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21.11.2025 à 11:27

Du Mexique au golfe Persique, plus de 137 millions d'enfants exploités dans la chaîne d'approvisionnement mondiale

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À Istanbul, après le coucher du soleil, le jeune Ahmed (nom fictif) et sa sœur aînée, chargés d'une montagne de bouteilles en plastique vides, se faufilent clandestinement dans le tramway reliant Karaköy à Kabatas. Ils passent inaperçus parmi les touristes et les habitants : leur présence est normalisée. Pieds nus et vêtus de haillons, ils n'ont pas plus de dix ans. Où sont leurs parents ? Le petit garçon hausse les épaules et se faufile entre les adultes. Sa sœur s'enfuit en courant dès (…)

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Texte intégral (3153 mots)

À Istanbul, après le coucher du soleil, le jeune Ahmed (nom fictif) et sa sœur aînée, chargés d'une montagne de bouteilles en plastique vides, se faufilent clandestinement dans le tramway reliant Karaköy à Kabatas. Ils passent inaperçus parmi les touristes et les habitants : leur présence est normalisée. Pieds nus et vêtus de haillons, ils n'ont pas plus de dix ans. Où sont leurs parents ? Le petit garçon hausse les épaules et se faufile entre les adultes. Sa sœur s'enfuit en courant dès l'arrivée sur le quai pour esquiver les questions. Quelques mètres plus loin, un enfant syrien porte un immense panier rempli de chiffons, peinant à avancer sous le poids. Sa mère, qui le précède, le réprimande au milieu du trafic stambouliote.

Le chercheur turc Özgür Hüseyin Akış a passé deux années à travailler sur le terrain dans les usines de recyclage du plastique. Dans son livre, il déclare que le problème du travail des enfants ne cesse de s'aggraver en Turquie en raison des inégalités. « Ici, il y a un million et demi d'enfants réfugiés syriens, et la moitié seulement est scolarisée. Où est l'autre moitié ? », demande M. Akış.

De Tijuana à Reynosa, le périple est également une forme de travail. Les travaux de recherche menés par Plan International et Save the Children sur les fillettes, les garçons et les adolescents non accompagnés à la frontière nord du Mexique font état de tâches informelles (ventes, courses, commandes) qui servent de stratégie de survie pendant le transit et dans les villes frontalières, telles que Juárez. Les syndicats mexicains dénoncent le fait que les failles systémiques de coordination entre les structures d'accueil et les tribunaux (telles que les protocoles irréguliers, les retards et la revictimisation), associées à une réintégration insuffisante dans le système scolaire, augmentent le risque de traite et de travail forcé dans des contextes dominés par le crime organisé.

Par-delà la frontière nord, des milliers de ces enfants traversent la frontière vers les États-Unis, où ils sont également exposés à l'exploitation dans des secteurs très dangereux pour leur santé et leur sécurité, notamment dans l'industrie de la transformation de la viande ou la métallurgie.

En effet, les usines de transformation de viande et de volaille étatsuniennes imposent des conditions pénibles et dangereuses à l'ensemble du personnel (blessures graves, amputations et exposition à des produits chimiques), avec 770 cas signalés d'amputations, d'hospitalisations ou de perte d'un œil entre 2015 et 2018, selon Human Rights Watch.

Dans ce contexte de dangerosité élevée, les mineurs ne devraient pas être présents. Pourtant, le département du Travail des États-Unis a détecté plus de 100 adolescents nettoyant des équipements dangereux pour un prestataire de services en assainissement. La concentration des entreprises et la pression pour aller plus vite alimentent une culture qui encourage le recours à la sous-traitance et aux niches informelles où se retrouvent souvent les migrants mineurs.

