10.04.2025 à 10:11
Aujourd’hui, propriétaire et opérateur de son propre salon, le Panda Tattoo MIA, situé au 7814 NE 4th Ct, Miami, FL 33138, sa clientèle comprend des célébrités comme Lil Pump, Marc Anthony, Jake Paul et 6ix9ine, témoignant de la qualité exceptionnelle de son travail.
Ses créations se distinguent par leur précision photographique et leur capacité à raconter une histoire sur une surface aussi réduite que la peau humaine. Son compte Instagram, suivi par plus de 463 000 abonnés, présente une galerie impressionnante de ses œuvres, allant de portraits détaillés à des motifs délicats en fine ligne.
Paul Morriskey, le 14/04/2025
Tatu Panda, tatoueur hyperréaliste
10.04.2025 à 09:56
Maxime Gendron
Vous avez peut-être déjà croisé Maxime Gendron sur sa chaine Youtube L’Archipel Otageek lancée en 2016 avec Antoine Bonnici lancée autour de One Piece, qui s’est depuis diversifiée autour de la pop culture au sens large ; mais aujourd’hui on s’intéresse à un projet de livre, un essai sur l’histoire de la prépublication de bande dessinée depuis le Japon jusqu’en France.
Sur 272 pages, il propose un historique de prépublication de manga au Japon puis en France, en détaillant certains moments clefs et exemples de publications avant de questionner les nouveaux modèles de pré-publications à l’ère du numérique. Avec quelques réflexions sur la paupérisation des artistes, les modèles media mix japonais ou encore la prépublication de manga en France qui connaît un véritable essor [lire aussi notre interview Interview de Robin Emptaz autour du magazine Konkuru].
Le livre est disponible en soutenant la campagne sur Ulule, jusqu’au 8 avril 2025 mais pour en savoir plus, je vous propose un échange avec son auteur.
Maxime Gendron : Depuis un moment maintenant, on entend que la France est le deuxième pays consommateur de manga après le Japon. Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire et à l’économie du manga, j’ai vite compris que les magazines de prépublications sont indissociables du marché japonais.
Je me suis alors demandé pourquoi nous n’en avons pas en France, même les plus connus comme le Shonen Jump. Ce dernier publie pourtant des blockbusters comme Naruto, One Piece ou Dragon Ball qui rencontrent un grand succès dans l’hexagone. C’est à partir de là que j’ai commencé les recherches.
M. G. : Cela peut sembler curieux d’accorder autant de place à la bande dessinée franco-belge dans un livre consacré au manga. Néanmoins, lorsqu’on parle de manga en France, il est impossible de ne pas parler de bande dessinée, dans le sens large.
Au cours de mes recherches, j’ai constaté que les tentatives de mangashi à la française ont échoué alors que le pays a aussi connu un âge d’or de la prépublication de la BD avant de disparaître. Les deux étaient forcément liés. L’histoire de la BD en France est un élément nécessaire pour ensuite comprendre celle du manga.
M. G. : À ce moment-là, je travaillais déjà sur le livre qui était encore au stade du mémoire universitaire. Le guide a été l’occasion de faire une première synthèse des sources rassemblées jusqu’ici.
M. G. : C’est une analyse totalement subjective, mais je pense qu’il y a un double phénomène depuis quelques années. D’abord, les mangas deviennent de plus en plus un divertissement grand public dans le sens où ils ne sont plus seulement lus et achetés par des fans de manga. Désormais, une personne qui a aimé un anime va peut-être lire la suite, mais ne lire aucun autre manga après celui-ci.
Ensuite, je pense que les fans sont de plus en plus curieux des coulisses, ils ont envie de comprendre son histoire, son processus de création. On a observé le même phénomène avec la BD il y a plusieurs années. Tous les acheteurs de BD ne sont pas des passionnés et c’est une bonne chose ! Cela en fait un moyen d’expression artistique accessible à quiconque est un minimum curieux.
À l’inverse, il y a des passionnés de longue date, des spécialistes qui produisent et lisent des livres plus pointus pour analyser les différents aspects de la BD, avec une grande production autour de l’œuvre de Hergé, entre autres. Le manga n’en est pas encore à ce stade, mais je pense qu’il s’y dirige avec de plus en plus d’ouvrages sur le sujet.
M. G. : Je n’ai pas de chiffres précis, en tout cas pas en France, mais grâce à la prépublication, les auteurs perçoivent deux rémunérations : à la page et sur les ventes. Ils sont payés à la planche pour la publication dans les magazines puis un pourcentage sur les ventes des albums distribués en librairie.
Aucune des deux n’est suffisante pour vivre, sauf en cas de gros succès, mais rare et difficile à prévoir. En privant les auteurs de la rémunération à la page, ils ont perdu leur source de revenu la plus stable.
Le système japonais fonctionne de la même manière, mais même comme ça, la somme perçue pour les planches ne suffit généralement pas à couvrir les dépenses pour les produire. Les mangakas sont dépendants de la publication en recueil puis de la vente des droits dérivés pour commencer à être rentables.
M. G. : À l’origine, la prépublication a émergé au Japon parce que c’était le moyen le plus rapide et le moins coûteux pour divertir les enfants après la guerre. Aujourd’hui, le numérique me semble être l’évolution naturelle de ce système, il n’y a pas plus rapide et il ne coûte presque rien quand il n’est pas gratuit. Les ventes numériques ont d’ailleurs surpassé celles du papier (uniquement pour les magazines) depuis 2017.
Concernant la France, je ne sais pas. Est-ce que la prépublication n’a pas fonctionné parce que personne n’a jamais trouvé la bonne formule ? Ou alors parce qu’elle n’est pas adaptée au public ? Les projets actuels nous apporteront sûrement une réponse dans les mois et années à venir.
M. G. : Je ne suis pas distribué, il va donc être très difficile de me retrouver en librairie. Je travaille déjà à organiser une petite tournée de dédicaces, mais le plus sûr pour avoir le livre est de le commander avant la fin de la campagne.
M. G. : Je travaille déjà sur deux nouveaux projets sur lesquels je vais pouvoir me concentrer lorsque la campagne sera finie. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais l’un d’eux est une forme de suite à ce livre.
Tous les visuels sont © Maxime Gendron / Kriss
Thomas Mourier, le 14/04/2025
Interview de Maxime Gendron pour son ouvrage Mangashi
-> Les liens renvoient au site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués.
10.04.2025 à 09:44
Comment pour les architectes en leur nom propre résister quand un système administratif débile basé sur des critères absurdes empêche d’accéder à la commande ceux qui ont justement quelque chose à dire, notamment les jeunes saisis par l’urgence écologique et climatique ? Comment sauront-ils développer les compétences qui leur permettront de concourir face aux agences internationales qui trustent les projets prestigieux (et encore…) ?
Comment résister aux normes édictées sans rémission par le CSTB et autres bureaux de contrôle aux intérêts bien compris et validées pour le climat d’hier et non pour celui de demain ? Le confort d’été, ne s’agit-il pas enfin d’y penser ? Dans dix ou quinze ans, sous la canicule quatre mois dans l’année, l’étanchéité à l’air, un piège redoutable ? Mortel ?
Commet résister à l’appauvrissement du discours architectural désormais pollué par l’accessoire bien pensant, l’essentiel – architecte, c’est un métier n’est-ce pas ? – de plus en plus flou ?
Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation de bonnes intentions qui pavent l’enfer ?
Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation financière qui pave le paradis de mauvaises intentions ?
Comment résister à l’aggiornamento des grosses structures d’architecture mariées à de grosses structures d’ingénierie qui s’emparent de l’essentiel des marchés toujours plus hauts de villes en développement en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique ? Et s’apprêtent à s’emparer des marchés à venir de Riviera et autres luxury Ecolo lodges en pays chauds mal inspirés ? Comment résister à la pensée qu’il s’agira peut-être bientôt pour nombre de ces ouvrages d’éléphants blancs déshérités ou honteux légués à l’histoire ? Comment ne pas désespérer de La Défense ?
Comment résister à l’aura, parmi d’autres, d’un Gehry vieillissant qui impose encore, comme à Arles, ses tours anachroniques à grands roulements de tambour ?
Comment résister aux confrères et consœurs cyniques, procéduriers et sans autre intérêt général que le leur ? Comment résister à l’ambition hargneuse des moins doués ?
Comment résister à la vanité de maîtres d’ouvrage qui tiennent à laisser leur nom à une œuvre, comme s’ils en étaient les auteurs, tel André Santini à Issy-les-Moulineaux ? Mais Daniel Libeskind, vraiment ?
Comment résister à la pression de maîtres d’ouvrage privés aussi bienveillants qu’ils sont bien en cour ?
Comment résister à la pression des maîtres d’ouvrage privés malveillants qui financent la cour ?
Comment résister à l’incompétence de fonctionnaires pressés (au mieux) ou incultes (au moins pire) ou méchants (au pire) ?
Comment résister et garder son sang-froid face à l’impéritie politique et au déluge, l’une et l’autre inéluctables ? Prévoir sans doute dans chaque bâtiment l’arche de Noé des insectes…
Comment résister et construire pour 50 ou 100 ans tout en subodorant que d’ici dix ans à peine, les circonstances humaines, politiques et environnementales seront très éloignées des besoins et préoccupations du jour ? Comment garder la foi envers soi-même sans craindre le vertige ?
Comment résister au découragement quand, sous couvert de compétition équitable, le candidat concurrent gagne moins pour sa créativité, son talent et son expertise que pour son entregent, son réseau et sa capacité à épouser parfaitement l’air du temps non genré avec des bâtiments qui dureront le temps fugace de la mode ? No future, comme dirait Sid Vicious ?
Comment résister quand la crise, provoquée loin de sa rue, conduit à la mise en liquidation ou redressement judiciaire de l’agence locale ?
