Aude Lancelin a reçu l’historienne Annie Lacroix-Riz, pour un entretien grand format. D’où vient l’intérêt ancien des grandes puissances mondiales pour l’Ukraine? Jusqu’où va la responsabilité des États-Unis dans le déclenchement de la guerre? L’autoritarisme et la « folie » de Poutine, constamment invoqués par les gouvernements et médias occidentaux, suffisent-ils à expliquer une telle … Continued
Aude Lancelin a reçu l’historienne Annie Lacroix-Riz, pour un entretien grand format. D’où vient l’intérêt ancien des grandes puissances mondiales pour l’Ukraine? Jusqu’où va la responsabilité des États-Unis dans le déclenchement de la guerre? L’autoritarisme et la « folie » de Poutine, constamment invoqués par les gouvernements et médias occidentaux, suffisent-ils à expliquer une telle situation? Ne manquez pas cet entretien exceptionnel
L’émergence de ChatGPT, agent conversationnel lancé par la société américaine OpenAI, contrôlée par Microsoft, suscite une profonde admiration concernant l’évolution de l’intelligence artificielle (IA). Est-elle une nouvelle étape franchie dans le dépassement de l’homme par la machine ? Pour QG, l’entrepreneur Tariq Krim, fondateur de Netvibes, et ancien vice-président du Conseil national du numérique, souligne combien … Continued
Texte intégral (3151 mots)
L’émergence de ChatGPT, agent conversationnel lancé par la société américaine OpenAI, contrôlée par Microsoft, suscite une profonde admiration concernant l’évolution de l’intelligence artificielle (IA). Est-elle une nouvelle étape franchie dans le dépassement de l’homme par la machine ? Pour QG, l’entrepreneur Tariq Krim, fondateur de Netvibes, et ancien vice-président du Conseil national du numérique, souligne combien ChatGPT, et l’IA en général, relèvent d’une trajectoire accompagnée par le pouvoir politique, qui mène droit à une « bureaucratie numérique » et à une réservation des contenus qualitatifs et des postes clés à une élite. Interview par Jonathan Baudoin
Tariq Krim est un entrepreneur influent du web. Né en 1972 à Paris, il est notamment le fondateur de Netvibes et Jolicloud. Il est aussi l’initiateur du mouvement Slow Web
QG:Quel regard portez-vous sur ChatGPT, ainsi que sur les espoirs et les craintes que cela suscite aujourd’hui?
Tariq Krim : Avant ChatGPT, il y a eu beaucoup de tentatives de chatbots intelligents. Entre 1964 et 1966, Joseph Weizenbaum introduit Eliza, le pionnier des chatbots modernes, basé sur une technique consistant à reformuler les mots-clés de vos réponses en usant d’une forme interrogative. Il était inspiré par la méthode du psychologue Carl Rogers, qui était connu pour demander à ses patients de répéter ses questions. Inventée pendant la période de la guerre Vietnam, la machine a été envisagée pour traiter un très grand nombre de soldats qui rentraient dans un état psychologique de détresse. Mais la principale découverte du concepteur d’Eliza c’est qu’en voulant regarder ce que sa secrétaire demandait à l’ordinateur cette dernière s’est retournée vers lui en lui disant: « Excusez-moi, mais je suis dans une conversation privée. » Le sentiment d’intimité avec la machine pourrait permettre aux humains de livrer leurs secrets les plus privés.
C’est quelque chose que l’on retrouve dans ChatGPT. Ce système a réussi à construire un sentiment, une proximité, que les mots apparaissent un par un comme lorsqu’un ami nous écrit sur la messagerie Whatsapp. Pourtant la machine ne sait pas ce qu’elle écrit, les réponses sont basées sur un modèle purement statistique. C’est un peu comme le correcteur orthographique de Google, où des phrases sont complétées. Sauf que là, il construit toute la phrase. Il est excellent pour faire des traductions, pour faire de l’écriture, des résumés, de la synthèse. Par exemple, vous pourriez prendre un texte de 10.000 mots et demander à ChatGPT de faire un résumé en 3.500 mots tout en ayant du sens, et il va faire ce travail. Le succès de ChatGPT vient de son côté bluffant, mais surtout du fait qu’il nous donne le sentiment, pour la première fois, d’être face à un produit qui peut s’intégrer dans notre environnement de travail de manière quasiment automatique.
ChatGPT est aussi une réussite marketing. C’est un produit qui a été développé grâce à des technologies inventées par Google et qui sont désormais exploitées par leur concurrent direct Microsoft. On imagine la bataille dantesque qu’ils vont se livrer.