À l'autre bout du monde, des jeunes filles d'à peine 13 ou 14 ans, recrutées au Kenya, en Éthiopie ou en Tanzanie, sont envoyées comme employées de maison en Arabie saoudite à travers des réseaux qui falsifient leur âge et leur promettent des (faux) salaires élevés. Ces pratiques sont encouragées par le système de parrainage (kafala) sur place, en vertu duquel le statut migratoire et la protection au travail dépendent exclusivement de l'employeur (kafeel), ce qui facilite le contrôle et les abus. La présentation conjointe de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de Global March au Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d'esclavage décrit des cas de violence sexuelle, de vol de salaire et de séquestration, qui concernent apparemment des travailleuses adultes, mais aussi des adolescentes. Le Kenya a enregistré pas moins de 283 décès de travailleuses domestiques dans les États du golfe Persique entre 2019 et 2023, un indicateur brutal d'un système d'exploitation caché dans les foyers privés, qui peut toucher des mineurs d'âge.

En Afrique de l'Ouest, des « angles morts » persistent dans le secteur du cacao : en dépit de décennies d'efforts et d'engagements pris sur le papier, le Ghana et la Côte d'Ivoire connaissent tous deux une prévalence massive du travail des enfants. Par ailleurs, des enquêtes menées par le gouvernement des États-Unis ont montré qu'en République démocratique du Congo, par ailleurs, l'exploitation artisanale du cobalt, matière première clé pour les batteries, emploie systématiquement des enfants dans des conditions qui combinent poussière toxique, effondrements et journées de travail exténuantes. La norme visant à éliminer ces maillons opaques est présentée dans le Guide OCDE sur le devoir de diligence (2016).

Plus de 137 millions de victimes du travail des enfants

Les estimations mondiales pour 2024 de l'OIT-UNICEF évaluent le nombre de jeunes filles et de jeunes garçons « soumis au travail des enfants » à 137,6 millions, dont 54 millions dans des tâches dangereuses. 61 % travaillent dans l'agriculture, 27 % dans les services (y compris les services domestiques dans les foyers de tiers) et 13 % dans l'industrie (construction, manufacture, exploitation minière). Le fossé entre les sexes est patent : plus de garçons dans l'industrie, plus de filles dans les services et le travail domestique. Ces données sont celles du dernier inventaire et, bien que la tendance soit à nouveau à la baisse depuis 2020, le rythme actuel est insuffisant : le taux de réduction devrait être multiplié plusieurs fois si l'on souhaite éliminer ce phénomène dans les prochaines décennies.

Dans les situations de conflit, telles que celles du Soudan et de la Palestine, les données recueillies par l'OIT révèlent que les guerres et les déplacements de population entraînent une augmentation du travail des enfants et des pires formes d'exploitation, du fait de la destruction des écoles et de la disparition des contrôles et de la protection sociale. Le mouvement syndical mondial demande à ce que la paix et l'espace civique soient considérés comme des conditions nécessaires à l'éradication de ce problème.

Au Soudan, la guerre entraîne une recrudescence des pires formes de travail des enfants, notamment leur recrutement par des acteurs armés (comme porteurs, vigies ou messagers), la traite et les travaux dangereux, en raison du délitement des écoles, de l'inspection du travail et de la protection sociale.

Dans sa communication au Rapporteur des Nations unies, la Confédération syndicale internationale (CSI) estime qu'entre 2005 et 2022, plus de 105.000 mineurs ont été recrutés à travers le monde pour des rôles connexes à des conflits. Selon la CSI, la solution consiste à contenir la violence, à protéger l'espace civique et à financer les voies de réorientation et de réintégration avec un budget, des indicateurs et une coordination entre les pouvoirs publics chargés de l'éducation, du travail et de la protection sociale.