Comment résister à l’ignorance et la sottise ? Pourquoi cela est-il si difficile aux architectes, pourtant le plus souvent gens curieux, sensibles, cultivés et ayant fait au minimum cinq ans d’études ? Ils sont certes soumis au prince… Comment toutefois parler d’un futur technique et poétique à un maître d’ouvrage persuadé, avec son industrie de moutons à cinq pattes, que la terre est plate ?
Comment résister, pour les architectes distingués, à l’attrait pécuniaire et la célébrité des « rich and famous » pour loger trafiquants et pirates en pays exotiques ? Comment, pour les autres, résister à l’abîme du déclassement pour payer le loyer ?
Comment résister à l’emballement du monde ? Comment résister aux bombes physiques, chimiques et virtuelles dont l’humanité en général, notre civilisation en particulier, est assaillie ?
Comment résister aussi bien aux irresponsables non coupables qu’aux coupables irresponsables, comme se demandent des Français de sang dans les hôpitaux normands ?
Comment résister si Trump, avec une récession mondiale, devient le meilleur avocat de la décroissance et en conséquences le nouvel ami de la nature et des écolos ?
Humpty Dumpty était assis sur un mur,
Humpty Dumpty fit une grosse chute.
Tous les cavaliers et tous les fantassins du roi
Ne parvinrent pas à recoller Humpty Dumpty.
Ainsi va la comptine anglaise du XVIIesiècle ?
Il faudra pourtant bien reconstruire avec ceux qui seront encore-là. D’ailleurs le dernier couplet de la comptine indique.
Humpty Dumpty a compté jusqu’à dix
Humpty Dumpty a tout reconstruit
Tous les cavaliers et fantassins du roi
Sont heureux que Humpty Dumpty soit rétabli.
Il n’y a pas de fatalité. Quand les cons auront tout bien saccagé, la raison, qui comme la nature a horreur du vide, reprendra ses droits. Il faudra bien alors des architectes qui connaissent leur métier.
D’ici-là, l’architecture doit être, pour ceux qui s’en prévalent, un acte de résistance à la normalisation, un acte de foi envers l’avenir, une volonté d’affirmer que le monde reste régi par la gravité et qu’il revient aux architectes, en dépit des circonstances et difficultés qui leurs sont propres, d’envisager protection pour leurs semblables pour les décennies à venir. Dans les règles de l’art si possible.
Christophe Leray, le 14/04/2025 pour Chroniques d’architecture
Solitude et spleen de l’architecte français : comment résister ?
10.04.2025 à 09:30
Barthélémy Toguo, Roots XI & Roots VI, 2025 Linogravure, 50 × 36 cm chacun Courtesy de l’artiste et galerie Lelong & Co. Paris
En écho à ces nouvelles estampes, quelques pièces de la suite « Bilongue » complètent l’exposition. Ces bas-reliefs en bois, avec leur matérialité brute et leurs motifs incisifs, prolongent une réflexion sur les dynamiques entre mémoire collective et récits personnels. Issue d’un projet initié par Barthélémy Toguo en 2015 avec certains habitants de la banlieue éponyme de Douala au Cameroun, « Bilongue » rend hommage à ces personnes par une galerie de portraits qui vient commémorer leurs vies et leurs combats.
Présentées ensemble, ces deux séries dialoguent autour de l’idée d’empreinte — qu’elle soit imprimée ou sculptée — dans une mise en scène où tradition et expérimentation se rejoignent pour interroger les liens entre corps, nature et histoire.
Barthélémy Toguo - Roots I
Barthélémy Toguo est né à Mbalmayo au Cameroun en 1967. S’il s’installe en Europe, devenant citoyen français, il reste profondément enraciné au Cameroun où il retourne très régulièrement. Il y a créé Bandjoun Station, une fondation inaugurée en 2013 destinée à accueillir en résidence, dans des logements-ateliers, des artistes et des chercheurs du monde entier pour développer des propositions en adéquation avec la communauté locale.
L’art de Barthélémy Toguo a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années. Ses œuvres ont rejoint les collections de plusieurs institutions privées et publiques importantes au Royaume-Uni, en Europe et aux États‑Unis. Il est l’artiste invité du Musée de la BnF (site Richelieu, Paris) de la saison 2024-2025.
« Roots » est la septième exposition que la Galerie Lelong consacre à Barthélémy Toguo depuis 2010 à la suite de « The Lost Dogs’ Orchestra » (Paris, 2010), « Hidden Faces » (Paris, 2013), « Strange Fruit » (Paris, 2017), « Urban Requiem » (New York, 2019), « Partages » (Paris, 2021) et « Water is a Right » (Paris, 2023).
Amos Tutualo, le 14/04/2025
Barthélémy Toguo - Roots -> 30/04/2025
Galerie Lelong & Co 13, rue de Téhéran – Second espace au 38, avenue Matignon 75008 Paris
10.04.2025 à 09:21
Le numéro 8 nous donne à voir les photos que pris l'ami de Perec, Pierre Getzler, lors de deux des trois glorieuses journées d'octobre 1974, quand l'écrivain s'assit à une table de café et tenta de capter tout ce qui se passait et ne se passait pas place Saint-Sulpice. Chaque photo cadre un pan d'espace, plus ou moins habité, où souvent n'advient qu'un temps figé, souvent barré par une verticale (un arbre, un poteau, un panneau) comme si, telle une aiguille marquant un éternel midi, l'espace-temps était balisé par de concrets fuseaux horaires. Des voitures, des bus, des passants: une place qui ne laisse place qu'à elle-même, mais qu'il faut quand même décrire, c'est-à-dire, écrire, autrement dit déplier l'image en segments syntaxiques, tout comme les photos de Getzler réécrivent un ensemble en le sectionnant en parties.
Le numéro 9, signée Sophie Coiffier s'efforce de lire certaines images à la lueur de l'œuvre de Perec. En partant de la grille mi-conceptuelle mi-ludique qu'est le jeu de taquin (en gros un puzzle aux pièces carrées ménageant une case vide par où faire passer les autres pièces), l'auteure de L'éternité comme un jeu de taquin, opère donc des rapprochements – comme on fait coïncider des bords – afin que le sens, magnétisé, attire d'autres aventures formelles. Ce pourrait être un exercice, c'est en fait une quête, entre vide et plein, où Perec, de cavalier seul, devient arpenteur de cases.
Le numéro 10, qui s'intitule Le timbre à un franc, est signé par le pataphysicien Jean-Louis Bailly. Il égrène divers croisements avec l'œuvre et l'homme, entre autres comment le chapitre XXII de La Vie mode d'emploiI (qui était alors en cours d'écriture) lui est arrivé par la poste, suite à une démarche que Bailly avait faite auprès de GP, afin de publier un de ses textes dans une revue au titre rousselien, Nouvelles Impressions. C'est aussi, en creux (et en bosses, aussi) un portrait cubiste de Bailly, dont certains angles entrent en relation géométrico-affective avec les textes de Perec.
______________
Pierre Getzler, Place Saint-Sulpice les 18 & 19 octobre 1974
Sophie Coiffier, L'éternité comme un jeu de taquin
Jean-Louis Bailly, Le timbre à un franc
— tous trois parus à L'Œil ébloui, dans la série des 53 Perec.
Claro, le 14/06/2025
10.04.2025 à 08:58
« Exercices d’incendies » (1994), « Vestiges de fillettes » (1997), « Captures » (2004), « Biographie des idylles » (2008), « Photogénie des ombres peintes » (2009), « Acrobaties dessinées » (2012), « Sunny Girls » (2015), « Colloque des télépathes » (2017), « Cinéma de l’affect » (2020), « Cassandre à bout portant » (2021), « Fréquence Mulholland » (2023), et à présent « Sauvons l’ennemie » (publié chez Poésie Flammarion en ce début 2025) : en poésie contemporaine, fort peu de travaux parviennent à créer, dans l’enchaînement même de leurs titres – en avant de leurs contenus patiemment distillés -, tissés d’inquiétante étrangeté et de malice rusée, les contours d’une œuvre au long cours, toujours renouvelée sans jamais s’oublier ni se renier.
C’est bien de cela dont il s’agit à chaque fois que l’on évoque Sandra Moussempès : en une trentaine d’années et une douzaine de recueils, une quête en profondeur s’est élaborée, quête jouant pourtant de la légèreté et du diaphane, quête jamais achevée dont chaque étape s’offre à la fois comme une percée et comme une surprise de lumière cohérente.
Mes périodes préférées – l’ère victorienne & le Hollywood des années 70 – se télescopent sans cesse en crash karmique
personne ne sait où nous irons nous réemboîter ni pour qui
(p 103)
Dès l’origine, son accélérateur personnel de particules provoque à dessein des télescopages d’univers réputés disjoints, en vue d’une fusion charnelle éventuelle, ou de la création d’hybrides surprenants. Les pondérations ou les coefficients – dont ces différents microcosmes, à l’étendue variable, sont affectés – varient au fil des entreprises, bénéficient de zooms occasionnels portant une investigation plus précise, mais reprennent ensuite leur place dans une ronde toujours subtilement autobiographique, dans laquelle deux d’entre eux se distinguent indéniablement, par leur constance et par leur épaisseur échafaudée au fil de l’écriture récurrente : l’ère victorienne et le Hollywood des années 70, mais très précisément ni n’importe quelle ère victorienne ni n’importe quel Hollywood seventies.
Ère victorienne toute prise dans ses corsets et ses engoncements, mais riche de ses échappées spirites éventuellement malicieuses et de ses interstices secrets que ne renierait pas une A.S. Byatt, Hollywood maladif, cinéphile et trompeur, tissé d’étoffe lynchienne, bien sûr (on y reviendra ci-dessous), mais sachant aussi mêler presque inextricablement les bas-fonds non linéaires d’un James Ellroy aux arpentages presque oniriques d’un Steve Erickson (« Zéroville » ou « La mer est arrivée à minuit », leur densité et leur onirisme assumé, ne sont parfois pas si loin).