Capture d’écran d’une conversation avec Eliza, pionnier des chatbots modernes
QG : Est-ce que l’attention médiatique autour de ChatGPT, lancée par OpenAI, masque la survenue d’IA provenant d’autres GAFAM ?
On sait que chaque plateforme a ses propres équipes en intelligence artificielle. Il y a beaucoup de Français dans ces équipes, à l’image du dernier produit de Facebook majoritairement construit par des Polytechniciens et des normaliens. Ces écoles ont d’ailleurs des partenariats avec les GAFAM. Ce qui pose d’ailleurs la question du siphonnage de nos talents, encouragé hélas par le gouvernement. Avec de l’argent public !
La chercheuse érythréenne Tinmit Gebru a été remerciée par Google pour avoir critiqué les biais de standardisation de l’IA (elle était co-responsable de l’équipe travaillant sur l’éthique, et a été licenciée en 2020 par la firme, NDLR). Dans l’IA comme dans les moteurs de recherche, il faut des produits mondiaux, plutôt que des IA plus spécifiques et respectueuses des cultures locales. Le problème de ChatGPT c’est qu’il veut régurgiter la culture mondiale mais avec un modèle de pensée très anglo-saxon. Enfin pour partie, car ce sont des Kenyans payés deux dollars de l’heure qui ont travaillé sans relâche pour le rendre plus performant. C’est toujours intéressant de voir que ce mélange entre très haute technologie et low-tech n’est jamais ce sur quoi on communique.
Par ailleurs, l’IA arrive à un moment où le monde du mobile stagne. La Silicon Valley a besoin de nouveaux relais de croissance. Hélas comme c’était déjà le cas pour le mobile, ce sont les grands acteurs qui s’approprient cette innovation.
QG : Peut-on dire que ChatGPT formate un modèle cognitif, un mode de pensée finalement très américain?
C’est la question que je me pose. Lorsque je lui ai posé une question sur une problématique politique, ChatGPT m’a donné l’ensemble des éléments de langage du Département d’État américain. Ce qui donne à cet outil une capacité d’encerclement idéologique remarquable, en faisant disparaître les arguments contraires. Google promet qu’il offrira avec son chatbot appelé Bard, plusieurs réponses pour une question, un peu à la manière d’un article de The Economist. Mais ce qui peut inquiéter c’est le fait que les sources disparaissent au profit d’une réponse standardisée. ChatGPT entre dans la tradition des outils de productivité et d’optimisation. Agir plus et réfléchir moins. Un rêve pour certains patrons, mais aussi pour certains hommes politiques.
Le principal problème de ces IA, c’est qu’elles ne savent pas dire « Je ne sais pas » et préfèreront nous baratiner, raconter absolument n’importe quoi. Le bénéfice du travail de l’écriture automatique est modéré par la nécessité de devoir vérifier absolument tout ce qu’il dit. Enfin espérons-le.
QG : Il a été rapporté en janvier dernier qu’en Colombie, un juge a utilisé ChatGPT pour prendre une décision sur la couverture médicale d’un enfant autiste et ainsi « améliorer les temps de réponse du système judiciaire ». Peut-on imaginer un juge agir un jour de manière similaire en France, où la justice met du temps à trancher, notamment en raison d’un manque de moyens ?
Il y a plusieurs problèmes politiques sous-jacents. Le premier, c’est l’usage de l’algorithmie pour les décisions humaines. L’usage d’un logiciel boîte noire pour justifier les décisions humaines est utilisé dans la justice américaine depuis longtemps, avec beaucoup de controverses. Mais pour revenir à votre question, je me méfie toujours de ce genre d’articles à sensation. Comment a-t-il utilisé ChatGPT ? Était-ce pour synthétiser de l’information ? Dans ce cas, c’est un outil utile car ChatGPT est très bon pour ce genre de tâches. Ou bien a-t-il vraiment écrit son argumentaire avec ChatGPT ? J’imagine mal, au-delà du coup de pub, une profession comme celle-ci laisser un robot écrire un texte sans avoir véritablement pris le temps de vérifier.