La Palestine s'inscrit dans cette logique de conflit : la guerre et le blocus dégradent l'éducation et les services, aggravent la pauvreté et les déplacements de population et accroissent le risque de travail des enfants et de ses « pires formes ». Ce terme juridique défini par la Convention 182 de l'OIT désigne l'esclavage et la traite, le travail forcé, le recrutement ou l'utilisation par des acteurs armés, l'exploitation sexuelle commerciale (prostitution/pornographie), les activités illicites (trafic de drogue) et les travaux dangereux susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité. En l'absence de données quantitatives, la CSI propose de renforcer la protection sociale (allocations, repas à l'école, soutien psychosocial), de faciliter la réintégration scolaire grâce à des mesures flexibles et de mettre en place un suivi communautaire avec les syndicats et la société civile, en plus d'exiger un devoir de diligence obligatoire des entreprises directement ou indirectement exposées dans la région.

Les réponses de la CSI et de la société civile font état de lois « sur papier » et peu appliquées, d'une informalité considérable et de fractures en matière d'éducation et de protection sociale, en particulier dans les zones rurales et les couloirs migratoires.

À qui profite le vide juridique ?

Plus de 70 % du travail des enfants a lieu dans le secteur agricole, précisément là où se combinent informalité, sous-traitance et faible présence des inspecteurs. La position syndicale commune qui sera présentée lors de la Conférence mondiale sur l'élimination du travail des enfants de l'Organisation internationale du travail (OIT) à Marrakech en 2026 réclame un devoir de diligence obligatoire, des sanctions efficaces, la participation des syndicats à la conception et au contrôle des plans des entreprises, et la subordination du financement des banques de développement à des résultats vérifiables en matière d'élimination du travail des enfants.

Dans le secteur du cacao, certaines marques ont financé des systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants (SSRTE). Il s'agit, par exemple, d'initiatives qui s'étendent à des dizaines de milliers d'enfants au Ghana et en Côte d'Ivoire. Pourtant, avec des millions d'enfants qui continuent de travailler, sans salaires dignes, sans véritable inspection et sans négociation collective sectorielle, les choses n'évoluent guère.

Dans les usines de transformation de viande et de volaille aux États-Unis, les preuves accumulées depuis des décennies confirment que ces environnements sont à haut risque et que le rythme de travail est associé à des lésions, en raison d'un écosystème de pression sur les coûts qui, d'après les syndicats, favorise la sous-traitance et les réseaux informels enclins à l'exploitation des mineurs migrants.

La pauvreté des adultes et les salaires de misère, l'économie informelle, l'absence de protection sociale, l'inaccessibilité ou la mauvaise qualité de l'école, la faiblesse des inspections du travail et l'impunité des entreprises sont autant de facteurs à l'origine de l'exploitation des enfants. Les facteurs « accélérateurs » (chocs climatiques, crises économiques, conflits armés) poussent de plus en plus de familles à la limite. Les données recueillies par la CSI montrent qu'en Afrique subsaharienne, un enfant sur cinq travaille.

En Inde et au Bangladesh, les bas salaires des parents poussent les enfants vers l'agriculture et les usines textiles. Au Guatemala et au Honduras, le caractère saisonnier des récoltes de café et de canne à sucre contraint les enfants au travail.

Les solutions éprouvées et les demandes des syndicats et de la société civile

La feuille de route syndicale pour 2025-2026 n'est pas théorique ; elle est concrète et mesurable :

Les représentants des travailleurs réclament des emplois et des salaires dignes pour les adultes, assortis de négociations collectives et d'une formalisation, en particulier dans l'agriculture et les services.

Ils réclament également une protection sociale universelle financée par une fiscalité équitable (allocations familiales, congés parentaux, couverture santé), avec une attention particulière pour les zones rurales et les travailleurs de l'économie informelle.

Les représentants des travailleurs exigent par ailleurs la garantie d'une éducation gratuite, obligatoire et de qualité, avec des passerelles flexibles pour la réintégration des survivants et la protection du système public contre sa privatisation, qui exclut les plus pauvres.

En outre, ils demandent que des lois strictes soient adoptées et réellement appliquées : extension de la couverture sociale aux zones rurales et au travail domestique ; renforcement des inspections du travail et de la sécurité et de la santé pour les jeunes ; âge minimum de 18 ans pour les travaux dangereux, aligné sur l'âge de l'obligation scolaire.

