéviques en Russie et en Hongrie et les succès spartakistes à Berlin, l’année 1919 constitua un record pour l’action collective : 35 millions de jours de grève cumulés en Grande-Bretagne, et un doublement du nombre de grèves en Italie comparé à avant la guerre. Non seulement les travailleurs y gagnèrent-ils sur le plan matériel (hausse de 178% des rémunérations des ouvriers anglais, sécurisation de la journée de 8 heures), ils surent également articuler une critique structurelle du capitalisme et de l’inefficacité de la libre concurrence. Plus grave encore, les guildes et les coopératives menaçaient directement le principe même de production pour le profit, puisque les moyens de production étaient collectivisés et la production était démocratisée grâce aux principes d’autogestion et d’autonomie financière. On sortait progressivement du salariat et du profit comme seuls horizons. Il devenait urgent pour les patrons d’étouffer cet essor des imaginaires, car ces aspirations à un monde débarrassé du salariat se montraient au moins aussi subversives que l’organisation concrète des travailleurs à la fin de la guerre. 

Libéraux et fascistes, main dans la main

Les libéraux anglais et les fascistes italiens ont eu recours à l’austérité pour étouffer ces pressions populaires, mais ne s’y sont pas pris de la même manière. La répression des travailleurs italiens se fit par la voie industrielle : leur subordination fut accomplie par la mise hors la loi des grèves et des syndicats (à l’exception, bien entendu, des syndicats fascistes). Il faut dire que les ouvriers italiens s’étaient montrés particulièrement indociles. Lors du Biennio Rosso (les « deux années rouges ») de 1919-1920, ils avaient saisi les moyens de production (occupations massives d’usines, mobilisations paysannes) et organisé celle-ci en collaboration avec les Ordinovisti, ce groupe militant notamment composé d’Antonio Gramsci et de Palmiro Togliatti, réunis autour de l’hebdomadaire L’Ordine Nuovo, et dont le travail d’éducation a œuvré à la démystification des relations de production.


Après ses victoires obtenues lors du Biennio Rosso, le mouvement ouvrier italien fut réprimé par les industriels, qui s’appuieront pour cela sur la brutalité des milices fascistes

Ce mouvement massif, dont l’épicentre se situait à Turin, s’est rapidement étendu aux autres villes du nord de la péninsule, et a constitué un véritable contre-projet hégémonique, une nouvelle manière de concevoir le social au-delà du salariat et de la propriété privée : le capitalisme n’est pas inéluctable, les travailleurs sont des agents de l’histoire, la théorie politique n’est pas séparée de l’action révolutionnaire, l’économique et le politique doivent être réconciliés. Le gouvernement de l’octogénaire Giovanni Giolitti refusa d’utiliser la force pour déloger les travailleurs, ce qui obligea les industriels à accepter des hausses de salaire, l’octroi de journées de congé payé et des compensations pour les ouvriers licenciés. Les premiers jalons d’une révolution socialiste étaient posés. Revanchistes, ulcérés que le pouvoir politique refuse de protéger leur chère propriété privée, les industriels décidèrent de s’unir au sein de la puissante Confindustria et firent alliance avec les grands propriétaires terriens pour défendre celle-ci dans le sang ; ils s’appuyèrent pour ce faire sur les milices fascistes, qui se mirent à assiéger les locaux syndicaux et à terroriser, torturer et assassiner des dizaines de syndicalistes.

La voie britannique fut plus indirecte, à savoir monétaire : le Trésor et la Banque d’Angleterre ont organisé la déflation en augmentant les taux d’intérêt afin de restreindre l’accès au crédit. Cela occasionna des dommages considérables pour les entreprises britanniques, surtout dans le secteur nouvellement nationalisé du charbon. La hausse de la valeur du sterling signifiait que les produits britanniques étaient renchéris par rapport à leurs compétiteurs, ce qui ralentit la production et entraîna un chômage record (17 % en 1921), provoquant en retour une pression à la baisse sur les salaires et un affaiblissement du pouvoir des syndicats. Tels étaient les tributs nécessaires à la survie du capitalisme et à la pérennité des relations de production sur lesquels ce dernier s’appuie. La réduction des recettes fiscales induite par cette dépression légitima ensuite l’absence de soutien public aux travailleurs vulnérables, et la boucle était bouclée : les guildes furent décimées – malgré une productivité supérieure à celle des entreprises privées, notamment dans la construction – et les fondations de la structure de classe capitaliste furent raffermies. Comme l’explique Mattei de manière éloquente, les politiques de réformes structurelles brutales du gouvernement britannique étaient mises au service du même but que la violence sanguinaire des milices fascistes italiennes : une répudiation anti-démocratique des avancées sociales conquises par les travailleurs au sortir de la guerre, une puissante contre-offensive visant à lutter contre les grèves et à casser l’élan collectif ouvrier.

