21.11.2024 à 17:44
Pauline Todesco
Descente de fafs pour protester contre la projo du film Le Repli. Attaques tous azymuts et par tous les canaux possibles: presse, sphère politique, allôciné, haro sur les subventions régionales. L’extrême-droite intensifie ses menaces. Au Poste décortique le phénomène qui commence sérieusement à ébranler le secteur.
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Nous voilà arrivés à un point de bascule : celui du passage d’une campagne haineuse contre le film Le Repli, à «la présence de groupuscules d’extrême droite à l’une des projections du film, ceci pour tenter d’exercer une pression physique sur le réalisateur et les spectateurs du film.» Un communiqué paru le 20 novembre alerte sur l’effet «immédiat et irréversible sur les entrées en salles» de cette «propagande orchestrée par des groupes de la fachosphère.»
Le communiqué, signé par le SPI (le syndicat des producteurs indépendants), le SDI (le syndicat des distributeurs indépendants) et la SRF (la société des réalisateurs français) tire la sonnette d’alarme : après les films Avant que les flammes ne s’éteignent de Mehdi Fikri et Quelques jours pas plus de Julie Navarro, voilà que c’est au film Le Repli de subir une violente campagne de dénigrement. Les organisations dénoncent «une nouvelle forme de censure d’une dangerosité inédite.»
Joseph Paris, le réalisateur du film Le Repli, était justement l’invité d’Au Poste le 28 octobre 2024. Il avait commencé l’entretien avec ces quelques mots : «C’est un film que j’ai commencé en 2015 en réaction aux attentats terroristes qui ont frappé Paris mais aussi à ce qui fut la réponse gouvernementale apportée : la déclaration de l’État d’urgence et surtout le discours sur la déchéance de nationalité.»
Dénonçant la montée des discours racistes et la restriction des libertés, le film est aujourd’hui victime de tout ce qu’il dénonce : une campagne visant à museler la sortie et la promotion du film à travers une stigmatisation des discours et des personnes, notamment le protagoniste du film Yasser Louati. Sur le Facebook du distributeur Destiny Films, des centaines de messages haineux «racistes, certains menaçants» témoigne Audrey Ferrarese, la productrice du film, qui se dit «horrifiée.» «On a fini par faire un signalement à Pharos, parce que certains messages étaient menaçants», ajoute-t-elle.
On est dans un pays où la démocratie a encore une signification. Que des gens ne soient pas d’accord avec certaines choses, je peux le comprendre tout à fait. Ce qui est un peu dommage, c’est que ces gens-là, qu’il s’agisse des commentaires haineux, des journalistes de Marianne ou du Figaro ou du député RN, se permettent de réagir sans avoir vu le film. Et c’est un vrai problème de société qui concerne des tonnes de choses.
Hervé Millet, Destiny Films
Pour Julie Fabiani, déléguée générale adjointe à la SRF, c’est «d’abord le caractère inédit de menaces physiques qui marque un tournant dans ces campagnes de dénigrement. Ensuite, une campagne très très violente qui risque de porter atteinte au succès du film.» Le 12 octobre, des groupes identifiés comme appartenant à Action Française par des militants de gauche étaient venus à la fin de la projection à Limoges, avant de s’en aller en reconnaissant les militants du Plateau des mille vaches, auxquels ils avaient déjà eu affaire. «C’était inquiétant, il y avait dix ou quinze personnes, divisées en trois groupes : un devant le cinéma, un devant mon hôtel et un en voiture qui circulait entre les deux» raconte Joseph Paris, que nous avons joint. Il avait ensuite alerté le comité «Riposte contre l’extrême droite» de la SRF.
Le réalisateur, se disant «épargné» puisqu’il ne regarde pas les commentaires, mentionne néanmoins «j’ai dû fermer mon compte Twitter». Enfin, «c’était une bonne raison de quitter X» ajoute-t-il avec ironie.
Pour Joseph Paris, comme pour le distributeur, «le vrai point de départ de la fachosphère qui se met sur notre dos, c’est Metz.» Ce 31 octobre, la projection s’achève sur un échange de Yasser Louati avec le public. Trois jours plus tard, un enseignant d’histoire-géographie de l’APHG Lorraine[1] rédige un texte «extrêmement à charge contre le film» témoigne Paris, publié sur le site de l’APHG Lorraine, signé du seul prénom de son auteur. Paris était absent de la projection. Mais le MRAP, qui était l’organisateur de la soirée et qui a mené son enquête, lui a témoigné qu’aucun propos problématiques ni de conflits particulièrement n’ont été relevés, tandis que Yasser Louati lui a confié que le professeur d’histoire-géographie en question a applaudi à la fin du débat.
