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03.04.2025 à 10:49

Bâtir ( au féminin ) aussi !

L'Autre Quotidien
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Un formidable travail littéraire collectif de rebond, où, sur fond de guerre civile et d’effondrement programmé, la politique passe au crible exigeant du quotidien le plus matériel. Recueil de nouvelles d’un futur (très) proche (les événements s’y déroulent en 2021, soit trois ans seulement après la date de publication, mais en replaçant l’évolution décrite à partir d’une bifurcation en 2011), « Bâtir aussi » (dont le titre provient d’un texte de l’anarchiste espagnol Buenaventura Durruti – voir la citation en bas de cette page) séduit d’emblée par sa manière d’aborder la révolution par le chemin de traverse de la vie matérielle, un chemin où le combat politique quotidien ou presque, et parfaitement physique, est inextricablement lié à une réévaluation omniprésente de la vie matérielle – non pas celle de la surconsommation effrénée qui caractérise le capitalisme, jusqu’aux envolées frénétiques de sa forme tardive, mais bien celle, dans une optique nettement décroissante, d’un parti pris des choses qui ne nuisent pas ou plus.
Texte intégral (3835 mots)

Un formidable travail littéraire collectif de rebond, où, sur fond de guerre civile et d’effondrement programmé, la politique passe au crible exigeant du quotidien le plus matériel.

Un jour de juillet 2021, plateau du Vercors, Méaudre – Julie
J’ouvre le sac en tissu. Culottes, chaussettes, collants de laine épaisse, t-shirts colorés et pantalon en toile. Le tout dégage un puissant relent de soupe brocolis, pimenté d’un soupçon de moisi. Olfactivement dégueulasse ! Pas simple d’être réparatrice de lave-linges en vadrouille.
Mes muscles sont fourbus des six heures d’ascension jusqu’à ce bled d’altitude… que je n’aurais pas cru si loin de Lans-en-Vercors. La journée ensoleillée m’a permis de profiter d’un horizon montagneux à couper le souffle. Quelle satisfaction en comparaison des paysages urbains saturés d’immeubles. J’ai marché sous le soleil brûlant, suant dans mes fringues encore sales du dernier chantier. La poussière, l’huile et la transpiration m’emplissaient les narines. Tout le long, j’avais gardé espoir de trouver une place dans un véhicule. Mais les deux camions qui m’ont dépassée étaient pleins, au point que leur bas de caisse frôlait le bitume craquelé. Je ne leur avais même pas fait signe.
Le lavoir se situe au cœur du village, à côté de l’ancienne mairie, là où quelques habitantEs m’ont accueillie tout à l’heure. Une toiture nouvellement construite le protège des intempéries. L’eau y scintille, alléchante, et je ne trouve pas le moindre reflet d’algue au fond. Le bassin doit être nettoyé très régulièrement. Les planches disposées au bord du bac attendent qu’on y frotte frénétiquement du linge. C’est un endroit tout simple, propre, sûrement bien fréquenté, en tout cas très fonctionnel.
Après mes fringues, je devrais lessiver mon corps en entier, je sens vraiment la charogne !

Constitués de personnes engagées dans des luttes anticapitalistes et féministes, les ateliers de l’Antémonde ont développé au fil des années une formidable série d’outils de création littéraire collective, orientée sur le recours à l’imagination concrète pour affronter des futurs réputés fort sombres et les retourner autant que possible en horizons de possibles plus supportables, voire désirables ou souhaitables. Une partie des travaux de terrain conduits un peu partout en France ont été regroupés, transformés et transmutés pour aboutir – provisoirement, en quelque sorte – à cet ouvrage collectif publié en 2018 dans la belle collection Sorcières des éditions Cambourakis.

Recueil de nouvelles d’un futur (très) proche (les événements s’y déroulent en 2021, soit trois ans seulement après la date de publication, mais en replaçant l’évolution décrite à partir d’une bifurcation en 2011), « Bâtir aussi » (dont le titre provient d’un texte de l’anarchiste espagnol Buenaventura Durruti – voir la citation en bas de cette page) séduit d’emblée par sa manière d’aborder la révolution par le chemin de traverse de la vie matérielle, un chemin où le combat politique quotidien ou presque, et parfaitement physique, est inextricablement lié à une réévaluation omniprésente de la vie matérielle – non pas celle de la surconsommation effrénée qui caractérise le capitalisme, jusqu’aux envolées frénétiques de sa forme tardive, mais bien celle, dans une optique nettement décroissante, d’un parti pris des choses qui ne nuisent pas ou plus.

L’emblème de cette quête politique conduite au quotidien est ici indéniablement le lave-linge, objet technique banal devenu objet idéologique subtil – et beaucoup moins simpliste que ce qu’un certain président français tente de nous faire croire en évoquant la lampe à huile ou les Amish, à l’occasion de l’une de ces sorties vaseuses dont il avait le secret.

Jon doit avoir dans la trentaine, les cheveux châtains aux épaules. Le genre qui a l’habitude de s’occuper de son linge depuis un moment. Il se déleste de son énorme baluchon d’où pendouille une manche de chemise. Il reprend, les yeux brillants :
– C’est vraiment génial que tu aies répondu à notre appel. Tu vas réintroduire l’usage de lave-linges à Méaudre, et crois-moi, avant d’en arriver là, ça a été salement polémique !
Tout à l’heure, j’ai effectivement senti que ma venue n’était pas appréciée par toute la communauté. L’accueil avait été cordial mais quelques personnes étaient aussi restées en retrait, l’air renfrogné. Jon, au contraire, me regarde comme si j’étais leur sauveuse absolue… Mieux vaut ne pas lui donner trop d’espoir non plus :
– Je suis une simple réparatrice, hein.
Ma réplique ne calme absolument pas son enthousiasme, il pousse un petit cri de jubilation et enchaîne :
– Mais oui, c’est de techniciennes comme toi dont on a besoin ! Ce village est un parfait exemple de déséquilibre technique, une caricature de l’exode urbain non planifié !
– Tu veux dire que vous manquez de savoir-faire mécaniques ?
– À un point, tu ne peux pas imaginer !
– Faites des chantiers de transmission de pratiques. Pour se former, y’a pas mieux.
– J’aimerais bien, mais pour l’instant c’est carrément tendu. ces deux-là par exemple, on a mis un temps fou pour décider de les construire.
D’un mouvement de tête, il désigne les deux éoliennes qui bouchent le paysage sur notre droite. – Et maintenant, au moindre petit problème de maintenance, on vit une nouvelle crise en assemblée, la faction des primitivistes nous tanne  pour qu’on démonte tout ! Mais de compter seulement sur le charbon de bois, vraiment, ce n’était pas viable, c’était monstrueux comme travail. Il fallait bien trouver un autre système… qui forcément requiert un minimum de travail aussi. Et qui fait peser une nouvelle pression sur le village, ça, je veux bien le reconnaître. Mais on n’est pas obligéEs d’être dans le psychodrame permanent non plus !
– À ce point-là ?
– Tu n’imagines même pas ! C’est le conflit intersidéral, on passe notre temps à se hurler dessus ou à se bouder. On est à peine deux mille personnes ici, mais si tu oses prononcer le mot « technologie », tu récoltes deux mille avis divergents sur le sujet !
Effectivement, ça n’a pas l’air facile… J’aurais peut-être dû me renseigner un peu avant de monter ici. Réparer leurs machines ne va sûrement pas les aider à se réconcilier.
– Des fois, ça cache d’autres enjeux, suggéré-je… Dans certaines communes, j’ai entendu dire qu’iels faisaient venir des équipes de médiation, pour aider à des sortes de résolutions collectives, en mélangeant le débat de fond et le décorticage des traumas…
Mais Jon, qui n’a peut-être pas très envie de parler « traumas », réplique sans transition :
– On a de la chance aujourd’hui, il fait beau, on voit bien les montagnes… Si tu n’as pas de gants, tu as quand même intérêt à ne pas laver trop longtemps. Ce n’est pas avec des engelures que tu pourras réparer nos lave-linges !
Il prend encore quelques minutes pour trier ses vêtements de l’autre côté du bassin puis le contourne pour s’installer plus près de moi, sur une large pierre où il se met à essorer ses affaires. Je continue à frictionner au bord de l’eau gelée. Petite pause pour le regarder faire : je suis impressionnée par sa dextérité et l’énergie qu’il met à taper son linge. Le froid me picote de plus en plus durement les doigts. Mes mains préfèreraient lui tendre mes habits plutôt que de replonger dans l’eau.

Initialement nourri de Murray Bookchin (son article « Vers une technologie libératrice » de 1965 est largement à l’origine du projet, nous explique-t-on en introduction), « Bâtir aussi » est un vibrant témoignage de ce que l’écriture collective, nourrie des carburants et des comburants appropriés, peut produire de plus tonique et salutaire. J’ai pu d’ailleurs, en janvier dernier, en observer directement une forme voisine, en compagnie d’Alice Carabédian, lors d’un atelier collectif préparatoire, avec les habitants du val d’Azun, au festival Le Murmure du Monde dont la cinquième édition y aura lieu en juin 2025.

Sans doute nettement moins abouti littérairement et bien moins gaillardement spéculatif que le récent « Les mains vides » d’Elio Possoz, qui s’en considère volontiers comme l’un des héritiers parmi bien d’autres, « Bâtir aussi » crée une passerelle décisive entre la science-fiction politique des années 1970 (celle du fameux « Ici et maintenant » – d’ailleurs repris sans hasard dans l’introduction du recueil – des éditions Kesselring d’alors, par exemple), avant la contre-révolution dans l’imaginaire conduite grossièrement et plus ou moins discrètement entre 1985 et 1995, d’une part, et la grande science-fiction féministe, revendiquée ou non et tout aussi politique, des Ursula K. Le Guin, Octavia Butler, Margaret Atwood ou Joanna Russ, expressément citée parmi les influences du travail des ateliers de l’Antémonde, d’autre part. Et il s’agit bien, à la manière du « Le futur au pluriel : réparer la science-fiction » de Ketty Steward, de projeter cet amalgame sensible et génialement instable vers notre contemporain et nos futurs immédiats, avec un évident pragmatisme de rêveur concret.

En cherchant à s’affranchir de la part capitaliste des logiques techniciennes pour en inventer d’autres, au plus proche et au plus près, dans toute leur frugalité (on songera sans doute par moments à la poésie diffuse et combattante des « Échappées » de Lucie Taïeb), en s’appuyant aussi bien, lorsqu’utile ou nécessaire, sur les « Bullshit Jobs » de David Graeber, le « Ils sont nos ennemis » de Casey ou « La complainte du progrès » de Boris Vian, « Bâtir aussi » transforme les paysages de guerre civile, des plus réalistes aux plus oniriques, familiers aux lectrices et lecteurs de Jérôme Leroy, de Jean Rolin ou de Karim Miské, en quelque chose de radicalement différent et de joliment salutaire, qui a à voir avec le fait, simple et décisif, de passer la politique au crible exigeant du quotidien le plus matériel.

D’où le titre et le texte en introduction de ce livre, inspirés par l’anarchiste Buenaventura Durruti :

Nous n’avons pas peur des ruines. Nous sommes capables de bâtir aussi. C’est nous qui avons construit les palais et les villes d’Espagne, d’Amérique et de partout. Nous, les travailleurs, nous pouvons bâtir des villes pour les remplacer. Et nous les construirons bien mieux ; aussi nous n’avons pas peur des ruines. Nous allons recevoir le monde en héritage. La bourgeoisie peut bien faire sauter et démolir son monde à elle avant de quitter la scène de l’Histoire. Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs.

Il nous a semblé absurde de penser d’autres mondes en faisant abstraction de ce que nous avons entre les mains ici et maintenant. Penser la révolution à partir des espoirs nés en Tunisie et en Egypte en 2011, pour voir ensuite où nous en serions en 2021.