Au-delà de ses localisations, identifiées ou diffuses, la masse fissile critique qu’élabore Sandra Moussempès dans ses multiples creusets repose discrètement sur une multitude de tractations et d’échanges, entre vivants, fantômes, pas tout à fait vivants et presque morts. On y trouve des pactes et des trahisons, des cercles secrets et des emprises, officialisées ou non sous leurs formes sectaires. On y trouve surtout, avec ce recueil-ci, une dureté nouvelle mais pourtant sereine, tranquille serait-on tenté de dire, du côté corollaire de certaines fausses promesses sororales (au risque de faire grincer quelques dents à l’occasion) et de celui des ruptures parfois fort nécessaires.
Les bons sentiments à l’eau de ronce et les sucres d’orge empoisonnés sont les dénominateurs communs à la dissertation géante
retrouvée des dizaines d’années avant les faits
les jeunes séquestrées
les adeptes devenues dyslexiques entraînant la créativité ou le chaos
les réalités à ne pas dire
tout cela devait tisser une immense toile constituant
le premier guet-apens pour les plus adaptés
au monde commun
(p 128)
L’amour sous hypnose étant le boudoir typique d’ébats naturalisés
L’ennemie en tailleur se souvient très bien de sa phase « fée décousue »
(p 102)
De fausses sisters nous comprendront – mais tireront à vue sans réddition –
la sororité est flageolante
(p 100)
Placé directement sous les feux de la rampe lors du recueil précédent (« Fréquence Mulholland », 2023), David Lynch hante à nouveau en joueuse majesté « Sauvons l’ennemie ». Ses figures les plus connues comme celles plus secrètes se glissent dans le décor, en une danse de pics jumeaux et de velours bleus, à savourer pour leurs vertus ici nettement propitiatoires.
Tout a explosé avec la recherche de la Vérité
dans un décor de campus imaginaire et de sectes hippies
là où d’inquiétantes étudiantes disparaissent
aspirées par une forêt de doublures cinéphiles
(p 131)
Si Cindy Sherman est sans équivoque une autres des figures-clé dans le panthéon doucement obsessionnel de Sandra Moussempès, c’est qu’elle offre à son tour une forme de fil d’Ariane dans ce tourbillon de miroirs et de labyrinthes où s’esquissent, borgésiens en diable au-delà des apparences, tant de chemins qui bifurquent.
Parfois je me sauve d’une vie en poudre
Appelée Cindy la femme-tige
Je la laisse glisser sur mes épaules
Après l’avoir rendue liquide
je bois la vie dont personne ne voulait
en ajoutant un ingrédient clé
la vie sans prénom se transforme en gel compact
appelé alors nostalgie de la complexité
en complément de Cindy femme-fantôme
Cindy la-pute-qui-se-maquille
Cindy Cindy
Pleine de grâce qui êtes aux cieux
(p 177)
Musée d’elle-même
la narratrice augmente le volume dans son esprit
assise avec les corps invisibles en cercle de jeunes exorcisées
NOUS AUTRES créatures en fil à retordre
Invoquant un protocole sonore
pour chaque dépendance affective en herbe
On entend les voix au loin dans une forêt de tessitures
les techniques divinatoires sont plus vivaces que la cinéphilie
(p 134)
« Sauvons l’ennemie » ne serait sans doute pas complet, si n’y rôdaient en toute liberté les musiques et les voix de l’intérieur et de l’ailleurs, les chants sachant devenir incantations qui font désormais partie intégrante, subtilement centrale, de l’œuvre de Sandra Moussempès. Mais les fantômes de cantatrices et d’icônes rock savent aussi s’y faire sorcières lorsque ce glissement est salutaire, voire requis dans certains cas.
Pour trois bouteilles remplies de vide et d’aiguilles roses
je fais le vœu amer
de me refléter plus tard dans la bouteille mauve fermée grâce aux ventouses
je lui donnerai en offrande un œil de serpent
buvez votre potion avec dévotion
priez sans une princesse que vous ne voulez plus dans votre vie
(p 139)
Les fantômes qu’invoque toujours avec une grâce inquiète Sandra Moussempès, dans toutes leurs transmutations et leurs réincarnations, savent en effet se faire prophétesses maudites ou pythies discrètes (Cassandre, même hors de son recueil « à bout portant » de 2021, n’est jamais très loin), enchanteresses ou empoisonneuses, diseuses d’aventure pas nécessairement bonne, concocteuses de philtres et mixeuses de flow, combattantes diaphanes et guerrières innocentes, dénonciatrices résolues et incantatrices mystérieuses. La magie de ces entreprises toujours paradoxales (dont le titre lui-même, « Sauvons l’ennemie« , témoigne avec rigueur) irrigue avec une douce férocité ces 180 pages.
Ma voix se justifie
Par l’écriture
Ma vie se justifie
Par l’assemblage
Cette façon de boire le thé bouillant
Sans me brûler
(p 27)
Peut-être encore davantage que dans ses recueils précédents, Sandra Moussempès nous offre ici une poésie profondément féministe, intime et politique, une poésie soigneusement codée pour éviter les impasses de la trace directe – dont trop de ses sœurs restent friandes -, une poésie qui force le langage à détecter, incarner et traduire l’étrangeté même qui se terre au cœur des icônes les plus emblématiques d’une culture patriarcale sachant, comme le capitalisme, toujours se réinventer derrière de nouveaux masques et de nouvelles modes à consommer. Un travail au long cours, précieux et éblouissant, de justesse, d’inventivité et de passion maîtrisée, de surprise et d’humour.
Hugues Charybde, le 14/04/2025
Sandra Moussempès - Sauvons l’ennemie - éditions Flammarion
L’acheter chez Charybde, ici
08.04.2025 à 11:59
Autoportrait avec ma fille et présence d'un homme pendu. Guerrero Mexique. Une semaine après l'enterrement de Beto, j'ai pris Itzel à la maternelle. En chemin, elle m'a regardé et m'a dit : "Papa, je peux te dire de quoi j'ai rêvé hier ?" Je lui ai dit oui. Elle m'a dit qu'elle avait très peur, qu'elle rêvait qu'elle tombait vers un endroit très sombre et que personne ne la tenait ; j'étais perplexe et mon cœur battait intensément, je la regardais dans les yeux et lui souriais, tu n'as pas à avoir peur, ma fille, aimerais-tu faire une photo de ton rêve ? Mais tu n'as pas à t'inquiéter parce que cette fois je serai dans ton rêve et j'attendrai que tu te tiennes dans tes bras. © Yael Martinez (voir notre article)
Grand Blanc - Bosphore
A coup de poing, à coup de pied,
J'ai voulu tuer mon passé.
C'est lui qui me prend à la gorge.
Julien Vocance
On ne doit pas faire du monde un fardeau à porter sur la tête.
Proverbe bambara
J'ai la nostalgie du café de ma mère, du pain de ma mère, des caresses de ma mère... Et l'enfance grandit en moi, jour après jour, et je chéris ma vie, car si je mourais, j'aurais honte des larmes de ma mère !
Mahmoud Darwich, La Terre nous est étroite
03.04.2025 à 16:04
Elles déclaraient le mois dernier à FIP ceci à propos de leur inspiration du moment :
”On a beaucoup tourné l’an dernier, et on a passé presque tout notre temps sur la route, mais on avait aussi l’ambition de pouvoir sortir de nouvelles choses donc on est contentes de pouvoir enfin le faire (rires). Je dirais que les morceaux que nous avons enregistrés ces derniers mois parlent non seulement de notre histoire personnelle, mais aussi de notre façon de percevoir la vie d'une manière très spécifique, autour de là où nous voulons aller et d’où proviennent nos influences. Les artistes avec qui nous jouons sur Call Me Back par exemple viennent du sud global et incarnent une approche très forte sur le plan artistique et musical, comme les Kabusa Oriental Choir qui sont issus de la diaspora nigériane ou SadBoi qui est une chanteuse noire très affirmée. Donc l’idée est aussi d’introduire aujourd'hui dans notre musique des projets auxquels nous nous sentons vraiment connectées, que nous écoutions déjà parce qu’ils nous parlent et qu’ils sont cool, tout simplement.”
Cet album répond à la définition de la pop de 2025; à savoir il trouve sa raison et son allant en empruntant partout - dans le monde- aux sons et aux rythmes de l’actualité. Actualité aussi musicale que politique en écran large à tisser des liens entre hip-hop, techno, rock barré et, évidemment, afrobeat pour danser. Méfiez-vous donc de tous ceux qui n’appliquent pas cette règle, à côté de la plaque, ils finiront tous sur Tik Tok , sans existence prope, produits manufacturés autant que déjà oubliés. On ne dira pas cela de cet album. Poiur uen fois, sa facilité d’accès repose sur l’écoute du monde qui l’entoure et de ce qu’il évoque pour nos deux sirènes. Go !
Jean-Pierre Simard, le 10/04/2025
Sirens of Lesbos - i got a song, it's gonna make millions - Sirens of Lesbos
03.04.2025 à 12:51
En 1924, Magritte a commencé à travailler pour le créateur de mode belge d’avant-garde Norine, dirigée par Honorine « Norine » Deschrijver et son mari Paul-Gustave Van Hecke. Par chance, Van Hecke possédait également des galeries d’art, notamment la Galerie L’Époque à Bruxelles, et a été un fervent partisan du surréalisme. Magritte a accepté que Van Hecke le rémunère pour peindre et commercialiser ses œuvres. Les présentations des collections Couture Norine étaient des événements mondains, souvent agrémentés de jazz. Par exemple, le samedi 25 juillet 1925, le Gala des Choses en Vogue a été organisé au Kursaal d’Ostende. Evelyne Brélia y a interprété la chanson Norine Blues (ci-dessus). Les paroles ont été écrites par Georgette et René Magritte, et la musique composée par son frère Paul Magritte. René Magritte en a également réalisé les illustrations.
