Lien du flux RSS
Réveiller l'espoir en un monde plus beau, plus juste et plus vivable.

Abonnés Articles en accès libre Hebdo Articles

▸ les 20 dernières parutions

15.09.2024 à 19:40

Marine Rouit-Leduc nous invite dans son Chromaverse au studio Meaningful

L'Autre Quotidien

img
“ Chromaverse est une expérience immersive basée sur la recherche des couleurs de la lumière. Elle évoque un univers magique et parallèle pour mieux comprendre la relation étroite entre la lumière colorée et l’architecture. Conçues comme une odyssée perceptive en 4 chapitres, les peintures nous emmènent de la lumière artificielle à la lumière naturelle, d’un espace intime à la nuit étoilée à l’extérieur, en suivant un disque mystérieux qui semble nous montrer le chemin.”
Texte intégral (2465 mots)

“ Chromaverse est une expérience immersive basée sur la recherche des couleurs de la lumière. Elle évoque un univers magique et parallèle pour mieux comprendre la relation étroite entre la lumière colorée et l’architecture. Conçues comme une odyssée perceptive en 4 chapitres, les peintures nous emmènent de la lumière artificielle à la lumière naturelle, d’un espace intime à la nuit étoilée à l’extérieur, en suivant un disque mystérieux qui semble nous montrer le chemin.”

Chromaverse
expérience en Réalité virtuelle
Production Meaningful 2024
11 minutes
Expérience solo, assise
Casque : Meta quest 3
Avec le soutien du centre national pour le cinéma et l’image animé – CNC

Il s’agit bien de créer de nouveaux outils de communication et de partage, au sein d’une communauté tournée vers cette nouvelle technologie immersive d’un monde virtuel ouvert aux expériences multi-sensorielles, ici ce film en 3 dimensions, où le spectateur peut regarder en haut, en bas, devant et derrière lui. C’est ainsi que la proposition immersive est enveloppante, spatiale, ludique, atemporelle…. une curieuse impression de flottement, d’hypnose, est alors crée par le dispositif de la 3D, dans la simulation d’un voyage paisible et relaxant, dans un univers qui s’ouvre, tandis que la voix féminine, chaude, persuasive, active une sorte d’envoutement auquel on se laisse glisser heureusement dans un certain lâcher-prise, comme si nous étions dans une autre réalité, un monde pur, sans contrainte, au delà du réel.

Les occasions de vivre une œuvre en réalité virtuelle ne sont pas si fréquentes. C’est pourquoi, Chromaverse, le film de Marine Rouit-Leduc, d’environ onze minutes est un exercice assez remarquable de conciliation entre une odyssée de la couleur, comme si nous étions aux premiers jours de la création et de la naissance de l’Architecture, ici les colonnes doriques de l’Acropole, ou, dans une référence plus cinématographique, un peu sur les épaules du Kubrick de 68, 36 ans après 2001, autre odyssée, dans un scénario qui évoque la naissance du premier outil, cet os qui devient arme, tandis que deux tribus de primates se disputent un point d’eau et s’affrontent en plein désert, au plus fort du soleil et de la chaleur, désert au sable ocre jaune. Le soleil est à son apogée, il brûle cette scène primitive de sa lumière puissante. Nous sommes à l’aube de l’humanité.

Ainsi s’illustre la proposition de Marine Rouit-Leduc, le monolithe noir kubrickien devient ici un disque de lumière, obscur ou lumineux, mystérieux, qui semble montrer le chemin à travers ce voyage quasi initiatique de la naissance de la lumière à cette architecture classique des colonnes doriques. Nous remontons à l’origine de la civilisation grecque au VII ème siècle, ou selon Vitruve, Doros, fils d’Hellenos, accorda les proportions de la colonne à celle de la mesure d’un pied, multiplié par six; quel que fut le diamètre de la colonne à son pied, ils donnèrent à la tige, y compris le chapiteau, une hauteur égale à six fois ce diamètre. Que met en scène  Chromaverse, le film de Marie Rouit-Leduc, si ce n’est, sans doute ce retour à la première colonne dorique, au temple d’Hera à Olympie, comme essence et métaphore de toute architecture en son devenir, proposition au couplage intéressant avec cette lumière physique et son spectre lumineux, vue ici, dans ses rouges, verts, bleus, (RVB l’espace colorimétrique des films cinéma et photo), puis Cian, Magenta, jaune et Noir (CMJN, espace colorimétrique de l’imprimeur), après une traversée de l’ombre de la nuit en Noir et Blanc.

Chomaverse - expérience en Réalité virtuelle
Production Meaningful 2024
11 minutes - une œuvre de Marine Rouit-Leduc

Curieusement, par un effet miroir, alors que nous glissons sur l’eau et que les colonnes se reflètent à l’infini, ce voyage sur l’eau séduit, portant cette fluidité du temps dans sa dimension onirique; la réverbération et les reflets mouvants, accordent les deux dimensions, le sujet et son reflet pour induire une dimension plus subtile, dans la préhension de l’illusion et de la vérité, de la réalité. Sommes nous bien sur de ce qui parait et de ce qui s’anime devant nos yeux, même si nous sommes, à cet instant dans un film en 3 dimensions, guidé par cette voix à la profondeur envoutante de Sara Verhagen, quels liens le monde des apparences tisse t-il avec ce que nous reconnaissons comme tangible et vrai, au cœur de l’expérience sensorielle, de la re-connaissance de ce qui, fait réalités.

Le film me semble issu de ce glissement, de ce voyage aux sources des réalités secrètes qui se dévoilent. On pense à Marienbad et à l’envoutement secret du film de Resnais sur le texte d’Alain Robbe-Grillet, dans ce glissement progressif et immersif de ce qui s’apparente à une dimension parallèle, voire à un voyage de l’Autre côté du miroir, à une traversée des jardins mémoriels de Marienbad et ces échos de vie qui n’ont cessé d’émettre cette vibration encore active. La dimension introspective du film laisse entendre la proposition inavouée de ce voyage intérieur, dans cette zone de la conscience où le sujet se déplace comme dans un rêve éveillé, d’où, pour une part une relation ouverte avec le somnanbulisme actif et l’écriture automatique des surréalistes.

Si nous n’avons jamais vécu en rêve, ici secondé par un piano cristallin, quelques notes seulement détachées, répétitives, doublées d’un synthétiseur à la voie profonde et calme, assumant une Harmonie apaisante au film, paré du songe, par quelle autre expérience immersive serions nous conquis, serions nous prêts, si nous n’étions pas de bons rêveurs, prêts à lâcher la barre de la conscience, sans angoisse, à nous prêter à l’expérience de nous laisser aller au fil de l’eau, de la rêverie, du voyage qui démarre…, alors que le passage de la nuit se fait et que le cercle lumineux qui nous précède se mue en un cercle d’eau bleue matricielle, mer de toutes les mers, et que s’active sa correspondance avec l’horizon…. La musique, l’espace sonore, le climat sont signés Jean-Philippe Jacquot, Romain Benitez, dans une volonté d’accompagnement et de design soft, proche des sonorités utilisées pour la relaxation, design qui, loin de pouvoir être considéré négativement, se prête au jeu du film.

Alors que nous étions dans la caverne platonicienne, dans ce voyage de l’obscur, à la naissance de l’Architecture, survient le plafond du ciel et  le rayon du premier soleil … que génère cette architecture, elle même lumière pétrifiée, comme il en fut précédemment dans la Haute Égypte, des obélisques, traits d’union entre le Ciel et la Terre, conducteur d’énergies, question qui reste assez ouverte dans la suggestion portée par le film jusqu’à sa fin, s’apparentant pour ma part à un conte initiatique dans sa portée méta-physique.

La sortie dans la nuit, le retour dans le ciel aux étoiles majeures annonce cet horizon ou renait au lever du jour, ce soleil rouge et flamboyant, (et là on pense bien sur aux impressionistes et à Turner…) comme une re-naissance au jour qui vient dans un renouvellement re-créé le monde et le renouveler dans sa dimension ontologique…voire orphique. Chromaverse nous amène à cet état de contemplation et de philosophie, de joie intérieure, devant le spectacle renouvelé de la naissance du jour, de la montée de la lumière de l’assomption généreuse de cette mécanique céleste qui a toujours ravi l’Homme depuis les temps immémoriaux; ainsi pourrait-on re-vivre ce voyage en s’accordant le privilège symbolique de percevoir et de ressentir ce glissement des images dans leur maille sonore vers une forme d’apocalypse (sens étymologique: révélation) , d’interprétation super-naturelle, c’est à dire sur-réelle, voire sur-réaliste, dans la mesure où Chromaverse pourrait prétendre à cette récupération de toute une force psychique tournée vers cette cosmogonie liant les couleurs de la Lumière, son spectre à l’énergie créatrice qui fit surgir l’architecture sacrée des temples et l’invention de la colonne dorique.

« Rappelons que l’idée du surréalisme tend simplement à la récupération totale de notre force psychique, par un moyen qui n’est autre que la descente vertigineuse en nous, l’illumination systématique des lieux cachés et l’obscurcissement progressif des autres lieux, la promenade perpétuelle en pleine zone interdite et que son activité ne court aucune chance de prendre fin tant que l’homme parviendra à distinguer une flamme d’une pierre… » André Breton, second manifeste du surréalisme.

Dans l’Interview ci dessus Marine Rouit-Leduc  s’exprime sur la genèse du film et son implication artistique, comme aussi sa fabrication.

Chromaverse, oeuvre de Marine Rouit-Leduc est une expérience esthétique, ludique et éducative en Réalité virtuelle.

11 minutes - Production Meaningful 2024

Expérience solo, assise avec casque : Meta quest 3

Avec le soutien du centre national pour le cinéma et l’image animé – CNC

Production & direction artistique : Stéphane Maguet

Scénario : Alice Lepetit, Marine Rouit-Leduc, Jennifer Tytgat

Direction artistique et programmation Unreal : Maxime Neveu

Modélisation 3D et lumières : Yvan Mathieu

Musique et sound design : Bonjour Lab, Jean-Philippe Jacquot, Romain Benitez

Comédienne voix Off : Sara Verhagen

https://meaningful.fr/

Pascal Therme, le 16/098/2024
Marine Rouit-Leduc - Chromaverse
Studio Meaningful 11, rue Saint-Luc 75018 Paris

15.09.2024 à 19:27

Les caméos de Grandville : Lucky Luke, Gaston, Blacksad ou Spirou… ont tous passé le casting de Bryan Talbot

L'Autre Quotidien

img
Force majeure conclut les aventures de l’inspecteur Archie LeBrock façon feu d’artifice en liant passé et présent dans sa plus grande enquête. Mais cette fin, pleine de surprises et de références cachées, n’est sûrement pas celle de l’univers de Grandville.
Texte intégral (3220 mots)

Force majeure conclut les aventures de l’inspecteur Archie LeBrock façon feu d’artifice en liant passé et présent dans sa plus grande enquête. Mais cette fin, pleine de surprises et de références cachées, n’est sûrement pas celle de l’univers de Grandville.

Vous pensiez que les apparitions de Stan Lee dans les films Marvel (et autres) étaient la plus longue série de caméos pour les geeks ? Attendez de lire les 5 volumes de Grandville et de vous plonger dans les pages de notes illustrées à la fin. 

Avec cette série Bryan Talbot arrive non seulement à proposer des enquêtes à tiroirs qui font appel à l’intelligence des lecteurices, des albums qui misent sur l’aventure portés par une patte graphique dynamique et le fil rouge d’une romance au long court mais l’auteur britannique parsème aussi ses albums d’un humour référencé et ludique. 

Si le dessinateur aime utiliser des accessoires, costumes ou objets pour créer ses albums, si on sent les décors réels derrière certains de ses albums réalistes réalisés avec sa femme Mary Margaret Talbot ; dans Grandville, il convoque des références bien plus larges, du cinéma à la publicité, de la peinture à la presse et le 9e art. 