Suite à la publication du droit de réponse de Paris[2], l’APHG Lorraine insiste auprès du réalisateur en lui demandant de le corriger pour indiquer que «le texte est soutenu uniquement par l’APHG Lorraine, sans engager l’APHG national.» Selon Paris, le texte du professeur essaie «de nous placer en complicité avec l’assassinat de Samuel Paty, ce qui pour nous est abject, odieux, le film soutenant du début à la fin les victimes du terrorisme, depuis le 13 novembre, jusqu’au procès 7 ans plus tard.» Paris tient à rappeler qu’un seul professeur a rédigé et signé le texte. Il dénonce la tentative «d’opposition entre le film et la profession d’histoire géo», voie sur laquelle le réalisateur estime que Marianne essaierait de l’entrainer, lorsque le journal titre «Pseudo “islamophobie d’État”, Samuel Paty et Dominique Bernard oubliés : “Le Repli”, le doc qui ulcère les profs.» [3]
Je ne peux pas croire que cette attaque d’un professeur qui a nourri la fachosphère représente son association sur le plan national.
Joseph Paris
Suite à la projection de Metz, le texte publié par l’APHG Lorraine (l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie) est relayé par le site d’extrême droite Fdesouche trois jours plus tard, ajoutant que Yasser Louati est l’ancien porte parole du CCIF (Collectif Contre l’islamophobie). «C’est ce qui va ressortir dans toutes les publications de la fachosphère dans les deux semaines qui vont suivre» témoigne Paris, qui ajoute : «quand j’ai rencontré Yasser, vers février 2016, il était membre du CCIF. Mais il l’a quitté quelques mois plus tard sur des désaccords politiques qui sont connus et référencés. Ensuite je l’ai suivi pendant 7 ans. Je ne l’ai pas mentionné parce que ça ne le définit ni comme intervenant du film ni comme personne.»
Le réalisateur ajoute à propos de la vindicte, reprise par le Républicain Lorrain, u Boulevard Voltaire, puis par Marianne, et Le Figaro : «ils semblent manquer d’arguments, parce que leur seul angle d’attaque, c’est le CCIF.» Le 7 novembre, le député Rassemblement National Eddy Casterman[3] publie une vidéo sur X dans laquelle il qualifie le Repli de «carburant du séparatisme islamiste», et le CCIF, «d’organisation islamiste proche des Frères Musulmans.»
Si Marianne n’a pas contacté l’équipe du film, Le Figaro a insisté auprès de son attaché de presse pour demander «de nous expliquer sur les financements reçus par le film. Ce à quoi on n’a pas répondu. On n’a pas à se justifier, les données sont publiques» rétorque Joseph Paris.
Au-delà d’une atteinte à la liberté de création et de diffusion avec une idéologie haineuse, il y a tout un amalgame du financement du cinéma en France.
Julie Fabiani, SRF
Alors que le film a été financé en partie par le CNC et la région Ile de France, l’idée d’un «film financé par les deniers publics» se propage chez Marianne et au Figaro. Or le CNC «n’est pas du tout de l’argent public puisque c’est une taxe prélevée sur chaque entrée» rappelle Hervé Millet, distributeur chez Destiny Films et membre du SDI.
Le Figaro, qualifiant Le Repli en conclusion d’un éditorial sur Donald Trump de «film de propagande frériste», écrit : «le producteur a bénéficié du soutien du CNC et le distributeur quant à lui se targue de celui de l’UE.» Seconde erreur : si Destiny Films perçoit bien des financements européens, il s’agit d’une aide pour la distribution des films non-francophones, qui ne concerne donc pas Le Repli.
Enfin, Eddy Casterman, dans sa vidéo du 7 novembre, prend à parti Valérie Pécresse, présidente de la région Ile de France. «C’est intéressant, parce que j’ai reçu cette subvention avant l’élection de Valérie Pécresse» note Paris, amusé.
Les propos du député Eddy Casterman ont été tenus dans la foulée de la proposition du groupe LFI de diffuser le film à l’Assemblée nationale. Projo dont le député RN demande l’annulation auprès de Yaël Braun Pivet. Hervé Millet témoigne avoir appris hier que «deux autres députés RN ont signé une lettre pour demander à Yaël Braun-Pivet, l’annulation de la projection.»
Je n’ose pas croire que Yaël Braun-Pivet va donner suite à cette demande de censure venue de l’extrême droite, a fortiori derrière le communiqué de la SRF, du SPI et du SDI. Si on en arrivait là, on franchirait une étape considérable dans l’effondrement de la liberté de création et d’expression en France.
Joseph Paris
Le 15 novembre, Au Poste recevait justement trois membres de la Société des réalisateurs français : Antoine Barraud, Christophe Cognet et Elisabeth Jonniaux. Au fil de l’entretien, Cognet a décortiqué les quatre lieux où l’extrême droite attaque le cinéma.
D’abord, les financements. En Régions, ceux-ci sont alloués après l’avis d’un comité d’experts, agréé par l’assemblée régionale. Jusqu’à ces dernières années, les assemblées suivaient plutôt leur comité. Mais depuis que l’extrême droite s’installe, explique Cognet, «les politiques regardent les intitulés et les résumés des films, en particulier du documentaire (…) Dès qu’il y a le mot Palestine, le mot LGBT ou quelque chose qui a un rapport à l’immigration (…) il y a une demande de retoquer le projet.»