Ces expériences dans le domaine commercial ont sans doute influencé la vision artistique de Magritte, lui permettant de jouer avec les codes visuels et de développer le langage surréaliste qui le rendra célèbre. Ainsi, avant de défier nos perceptions avec ses peintures énigmatiques, Magritte a su maîtriser l’art de séduire le public à travers des créations graphiques élégantes et innovantes. Toutes tentatives pour s’éloigner au plus de l’Art Déco en en redéfinissant les usages et les buts. Evidemment, la suite aura lieu à Paris à s’ouvrir sur le monde des rêves - et des cauchemars .
Jimmy Soprano, le 10/04/2025
René Magritte affichiste bruxellois
03.04.2025 à 12:17
C’est Christian de Portzamparc qui, lors de la visite de presse de Sorbonne Nouvelle* au printemps 2022, m’a mis la puce à l’oreille. Il avait expliqué que la tour existante, telle qu’elle serait rénovée et surélevée par Maud Caubet Architectes, était un élément important de son projet du fait de sa position en tête de pont du terrain. C’est en effet sa présence et sa forme qui lui permettaient, avec une ondulation en S, d’ouvrir le projet au quartier selon diverses directions.
Février 2025, je retrouve Maud Caubet au pied de la tour réhabilitée. L’ancien siège de l’Office National des Forêts (ONF) – un petit IGH (Immeuble de Grande Hauteur), d’architecture brutaliste conçu en 1970 par les architectes Deschler, Thieulin et de Vigan – a été totalement transformé, une mise en œuvre lumineuse ayant créé un objet élégant.**
Nous sommes là pour parler de la tour mais, puisque c’est une rencontre, l’entretien, qui se déroule dans un petit troquet sur l’espace public au pied de l’immeuble, devient vite une conversation. Et, comme si c’était inévitable dès lors qu’elle s’engage en confiance, la discussion en vient rapidement au statut de la « femme architecte ». Au moins parce qu’une tour et le Prix Femmes Architectes 2024 valent à Maud Caubet, même si elle n’était pas totalement inconnue, un nouvel accès de notoriété.
Nul besoin de rappeler en détail comment le métier est our elles particulièrement difficile d’accès : une majorité d’étudiantes, une minorité de cheffes d’entreprises, etc. Pour autant, les femmes architectes, ou architectes femmes, ont tendance, comme avant elles Zaha Hadid, à mettre en exergue dans leur biographie les écueils particuliers de leur accès à la commande. De fait, combien de femmes architectes pour combien de tours ? Dans le monde ? En France ? À Paris ? D’évidence, les badges de courage ne sont pas superflus.
Surtout, ce n’est pas gagné pour elles.
Le fait est que le « masculinisme » fait un retour en force partout dans le monde dans le sillage d’un Trump triomphant et illuminé. Tous les freins politiques et moraux levés, il entraîne dans son sillage Poutine, Erdogan, Netanyahou, Bolsonaro qui respire encore, Modi, et partout dans le monde les ayatollahs de toutes obédiences qui se croient maintenant tout permis, autant de vieux mâles blancs qui rêvent encore d’empire. C’est un comble que Xi Yiping apparaisse soudain comme le moins frappadingue des patrons de grandes puissances. À moins bien sûr qu’il ne profite de la confusion pour envahir Taïwan.
Je n’oublie pas l’architecture. Trump lui-même a dès le premier jour signé un décret intimant que tous les bâtiments fédéraux soient construits avec une « architecture traditionnelle », et tous les autres bâtiments officiels – écoles, collèges, tribunaux, prisons, etc. tous les symboles de la république – de se plier au diktat, l’architecture contemporaine réservée à ses tours de verre et de béton et ses parcours de golf pour lesquels il faut « Forer, baby, forer !!! » Et partout la guerre, détruire jusqu’à l’anéantissement pour reconstruire des Riviera, business is business. Trump sait que l’architecture est la démonstration du pouvoir. Si le pouvoir est imbécile, l’architecture le sera idem.
Le tout donc accompagné d’une posture virile qui fait désormais florès chez nous, y compris chez les blondes, les nabots, les bouffons et les vieillards cacochymes : il n’est que de voir l’influence bravache et empoisonnée de l’alliance de nos archéo-chétiens et fachos de souche pour préserver la race blanche qui, en effet à les regarder, n’est pas lui faire honneur. Ceux-là mêmes qui se fichent de l’État de droit comme de leur premier salut nazi trouvent leurs affidés dans la basse-cour des petits, des moches, des bas, des cyniques, des arrivistes et des frustrés.
Les virilistes, n’en doutons pas, sauront désormais se faire bien voir, comme tous ces patrons de la Silicon Valley, suivis par la vallée des similis cons franchouillards, le doigt sur la couture avec leur programme de natalité pour toutes les femmes qui, quand même, devraient bien comprendre que la croissance de l’économie dépend d’elles ! Encore deux ans, Poutine avait conquis l’Europe et Depardieu était tranquille.
Bref, ceux-là sont prêts à renvoyer tout droit bobonne à sa cuisine et aux gosses et ne s’en cachent pas. Faut dire qu’entre bobonne et Sandrine Rousseau les vieux mâles blancs préfèrent l’utile au désagréable. Cela pour rappeler que, d’évidence, les années à venir pour les femmes, y compris dans nos sociétés donc, ne seront pas pavées de bonnes intentions par les pouvoirs déjà en place ou ceux qui s’excitent à le devenir.
Ce qui nous ramène à l’architecture. Dans la vision de cette architecture traditionnelle – ah les traditions… – déjà que les ouvrages les plus prestigieux – musées, Palais de justice, prisons, etc. – échappent encore aujourd’hui aux femmes architectes même les mieux armées, s’il leur était laissé encore volontiers, par bienveillance, les lycées et collèges, bientôt ne leur restera plus à construire que les maternelles et les crèches, pour les « tout-petits », et peut-être encore un peu de design d’intérieur, pour que les maîtresses des riches et puissants puissent faire semblant de bosser. À travers la rétrogradation des femmes architectes, c’est toute l’architecture qui est en danger.
Le fait est que, à écouter ces femmes architectes évoquer au fil des ans leurs réalisations, chacun entend bien tous les mots de l’architecture contemporaine. Rien d’autre en fait que ce que déclare n’importe quel architecte non genré. Les mêmes mots, le même travail. Une forme de féminisme revanchard sous-jacent demeure pourtant. Et pourquoi pas ? Se souvenir qu’il a fallu une Zaha Hadid pour que le RIBA puis le Pritzker, pas avant 2004, prennent note. Noter que la France est encore plus en retard que le Pritzker : à quand la première femme en son nom propre Grand Prix National d’architecture ? Aux calendes grecques désormais que les masculinistes reprennent le pouvoir ? Cocorico ?
Sans doute ces femmes architectes nous rappellent-elles aussi qu’il n’est pas si éloigné le temps où les femmes tout court en France n’avaient pas le droit de vote, ni même d’avoir un compte en banque. Peut-être que sans les deux innovations majeures du XXe siècle – la machine à laver et la contraception – nul ne serait aujourd’hui en train de s’émouvoir de ce que deviennent les étudiantes qui ont pris d’assaut les universités, et pas que les ENSA. Alors quand la droite en ordre de bataille jusqu’à l’extrême, ne craignant plus le ridicule et l’ignominie, maintient l’ambiguïté quant au droit à l’avortement et à l’éducation et la culture, entre autres programmes réactionnaires prônant la censure et l’autodafé, peut-être que ces femmes architectes, comme toutes les femmes, ont raison de se mobiliser afin de sauvegarder leurs droits si nouveaux en regard de l’histoire. Peut-être ont-elles raison de penser que rien n’est acquis. D’autant que les collabos sont déjà-là, à visage découvert, arrogants, défiant l’État de droit et l’entendement. D’aucuns se souviennent dans quel état ceux-là ont laissé le pays, et le monde, la dernière fois qu’ils étaient à l’œuvre. Aujourd’hui il est question de « réarmement démographique » : tout est dit !
C’était en 2016 au Pavillon de l’Arsenal à Paris, lors de la remise du prix femmes Architectes, le gouvernement était représenté par Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes. À un moment de la soirée, alors que se posait – déjà – la question de savoir si un prix « femme architecte » était une bonne idée pour les femmes, la ministre fut d’une grande sincérité. « Pourquoi une ministre des droits des femmes pour remettre le prix des femmes architectes ? Parce que les femmes ne gagnent pas les prix, parce que l’histoire gomme leurs contributions. Je suis moi-même issue de la parité et cela me dérange moins que de n’être pas du tout là », dit-elle.
Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, elle était, de fait, parfaitement à sa place. C’était en 2016. Aujourd’hui, les virilistes n’ont même plus que faire de la parité, pour commencer.
Concomitamment, en cette matinée de février 2025, Maud Caubet remarque qu’« architecte est un métier en train de disparaître si on ne se mobilise pas ». « Sans une volonté politique de l’État… ». Elle ne finit pas sa phrase. Elle a raison, il y a un effet de cause à effet.
« L’architecture est la solution principale du vivre ensemble et un outil extraordinaire pour réconcilier tous les enjeux de la société : l’architecture est politique, le dessin et la poésie sont des actes politiques… L’architecte essaye de construire différemment, modifie le rapport à l’espace, aux saisons. Je dis que nous, architectes, avons des superpouvoirs, on affecte la vie des gens », s’enflamme-t-elle, persuadée, optimiste, que la créativité, l’humour et la dérision permettent de questionner les intentions.***
Pour la population mâle, blanche et vieillissante inquiète de sa place dans l’histoire et craignant le ridicule, il y a là apparemment un message. Si l’architecture est un vocabulaire, de l’importance de garder vivants les messagers, en tout genre.