Nos ateliers d’écriture réguliers ont été l’occasion d’échapper par à-coups aux urgences militantes. Prendre le temps de penser des formes de révolutions victorieuses nous a nourriEs au-delà de toute attente. Depuis, une curiosité frénétique s’est emparée de nous. Nous bâtissons régulièrement des châteaux de cartes étourdissants et pleins de points d’interrogation. Nous avons posé les règles d’un jeu captivant et formidable. Se donner ainsi de l’air, s’autoriser ces espaces, nous a permis de poursuivre les luttes auxquelles nous participons et d’y amener une nouvelle vigueur.

Hugues Charybde, le 7/04/2025
ANTEMONDE - Bâtir aussi - éditions Cambourakis

l’acheter chez Charybde, ici

28.03.2025 à 12:32

Jean-Christophe Béchet dévoile ses African Memories

L'Autre Quotidien
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 “Cameroun, Mali, Niger, Burkina Faso, Nigéria, Algérie… Dans cette œuvre intimement personnelle, je revisite, trente-cinq ans plus tard, mes premiers pas de jeune photographe. Cette période intense de trois ans, que j’ai surnommée « mes années africaines », aurait pu se concrétiser dans un premier livre, il y a 25 ans… mais finalement la plupart de ces photographies sont demeurées inédites. Quelques tirages ont circulé dans des expositions,  mais la majorité est restée enfouie dans des boîtes d’archives. « Mes années africaines »   représentent 79 planches contacts  et environ 2220 vues argentiques,24×36 et 6×6. Un nombre conséquent, mais finalement assez faible si on le ramène à la production actuelle en numérique où l’on réalise facilement plusieurs centaines d’images par jour. » écrit Jean-Christophe Béchet dans l’introduction de ses African Memories.
Texte intégral (3908 mots)

 » Cameroun, Mali, Niger, Burkina Faso, Nigéria, Algérie… Dans cette œuvre intimement personnelle, je revisite, trente-cinq ans plus tard, mes premiers pas de jeune photographe. Cette période intense de trois ans, que j’ai surnommée « mes années africaines », aurait pu se concrétiser dans un premier livre, il y a 25 ans… mais finalement la plupart de ces photographies sont demeurées inédites. Quelques tirages ont circulé dans des expositions,  mais la majorité est restée enfouie dans des boîtes d’archives. « Mes années africaines »   représentent 79 planches contacts et environ 2220 vues argentiques,24×36 et 6×6. Un nombre conséquent, mais finalement assez faible si on le ramène à la production actuelle en numérique où l’on réalise facilement plusieurs centaines d’images par jour. » écrit Jean-Christophe Béchet dans l’introduction de ses African Memories.

AFRICAN MEMORIES DJENNÉ, MALI, 1990, ©JC BÉCHET

A feuilleter African Memories on se prend à rêver aux rives du voyage de ce jeune photographe alors parti à la découverte de l’ Afrique, à la fin des années 90, recherchant cette aventure humaine avec ces rencontres avec ces paysages désertiques ou semi-désertiques du Sahara jusqu’aux rives du fleuve Niger, entre 1988 et 1990, aux visites de villes mythiques, Mopti, Gao, Djenné, ou celle plus connue  dont le nom résonne toujours ici comme l’appel d’un ailleurs, Tombouctou, dont Paul AUSTER fera le titre d’un de ses romans et qui représentait cet Eden pour les occidentaux, qu’ils fussent new-yorkais ou parisiens, ce paradis lointain, sonnait haut dans l’imaginaire, au delà de ce monde. Pour Mr Bones, le personnage central de Tombouctou, un chien, il est une évidence, Willy, qui a disparu, est désormais à Tombouctou, l‘au-delà des bienheureux. C’est à n’en pas douter une vertu et un appel.

Si le pays est présent et hante la photographie de Jean-Christophe Béchet à travers les berges du fleuve Niger ou les images du désert sous un vent de sable ; le photographe est aimanté plus précisément par cette vie qui flue, qui bouge. Il s’éprend, à travers de nombreux portraits en noir et blanc et au Rolleiflex 6×6 des corps et des visages, de ces africains dont il partage les quotidiens ; de ce peuple des villes, urbains avant tout, dans cette humanité généreuse de la vie légère, sans attache durable, qui s’invente au fur et à mesure de ses déplacements. « Jean-Christophe Béchet est un photographe qui arpente les grandes villes du monde depuis plusieurs décennies pour y saisir des moments d’urbanité où l’esprit documentaire cohabite avec une poésie de l’étrange et de l’énigme », écrivait Sylvie Hugues, à l’occasion de la sortie du livre Macadam Color Street Photo, en juin 2022.

AFRICAN MEMORIES Assamaka, Niger, 1990, ©JC BÉCHET

Je retrouve cette première expérience du jeune photographe, embarqué dans un voyage de trois ans qui photographie par passion, par nécessité, par gout, cherchant son expression et la trouvant multipliée par les sujets qu’elle inventorie, des vues urbaines à celles des panneaux annonçant un guérisseur traditionnel qui soigne tout, à lire le panneau photographié, le sourire vient immédiatement, parce que cet humour décolle le sérieux de cette société occidentale pressée en tous points, oublieuse du rire et des temps morts, du temps, du farniente, du s’entropenfaire ;  c’est ce qui sourd de ces visages, un à propos nonchalant et une attention particulière aux choses de la vie, un tropisme bien utile à tout photographe qui a choisi de pérégriner et suivre ce mouvement le plus longtemps possible.  Jean-Christophe Béchet photographie jeunes et moins jeunes, plutôt des garçons et des hommes au travail, quelques paysages, in the middle of the word, au centre du monde, comme on disait alors. Loin, bien loin des berges de la Seine et du boulevard Saint Germain.

 Jean-Christophe Béchet croit au plus profond de lui en sa photographie, la teste, s’éprouve à nourrir ce regard dont il attend intuitivement beaucoup, trouve le plus souvent dans cette approche presque tactile une certaine satisfaction à photographier ; une proximité de partage et de voyage se crée avec ceux qui sont les sujets d’un moment, ces compagnons africains avec lesquels il tisse des liens amicaux. Ce qui fait image en lui, texte, son, mouvements, références, dans cette fraicheur séduisante est sans doute le résultat de son éblouissement chronique, du charme qu’il tire d’être en situation de création, de témoin ; regarder à travers l’œilleton de l’appareil photo en situation est une expérience séduisante et précieuse pour le jeune photographe, dont l’image s’est curieusement creusée dans la confrontation d’un monde qui a aujourd’hui disparu et dont la réalité passée est venue s’inscrire en dévers de la disparition de toute une Afrique ouverte au monde, hospitalière, généreuse. Cette Mama Africa, chère à Archie Shepp, à Pharoah Sanders, et tous ces musiciens noirs américains venus vivre un peu plus à Paris et en France, pour le plus grand plaisir d’un métissage culturel vibrant.

Douala, Cameroun, 1989 ©JC BÉCHET

On retrouve aussi ce qu’était encore pour toute une génération le voyage et ce qu’il représentait comme expérience personnelle à la Plossu, dans cette poésie du dialogue qui se noue, ou pas, immédiatement ou plus lentement, dans l’immersion, avec un territoire, un pays, le Mexique. Puis ces iles éoliennes pour Bernard Plossu, qui ont fait références pour toute une génération de photographes voyageurs et bien au delà, marcher dans les pas de celui qui a ouvert un chemin, reproduire une expérience topique où le regard s’ouvre avec le cœur et l’esprit, passe par la peau, la sensation, ne s’abstrait pas si intensément qu’il ne se transmette directement à son lecteur, dans un passage de relais.  La question du destin s’y attache inévitablement, dans une réponse à une question rémanente : qu’ai-je à y faire, à y vivre, qu’ai-je à en dire, par quelle intensité poétique ces dialogues réservés entre soi et le pays donnent-ils la bonne approche, la distance souhaitée, le bon angle, afin qu’apparaissent les signes qui encoderont positivement cette photographie, au-delà du document, dans l’inscription d’un regard qui fait œuvre en se donnant à cet autre spectateur, récepteur de ces voyages. Qualités du regard qui est en même temps rencontres, autobiographie, si singuliers qu’il appartient de fait à tous ? Tout ceci est voyage, véritablement. Ces dialogues amoureux font rencontres dans un retour du sujet sur lui même.

Comme l’avoue Jean-Christophe Béchet, il fallait sans doute que le temps vienne et que cette première expérience s’oublie pendant plus de 35 ans afin qu’elle puisse revivre en s’intégrant rétrospectivement à la production du photographe par la suite, ou, jeune bien sûr, le monde était ouvert, sujet passionnant parce qu’impliquant une poétique de l’instant plus ou moins décisif ouvert par le changement d’habitus, la séduction et le plaisir de la différence, du climat, des langues, des déplacements. D’une vie à l’africaine qui sait séduire, dépossédant le photographe de ses repères parisiens afin d’ouvrir sa sensibilité à ces différences et à le rendre apte à s’éprendre de la nouveauté, dès lors que les rencontres se multiplient et que ce temps d’immersion reste un levain du regard, l’occasion de photographier juste, en auteur de cette écriture. S’élabore alors une chronique de l’instant, un cinéma à la Jean Rouch, assez ethnographique s’y est glissé paradoxalement, même si ce n’est pas le but atteint, recherché par ces african memories. Un regard poétique aimanté s’immerge dans la foule, s’attache à voir juste.

AFRICAN MEMORIES ©JC BÉCHET

Jean-Christophe Béchet dira qu’il a de fait peu photographié, dans  une attention plutôt littérale comme les pages d’un roman qui s’écrit au jour le jour, journalier de ce qui s’est écrit sur le vif et dans le temps. Et dont le propos, dès que refermé, devient ce livre d’abord improbable, puis abandonné, enfin prêt et publié, dans une sorte de simplicité assez touchante. Quelques unes de ces photographies resteront en mémoire, actives de ce qui échappait en partie au photographe et qui lui revient au-delà des pages pour alimenter ces souvenirs, non pas passivement, mais électivement, quelques trois décennies et demi après leur prise de vues.

« Aujourd’hui, j’ai revisité et réorganisé ces photos. Je remarque néanmoins qu’avec le temps, le statut des images évolue : certains souvenirs s’effacent tandis que d’autres s’affirment  »  écrit Jean-Christophe Béchet dans la préface. C‘est d’ailleurs tout ce qu’il mentionne comme problématique en ouverture de cette expérience africaine, de cette mémoire qui à mon sens, trouve sa juste réponse, à la fois dans ces pages et sans doute plus ouvertement, plus secrètement en son for intérieur, en cette rêverie qui perdure à l’ombre du  Léthé, dans ces anamnèses épiphaniques qui nous surprennent toujours et nous illuminent, issues d’odeurs, de situations, venues de cet infra- temps, toujours contigües à ce que nous sommes devenus, enfouies en nos mémoires plurielles, non pas si différent comme l’écrit Jean-Christophe. Ni loin, ni proche, mais dans cette épaisseur mémorielle qui, parfois, comme dans le film intérieur de sa vie, répond aux stimuli de cet inconscient et nous dévoile alors ce cadeau précieux de l’étant, essence d’un monde parallèle, comparable à cette eau de vie en nos veines qui continue, en sa magique ferveur, à ravir ce cœur qui , hier, n’avait pas trente ans.

« Certaines prises de vue gagnent en puissance quand d’autres tombent dans la répétition ou le cliché. Il est essentiel de trouver le juste milieu entre le souvenir de ce passé et le désir de créer une œuvre contemporaine à partir de photos qui ont plus de 35 ans. Le défi d’African Memories est là !  » , s’inscrivant objectivement dans cette semaine de la grande exposition Paris Noir du Centre Pompidou qui a électrisé tout Paris, remettant à l’honneur les complicités dont l’éclairage, en cette période chahutée, fait un bien fou… 

Pascal Therme, le 31/03/2025
Jean-Christophe Béchet - African Memories -> 20/04/2025

Galerie Art-Z 27/29, rue Keller 75011 Paris
Jean-Christophe Béchet, African Memories, édition Eric Cez, Editions Loco, 2024, 152 pages

Né en 1964 à Marseille, Jean-Christophe Béchet vit et travaille depuis 1990 à Paris.