Comme il nous l’expliquait en interview l’an dernier : « Je pense que cela rend les histoires plus riches : le lecteur peut toujours relire l’histoire et trouver quelque chose de nouveau. En définitive, c’est l’histoire qui compte et j’essaie d’inclure ces références de manière à ce qu’il ne soit pas nécessaire de les reconnaître pour apprécier l’histoire. »

À l’occasion de la sortie du cinquième volume —inédit en France— je vous propose de nous pencher sur les clins d’œil récurrents aux personnages de bande dessinée, au milieu des références érudites, citations et autres easter eggs. 

« Ne vous approchez pas du blaireau : il mord. »

Cette phrase prononcée par M. Sherman au docteur Watson venu chercher un chien pour Sherlock Holmes dans Le Signe des quatre aura orienté Bryan Talbot dans son choix animalier.

Mais pas seulement, il explique dans la postface du premier volume de Grandville :  « Je voulais en outre un protagoniste qui, en plus d’avoir les talents de déduction de Sherlock Holmes, serait tenace à l’extrême et capable, à l’occasion, d’être féroce. Ces deux derniers attributs correspondaient clairement, pour moi, à un blaireau. Le Blaireau est le personnage le plus actif et le plus intelligent du Vent dans les saules (1908), une autre grande influence de Grandville. C’est le grand gaillard qui règle tous les problèmes. Je voulais aussi un personnage de la classe ouvrière, et les blaireaux sont du type pragmatique et terre à terre qui semble correspondre à ce rôle, comme dans la série de livres pour enfants des années 1960, Bill Badger par “BB”. »

Et pour peupler son univers animalier autour de ce blaireau proche d’un Holmes, le dessinateur s’amuse à emprunter certains caractères à la bande dessinée et en particulier la BD franco-belge pour mettre en scène cet empire napoléonien. Dans cette uchronie steampunk, Paris est devenue Grandville et les enquêtes se succèdent permettant à l’auteur de marier références artistiques et littéraires avec des scènes d’actions épiques, des moments intimes autour de son héros avec des complots au cœur de cet Empire français tentaculaire. 

Les héros de la Franco-belge, citoyens de Grandville ? 

À la manière des fables d’Ésope ou de La Fontaine, les caractères de chaque espèce reflètent surtout les qualités et défauts de nos semblables, l’univers de Grandville permet d’aborder des problématiques sociales et politiques contemporaines en restant très ludique. Et l’auteur joue sur les stéréotypes induits par les animaux pour mieux les renverser, dépasser les clichés et nous surprendre. 

On peut voir un lien avec Blacksad et Canardo justement présentés dans « le fameux musée de cire de Mme Tussaud à Grandville » dans la section des détectives célèbres. En plus du clin d’œil, l’auteur intègre ces autres héros comme si ces fictions anthropomorphes faisaient partie d’un univers partagé puisque pour LeBrock ils sont aussi réels que son mentor Stamford Hawksmoor dont nous allons reparler.

Côté figuration on en trouve des dizaines, de Bécassine à Donald Duck en passant par Milou, d’autres ont un petit rôle comme Spirou, Gaston, Lucien. D’autres ont carrément des répliques comme Astérix & Obélix ou Mortimer et certains sont des personnages prenant part à l’intrigue comme Lucky Luke ou plutôt Chance Lucas. 

Ces bonus de fin dévoilent aussi les coulisses de la création, les réflexions de l’auteur et les questions artistiques tout au long de la série —en plus de ces petits kifs. Je vous mets des extraits plus généreux en fin d’article (sauf du T5 pour les spoils)

Pour la fin (ou presque) de Grandville, Bryan Talbot livre ses secrets ? 

Ce tome cinq est plein de secrets & rebondissements, il fait également le lien avec tous les autres & nous pousse à relire les précédents pour ne rien manquer, aussi on ne peut pas trop en dire sans spoiler —l’édition anglaise avait même un film plastique pour empêcher les spoils en librairie— et il serait dommage de se gâcher les bonnes surprises de ce volume.

Mais nous pouvons parler d’un personnage, Stamford Hawksmoor, mentor de l’inspecteur Archie LeBrock, que l’on découvre dans Force majeure sous les traits d’un aigle sévère et qui sera le héros du prochain livre de Bryan Talbot : The Case of Stamford Hawksmoor.

Un album prequel qui se passe 23 ans avant le début de Grandville. Au moment où l’Angleterre fait encore partie de l’Empire français et que le pays est en proie à une série d’attentats. On a hâte. 

Et Byron Turbot dans tout ça ? L’alter ego de l’auteur en poisson étonnant se met en scène comme écrivain de « véridiques enquêtes policières de “Stoatson du Yard” », un peu comme Watson avec Holmes, Turbot avec LeBrock ou avec Hawksmoor pour boucler la boucle ? 

« Je pourrais écrire les vôtres ! Imaginez un peu ! Toute une série sur l’inspecteur détective LeBrock ! Ça rapporte bien, vous savez. » Hum Élémentaire, mon cher Watson (on rappelle que cette citation de Watson n’existe pas…) Ou peut-être pas, LeBrock n’a pas le temps. Nous oui ! 

Thomas Mourier, le 14/09/2024
Bryan Talbot - Grandville-Delirium (5 volumes dispo) 
Tous les visuels sont © Bryan Talbot / Delirium

Vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués sur le site Bubble, en cliquant sur les liens.

15.09.2024 à 19:08

L'essentiel de Kerangal par un Jour de ressac

L'Autre Quotidien

img
Le Havre comme plaque tournante du trafic de mémoires, et comme démonstration du pouvoir d’inquiétude et d’antidote de la littérature. Un roman essentiel.
Texte intégral (4305 mots)

Le Havre comme plaque tournante du trafic de mémoires, et comme démonstration du pouvoir d’inquiétude et d’antidote de la littérature. Un roman essentiel.

J’ai reçu l’appel vers quatorze heures, je venais de rentrer, j’avais encore mon manteau sur le dos et mon sac contre la hanche, lourd, une pierre, je l’ai fouillé sans trouver mon portable, j’ai même fini par le vider sur la table de l’entrée qui nous sert de dépotoir, mais rien, je me suis figée, l’appartement était désert, les vibrations du téléphone parfaitement audibles quand leur source, elle, me semblait lointaine, insituable, j’ai tâté mes poches qui étaient profondes et basses, pleines de petits papiers froissés, de miettes, de copeaux, j’ai senti le boîtier pulser sous mes doigts à travers l’étoffe, et quand je l’ai enfin saisi, l’écran affichait un numéro de téléphone fixe, indicatif 02, l’Ouest, j’ai décroché, un homme s’est présenté comme « officier de police judiciaire » et a demandé à me parler, j’ai dit c’est moi tout en me dirigeant telle une automate vers la chaise la plus proche car le sol, déjà, roulait sous mes pieds, et là, une fois assise, j’ai écouté celui qui, usant du parler neutre et factuel propre à ceux qui appliquent des procédures, m’intimait de me présenter au commissariat du Havre : nous aimerions vous entendre dans le cadre d’une affaire vous concernant.
J’ai balbutié : quoi ? quelle affaire ? Le policier m’a déclaré que le corps d’un homme avait été retrouvé il y a deux jours sur la voie publique, au Havre, un individu non identifié, que j’étais censée pouvoir fournir des informations, qu’il fallait que je vienne. Devant moi le couloir s’incurvait, pareil à une piste de bobsleigh. J’éprouvais une telle sensation de vitesse que j’ai cherché un point fixe où accrocher mes yeux – le logo Nike d’une basket bourrée de papier journal qui séchait sous le radiateur, une poignée de porte en bakélite, un losange sur le tapis. Le policier m’a demandé de venir au commissariat du Havre le lendemain à neuf heures, il voulait m’auditionner, j’ai répondu d’accord, on a raccroché, et le temps s’est aussitôt rompu contre mon oreille, crac, cassé en deux, matin et après-midi désormais inconciliables, et si divergents, déjointés, étrangers l’un à l’autre, qu’ils étaient devenus incapables d’assembler une même journée, celle que j’étais pourtant en train de vivre.

Après quoi le silence a durci dans la pièce comme du plâtre à l’air libre et je suis restée sans bouger, sans force, impuissante à ralentir le flux de questions qui se formait en moi, des questions que j’aurais dû logiquement poser au policier si je n’avais été tenue à distance par sa plate autorité, interloquée, et m’efforçant de trier les données contenues dans sa phrase : corps d’un homme, voie publique, Le Havre. C’est d’ailleurs d’entendre ce nom, Le Havre, c’est de l’isoler tel un peit grain dans mon oreille qui avait fait basculer l’appel, lui avait donné sa frappe sourde, car – mais le policier le savait-il ? – j’ai vécu dans cette ville, j’y ai poussé comme une herbe folle jusqu’à atteindre ma taille adulte, ainsi que les dents, les pieds, le cœur et les poumons qui vont avec. Ce que j’avais en commun avec l’homme que l’on avait trouvé, a minima, c’était Le Havre.

Recevoir l’appel soudain d’un officier de police judiciaire à propos de la découverte du corps d’un homme – alors que l’on a, a priori, absolument rien à y voir et que, presque littéralement, l’on tombe des nues – à de quoi ébranler tout un chacun ou toute une chacune. Mais lorsque cet appel provoque, qui plus est, l’irruption sur la scène de la ville de votre enfance, quittée depuis si longtemps dans des circonstances peut-être équivoques, entraînant une formidable montée du souvenir, pour le meilleur ou pour le pire, la ville du Havre (qui résonnera nécessairement avec celle de Joseph Andras et de D’ de Kabal plus qu’avec celle de Philippe Huet) devient le mystérieux catalyseur de la gestation d’un point de bascule, dont on ne saura qu’in fine s’il provoquera le cataclysme redouté, ou non. Tout l’art de Maylis de Kerangal, et il est à nouveau très grand ici, est de nourrir ce feu potentiellement dévorant de l’anticipation du pire, avec le bois brûlé de la mémoire et du détail révélateur, pour de nous placer au cœur de ce déroutant déséquilibre de la raison et des sentiments.

Au Havre le jour se levait. Une petite pluie fine hachurait la ville de biais. Un texto de Maïa s’est affiché sur mon portable à l’instant où j’ai poussé la porte du Terminus, le bar-tabac en face de la gare : t’es où ? Je me suis tournée vers la déco en rouge et noir, le dallage gris, les grands miroirs où se reflétaient quelques clients aux yeux ralentis sur des grilles de jeux et des verres d’alcool fort, et moi parmi eux, chiffonnée, mon barda sur la hanche.
Derrière le bar, la serveuse actionnait la machine à café avec cette énergie disproportionnée qui tient de la détresse et qui tient de la rage, ses cheveux grisonnaient et sa peau s’était creusée mais je l’ai reconnue, imbriquée dans le comptoir, les épaules pointues, le buste étroit sous le chemisier de service usé jusqu’à la corde, le biceps tatoué sur le bras maigre, les ongles cassés, elle est là depuis toujours, elle a toujours été là, j’ai cherché son regard quand elle a flanqué ma tasse sur le zinc, je me suis dit qu’elle allait peut-être me reconnaître, j’étais quand même pas mal venue ici, au Terminus, mais non, elle a enchaîné sans un mot et recommencé à travailler le dos tourné à la salle, sans un regard non plus pour les lycéens qui occupaient la banquette, qui traînent et s’accolent ici depuis que les banquettes et l’adolescence existent, et ceux-là avaient beau être penchés sur leur portable à scroller, à follow, à follow back, à liker des stories, c’était toujours la même scène, la même scène exactement – et moi parmi eux, vêtue du duffle-coat rouge de mes quinze ans -, c’était les mêmes corps agglutinés en essaim et stylisés comme des papillons, quitte à porter des baskets à plateau multimatière, de fausses casquettes Gucci et des piercings aux arcades sourcilières. L’un d’entre eux avait mis son portable en mode haut-parleur suivant un usage récent et franchement pénible, une voix sonorisée se mêlait aux leurs, starfoullah j’ai le covid, elle claironnait, si bien que le vieux punk qui lisait Paris-Normandie à la table voisine s’est levé aussitôt pour aller se coller près du bar.
Dehors le vent forçait, le crachin fouettait les vitres par intermittence mais personne dans la salle ne réagissait aux variations tapageuses de la météo, ni ne risquait un œil vers les chars ultrarapides qui fonçaient à travers des campagnes marronnasses, vers les êtres humains entassés dans les caves et les immeubles démolis qui occupaient à tour de rôle le vaste écran plat accroché au mur, images muettes que soulignait, indifférent, un ruban d’actualités obnubilé par Harry et Meghan. J’ai acheté des cigarettes. Je cherchais quelque chose à répondre à Maïa qui insistait, tenace : t’es où ? tu fais quoi ? J’ai tapé « rancard boulot / retour ce soir », et fourré le portable dans ma poche – je ne sais pas pourquoi je lui mens.