Christophe Leray pour Chroniques d’architecture le 10/04/2025
* Lire notre article Pour Sorbonne Nouvelle, à Paris, le luxe c’est l’espace et le jardin de Babylone
** Lire la présentation À Paris, Tour Racine couronnée par Maud Caubet
*** Voir le documentaire Unissons, dont Maud Caubet est à l’initiative et lire Unisson(s) : pour que les architectes diffusent une esthétique bas-carbone
03.04.2025 à 11:58
“Time Capsule #10. Study of the composition of light through ice cores sampled during drilling in the Arctic. 78°55’26 “N, 11°55’19 “E.” From the series “Time Capsule” © Laure Winants
Quels sont les sons captés à l'intérieur d'un iceberg ? Comment la composition chimique de l'eau se traduit-elle en image ? Dans Time Capsule, la photographe Laure Winants se lance dans une exploration unique des phénomènes optiques et lumineux de l'Arctique, capturant l'essence fragile d'un environnement en mutation rapide.
En 2023, Laure Winants a participé à une expédition multidisciplinaire au Svalbard, un archipel norvégien isolé au cœur du cercle polaire. Pendant quatre mois, elle a travaillé aux côtés de scientifiques et de chercheurs, forant des trous pour extraire des échantillons de pergélisol, de glace de glacier et de glace de mer. Mais plutôt que de se contenter de documenter ces paysages gelés, elle a fait de la glace elle-même un support photographique.
“On light and matters. Research into light and optical phenomena specific to the Arctic. Sensing/mapping glacier datas Svalbard, Norway. 78°13’49. 807” N 14°54’0.749” E.” From the series “Time Capsule” © Laure Winants
Utilisant les principes du photogramme - l'une des premières techniques de photographie -, Winants a placé de la glace ancienne directement sur des surfaces sensibles à la lumière, permettant ainsi au processus de fonte et à l'atmosphère environnante de façonner l'image finale. La lumière polarisée a révélé les structures complexes des cristaux de glace, exposant non seulement leur forme physique mais aussi l'histoire profonde qu'ils portent en eux. Chaque fragment contient de minuscules poches d'air emprisonnées depuis des milliers d'années, murmurant les secrets des climats passés et des changements environnementaux.
“Time Capsule #12. Study of the composition of light through ice cores sampled during drilling in the Arctic. 78°55’26 “N, 11°55’19 “E.” From the series “Time Capsule” © Laure Winants
Au fond, Time Capsule est un dialogue artistique entre la photographie, la science et la technologie. Elle fait écho aux premières expériences de création d'images, rappelant la découverte de Johann Heinrich Schulze, au XVIIIe siècle, selon laquelle le nitrate d'argent s'assombrit lorsqu'il est exposé à la lumière - une intuition qui a finalement conduit à l'invention de la photographie. À l'instar de ces premiers pionniers, Winants embrasse l'imprévisible, laissant les forces naturelles façonner son travail d'une manière à la fois scientifique et poétique.
“Light study. Numerous experiments are carried out at sea on the boat and on the sea ice: capturing the composition of light, printing the chemical composition of water, photographs of ice cores. Svalbard, Norway. 78°13’49.807” N 14°54’0.749” E.” From the series “Time Capsule” © Laure Winants
Plus qu'une simple étude visuelle, Time Capsule met en lumière la délicate interdépendance des écosystèmes et l'urgence de comprendre l'évolution de notre climat. À l'heure des bilans environnementaux, des projets comme celui-ci nous rappellent que l'exploration ne consiste pas seulement à cartographier de nouveaux territoires, mais aussi à approfondir notre perception du monde que nous croyons connaître.
Erik Vroons pour Lens Culture , le 10/04/2025 édité par la rédaction
Laure Winants - Capsule temporelle
From the series "Time Capsule" © Laure Winants
03.04.2025 à 11:37
Ezekiel Messou, Sans titre (machine à coudre SINGER), Circa 2020 Mine graphite et stylo à bille sur papier — 21 × 29,5 cm Galerie Robert Vallois, Paris
Avant de démonter une machine, il en dessine les rouages en guise d’aide-mémoire. Il le fait d’abord sur les murs de son atelier qui finissent par être recouverts de ses croquis. Il utilise alors des cahiers d’écolier quadrillés de format A5, des feuilles au format A4 et A3. Avec un crayon taillé au cutter, il commence par un trait léger, puis plus appuyé. Il tire des lignes droites à l’aide d’un tournevis ou d’une clé en guise de règle. Il remplit ensuite les surfaces, inscrit le nom de la marque de la machine à coudre qu’il dessine, ou le remplace par son nom ou ses initiales MJS. Enfin, il appose le tampon de son établissement à l’encre rouge ou bleue : « Ets qui sait l’Avenir — Réparation des Machines à Coudre — Le Machinistre ».
Un jour, il est repéré par Lucienne Peiry, alors directrice de la Collection de l’Art Brut à Lausanne, qui remarque l’originalité de la démarche et la qualité artistique des dessins, dont l’auteur n’a lui-même pas conscience. La Collection de l’Art Brut acquiert ainsi trois de ses carnets dans lesquels plus de 130 machines à coudre sont représentées. C’est le début d’une reconnaissance internationale.
Les œuvres d’Ezekiel sont aujourd’hui présentes dans les plus importantes collections d’art brut dont la collection Treger/Saint Silvestre (Portugal), le Art et marges musée de Bruxelles, le Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LaM) en France, ou encore la collection de Bruno Decharme, qui a fait une donation au Centre Pompidou en 2021, comprenant des dessins de l’artiste béninois. Le Grand Palais présentera d’ailleurs plus de 300 œuvres de cette donation dans l’exposition Art Brut. Dans l’intimité d’une collection. Donation Decharme au Centre Pompidou, qui se déroulera du 11 juin au 21 septembre 2025.
Si la machine à coudre reste son sujet de prédilection, il dessine aussi d’autres types de machines. De nombreux feuillets sont également consacrés à la représentation de Ganviè, sa ville natale. Messou ne se contente plus de dessiner des machines à coudre isolées, il les inclut aussi dans des compositions plus ambitieuses, les grands formats comprenant parfois plusieurs machines. Comme un puzzle prêt à assembler, l’artiste enchâsse ses SINGER, DILOC et autres GABI au milieu d’une multitude d’outils et de pièces détachées aux formes très stylisées, composant une véritable ode à la machine.
Jacob M’Balax, le 10/04/2025
Ezekiel Messou - Qui sait l’avenir -> 26/04/2025
Galerie Vallois - 35 & 41, rue de Seine 75006 Paris
03.04.2025 à 11:04
Des numéros anniversaires à chaque décennie —ou demi-décennie pour les 25 ans— Fluide Glacial a proposé des numéros anniversaires marquants ; sans oublier le 400e numéro et son format géant, le cross-over avec Spirou dans deux numéros où les auteurices se mélangeaient, l’hommage à Gotlib avec un double Fluide Glacial / Pilote ou tous les hors-séries, Série-Or et numéros spéciaux.
Avec un magazine pour les 50 ans en kiosque et un hors-série reprenant le N°1 historique revisité —sans oublier la sortie en librairie avant noël, d’un beau livre : Fluide Glacial · 50 ans de couvertures raconté par Jean-Christophe Delpierre— le rédacteur en chef Clément Argouarc’h a vu les choses en grand pour fêter ce demi-siècle en doublant l’événement en kiosque d’une journée festive à Paris, ce samedi 5 avril, au bar GALLIA, 35 Rue Méhul, 93500 Pantin.
Pas d’anniversaire sans gâteau ni bougies, mais pourquoi pas y rajouter une piñata ? Venez manger & trinquer aux 50 ans avec l’équipe à 16h30.
De 12h à 18h, vous aurez l’occasion d’échanger avec 35 auteurs en dédicace.
12h-14h : Emmanuel Reuzé, Fred Remuzat, Mo/CDM, Sylvain Frécon, Mab, L’Abbé, Devig, Hugot, Yves Frémion, François Boucq (13h-14h)
14h-16h : Jean Solé, Damien Geffroy, Jonathan Munoz, Ariane Gotlieb, Aristide Renault, Pascal Valdés, Erik Tartrais, Witko, Jean-Christophe Delpierre, Zidrou, Vincent Lévêque, Pochep
16h-18h : Julien Hervieux, Jocelyn Joret, Virginie Augustin, Prieur et Malgras, Libon, Yannick Grossetête, Isa, Ravard, Philippe Foerster, Fabrice Erre, Bgnet, Stella Lory (17h-18h)
Mais aussi de participer au Loto Glacial (à 13h & 17h), à la Tombola Glaciale (à 14h, 16h & 18h30) ou au Blind test dessiné avec Yannick Grossetête (à 19h15) pour repartir avec des cadeaux.
Mais ce sera aussi l’occasion de crier & supportez votre artiste favori lors du Battle de dessin (à 15h) ou de rire devant les humoristes Elsa Barrère, Romain Barreda, Certe Mathurin, Hugo Tout Seul (à 20h30) avant de danser pendant le DJ Set de Loki Starfish (à partir de 22h)
Si vous souhaitez passez, remplissez le formulaire ici pour aider les organisateurices côté organisation et rendez-vous samedi !
Thomas Mourier, le 7/04/2025
Les 50 ans de Fluide Glacial
03.04.2025 à 10:49
Un jour de juillet 2021, plateau du Vercors, Méaudre – Julie
J’ouvre le sac en tissu. Culottes, chaussettes, collants de laine épaisse, t-shirts colorés et pantalon en toile. Le tout dégage un puissant relent de soupe brocolis, pimenté d’un soupçon de moisi. Olfactivement dégueulasse ! Pas simple d’être réparatrice de lave-linges en vadrouille.