Avec ce genre d’exemple médiatisé, il y a la volonté de démontrer notamment qu’en France la technologie va transformer le gouvernement. Peut-être d’ailleurs en créant un État sans fonctionnaires, ce qu’on appelle dans le jargon « l’État plateforme« . C’est une idéologie très inspirée des suprémacistes numériques américains tels que Peter Thiel. La machine décide mieux que les hommes donc donnons-lui les manettes. La numérisation et l’automatisation de l’État sont le prélude à une forme de privatisation des fonctions régaliennes de la France. Rappelez-vous que, pendant le Covid, ce sont des acteurs privés qui ont géré la prise de rendez-vous pour la vaccination. Ainsi « l’État plateforme » est-il une doctrine ultralibérale très prisée par les hauts fonctionnaires français et la majorité actuelle. Il y a cette idée que, pour pallier le manque de fonctionnaires, on va les remplacer par des algorithmes. Le problème, et on le voit dans tous les domaines aujourd’hui, c’est qu’on est passé d’une bureaucratie analogique, avec des acteurs humains, à une bureaucratie numérique dans laquelle il n’y a plus aucun recours. Depuis quelques années, il n’y a même plus de numéros de téléphone pour appeler. Et demain ce sont des ChatGPT qui vous expliqueront que vous n’avez plus droit à vos aides sociales.
Peter Thiel, un des plus célèbres investisseurs de la Silicon Valley, cofondateur de PayPal. Il est le plus grand donateur de la Singularity, institut créé en l’an 2000 pour préparer le dépassement de l’intelligence humaine par l’IA
Une chose que ces gens ont oublié c’est que la relation avec l’État, la justice, les services publics, c’est le contact humain. Sans contact humain, on met la population à l’écart. L’idée d’un État d’intelligence artificielle ressemble à une faillite démocratique. Dans le roman de William Gibson, The Peripheral, l’auteur décrit un monde où une oligarchie seule survivante d’un cataclysme appelé le Jackpot, vivrait dans un monde où l’intelligence artificielle ajouterait des avatars « pauvres et des classes moyennes » dans les rues de manière virtuelle pour simuler un semblant de vie.
Face à la vision de « l’État plateforme », il existe une autre vision de ce que serait l’état numérique, la justice et les services publics. Un modèle où l’humain serait au centre et les outils numériques capables de résoudre et non pas de faire exploser les délais bureaucratiques. On parle beaucoup de la désindustrialisation mais on ne parle pas assez de la dénumérisation des services publics. Cela fait des années qu’au lieu de réfléchir à produire en interne avec des ingénieurs embauchés par l’État, on a outsourcé ce travail en France, avec des sociétés de services qui ont fait des produits ne fonctionnant pas. Regardez l’éducation nationale pendant le Covid, rien ne marchait correctement !
Et le risque actuel c’est qu’au lieu de travailler sur nos propres outils et de construire l’État numérique que nous méritons, le gouvernement a ouvert la boîte de pandore avec le Cloud de Confiance, et va faire entrer les GAFAM au cœur de l’État (1). Je détaille cela dans mon petit ouvrage Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur l’ordinateur de quelqu’un d’autre (à télécharger en ligne, NDLR).
QG : Est-ce que certains métiers peuvent se sentir menacés par une utilisation croissante de l’IA dans la production, à travers l’exemple du groupe de médias allemand Axel Springer (Bild, Die Welt) supprimant des postes de journalistes pour les remplacer par de l’IA, selon vous ?
La rédaction assistée par l’IA est déjà utilisée depuis au moins une décennie. C’est un des grands drames de la presse car une partie des contenus est quasiment automatisée. ChatGPT ne fait qu’amplifier ce phénomène où le contenu synthétique est désormais la règle. Peut-on encore parler de média dans ce cas?
Votre question sur les médias soulève plusieurs autres questions. Tout d’abord ces modèles de langage sont basés sur une utilisation massive de contenus sous droits d’auteur. Getty Images a déjà attaqué Stable diffusion (une intelligence artificielle qui génère des images en fonction de ce que vous décrivez par le langage, NDLR) pour avoir ingurgité ses images sans payer de droits. Je pense que les procès vont se multiplier. Ensuite se pose la question de la production cognitive. Ces outils peuvent être des aides intéressantes pour permettre l’assistance à la lecture, le résumé, la traduction. Mais comme toute technologie, ChatGPT pose la question de savoir ce que nous gagnons, ce que nous perdons. Facebook nous a fait oublier les dates d’anniversaires, les numéros de téléphones, le GPS et les adresses. Quel processus cognitif disparaîtra à travers ChatGPT ?
À l’heure ou des services comme TikTok sont des outils d’abrutissement massif, on peut se poser la question du modèle de société que l’on souhaite. Le journaliste Carl Bernstein, qui avait sorti l’affaire du WaterGate avec Bob Woodward, a écrit il y a 30 ans un petit texte sur la société de la débilité.