Mêlant noir et blanc et couleur, argentique et numérique, 24x 36 et moyen format, polaroids et “accidents” photographiques, Jean-Christophe Béchet cherche pour chaque projet le “bon outil”, celui qui lui permettra de faire dialoguer de façon pertinente une interprétation du réel et une matière photographique.

Son travail photographique se développe dans deux directions qui se croisent et se répondent en permanence. Ainsi d’un côté son approche du réel le rend proche d’une forme de « documentaire poétique » avec un intérêt permanent pour la “photo de rue” et les architectures urbaines. Il parle alors de ses photographies comme de PAYSAGES HABITÉS.

En parallèle, il développe depuis plus de quinze ans une recherche sur la matière photographique et la spécificité du médium, en argentique comme en numérique.  Pour cela, il s’attache aux « accidents » techniques, et revisite ses photographies du réel en les confrontant à plusieurs techniques de tirage. Il restitue ainsi, au-delà de la prise de vue, ce travail sur la lumière, le temps et le hasard qui sont les trois piliers de l’acte photographique.

Depuis 20 ans, ce double regard sur le monde se construit livre par livre, l’espace de la page imprimée étant son terrain d’expression “naturel”. Il est ainsi l’auteur de plus de 20 livres monographiques.

Ses photographies sont présentes dans plusieurs collections privées (HSBC, FNAC…) et publiques (Bnf, Maison Européenne de la Photogaphie, …). Elles ont été montrées dans plus de soixante expositions, notamment aux Rencontres d’Arles en 2006 (série « Politiques Urbaines ») en 2012 (série « Accidents ») et exposées plusieurs fois à la MEP (Maison Européenne de la Photographie, Paris) ou à la BNF («L’épreuve de la Matière », « Noir et Blanc : une esthétique de la photographie»).

Après avoir été longtemps représenté à Paris par « Les Douches la Galerie » (2005/2020), il travaille aujourd’hui avec « La galerie des Photographes » et la « Galerie ART-Z » à Paris.

28.03.2025 à 11:50

On aime #104

L'Autre Quotidien
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Le léopard meurt avec ses taches, et je ne me suis jamais proposé, ni ne me suis cru capable de m’améliorer. Guy Debord - Panégyrique, tome 1
Texte intégral (648 mots)

Xavier Miserachs - Antoñita La Singla

L'air du temps

Kojey Radical ft. Mahalia - WATER (IF ONLY THEY KNEW)

Le haïku sur la tête

Cri d'oie sauvage
Blanches dans les rochers
Les vagues de la nuit.

Shiki

L'éternel proverbe

Donne à l'un de façon que tu puisses donner à l'autre.

Proverbe danois

Les mots qui parlent

Le léopard meurt avec ses taches, et je ne me suis jamais proposé, ni ne me suis cru capable de m’améliorer.

Guy Debord - Panégyrique, tome 1

26.03.2025 à 12:11

Retrouvez "Âme augmentée" d’Ezra Claytan Daniels après une page de duplicité

L'Autre Quotidien
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Double je pour les protagoniques de ce roman graphique aussi pertinent sur l’époque que jouissif dans sa maîtrise graphique. Ezra Claytan Daniels nous embarque dans un récit d’anticipation mordant qui pourrait bien déjà se passer dans la Silicon Valley. Petite session de rattrapage autour d’une sortie de 2024 qui est peut-être passée sous le radar, mais qui vaut vraiment qu’on s’y arrête.
Texte intégral (1747 mots)

Double je pour les protagoniques de ce roman graphique aussi pertinent sur l’époque que jouissif dans sa maîtrise graphique. Ezra Claytan Daniels nous embarque dans un récit d’anticipation mordant qui pourrait bien déjà se passer dans la Silicon Valley. Petite session de rattrapage autour d’une sortie de 2024 qui est peut-être passée sous le radar, mais qui vaut vraiment qu’on s’y arrête.

À l’heure où les I.A. omniprésentes remplacent le rêve transhumaniste chez les entrepreneurs, poursuivant cette « économie des promesses » selon la formule d’Yves Frégnac où la science sert plus les capitaux que l’inverse, Ezra Claytan Daniels propose une bande dessinée qui questionne aussi bien l’étique que nos identités et ce qui les constitue. 

Les érudits Hank et Molly Nonnar s’offrent, à la fin de leur vie, un espoir : celui d’être transférés dans un corps neuf pour continuer à vivre ensemble. Alors que leurs clones sont mis en route dans un labo clandestin, l’expérience prend un tour inattendu quand leurs clones se révèlent être plus que de simples corps. Si les neurosciences penchent aujourd’hui sur le côté inséparable du corps et de l’esprit pour définir l’individu ; dans l’album, la science de pointe de ce transhumaniste effrayant reste basée sur la dualité du corps et de l’esprit, voire de l’âme au sens religieux qui serait le siège de la personnalité. Ici, le rêve d’immortalité devient une lutte pour la survie et les planches glissent doucement vers l’horreur.

« Ce qu’il faut alors implorer, c’est un esprit sain dans un corps sain »

Le dessinateur déforme les corps, les traits et les proportions pour accentuer le malaise et les intentions, pas si nobles, des uns et des autres. Tout en utilisant une palette de couleurs réduites, son trait va chercher aussi du côté de l’épure et de l’école européenne de la ligne claire avec un beau travail sur les corps, les formes et les expressions pour créer une tension permanente. 

En restant autour de ce casting réduit, il aborde le racisme, l’exclusion, la fin de vie, mais également la foi, la transmission, l’héritage, l’appropriation ou la création. Cette mini-société presque confinée dans son centre d’expérimentation permet à l’auteur de questionner notre société à travers cet espoir contre nature. Entre le malaise graphique et la pertinence des interrogations en sous-texte, Ezra Claytan Daniels nous prend à rebrousse-poil avec intelligence et malice. 

Un très beau conte noir, que l’on peut lire en miroir du film de Tod Browning, La Monstrueuse Parade (ou Freaks en V.O.) dans une version qui explore les travers de notre époque tout rejouant l’histoire d’amour, de vengeance, d’acceptation de soi où les monstres ne sont pas toujours ceux qu’on imagine. 

Vingt ans de travail pour ce livre dévoile Ezra Claytan Daniels dans les notes qui accompagnent ce livre — en regard d’une préface de Darren Aronofsky— qui regroupe ses goûts pour l’horreur, la science-fiction qu’il combine avec le souvenir de ses grands-parents, mais également une envie de réflexion sur ce qui nous constitue comme êtres humains. 
Tous les visuels sont © Ezra Claytan Daniels / 404 graphic

Thomas Mourier, le 31/03/2025
Ezra Claytan Daniels - Âme augmentée 404 graphic

-> Comme d’habitude, les liens renvoient sur Bubble où vous pouvez vous procurer les œuvres évoquées

26.03.2025 à 11:47

Les Usa vues du côtés des oubliés avec le Tonky de Lonnie Holley

L'Autre Quotidien
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Artiste multi-facettes, Lonnie Holley est à la fois poète, sculpteur, musicien et bricoleur de génie puisqu’il a re-construit lui-même nombre instruments dont il fait usage. Mais cela, c‘était avant qu’on finisse par le reconnaître, comme une voix aussi singulière que discordante des Usa. Un artiste nécessaire qui raconte ici son passé glaçant, après avoir décidé d’avancer et d’y croire : Tonky !
Texte intégral (1014 mots)

Artiste multi-facettes, Lonnie Holley est à la fois poète, sculpteur, musicien et bricoleur de génie puisqu’il a re-construit lui-même nombre instruments dont il fait usage. Mais cela, c‘était avant qu’on finisse par le reconnaître, comme une voix aussi singulière que discordante des Usa. Un artiste nécessaire qui raconte ici son passé glaçant, après avoir décidé d’avancer et d’y croire : Tonky !

Envisager notre vie, notre création et notre amour signifie que, du moins pour certains d'entre nous, nous pouvons être poussés vers l'avant par la perspective de ce qui va suivre. Le moment que nous pouvons retenir et placer dans nos poches débordantes.

L'œuvre de Lonnie Holley est, pour moi, une œuvre de ce type d'accumulation et d'attention. Le plaisir de trouver un son et de le presser contre un autre son trouvé et un autre jusqu'à ce que, avant que l'auditeur s'en rende compte, il soit submergé par une symphonie de sons qui donne l'impression de s'assembler au fur et à mesure qu'elle vous submerge. Tonky est un album qui tire son nom d'un surnom d'enfance donné à Holley lorsqu'il a vécu une partie de son enfance dans un honky tonk. La vie de survie et d'endurance de Lonnie Holley a nécessité - et nécessite sans doute encore - une forme d'invention. Une invention qui est également riche et présente dans les chansons de Holley, qui sont pleines et immersives sur Tonky, un album qui commence par sa chanson la plus longue, un marathon exhaustif de neuf minutes d'un morceau appelé "Seeds", qui commence par un seul son clairsemé et se développe ensuite. Des chants, de faibles touches, des cordes, et par-dessus tout, la voix de Holley, qui ne chante pas, mais qui parle clairement du travail de la terre quand il était jeune, de la violence qu'il a endurée au cours de ce processus, se couchant ensanglanté et souffrant des coups qu'il recevait. La chanson se développe en une métaphore sur le lieu, sur les échecs de la maison, ou de n'importe quel endroit censé vous protéger, qui n'est pas à la hauteur de ce qu'il se vend, même si vous y travaillez sans relâche, si vous travaillez dessus, si vous travaillez pour en faire quelque chose qui en vaille la peine.

"Seeds" ne donne pas seulement le ton d'un album qui tourne autour de la renaissance, du renouveau et des limites de l'espoir et de la foi, mais il met en lumière ce qui est pour moi la plus grande force de Holley en tant que musicien, à savoir un engagement en faveur de l'abondance et de la générosité. C'est un conteur incroyablement doué, attaché à la tradition orale, si bien que de nombreux auditeurs (dont je fais partie) seraient tout à fait satisfaits de s'asseoir aux pieds d'un disque de Lonnie Holley et de tendre l'oreille à ses récits robustes et expansifs. Mais Tonky est un album aussi large dans sa sonorité qu'il l'est dans la place qu'il laisse à un large éventail d'artistes pour franchir la porte de l'album et se sentir chez eux, quelle que soit la façon dont ils passent le temps qu'ils ont sur une chanson. Des invités comme Angel Bat Dawid, Alabaster Deplume, Saul Williams, Mari Lattimore, Billy Woods, Open Mike Eagle, etc.

Avec les mots d’Hanif Abdurrqib qui introduisent l’album, on est bien aux USA, ne 2025, dans un pays qui a cru sortir du marasme en élisant un crétin orangé. Celui-là même qui ne conçoit son pays que comme une victoire à l’arraché des riches sur les pauvres, en leur interdisant petit à petit l’accès aux ressources qui sont les leurs… Méfies ici d’autres grosses merdes se pointent pour faire pareil. Lueur d’espoir que cet album ? Non, juste un témoignage de talent et de sortie d’ornière du/de la pauvreté/racisme vécue au quotidien dont on sort par l’art avec une vision. Grand disque

Jean-Pierre Simard, le 31/03/2025
Lonnie Holley - Tonky - Jagjaguwar

25.03.2025 à 18:33

DpA bien marri face au SNA de Dati

L'Autre Quotidien
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« Pendant que les architectes se battent pour leur survie, l’État dessine des stratégies déconnectées ». Selon Défense Profession Architecte (DpA), la nouvelle Stratégie Nationale pour l’Architecture 2025 (SNA) dévoilée le 4 février 2025 par Rachida Dati, ministre de la Culture, illustre le décalage croissant entre les ambitions affichées et les réalités du terrain. Tribune.
Texte intégral (1457 mots)

« Pendant que les architectes se battent pour leur survie, l’État dessine des stratégies déconnectées ». Selon Défense Profession Architecte (DpA), la nouvelle Stratégie Nationale pour l’Architecture 2025 (SNA) dévoilée le 4 février 2025 par Rachida Dati, ministre de la Culture, illustre le décalage croissant entre les ambitions affichées et les réalités du terrain. Tribune.