Lucie Commiot, co-présidente du SDI, soulève un autre point financier particulièrement inquiétant : il y a quelques semaines, la région Nord a décrété l’arrêt total du dispositif “école et cinéma”, permettant aux élèves du primaire et du secondaire de se rendre à des projections. Le 20 novembre, le SDI apprenait le retrait dans le Pays de la Loire de 75% des aides en direction d’associations qui aident à la diffusion des films, telles que Graines d’Images, et la coupe de 100% des subventions au festival d’Angers Premiers Plans. Pour la co-présidente du SDI, ces coupes forment «un ensemble très inquiétant qui fragilise un tissu local très important, pour les films et même au-delà», ajoutant que le sujet était au coeur de la réunion mensuelle du BLOC[2] (Bureau de Liaison des Organisations du Cinéma), tenue la veille.
Le second lieu d’où l’extrême droite porte sa riposte est celui des attaques sur les réseaux sociaux. Pour Cognet, elles participent à une autocensure des cinéastes et de la profession. Un sentiment partagé par Audrey Ferrarese, à propos du Repli : «le programmateur nous disait que certains exploitants avaient aimé le film mais préféraient ne pas le prendre, sans vraiment exprimer pourquoi. J’y ai vu une forme d’auto censure.»
Les deux derniers points sont plus insidieux. D’une part, l’influence de l’extrême droite se joue sur la programmation, c’est-à-dire sur les salles municipales, pour que certains films ne soient pas diffusés, avec un chantage : «si vous diffusez ce film, nous ne viendrons plus voir les autres.» Enfin, il y a la question des visas d’exploitation. Chaque film reçoit en effet une classification «tout public», «interdit au -12 ans», «- 16 ans», ou «-18 ans». Dans les deux derniers cas, les possibilités de diffusions et de distribution sont moindres. Cognet pointe la surreprésentation dans les comités de classification des associations familiales, où il observe «une politique d’entrisme très assumée et très explicite de l’extrême droite», cherchant à faire passer sous la classification -16 ou -18 ans, des films qui n’auraient pas dû être interdits à ces niveaux.
Prenant cette lutte à bras-le-corps, le SRF comme le SPI et le SDI constatent des attaques devenues régulières, et se mobilisent pour protéger la liberté de création et de diffusion. Du côté du SRF, Julie Fabiani déclare : «on exige des pouvoirs publics de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’ingérence politique dans la fabrication et la circulation des films», tandis que du côté du SDI, Lucie Commiot demande «de trouver un système de modération et de suivi afin que la liberté d’expression et de création soit réelle pour les œuvres et pour les auteurs.»
Précision: Au Poste est partenaire-média du film Le Repli
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21.11.2024 à 08:18
Pauline Todesco
«Le Vertige #Metoo»: pamphlet contre Metoo et ses figures féminines ont dit certain.es, plaidoyer pour la nuance ont pensé d’autres. Le timing était odieux, ont jugé certain.es; opportun pour d’autres. Pour comprendre ce qui divise le camp féministe, Au Poste est parti à la rencontre de ce lectorat féminin.
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A l’origine de cette enquête, ces questions : féministes, combattantes pour l’abolition du patriarcat, où sont nos déchirures ? Qu’est-ce qui nous désunit ? Cette division est-elle aussi profonde, aussi irrémédiable, aussi absolue que semble nous laisser penser la polémique autour du Vertige Metoo ?
Disclaimer: les erreurs factuelles et nombreuses de CF sont (évidemment) rappelées et épinglées dans l’enquête
À travers une myriade d’exemples, l’autrice tente de dresser les contours d’un risque : celui de passer d’une société de l’omerta à celle de la délation, du refus d’écouter les victimes à l’oubli de la présomption d’innocence pour les accusés.
Le livre a fait l’objet de vives critiques, notamment formulées dans une tribune parue dans le Nouvel Obs, signée par de nombreuses personnalités féminines du cinéma et de la culture, afin de plaider pour le retrait du Vertige Metoo des nominations pour le prix Femina.
De nombreuses signataires de la tribune, directement mises en cause ou concernées par des lignes dans Le Vertige Metoo, dont Iris Brey, Mona Chollet, Hélène Devynck, Caroline de Haas, Anouk Grinberg, Aïssa Maïga, Sandrine Rousseau et Muriel Salmona, pointent de nombreuses inexactitudes à leur endroit, et reprochent à la journaliste de ne jamais les avoir contactées – le même reproche étant formulé par la présidente de Mediapart Karine Fouteau en ce qui concerne les journalistes mis en causes par Caroline Fourest. Singulière méthode que de ne pas offrir le minimum – le contradictoire – en la matière.
Selon Mediapart, l’actrice Sand Van Roy, la plaignante de l’affaire Luc Besson, aurait déposé plainte en diffamation contre Caroline Fourest et son éditeur. Enfin, Judith Godrèche, elle s’est également élevée contre l’autrice chez Arrêt sur Images, choquée de la mise en cause par Caroline Fourest de son père pour sa responsabilité dans les abus que l’actrice a subis.
Au 21 septembre le livre était dans le top 10 des meilleures ventes d’après Libération. Sous les posts de l’autrice sur les réseaux sociaux, des centaines de femmes, enthousiastes, soulagées par le discours de ce livre. Il serait tellement plus simple de penser que l’autrice, critiquée par une grande partie de la gauche, plaît justement à un public aux tendances politiques macronistes, républicaines voire d’extrême droite. Il serait tellement plus simple de fermer les yeux, et de se convaincre que les femmes qui lisent et aiment Le Vertige Metoo n’aiment pas les mots féminisme, patriarcat, n’ont jamais lutté contre d’ailleurs, et n’en ont jamais subi, physiquement, psychiquement, ses effets.