Le point d’entrée de la méritocratie, c’est la capacité intellectuelle. Or, ces outils pourraient renforcer le fait que seule une élite aura désormais des capacités intellectuelles humaines, et aura donc la capacité d’accéder aux postes clé. Le reste serait maintenu dans un gloubi-boulga de nullité et de médiocrité. En clair, « notre temps de cerveau disponible » pourrait passer de quelques minutes à quelques secondes!
QG : Étant donné que ChatGPT a été lancé aux États-Unis, peut-on dire qu’il y a un retard, voire une dépendance technologique encore accrue, en France et dans l’Union européenne ?
Depuis des années, on a trouvé normal que les meilleurs talents français partent bosser pour les boîtes américaines. Nous n’avons donc que ce que nous méritons. En même temps je les comprends, car l’État n’a pas grand-chose à offrir à ces chercheurs: seulement des patrons de labo toxiques, une bureaucratie digne d’un livre de David Graeber, et des financements compliqués à obtenir.
Les chercheurs veulent travailler avec des gens qui ont une vision claire, qui leur fichent la paix. En 10 ans de french tech, on n’a jamais été capable de leur dire : « vous aurez les mêmes choses en France. » Il y a aussi la question des financements. La France a dépensé, si l’on en croit les annonces du gouvernement, bien plus que OpenAI. Où sont les produits de cela ?
Mais la question la plus importante reste: « Est-ce qu’on doit faire exactement la même chose ou doit-on faire des choses qui seraient plus adaptées à notre vision du monde ? » Je crois beaucoup à la création d’outils pour l’éducation, la musique, la culture. C’est le combat d’une technologie humaniste contre une technologie d’optimisation du monde. ChatGPT c’est le McDonald’s de la pensée. Il nous faudrait inventer quelque chose de plus gastronomique.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
(1) Le lundi 17 mai 2021, Bruno Lemaire, ministre de l’économie et des finances et Cédric O, secrétaire d’état chargé du numérique, ont annoncé la création d’un label « Cloud de Confiance », conçu pour sécuriser le stockage de données, et devant permettre aux administrations et aux citoyens d’assurer la meilleure protection possible pour leurs données.
Tariq Krim est un entrepreneur et pionnier de l’Internet. C’est l’un des principaux défenseurs d’une souveraineté numérique de la France. Il est également l’initiateur du mouvement Slow Web, qui prône un usage apaisé du numérique. Il a fondé plusieurs start-ups, dont Netvibes et Jolicloud. Il a été conseiller du gouvernement français (e-G8 et Vice-Président du Conseil National du Numérique). Il est l’auteur de l’Ebook Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur l’ordinateur de quelqu’un d’autre (2021)
Comme il était prévisible, la motion de censure « transpartisane » portée par Courson et le groupe LIOT a échoué… à 9 voix près. Borne et sa réforme y gagnent un répit de pure forme ; Macron, responsable de facto d’un passage en force légal mais illégitime en sort politiquement démonétisé. Certes, le dispositif le plus emblématique du … Continued
Texte intégral (1352 mots)
Comme il était prévisible, la motion de censure « transpartisane » portée par Courson et le groupe LIOT a échoué… à 9 voix près. Borne et sa réforme y gagnent un répit de pure forme ; Macron, responsable de facto d’un passage en force légal mais illégitime en sort politiquement démonétisé. Certes, le dispositif le plus emblématique du « parlementarisme rationnalisé » a déjà été utilisé à maintes reprises au cours des dernières décennies, avec parfois des conséquences éruptives – on se rappelle que le mouvement Nuit debout est né après un autre passage en force, en l’occurrence sur la « loi Travail ». Mais alors les contradictions de l’actuel régime constitutionnel ne nous avaient pas à ce point éclaté au visage. Désormais, la situation est bien différente. La séquence électorale de 2022 a réuni les conditions d’une crise de régime que ce centième recours à la disposition honnie vient de précipiter.