Nouvelles perspectives dans un ancien monde

Pour Clara Mattei, l’austérité a donc constitué un projet technocratique étatique visant à soumettre à nouveau les travailleurs aux lois réputées « neutres » et « objectives » du marché. Le travail est ainsi démis de sa fonction de moteur de l’activité économique : c’est l’entrepreneur qui est l’agent économique considéré comme le plus efficace et le plus vertueux, car il se distingue par sa propension à thésauriser et à investir. Fascistes comme libéraux croyaient ainsi dur comme fer que discipliner les travailleurs et leur nier leurs libertés politiques était le prix à payer pour sécuriser la liberté économique des épargnants et des entrepreneurs, considérés comme les seuls artisans de la prospérité nationale. 

De manière fort inquiétante en Italie, cette réponse prit la forme d’une union des droites (libéraux, nationalistes et conservateurs) qui se concrétisera progressivement après le succès de la marche sur Rome, entreprise par Benito Mussolini et ses affidés en octobre 1922. Les violentes politiques d’austérité industrielle auxquelles s’est livré Mussolini lui ont valu non seulement le soutien des élites libérales et conservatrices italiennes, mais également celui des cercles financiers anglo-américains. Comme le rappelle judicieusement Mattei, les années de consolidation de la dictature fasciste correspondent au pic des investissements américains et britanniques dans les bons du trésor italiens ; il était ainsi fort profitable pour les élites financières de placer leur capital dans l’Italie des années 1920, celle là-même qui avait par antisocialisme écrasé dans le sang les revendications de ses travailleurs.

Gabriel Attal, plus jeune Premier ministre de la 5ème République. Il incarne pourtant un monde ancien et des schémas de domination bien connus depuis les années 1920, qui passent notamment par les politiques d’austérité

Retour au XXIe siècle. Plusieurs facteurs poussent les droites françaises à s’unir désormais de manière préemptive pour ne céder aucun centimètre de terrain aux travailleurs, ou à quiconque porterait une vision alternative de l’ordre économique. La conception du travail a changé depuis la pandémie de Covid 19, notamment parmi la jeune génération, à la recherche d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, et avide d’un travail qui possède un sens autre que celui de contribuer à l’accumulation capitaliste et de faire s’effondrer les écosystèmes. Comme lors de la crise de 2008, le secteur privé a été littéralement inondé de subventions publiques, avec une relégation opportune des règles budgétaires pour faire face à l’urgence pandémique. Mises de côté, ces règles budgétaires ont été dénaturalisées, ce qui a poussé les citoyens à s’interroger : ce qui a été possible en termes d’injection de fonds au cours de la pandémie ne peut-il pas être réalisable aujourd’hui pour lutter contre le dérèglement climatique, qui menace directement la santé et la survie de millions d’habitants sur cette planète? Voire, plus modestement, pour rénover un système de santé à bout de souffle, ou améliorer les conditions de travail des enseignants, dont les rémunérations sont toujours nettement inférieures à la moyenne de l’OCDE?

Une fois encore, il s’agit ici de choix non pas techniques, mais politiques. Le « quoi qu’il en coûte » pandémique n’avait qu’une seule finalité : préserver le statu quo bourgeois – c’est-à-dire l’état actuel des rapports de production et d’exploitation – fragilisé par les vagues épidémiques successives et leurs conséquences, et restreindre à nouveau les limites du possible afin de reproduire une politique de classe qui profite seulement à quelques-uns. Alors que des discussions houleuses sur le budget 2025 débutent à l’Assemblée nationale, les efforts désespérés et doctrinaires des macronistes historiques – Gabriel Attal, Gérald Darmanin en tête – pour défendre le bilan fiscal de leur ancien patron (auquel ils rêvent de succéder), et leur réflexe pavlovien de se tenir vent debout contre toute hausse d’impôts, en constitue la preuve la plus intangible. 

Thibault Biscahie

Docteur en science politique, chercheur postdoctoral au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal et collaborateur régulier de QG

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