Mes muscles sont fourbus des six heures d’ascension jusqu’à ce bled d’altitude… que je n’aurais pas cru si loin de Lans-en-Vercors. La journée ensoleillée m’a permis de profiter d’un horizon montagneux à couper le souffle. Quelle satisfaction en comparaison des paysages urbains saturés d’immeubles. J’ai marché sous le soleil brûlant, suant dans mes fringues encore sales du dernier chantier. La poussière, l’huile et la transpiration m’emplissaient les narines. Tout le long, j’avais gardé espoir de trouver une place dans un véhicule. Mais les deux camions qui m’ont dépassée étaient pleins, au point que leur bas de caisse frôlait le bitume craquelé. Je ne leur avais même pas fait signe.
Le lavoir se situe au cœur du village, à côté de l’ancienne mairie, là où quelques habitantEs m’ont accueillie tout à l’heure. Une toiture nouvellement construite le protège des intempéries. L’eau y scintille, alléchante, et je ne trouve pas le moindre reflet d’algue au fond. Le bassin doit être nettoyé très régulièrement. Les planches disposées au bord du bac attendent qu’on y frotte frénétiquement du linge. C’est un endroit tout simple, propre, sûrement bien fréquenté, en tout cas très fonctionnel.
Après mes fringues, je devrais lessiver mon corps en entier, je sens vraiment la charogne !
Constitués de personnes engagées dans des luttes anticapitalistes et féministes, les ateliers de l’Antémonde ont développé au fil des années une formidable série d’outils de création littéraire collective, orientée sur le recours à l’imagination concrète pour affronter des futurs réputés fort sombres et les retourner autant que possible en horizons de possibles plus supportables, voire désirables ou souhaitables. Une partie des travaux de terrain conduits un peu partout en France ont été regroupés, transformés et transmutés pour aboutir – provisoirement, en quelque sorte – à cet ouvrage collectif publié en 2018 dans la belle collection Sorcières des éditions Cambourakis.
Recueil de nouvelles d’un futur (très) proche (les événements s’y déroulent en 2021, soit trois ans seulement après la date de publication, mais en replaçant l’évolution décrite à partir d’une bifurcation en 2011), « Bâtir aussi » (dont le titre provient d’un texte de l’anarchiste espagnol Buenaventura Durruti – voir la citation en bas de cette page) séduit d’emblée par sa manière d’aborder la révolution par le chemin de traverse de la vie matérielle, un chemin où le combat politique quotidien ou presque, et parfaitement physique, est inextricablement lié à une réévaluation omniprésente de la vie matérielle – non pas celle de la surconsommation effrénée qui caractérise le capitalisme, jusqu’aux envolées frénétiques de sa forme tardive, mais bien celle, dans une optique nettement décroissante, d’un parti pris des choses qui ne nuisent pas ou plus.
L’emblème de cette quête politique conduite au quotidien est ici indéniablement le lave-linge, objet technique banal devenu objet idéologique subtil – et beaucoup moins simpliste que ce qu’un certain président français tente de nous faire croire en évoquant la lampe à huile ou les Amish, à l’occasion de l’une de ces sorties vaseuses dont il avait le secret.
Jon doit avoir dans la trentaine, les cheveux châtains aux épaules. Le genre qui a l’habitude de s’occuper de son linge depuis un moment. Il se déleste de son énorme baluchon d’où pendouille une manche de chemise. Il reprend, les yeux brillants :
– C’est vraiment génial que tu aies répondu à notre appel. Tu vas réintroduire l’usage de lave-linges à Méaudre, et crois-moi, avant d’en arriver là, ça a été salement polémique !
Tout à l’heure, j’ai effectivement senti que ma venue n’était pas appréciée par toute la communauté. L’accueil avait été cordial mais quelques personnes étaient aussi restées en retrait, l’air renfrogné. Jon, au contraire, me regarde comme si j’étais leur sauveuse absolue… Mieux vaut ne pas lui donner trop d’espoir non plus :
– Je suis une simple réparatrice, hein.
Ma réplique ne calme absolument pas son enthousiasme, il pousse un petit cri de jubilation et enchaîne :
– Mais oui, c’est de techniciennes comme toi dont on a besoin ! Ce village est un parfait exemple de déséquilibre technique, une caricature de l’exode urbain non planifié !
– Tu veux dire que vous manquez de savoir-faire mécaniques ?
– À un point, tu ne peux pas imaginer !
– Faites des chantiers de transmission de pratiques. Pour se former, y’a pas mieux.
– J’aimerais bien, mais pour l’instant c’est carrément tendu. ces deux-là par exemple, on a mis un temps fou pour décider de les construire.
D’un mouvement de tête, il désigne les deux éoliennes qui bouchent le paysage sur notre droite. – Et maintenant, au moindre petit problème de maintenance, on vit une nouvelle crise en assemblée, la faction des primitivistes nous tanne pour qu’on démonte tout ! Mais de compter seulement sur le charbon de bois, vraiment, ce n’était pas viable, c’était monstrueux comme travail. Il fallait bien trouver un autre système… qui forcément requiert un minimum de travail aussi. Et qui fait peser une nouvelle pression sur le village, ça, je veux bien le reconnaître. Mais on n’est pas obligéEs d’être dans le psychodrame permanent non plus !
– À ce point-là ?
– Tu n’imagines même pas ! C’est le conflit intersidéral, on passe notre temps à se hurler dessus ou à se bouder. On est à peine deux mille personnes ici, mais si tu oses prononcer le mot « technologie », tu récoltes deux mille avis divergents sur le sujet !
Effectivement, ça n’a pas l’air facile… J’aurais peut-être dû me renseigner un peu avant de monter ici. Réparer leurs machines ne va sûrement pas les aider à se réconcilier.
– Des fois, ça cache d’autres enjeux, suggéré-je… Dans certaines communes, j’ai entendu dire qu’iels faisaient venir des équipes de médiation, pour aider à des sortes de résolutions collectives, en mélangeant le débat de fond et le décorticage des traumas…
Mais Jon, qui n’a peut-être pas très envie de parler « traumas », réplique sans transition :
– On a de la chance aujourd’hui, il fait beau, on voit bien les montagnes… Si tu n’as pas de gants, tu as quand même intérêt à ne pas laver trop longtemps. Ce n’est pas avec des engelures que tu pourras réparer nos lave-linges !
Il prend encore quelques minutes pour trier ses vêtements de l’autre côté du bassin puis le contourne pour s’installer plus près de moi, sur une large pierre où il se met à essorer ses affaires. Je continue à frictionner au bord de l’eau gelée. Petite pause pour le regarder faire : je suis impressionnée par sa dextérité et l’énergie qu’il met à taper son linge. Le froid me picote de plus en plus durement les doigts. Mes mains préfèreraient lui tendre mes habits plutôt que de replonger dans l’eau.
Initialement nourri de Murray Bookchin (son article « Vers une technologie libératrice » de 1965 est largement à l’origine du projet, nous explique-t-on en introduction), « Bâtir aussi » est un vibrant témoignage de ce que l’écriture collective, nourrie des carburants et des comburants appropriés, peut produire de plus tonique et salutaire. J’ai pu d’ailleurs, en janvier dernier, en observer directement une forme voisine, en compagnie d’Alice Carabédian, lors d’un atelier collectif préparatoire, avec les habitants du val d’Azun, au festival Le Murmure du Monde dont la cinquième édition y aura lieu en juin 2025.
Sans doute nettement moins abouti littérairement et bien moins gaillardement spéculatif que le récent « Les mains vides » d’Elio Possoz, qui s’en considère volontiers comme l’un des héritiers parmi bien d’autres, « Bâtir aussi » crée une passerelle décisive entre la science-fiction politique des années 1970 (celle du fameux « Ici et maintenant » – d’ailleurs repris sans hasard dans l’introduction du recueil – des éditions Kesselring d’alors, par exemple), avant la contre-révolution dans l’imaginaire conduite grossièrement et plus ou moins discrètement entre 1985 et 1995, d’une part, et la grande science-fiction féministe, revendiquée ou non et tout aussi politique, des Ursula K. Le Guin, Octavia Butler, Margaret Atwood ou Joanna Russ, expressément citée parmi les influences du travail des ateliers de l’Antémonde, d’autre part. Et il s’agit bien, à la manière du « Le futur au pluriel : réparer la science-fiction » de Ketty Steward, de projeter cet amalgame sensible et génialement instable vers notre contemporain et nos futurs immédiats, avec un évident pragmatisme de rêveur concret.
En cherchant à s’affranchir de la part capitaliste des logiques techniciennes pour en inventer d’autres, au plus proche et au plus près, dans toute leur frugalité (on songera sans doute par moments à la poésie diffuse et combattante des « Échappées » de Lucie Taïeb), en s’appuyant aussi bien, lorsqu’utile ou nécessaire, sur les « Bullshit Jobs » de David Graeber, le « Ils sont nos ennemis » de Casey ou « La complainte du progrès » de Boris Vian, « Bâtir aussi » transforme les paysages de guerre civile, des plus réalistes aux plus oniriques, familiers aux lectrices et lecteurs de Jérôme Leroy, de Jean Rolin ou de Karim Miské, en quelque chose de radicalement différent et de joliment salutaire, qui a à voir avec le fait, simple et décisif, de passer la politique au crible exigeant du quotidien le plus matériel.
D’où le titre et le texte en introduction de ce livre, inspirés par l’anarchiste Buenaventura Durruti :
Nous n’avons pas peur des ruines. Nous sommes capables de bâtir aussi. C’est nous qui avons construit les palais et les villes d’Espagne, d’Amérique et de partout. Nous, les travailleurs, nous pouvons bâtir des villes pour les remplacer. Et nous les construirons bien mieux ; aussi nous n’avons pas peur des ruines. Nous allons recevoir le monde en héritage. La bourgeoisie peut bien faire sauter et démolir son monde à elle avant de quitter la scène de l’Histoire. Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs.