De ce fait, le combat contre la réforme des retraites change de nature. Depuis le 16 mars, il ne s’agit plus d’une lutte classique, dans le contexte « »normal » d’un régime qui s’est affranchi, dès l’origine et de plus en plus, de toute « normalité ». Tel un fleuve débordant de son lit, le mouvement social est désormais conduit à interroger non seulement la pratique du pouvoir mais son principe et son organisation. Il est devenu, par-delà son but initial, un vaste mouvement démocratique. Et pour cause: les millions d’opposants à la loi sur les retraites ont parfaitement compris que la crise en cours ne peut plus trouver de solution politique satisfaisante dans le cadre de la Ve République. Ils pressentent aussi que, quand bien même la cause la plus immédiate de cette crise disparaîtrait du fait d’un éventuel retrait du texte, il en surgirait bientôt une nouvelle, tout aussi insoluble, la Constitution ne proposant, en fait de remède, que des pis-aller : dissolution, élections, accentuation de la polarisation des forces à l’Assemblée, rôle de plus en plus problématique du chef de l’État ; ou même: référendum, démission, présidentielle sur des bases malsaines. Surtout, ils savent que les mêmes qui ont intérêt à casser nos retraites, notre chômage et nos services publics ont un égal intérêt à ce que les règles du jeu politique restent inchangées: la prépotence du président, le mépris des corps intermédiaires, l’éviction des classes populaires, et de toutes les catégories minoritaires de la population, des processus décisionnels.
Le caractère antidémocratique de la Ve République a été dénoncé dès la fondation du régime, instauré dans un contexte de guerre et de peur. L’exacerbation des défauts de ce système, l’évolution des aspirations de la société n’ont pu que démultiplier et renforcer les motifs de critique. Aujourd’hui, l’absence de prise en compte des vœux populaires, la fuite en avant de Macron et la probabilité très forte de voir, à court terme, le national-populisme de Le Pen accéder à un pouvoir potentiellement sans frein sont autant de raisons d’engager dès à présent un mouvement de transformation démocratique.
On peut ici rappeler quelques idées en circulation dans le débat public et qui auraient sans doute leur importance dans le cadre d’un processus de cette nature: suppression du président de la République élu au suffrage universel direct, réhabilitation des droits du Parlement, création d’assemblées délibérantes permanentes tirées au sort, intervention directe du peuple dans la vie publique à travers la mobilisation d’outils comme le référendum d’initiative citoyenne, etc. Cependant, il importe tout autant de réfléchir aux évolutions à apporter qu’aux conditions de déclenchement d’un futur processus constituant.
Il est clair à cet égard qu’il n’y a rien à attendre de Macron, qui a constamment montré son attachement conservateur à la verticalité du pouvoir, dans la plus pure tradition de la Ve République. Dorénavant, du reste, toute proposition émanant de lui dans un registre où la confiance est de mise se heurterait à l’extraordinaire défiance qu’il a suscitée par ses actes. Pour rester dans la sphère politique, les partis de gauche ont bien sûr un rôle à jouer, et même les partis tout court. La France insoumise porte historiquement le projet de VIe République que la Nupes a intégré dans son programme, y consacrant un groupe de travail à l’Assemblée, et d’autres formations défendent des mesures de démocratisation – il est vrai bien plus timides. Jusqu’à présent toutefois, les prises de position claires et hardies se sont limitées à quelques élus, traditionnellement les plus en pointe sur ces enjeux. Dans l’hémicycle, on n’a pas encore entendu revendiquer le changement de République comme moyen de se sortir durablement, par le haut, d’une crise qui ne cesse de s’étendre et de s’aggraver. Tout cela est parfaitement normal: c’est au sein de la société que naissent les grandes poussées démocratiques et non pas dans les corps qui par construction ont un intérêt limité au changement.
Au total, force est donc de reconnaître qu’il revient prioritairement à la société civile, singulièrement au mouvement social, de prendre l’initiative, avec tous les acteurs des institutions qui croient dans la nécessité de la transformation. On peut dire sous cet aspect que la plus grande partie du chemin a été accomplie. La VIe République, ou quelque autre nom que l’on donne à une modification d’ampleur de nos institutions politiques, apparaît désormais souhaitable pour un nombre important de femmes et d’hommes dans l’ensemble de la société. Nul doute que le déclenchement du 49.3 sur le sujet socialement explosif des retraites aura encore accru ce nombre, dans des proportions qu’on ne se figure même pas.
