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27.11.2025 à 15:00

Jason Resnikoff, historien du travail étatsunien : « Le discours sur l'IA permet au capital de définir le progrès et de déterminer qui en profite »

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Jason Resnikoff, professeur étatsunien, enseignant actuellement l'histoire contemporaine à l'université de Groningue aux Pays-Bas, est spécialisé dans l'intersection entre l'histoire du travail et les technologies. Il est l'auteur de Labor's End : How the Promise of Automation Degraded Work, dans lequel il examine comment l'automatisation a intensifié le travail humain, érodé le pouvoir des travailleurs et présenté le progrès technologique comme inévitable et apolitique.
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Texte intégral (3929 mots)

Jason Resnikoff, professeur étatsunien, enseignant actuellement l'histoire contemporaine à l'université de Groningue aux Pays-Bas, est spécialisé dans l'intersection entre l'histoire du travail et les technologies. Il est l'auteur de Labor's End : How the Promise of Automation Degraded Work, dans lequel il examine comment l'automatisation a intensifié le travail humain, érodé le pouvoir des travailleurs et présenté le progrès technologique comme inévitable et apolitique.

Dans cette conversation avec Equal Times, Jason Resnikoff, ancien organisateur du syndicat des travailleurs de l'automobile (UAW) aux États-Unis, réfléchit à l'impact de l'intelligence artificielle (IA) sur le monde du travail et aux réponses individuelles et collectives qu'elle pourrait exiger. Nous nous pencherons sur ce que recouvre la notion de « progrès » et qui la définit tandis que M. Resnikoff nous met au défi d'imaginer les différentes façons dont nous pourrions organiser nos vies et notre travail (si seulement nous pouvions nous libérer du cycle sans fin de la surenchère technologique dans lequel nous vivons actuellement).

Dans vos travaux, vous établissez un parallèle entre l'« irruption » de l'automatisation au XXe siècle et l'IA aujourd'hui, en commençant par le terme lui-même. Vous déclarez que sa définition était « floue » à l'époque, mais que les effets perçus par les travailleurs étaient malgré tout réels. Qu'entendez-vous par là ?

L'origine du terme « automatisation » est avant tout idéologique et je soutiens que tout le discours autour de l'automatisation a servi à établir un modèle sur la manière dont le monde des affaires étatsunien allait parler du progrès technologique par la suite et sur la manière dont il utiliserait ce discours à son avantage. En d'autres termes, l'automatisation a fourni au capital un moyen d'exploiter cette foi généralisée dans la technologie. Elle a repris une idée à laquelle les gens croyaient déjà (cette vieille rengaine, antérieure au XXe siècle, selon laquelle il existe une chose appelée « progrès technologique » et le fait que le progrès technologique et le progrès humain sont une seule et même chose) et en a fait un outil au service des employeurs.

C'était cela, le véritable enjeu de l'automatisation : un discours sur les machines qui présentait certains résultats économiques et politiques comme naturels, voire inévitables. Évidemment, de réels changements technologiques ont eu lieu, aussi réels que les effets sur les travailleurs, cependant, nous ne devons pas tomber dans le piège qui consiste à imaginer que les machines elles-mêmes sont les agents du changement. Pas du tout : ce sont les responsables qui prennent les décisions.

Et vous entrevoyez donc des parallèles avec l'IA…

C'est pour cette raison que la conversation actuelle sur l'intelligence artificielle me semble tellement familière. Le discours qui l'entoure est remarquablement flou et ce flou n'est pas du tout anodin. Lorsque l'on examine ce que disent réellement les chercheurs en IA, ils sont généralement très précis : l'IA ne consiste pas en une technologie unique, mais en une discipline, une manière d'appréhender les calculs informatiques. Pourtant, lorsque les employeurs (et les PDG) parlent d'IA, on a soudainement l'impression qu'une révolution technologique est en cours ; or, c'est un récit totalement différent.

Prenons l'exemple d'Elon Musk, lorsqu'il déclare : « L'IA saura tout faire. » Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir au juste ? Si l'on examine les technologies réelles (grands modèles de langage, apprentissage automatique, traitement automatique du langage), on constate qu'il s'agit d'outils à la portée très précise. Utiles certes, mais pas « révolutionnaires » comme le suggèrent les discours. C'est justement là le point essentiel : ce flou (qui entoure le terme « IA ») permet à des acteurs puissants de contrôler le discours sur le progrès technologique et donne au capital le pouvoir de décider qui en profitera. C'est exactement ce que le discours sur l'automatisation a fait au XXe siècle et exactement ce que le discours sur l'IA fait aujourd'hui.