Pour ce « Jour de ressac » (ressac : « retour brutal des vagues sur elles-mêmes lorsqu’elles ont frappé un obstacle », nous affirme le Robert, mais qui vient bien de l’espagnol resacar – tirer en arrière – nous rappelle le Larousse), publié en août 2024 chez Verticales, Maylis de Kerangal mobilise comme elle en a le secret,  au moins depuis « Corniche Kennedy » (2008) et « Naissance d’un pont » (2010) – avant la consécration de « Réparer les vivants » (2014) -, un matériau romanesque qui dissimule souvent sa puissance pour mieux faire vivre un rusé jeu de correspondances subtiles.

Dans le cheminement tour à tour certain ou incertain du souvenir, Le Havre s’affirme logiquement nexus et plaque tournante, et pas uniquement de toutes sortes de trafics contemporains, inquiétant des autorités policières où se distinguera le jeune Zambra (qui n’est pas le Zangra de Brel – ou de Buzzati – bien que semblant, lui aussi, attendre un ennemi). En croisant de manière lancinante le passé de bombardements (le Mike Davis de « Dead Cities » n’est pas très loin – lui qui savait bien ce qu’est une cité de quartz), celui des ruines sous le signe de Stig Dagerman et de son « Automne allemand » (ce choc personnel de Lorientais, à la page 155, lorsque je me suis revu, plus jeune, défendant tant bien que mal – ou excusant – l’esthétique reconstruite à la diable, après 1945, de ma ville natale) et le présent de réfugiés fuyant devant les guerres (et leurs ruines tout à fait contemporaines, elles), qu’elles soient civiles ou d’agression (le récit du naufrage du 24 novembre 2021 est ici un tournant, comme l’était d’emblée le choix du « Burn after reading » (2008) des frères Coen comme film potentiellement fatal), Maylis de Kerangal nous offre une souveraine alchimie, où les tours et détours du doublage des voix (on y entend les mots et les silences d’un Peter Szendy, celui de « À coups de points » comme celui de « Sur écoute »), et dans laquelle la moraine de Kiruna n’est peut-être au fond pas si éloignée de la plage de galets du quai Nord.

« Tout se passait comme si la lubie de l’enquête s’était emparée de moi » : là où Luc Boltanski menait justement dans « Énigmes et complots » son enquête à propos d’enquêtes, « Jour de ressac », avec brio manifeste et ferveur discrète, orchestre l’attente du pire surgi du passé pour mieux annihiler dans une douceur paradoxale la tentation de l’explosion. Éclatante démonstration du pouvoir de la littérature comme inquiétude et comme antidote, servie par une langue enchâssant merveilleusement les différents possibles, ce roman se fait essentiel. « Y penser avait fini par prendre la forme d’une ville, d’un premier amour, la forme d’un porte-conteneurs ».

Tu es dingue, c’est ce que je me suis dit, debout sur la plage, face à une mer courte, hérissée, une mer de fer et de silice. Des cailloux, des cailloux partout. J’ai balisé ce parterre aux faux airs de land art où j’avais tant de fois galéré à étaler ma serviette, déblayant une à une les pierres qui meurtrissaient mes omoplates afin de bronzer en bikini, frissonnante mais stoïque sous une barbe à papa de nuages, faisant comme si mon rivage n’était pas ce pierrier de silex mais une station balnéaire de palaces et de palmiers, de casinos et d’ambre solaire, de Fantômettes voleuses de bijoux, de princes déchus et de vieilles gloires d’Hollywood, ce que cette plage n’aura pas été bien longtemps, malgré son hôtel Frascati ou son Nice-Havrais, abandonnant ces architectures et ces personnages à la rive d’en face, à la Côte fleurie, aux riches qui savent nager, misant tout sur le port industriel, les raffineries et les chantiers navals, sur l’outil de travail, et de fait, la plage du Havre est populaire, elle est portuaire et municipale, les familles y descendent en cortège depuis les quartiers du plateau, elles vont à la mer, elles vont à la cabane, les enfants ont la bouée autour du ventre, ils courent sans attendre vers le clapot, au risque de se perdre dans la foule puisque à marée basse, s’il fait soleil, c’est une multitude qui envahit l’estran, des milliers de corps se floutent dans la brume de chaleur, la clameur monte, une nappe suave et bourdonneuse, et ce bruit-là est bien l’un de ceux que je préfère, celui qui dit la turbulence et l’allégresse, la récréation et les joies premières, la révélation de la peau, la rencontre du sable qui déconcerte, évoque la soie et rappelle la boue, d’autant que ces jours-là la hiérarchie sociale se dénude et se couche, elle se met à plat, et ce n’est pas qu’elle soit abattue pour de bon, non, faut quand même pas rêver, mais elle perd toute verticalité, elle s’étale, des plus modestes côté digue aux plus cossus côté cap, partage du sensible, échantillon réparti d’est en ouest selon des revenus croissants, quand c’est bien un même cordon de galets sur lequel on se pose, et qui fait mal au cul.

C’est ici un rivage de galets plus ou moins gris, différemment calibrés mais issus d’une même histoire lithique, une histoire de temps long, de temps déraisonnable – sédimentation, dissolution, migration. Une chape minérale perforée de cavités obscures où stagne de l’eau croupie, lisérée de laisse de mer, semée de bois flottés et d’algues noires aussi friables que du papier brûlé, souillée d’ordures humaines en décomposition, habitée de cordelles et de puces de sable, et recouverte çà et là d’une flore bizarre, entre le cresson rouge et la roquette jaune. Des jours comme aujourd’hui, sous la flotte de novembre, la plage prend l’aspect hostile d’un réservoir à projectiles, d’un silo à boulets, et suggère la guerre qu’elle a bien connue, mais la plupart du temps, c’est une scène hyper vivante, ouverte, baignée d’une lumière de peinture, un plateau où s’enchevêtrent les rythmes sur lesquels les humains n’ont pas encore de prise, celui de la lune et celui des nuages, celui de la boule et celui de l’érosion, la durée nécessaire pour qu’un éclat de silex devienne un galet ou celle qui suffit à faire fondre un esquimau dans la main d’un enfant.
Je marche sur les cailloux et le sol bouge sous mes pas. Il roule et se fragmente, il rague dans un bruit de chaînes lourdes. Il faudrait que j’accélère pour ne pas tomber, que je me lance, effleurant la surface de la pointe des pieds pour rebondir d’un galet à l’autre, hop, hop, exactement comme je courais ici, enfant, les cuisses fraîches, un crabe au creux de la main. Mais je vais lentement, les chevilles tordues et les pieds lapidés ; je cherche quelque chose, une pierre – sachant que chercher une pierre sur une plage de galets est de la folie douce.
En la voyant sur les photos que le jeune policier m’a montrées ce matin, j’ai pensé à un morceau de charbon, noir, luisant, du cardiff. Des pierres souillées de cambouis, on en trouve pas mal sur ce littoral que fréquentent les supertankers, les vieux pétroliers à coque rouge et les méthaniers dernier cri qui sortent chaque semaine des chantiers sud-coréens de Pusan, on s’en éloigne, on les évite, n’y touche pas, ça colle, c’est dégueulasse. Elle marque l’endroit de la plage où l’on a retrouvé l’homme mort en contrebas de la digue Nord, semblable à un naufragé échoué sur le rivage.
J’avance vers la digue, à chaque enjambée, un petit éboulis, un microglissement de terrain efface mes repères tout autant qu’il bousille mes boots, si bien que, pariant sur ma chance, j’ai fini par m’élancer au hasard, les yeux au ras de la caillasse.

Hugues Charybde, le14/09/2024
Maylis de Kerangal - Jour de ressac - éditions Verticales

l’acheter chez Charybde, ici

08.09.2024 à 11:59

Inspirations #72

L'Autre Quotidien

img
De retour chez lui il s'était mis à boire tout en lisant un livre de Gorki dans l'espoir que la combinaison des deux toxiques lui ferait perdre conscience. Chester Himes, La fin d’un primitif
Lire plus (491 mots)

L’image du jour

Neil Kenlock

L'air du temps

Le haïku sur la tête

Une fleur sur la berge, au bord du cours d’eau
Sa couleur bleue pâle est celle de la voûte céleste
Toutes les vagues viennent l’embrasser
Toutes les vagues repartent et l’oublient

Ueda Bin

L'éternel proverbe

Il ne faut pas montrer les fautes d'autrui avec un doigt sale.

Proverbe italien

La phrase qui nous parle

C'est qu'ils n'admettaient simplement pas que je puisse avoir les mêmes sentiments. Ils continuaient à voir un rapport entre moi et l'Afrique. Mais je n'étais pas né en Afrique. Je ne connaissais personne qui y soit né. J'avais appris, au cours d'histoire, que mes ancêtres étaient des esclaves importés d'Afrique. Mais j'avais oublié cela, comme les aristocrates - les sang-bleu d'Amérique - avaient oublié ce qu'ils avaient appris au cours d'histoire : que la plupart de leurs ancêtres était la lie de l'Europe - des voleurs, des bannis, des mendiants, des hors-la-loi.

Chester Himes - S’il braille, lâche-le

06.09.2024 à 13:01

Marie-Pierre Brunel croque le fantôme de ton sourire

L'Autre Quotidien

img
Poétiques et militantes, imposant le parfois difficile apprentissage de la sororité comme thème central, tout en proposant une vision nuancée et inclusive de la féminité et du genre, les œuvres de Marie-Pierre Brunel révèlent une artiste en feu, résolument contemporaine.
Texte intégral (1217 mots)

Deux ans après La réminiscence des pierres, Marie-Pierre Brunel revient hanter les murs de la galerie Arts Factory avec The Ghost of your Smile, une fulgurante série de peintures à l'huile inspirées par les fantômes tapis au plus profond de nous ; deuils, amours perdus ou amitiés délitées ...

Marie-Pierre Brunel - série The ghost of your Smile

Entre nostalgie et mélancolie, ce corpus d'œuvres récentes évoque une présence à la fois tangible et évanescente. Il suggère le souvenir persistant de moments heureux, incarnés par un sourire qui, bien que disparu, continue d’exister dans notre mémoire. Sous les drapés et les jeux de masques où s'entremêlent douleur et douceur, ce sourire réconfortant vient nous rappeler avec bienveillance la beauté qui a été.

À la fois sinueux et singulier, le parcours de Marie-Pierre Brunel ne cesse de surprendre par son évolution. Dotée d'un solide bagage technique après un double cursus à l'École Européenne Supérieure de l’Image d’Angoulême puis aux Beaux-Arts de Marseille, un long séjour au sein des éditions Le Dernier Cri et un passage par l’atelier du plasticien Damien Deroubaix, elle s'affirme à 39 ans comme une artiste des plus accomplies.

Marie-Pierre Brunel - série The ghost of your Smile

Poétiques et militantes, imposant le parfois difficile apprentissage de la sororité comme thème central, tout en proposant une vision nuancée et inclusive de la féminité et du genre, les œuvres de Marie-Pierre Brunel révèlent une artiste en feu, résolument contemporaine.

À l'occasion de cette exposition, la galerie publie avec le soutien de l'ADAGP, un nouvel opus de la collection p.l.v. regroupant les peintures de la série The ghost of your Smile.