Les femmes rencontrées dans le cadre de cette enquête ont plusieurs points communs, malgré des générations et des milieux différents. Toutes se disent féministes, contre le patriarcat, et plusieurs rapportent avoir vécu des violences sexistes ou sexuelles.
Julia*, 46 ans, artiste plasticienne, rapporte «comme beaucoup de femmes j’ai vécu jeune la violence physique, puis tout le long de mon parcours le chantage sexuel auquel je me suis refusée, ce qui m’a valu beaucoup de solitude et de difficulté.» Isabelle* a 57 ans, est aujourd’hui coach et formatrice, et raconte comment, il y a plusieurs années, elle a vécu ce qu’elle a longtemps cru être du harcèlement au travail, avant de réaliser qu’elle était agressée sexuellement, au quotidien, par son supérieur hiérarchique. Tombée en dépression, elle songe à porter plainte, ce dont la dissuade son avocat, certain que les poursuites n’auront jamais lieu. Metoo n’est pas encore arrivé. D’ailleurs, dit Isabelle, lorsque retentit octobre 2017, elle décrit «un soulagement profond, en me disant “bon sang ça y est, ça commence à bouger”. C’était presque un peu jubilatoire.»
Anne*, 57 ans, dans la communication, confie avoir été harcelée et violée à 13, 19 et 25 ans. Emilie Thivet-Grivel est avocate et déclare «je vis la domination masculine et le machisme. Toutes les femmes en ont fait l’expérience.»
«J’ai été élevée dans une famille avec une maman féministe, qui m’emmenait très jeune, et jusqu’à mes 16 ans aux réunions du MLF» se souvient Corinne, aujourd’hui âgée de 70 ans, formatrice éducation/santé. «Ça a forgé une partie de mes réflexions, et quand Caroline Fourest a commencé à être connue, tout naturellement, j’ai été dans sa sphère de pensée» ajoute-t-elle.
«J’ai toujours un objectif opérationnel de réussir à endiguer le patriarcat. Et pour moi, nous ne pourrons pas le faire sans que les hommes y participent à un moment ou à un autre (…) pour coopérer, il faut être capable de réfléchir avec des gens qui ne sont pas d’accord avec nous.» déclare d’emblée Isabelle, amorçant l’un des points de tension entre la pensée de Caroline Fourest et celle d’une partie de la gauche et du camp féministes considérés plus radicaux.
La scission avec ces mouvements est explicite chez certaines, comme Claudia*, pour qui Le Vertige Metoo fait particulièrement écho à son expérience : «comme Caroline Fourest, je ne me reconnais plus dans le combat féministe qui, au-delà de la dénonciation, prend le visage d’une haine des hommes.»
En recoupant les témoignages des lectrices, tous ne valident pas forcément tous les propos de Fourest d’un bloc. Ce qui les convainc est à chercher au moins autant dans son ethos, que dans son discours en tant que tel. Un ethos positivement marqué par deux caractéristiques, appréciées de son lectorat : «la constance de son engagement», et son «courage et sa dignité» face aux critiques émises contre elle dans l’espace public, en miroir de celles que l’autrice professe dans son journal ou sur les plateaux.
«Toute sa vie a été impactée par le danger à s’attaquer à l’extrême droite. Et ça je connais: j’ai été militante politique dans ma vie. Je sais comment on peut être harcelé, ou mal vu parce qu’on n’avait pas la même idée que la doxa ambiante» partage Corinne.
De la même façon, Anne cite «sa bataille seule contre tous, à soutenir des femmes violées par Tariq Ramadan, qui finira par être condamné.» Selon elle, les critiques que suscitent l’essayiste seraient dûes à une convergence entre son combat contre la «vague islamiste qui a mené à tant d’attentats en France», et l’électoralisme de Jean-Luc Mélenchon qui, selon son analyse, «après avoir perdu l’électorat des ouvriers, est allé chercher les voix des musulmans dans les banlieues, quitte à s’acoquiner avec les islamistes et renier Charlie.»
Les critiques à l’égard de l’écrivaine sont pourtant féroces et précises. La tribune collective parue dans le Nouvel Obs pointe «de nombreux manquements à l’exactitude et à la vérité», trahissant «un parti pris idéologique contraire à la neutralité affichée», relevant «en conséquence de la plaidoirie en défense» des accusés de VSS. Si Caroline Fourest livre un plaidoyer pour la nuance, les autrices de la tribune pointent le fait que l’un des chapitre est intitulé «La guillotine», que l’ouvrage comporte plusieurs occurrences du mot «bûcher», l’autrice allant «jusqu’à dresser une comparaison avec “le nazisme et l’Inquisition”».