« Alors que nos agences traversent une crise sans précédent, on nous propose des concepts sans moyens concrets d’action. Oui, l’architecture est « porteuse de solutions » comme le souligne Mme la ministre, mais il est temps pour l’État de passer des paroles aux actes », indique DpA.

Stratégie Nationale pour l’Architecture : quels bilans et quelles perspectives pour la profession ?

La nouvelle « Stratégie Nationale pour l’Architecture » annoncée par Rachida Dati, ministre de la Culture, se heurte à l’incompréhension et au désarroi des architectes praticiens. Alors que les agences d’architecture traversent une crise sans précédent, luttant quotidiennement pour leur survie économique, cette initiative apparaît déconnectée des réalités du terrain (Voir le constat alarmant sur les revenus des architectes Archigraphie 2025).

Les architectes, acteurs essentiels de la transformation de nos territoires, attendent des mesures concrètes.

Ce document largement alimenté par des propositions du CNOA, fait l’impasse sur la situation préoccupante des architectes et ne répond pas aux enjeux ni aux besoins d’une profession de plus en plus marginalisée dans le processus de production de l’architecture et du cadre bâti, alors même qu’elle est de plus en plus sollicitée pour répondre aux défis et enjeux de notre société, selon les propres propos de la ministre : « Face aux défis environnementaux et sociaux, l’architecture est porteuse de solutions ».

Avant de lancer une nouvelle stratégie, un bilan critique sur l’impact réel de la SNA de 2015 sur la pratique quotidienne des architectes s’impose.

En effet, force est de constater que loin d’avoir renforcé la position des architectes dans l’acte de bâtir, celle-ci a contribué à leur fragilisation progressive à travers des mesures telles que :
– la suppression de l’obligation de recours aux appels d’offres et aux concours pour les logements sociaux ;
– le contournement facilité de l’obligation de recours à l’architecte via les déclarations préalables ;
– une précarisation accrue des agences d’architecture.

« Cette absence d’évaluation critique démontre un décalage persistant entre les ambitions affichées des politiques publiques et la réalité du terrain vécue par les professionnels en charge de la production architecturale ». (Batiactu 17/05/2018)

Oui l’architecture est porteuse de solutions !

Mais l’architecture ne peut exister comme expression de la culture pour toute la société que si l’État lui donne les nécessaires moyens législatifs et financiers pour remettre les architectes en première ligne de la production architecturale.

À qui donc s’adresse la SNA ?

« Cette nouvelle stratégie s’adresse à l’ensemble des habitants de notre pays […] cette stratégie s’adresse aux décideurs […] elle renforcera l’action des différentes actions ministérielles », dit Mme Dati.

Vaste sujet qui explique le quiproquo pour les architectes !

Qui sont ces décideurs à qui s’adresse la SNA, sinon les élus territoriaux, les services de l’État, les maîtres d’ouvrage, les promoteurs, les entreprises, les lotisseurs, les BET et bien d’autres encore.

Autre motif de confusion : improprement et largement utilisé, le terme « architecture » recouvre en réalité tout ce qui concourt à la politique de la ville que ce soit l’aménagement, l’urbanisme, la réglementation ou l’environnement. Il eut été plus juste de parler de stratégie nationale pour le cadre de vie en général, bien que ce document n’aborde ni la question du logement ni la politique foncière ni les moyens indispensables aux ambitions annoncées.

Qu’en est-il de l’architecte ?

Si l’architecture disparaît dans ce concept, l’architecte lui, est dilué dans la nouvelle famille des « professionnels de l’architecture ».

Conséquences pour l’enseignement : les écoles devront former à la diversité des parcours, des « professionnels de l’architecture », et pas seulement les architectes.

Nous déplorons que l’augmentation du nombre d’étudiants ne soit pas destinée à augmenter le nombre des architectes mais celui de « professionnels de l’architecture » dont on ne cerne pas bien les qualifications ni les compétences.

Il est aussi question de s’adapter aux nouvelles formes de la commande.

Faut-il s’adapter à de nouveaux enjeux tels que « la privatisation de la commande publique » couplée à une série de mesures réglementaires qui ont contribué à « réduire la place des architectes dans la construction » (Le Monde 05/02/2025) ?

Sous couvert de « territorialisation, de sensibilisation des élus et de mobilisation collective », l’État, à travers cette SNA, se décharge de sa responsabilité en matière d’architecture et de cadre de vie, et fait porter aux architectes la responsabilité de leur situation d’impuissance.

Madame la ministre Rachida Dati, lorsque vous déclarez que :
– « l’architecture constitue une discipline autant qu’une politique publique incontournable pour faire face aux défis de notre temps » ;
– […]Dans un contexte marqué par l’économie des ressources et les enjeux de résilience, la réhabilitation forme le nouveau cadre de création architecturale. La nouvelle donne est celle du « déjà là », entre rénovation et restauration. C’est un changement de perspective que l’État doit accompagner ».
Nous vous prenons au mot !

Les architectes sont prêts à relever ce défi à condition que l’État leur en donne les moyens par un engagement politique clair qui vise à les remettre au cœur de la fabrication de l’architecture, de la ville, du cadre de vie et de tous les domaines où leurs compétences et leur expertise sont nécessaires à la société.

De sorte que :
– l’intérêt public de leur travail et le rôle central de leurs compétences soient reconnus, soutenus et renforcés par des dispositifs législatifs et financiers ;
– la profession d’architecte cesse d’être envisagée comme la variable d’ajustement financier des politiques publiques de réduction des coûts.

Défense Profession Architecte (DpA) 31/03/2025

25.03.2025 à 12:20

Les affiches ciné du Ghana, période 80/90, assurent grave leur folie

L'Autre Quotidien
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Les affiches de films du Ghana peintes à la main dans les années 1980-1990 sont réputées pour leur originalité et leur excentricité. Elles reflètent une interprétation des films internationaux par des locaux qui n’ont souvent même pas vu les œuvres mais qui enchérissent sur le scénario pour faire venir les spectateurs dans les salles obscures. Trip assuré !
Texte intégral (890 mots)

Les affiches de films du Ghana peintes à la main dans les années 1980-1990 sont réputées pour leur originalité et leur excentricité. Elles reflètent une interprétation des films internationaux par des locaux qui n’ont souvent même pas vu les œuvres mais qui enchérissent sur le scénario pour faire venir les spectateurs dans les salles obscures. Trip assuré !

L’avènement du magnétoscope a eu raison des petites salles de cinéma du pays et cette « tradition » des affiches de films du Ghana a fini par disparaître.

Mais, les posters, souvent peint sur des sacs de riz, qui ont franchi les ans s’échangent à des prix élevés sur les marchés de l’art.

Et, pour vous faire une idée plus complète de la chose : voici les affiches de films du Ghana les plus déjantées sélectionnées par All The Right Movies

Jim Lajungle, le 31/03/2025
Les affiches de films du Ghana les plus déjantées

25.03.2025 à 12:02

Venez vous faire empoissonner par Ned Beauman

L'Autre Quotidien
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Autour d’un poisson baltique apparemment voué à l’extinction, structurelle et accidentelle, un thriller science-fictif échevelé questionne cruellement tout ce qui nous sert d’excuses pour laisser venir le désastre prévisible.
Texte intégral (4565 mots)

Autour d’un poisson baltique apparemment voué à l’extinction, structurelle et accidentelle, un thriller science-fictif échevelé questionne cruellement tout ce qui nous sert d’excuses pour laisser venir le désastre prévisible.

Pas de note de lecture proprement dite pour « Poisson poison », sixième roman de Ned Beauman, paru en 2022, couronné par le prix Arthur C. Clarke en 2023, et traduit en janvier 2025 par Gilles Goullet aux éditions Albin Michel, dans la collection Imaginaire : l’ouvrage fait en effet l’objet d’un petit article de ma part dans Le Monde des Livres daté du vendredi 28 février 2025 (à lire ici). Comme j’en ai pris l’habitude en pareil cas, ce billet de blog est donc davantage à prendre comme une sorte de note de bas de page de l’article lui-même (et l’occasion de quelques citations du texte, bien sûr).

Elle s’apprêtait à envoyer le dernier poisson dans les airs quand Abdi déboula sur le pont pour la prévenir. Il montra le nord dans le crépuscule. Peu auparavant, Resaint avait remarqué sur l’horizon ce qu’elle avait pris pour un nuage d’orage isolé, la brume, épaissie par la tombée de la nuit, donnant un temps localement plus lourd. Mais la distance s’étant réduite, elle distinguait à présent les trois grandes colonnes à la base du nuage, semblables à des cheminées qui évacuaient la houle de la mer. Un embrunisateur, qui naviguait cap sur eux. Le premier qu’elle voyait depuis son arrivée, un bon moment auparavant, sur la mer Baltique.
Son drone de transport était censé s’envoler vers le nord. Elle se rendit compte que cette trajectoire le mettrait en plein sur celle de l’embrunisateur et le propulserait donc aussitôt dans les flots. La tempête qui entourait un embrunisateur ne ressemblait à aucun phénomène naturel. Elle était prodigieuse non par sa force, mais par sa géométrie. Les guillemots et les goélands argentés, capables de supporter sans broncher les plus furieuses tempêtes hivernales, étaient ballottés comme de vieux papiers. C’était trop étranger pour leurs ailes. Et ce drone, auquel les grands vents posaient rarement problème, ne se rendrait même pas compte de ce qui lui tombait dessus.
Ayant toujours l’itinéraire de vol sur l’écran de son téléphone, Resaint ajouta la surcouche qui indiquait les autres navires à proximité. Abdi montra l’embrunisateur, simple point blanc anonyme sur la carte. Resaint modifia l’itinéraire du drone pour qu’il le contourne à distance prudente par l’est.
« Merci », dit-elle en posant la main sur le bras d’Abdi. Elle consulta une nouvelle fois la trajectoire de l’embrunisateur. « On dirait qu’il nous vient droit dessus, non ?
– Il ne nous touchera pas. Mais nous frôler ne le gênera pas non plus. Clairement, mieux vaudrait pour toi ne plus être dehors quand ça arrivera.
De toute manière, songea-t-elle, le Varuna ayant presque la taille d’un porte-avions, l’embrunisateur sortirait sans doute perdant d’une collision. Ce qui était dommage, quelque part, car elle aurait bien aimé voir le Varuna éventré. Peut-être pas pendant qu’elle se trouvait à son bord, mais ce navire méritait malgré tout qu’on le coule. Pour l’embrunisateur, ce serait une manière d’employer sa soirée bien plus utile que de faire perdre le nord à quelques oiseaux de mer.
Elle murmura un ordre à son téléphone et les rotors du drone se mirent à vrombir. L’appareil décolla du pont en soulevant quatre câbles fixés à son ventre, puis ceux-ci se tendirent et la cargaison s’éleva à son tour : un aquarium en plastique qui contenait dix lompes venimeux évoluant dans plus de deux cent cinquante litres d’eau de mer. Le drone continua à monter jusqu’à ce que l’aquarium soit assez haut pour franchir le bastingage. Quelques gouttes d’eau débordèrent à ce moment-là, que Resaint sentit lui tomber sur le front tel un sacrement. Une fois au-dessus des flots, il accéléra en douceur, comme une cigogne avec un bébé particulièrement précieux en écharpe, cap au nord.
Il parcourrait une vingtaine de kilomètres jusqu’aux récifs du Kvarken du Sud, où les lompes venimeux se rassemblaient à chaque période de reproduction et où il déverserait le contenu de l’aquarium. En théorie, une fois ses expériences menées à bien, Resaint aurait pu les relâcher dans la mer autour du Varuna en les laissant rentrer chez eux tout seuls. Ils se débrouillaient très bien en navigation. Mais elle refusait de prendre ce risque. Il en restait si peu. Chacun d’eux était très précieux. Aussi aurait-il été particulièrement déplorable et regrettable que, disons, l’embrunisateur percute le drone avec assez de violence pour que tous ces poissons se brisent l’épine dorsale en heurtant les flots.