Bien sûr, certains emplois vont évoluer et certains pourraient même disparaître. Cela s'est toujours passé comme cela sous le capitalisme industriel. Mais en fin de compte, même si la technologie change, la logique reste la même.

Comment pouvons-nous, d'une certaine manière, démasquer cette réalité ? Était-ce peut-être plus facilement perceptible auparavant, lorsque l'on pouvait voir les machines faire le travail, comparé à la complexité de ce qu'implique l'IA ?

En fait, je ne pense pas qu'il ait été évident, au milieu du XXe siècle, de comprendre ce que ces machines accomplissaient réellement. Et cette incertitude faisait partie du problème. Dans les années 1950, vous pouviez entrer dans une usine de Cleveland et avoir l'impression que les machines effectuaient la majeure partie du travail. Des milliers de personnes y travaillaient encore, mais ce que l'on ne voyait pas, c'étaient les emplois qui avaient déjà été délocalisés, d'abord vers le sud du pays, puis à l'étranger. Et même à l'intérieur de l'usine, on pouvait avoir l'impression qu'il y avait moins de travailleurs, mais ce que l'on ne remarquait pas, c'était que l'employé qui travaillait à la chaîne travaillait désormais plus dur pour une rémunération inférieure. L'une des caractéristiques fondamentales de ces machines qui permettent d'économiser de la main-d'œuvre est précisément qu'elles masquent le travail. Cela ne veut pas pour autant dire que les machines ne peuvent pas remplacer la main-d'œuvre ; elles la remplacent bel et bien. Mais les employeurs utilisent aussi les technologies à d'autres fins : pour externaliser le travail, le réorganiser et pousser les employés à travailler davantage.

Alors, à la question de savoir « comment pouvons-nous démasquer cette réalité ? », en fait, il aurait fallu la démasquer à l'époque également. Sous le système capitaliste, cela a toujours fait partie de l'histoire des technologies : de nouvelles machines font leur apparition et, avec elles, une certaine confusion quant aux changements réels qui se produisent. Il peut arriver que les travailleurs travaillent plus dur, tout en continuant à croire que c'est l'automatisation qui effectue le travail. Lorsque les ordinateurs de bureau ont fait leur entrée dans les bureaux dans les années 1980, les travailleurs se sont soudainement retrouvés à effectuer des tâches administratives qu'ils n'avaient jamais eu à accomplir auparavant. La technologie crée une sorte d'aura qui rend ce travail supplémentaire invisible : vous ne vous rendez pas nécessairement ou immédiatement compte que vous travaillez davantage, mais, dans les faits, c'est bien ce qui se passe.

Comment ne pas se laisser distraire et comprendre ce qui se passe réellement ?

Lorsque l'on aborde la question des technologies d'aujourd'hui, il n'existe pas beaucoup d'analyses solides émanant de la gauche, y compris des syndicats, sur lesquelles les travailleurs peuvent s'appuyer. Ainsi, lorsqu'une entreprise comme Apple ou une personnalité comme Elon Musk présente un nouveau gadget ou un nouveau système, il n'est pas surprenant que les gens aient tendance à réagir avec admiration plutôt qu'avec méfiance.

Depuis plusieurs générations, on nous explique que le progrès découle du capital, que chaque nouvelle machine est un signe de progrès de la civilisation et les travailleurs ont, en grande partie, intégré cette idée. Je pense que ce dont nous avons besoin, surtout au niveau des syndicats et des éducateurs, c'est d'un moyen de dissocier ces idées. Nous devons clairement affirmer que le progrès technologique ne doit pas nécessairement provenir du capital, que ce n'est pas leur pré carré. Un autre élément tout aussi important est que nous ne sommes pas tenus d'accepter leur définition de ce qui constitue le progrès.

Nous devons aussi poser la question suivante : à quoi ressemble réellement le progrès pour vous ? Car si votre conception du progrès est celle d'un esclave robotique (c'est ce qu'on nous vend en définitive), alors peut-être vaut-il la peine d'y réfléchir à nouveau. Cependant, je doute que la plupart des gens soient d'accord avec cette conception. Prenons l'exemple d'Elon Musk et de son projet Optimus. Pourquoi sa vision du progrès devrait-elle être celle avec laquelle nous devons tous composer ?

Vous êtes d'accord qu'il existe certains emplois, et certaines tâches dans de nombreux emplois, que nous préférerions ne pas effectuer, et, dans ce cas, nous serions satisfaits que les technologies prennent le relais, quelle que soit leur origine.