Il lui est également reproché de s’autoriser «à trancher d’une affaire avant le jugement» ou de décider «qu’un cas aurait été “mal jugé”, sans avoir accès au dossier, incriminant ou disculpant à son gré», de considérer qu’il existerait une « emprise bénéfique », ainsi qu’une « coresponsabilité du bourreau et de la victime ». Enfin, les critiques relèvent les termes de « gestes déplacés » ou de « manque de tact » pour «des faits qui pourraient relever de l’agression ou du viol», ainsi que se faire le relais des « garçons terrifiés par MeToo ».
Et pourtant. Malgré les accusations étayées contre le travail de Fourest, la polémique autour de l’ouvrage ne tiendrait pas aux yeux de ses fidèles lectrices. Corinne confie «c’est un faux procès», qui n’a rien à voir avec le livre, «sans doute parce que Caroline ne brosse personne dans le sens du poil.»
Les lectrices de Fourest rencontrées par Au Poste ne sont d’ailleurs pas toujours d’accord avec ses positions. C’est le cas de ses propos sur LCI, le 29 octobre, concernant le procès Bedos. Le comédien a été condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis probatoire. Fourest, confiant être son amie, déclare «En réalité nous ne sommes pas devant un prédateur, nous sommes devant quelqu’un qui a un problème d’addiction et qui vit très mal son alcoolémie.» Corinne lâche en riant «elle m’a quand même un peu énervée ce soir-là» ajoutant «parce que Bedos c’est un pote à elle, là je l’ai trouvée un peu tiédasse.» Mais, précise-t-elle: «elle a le droit d’être maladroite.»
«Si on n’est pas pile-poil dans le consensus absolu avec l’idée d’un groupe d’individus qui s’imagine être dans la bien-pensance et dans la bonne morale, on est d’extrême droite, on est facho, on est des traîtres» déclare Corinne, convoquant Elisabeth Badinter et Peggy Sastre.
La question de la nuance, plaidée par Caroline Fourest, semble être la part la plus importante dans l’explication des lectrices en ce qui concerne leur adhésion au Vertige Metoo. Emilie explique apprécier «la façon de Caroline d’éviter les raccourcis qui conduisent à la caricature», tandis que Laura parle d’un propos «profond, juste et sans excès». Pour Julia, qui suit Caroline Fourest depuis des années, l’autrice «ne remet pas en cause la parole des femmes. Bien au contraire».
Chez Caroline Fourest, il n’y a pas de consensus mou à une idée, aussi belle soit-elle. Et MeToo est une très belle idée au départ. Caroline veut nous mettre en garde : nous sommes dans une période où on essentialise, on stigmatise, avec une foi dans la justice populaire, le dogme, l’idéologie. Il y a toujours des limites à poser, à se demander si c’est vrai, si c’est faux, si on participe à la curée générale, même si on est dans un temps où il faut absolument dénoncer tout ce qui est indignité, non-respect, prédation, viols, attouchements, partout. Corinne
«Comme Caroline Fourest, je pense qu’il ne faut pas, parce que Metoo existe, croire qu’une femme a toujours raison et qu’un homme a toujours tort» lâche Corinne. Toutes les lectrices font état de l’importance de Metoo et de la nécessité d’écouter et de respecter la parole des femmes. Leurs divergences avec le reste du camp féministe se révèlent dans le refus d’une perception jugée essentialiste, mais aussi à travers la crainte d’une perméabilité de la justice à cette vision, au risque d’une bascule de la condamnation sociale des institutions judiciaires vers le lynchage médiatique. Anne rappelle la nécessité «d’enquêter avant de condamner», tandis qu’Isabelle explique se définir comme démocrate, «croire profondément dans la justice de ce pays», précisant que celle-ci n’était «pas du tout à la hauteur de la situation pendant très longtemps.» Un incapacité judiciaire qui, précisément, était à l’origine du mouvement MeToo: dénoncer pour bousculer. Néanmoins, d’après elle, «il est arrivé que des personnes accusent à tort, pour différentes raisons et des questions de vengeance», ajoutant «c’est un peu le côté sombre de Metoo.»
Charlotte*, actrice depuis ses 15 ans, confie «connaître les ambiguïtés revisitées en plaintes» de ce milieu, ajoutant que l’engagement de Caroline Fourest la renvoie à ses «propres analyses et méfiances envers certaines inauthenticités et exagérations.» Emilie, avocate, rejoint Caroline Fourest sur «la nécessité d’une distinction entre sanction pénale et peine sociale», estimant que celle-ci devrait être non avenue si la personne a déjà été condamnée.
Dans la conclusion du Vertige Metoo, Caroline Fourest plaide pour le passage du «je te crois» à «je t’écoute.» Emilie lui donne raison: «sinon c’est la fin du droit pénal.» Isabelle préfère nuancer. Le passage de l’écoute à la croyance dépend selon elle du lieu : «dans le cercle proche, c’est important que la victime soit crue, mais le boulot de l’enquêteur, c’est d’avoir un doute.» Elle soutient d’ailleurs le principe de l’écoute active, théorisée par Carl Rodger, une écoute «empathique, totale» qui peut déjà s’avérer thérapeutique.