Pour finir, ils demandent un devoir de diligence obligatoire tout au long de la chaîne (y compris dans les secteurs agricole et informel), avec des voies de remédiation efficaces et un suivi par les travailleurs ou la communauté ; référence à la directive européenne sur le devoir de diligence (actuellement édulcorées) et aux cadres similaires du Canada, de l'Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis. Le tout dans un environnement de paix, de démocratie et avec un espace civique, afin que les syndicats et les communautés puissent surveiller et réparer, dans des contextes de paix et d'après-conflit.

Le bilan intermédiaire de l'Alliance 8.7, Appel à l'action de Durban, adopté en mai 2022 dans le but de mettre fin au travail des enfants, confirme des avancées inégales et, surtout, des manquements en matière de financement, de données, de volonté politique et de responsabilité de la part des entreprises.

Il dresse également des recommandations concrètes à l'intention des gouvernements, des bailleurs de fonds et des entreprises : traiter les données comme un bien public ; remédier à la fracture agricole en matière de couverture juridique, à savoir mettre le secteur agricole sur un pied d'égalité avec le reste de l'économie en matière de protection du travail ; financer la remédiation communautaire et la réintégration scolaire ; et passer de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) volontaire à des obligations en matière de devoir de diligence assorties d'un contrôle indépendant.

Les recommandations de la société civile et de la CSI sont clairement identifiées :

d'une part, les gouvernements doivent intégrer le travail des enfants dans les plans de développement, de commerce et d'éducation, institutionnaliser les voies de remédiation et de réintégration en leur attribuant des lignes budgétaires, coordonner les dossiers du travail, de l'éducation, de l'agriculture et de la protection sociale, et publier des données détaillées.

Les bailleurs de fonds, quant à eux, doivent délaisser les projets à court terme au profit d'un financement flexible et pluriannuel pour les organisations locales, avec des incitations fondées sur l'inspection, la participation et l'ouverture de l'espace civique. Ils doivent également financer les données, la réintégration et le suivi communautaire.

Dans le même temps, les entreprises doivent mettre en œuvre la diligence raisonnable dans tous les secteurs, y compris l'agriculture et le secteur informel, ouvrir leurs chaînes à des vérifications indépendantes, remédier à la situation et améliorer les revenus familiaux et la scolarisation, publier les risques et les indicateurs, et négocier avec les syndicats.

Pour Jordania Ureña, sous-secrétaire de la CSI, « le fait que le travail des enfants, sous ses pires formes, continue d'exister reflète l'échec profond de la responsabilité politique et des entreprises. Les syndicats sont en première ligne, mais un changement systémique requiert une action coordonnée. Les gouvernements et les entreprises doivent agir sans délai : en donnant la priorité aux jeunes filles et aux jeunes garçons plutôt qu'aux profits, en s'attaquant aux causes profondes (de ce fléau) et en garantissant le respect des droits et la dignité du travail pour tous. Les bailleurs de fonds doivent dépasser les solutions à court terme et fournir un financement flexible sur le long terme qui renforce les communautés locales et accompagne les efforts de réintégration et de suivi. »

Les données sont là : le recours au travail des enfants se produit lorsque le salaire des adultes n'est pas suffisant ; l'école perd la bataille contre la faim, notamment lorsque l'informalité règne et que la loi est absente.

Les solutions pour éradiquer le travail des enfants ne manquent pas ; ce qui manque, ce sont les décisions : les salaires décents, l'école publique et la protection sociale, l'inspection et le devoir de diligence assorti de sanctions, et un espace civique pour que ceux qui assurent la surveillance ne soient pas persécutés. Durban a donné le cap à suivre en 2022 et Marrakech exhorte à passer des mots à l'action en 2026. Les recommandations et les normes sont déjà définies. Il ne reste plus qu'à se plier à l'évidence et à supporter le coût de ne plus exploiter les enfants.

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