De nombreux emplois comportent des aspects que les gens n'apprécient pas, même s'ils aiment leur travail dans l'ensemble. On pourrait également formuler cette question comme suit : il y a certaines obligations (ou tâches) que les gens ne souhaitent tout simplement pas faire. Certains métiers ont toujours été extrêmement difficiles à rendre dignes. Pensez à l'exploitation minière : historiquement, seuls les travailleurs sous contrainte, les personnes très pauvres ou celles qui n'avaient pas d'autre choix devenaient mineurs. Il est difficile d'imaginer que ce type de travail peut être transformé en un « bon » travail. Il est donc évident qu'il existe des cas où une machine sera probablement mieux adaptée pour accomplir une tâche.

Je ne suis ni un « luddite » ni opposé à la technologie. Si une machine peut rendre un travail plus sûr ou plus digne, c'est évidemment une bonne chose. Néanmoins, la question plus profonde est la suivante : qui conçoit ces emplois en premier lieu ? Ce sont les individus qui déterminent socialement ce qui est « nécessaire ». C'est ce qu'on appelle la nécessité sociale. De nombreux emplois, dans leur forme actuelle, sont déterminés socialement. Prenons l'exemple du ménage, ou « travail reproductif social », un type de travail qui a toujours été dévalorisé et féminisé. Aujourd'hui, nous disposons de toutes sortes de machines censées faciliter les tâches ménagères. Pourtant, comme l'a démontré l'historienne Ruth Schwartz Cowan dans son ouvrage More Work for Mother, ces appareils créent souvent de nouveaux types de travaux au lieu de les éliminer.

Au tournant du XXe siècle, un groupe de penseurs s'est posé la question suivante : « Pourquoi effectuons-nous toutes ces tâches domestiques individuellement ? » Ils ont souligné que le capitalisme industriel avait déjà centralisé la production de vêtements. Alors, pourquoi ne pas appliquer ce même modèle collectif à d'autres tâches de reproduction sociale ? Ils ont alors imaginé des services de garde d'enfants collectifs, des espaces communs permettant de répartir le travail reproductif, concevant ainsi un meilleur système de soins. C'est un point crucial. En effet, lorsque les personnes au pouvoir conçoivent le processus de travail, leur modèle inclut presque toujours une hiérarchie et une contrainte. Les machines qu'elles construisent, les technologies qu'elles promeuvent, reflètent donc cette même logique. Cependant, il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Nous pourrions imaginer des machines et des technologies conçues selon des principes différents.

Dans notre réalité d'aujourd'hui, comment pourrions-nous envisager de changer de cap et mener cette réflexion ?

Nous évoluons effectivement dans un environnement extrêmement dynamique. C'est également un environnement où les géants technologiques ont totalement envahi le terrain. Et tout cela se produit à un moment où bon nombre de personnes se sentent déjà assez impuissantes. Dans ce contexte, je proposerais un exercice axé sur les travailleurs : imaginons un instant qu'il n'y ait plus aucun changement technologique. Tout s'arrête aujourd'hui et rien de nouveau ne peut arriver. Comment est-ce que j'organiserais ma vie, mon travail ? Comment est-ce que j'organiserais mes idées politiques d'une manière que je considérerais comme juste et bonne ? De quoi aurais-je besoin ? Vous pourriez bien finir par dire que vous auriez besoin d'inventer une machine capable de faire X ou Y, mais j'imagine que la plupart des gens auraient une réponse différente, p. ex., « Je voudrais avoir le contrôle de mon temps ».

Or, vous devez commencer par avoir votre idée à vous de ce que vous souhaitez accomplir. Et la raison pour laquelle toutes ces applications et tous ces autres outils compliquent les choses, c'est qu'ils incorporent déjà certaines prémisses : « Ne souhaitez-vous pas atteindre cet objectif ou réaliser cette tâche ? » Ces applications et outils vous disent ce que vous pourriez vouloir faire et tentent également d'influencer vos envies. Chaque outil porte en lui ses propres intentions. Il s'agit peut-être de générer des revenus, de collecter des données ou de vous enfermer dans un écosystème logiciel. Il se peut aussi qu'il s'agisse simplement d'un développeur qui cherche à faire connaître son application. Quoi qu'il en soit, ces motivations ne correspondent pas nécessairement à ce que vous, en tant que travailleur ou personne, estimez avoir de la valeur.