Jules Copytop le 9/09/2024
Marie-Pierre Brunel
- série The ghost of your Smile -> 05/10/2024
Arts Factory
27, rue de Charonne 75011 Paris

Marie-Pierre Brunel - série The ghost of your Smile

06.09.2024 à 12:30

La solidarité des formes communicantes d'Ann Weber

L'Autre Quotidien

img
À partir de bouts de carton trouvés, Ann Weber construit des formes fluides qui s'élèvent en motifs vibrants comme des figures. Ses titres évoquent des personnages et lieux particuliers, comme "Personnages, Elkhart Lake" ou "O Buddy, O Pal". Symbolisant l'acte de réunir des personnes et des idées, les bandes de carton sont superposées, attachées et entrelacées les unes aux autres pour créer une structure solide et fiable.
Texte intégral (1327 mots)

À partir de bouts de carton trouvés, Ann Weber construit des formes fluides qui s'élèvent en motifs vibrants comme des figures. L'artiste angelano se concentre sur la durabilité, la communauté et les relations en utilisant des matériaux trouvés et en associant des formes. Ses titres évoquent des personnages et lieux particuliers, comme "Personnages, Elkhart Lake" ou "O Buddy, O Pal". Symbolisant l'acte de réunir des personnes et des idées, les bandes de carton sont superposées, attachées et entrelacées les unes aux autres pour créer une structure solide et fiable.

“It Was A Sunny Day” (2024), found cardboard, staples, and polyurethane, 104 x 81 x 10 inches

En 1991, lorsque Weber a commencé à expérimenter le médium, elle s'est inspirée de son expérience de la poterie fonctionnelle. Elle s'est inspirée des meubles en carton de l'architecte Frank Gehry, et le matériau l'a séduite par sa malléabilité et sa légèreté. Quelques décennies plus tard, la prolifération du transport maritime mondial - les cartons nécessaires à la livraison des marchandises et les déchets qu'ils produisent - a amplifié l'intérêt de l'artiste pour la réutilisation d'un matériau qui, autrement, pourrait être mis en décharge.

Personages, Elkhart Lake” (2024), found cardboard, staples, and polyurethane, 90 x 43 x 10 inches

Dans Let the Sunshine In, la prochaine exposition personnelle de l'artiste au Palos Verdes Art Center, Weber s'inspire non seulement du célèbre ciel bleu de la Californie du Sud, mais aussi de l'optimisme essentiel pour maintenir les relations en période de turbulences, embrasser les perspectives qui peuvent différer des nôtres et maintenir les fondements de la communauté. À travers les œuvres colorées de cette exposition, Weber propose que, face à l'adversité, la positivité peut être un acte radical.

Let the Sunshine In est présentée du 14 septembre au 16 novembre à Los Angeles. Plus d'informations sur le site de l'artiste et sur Instagram.

Jean-Pierre Simard avec Colossal le 9/0£9/2024
Ann Weber - La solidarité des formes communicantes

Who’s (I’m) Afraid of Red, Yellow and Blue I (After Barnett Newman)” (2024), found cardboard, staples, and polyurethane, 53 x 30 x 4 inches

06.09.2024 à 11:05

Un peu d'été en plus, à Bamako et ici, avec Amadou et Mariam

L'Autre Quotidien

img
Cela fait 20 ans qu'Amadou et Mariam sont entrés dans la cour des grands avec Dimanche à Bamako, l'album produit par Manu Chao qui s'est vendu à un demi-million d'exemplaires dans le monde entier. Leur dernier album de nouvelles chansons remonte à sept ans. Mais voici une compilation de 18 titres qui prouve que le couple malien aime collaborer.
Lire plus (297 mots)

Alors que Michel Barnier vient d’être nommé Premier ministre, envoyons un peu de son du côté des malvoyants pour faire bonne mesure. A la différence près que le couple de Bamako apporte la joie. La Vie Est Belle est le premier album Best-Of d'Amadou et Mariam, mais il va plus loin : cette collection contient trois nouveaux singles et des titres inédits. Ce que le susnommé ne peut affirmer à ce jour … 

Cela fait 20 ans qu'Amadou et Mariam sont entrés dans la cour des grands avec Dimanche à Bamako, l'album produit par Manu Chao qui s'est vendu à un demi-million d'exemplaires dans le monde entier. Leur dernier album de nouvelles chansons remonte à sept ans. Mais voici une compilation de 18 titres qui prouve que le couple malien aime collaborer.

On y trouve bien sûr leur nouveau single "Mogolu", à la fois élégant et charmant, ainsi que des rappels de leurs gloires passées et des remixes. Le set démarre avec "Sabali", produit par Damon Albarn, qui passe d'un début lancinant à un final tourbillonnant et glorieux. On retrouve également sur Welcome to Mali (2008) "Ce N'est Pas Bon", "Africa", avec l'excellent K'Naan, et "Masiteladi (feat M)". Le set comprend également le glorieux rocker à la guitare "Dougou Badia (feat Santigold)", extrait de Folila (2012). Et bien sûr, il y a un lot de vieux favoris de Dimanche à Bamako. Enjoy, la rentrée risque de se refroidir assez vite.

Jean-Pierre Simard le 9/09/2024
Amadou & Mariam - Best of - La Vie est belle - Because

05.09.2024 à 17:24

Les chemins du savoir générationnel de Stéphanie Santana

L'Autre Quotidien

img
S'appuyant sur différents supports pour tisser son propre langage visuel, le travail de Stephanie Santana pose la question suivante : quelles leçons pouvons-nous tirer du passé pour préparer l'avenir ? Commencé en 2022, son projet en cours, The Wayfinding Series, rend hommage aux femmes noires en tant que "montreuses de chemin, planificatrices, stratèges, sauteuses de lignes temporelles et archivistes".
Texte intégral (4592 mots)

S'appuyant sur différents supports pour tisser son propre langage visuel, le travail de Stephanie Santana pose la question suivante : quelles leçons pouvons-nous tirer du passé pour préparer l'avenir ? Commencé en 2022, son projet en cours, The Wayfinding Series, rend hommage aux femmes noires en tant que "montreuses de chemin, planificatrices, stratèges, sauteuses de lignes temporelles et archivistes".

Wavelength,” screenprint, wax pastel and hand-painted flashe on appliquéd and pieced cotton textile, machine quilting, 36 x 49.5 inches / 91.4 x 125.7 cm, unique, 2024 © Stephanie Santana

Commencé en 2022, le projet en cours de Stephanie Santana, The Wayfinding Series, rend hommage aux femmes noires en tant que "montreuses de chemin, planificatrices, stratèges, sauteuses de lignes temporelles et archivistes". Il incorpore des images photographiques, de la gravure improvisée, du quilting et de la broderie dans des imprimés et des œuvres textiles qui honorent les rôles et les expériences des femmes noires, reflétant la richesse et la complexité de leurs vies et de leurs identités.

Le processus de Santana est plus qu'un moyen de production visuelle ; l'artiste utilise des techniques tactiles et méditatives qui l'aident à se reconnecter à la sagesse ancestrale. Créant un dialogue évocateur et ouvert entre le passé, le présent et l'avenir, l'œuvre invite les spectateurs à voir les liens entre les expériences historiques et les réalités actuelles, ce qui favorise une compréhension plus profonde des récits qu'elle présente.

Dans cet entretien, Santana parle à Liz Sales des processus créatifs en tant que mode de connaissance, de l'exploration thématique et de l'évolution de son travail, ainsi que des techniques matérielles et conceptuelles qu'elle emploie pour évaluer les connaissances intergénérationnelles et encourager des compréhensions historiques plus larges.

Installation view of "Ways of Knowing," The Print Center, Philadelphia, PA. 2024. Photo: Jaime Alvarez © Stephanie Santana

Liz Sales : Votre récente exposition personnelle au Print Center de Philadelphie s'intitulait Ways of Knowing. Comment en êtes-vous venue à ce titre ?

Stephanie Santana : J'ai été profondément intéressée par la compréhension des ancêtres matriarcales réelles et imaginaires, en particulier par la façon dont elles ont navigué et survécu à des situations d'oppression ou de minorisation. En faisant ce travail, j'ai réalisé que je créais un processus qui me permettait d'accéder à la connaissance. Le titre Ways of Knowing reflète donc les diverses méthodes que j'ai explorées et découvertes pour comprendre qui nous sommes et ce que nous savons.

LS : Diriez-vous que votre processus de création est en soi une manière de savoir ?

SS : Oui. Lorsque je couds un tissu ou que je m'engage dans un processus physique, je ressens un lien avec mes ancêtres, imaginant qu'ils s'adonnaient à des activités similaires. Ce sentiment de continuité avec le passé me donne l'impression de voyager dans le temps. La fabrication incarnée me permet d'acquérir le type de connaissances qui se transmettent de génération en génération et qui sont ancrées dans la pratique elle-même.

“Until You Rest,” screenprint on pieced cotton textile, batting, thread 40 x 58 inches / 101.6 x 147.32, unique, 2024 © Stephanie Santana

LS : Cette série fait partie d'un projet plus vaste intitulé "The Wayfinding Series". Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

SS : Avant cette série, je travaillais principalement avec des photos de famille, en me concentrant sur la commémoration de personnes ou d'événements spécifiques. En 2020, j'ai créé une œuvre textile matelassée intitulée She Sent Him Back to His Mother (Elle l'a renvoyé à sa mère), qui présente une photo d'un parent peu après son décès. Cette œuvre a été réalisée pendant une période de deuil et se voulait commémorative.

Avec The Wayfinding Series, mon travail a évolué pour intégrer davantage d'éléments narratifs, de construction de mondes et de récits. Une grande partie du travail traite des limites sociales imposées aux femmes noires et explore la manière dont nous nous libérons de ces attentes. Il nous honore en tant que personnes qui savent comment trouver un chemin vers l'avant lorsqu'il ne semble pas en exister un.

LS : Pouvez-vous me parler de votre processus de recherche ? Comment sélectionnez-vous les photographies personnelles et historiques de votre travail ?

SS : De nombreuses photographies de la série proviennent du travail de mon grand-père. Il était photographe et éducateur à Dallas, au Texas, et photographiait souvent les membres de sa famille et de sa communauté, et développait les films dans une chambre noire située à l'arrière de sa maison. J'ai également travaillé avec des photographies provenant des archives de ma grand-tante. Je sélectionne des photographies qui m'intriguent, que je pense qu'il y a quelque chose à approfondir dans le sujet de la photographie ou que je suis intéressée par la façon dont le regard du sujet rencontre ou s'éloigne de l'objectif de l'appareil photo.

Installation view “Ways of Knowing (Until You Rest, Through Shadows, Vantage Point),” The Print Center, Philadelphia, PA. 2024. Photo: Jaime Alvarez © Stephanie Santana

LS : J'apprécie la manière dont certaines images se répètent dans l'œuvre, à la fois au sein d'une même pièce et d'une pièce à l'autre. Pourriez-vous nous parler de cette répétition ?

SS : J'espère inviter les gens à s'engager dans un processus d'observation plus lent et plus intime. Je vois quelque chose de différent chaque fois que je regarde les photographies avec lesquelles je travaille. Je m'intéresse beaucoup à l'exploration de la vérité d'une image et à la manière dont elle peut être modifiée ou ouverte pour créer de multiples lignes temporelles et narratives. Chaque fois que je travaille avec une photographie, la narration change. Cela dépend souvent de la manière dont la photographie est utilisée en relation avec d'autres éléments visuels de l'œuvre, les annotations faites avec la broderie, la couleur et l'application, etc.

Dans une pièce, Vantage Point, je fais référence au travail domestique, un thème récurrent dans mon travail. En tant que mère et artiste travaillant constamment avec mes mains, j'ai souvent l'impression d'être dans un état continu de travail physique. Cette œuvre montre une petite fille qui regarde au-delà du cadre, loin des images de femmes qui représentent les attentes sociétales placées sur elle pour effectuer un travail ou se présenter d'une manière jugée "respectable". Dans une autre pièce sur laquelle je travaille, la même image de la petite fille est présentée, mais une plus grande partie de l'arrière-plan est visible, ce qui donne au spectateur plus d'informations sur un lieu et un moment particuliers de l'histoire. C'est une façon de travailler en multiples en tant que graveur, mais en explorant les possibilités du médium d'une manière qui vise davantage à voir une image ou une idée d'un œil nouveau à chaque fois, plutôt qu'à créer une reproduction.