Pour Claudia, responsable en communication, la «mort sociale» n’est pas une crainte, mais une réalité qu’elle vit avec beaucoup de souffrance. Elle raconte être «victime» (elle-même y met des guillemets) de signalements à l’encontre de son compagnon «mis au piloris par le tribunal populaire sans qu’aucune plainte ne soit déposée, simplement par vengeance.» Directeur artistique de festival, il a été accusé par plusieurs artistes de «sexisme, harcèlement et violences sexuelles», et licencié, d’après sa compagne, «par peur des manifestations, et pour sauver l’image de l’entreprise en question.» Claudia, se décrivant comme «femme féministe et première enquêtrice de l’affaire», fait le récit de l’exposition de son compagnon dans la presse, son «lynchage sur les réseaux sociaux», mais aussi ces «messages nocturnes de féministes radicales», et les appels « anonymes» que reçoit son entourage.
Il est grand temps d’apporter de la nuance à tous ces #balancetonporc. Il est grand temps que cette révolution s’élève, pour ne pas ridiculiser les vraies victimes, et pour faire progresser la société.
Claudia
Lorsqu’elle découvre Le Vertige Metoo, Claudia y retrouve une description parfaite de «toute la machinerie qui a abattu mon compagnon et notre famille. Je me fiche des éventuelles inexactitudes soulignées par le camp Rousseau, Godrèche et compagnie (…) Son appel à la raison, à respecter les faits, m’a apaisée le temps de la lecture. Ses questionnements me parlent tant: doit-on bannir un être humain accusé sur simple dénonciation ? Pourrions-nous concilier le principe de précaution et le respect du droit du travail ? Serions-nous passer de la démocratie à l’autoritarisme?» Il y aurait donc deux poids, deux mesures. Les “bonnes” inexactitudes d’un côté, les “mauvaises” de l’autre ?
Claudia cite quelques mots du Vertige Metoo qui l’ont particulièrement touchée «si plusieurs victimes présumées accusent un homme d’agressions sexuelles graves répétées et osent porter plainte j’ai du mal à croire à une fumée sans feu. En revanche, si plusieurs racontent des interactions pénibles mais qui ne relèvent pas du viol et ne vont pas jusqu’à porter plainte, c’est possiblement plus fumeux.» Le témoignage de Claudia, qui confie d’ailleurs «ne pas être fan de Caroline Fourest», permet de comprendre au moins en partie le succès du livre. Ni les critiques qu’il rencontre, portant sur des affaires précises ou des points sémantiques, ni l’autrice elle-même ne peuvent anéantir les échos que semble soulever l’ouvrage chez certaines femmes. Claudia tient à préciser en fin d’entretien «nous sommes de gauche, et tristes que nos détracteurs agissent au nom de cette sensibilité.»
Isabelle a pris sa carte au PS lorsqu’elle avait 18 ans, fut conseillère municipale à 20 ans, a longtemps voté Écologistes. Déçue d’un parti où elle avait l’impression de ne pas avoir le droit d’exprimer un désaccord, elle se décrit davantage attirée par la pensée macroniste.
Si toutes les lectrices s’identifient de gauche, la scission avec La France Insoumise, réduite à Jean-Luc Mélenchon, ou avec Les Verts, assimilés à Sandrine Rousseau, est assez partagée. L’accusation d’une gauche jugée complice de l’islamisme se retrouve dans plusieurs témoignages, comme celui d’Emilie, ou de Charlotte, qui dénonce «le peu de bruit que font ces pseudo féministes pour le sort des iraniennes, des afghanes, ou même les femmes lambda qui ont des vies encore brutalisées aujourd’hui.»
Dans son dernier essai, Caroline Fourest accuse «l’extrême gauche» d’une tendance «à privilégier les Metoo contre des hommes puissants et fortunés, à surréagir si l’accusé est blanc ou juif (incarnant dans leur fantasmes la puissance financière) et à sous-réagir lorsqu’il s’agit d’un accusé racisé.» Pour Isabelle, cette position est à examiner par le biais de confirmation : de la même façon que l’extrême droite va pointer du doigt ce en quoi elle croit déjà – l’idée que «les immigrés sont des violeurs et des assassins» -, l’extrême gauche aurait été confrontée au même biais, notamment sur l’affaire Tariq Ramadan.
Dans Le Vertige Metoo, Caroline Fourest insiste sur deux notions qu’elle articule ensemble : l’idée d’un féminisme intersectionnel essentialisant, et la nécessité de sortir du «victimisme» qu’il engendrerait. Cette proposition résonne pour toutes ces lectrices de Fourest comme un appel à reprendre le pouvoir, sur leur nature, leur dignité, leurs traumatismes, et leur destinée, mais également, à considérer la victime comme en partie responsable du schéma de domination.
Pour Anne, cela commence par «apprendre à crier, à faire peur à l’agresseur», «lorsque cela est possible» précise-t-elle. Réagissant aux mots dans Le Vertige Metoo «il faut être deux pour bâtir une relation toxique», elle répond «nous sommes libres d’y mettre fin.»
Je garde des séquelles de ces violences subies, mais je ne m’en servirais jamais pour une mise en avant comme « victime médiatique ». Ni comme victime tout court. Je préfère la pudeur et la dignité d’un combat plus silencieux.