 Poisson poison », parmi les nombreux intérêts qu’il présente à la lecture, offre une jolie démonstration de ce qui peut se produire de particulièrement précieux à la frontière entre littératures de genre et littérature dite générale. Dans un registre plus proche de l’anticipation joueuse déployée par un Neal Stephenson dans son « Choc terminal », chez le même éditeur, Ned Beauman, qui n’est pas, lui, issu de l’univers science-fictif (il n’est pas né au sein du sérail ou du ghetto, selon le point de vue et le degré de radicalité d’un commentaire éventuel à ce sujet), mais bien de celui de la littérature ailleurs appelée « blanche » (ce qui ne veut rien dire en soi, nous sommes bien d’accord), réalise un tour de force digne de l’un des plus prometteurs jeunes auteurs britanniques signalés par Granta il y a déjà quelques années, mais digne aussi en tous points ou presque d’un auteur « spécialisé ».

Francis Berthelot, dont il faut lire et relire le toujours aussi précieux « Bibliothèque de l’Entre-Mondes », vingt ans après sa sortie, lorsqu’il analysait les transfictions, notion créée par lui pour désigner ces écrits prisés des lectrices et lecteurs qui sont aussi des coureurs de frontière et de marge, se gardait d’ailleurs bien de s’appuyer sur une poétique de la science-fiction dont les définitions risqueraient l’oscillation perpétuelle, impraticable, entre le trop vague et le trop restrictif. « Poisson poison » s’affranchit allègrement des barrières qui sépareraient le thriller de la science-fiction, le roman noir de l’anticipation, ou la satire socio-économique de la spéculation éco-financière.

Le pas de côté science-fictif, qui signe souvent la performance d’une expérience de pensée propre à ce genre littéraire (pris cette fois en son sens le plus large possible) se risque rarement sur le terrain du fonctionnement relativement détaillé de la finance mondiale, contemporaine ou à venir très bientôt. Kim Stanley Robinson, avec la puissance contenue dans ce domaine au sein de son « New York 2140 » et de son « Ministère du futur », y constitue l’une des rares exceptions. Il faudra désormais y ajouter Ned Beauman, dont la compréhension intime du détournement par l’absurde des « crédits carbone » (sans même parler des innombrables fraudes dont cet outil a été, encore récemment, la victime) emporte admiration et adhésion – à un certain cynisme vis-à-vis de ce « capitalisme de l’habillage ».

Au-delà du rusé cadre général créé par les crédits d’extinction, Ned Beauman a su imaginer plusieurs heureuses convergences inattendues (ou en tout cas relativement peu convenues), du côté du business de l’écologie (on songera par moments au formidable « Bleue comme une orange » de Norman Spinrad, par exemple, même si le titre français de son « Greenhouse Summer » fait à chaque fois un peu saigner le cerveau), comme du côté des intelligences de tous ordres, naturel et culturel, artificiel et animal, rejoignant par un détour digne de Georges Balandier les travaux d’un Philippe Descola ou d’un Baptiste Morizot – non pas directement en tant qu’anthropologues, voire éthologues, mais bien en tant qu’inventeurs de bribes salutaires de philosophies politiques nouvelles pour des temps particulièrement incertains.

Une autre fiction polie, enracinée plus profond, était indispensable au travail que Resaint menait à bord. Celle de son indépendance.
Ce n’était pas pour rien que la Brahmasamudram Mining Company l’avait installée dans un labo sur le Varuna alors que cette mission aurait pu tout aussi bien se mener depuis la côte suédoise. Il s’agissait là d’une de ces tactiques psychologiques, d’un de ces rites tribaux qui se glissaient si souvent à l’intérieur des transactions, même les plus impersonnelles, des multinationales qui l’employaient. Comme la majeure partie de ses clients, Brahmasamudram tenait à lui faire garder en permanence à l’esprit que, jusqu’à la fin de son contrat, elle leur appartenait. Elle vivait et travaillait dans le domaine de Brahmasamudram, en dehors duquel il n’y avait rien d’autre que l’eau glacée de la Baltique.
Sauf qu’il ne fallait pas le dire à voix haute. Oui, elle était dépendante, surveillée, confinée, elle n’était pas moins que les membres d’équipage une vassale du Varuna. Mais son travail partait du principe qu’une scientifique comme elle se livrerait à des jugements objectifs sans se laisser influencer par le client qui achetait son temps. Et toutes les parties impliquées bénéficiaient de ce principe… de son immaculée aura sacerdotale. Que Devi la traite ainsi – qu’elle révèle de manière aussi flagrante la coercition derrière leur hospitalité – souillait non seulement sa mission actuelle, mais toutes les précédentes.
Au moins la gêne de Devi ne semblait-elle pas moindre que sa propre indignation. De toute évidence, la décision ne venait pas d’elle. Quelque chose l’obligeait à agir ainsi. « Allons dans votre cabine, dit-elle. S’il vous plaît. »
Resaint savait qu’elle pouvait refuser. Devi n’allait pas la sortir de là en la traînant par les cheveux. Mais un baroud d’honneur à l’intérieur de la cabine d’Abdi ne ferait que compliquer grandement la situation pour lui, ce à quoi elle se refusait. « Si on retourne dans ma cabine, est-ce qu’on va régler ce foutoir auquel je ne comprends rien ?
– Oui, répondit Devi, soulagée de voir une ouverture. Oui, on va le régler. Promis. Quelqu’un vient vous parler.

Je suis toujours admiratif lorsque je lis une autrice ou un auteur capable de s’inscrire dans le rythme échevelé des meilleurs thrillers, tout en parvenant à convoyer sans lourdeur, ou même avec une certaine grâce, une information particulièrement dense sur un contexte inconnu a priori, en jouant de l’humour noir et de l’ellipse pour échapper aux diverses malédictions de l’exposition. Comme il nous l’avait prouvé, déjà très facétieusement, dans son « Glow » de 2014 (dont on vous parlera tôt ou tard sur ce blog), Ned Beauman maîtrise cette écriture-là quasiment à la perfection.

Plus tôt ce soir-là, dans un taxi qui l’emmenait dîner, Halyard vit une tumeur s’écraser sur le sol comme une météorite.
Ils se trouvaient à l’arrière du convoi, un minibus et trois taxis bondés qui transféraient tout le monde depuis le siège de Mosvatia Bioinformatics, à l’extérieur de Copenhague, jusqu’à un hôtel sur le front de mer. Halyard ne savait pas trop ce qui se serait passé si le taxi juste devant le sien n’avait pas quitté d’un coup la chaussée au tout dernier moment. Il s’agissait là d’une intéressante question à la papier-caillou-ciseaux, car la tumeur était faite de chair, traditionnellement perdante face à un pare-chocs, mais d’un autre côté, il savait qu’on pouvait se tuer en percutant une biche en voiture, et ce truc-là devait bien peser le triple d’une biche.
Son taxi à lui n’ayant pas fait d’embardée, mais seulement freiné – les précipitant, lui et les trois autres passagers, dans leurs ceintures de sécurité, tandis que son téléphone lui échappait des mains pour tomber sur le tapis de sol –, il bénéficiait à présent d’une vue dégagée par le pare-brise. La monstruosité, qui avait éclaté en percutant l’asphalte, gisait à présent en quatre fragments irréguliers, chacun au moins aussi volumineux qu’une caisse de transport. Le bruit de l’impact n’avait été qu’un coup de tambour sec, mais symphonique, d’une certaine manière – à la fois profond, humide, disruptif et bondissant, un effet sonore vraiment remarquable de la part de la tumeur –, et pourtant, en termes d’horreur texturale, l’image le dépassait. La viande, blanc rougeâtre, luisante, était ébouriffée et plissée, à part à certains endroits où elle était soit enveloppée comme du filet dans de l’épimysium translucide, soit recouverte d’un épais pelage blanc ou noir. Ici et là, un bout d’os dépassait.
Ce fut pour Halyard une expérience certes saisissante, mais pas tout à fait aussi cauchemardesque qu’elle aurait pu s’avérer s’il n’avait pas su de quoi il retournait. Et il le savait parce que les médias avaient parlé de la dernière fois où pareil événement s’était produit, pendant une conférence dans les environs de Madrid. Ce qui venait de tomber était un tératome, autrement dit une tumeur constituée de cellules germinales capables de devenir n’importe quel type de tissu (sans doute y avait-il donc là-dedans des dents, de la matière cérébrale, voire des globes oculaires, comme une anagramme d’un corps mammifère). Il avait été cultivé quelque part dans un laboratoire clandestin à partir d’ADN volé à Chiu Chiu, le « dernier » panda géant. Et catapulté pour protester contre la manière dont Halyard gagnait sa vie.
Chiu Chiu avait succombé à une infection respiratoire fongique, douze ans plus tôt, dans l’unité de soins intensifs du Centre de recherche sur le Panda géant de Chengdu. À l’époque, il était le dernier de son espèce. Il ne le resta pas longtemps, car on produisit ensuite une multitude de clones qu’on implanta dans l’utérus d’ourses noires. Il resterait toutefois à jamais le dernier d’une chaîne ininterrompue d’engendrements humides, le dernier panda né d’un panda né d’un panda né – ici, une ellipse – du tout premier panda.
Sur le pur plan du poids émotionnel, sa mort provoqua peut-être bien un bouleversement sans précédent dans l’histoire de l’humanité, le plus grand nombre de personnes multiplié par la plus grande sincérité de sentiments. On ne pouvait en temps normal se livrer à des généralisations sur une nation de 1,4 milliard d’habitants, mais presque tous les Chinois adoraient Chiu Chiu. Au point que dans les derniers jours de son existence, il avait été interdit au Centre de recherche de publier un bulletin de santé horaire, de crainte de déstabiliser les marchés boursiers. Cette mystérieuse infection fongique qui se riait même des plus strictes quarantaines avait déjà tué des centaines de pandas dans le monde, sauvages ou non. Et lorsqu’elle emporta Chiu Chiu à son tour, les Chinois sombrèrent dans de frénétiques lamentations et remords. Cet échec à sauvegarder leur propre animal national les remplissait d’une honte lancinante. Des jours durant, les rues furent bondées de ce qui ressemblait à des goules hurlantes libérées des enfers : il s’agissait en réalité d’enfants grimés en panda en hommage à ji mo de Chiu Chiu (Chiu Chiu sans personne), mais dont les pleurs incontrôlables avaient fait dégouliner le maquillage sur les joues. Un journaliste de Pékin ayant publié une chronique intitulée « Pourquoi je ne me soucie pas de Chiu Chiu » fut contraint de se cacher. Oui, il y aurait bientôt des clones de panda, mais une campagne du Parti communiste contre les « produits mensongers » battait son plein et les clones étaient souvent comparés à du boudin frauduleusement épaissi au formaldéhyde.
Pour le pays le plus puissant du monde, l’émotion trouva un exutoire dans l’action. Pendant la période que les cyniques présenteraient par la suite comme la grande aliénation nationale chinoise, cent quatre-vingt seize autres États, agissant à vrai dire sous la menace économique, adhérèrent à la toute nouvelle Commission mondiale sur l’extinction des espèces. « Il n’y aura plus de Chiu Chiu, proclama un représentant chinois lors de la création de cette CMEE. Chiu Chiu sera le dernier des derniers spécimens recensés. Car nous ne laisserons plus jamais se reproduire pareille tragédie. Le panda géant sera la dernière espèce dont les activités humaines ont provoqué la disparition. »
Bien entendu, ce ne fut pas du tout ce qui arriva. À la place, il arriva plutôt l’industrie de l’extinction.