“Communion,” screenprint and hand-painted flashe on appliquéd cotton textile, machine quilting, 30 x 52 inches / 76.2 x 132 cm, unique, 2024 © Stephanie Santana

LS : Pourriez-vous détailler votre approche de l'utilisation de la couleur ?

SS : Dans une partie de l'œuvre textile Safe Passage, on voit une figure maternelle qui se tient dans une position protectrice avec deux enfants. L'image d'elle et des enfants est répétée et se transforme en une sorte de "bleu nuit" lorsqu'ils traversent un portail ou un passage. J'ai choisi cette couleur bleue en hommage à son utilisation historique dans le sud des États-Unis par les personnes d'origine africaine pour éloigner les mauvais esprits, en imitant la couleur du ciel ou de l'eau. Mon utilisation de la couleur renvoie souvent à des significations historiques et/ou symboliques, ou sert d'annotation.

LS : Y a-t-il d'autres points de contact qui nous aident à comprendre votre pratique ?

SS : Une grande partie de mon travail est influencée par nos sommités culturelles et littéraires, telles que bell hooks, Toni Morrison, Christina Sharpe et Tina Campt. Le concept de "regard oppositionnel" est au cœur de mon travail : il s'agit d'une idée et d'un terme inventés par bell hooks pour décrire le regard comme un acte de rébellion et un lieu de résistance ; un moyen pour les Noirs de rejeter les structures de domination et de maintenir leur pouvoir. Certaines images de mon travail montrent des sujets qui regardent de côté, traduisant un manque d'intérêt pour la perception du spectateur, tandis que d'autres présentent un regard direct, invitant à l'interaction. J'espère toujours encourager les gens à s'engager dans mon travail, afin qu'ils puissent y trouver un élément qui résonne avec leurs expériences ou qui remette en question leurs perceptions.

Vantage Point,” screenprint, monotype on appliquéd and pieced textiles, hand embroidery, 33.75 x 34.5 inches / 85.7 x 87.6 cm, unique, 2022 © Stephanie Santana

LS : Pourriez-vous nous parler de votre processus concernant vos matériaux et techniques, y compris la gravure, la couture et la broderie ?

SS : Je sérigraphie souvent un certain nombre d'images à la main et j'attends de les utiliser jusqu'à ce que quelque chose me parle. J'ai tendance à travailler avec un ensemble d'images à la fois, et les pièces s'assemblent en discutant les unes avec les autres. La peinture à la main, la broderie et l'appliqué sont des moyens d'ajouter des couches de temps et de mémoire. Toutes les pièces matelassées que je réalise sont des œuvres uniques construites avec des techniques à la main et à la machine, et je commence généralement avec du coton de matelassier de couleur unie pour laisser de la place à l'ajout de motifs et de textures qui semblent spécifiques à une pièce particulière.

LS : Quel impact espérez-vous avoir sur la compréhension par votre public des thèmes que vous explorez dans votre travail ?

SS : Je souhaite inviter à un processus plus lent, en encourageant les spectateurs à prendre leur temps plutôt que de passer rapidement à autre chose. Je reviendrai sur Safe Passage, qui fait référence à la fuite ou à la recherche d'un itinéraire sûr, et évoque des moments historiques comme le passage par le chemin de fer clandestin, ou la situation actuelle en Palestine, où des personnes ont été attaquées sans relâche alors qu'elles tentaient d'échapper à un génocide en empruntant des routes désignées comme étant "sûres". Je pense beaucoup à notre moi fugitif et à la manière dont nous nous éloignons des structures de domination et trouvons des espaces de récupération. Il s'agit d'une préoccupation constante qui s'étend à de nombreuses générations et à de nombreuses cultures. En réalisant ce travail, je pose la question suivante : quelles leçons pouvons-nous tirer du passé pour préparer l'avenir ?

En savoir plus sur Stephanie Santana ici et là.

Interview de Liz Sales pour Lens Culture, adapté par la rédaction le 9/09/2024
Stephanie Santana - Les chemins du savoir générationnel

"Safe Passage," screenprint, monotype and hand-painted flashe on pieced, appliquéd and cotton textile, hand embroidery, machine quilting, 49 x 51.5 inches / 124.5 x 130.8 cm, unique, 2024 © Stephanie Santana

05.09.2024 à 16:31

Le dérèglement de tous les temps avec Stéphane Beauverger

L'Autre Quotidien

img
Publié en 2009 à La Volte, devenu depuis, de manière ô combien méritée, un véritable classique de la science-fiction française contemporaine, le quatrième roman de Stéphane Beauverger nous entraîne entre Caraïbes flibustières et déferlements de dérèglements temporels dans une langue somptueuse. Relu aujourd'hui, c'est toujours aussi bluffant.
Texte intégral (4280 mots)

Caraïbes flibustières et déferlements de dérèglements temporels : un classique instantané de la SF française contemporaine, dans une langue somptueuse.

À bord du Déchronologue après la débâcle (circa 1653)
Je suis le capitaine Henri Villon et je mourrai bientôt.
Non, ne ricanez pas en lisant cette sentencieuse présentation. N’est-ce pas l’ultime privilège d’un condamné d’annoncer son trépas comme il l’entend ? C’est mon droit. Et si vous ne me l’accordez pas, alors disons que je le prends. Quant à celles et ceux qui liront mon récit jusqu’au bout, j’espère qu’ils sauront pardonner un peu de mon impertinence et, à l’instant de refermer ces chroniques, m’accorder leur indulgence.
D’ici quelques minutes, une poignée d’heures tout au plus, les forces contre lesquelles je me suis battu en auront définitivement terminé avec moi et ceux qui m’ont suivi dans cette folle aventure. j’ai échoué et je vais mourir. Ma frégate n’est plus qu’une épave percée de part en part, aux ponts encombrés par les cris des mourants, aux coursives déjà noircies par les flammes. Ce n’est ni le premier bâtiment que je perds ni le premier naufrage que j’affronte, mais je sais que nul ne saurait survivre à la dévastation qui s’approche. Bientôt, pour témoigner de l’épopée de ce navire et de son équipage ne resteront que les pages de ce journal. Permettez donc que je prenne un peu du temps qu’il me reste pour les présenter comme je l’entends.
Je me nomme Henri Villon et suis l’unique capitaine de la merveille baptisée Déchronologue. Il s’agit de mon véritable patronyme. Je me dois de le préciser, tant il est courant d’en changer parmi les gens qui embrassent ma profession de coureur d’océans et de fortune. Français, je fus, davantage par défaut que par désir, et cette nationalité que je n’ai pas choisie ne m’a guère été d’un grand secours sur une mer caraïbe où les drapeaux feront toujours office de linceuls pour les crédules et les exaltés.
Pour des raisons d’honnêteté et de circonstances qui se révèleront ultérieurement, je ne saurais donner mon âge avec certitude, mais je peux dire que je suis né en la belle et éruptive terre de Saintonge au printemps de l’an 1599. Si j’en crois le décompte des jours notés dans le carnet qui ne quitte jamais ma poche, il semblerait que j’aie vécu environ un demi-siècle. Disons que c’est un nombre qui me convient. À propos de mes parents et de mon enfance, je ne dirai pas grand-chose, tant le sujet serait vite tari ; mais je préciserai tout de même que je grandis dans une famille suffisamment aisée pour qu’elle m’espérât une belle carrière de négociant ou d’officier, au terme d’une éducation solide qui sut – peut-être pour mon plus grand malheur – m’éveiller à la lecture des beaux textes et des grands esprits. En cette province instable, enfiévrée par les querelles de la foi, je crois que je n’avais été ni plus ni moins qu’un enfant de mon siècle, modelé à l’image de mes proches, pieux réformés et vaillants défenseurs du parti protestant. Si j’étais né plus tôt, lorsque l’Aquitaine constituait encore un des plus beaux joyaux de la couronne d’Outre-Manche, j’aurais aussi bien pu me découvrir anglais, et me faire mieux accueillir dans les ports fidèles à Charles Ier que dans ceux se réclamant de Louis XIII. Mais les hoquets de l’histoire et le courroux des rois m’avaient fait naître sujet de la couronne de France. je peux avouer aujourd’hui que je n’ai jamais, au gré de mes rencontres, accordé à ces questions de frontières plus d’importance que ne me le dicta la prudence.
Par mes précepteurs, j’ai autrefois appris le latin, mais je n’en fis guère d’autre usage que pour briller auprès des cervelles épaisses et des gredins en souliers vernis ; je parle suffisamment l’anglais pour savoir que ces gens-là ne sont pas pires que d’autres, et pas moins honnêtes qu’un négociant de Bordeaux ou de Nantes ; j’ai assez voyagé pour ne pas ignorer que mon métier de flibustier vient du néerlandais vrij buiter, qui pourrait se traduire par « libre butineur » ou « libre pilleur » ; je possède même quelques rudiments d’espagnol, car il est toujours préférable de comprendre ce que vous ordonne un adversaire. bref, pour tracer ma route en ce monde, j’ai su faire autant usage de mon verbe que de ma lame – que je manie cependant très correctement – et j’aime à penser que je n’ai jamais occis que ceux qui ne m’en ont pas laissé le choix.
Sur les raisons qui me firent embrasser la carrière de capitaine caraïbe, je ne me pencherai pas non plus outre mesure. De peur, peut-être, de tomber par-dessus bord à trop vouloir en discerner le fond ; par mésestime avouée, sûrement, des aumôniers, des juges et de tous ces gens tant désireux d’écosser autrui pour en sucer la fibre. Je crains de n’accorder que maigre valeur aux vertus de la confession, mais je dirai tout de même ceci : je fus, en mes lointaines années d’une foi moins avariée, parmi les insoumis de La Rochelle qui s’arc-boutèrent contre la crapulerie royale et catholique. Jusqu’à devenir plus infâmes que l’assiégeant, pour ne pas lui céder trop vite, en chassant de la cité femmes, enfants, vieillards au profit des seuls combattants. Pour gagner un peu de temps. Oui, du haut de ces remparts qui allaient bientôt être rasés par monsieur de Richelieu, je pris suffisamment part à l’avilissement et à la barbarie des hommes pour m’en aller chercher l’oubli à l’autre bout du monde. Et ne plus avoir envie d’en parler.

Journal intime du capitaine de flibuste Henri Villon, couvrant une période apparemment comprise entre 1640 et 1653 (avec deux incursions décisives à la « fin du temps connu » et en 1655), en 27 chapitres à la chronologie soigneusement chahutée, aux quatre coins des Caraïbes comme des terres continentales et de l’Atlantique qui les bordent immédiatement, « Le Déchronologue » nous propose une narration formidable, à la fois imagée, guerrière, gouailleuse et… élusive en diable, tant les repères chronologiques y sont vite frappés de péremption accélérée. C’est que dans cet univers qui aurait peut-être pu être le nôtre, quelque chose ou quelqu’un a détraqué la trame du temps dans le futur, et des bouffées de cet avenir proche ou lointain – ou parfois de passés incertains – font désormais irruption dans le réel d’Henri Villon et de ses contemporains, sous forme d’artefacts industriels, d’instruments indéchiffrables, mais plus grave, et de loin, d’unités navales entières (on croisera ainsi par exemple des quadrirèmes dignes d’« Agora zéro » mais surtout un fantomatique et immense vaisseau gris que l’on jurerait issu du film « The Final Countdown » (1980), ou « Nimitz – Retour vers l’enfer » en français), de voyageurs d’outre-temps pas nécessairement exempts de tout reproche, voire – pour peu que l’on manipule sans les comprendre certaines maravillas « technologiques » – d’improbables fusions contre nature de bribes temporelles normalement disjointes.

Publié en 2009 à La Volte, devenu depuis, de manière ô combien méritée, un véritable classique de la science-fiction française contemporaine, le quatrième roman de Stéphane Beauverger, après la trilogie « Chromozone », entrechoque avec un extrême brio le récit flibustier irrigué de bizarre, à la manière du Tim Powers de « Sur des mers plus ignorées » (1987) ou du Valerio Evangelisti de la trilogie « Tortuga » / « Veracruz » / « Cartagena » (2008-2012) – dont hélas seul le premier volume a été traduit en français – sachant que les épopées navales de Patrick O’Brian (dont on finira bien, enfin, par vous parler sur ce blog) ou de Gilberto Villaroel ne sont sans doute pas si loin, avec les guerres temporelles familières aux lectrices et lecteurs de Poul Anderson (« La patrouille du temps », 1960), de Fritz Leiber (« Le grand jeu du temps », 1958), ou même de la si surprenante Amal El-Mohtar (« Les oiseaux du temps », 2019) – familiarité qu’il parvient toutefois ici à détourner et renouveler d’une manière magnifique.