Anne
L’idée, empruntée à Fourest, de déconstruire la désignation du «sexe faible» associé historiquement aux femmes, voire de le désigner comme «sexe fort», se retrouve dans plusieurs témoignages. Alors que l’entretien touche à sa fin, Isabelle prolonge sa réflexion sur le «victimisme» en mobilisant deux concepts : la résilience, de Boris Cyrulnik, c’est-à-dire «la capacité à transformer une expérience traumatique de manière à en faire une force», et le triangle de Karpman. Le principe est issu de l’analyse transactionnelle, une théorie créée en 1958 par le psychiatre américain Eric Berne, sujette à controverses, aux Etats-Unis comme en France[1]. À l’inverse d’une approche déterministe, l’analyse transactionnelle porte une perspective phénoménologique. Le triangle de Karpman définit trois «rôles», celui de «Victime, Bourreau et Sauveur». Dans ce triangle dramatique, d’après Isabelle, «il n’y a pas de responsable», la relation étant instable et les rôles interchangeables.
Les différents témoignages receuillis par Au Poste permettent de discerner un discours où s’opposeraient deux visions de la lutte féministe à concevoir et à mener. La première serait celle des faits, de l’objectivité, de la nuance, de la complexité et de la résilience, plutôt partisane d’une gauche sociale-démocrate ou du bloc de l’extrême centre, face à une seconde interface qui prioriserait l’émotionnel, le «victimisme», et la polarisation des idées, du côté des partis considérés d’extrême gauche, ou à l’extrême droite pour d’autres raisons.
Le premier modèle serait celui de l’interculturalité et de l’universalisme, tandis que le second s’appuierait sur l’intersectionnalité, hiérarchisant les victimes et essentialisant les natures et les rapports entre les genres. Enfin, les institutions, policières, judiciaires, la gradation des fautes ainsi que le droit à une seconde chance sont au cœur du premier modèle. Le second se jouerait dans l’espace public et médiatique, mélangeant, comme l’écrit Caroline Fourest «l’offense et la violence sexuelle, la proposition (même maladroite ) et l’agression», au mépris de la présomption d’innoncence, et sans recours, ni à une seconde chance, ni à la prescription.
Mais ces deux modèles existent-ils vraiment ? Ou tous deux peuvent-ils dialoguer, se compléter, voire être le miroir l’un de l’autre ? À travers les témoignages recueillis, et la lecture du Vertige Metoo, une évidence apparaît : penser le futur de Metoo passera par une réflexion collective qui veillera à sortir des dichotomies assimilant intersectionnalité et essentialisation, la nécessité du mot “victime” au “victimisme”, la dénonciation de harcèlement à la confusion de toutes les agressions, le “je te crois” au mépris de la présomption d’innocence. Cette réflexion ne pourra toutefois pas se passer d’une auscultation des incohérences d’un modèle prônant la nuance et désignant par exemple La France Insoumise d’extrême gauche, d’un modèle appréciant les faits, et plébiscitant un livre dont les multiples erreurs factuelles ont été démontrées, d’un modèle plaidant pour l’écoute de la parole des femmes, mais pointant comme premières ennemies de Metoo… les femmes qui s’élèvent contre leurs agresseurs.
Contactée par Au Poste, Caroline Fourest n’a pas daigné nous répondre.
* Les prénoms ont été modifiés
[1] En France, le rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires écrivait en 2006, au sujet de l’analyse transactionnelle : «Quand ces techniques sont mal comprises (…) le pire est à craindre et les signalements recensés, hélas nombreux sur l’ensemble du territoire national, font état de dysfonctionnements particulièrement graves (…) Lorsqu’un problème surgit, il y a obligatoirement un responsable et ce ne peut être que le patient (…) De telles dérives à forte connotation sectaire, non validées scientifiquement, sérieusement contestées par des universitaires réputés, condamnées outre-Atlantique par les médecins et par la justice, ne peuvent laisser indifférents (…) contre les dangers de pratiques dont l’issue sera le plus souvent dramatique pour les personnes et leurs familles.»Soutenez la riposte, soutenez #AuPoste, aux avant-postes pour défendre les libertés publiques et fondamentales. Dons déductibles des impots (66%) 🙏 Adonnez-vous! ► http://www.auposte.fr/dons
20.11.2024 à 17:23
David Dufresne
Didier Wampas sort un livre, un livre sur lui, sur nos jeunesses, sur nos 20 ans qu'on allonge tant qu'on peut. Un livre sur sa vision éternelle du monde (Le Seigneur est une fleur, à prendre au premier degré).
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Wampas Didier, électro RATP le jour; fou furieux du micro le soir. Un ami. Un Punk ouvrier (Harpers Collins) comme, jadis, on disait prêtre ouvrier. Ce soir, ce soir, c’est Noël!
Didier Chappedelaine, plus connu sous le nom de Didier Wampas, auteur-compositeur-interprète et chanteur du groupe éponyme, est l’énergique invité de cette matinée hivernale Au Poste. Il est monté, de Sète à Paris, avec sa compagne Florence, leur chienne Suzie, son t-shirt « I’m not Johnny Ramone », toute son humilité et son livre récemment sorti, Punk Ouvrier (HarperCollins France, 2024). Ce titre, repris d’une chanson de son premier album solo (Taisez-moi, Atmosphériques, 2011), résume à la fois sa vie, son œuvre et surtout son état d’esprit résolument punk.