Hugues Charybde, le 31/03/2025
Ned Beauman - Poisson poison - Albin Michel Imaginaire

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25.03.2025 à 11:46

Tom de Pekin et tout juste le ciel et les chemins

L'Autre Quotidien
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Avec cette foisonnante exposition déployée sur les quatre niveaux de la galerie Arts Factory, Tom de Pekin nous invite à le suivre dans ses déambulations, entre carte du tendre et voyages imaginaires. Nourri d'archives, de travaux exécutés sur le motif ou de souvenirs d'après photo, cet ensemble d'œuvres récentes évoque des instants suspendus au cœur de flamboyants paysages réalisés à la gouache et aux crayons de couleur. Juste le ciel, les chemins, les lacs ... dans cette errance contemplative les lieux défilent sans lien précis, amitiés retrouvées et nouvelles relations s'entremêlent, les émotions s'échappent, corps et âmes dansent au centre du temps qui passe.
Texte intégral (1548 mots)

Avec cette foisonnante exposition déployée sur les quatre niveaux de la galerie Arts Factory, Tom de Pekin nous invite à le suivre dans ses déambulations, entre carte du tendre et voyages imaginaires. Nourri d'archives, de travaux exécutés sur le motif ou de souvenirs d'après photo, cet ensemble d'œuvres récentes évoque des instants suspendus au cœur de flamboyants paysages réalisés à la gouache et aux crayons de couleur. Juste le ciel, les chemins, les lacs ... dans cette errance contemplative les lieux défilent sans lien précis, amitiés retrouvées et nouvelles relations s'entremêlent, les émotions s'échappent, corps et âmes dansent au centre du temps qui passe.

L’acte de naissance officiel de Tom de Pekin - sans accent, l’artiste y tient - est la parution en 2000 de Rêve au Cul aux éditions CBO. Ce petit opuscule sérigraphié détourne en mode pornogay les grands principes de la propagande Maoïste. D’autres publications dans la même veine érotico-ludique suivront, avec notamment Tom de Savoie ou le très prisé Des Godes et des couleurs. Conçus à partir de collages retravaillés sur ordinateur, ces livres fondateurs seront déclinés par la suite sous forme de courts-métrages animés, ils enchanteront de nombreux festivals internationaux tout au long des années 2000. La sortie en 2011 du livre Haldernablou chez United Dead Artists dévoile une facette plus intimiste de sa production. Ce recueil de dessins illustrant une pièce de jeunesse d'Alfred Jarry ouvre de nouvelles perspectives pour Tom de Pekin, qui abandonne Photoshop pour la mine de plomb et la gouache. Tourné en prise de vues réelles le film Haldernablou Quadriflore poursuit l’exploration de ce texte de 1894, l’une des premières œuvres théâtrales francophone à évoquer sans détour le désir homosexuel.

En 2013, Tom de Pekin illustre l’affiche controversée du film d'Alain Guiraudie L'inconnu du Lac. La même année paraît Le lac sombre, toujours aux éditions United Dead Artists. Cette envoûtante suite de dessins met en scène des hommes nus – mais toujours cagoulés – jouant avec leurs corps au sein d’une obscure nature. Elle pose les bases de l’univers que l’artiste va développer par la suite. Au fil des séries, le noir et blanc s’estompe peu à peu, il laisse place à palette de couleurs enflammée que l’on retrouve désormais dans ses peintures sur papier. L'exposition Où vont les fleurs du temps qui passe ? programmée en 2021 par la galerie Arts Factory marque 20 ans de collaboration commune. Elle est suivie par deux rétrospectives à l'Hôtel Goüin de Tours en 2023 - sur un commissariat de Fred Morin - et au Musée des Arts Précieux Paul-Dupuy de Toulouse en 2024, dans le cadre du Nouveau Printemps curaté par Alain Guiraudie.

Tom de pekin - "vers la pointe du diable", île de la réunion - gouache sur papier, 70x100 cm, 2024

A l’occasion de l’expo , lancement du second titre de la collection p.c.v. / petits • carnets • variés
livret 20 pages couleurs, format : 21 x 15 cm - tirage limité à 300 exemplaires signés et numérotés par tom de pekin
éditions arts factory - 12 euros => cliquez-ici pour réserver votre exemplaire ! à cette occasion lancement du second titre de la collection p.c.v. / petits • carnets • variés
livret 20 pages couleurs, format : 21 x 15 cm - tirage limité à 300 exemplaires signés et numérotés par tom de pekin
éditions arts factory - 12 euros => cliquez-ici pour réserver votre exemplaire ! 

John Paul Jeaunze le 31/03/2025
Tom de Pekin - JUSTE LE CIEL, LES CHEMINS, LES LACS ... -> 03/05/2025
Arts Factory 27, rue de Charonne 75011 paris

Tom de pekin - "jardin des archives, mémoires des sexualités", Marseille - gouache, 40x50 cm, 2023 

25.03.2025 à 10:07

Enfin, Paris Noir vint … 

L'Autre Quotidien
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De la création de la revue Présence Africaine à celle de Revue noire, «  Paris noir » retrace la présence et l’influence des artistes noirs en France entre les années 1950 et 2000. Elle met en lumière cent cinquante artistes, de l’Afrique aux Amériques en passant par la Caraïbe, dont les œuvres ont rarement été montrées en France. On va juste dire : il était temps… 
Texte intégral (4085 mots)

De la création de la revue Présence Africaine à celle de Revue noire, « Paris noir » retrace la présence et l’influence des artistes noirs en France entre les années 1950 et 2000. Elle met en lumière cent cinquante artistes, de l’Afrique aux Amériques en passant par la Caraïbe, dont les œuvres ont rarement été montrées en France. On va juste dire : il était temps… 

Harold Cousins (1916, États-Unis - 1992, Belgique) Roi des musiciens

« Paris noir » est une plongée vibrante dans un Paris cosmopolite, lieu de résistance et de création, qui a donné naissance à une grande variété de pratiques, allant de la prise de conscience identitaire à la recherche de langages plastiques transculturels. Des abstractions internationales aux abstractions afro-atlantiques, en passant par le surréalisme et la figuration libre, cette traversée historique dévoile l’importance des artistes afro-descendants dans la redéfinition des modernismes et post-modernismes.

Quatre installations produites spécifiquement pour « Paris noir » par Valérie John, Nathalie Leroy-Fiévée, Jay Ramier et Shuck One, rythment le parcours en portant des regards contemporains sur cette mémoire. Au centre de l’exposition, une matrice circulaire reprend le motif de l’Atlantique noir, océan devenu disque, métonymie de la Caraïbe et du « Tout-Monde », selon la formule du poète martiniquais, Édouard Glissant comme métaphore de l’espace parisien. Attentive aux circulations, aux réseaux comme aux liens d’amitié, l’exposition prend la forme d’une cartographie vivante et souvent inédite de Paris.

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Une cartographie artistique transnationale

Dès les années 1950, des artistes afro-américains et caribéens explorent à Paris de nouvelles formes d’abstraction (Ed Clark, Beauford Delaney, Guido Llinás), tandis que des artistes du continent esquissent les premiers modernismes panafricains (Paul Ahyi, Skunder Boghossian, Christian Lattier, Demas Nwoko). De nouveaux mouvements artistiques infusent à Paris, tels que celui du groupe Fwomaje (Martinique) ou le Vohou-vohou (Côte d’Ivoire). L’exposition fait également place aux premières mouvances post-coloniales dans les années 1990, marquées par l’affirmation de la notion de métissage en France.

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Un hommage à la scène afro-descendante à Paris

Après la Seconde Guerre mondiale, Paris devient un centre intellectuel où convergent des figures comme James Baldwin, Suzanne et Aimé Césaire ou encore Léopold Sédar Senghor qui y posent les fondations d’un avenir post et décolonial. L’exposition capte l’effervescence culturelle et politique de cette période, au cœur des luttes pour l’indépendance et des droits civiques aux États-Unis, en offrant une plongée unique dans les expressions plastiques de la négritude, du panafricanisme et des mouvements transatlantiques.

Un parcours entre utopie et émancipation

Le parcours de l’exposition retrace un demi-siècle de luttes pour l’émancipation, des indépendances africaines à la chute de l’apartheid, en passant par les combats contre le racisme en France. « Paris noir » souligne la puissance esthétique et la force politique des artistes qui, à travers leurs créations, ont contesté les récits dominants et réinventé un universalisme « des différences » dans un monde post-colonial. Cette toile de fond politique sert de contexte, et parfois de contour direct, à certaines pratiques artistiques. En parallèle ou en contrepoint, se déploient dans l’exposition des expérimentations plastiques souvent solitaires, mais qui trouvent dans le parcours des communautés esthétiques.

Reconnu à la fois comme espace majeur de formation artistique classique et comme centre d’expérimentation, Paris bénéficie d’une attractivité exceptionnelle pour les créateurs, qu’ils soient de passage ou résidents. La ville fonctionne comme un carrefour de rencontres et un point de circulation - notamment vers l’Afrique - propice à l’affirmation de trajectoires transnationales.

Une programmation culturelle ambitieuse

L’exposition est accompagnée d’une riche programmation culturelle à Paris et à l’international. Des conférences, des publications et l’acquisition d’œuvres par le Musée national d’art moderne, ainsi que d’archives au sein de la Bibliothèque Kandinsky, grâce au fonds « Paris noir », contribuent à renforcer la visibilité des artistes noirs. Ces initiatives permettent également de constituer une archive durable de la culture artistique et militante anticoloniale dans une institution nationale.

Gérard Sekoto, Self-Portrait [Autoportrait], 1947, huile sur carton, 45,7 × 35,6 cm The Kilbourn Collection © Estate of Gerard Sekoto/Adagp, Paris, 2025, Photo © Jacopo Salvi

En quoi la « présence noire » à Paris a-t-elle influencé l’évolution des modernismes et post- modernismes artistiques ?

A.K : Les présences noires et afro-descendantes à Paris ont largement contribué à enrichir
les vocabulaires et les iconographies modernes, et à les investir dans un même temps d'une dimension critique. Certains théoriciens qualifient ces artistes par exemple d'agents doubles, qui acquièrent à Paris les outils de la modernité pour pouvoir non seulement s'y inscrire mais aussi la contester, dans une période décisive d'autonomisation politique. Dans son œuvre La ronde-A qui le tour réalisée en 1970, l’artiste sénégalais Iba N’Diaye utilise par exemple l’iconographie classique des animaux écorchés pour représenter la fête musulmane du Tabaski, célébrée au Sénégal, tout en interrogeant le processus de décolonisation en Afrique.

Si l'on pense à la contribution africaine-américaine à l'histoire de l'abstraction à Paris, elle est essentielle du point de vue des innovations plastiques qu'elle génère chez un artiste comme l'américain Ed Clark qui y met en place son 'grand balayage' (tableaux brossés à l'aide d'un balai). Elle permet aussi d'affirmer l'origine afro-atlantique de l'expressionnisme abstrait via la culture

et les procédés du jazz, sensibles dans les collages d'artistes comme Romare Bearden ou Sam Middleton.

L'exposition permet aussi de relire l'histoire du surréalisme comme outil de décolonisation. C'est sensible notamment dans le dialogue fécond entre Wifredo Lam et Aimé Césaire. Les toiles de Lam de la fin des années 1940 lui permettent de reprendre la main sur les paysages caribéens marqués par l'exploitation coloniale, comme sur les syncrétismes religieux issus de l'esclavage. On y voit aussi l'imaginaire fantomatique du Passage du milieu habiter l'œuvre d'artistes proches de Lam à l'époque comme l'éthiopien Skunder Boghossian. Dans les peintures du cubain Guido Llinas, on décèle également la survivance d'écritures afro-atlantiques sous forme de signes, qui étaient également utilisés par les mouvements Lettriste ou CoBrA.