La nuit était longue et bleue comme une lame de Tolède. Nos trois torches griffaient ses ténèbres, leurs grésillements accrochant des reflets sauvages aux bijoux et médailles de mes matelots pour conjurer les ombres. D’un pas lent, doigts serrés sur son poignard, le gros Perric ouvrait la marche pour notre cortège. Je voyais ses longs cheveux sales dégouliner de sa lourde tête de cheval de labour. Derrière moi, le Cierge et la Crevette suivaient sans bruit. L’obscurité qui avait englouti Port-Margot aurait pu receler cent périls, mais je n’en marchais pas moins au centre du triangle flamboyant de mon escorte : ce soir, le capitaine Villon souhaitait que son équipée fût aussi remarquable que remarquée. Avant notre descente à terre, tandis que les premières étoiles taquinaient le ciel, j’avais fait porter le Chronos au mouillage à l’écart du reste de notre petite escadre et ordonné la mise en perce d’un de mes précieux tonneaux de vin de Bourgogne, avant d’interdire à l’équipage de descendre à terre. J’étais certain d’être obéi : la nuit sucrée de Port-Margot exhalait le printemps caraïbe, le fer et le sang.
À la manière des autres colonies mal établies sur ce rivage hostile, les autochtones n’ignoraient point qu’ils ne tenaient ainsi, accrochés aux bourses trop pleines de l’empire espagnol, qu’à la faveur de cette indolence propre aux géants jamais trop prompts à se gratter le cul. Planté sur la côte nord-ouest de la grande île d’Hispaniola, fondé moins de dix ans plus tôt par quelques intrépides Français venus comme nous des rivages plus cléments de Saint-Christophe, le petit domaine de Port-Margot s’acharnait à exister. Il abritait plusieurs poignées de ruffians, trafiquants et négociants de mauvaise mine, cherche-fortune et traîne-misère, tous entassés à l’écart des regards catholiques, sous les toits glaiseux d’une vingtaine de masures jetées là à la manière de dés pipés. Parfois, quelques navires y faisaient aiguade. Rarement, leur nom méritait d’être retenu. Dans un sabir mal mélangé de gens de mer aux accents portugais, anglais, français, hollandais ou bretons, on y échangeait de la poudre contre des peaux, de l’indigo ou des bois précieux. Port-Margot : comptoir huguenot âgé de moins d’une décennie, puant l’impatience et la faim, incrusté dans l’échine hérissée de l’Espagnol haï, où des affaires complexes de politique et d’argent m’avaient amené à faire escale en compagnie de meilleurs patriotes que moi-même. Cette nuit, couteaux et complots y fredonnaient des refrains dont j’étais le chef de chœur. Cette nuit, les clairvoyants comme les circonspects avaient mouché leur chandelle et s’étaient faits tout petits.

Comme il le montrera à nouveau avec un éclat singulier dans « Collisions par temps calme », en 2021, Stéphane Beauverger a toujours développé un intérêt spécifique pour le questionnement et l’exploration de l’utopie, de ce principe Espérance cher à Ernst Bloch. Dans « Le Déchronologue », le roman d’aventures géographiques et temporelles ne se fait donc pas faute d’aborder, un peu plus qu’incidemment mais avec toujours beaucoup de ruse et de subtilité, la réalité anarchiste qui peut se dissimuler derrière la fable flibustière. Rejoignant ici discrètement le travail littéraire et politique du si regretté Michel Le Bris (dont les « D’or, de rêves et de sang : l’épopée de la flibuste » et « Pirates et flibustiers des Caraïbes », tous deux de 2001, sont logiquement cités parmi les sources indiquées en annexe), se gardant (comme d’ailleurs le fait aussi Valerio Evangelisti) de l’idéalisme un peu trop béat qui a longtemps marqué certaines lectures contemporaines de la piraterie réputée libertaire (que l’on songe ainsi au célèbre « Zone Autonome Temporaire » d’Hakim Bey), « Le Déchronologue », avec son inventivité langagière forcenée et sa géopolitique trafiquée, à la fois familière et joliment incongrue, est sans doute, au fond,  plus proche du nouvel épique italien des Wu Ming (et, à nouveau, de Valerio Evangelisti) que de tout autre projet informel associant littérature, imaginaire et politique. Imaginant cette extraordinaire pré-apocalypse au XVIIème siècle dans toutes ses composantes romanesques et sociétales, Stéphane Beauverger peut ainsi malicieusement clamer ici, par la voix de l’un de ses nombreux personnages : « La révolution n’est pas un dîner de gala ! Ni un sujet de farce ! ».

Maintenant, à l’instant d’écrire ces lignes, tandis que l’ennemi victorieux braque une dernière fois ses canons vers mon bâtiment, l’oscille entre l’envie d’en dire davantage et la crainte de trop me répandre. J’ai réuni en ces pages éparses le récit véritable de ma vie de capitaine sans attache. Je veux croire que je n’en ai rien caché de honteux ou de méprisable. Si j’ai menti, triché, trahi parfois, ma loyauté ne fut ni plus ni moins décousue que celle des autres marins de grand large, qui n’ont jamais trop voulu croire les mensonges des puissants aux intérêts plus discrètement égoïstes.
Des événements auxquels je pris part, et dont il sera question dans ce récit, j’espère que chacun saura prendre la mesure avec clémence. Que le lecteur ose pardonner les effronteries et le grand désordre régnant dans ces cahiers, mais ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, ni le temps ce qu’il paraît. « Fugit irreparabile tempus », écrivit le poète Virgile… Comme il avait tort ! Je sais, moi, que les voiles du temps se sont déchirées, pour porter jusqu’à mon siècle des choses qui n’auraient pas dû s’y échouer. À mes yeux, les calendriers n’ont plus aucun sens, et les dates comme les anniversaires ont pris des airs de garces mal maquillées. Dans mon obsession à découvrir l’origine de ces plaies ouvertes, j’ai approché les grands secrets de mon époque et œuvré pour les recoudre. Quelles chances avais-je donc d’y parvenir ? Aucune, sans doute… Que suis-je, sinon un marin un peu trop amoureux du tafia et de la guildive, un peu trop hâbleur et hardi pour avoir admis ses erreurs à temps, si vous me pardonnez ce déplaisant calembour ? Mort de moi, comme j’ai lutté pourtant, au nom de ce qui me paraissait juste !
Des regrets ? Trop pour m’épancher plus longtemps et pas assez pour ne pas accepter le sort qui m’attend. La seule femme que j’aie jamais aimée n’a pas voulu de mon amour. Tous mes amis les plus chers sont morts, et je fus souvent responsable de leur trépas. Puisque mes rêves ont révélé un goût de cendre, pourquoi craindre de disparaître ? Adieu donc, mon navire et ceux qui sont encore à bord. Adieu aussi au capitaine Brieuc, mon frère d’escales si plein d’idéal et mort avant de voir tous les trésors du Yucatan. Adieu, Féfé de Dieppe, fol enfant caraïbe assoiffé de liberté. Adieu, aussi, le Cierge, la Crevette, les frères Mayenne et Patte-de-Chien, adieu mes gorets crevés sur la route de Carthagène. Adieu surtout à toi Arcadio, qui m’en arracha pour faire de moi ton instrument de vengeance contre l’Espagnol honni. Adieu, enfin, vous tous, qui avez un peu connu, haï ou apprécié le capitaine Henri Villon, dont il fut dit pis que pendre quand il ne le méritait pas toujours.
Debout j’ai vécu, debout je m’en vais mourir. Que dire de plus qui ne sonnerait pas moins sincère ? Mon Déchronologue brûle et se consume d’un inextinguible feu, mon équipage se meurt, et l’ennemi passera bientôt pour nous achever tous. Adieu, mon aimée, adieu ma vie, adieu, puisque nous n’étions que des ombres glissant sur l’écume du temps.

Hugues Charybde, le 9/09/2024
Stéphane Beauverger - Le Déchronologue - La Volte

L’acheter chez Charybde, ici

05.09.2024 à 16:18

Connexion : stay tuned avec Kae Tempest !

L'Autre Quotidien

img
Riche de son intensité et de sa sincérité, un poétique anti-manuel de développement personnel qui magnifie la connexion, l’empathie et la créativité collective.
Texte intégral (3449 mots)

Riche de son intensité et de sa sincérité, un poétique anti-manuel de développement personnel qui magnifie la connexion, l’empathie et la créativité collective.

Dans les chapitres qui suivent, je vais me lancer dans l’éloge de la créativité, l’éloge de la musique et du théâtre, l’éloge des rassemblements humains et du partage des émotions. Je sais bien qu’assister à un concert ou jouer sur les planches n’occupe pas la même place, dans l’ordre des priorités, que l’accès à un logement décent et abordable, à des conditions de travail où l’équité et les normes de sécurité sont respectées, à des soins médicaux, à des produits alimentaires sains et frais, à une eau potable qu’on se procure aisément et à un environnement où les enfants peuvent grandir sans être victimes de violence, de menaces, de traumatismes. Mais on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’à côté de ces besoins fondamentaux, l’être humain ne peut et ne pourra jamais se priver de jeu, de créativité, d’introspection et d’expression personnelle.
Voici les mots que je compte employer pour explorer mes idées : créativité, connexion, connexion créative.
La créativité désigne l’aptitude à s’émerveiller, l’envie de réagir à ce qui nous bouscule. Ou, plus simplement, c’est un acte d’amour, quelle qu’en soit la nature. Quelque chose qu’on produit. D’ordinaire on réserve ce terme au domaine artistique, mais il s’applique aussi à toute activité réclamant de la concentration, de la technique et de l’ingéniosité. Il faut de la créativité pour s’habiller avec style, par exemple. Pour élever un enfant. Peindre un châssis de fenêtre. Accorder à la personne qu’on aime son attention pleine et entière.
La connexion, c’est la sensation de s’arrimer à l’instant présent. De s’absorber totalement dans l’expérience au moment où elle est vécue, l’esprit tout entier tendu vers chaque détail. C’est avoir conscience de la place négligeable qu’on occupe dans l’ordre de l’univers. Éprouver le sentiment d’avoir pris racine. Ici, et pas ailleurs. Peu importe que cet « ici » soit une zone de turbulences ou un havre de paix, un lieu de joie ou de souffrance.
La connexion créative, c’est l’emploi de la créativité au service de cette connexion, dans le but de la ressentir et d’investir une zone où des liens se nouent entre toi et les personnes qui t’accompagnent à cet instant.
Les artistes sont sans doute ceux qui empruntent le plus facilement cette passerelle vers un autre monde, un monde plus intime. À vrai dire, quiconque s’est livré à la méditation ou à la prière, quiconque a observé les étoiles, préparé un repas important pour ses proches, balancé son poing à la figure de quelqu’un, vu trente-six chandelles, fabriqué un objet de ses propres mains, développé une compétence parce qu’il n’avait pas d’autre solution, rendu un service, fait don de son temps, vacillé au bord de la folie ou du précipice, digéré une vérité douloureuse, fait passer les autres avant soi, bref, quiconque s’est véritablement mis en quatre pour son prochain a emprunté cette passerelle. La connexion n’est pas l’apanage exclusif des artistes mais l’art est un moyen avéré de comprendre ce qui jaillit de cet ailleurs, là où commence le collectif.
Quand je mentionne « le lecteur », je peux faire référence à la personne, je peux faire référence à la personne qui entame un dialogue avec un texte écrit, un morceau de musique ou une œuvre d’art, mais aussi à la personne qui engage une conversation avec des amis, des inconnus, l’être aimé, le monde en général. Je vois le lecteur comme une porte qui s’ouvre pour laisser entrer le sens.
Quand je mentionne « l’écrivain », je fais référence à la personne qui signe un texte ou compose une musique, mais aussi à la personne qui produit du vécu. Cette part en soi qui construit le récit de sa propre existence et qui cherche sans relâche un fil assez solide pour traverser les pages blanches de l’enchaînement des jours.