C’est comme les chansons, j’ai pas envie de réécrire mes chansons, c’est du premier jet, je les garde comme ça, et le livre c’est pareil, les concerts c’est pareil. Même le studio, c’est pareil, j’essaie que ça soit le plus possible comme ça. Tout est du premier jet. J’ai l’impression de mentir aux gens si je réécris mes chansons ou mes textes.
Didier Wampas
Dans ce livre spontané, écrit en une seule prise, et dans lequel il ne souhaitait pas « trop se livrer », l’auteur revient sur sa jeunesse : son père communiste et ses Pif Gadget, parce que Mickey, c’était « trop capitaliste ». Il évoque cette époque pré-punk où « rien n’avait encore changé », citant au passage La Souris Déglinguée. Mais il revient surtout, chanson après chanson, souvenir après anecdote, sur sa double carrière : arpentant la ville le jour tel un « Starsky et Hutch » de la RATP, traînant dans les squats et les bars la nuit, anti-star de la scène rock.
Je préfère que les gens crient Didier Wampas est le roi sur scène, et que moi, je sois là, je joue la rock star complètement. Et après le concert, c’est fini. Je sais que c’est pas vrai. Je préfère en jouer, c’est un peu malsain sinon, tu vois, tu refuses ça alors que ça existe… C’est plus rigolo de jouer la rock star en sachant qu’on n’en est pas une !
Didier Wampas
À la fois acteur et témoin de son temps, Didier Wampas évoque généreusement la scène rock alternative, dès ses débuts : du premier bar parisien à accueillir des concerts punks, Le Jimmy – le « CBGB français » – dans le 20ᵉ arrondissement, à la boutique de disques et label New Rose – son « Far West » à lui -, dans le Quartier latin. Là, lui et ses potes aimaient traîner, même s’ils s’en faisaient régulièrement virer, et New Rose finira par signer le groupe.
Aujourd’hui, je lis des livres de temps en temps sur le rock alternatif, tout ça. Ils exagèrent les gens, ils enjolivent ça, ils romancent ça… C’était des p’tits cons qui buvaient de la bière et qui cherchaient quelque chose à faire, en vrai, ces gens-là, à la base !
Didier Wampas
Le chanteur se souvient avec amusement de son concert avec Indochine au Stade de France, où on ne voulait pas lui donner de micro. Il évoque avec tendresse la première fois où il a entendu Manu Chao, l’une de ses chansons, à la radio dans un supermarché : « C’est bizarre ! » Lui qui n’a jamais eu d’attente, vivant une carrière sans souffrance, parle de l’ambiguïté du succès, incarnée par le tragique destin de Kurt Cobain. Il met en parallèle le dernier concert des Bérus – un « grand moment » – avec l’arrivée de Nirvana. Pour lui, c’est la fin d’une époque, un bouleversement : la fin des bandes, des bastons, « du jour au lendemain !»
Mais le punk n’y a pas laissé sa peau. Les Wampas continuent de tourner. Didier a sorti plusieurs albums solos. Il a fait de la country québécoise sous son véritable nom. Son groupe familial, Sugar et Tiger, va sortir son prochain opus. Enfin, ses premiers titres reprennent vie avec la formation du Didier Wampas Psycho Attack !
Je sais, ça n’se fait pas, un punk ou un curé, qui travaille pour manger, faut quêter ou mendier,
Je sais, ça n’se fait pas, d’aller faire les 3×8, quand tous les mômes voudraient, être des rock stars tout d’suite.
Ouvrier, Ouvrier, Ouvrier je suis punk ouvrier,
Comme avant il y avait des prêtres ouvriers.
Didier Wampas / George Ross / K Harp
Didier Wampas a toujours mené une double vie : électricien à la RATP le jour et chanteur punk la nuit. Cette particularité reflète son refus des compromis, son refus de faire de la musique une marchandise.
Le livre Punk Ouvrier (HarperCollins France, 2024) se base sur les chansons de Didier Wampas. Chaque chanson est un prétexte pour revenir sur sa jeunesse, ses souvenirs de tournée et sa double carrière, tout en explorant, et désacralisant, la scène punk française des années 80 et 90.
Didier Wampas se souvient d’une époque brute et désorganisée, qu’il trouve parfois exagérée ou romancée dans les récits actuels. Pour lui, c’était avant tout des jeunes désœuvrés cherchant à s’amuser.
Les Wampas, c’est un groupe de “yéyé punk” français fondé en 1983, connu pour ses chansons décalées, son énergie scénique et son chanteur charismatique, Didier Wampas. Ils mêlent humour, poésie et critique sociale dans leurs textes. Les Wampas sont aussi la preuve que Dieu existe.
Le groupe Les Wampas comprend à ce jour Didier Wampas (chant), Jean-Michel Lejoux (basse, ex-Satellites), Effello (guitare), Nicolas Schauer (batterie) et Tony Truant (guitare, ex-Dogs).
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