Beauford Delaney (1901, États-Unis - 1979, France) James Baldwin

Dernière grande expo avant le ripollinage nécessaire de Beaubourg, Paris Noir en 2025 se dévoile dans un contexte politique ahurissant qui, parle d’effort de guerre, de plus travailler et de moins toucher pour cela - comme disait Boris Vian “ Faut que les gros puissent engraisser … “, en même temps, on coupe les aides à la Culture et la Ministre concernée ( par un procès pour avoir fait la pie chez Ghosn) prône un retour à la musique folkorique et que dire alors de Richard Ferrand nommé au Conseil Constitutionnel pour absoudre Marine le Pen des ses escroqueries européennes. Quel entregent ! On voudrait nous faire vivre bol à raie qu’on ne procéderait pas autrement … Mais bon, comprendre mieux le passé permet d’éviter les mêmes erreurs, alors profitons de cet espace pour remettre en perspective l’apport de la culture black dans le paysage d’ici . Et tout son intérêt, avec Echos, est de se démultiplier dans de nombreux lieux exogènes à Beaubourg, dont voici la cartographie en lien.

Bob Thompson (1937, Etats-unis d'Amérique - 1966, Açores, Madère) The Struggle

Jean-Paul Makossa, le 31/03/2025, reportage photo Pascal Therme
Paris noir Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 -> 30 juin 2025
Centre Pompidou
Galerie 1, niveau 6 Place Georges-Pompidou 75004 Paris

24.03.2025 à 11:14

Le kaléidoscope vibrant de Rammellzee au Palais de Tokyo - éblouit

L'Autre Quotidien
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Rammellzee aura été l’artiste le plus complet de la galaxie hip-hop du siècle dernier, déployant sa vision de graf en MC, de l’écrit aux costumes, la sculpture et aux jouets, de la peinture aux installations et au cinéma avec son pote Jim Jarmush. Mort en 2010 oublié de l’establishment artistique US, cette rétrospective au Palais de Tokyo montre l’étendue de ses possibles et de ses réalisations. Go !
Texte intégral (2646 mots)

Rammellzee aura été l’artiste le plus complet de la galaxie hip-hop du siècle dernier, déployant sa vision de graf en MC, de l’écrit aux costumes, la sculpture et aux jouets, de la peinture aux installations et au cinéma avec son pote Jim Jarmush. Mort en 2010 oublié de l’establishment artistique US, cette rétrospective au Palais de Tokyo montre l’étendue de ses possibles et de ses réalisations. Go !

Alors que le « wild style » s’impose dans le graffiti pour décomposer des langages alternatifs et communautaires, pour donner un flow aux lettres statiques, RAMMELLZEE y voit une renaissance de la pratique des enluminures médiévales permettant à sa génération de reprendre le pouvoir sur les langages corrompus. Dans son traité publié en 1979, à lire comme un manifeste poétique, RAMMELLZEE déploie ses réflexions sur le langage et développe deux théories qui guideront ses recherches. Avec ce qu’il nomme le « Gothic Futurism » et l’«Ikonoklast Panzerism », RAMMELLZEE affirme qu’il est un descendant des moines du Moyen-Âge et se donne pour mission d’armer les lettres pour élaborer un langage métaphysique guerrier, contre les oppressions des mots et des signes. Pour déconstruire le langage, pour détruire les lettres existantes et leurs dominations, il faut en armer d’autres : ainsi l’ornement devient armement. Une démarche qui rejoint l’afro-futurisme de Sun Ra avec lequel il jammera aux débuts des 80‘s.

Au début des années 1980, RAMMELLZEE déploie ses recherches pour ampliffier son rapport au monde et manipule désormais le dessin, la peinture, la sculpture, la performance et la musique. Il déjoue les codes virilistes de la scène rap en développant une identité fluidifiée par un travail de costumes et de manipulation de sa voix avec un vocodeur. Il collabore notamment avec le Rock Steady Crew en tant que Maître de Cérémonie, et développe une intonation nasale, signature vocale qualifiée de « gangsta duck » qui aura une influence certaine sur les Beastie Boys, Cypress Hill ou encore MF Doom. En 1981, il est invité à figurer dans le film Wild Style de Charlie Ahearn. En 1982, il participe au New York City Rap Tour, première tournée mondiale des pionniers du hip hop américain, et passe par Londres et Paris. En 1983, Jean-Michel Basquiat produit son vinyle Beat Bop et signe le visuel de ce projet inspiré notamment par Madonna. A cette époque, RAMMELLZEE bouleverse la scène new yorkaise et inspire sa génération, en témoigne l’un des tableaux les plus célèbres de son ami et concurrent Basquiat, titré Hollywood Africans (1983), figurant les portraits de RAMMELLZEE, Basquiat et Toxic.

RAMMELLZEE s’affirme dans sa complexité et son envie de faire œuvre totale. Il participe à de nombreuses expositions, des États-Unis à Italie en passant par les Pays-Bas, et collabore avec les galeristes Barbara Braathen, Joe La Placa, Yaki Kornblit, Lidia Carrieri, Annina Nosei, Suzanne Geiss et d’autres… Les critiques Edit deAk, Sylvère Lotringer, Greg Tate et Franco Berardi écrivent sur son travail qui évite toute transparence et simplification. Une œuvre désormais souvent éclairée en lumière noire aussi politique que poétique.

RAMMELLZEE apparait dans le film Stranger Than Paradise de son ami Jim Jarmusch qui était fasciné par sa manière de penser et de créer par écho, en répétitions de gestes, de formes, de matières, de sonorités, de rythmes. Longtemps retiré dans ce qu’il nommait sa « Battlestation », lieu de vie, laboratoire expérimental en retrait et limité d’accès sauf pour les ami·e·s proches et celles et ceux qui lui ramenaient sa boisson favorite (la bière Olde English800, du nom de la typographie inspirée des manuscrits médiévaux), RAMMELLZEE meurt dans une profonde indifférence du monde de l’art en 2010. Son œuvre a depuis été exposée au Redbull Center à New York, à la galerie Deitch, au MoMA, a été récemment célébrée par le créateur Virgil Abloh et a fait l’objet d’une monographie publiée par Rizzoli.

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Conçue conjointement par le Palais de Tokyo et le Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, l’exposition « ALPHABETA SIGMA », pensée en deux mouvements, regarde le travail de l’artiste américain RAMMELLZEE (1960-2010) par les substances qui le composent. Sans vouloir prendre la forme de la rétrospective ou prétendre à l’exhaustivité, elle s’engouffre dans les méandres d’une pratique tentaculaire qui se manifeste aussi bien par l’écriture théorique et poétique, la peinture, la sculpture, la musique, la performance, le cinéma, les costumes et les bijoux… Autant d’éléments fluorescents dans la lumière noire, qui participaient à l’entreprise de guerre menée par RAMMZELLZEE contre le langage et sa violence. Une guerre qui se jouait aussi bien sur les murs des galeries d’art que dans l’espace, public ou cosmique.

L’exposition du Palais de Tokyo se focalise sur les surfaces sensibles du travail de RAMMELLZEE, tandis que celle du Capc tentera d’en faire la radiographie. La Face A porte donc notamment son attention sur les matières qui font le travail de l’artiste (l’écriture, la peinture, le spray, la résine, la lumière noire et les textiles) ainsi que ses motifs fondateurs (la lettre, la flèche et le masque) permettant à l’artiste de faire de l’ornement un armement (l’artiste utilisait le terme d’armamentation).

« MILITARY FUNCTION RAMM*ELEVATION*Z MILITARY FUNCTION FORMATION RAMM*SIGMA*LL*Z*SIGMA, SIGMA (E) THE FIRST SUMMATION OPERATOR FIRST L – LONGITUDE SECOND L – LATITUDE Z – Z-BAR E E – SUMMATION » - l’équation de l’œuvre de Rammelzee

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A peu près ahuri de tout ce que j’ai lu sur la démarche de Rammelzee qui, œuvrant à déployer son travail l‘approche de toutes les manières qui lui viennent à l’esprit -se voit traiter par la critique d’artiste allant complexifiant son travail d’étape en étape. Un peu comme si l’émergence d’une culture construite de toutes pièces , à un moment donné, se devait d’en donner des clés. On pense au David Lynch narquois “ Pourquoi s’obstiner à vouloir donner un sens à l’art, quand on s’avère incapable d’en donner un à sa vie. “ Après avoir vu l’expo au Palais de Tokyo, on en se pose qu’une question le CAPC de bordeaux va-t-il organiser des voyages pour les visites de la fac B de l’expo, à suivre bientôt. Narquois un jour , fan de hip hop le reste du temps … Allez-y, c’est magistral, insolite, prenant et ouvert .

Jean-Pierre Simard, le 24/03/2025 avec reportage photo de Pascal Therme
Ramellzee ALPHABETA SIGMA (Face A) - > 11/05/2025
Palais de Tokyo 13, avenue du Président Wilson 75116 Paris

20.03.2025 à 13:57

Réinventer le soleil avec Greentea Peng en mode combatif

L'Autre Quotidien
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Pas simple, surtout en Angleterre, d’être fille de peu - entendre par là, passer de HLM en HLM défavorisé - de Londres Sud à Hastings, et même en bord de mer. Mais cela ne change rien à l’affaire, avec des rêves en grand et une quête de sens - et de soleil ici - omniprésents. Aria Wells aka Greentea Peng retrouve et développe et la néo-soul et le trip hop de Bristol ou le dub londonien qui faisaient les grandes nuits des 90’s en version 2025. Et ça tape juste ; Tell Dem It’s Sunny avec amour, passion et ironie.
Texte intégral (941 mots)

Pas simple, surtout en Angleterre, d’être fille de peu - entendre par là, passer de HLM en HLM défavorisé - de Londres Sud à Hastings, et même en bord de mer. Mais cela ne change rien à l’affaire, avec des rêves en grand et une quête de sens - et de soleil ici - omniprésents. Aria Wells aka Greentea Peng retrouve et développe et la néo-soul et le trip hop de Bristol ou le dub londonien qui faisaient les grandes nuits des 90’s en version 2025. Et ça tape juste ; Tell Dem It’s Sunny avec amour, passion et ironie.

Greentea Peng  sort  son second album de 14 titres à la fois profondément introspectif et riche sur le plan sonore, à base de r’n’b spirituel, cru et psychédélique.  Vous pouvez chercher des correspondances autant du côté de Massive Attack que Erikah Badu ou Earl Sweetshirt, avec la culture actualisée des sound systems londoniens qui font le fond de la culture black depuis les 70’s. Elle y aborde autant la recherche de sa place dans le monde, l'essence brute de l’être humain et la relation complexe avec soi-même. Rien de très étrange puisque c’est le quotidien des gens de couleurs en Europe mais depuis peu, aussi en Angleterre avec la remontée des crétins d’extrême-droite qui essayent de récupérer les déçus du Brexit, comme Retailleau ici ou Jourdain Bordelleux en tête de gondole.

« Dites-leur ce que vous voulez. Exploration de l'auto-politique, des fils qui composent ce patchwork qu'est la vie, toute d'histoire, de pensée et d'émotion. Des hauts et des bas, des flux et des reflux. Cet album est la vague qui rejoint l'anse, une expiration, la fermeture d'un livre. Des morceaux collés de l'âme à la recherche de nouvelles pages. 

TELL DEM IT'S SUNNY, au-dessus du chemin nuageux de la recherche de soi. Merci d'avoir écouté ! » 

- Greentea Peng

Une voix d’enfant, imitant celle de sa mère, introduit le titre de l’album, nous rappelant le contexte transformateur dans lequel cette nouvelle œuvre de Greentea Peng prend forme. Le paysage sonore est humide et presque surnaturel. Des exclamations chamaniques se mêlent à des lignes de basse qui ondulent, comme la respiration profonde d’un esprit mystérieux de la jungle en repos. Greentea Peng laisse flotter une incantation sur ces notes fantomatiques, à la fois apaisante et pleine de confiance. L’invitation qui nous est faite est celle de l’inconnu, un appel à libérer de l’espace intérieur pour accueillir ce qui est à venir. un peu de l’eau qui coule sur la matière des 90’s, du connu vers l’inconnu, du pressentiment à l’accomplissement. Une maison dont chaque pièce reflète un rêve ou une merde, mais qui fait sens au fil de la visite et retrouver ses sensation en jachère, des morceaux d’oubli qui étaient bien là, mais planqués en arrière-fond et qui remontent aujourd’hui nantis d’une autre lumière. Et merci pour les putains de basse ! Super album, star en perspective.