En sept chapitres aux intitulés rusés et fort à propos, filant la métaphore de la performance issue jadis de l’open mike (« Installer le matos », « Balances », « Portes », « Première partie », « S’échauffer », « Se lancer », « Sentir que ça prend »), Kae Tempest nous offre une plongée dans un exercice plutôt inhabituel, à l’aune de qui connaît sa poésie, son théâtre ou sa prose, dans les excellents « Les nouveaux anciens », « Inconditionnelles » ou encore « Écoute la ville tomber » (dont on finira bien par trouver le temps de vous parler sur ce blog). En compagnie de James Joyce, de James Baldwin, de Carl Jung (et tout particulièrement de son « Livre rouge »), de William Blake (qui est largement convoqué pour les rusés exergues de chaque chapitre), de Barbara Ehrenreich (« Le Sacre de la guerre »), de Killer Mike, de El-P ou encore de Czesław Miłosz, tous passés discrètement mais intensément au crible de l’expérience personnelle de Kae, qui use des meilleurs comme des pires moments de sa vie ou de sa carrière à date comme d’un puissant mix de liquides révélateurs, il s’agit bien ici, à plus d’un titre, de nous proposer une forme redoutable d’anti-manuel de développement personnel (comme l’aurait sûrement et joliment décrit Thierry Jobard), sous le signe de la connexion, de l’empathie et du pouvoir créatif du collectif.

Un jour James Joyce m’a dit : « Le particulier renferme l’universel. » Merci du conseil. Il m’a appris que plus j’accorde d’attention à mon « particulier », plus j’ai de chances de t’atteindre dans ton particulier à toi.
Depuis vingt ans maintenant, je saute sur chaque micro qu’on me tend, chaque occasion qui m’est offerte de parler et d’être entendu.e. Tout au long de ces vingt années, je ne compte plus les fois où j’ai franchi le seuil d’une salle de concert en me disant : Sérieux, je ne sais pas si ça va le faire ce soir. Je me suis senti•e jugée•e. Pas à ma place. J’ai regardé le public et, à mon tour, je l’ai jugé. Je me suis retrouvé•e devant des gens avec qui je n’avais rien en commun et je me suis dit : Pas moyen que vous et moi, on y arrive ensemble. Et je ne compte plus les fois où la suite m’a donné tort.
J’ai passé vingt ans un stylo à la main. Vingt ans à étudier l’art des mots qu’on prononce quelque part face à des gens. Ce que j’ai vu, je l’ai observé à travers le filtre de ma créativité : la fonction première de ma vie.
Ces pages contiennent mes réflexions sur l’écriture, la lecture et la scène, parce que c’est ce qui est vrai à mes yeux. J’aborderai spécifiquement ces thèmes et, par ricochet, d’autres plus vastes – l’identité, le mode de vie, l’altérité.
L’empathie, c’est se souvenir que chacun a une histoire. Une multiplicité d’histoires. Et se souvenir aussi de laisser assez de place aux autres pour qu’ils puissent raconter leur histoire avant de raconter la sienne.
Je suis quelqu’un qui aime profondément les gens. Dès que je suis sur le point de craquer, je me ressaisis en prêtant la plus grande attention à ceux que je croise dans mon quotidien.
Oui, j’écris pour ces autres qui me ressemblent. Ces autres qui n’ont pas trouvé leur place, et qui ne l’ont jamais trouvée. Des gouines, comme moi. Qui ont compris qu’il n’y a rien à gagner à rentrer dans le moule, que ce n’est même pas la peine d’essayer, et qui se retrouvent contraintes de tracer leur propre voie.
Ces autres qui n’ont pas encore jeté le monde aux chiottes.
Ces autres qui voient le beau avant le reste et qui assistent malgré eux au carnage.
Ces autres qui voient le carnage avant le reste et qui assistent malgré eux au spectacle du beau.
Et, à côté de ça, ceux qui ont trouvé leur place depuis le début.
Ceux qui se contrefoutent de tout.
Ceux qui n’ont vu le beau nulle part, jamais. Et le carnage encore moins. Simplement les grandes lignes et le temps qui passe.
Ceux qui partagent mes convictions et ceux qui les tournent en ridicule.
Tout le monde. Tout le temps. Quoi qu’il arrive.

Publié en 2020 et traduit en 2021 par Madeleine Nasalik chez L’Olivier, récit aussi émouvant que celui d’Amanda Palmer (« L’art de demander », dont on vous parlera prochainement sur ce blog, et dont le fil conducteur, sans être identique à celui de Kae Tempest ici, retravaille aussi en profondeur la forme de l’échange-don chère à Marcel Mauss), « Connexion » fait bien de l’échange et de l’empathie ainsi saisie et comprise une affaire authentiquement politique, comme chez la chanteuse jadis révélée au sein du duo des Dresden Dolls. Une lecture tonique, captivante, et qui répond en toute humilité à bien des interrogations secrètes rarement affirmées de la part de chacune et chacun, me semble-t-il.

James Baldwin décrit ainsi l’étau de l’amour obsessionnel dans La Chambre de Giovanni : « Dans cette chambre, j’avais l’impression de vivre sous la mer ; le temps passait au-dessus de nous, indifférent, les heures et les jours ne voulaient rien dire. » On patauge dans un marécage de même nature où rien n’est accessible, où le temps s’étire à l’infini, où tout est remis à plus tard. Un peu comme lorsqu’on se noie dans une relation toxique. Ça, je sais que je n’en veux pas. Mais je ne sais pas comment y échapper.
L’ordre établi compte sur ton apathie. Tu es là pour consommer. Tu n’as aucune autre utilité aux yeux de ceux qui gouvernent. Tu n’es rien. Tu graisses les rouages d’une machine qui s’appuie sur ta complicité et ta malléabilité fervente. On t’a martelé que tu étais une graine qui portait en elle un avenir radieux, absolument splendide, que pour vivre ta vie à fond, il te suffisait de prendre part à la compétition. D’être un winner. De consommer. Tu consommes, tes parents consommaient et tes grands-parents avant eux, et tes enfants consommeront. Voilà ton héritage. Depuis les Lumières, ce siècle sanctifié qui a vu l’Europe se vautrer dans le sang, qui a édifié son propre piédestal et diffusé sa propagande dans nos écoles, dans nos manuels pédagogiques et sur nos écrans de télévision, proclamant le mythe d’une ère d’excellence artistique et philosophique sans pareille, une ère de fraternité et d’esprit libertaire alors qu’elle était en réalité marquée par la violence, les guerres civiles et les conflits inter-États, les inégalités, la répression et la cruauté barbare. Arrosée de sang. Le sang des travailleurs. Le sang des humains à la peau brune ou noire, ces corps exploités, monnayés, tués au nom du progrès. Ensanglantés, avilis, debout sur des colonnes dans toutes ces villes épouvantables qui sont les nôtres, d’orgueilleux temples en pierre commémorant un siècle de ténèbres qu’on nous a vendu comme un siècle éblouissant. On vit encore à cette époque. Son chaos est toujours d’actualité. L’industrialisation des inégalités n’a jamais cessé. Ton apathie est nécessaire. Mon apathie l’est tout autant.
Et pourtant.

Hugues Charybde, le 9/09/2024
Kae Tempest - Connexion - Points Seuil
l’acheter chez Charybde, ici

16.08.2024 à 11:15

L'existence déployée ou l'existence éternellement créatrice

L'Autre Quotidien

img
L'expression al-hikmat al-muta'āliyah comprend deux termes : al-hikmat (signifiant littéralement, sagesse ; et techniquement, philosophie , et par extension contextuelle théosophie ) et muta'āliyah (signifiant exalté ou transcendant ). La philosophie et l' ontologie de Mulla Sadra sont considérées comme tout aussi importantes pour la philosophie islamique que la philosophie de Martin Heidegger l'était plus tard pour la philosophie occidentale au 20e siècle. Mulla Sadra a apporté « une nouvelle vision philosophique du traitement de la nature de la réalité » et a créé « une transition majeure de l' essentialisme à l' existentialisme » dans la philosophie islamique. Le tout n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le taoïsme et le bouddhisme zen.
Texte intégral (976 mots)

" Il est intéressant que les philosophes Hikmat (Ndt : la théosophie transcendante ou al-hikmat al-muta’li (حكمت متعالي) issue de Perse) en soient venus de cette manière à considérer la Réalité ultime comme " l'existence pure ", c'est-à-dire " l'existence " dans sa forme absolue. Ce fait est intéressant car dans d'autres traditions de la philosophie orientale, comme le taoïsme et le bouddhisme zen par exemple, précisément la même entité est conçue comme le Néant. À la base de cette conception négative se trouve la prise de conscience que l'Absolu, dans son absolu transcendant, se situe au-delà de l'opposition entre "existence" et "non-existence". De ce Néant métaphysique sans limite et sans commencement apparaît l'Existence, et à travers l'Existence, l'infinité d'existences concrètes s'épanouit pour constituer le monde de l'Être. Il est cependant facile d'observer que ce Néant absolu - le "Néant oriental" comme on l'appelle souvent - correspond exactement, même dans sa nature conceptuelle négative, à la conception d'Ibn 'Arabi du Mystère des mystères. Ainsi, l'Existence, qui dans les traditions non-islamiques n'apparaît que comme le stade qui suit immédiatement le Néant, correspond dans le système d'Ibn'Arabi au deuxième stade de l'"existence", le stade de la théophanie où se révèle l'"existence" du premier stade. Dans la philosophie Hikmat, ce deuxième stade de l'"existence" est conçu comme "l'existence déployée" ou "l'existence éternellement créatrice" (wujud munbasit), tandis que le premier stade de l'"existence" est appelé, comme nous venons de le voir, "existence pure", c'est-à-dire "l'existence" dans sa pureté absolue. "

Toshihiko Izutsu, La structure fondamentale de la métaphysique de Sabzawari.

Toshihiko Izutsu
, né le 4 mai 1914 et mort le 1er juillet 1993, est un islamologue, linguiste et philosophe japonais, qui parlait une trentaine de langues. Spécialiste de l'islam et du bouddhisme, il a été professeur à l'Institut d'Études culturelles et de linguistique de l'Université Keio à Tokyo, à l'Iranian Research Institute of Philosophy de Téhéran et à l'Université McGill à Montréal.

Mulla Hadi Sabziwari

09.07.2024 à 10:51

"Ultime écho" par Anne Masse, la nouvelle création originale de Bubble éditions s’attaque aux multivers (et à la fin du monde)

L'Autre Quotidien

img
Quand Ari, une chercheuse en astrophysique, découvre l’existence des univers parallèles, elle provoque l’effondrement de son monde et de tous les autres.
Texte intégral (2737 mots)

Quand Ari, une chercheuse en astrophysique, découvre l’existence des univers parallèles, elle provoque l’effondrement de son monde et de tous les autres.

lors que les mondes semblent se synchroniser de plus en plus vite, elle cherche sa place dans une histoire d’amour qui se répercute dans les multivers. 

À travers cette comédie dramatique, Ultime écho interroge sérieusement notre époque et ses obsessions à travers cette catastrophe à l’échelle des multivers. Anne Masse propose une nouvelle approche des univers parallèles avec un sens de l’humour qui tranche avec les codes habituels de la science-fiction. 

Avec ses variations graphiques et narratives sur un même personnage et ses designs attachants, le style très vivant d’Anne Masse est au carrefour de plusieurs influences et sur Ultime écho elle ajoute une touche plus poétique, dans son dessin, que dans ses travaux précédents.

👀 Lire les 2 premiers chapitres ici

👤 Anne Masse commence à écrire et dessiner dans le fanzine et participe à de nombreuses conventions comme la Japan Expo ou la Y/CON avec son collectif les Ziggys. Avec une expérience dans le jeu vidéo, l’animation et l’UI design, elle se lance dans la bande dessinée en étant coloriste pour l’auteur de comics Jim Mahfood. Puis entame un premier webcomic traduit par un fan coréen qui lui permettra d’être repérée par la plateforme WEBTOON.