Passer de l’idée à la réalité suppose d’avoir préalablement fait de l’idée un mot d’ordre, et le tournant des 16-20 mars nous en offre l’occasion. Jeudi soir, à la Concorde, je me suis pris à rêver que si, avec les milliers de personnes au milieu desquelles je me tenais, nous scandions d’une seule voix digne et forte : « VIe République », nous pourrions ouvrir un nouveau chapitre: plus qu’une sortie de crise, une véritable espérance. Ce ne fut pas le cas, mais à voir fleurir, sur certaines pancartes, des slogans en faveur de la VIe, à entendre contester si frontalement les traits les plus caractéristiques de la Ve, il n’est pas fou de penser que ce rêve pourrait prendre vie dans un avenir proche. Il n’est pas fou non plus d’imaginer qu’une telle revendication pourrait ensuite se concrétiser dans un référendum d’initiative partagé déclenché par le Parlement, visant à la convocation d’une assemblée constituante. Nous avons collectivement les moyens de créer cette perspective politique, en faisant œuvre d’imagination, comme l’expérience de Nuit de bout et des Gilets jaunes nous y invite. Face au passage en force de Macron, il n’est en tout cas plus concevable de maintenir le débat dans l’enceinte étriquée où le pouvoir l’enferme à dessein ; le temps est venu de poser la question démocratique par excellence : d’exiger la VIe République.
Retrouvez Aude Lancelin pour un grand point sur la situation avec Olivier Mateu, secrétaire général de la CGT des Bouches du Rhône, et Ritchy Thibault, cofondateur de Peuple révolté. Quelle suite pour la mobilisation contre la réforme des retraites? Le rejet de la motion de censure sera-t-il un nouveau carburant pour le mouvement? Sommes-nous à … Continued
Texte intégral (1352 mots)
Retrouvez Aude Lancelin pour un grand point sur la situation avec Olivier Mateu, secrétaire général de la CGT des Bouches du Rhône, et Ritchy Thibault, cofondateur de Peuple révolté. Quelle suite pour la mobilisation contre la réforme des retraites? Le rejet de la motion de censure sera-t-il un nouveau carburant pour le mouvement? Sommes-nous à quelques mètres d’un blocage général du pays?
La faillite de la banque américaine Silicon Valley Bank (SVB), le 10 mars dernier, a mis en panique les marchés financiers, réveillant la crainte d’une crise financière comparable à celle de 2008. Mais est-ce véritablement le cas, la contagion est-elle inévitable ? Pour QG, l’économiste Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’ATTAC et du collectif les … Continued
Texte intégral (2489 mots)
La faillite de la banque américaine Silicon Valley Bank (SVB), le 10 mars dernier, a mis en panique les marchés financiers, réveillant la crainte d’une crise financière comparable à celle de 2008. Mais est-ce véritablement le cas, la contagion est-elle inévitable ? Pour QG, l’économiste Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’ATTAC et du collectif les Économistes Atterrés, estime que le risque de crise systémique est à surveiller, mais encore peu probable à l’heure actuelle, en dépit des immenses difficultés que connaît aussi la banque Crédit Suisse et des répercussions encore en cours, tandis que les marchés restent fébriles. Pour lui, ces troubles graves sur les marchés sont dus à la politique monétaire des banques centrales, actuellement en train de relever leurs taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. Interview par Jonathan Baudoin
QG: Quelle est votre analyse sur la faillite de la banque SVB et les mesures prises par les autorités américaines, en réaction à cette nouvelle, ces derniers jours ?
Dominique Plihon : Au risque de paraître présomptueux, je fais partie des gens qui avaient indiqué, avant cette crise, que la politique monétaire consistant à remonter les taux d’intérêt, était particulièrement risquée et menaçait la stabilité financière. En particulier sur le marché obligataire, où s’échangent les obligations émises par les entreprises, notamment les plus grandes, ou les bons du Trésor des États, à savoir la dette publique. Ce qui se passe avec une remontée aussi rapide des taux, c’est le risque d’avoir un krach obligataire. Il y a eu beaucoup d’acteurs qui se sont mis à vendre leurs obligations pour pouvoir en racheter d’autres plus rentables. C’est ce qu’a fait la banque SVB, Silicon Valley Bank, car elle avait besoin de liquidités pour pouvoir faire face aux besoins de ses déposants. Elle a vendu, rapidement, une partie de son portefeuille d’obligations, réalisant à cette occasion des pertes, car la valeur de son portefeuille avait considérablement baissé, du fait de la hausse des taux d’intérêt. Cela a enclenché un mouvement de panique sur cette banque, une panique bancaire, un bank run en anglais. Les déposants voyaient leur banque en difficulté, faisant des pertes sur son portefeuille. Ils craignaient de perdre leur dépôt, de ne plus pouvoir être remboursés. Un phénomène de panique très caractéristique, quand une banque comme SVB fait des pertes et n’inspire plus confiance à sa clientèle.