Jean-Pierre Simard, le 24/03/2025
Greentea Peng - TELL DEM IT'S SUNNY - Greentea Peng

20.03.2025 à 13:45

Éphémère exposition boisée du siècle au Grand Palais ?

L'Autre Quotidien
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Le XIXe siècle fut celui de la fonte et de l’acier, cela a duré un siècle ; le XXe siècle fut celui du béton, cela a duré un siècle ; c’est aujourd’hui le siècle du bois et des matériaux biosourcés. C’est à chaque fois un véritable renouvellement architectural. L’architecture demeure, c’est la construction qui change ». Le 14ème Forum International Bois Construction (FBC) s’est tenu au Grand Palais à Paris du 26 au 28 février 2025. Etait-ce la plus grande exposition d’architecture de l’année ?
Texte intégral (2206 mots)

“ Le XIXe siècle fut celui de la fonte et de l’acier, cela a duré un siècle ; le XXe siècle fut celui du béton, cela a duré un siècle ; c’est aujourd’hui le siècle du bois et des matériaux biosourcés. C’est à chaque fois un véritable renouvellement architectural. L’architecture demeure, c’est la construction qui change”. Le 14ème Forum International Bois Construction (FBC) s’est tenu au Grand Palais à Paris du 26 au 28 février 2025. Etait-ce la plus grande exposition d’architecture de l’année ?

Il ne fallut pas longtemps pour trouver Philippe Madec qui incarne aussi bien l’âme du lieu que l’âme de la foire. Le stand d’(apm) & associés* n’est qu’un parmi la centaine d’agences en démonstration mais la satisfaction bonhomme de l’architecte dit tout du plaisir de l’hôte de ces bois d’accueillir le visiteur. De quelque endroit de la galerie, la vue est imprenable sur la manifestation : les cabanons des industriels, deux auditoriums au design efficace, particulièrement réussis et qui donnent envie, du monde dans les allées et l’assurance tranquille que donne la certitude de l’entre-soi des vainqueurs, la construction bois devenue une évidence.

Le paradoxe est de découvrir cette démonstration parfaitement orchestrée et emprunte de bonnes intentions écologiques dans un bâtiment, le Grand Palais, dont le seul bois utilisé lors de son édification était celui du manche à balai du concierge. Philippe Madec de remarquer : « Le XIXe siècle fut celui de la fonte et de l’acier, cela a duré un siècle ; le XXe siècle fut celui du béton, cela a duré un siècle ; c’est aujourd’hui le siècle du bois et des matériaux biosourcés. C’est à chaque fois un véritable renouvellement architectural. L’architecture demeure, c’est la construction qui change », dit-il. Soit.

Du haut de la galerie, salué par tous comme un Jedi, le héraut de la frugalité heureuse se souvient avoir démarré ses études à UP7 (Unité pédagogique d’architecture numéro 7) exactement ici, dans le Grand Palais, sous la coupe de l’atelier Ciriani/Maroti ; c’est dire si, né en 1954, Philippe Madec était prédestiné. Évidemment donc qu’il était là pour l’occasion et évidemment donc qu’il est ému de boucler dans cet endroit, quarante ans plus tard, la boucle de son engagement en faveur de la construction bois avec cet évènement qui remplit le Grand Palais et dont il est une sorte d’invité honoris causa.

Ce qui frappe en premier lieu est la profusion d’agences et de projets qui garnissent toute la galerie du Grand Palais, un mini marathon d’en faire le tour : c’est la plus grande exposition architecturale de l’année ! Certes entièrement et seulement dédiée au bois – même si la mixité des matériaux fait désormais consensus – mais plus de 100 agences sont représentées, les agences historiques de l’architecture bois bien sûr, mais encore plein de jeunes agences inconnues avec des projets vraiment intéressants ici où là, et bien sûr toutes les agences nouvelles converties, que d’aucuns s’étonnent parfois de retrouver là. Enfin les agences qui, avec leurs gros sabots en bois, volent au secours de la victoire.

Comment en vouloir aux architectes quand ce sont les maîtres d’ouvrage qui insistent sans faire la différence entre canal historique et nouveau lobby vert ? De fait, les élus locaux sont contents de se satisfaire d’une politique du bois, soutenue au plus haut niveau, qui sert de cache-misère à une authentique politique durable. Du bois, lequel ? En quels volumes ? Une industrie ? Quelle place pour les artisans et les PME ? Et l’eau ? Et l’air ? Il leur est plus aisé d’éviter les questions qui dérangent avec des symboles glorieux et démonstratifs de leur bon vouloir, telle tour en bois forcément totemique ici ou tel autre bâtiment biosoucé évidemment iconique là. Les architectes sont opportunistes, à juste titre. Ils répondent aux vœux de leur maître d’ouvrage et il y a quarante ou cinquante ans de tels forums étaient dédiés à la construction en béton et 100 ans plus tôt des foires faisaient la démonstration des bienfaits de l’acier. Les mêmes étaient déjà là et comptaient les bouses.

Pour autant, si la sortie du premier numéro de Séquence Bois date de 1994 – le magazine a fêté ses 30 ans en octobre 2024 – et les questionnements climatiques sont depuis et au fil des années 2000 devenus de plus en plus pressants, la profusion étalée au Grand Palais démontre qu’en effet le temps des pionniers, qui parlaient du Voralberg avec des bûches dans les yeux, est révolu. Aujourd’hui, une génération entière est dotée de ce savoir-faire et l’architecte qui ne sait pas construire en bois une école ou un gymnase peut devenir accompagnateur Renov’. De fait, il faut espérer que demeurent dans les écoles des ateliers bétons, des purs et durs, jusqu’au diplôme, justement pour préserver ce savoir-faire dont les architectes en France sont encore champions. Rudy Ricciotti au musée, vous allez voir qu’Henri Ciriani va finir par nous manquer…

Toutefois, le siècle est encore jeune et, pour le bois, ne pas sous-estimer l’effet passion qui perdure et qui n’est pas qu’opportunisme. À découvrir en cette galerie éphémère certains projets qui suent la dévotion, c’est à se demander comment l’agence gagne sa vie. Pour autant, des bâtiments utilisant le bois ont déjà 20 ans et, pour certains, cela se passe mieux que pour d’autres. Il demeure que le retour d’expérience est la règle pour toutes les innovations architecturales, quels que soient le siècle, les matériaux et le talent des architectes. Dont acte.

De plain-pied, les stands des industriels, en bois évidemment, font penser à une sorte de mini Batimat mais dans un site qui a de la classe et tellement lumineux que n’importe quelle manifestation en son sein y gagne en élégance. C’est ici par exemple qu’eurent lieu les épreuves d’escrime des jeux olympiques. Si ce n’est pas un bâtiment réversible… Aujourd’hui, des architectes sont venus ici chercher des solutions techniques et ils les trouvent. L’innovation accompagne la demande.

Impossible de détailler la multitude de conférences, vingt minutes chacune, qui se sont tenues au fil de ces trois jours mais le programme – facilement accessible en ligne – rend compte de la richesse des évolutions de la pensée qui sont désormais plus que de simples éléments de langage, même si ces derniers demeurent.

De fait, la question de la ressource est assez vite évacuée. Le projet de la Cité Policière de Cayenne signé Ameller Dubois, équipement bioclimatique en chantier mettant en œuvre le bois d’Angélique, essence emblématique de la Guyane, est exposé et démontre encore l’intérêt et la diversité, comme un certain nombre d’autres maquettes, de l’architecture en bois quand la ressource est locale et abondante.

La question de ce que réserve l’avenir de l’industrie du bois à l’échelle de la métropole demeure cependant posée, surtout si la demande en vient à excéder les capacités de production made in France. Quelles forêts ? Quelle reconstruction après toutes ces guerres ? Se souvenir que le pays du Cèdre, comme nombre d’îles en Méditerranée, a vu ses forêts entièrement rasées pour la construction de bateaux de guerre romains. Aujourd’hui, quand elles ont repoussé, elles brûlent… Du bois en quelle quantité ? De quelle origine ? Jusqu’à quand ? Quelle alternative au bois quand il n’y en a pas assez, ou plus, ou qu’il est juste bon à faire brûler les chats ?

Malgré la réussite de cette manifestation, demeure le souci de l’injonction comme en témoigne ce forum mono orienté à l’atmosphère chalet bienveillant finalement étouffante. Il doit – devrait – revenir à la femme ou l’homme de l’art de décider, sans a priori, quels matériaux sont les mieux adaptés au projet selon le vœu et le budget du maître d’ouvrage. Libre de ses choix sans doute, l’architecte qui sait son métier saura les combiner au mieux pour des ouvrages contemporains en symbiose avec leur environnement intellectuel et contextuel.

Enfin, ce forum, justement parce qu’il a lieu au sein de ce monument de fonte et de verre qui passe les siècles, invite à la modestie. « Il faut revenir à la diversité, à l’universel, la diversité c’est l’universel concret », convient Philippe Madec.

Christophe Leray, le 24/03/2025
Ephémère exposition du siècle au Grand Palais

* Ecouter notre Podcast #04 – Philippe Madec, de la frugalité heureuse, dit-il et en savoir plus sur l’œuvre de Philippe Madec

20.03.2025 à 13:33

La Ferme du buisson et ses spectres tactiques interpellent

L'Autre Quotidien
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La voix des morts occupe une place centrale dans les réflexions contemporaines. Les morts ont encore leurs mots à dire et leur part de travail à effectuer. Par délégation bien entendu, mais ils sont présents, car bien représentés. Une exposition collective à la Ferme du buisson interpelle le passé au présent de l’art.
Texte intégral (1078 mots)

La voix des morts occupe une place centrale dans les réflexions contemporaines. Les morts ont encore leurs mots à dire et leur part de travail à effectuer. Par délégation bien entendu, mais ils sont présents, car bien représentés. Une exposition collective à la Ferme du buisson interpelle le passé au présent de l’art.

Assoukrou Aké, Les perfection-nés et le sacrifice de maturité, 2022, acrylique et crayon graphite sur contreplaqué gravé, 366 x 244 x 6 cm, Courtesy Ellipse Art project © l’artiste et Adagp — Paris, 2025 © Photo Théo Pitout

Comment les défunts insistent-ils, à travers le temps, pour nous tenir en question ? La voix des morts occupe une place centrale dans les réflexions contemporaines, qu’elles soient artistiques, littéraires, dramaturgiques, philosophiques, notamment chez des artistes qui articulent des appartenances diasporiques, transculturelles ou minoritaires. Orienté autour de la notion d’hantologie, pour citer le néologisme du philosophe Jacques Derrida dans son ouvrage Spectres de Marx, ce projet s’attache à présenter des œuvres ou des interventions qui portent en elles des voix du passé.

À travers elles s’expriment les irréconciliables contradictions dont nous héritons : des mirages de la modernité aux cendres du continuum colonial. S’il n’existe qu’un présent trouble et lourd de complexités dans lequel nous naviguons, les pratiques d’ancestralité ou de généalogie nous enseignent comment nous construire des lignées affectives et intellectuelles à travers le temps et entrer en conversation avec les spectres qui nous entourent.

Interpeller le passé au présent de l’art, lutter contre l’abêtissement proféré par Bolloré et consort…  A voir pour éviter de se laisser piéger par les diffuseurs de malheur.

Bill Prokosh, le 24/03/2025
Exposition collective - Tactical Specters -> 13/07/2025

La Ferme du Buisson Allée de la Ferme Noisiel 77186 Marne-la-Vallée

Chiara Fumai, I Did Not, 2020 — Installation, CAC Genève Courtesy de l’artiste

Avec les artistes Assoukrou Aké, Nils Alix-Tabeling, Vir Andres Hera, Chiara Fumai, Coco Fusco, Hamedine Kane, Belinda Kazeem-Kamiński, Élise Legal, Joshua Leon, Anne Le Troter, Anouk Maugein et Lorraine de Sagazan, Jota Mombaça, Publik Universal Frxnd, Samir Ramdani et Euridice Zaituna Kala.

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