Il nous a semblé absurde de penser d’autres mondes en faisant abstraction de ce que nous avons entre les mains ici et maintenant. Penser la révolution à partir des espoirs nés en Tunisie et en Egypte en 2011, pour voir ensuite où nous en serions en 2021.
Nos ateliers d’écriture réguliers ont été l’occasion d’échapper par à-coups aux urgences militantes. Prendre le temps de penser des formes de révolutions victorieuses nous a nourriEs au-delà de toute attente. Depuis, une curiosité frénétique s’est emparée de nous. Nous bâtissons régulièrement des châteaux de cartes étourdissants et pleins de points d’interrogation. Nous avons posé les règles d’un jeu captivant et formidable. Se donner ainsi de l’air, s’autoriser ces espaces, nous a permis de poursuivre les luttes auxquelles nous participons et d’y amener une nouvelle vigueur.
Hugues Charybde, le 7/04/2025
ANTEMONDE - Bâtir aussi - éditions Cambourakis
l’acheter chez Charybde, ici
28.03.2025 à 12:32
AFRICAN MEMORIES DJENNÉ, MALI, 1990, ©JC BÉCHET
A feuilleter African Memories on se prend à rêver aux rives du voyage de ce jeune photographe alors parti à la découverte de l’ Afrique, à la fin des années 90, recherchant cette aventure humaine avec ces rencontres avec ces paysages désertiques ou semi-désertiques du Sahara jusqu’aux rives du fleuve Niger, entre 1988 et 1990, aux visites de villes mythiques, Mopti, Gao, Djenné, ou celle plus connue dont le nom résonne toujours ici comme l’appel d’un ailleurs, Tombouctou, dont Paul AUSTER fera le titre d’un de ses romans et qui représentait cet Eden pour les occidentaux, qu’ils fussent new-yorkais ou parisiens, ce paradis lointain, sonnait haut dans l’imaginaire, au delà de ce monde. Pour Mr Bones, le personnage central de Tombouctou, un chien, il est une évidence, Willy, qui a disparu, est désormais à Tombouctou, l‘au-delà des bienheureux. C’est à n’en pas douter une vertu et un appel.
Si le pays est présent et hante la photographie de Jean-Christophe Béchet à travers les berges du fleuve Niger ou les images du désert sous un vent de sable ; le photographe est aimanté plus précisément par cette vie qui flue, qui bouge. Il s’éprend, à travers de nombreux portraits en noir et blanc et au Rolleiflex 6×6 des corps et des visages, de ces africains dont il partage les quotidiens ; de ce peuple des villes, urbains avant tout, dans cette humanité généreuse de la vie légère, sans attache durable, qui s’invente au fur et à mesure de ses déplacements. « Jean-Christophe Béchet est un photographe qui arpente les grandes villes du monde depuis plusieurs décennies pour y saisir des moments d’urbanité où l’esprit documentaire cohabite avec une poésie de l’étrange et de l’énigme », écrivait Sylvie Hugues, à l’occasion de la sortie du livre Macadam Color Street Photo, en juin 2022.
AFRICAN MEMORIES Assamaka, Niger, 1990, ©JC BÉCHET
Je retrouve cette première expérience du jeune photographe, embarqué dans un voyage de trois ans qui photographie par passion, par nécessité, par gout, cherchant son expression et la trouvant multipliée par les sujets qu’elle inventorie, des vues urbaines à celles des panneaux annonçant un guérisseur traditionnel qui soigne tout, à lire le panneau photographié, le sourire vient immédiatement, parce que cet humour décolle le sérieux de cette société occidentale pressée en tous points, oublieuse du rire et des temps morts, du temps, du farniente, du s’entropenfaire ; c’est ce qui sourd de ces visages, un à propos nonchalant et une attention particulière aux choses de la vie, un tropisme bien utile à tout photographe qui a choisi de pérégriner et suivre ce mouvement le plus longtemps possible. Jean-Christophe Béchet photographie jeunes et moins jeunes, plutôt des garçons et des hommes au travail, quelques paysages, in the middle of the word, au centre du monde, comme on disait alors. Loin, bien loin des berges de la Seine et du boulevard Saint Germain.
Jean-Christophe Béchet croit au plus profond de lui en sa photographie, la teste, s’éprouve à nourrir ce regard dont il attend intuitivement beaucoup, trouve le plus souvent dans cette approche presque tactile une certaine satisfaction à photographier ; une proximité de partage et de voyage se crée avec ceux qui sont les sujets d’un moment, ces compagnons africains avec lesquels il tisse des liens amicaux. Ce qui fait image en lui, texte, son, mouvements, références, dans cette fraicheur séduisante est sans doute le résultat de son éblouissement chronique, du charme qu’il tire d’être en situation de création, de témoin ; regarder à travers l’œilleton de l’appareil photo en situation est une expérience séduisante et précieuse pour le jeune photographe, dont l’image s’est curieusement creusée dans la confrontation d’un monde qui a aujourd’hui disparu et dont la réalité passée est venue s’inscrire en dévers de la disparition de toute une Afrique ouverte au monde, hospitalière, généreuse. Cette Mama Africa, chère à Archie Shepp, à Pharoah Sanders, et tous ces musiciens noirs américains venus vivre un peu plus à Paris et en France, pour le plus grand plaisir d’un métissage culturel vibrant.
Douala, Cameroun, 1989 ©JC BÉCHET
On retrouve aussi ce qu’était encore pour toute une génération le voyage et ce qu’il représentait comme expérience personnelle à la Plossu, dans cette poésie du dialogue qui se noue, ou pas, immédiatement ou plus lentement, dans l’immersion, avec un territoire, un pays, le Mexique. Puis ces iles éoliennes pour Bernard Plossu, qui ont fait références pour toute une génération de photographes voyageurs et bien au delà, marcher dans les pas de celui qui a ouvert un chemin, reproduire une expérience topique où le regard s’ouvre avec le cœur et l’esprit, passe par la peau, la sensation, ne s’abstrait pas si intensément qu’il ne se transmette directement à son lecteur, dans un passage de relais. La question du destin s’y attache inévitablement, dans une réponse à une question rémanente : qu’ai-je à y faire, à y vivre, qu’ai-je à en dire, par quelle intensité poétique ces dialogues réservés entre soi et le pays donnent-ils la bonne approche, la distance souhaitée, le bon angle, afin qu’apparaissent les signes qui encoderont positivement cette photographie, au-delà du document, dans l’inscription d’un regard qui fait œuvre en se donnant à cet autre spectateur, récepteur de ces voyages. Qualités du regard qui est en même temps rencontres, autobiographie, si singuliers qu’il appartient de fait à tous ? Tout ceci est voyage, véritablement. Ces dialogues amoureux font rencontres dans un retour du sujet sur lui même.
Comme l’avoue Jean-Christophe Béchet, il fallait sans doute que le temps vienne et que cette première expérience s’oublie pendant plus de 35 ans afin qu’elle puisse revivre en s’intégrant rétrospectivement à la production du photographe par la suite, ou, jeune bien sûr, le monde était ouvert, sujet passionnant parce qu’impliquant une poétique de l’instant plus ou moins décisif ouvert par le changement d’habitus, la séduction et le plaisir de la différence, du climat, des langues, des déplacements. D’une vie à l’africaine qui sait séduire, dépossédant le photographe de ses repères parisiens afin d’ouvrir sa sensibilité à ces différences et à le rendre apte à s’éprendre de la nouveauté, dès lors que les rencontres se multiplient et que ce temps d’immersion reste un levain du regard, l’occasion de photographier juste, en auteur de cette écriture. S’élabore alors une chronique de l’instant, un cinéma à la Jean Rouch, assez ethnographique s’y est glissé paradoxalement, même si ce n’est pas le but atteint, recherché par ces african memories. Un regard poétique aimanté s’immerge dans la foule, s’attache à voir juste.
AFRICAN MEMORIES ©JC BÉCHET
Jean-Christophe Béchet dira qu’il a de fait peu photographié, dans une attention plutôt littérale comme les pages d’un roman qui s’écrit au jour le jour, journalier de ce qui s’est écrit sur le vif et dans le temps. Et dont le propos, dès que refermé, devient ce livre d’abord improbable, puis abandonné, enfin prêt et publié, dans une sorte de simplicité assez touchante. Quelques unes de ces photographies resteront en mémoire, actives de ce qui échappait en partie au photographe et qui lui revient au-delà des pages pour alimenter ces souvenirs, non pas passivement, mais électivement, quelques trois décennies et demi après leur prise de vues.
« Aujourd’hui, j’ai revisité et réorganisé ces photos. Je remarque néanmoins qu’avec le temps, le statut des images évolue : certains souvenirs s’effacent tandis que d’autres s’affirment » écrit Jean-Christophe Béchet dans la préface. C‘est d’ailleurs tout ce qu’il mentionne comme problématique en ouverture de cette expérience africaine, de cette mémoire qui à mon sens, trouve sa juste réponse, à la fois dans ces pages et sans doute plus ouvertement, plus secrètement en son for intérieur, en cette rêverie qui perdure à l’ombre du Léthé, dans ces anamnèses épiphaniques qui nous surprennent toujours et nous illuminent, issues d’odeurs, de situations, venues de cet infra- temps, toujours contigües à ce que nous sommes devenus, enfouies en nos mémoires plurielles, non pas si différent comme l’écrit Jean-Christophe. Ni loin, ni proche, mais dans cette épaisseur mémorielle qui, parfois, comme dans le film intérieur de sa vie, répond aux stimuli de cet inconscient et nous dévoile alors ce cadeau précieux de l’étant, essence d’un monde parallèle, comparable à cette eau de vie en nos veines qui continue, en sa magique ferveur, à ravir ce cœur qui , hier, n’avait pas trente ans.