Elle réalise plusieurs séries au format webtoon, le road trip médiéval Azalaïs chez webtoon factory puis les séries fantastiques décalées Les Vampires Anonymes et Extra-Coloc qui vont rassembler plus de 19 000 abonnés.

Depuis la fin d’Extra-Coloc, elle consacre tout son temps à son nouveau projet Ultime écho. 

« C’est donc ça ce qu’on appelle le multiverse ? »

Il reste quelques jours pour la campagne de financement participatif qui met en avant le livre de Anne avec plusieurs belles surprises pour les fans de science-fiction : 

🎨 Une couverture alternative par Guillaume Singelin

👤 Après deux années en école de graphisme à l’EPSAA, Guillaume Singelinest remarqué par RUN, qui lui propose d’intégrer l’équipe de préproduction du long métrage Mutafukaz. Reconnu pour ses qualités de dessinateur, il est également passé maitre dans l’art de la narration, domaine où l’influence du cinéma est chez lui omniprésente.

Il travaille également pour divers projets de jeux vidéo en tant que designer. Pour le Label 619, dont il est l’un des membres permanents, Il est l’auteur de Loba Loca (spin-off de Mutafukaz), The Grocery, P.T.S.D. et d’histoires courtes dans Doggybags et LowReader.  Il signe avec son dernier album Frontier un récit puissant et moderne de science-fiction.

Roland Lehoucq

✍️ Une préface signée par l’astrophysicien Roland Lehoucq

👤 Roland Lehoucq est astrophysicien et enseignant, très impliqué dans la diffusion des connaissances scientifiques. Il est l’auteur de nombreux livres donnant au grand public un aperçu des dernières connaissances scientifiques et a été commissaire de plusieurs expositions. Il aussi conçu, avec Denis Savoie, le plus grand cadran solaire du monde sur la voûte du barrage de Castillon.

Mais il s’illustre aussi dans le domaine de la science-fiction à travers ses œuvres de vulgarisation ou chroniques dans la presse où il utilise les sciences pour décrypter la pop culture. Il décortique avec humour nos licences préférées : D’où viennent les pouvoirs de Superman ?, l’incontournable Faire de la science avec Star Wars ou encore Mais où est le Temple du Soleil, enquête scientifique au pays d’Hergé, écrit avec Robert Mochkovitch.

Récompensé par de nombreux prix et distinctions, les fans de SF le connaissent surtout pour son engagement envers ce genre depuis près de 25 ans, Roland Lehoucq est aujourd’hui président du festival les Utopiales depuis 2012 et l’un des rares êtres humains vivants au 21e siècle à ne jamais avoir eu de téléphone mobile.

Pourtant il a répondu à l’appel d’Ultime écho et vous invite à réfléchir à la beauté d’une hypothèse…

💡 Sur la page de la campagne, vous retrouverez également des planches originales, des goodies collector, et d’autres surprises. Pour tout savoir sur la campagne, découvrir l’avancée du projet et les news ça se passe par ici.

Thomas Mourier, le 10/07/2024
Anne Masse - Ultime écho - Bubble éditions

-> Les liens renvoient sur le site Bubble où vous trouverez plus d’informations sur les œuvres évoquées

09.07.2024 à 10:25

Mais qu'est-ce donc que la Zzyzx Road ? Histoire heurtée d'un spa au désert californien

L'Autre Quotidien

img
En 1944, Curtis Howe Springer, un prédicateur évangélique qui vivait à Los Angeles, a entendu parler d’une source naturelle nommée Soda Springs dans le désert de Mojave, dont la rumeur disait qu’elle avait des propriétés curatives. S’il avait toute d’abord appelé son centre Soda Springs Cam, Springer a finalement choisi le nom inhabituel de Zzyzx Mineral Springs and Health Resort pour son oasis de bien-être, car le fait d’avoir une liste avec deux z dans le nom garantissait que son complexe était « le dernier mot » en matière de bien-être.
Texte intégral (1821 mots)

Sur l’interstate 15, dans le désert Mojave en Californie, se trouve une sortie pour la route Zzyzx (Zzyzx Road), une sortie au nom étrange. Cette petite route partiellement bitumée de 7,2 km amène à un complexe abandonné du même nom, qui se prononce d’ailleurs « zi-zex », qui utilisait la source Soda Springs.

En 1944, Curtis Howe Springer, un prédicateur évangélique qui vivait à Los Angeles, a entendu parler d’une source naturelle nommée Soda Springs dans le désert de Mojave, dont la rumeur disait qu’elle avait des propriétés curatives.

Springer est alors parti en expédition pour localiser Soda Springs. Il a été tellement impressionné par ce qu’il a découvert qu’il a immédiatement déposé une demande de concession minière afin de pouvoir construire un centre de bien-être où il pourrait inciter les voyageurs à se baigner dans les eaux curatives de Soda Springs.

S’il avait toute d’abord appelé son centre Soda Springs Cam, Springer a finalement choisi le nom inhabituel de Zzyzx Mineral Springs and Health Resort pour son oasis de bien-être, car le fait d’avoir une liste avec deux z dans le nom garantissait que son complexe était « le dernier mot » en matière de bien-être.

Zzyzx Mineral Springs and Health Spa par el-toro (CC BY-NC 2.0).

Zzyzx Mineral Springs and Health Resort, qui offrait un hébergement pour la nuit, un restaurant servant des fruits et légumes cultivés sur place et une salle de conférence où les visiteurs pouvaient entendre les sermons passionnés de Springer, a prospéré jusqu’en 1974, lorsque le Bureau of Land Management a saisi la propriété de Springer. parce que sa concession minière ne lui accordait pas le droit de construire une station balnéaire. Arnaque première, mais pas la seule. La suite est aussi croquignolesque…

Même si le centre comptait de nombreux fans à son apogée, Curtis Howe Springer avait aussi de nombreux détracteurs virulents. Ses opposants affirmaient que les « toniques santé » de Springer, comme le Hollywood Pep Cocktail, étaient principalement composés de sel d’Epsom commun et n’avaient pratiquement aucune propriété curative.

Springer avait également affirmé que Soda Springs était une source chaude naturelle. Il avait secrètement installé une série de tuyaux pour chauffer l’eau naturellement froide, afin de pouvoir vanter les propriétés curatives des sources et inciter les clients à rester plus longtemps et à dépenser plus d’argent. Le site a donc été momentanément abandonné.

Le complexe Zzyzx abandonné et récupéré

En 1976, l’Université d’État de Californie a repris la station thermale Zzyzx et a transformé la zone en un centre d’études sur le désert.

Les vestiges de plusieurs structures, comme l’ancien pool house du complexe, sont encore visibles. Les visiteurs peuvent admirer les ruines des sources minérales et du centre de santé de depuis les rives du paisible lac Tuendae, adjacent au centre d’études sur le désert. Le lac Tuendae, situé dans la réserve nationale de Mojave, est entouré d’un court sentier et d’une aire de pique-nique pittoresque qui constitue un excellent endroit pour observer les oiseaux. Ce site a servi de lieu de tournage pour certains scènes de Dune par David Lynch.

Bien que les vestiges de Zzyzx Mineral Springs and Health Resort soient situés sur un terrain appartenant à l’Université d’État de Californie, les rives du lac Tuendae offrent toujours une vue rapprochée de l’un des spas de bien-être ratés les plus notoires de Californie .

Avoir la chance d’observer le reflet d’une rangée de palmiers scintillant dans les eaux calmes du lac Tuendae, dans le désert aride de Mojave, vaut certainement la peine de cliquer sur votre clignotant lorsque vous apercevez le panneau indiquant Zzyzx Road. Les lieux permettent aussi évidemment d’apprécier la beauté du ciel de nuit dans le désert Mojave. Let’s go !

La route se trouve entre San Bernardino et Las Vegas à l’adresse suivante: Zzyzx Road, San Bernardino, Californie, États-Unis.

Ses coordonnées GPS sont: 35° 08′ 35″ N, 116° 06′ 15″ O.

Bill Burou, le 10/07/2024
Zzyzx Road


02.07.2024 à 13:18

Comment fabriquer des crayons de couleurs pour la forêt ? Réponse nippone

L'Autre Quotidien

img
La société Playfool profite du fait que le Japon soit recouvert de près de 70 % de forêts, une statistique remarquable à une époque où la demande de bois ne cesse d'augmenter et où les développements urbains s'étendent. Et pour éviter le gâchis et les coûts de transport abusifs en terme de bilan carbone, elle a trouvé une solution.
Texte intégral (1370 mots)

La société Playfool profite du fait que le Japon soit recouvert de près de 70 % de forêts, une statistique remarquable à une époque où la demande de bois ne cesse d'augmenter et où les développements urbains s'étendent. Et pour éviter le gâchis et les coûts de transport abusifs en terme de bilan carbone, elle a trouvé une solution.

A l'ère du commerce mondial, il est possible de faire traverser des océans à des forêts entières, ce qui a un impact sur les chaînes d'approvisionnement et modifie la façon dont les ressources locales sont utilisées. Et comme il est souvent plus abordable d'importer du bois d'ailleurs, les arbres coupés localement peuvent rester inutilisés. "Le Japon a trop de bois", déclare Daniel Coppen, qui a cofondé le studio de design Playfool avec Saki Maruyama.

En 2021, Daniel Coppen et Saki Maruyama ont participé à une résidence parrainée par le ministère japonais de l'agriculture, des forêts et de la pêche, au cours de laquelle ils se sont familiarisés avec le surplus unique du pays. Des entretiens avec une myriade de personnes liées à l'industrie des produits forestiers, des ouvriers des parcs à bois aux fabricants de meubles, leur ont permis de mieux comprendre les écosystèmes naturels, industriels et commerciaux des arbres du pays.

Au cours de leurs recherches, le duo a collecté des branches, des feuilles et des rondins qu'il a ramenés à l'atelier pour expérimenter le rasage, l'ébullition, le mélange et même la dégustation. Ils ont également réduit les matériaux en poudre très fine, ce qui a attiré leur attention sur la variété inhérente des teintes. Les poudres ont donné naissance à une sélection de pigments. Les "Forest Crayons" étaient nés.

Mélangés à de la cire fondue, les pigments sont coulés dans des moules pour créer des bâtons faciles à manipuler. Les couleurs reflètent le type d'arbre qui crée chaque nuance distinctive, du bogwood au cèdre en passant par le magnolia et le cyprès. Vous pouvez découvrir le processus méticuleux de fabrication de chacun d'entre eux dans une vidéo produite par V&A.

Bill Chapô, le 3/07/2024
Les crayons Playfool

20 / 20

 

  GÉNÉRALISTES
Basta
Blast
L'Autre Quotidien
Alternatives Eco.
La Croix
Euronews
Le Figaro
France 24
FTVI
HuffPost
L'Humanité
LCP / Public Senat
Le Media
Le Monde
Libération
Mediapart
La Tribune
 
  EUROPE
Courrier Europe Centle
Euractiv
Toute l'Europe
 
  INTERNATIONAL
Equaltimes
CADTM
Courrier International
Global Voices
Info Asie
Inkyfada
I.R.I.S
Jeune Afrique
Kurdistan au féminin
N-Y Times
Orient XXI
Of AFP
Rojava I.C
 
  OSINT / INVESTIGATION
OFF Investigation
OpenFacto°
Bellingcat
Disclose
G.I.J.N
 
  MÉDIAS D'OPINION
AOC
Au Poste
Cause Commune
CrimethInc.
Issues
Les Jours
Le Monde Moderne
LVSL
Marianne
Médias Libres
Quartier Général
Rapports de force
Reflets
Rézo
StreetPress
 
  OBSERVATOIRES
Armements
Acrimed
Catastrophes naturelles
Conspis
Culture
Extrême-droite
Human Rights
Inégalités
Information
Internet actu ✝
Justice fiscale
Liberté de création
Multinationales
Situationnisme
Sondages
Street-Médics
Routes de la Soie
Vrai ou Fake ?
🌞