En réponse, la Réserve fédérale américaine (Fed) et le pouvoir exécutif américain sont intervenus. Le président des États-Unis, Joe Biden, a dit qu’ils allaient tout faire pour éviter que la contagion ne se produise. La Fed a décidé en urgence un soutien de refinancement à la banque en difficulté, tout en la laissant faire faillite. Un peu comme au moment de la faillite de Lehman Brothers en 2008.
Pourquoi en est-on arrivé là ? Parce que les banques centrales ont monté les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. Nous sommes un certain nombre d’économistes à penser que ce n’était pas la bonne solution parce que l’inflation n’avait pas de cause monétaire. C’était lié au prix de l’énergie, à des phénomènes de type structurel, c’est-à-dire la désorganisation des chaînes de valeur à l’international, ajouté à des causes exogènes comme la guerre en Ukraine. La politique monétaire ne peut pas grand-chose face à ce genre de crise. Or pour nous, la politique monétaire décidée contribue à un risque systémique de contagion. Les banques centrales sont piégées aujourd’hui par les contradictions de leur politique monétaire : elles ont à tort privilégié la lutte contre l’inflation par la hausse des taux d’intérêt inadaptée et elles sont sous-estimé l’impact de la hausse des taux sur la stabilité du système bancaire et financier, comme lors de la crise de 2008.
Siège de la banque Lehman Brothers en septembre 2008. Longtemps jugée « too big to fail », elle a finalement été emportée par la crise des subprimes
L’autre responsabilité qu’ont les autorités monétaires et bancaires aux États-Unis, c’est l’assouplissement, sous lé présidence de Donald Trump, de la réglementation des banques. C’est-à-dire un relèvement du seuil de la taille des banques pour que celles-ci soient davantage surveillées et considérées comme systémiques, à savoir susceptibles de créer un choc systémique si elles vont mal. Beaucoup de banques de taille moyenne comme SVB ont échappé à cette réglementation. Un assouplissement malencontreux de la supervision, de la réglementation bancaire aux États-Unis fait que certaines banques sont passées sous le radar.
On peut ajouter d’autres éléments en considération. SVB, comme son nom l’indique, est située dans la Silicon Valley. Elle finançait les start-ups. Un secteur à risque car ce sont des entreprises qui font dans l’innovation technologique. Ce qui est risqué, par définition. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la baisse de la valeur de son portefeuille d’obligations. Notamment les bons du Trésor américain, en lien avec la hausse des taux d’intérêt. Elle a certainement mal géré son portefeuille, mais elle a été fragilisée par la politique monétaire. C’est quelque chose qui était prévisible. Néanmoins, on ne savait pas où ça allait se déclencher et que cette banque-là allait être la première à déclencher une possible crise financière.
QG: Au regard de la situation de la banque Crédit Suisse, peut-on craindre une propagation de faillites dans le secteur bancaire et dans quelle mesure celle-ci peut toucher l’économie réelle ? Est-ce que la situation actuelle est pire que celle de 2008, en raison du bilan des Banques centrales, notamment depuis le Covid, limitant potentiellement leurs capacités d’action?
Pour le moment, je ne suis pas inquiet. Les autorités américaines ont très vite réagi pour rassurer les marchés et les déposants des banques qui pouvaient être en difficulté, comme la SVB, et éviter une propagation dans le système bancaire états-unien entier. Le plongeon de Crédit Suisse, une banque qui était déjà en difficulté, a également donné lieu à une intervention rapide de la banque centrale helvète en raison du caractère systémique de cette banque.
Maintenant, est-ce que cela va toucher la sphère réelle ? J’en doute pour le moment. C’est vrai qu’on a eu la crise des subprimes, beaucoup plus importante en raison d’une bulle immobilière énorme qui s’est effondrée, mais qui était aussi due à une erreur des autorités monétaires américaines qui ont monté les taux d’intérêt un peu trop rapidement, mettant en difficulté un grand nombre de ménages endettés sur le marché de l’immobilier. Ce qui a déclenché une spirale dangereuse, avec beaucoup de gens insolvables, et des banques faisant des pertes en raison de leurs clients insolvables, etc. Je ferais plutôt le parallèle avec l’explosion de la bulle Internet, au début des années 2000. Beaucoup d’acteurs, dont des entreprises, ont fait faillite. Mais cela n’a pas eu d’impact sur l’activité. Je pense que les autorités maîtrisent mieux la situation. Vu les informations dont on dispose, je ne crois pas à une contagion importante pour le moment.