« Certaines prises de vue gagnent en puissance quand d’autres tombent dans la répétition ou le cliché. Il est essentiel de trouver le juste milieu entre le souvenir de ce passé et le désir de créer une œuvre contemporaine à partir de photos qui ont plus de 35 ans. Le défi d’African Memories est là ! » , s’inscrivant objectivement dans cette semaine de la grande exposition Paris Noir du Centre Pompidou qui a électrisé tout Paris, remettant à l’honneur les complicités dont l’éclairage, en cette période chahutée, fait un bien fou…
Pascal Therme, le 31/03/2025
Jean-Christophe Béchet - African Memories -> 20/04/2025
Galerie Art-Z 27/29, rue Keller 75011 Paris
Jean-Christophe Béchet, African Memories, édition Eric Cez, Editions Loco, 2024, 152 pages
Né en 1964 à Marseille, Jean-Christophe Béchet vit et travaille depuis 1990 à Paris.
Mêlant noir et blanc et couleur, argentique et numérique, 24x 36 et moyen format, polaroids et “accidents” photographiques, Jean-Christophe Béchet cherche pour chaque projet le “bon outil”, celui qui lui permettra de faire dialoguer de façon pertinente une interprétation du réel et une matière photographique.
Son travail photographique se développe dans deux directions qui se croisent et se répondent en permanence. Ainsi d’un côté son approche du réel le rend proche d’une forme de « documentaire poétique » avec un intérêt permanent pour la “photo de rue” et les architectures urbaines. Il parle alors de ses photographies comme de PAYSAGES HABITÉS.
En parallèle, il développe depuis plus de quinze ans une recherche sur la matière photographique et la spécificité du médium, en argentique comme en numérique. Pour cela, il s’attache aux « accidents » techniques, et revisite ses photographies du réel en les confrontant à plusieurs techniques de tirage. Il restitue ainsi, au-delà de la prise de vue, ce travail sur la lumière, le temps et le hasard qui sont les trois piliers de l’acte photographique.
Depuis 20 ans, ce double regard sur le monde se construit livre par livre, l’espace de la page imprimée étant son terrain d’expression “naturel”. Il est ainsi l’auteur de plus de 20 livres monographiques.
Ses photographies sont présentes dans plusieurs collections privées (HSBC, FNAC…) et publiques (Bnf, Maison Européenne de la Photogaphie, …). Elles ont été montrées dans plus de soixante expositions, notamment aux Rencontres d’Arles en 2006 (série « Politiques Urbaines ») en 2012 (série « Accidents ») et exposées plusieurs fois à la MEP (Maison Européenne de la Photographie, Paris) ou à la BNF («L’épreuve de la Matière », « Noir et Blanc : une esthétique de la photographie»).
Après avoir été longtemps représenté à Paris par « Les Douches la Galerie » (2005/2020), il travaille aujourd’hui avec « La galerie des Photographes » et la « Galerie ART-Z » à Paris.
28.03.2025 à 11:50
Xavier Miserachs - Antoñita La Singla
Kojey Radical ft. Mahalia - WATER (IF ONLY THEY KNEW)
Cri d'oie sauvage
Blanches dans les rochers
Les vagues de la nuit.
Shiki
Donne à l'un de façon que tu puisses donner à l'autre.
Proverbe danois
Le léopard meurt avec ses taches, et je ne me suis jamais proposé, ni ne me suis cru capable de m’améliorer.
Guy Debord - Panégyrique, tome 1
26.03.2025 à 12:11
À l’heure où les I.A. omniprésentes remplacent le rêve transhumaniste chez les entrepreneurs, poursuivant cette « économie des promesses » selon la formule d’Yves Frégnac où la science sert plus les capitaux que l’inverse, Ezra Claytan Daniels propose une bande dessinée qui questionne aussi bien l’étique que nos identités et ce qui les constitue.
Les érudits Hank et Molly Nonnar s’offrent, à la fin de leur vie, un espoir : celui d’être transférés dans un corps neuf pour continuer à vivre ensemble. Alors que leurs clones sont mis en route dans un labo clandestin, l’expérience prend un tour inattendu quand leurs clones se révèlent être plus que de simples corps. Si les neurosciences penchent aujourd’hui sur le côté inséparable du corps et de l’esprit pour définir l’individu ; dans l’album, la science de pointe de ce transhumaniste effrayant reste basée sur la dualité du corps et de l’esprit, voire de l’âme au sens religieux qui serait le siège de la personnalité. Ici, le rêve d’immortalité devient une lutte pour la survie et les planches glissent doucement vers l’horreur.
Le dessinateur déforme les corps, les traits et les proportions pour accentuer le malaise et les intentions, pas si nobles, des uns et des autres. Tout en utilisant une palette de couleurs réduites, son trait va chercher aussi du côté de l’épure et de l’école européenne de la ligne claire avec un beau travail sur les corps, les formes et les expressions pour créer une tension permanente.
En restant autour de ce casting réduit, il aborde le racisme, l’exclusion, la fin de vie, mais également la foi, la transmission, l’héritage, l’appropriation ou la création. Cette mini-société presque confinée dans son centre d’expérimentation permet à l’auteur de questionner notre société à travers cet espoir contre nature. Entre le malaise graphique et la pertinence des interrogations en sous-texte, Ezra Claytan Daniels nous prend à rebrousse-poil avec intelligence et malice.
Un très beau conte noir, que l’on peut lire en miroir du film de Tod Browning, La Monstrueuse Parade (ou Freaks en V.O.) dans une version qui explore les travers de notre époque tout rejouant l’histoire d’amour, de vengeance, d’acceptation de soi où les monstres ne sont pas toujours ceux qu’on imagine.
Vingt ans de travail pour ce livre dévoile Ezra Claytan Daniels dans les notes qui accompagnent ce livre — en regard d’une préface de Darren Aronofsky— qui regroupe ses goûts pour l’horreur, la science-fiction qu’il combine avec le souvenir de ses grands-parents, mais également une envie de réflexion sur ce qui nous constitue comme êtres humains.
Tous les visuels sont © Ezra Claytan Daniels / 404 graphic
Thomas Mourier, le 31/03/2025
Ezra Claytan Daniels - Âme augmentée 404 graphic
-> Comme d’habitude, les liens renvoient sur Bubble où vous pouvez vous procurer les œuvres évoquées
26.03.2025 à 11:47
Envisager notre vie, notre création et notre amour signifie que, du moins pour certains d'entre nous, nous pouvons être poussés vers l'avant par la perspective de ce qui va suivre. Le moment que nous pouvons retenir et placer dans nos poches débordantes.
L'œuvre de Lonnie Holley est, pour moi, une œuvre de ce type d'accumulation et d'attention. Le plaisir de trouver un son et de le presser contre un autre son trouvé et un autre jusqu'à ce que, avant que l'auditeur s'en rende compte, il soit submergé par une symphonie de sons qui donne l'impression de s'assembler au fur et à mesure qu'elle vous submerge. Tonky est un album qui tire son nom d'un surnom d'enfance donné à Holley lorsqu'il a vécu une partie de son enfance dans un honky tonk. La vie de survie et d'endurance de Lonnie Holley a nécessité - et nécessite sans doute encore - une forme d'invention. Une invention qui est également riche et présente dans les chansons de Holley, qui sont pleines et immersives sur Tonky, un album qui commence par sa chanson la plus longue, un marathon exhaustif de neuf minutes d'un morceau appelé "Seeds", qui commence par un seul son clairsemé et se développe ensuite. Des chants, de faibles touches, des cordes, et par-dessus tout, la voix de Holley, qui ne chante pas, mais qui parle clairement du travail de la terre quand il était jeune, de la violence qu'il a endurée au cours de ce processus, se couchant ensanglanté et souffrant des coups qu'il recevait. La chanson se développe en une métaphore sur le lieu, sur les échecs de la maison, ou de n'importe quel endroit censé vous protéger, qui n'est pas à la hauteur de ce qu'il se vend, même si vous y travaillez sans relâche, si vous travaillez dessus, si vous travaillez pour en faire quelque chose qui en vaille la peine.
"Seeds" ne donne pas seulement le ton d'un album qui tourne autour de la renaissance, du renouveau et des limites de l'espoir et de la foi, mais il met en lumière ce qui est pour moi la plus grande force de Holley en tant que musicien, à savoir un engagement en faveur de l'abondance et de la générosité. C'est un conteur incroyablement doué, attaché à la tradition orale, si bien que de nombreux auditeurs (dont je fais partie) seraient tout à fait satisfaits de s'asseoir aux pieds d'un disque de Lonnie Holley et de tendre l'oreille à ses récits robustes et expansifs. Mais Tonky est un album aussi large dans sa sonorité qu'il l'est dans la place qu'il laisse à un large éventail d'artistes pour franchir la porte de l'album et se sentir chez eux, quelle que soit la façon dont ils passent le temps qu'ils ont sur une chanson. Des invités comme Angel Bat Dawid, Alabaster Deplume, Saul Williams, Mari Lattimore, Billy Woods, Open Mike Eagle, etc.
Avec les mots d’Hanif Abdurrqib qui introduisent l’album, on est bien aux USA, ne 2025, dans un pays qui a cru sortir du marasme en élisant un crétin orangé. Celui-là même qui ne conçoit son pays que comme une victoire à l’arraché des riches sur les pauvres, en leur interdisant petit à petit l’accès aux ressources qui sont les leurs… Méfies ici d’autres grosses merdes se pointent pour faire pareil. Lueur d’espoir que cet album ? Non, juste un témoignage de talent et de sortie d’ornière du/de la pauvreté/racisme vécue au quotidien dont on sort par l’art avec une vision. Grand disque
Jean-Pierre Simard, le 31/03/2025
Lonnie Holley - Tonky - Jagjaguwar