Fragilisée par la hausse des taux d’intérêt, la banque californienne SVB a fait faillite le 10 mars dernier entraînant une immense fébrilité sur les marchés financiers
QG: Il est vrai que les réactions encore très nerveuses sur les places boursières ces derniers jours vont dans un sens apparemment contraire… Ce lundi 13 mars, le discours officiel de part et d’autre de l’Atlantique était d’affirmer qu’il n’y avait pas de raison de s’alarmer, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire clamant même qu’il n’y avait « d’alerte spécifique sur le secteur bancaire français ». N’est-ce pas tout de même un bel exemple de méthode Coué?
Le ministre de l’Économie est dans son rôle, tout comme les autorités monétaires. Ils ont tendance à afficher un peu trop optimisme. Néanmoins cela est aussi justifié par les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure. Si on regarde les banques françaises, on peut penser qu’elles ne sont pas dans uns spirale analogue à celles de la Silicon Valley Bank. À ce stade, elles n’ont pas besoin de trouver des liquidités pour vendre leurs portefeuilles obligataires. Dans le cas contraire, elles feraient des pertes importantes car la valeur des titres obligataires a baissé, en raison de la hausse des taux. Néanmoins, il faut rester vigilant car toutes les grandes banques françaises sont des banques systémiques, donc potentiellement risquées.
QG: Au stade actuel, avec cette faillite de SVB et la panique qui s’ensuit, peut-on dire tout de même que certaines leçons ont été tirées de la crise financière de 2008 ?
Les leçons n’ont pas été totalement tirées. La réglementation prudentielle, la réglementation des banques, l’encadrement des banques, n’ont pas été aussi loin que l’on pouvait espérer. Après la crise de 2008, il y eut débat sur la séparation des banques. C’est-à-dire une séparation entre les activités de détail, tournées vers les particuliers, les PME ; et l’activité de banques de marché, de nature plus spéculative, plus volatile, avec risque de pertes, comme on peut le voir sur le marché obligataire, où cela s’effondre aujourd’hui. On a perdu la bataille puisque la séparation n’a pas eu lieu dans un pays comme les Etats-Unis, parce que le lobby bancaire y est tellement puissant qu’on n’a pas pu, ou voulu, les découper en morceaux. Contrairement à ce qui s’est passé au moment de la crise de 29, avec le Glass-Steagall Act de 1933 aux États-Unis, séparant banques de détail et banques d’investissement ; ou en France, après la seconde guerre mondiale, avec une séparation des banques en trois catégories. Les banques de dépôt, les banques d’investissement puis les banques de crédit à moyen ou long terme.
Il y a eu du progrès néanmoins sur la notion de banque systémique. On a considéré qu’il y a un certain nombre de grandes banques dans le monde étaient systémiques sur deux caractéristiques. D’abord une taille très importante ; ensuite des interrelations entre elles très importantes, qui pouvait indiquer que si l’une d’entre elles étaient en difficulté, vu sa taille critique et les relations entretenues avec d’autres banques, cela pouvait susciter un effet domino. Il y a une surveillance importante de ces banques, sous l’égide de la Banque des règlements internationaux, du Comité de Bâle, des autorités monétaires internationales. C’est un progrès, mais insuffisant.
Avec la crise de 2008, puis la pandémie, les banques centrales ont en effet fait beaucoup de création monétaire. Il y a eu beaucoup de créations de liquidités. Ce sont des munitions pour la spéculation. Comme on vient de connaître un mouvement haussier très important, il peut avoir des retournements brutaux. Néanmoins il n’y a selon moi pas d’inquiétude à avoir sur le court terme. C’est une analyse qui vous paraîtra sans doute optimiste, mais c’est mon analyse. Je pense néanmoins que des leçons doivent être tirées de cet épisode. Parce que c’est un épisode dangereux. Il y a eu, durant quelques jours, une inquiétude près importante. Il faut être vigilant, et surtout les banques centrales doivent faire leur autocritique. Elles ont émis des liquidités sans imposer suffisamment de contraintes aux banques pour l’utilisation de celles-ci. À cela, elles ont ajouté l’erreur de remonter trop haut et trop vite les taux d’intérêt dans le contexte actuel.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
Dominique Plihon est économiste, professeur émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du conseil scientifique d’ATTAC, et des Économistes atterrés. Il est l’auteur de: Le savoir & la finance (avec El Mouhoub Mouhoud, La Découverte, 2009), Le nouveau capitalisme (La Découverte, 2016), Les enjeux de la mondialisation (avec Agnès Benassy-Quéré, Christian Chavagneux, Éloi Laurent, Michel Rainelli, La Découverte, 2019), La monnaie et ses mécanismes (La Découverte, 2022)
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