Cet exercice permet de réintroduire la notion du politique dans notre vie professionnelle. Pour moi, surtout en tant qu'historien du travail, ce qui ne cesse de m'impressionner est à quel point nos environnements de travail paraissent souvent apolitiques.

Autrement dit, les changements technologiques ne sont ni neutres ni apolitiques, selon vous ?

Effectivement. Les employés et les managers doivent évoluer dans le même environnement, caractérisé par une pression constante pour s'adapter et « ne pas prendre du retard ». Même les managers qui ne sont pas particulièrement favorables aux nouvelles technologies éprouvent cette pression. Ils ne sont peut-être pas à l'origine des changements, mais ils sont néanmoins jugés en fonction de ceux-ci. Et, à leur tour, ils jugent leurs employés en fonction de la rapidité avec laquelle ils s'adaptent. C'est ainsi que la technologie devient politique. Et derrière tout cela, les géants du secteur des technologies façonnent activement l'environnement de travail en fonction de leurs propres objectifs. Ils exercent un pouvoir hégémonique sur notre environnement bâti et, donc, utiliser leurs applications devient une forme de collaboration.

Mais encore une fois, comment pourrions-nous nous opposer à ce système ?

Ce problème n'est pas individuel, il est collectif. La façon dont les gens interagissent avec les moyens de production a toujours été un enjeu social, et non personnel. Si nous voulons imaginer des modes d'interaction avec les moyens de production qui n'aliènent pas le travailleur, ce n'est pas quelque chose que vous pouvez faire seul. C'est un projet de grande ampleur qui doit nécessairement être collectif, car il est impossible de se déconnecter de l'appareil industriel. Il faut vivre selon sa logique, ce qui le rend extrêmement difficile à contester ou à remodeler.

Je ne dis pas que les travailleurs peuvent ou doivent essayer de refuser cette réalité individuellement. Ce que je dis, c'est que le but des travailleurs organisés devrait plutôt être de déclarer que nous devons négocier sur cet enjeu. Il faudrait le remettre à l'ordre du jour, comme le font actuellement de nombreux syndicats. Parce qu'à l'heure actuelle, la plupart des syndicats traitent le changement technologique comme quelque chose qui arrive tout simplement. Mais si les syndicats ne négocient pas au sujet de ces changements, et si l'État n'intervient pas pour les planifier ou les réglementer, qui le fera ?

Au sujet des syndicats, comment percevez-vous leur rôle dans cette mutation technologique et ce glissement de pouvoir ?

Aujourd'hui, de nombreux syndicats se penchent sérieusement sur la question de l'IA, quoi qu'englobe ce terme, et tentent de définir des politiques appropriées en la matière. Mais ce n'est pas tout à fait la même chose que de dire : « Le syndicat devrait se fixer comme priorité de véritablement avoir son mot à dire sur la manière dont le travail est effectué » ou « Nous souhaitons disposer d'un droit de veto sur les nouvelles technologies ». Je pense que le mouvement syndical s'est fourvoyé en abandonnant l'idée que les travailleurs devraient un jour contrôler les moyens de production. Ils ont non seulement renoncé à la lutte (parce que cette lutte était perdue d'avance), mais, plus grave encore, ils ont également renoncé au travail d'analyse qui accompagnait cet objectif. Ils ont commencé à donner raison à leurs patrons sur le fait que ces derniers étaient les mieux placés pour créer un monde technologique meilleur. C'est une concession énorme.

Désormais, il est beaucoup plus difficile pour les syndicats de réagir aux changements technologiques, car ils n'ont pas d'objectif clair concernant l'environnement bâti où les gens travaillent, hormis « nous voulons protéger les emplois », mais cela reste très basique. Le principal problème depuis le début des années 1950 est que les dirigeants syndicaux craignaient d'être qualifiés d'« opposants au progrès ». Rejeter une nouvelle technologie revenait à dire : « Nous voulons rejeter la croissance économique ». Cette crainte a coûté cher cependant. Parce que, si les dirigeants syndicaux avaient développé leur propre vision de la croissance économique, le virage néolibéral aurait été beaucoup plus difficile à faire accepter.

Donc, je pense que c'est sur ce point que les syndicats doivent évoluer. Le pouvoir viendra peut-être plus tard, mais la clarté des objectifs doit passer en premier. Imaginez que vous soyez un jeune travailleur aujourd'hui qui se demande s'il doit adhérer à un syndicat. Que penseriez-vous si le syndicat vous disait : « Votre lieu de travail est aliénant et nous voulons nous assurer qu'un jour, vous puissiez contrôler votre propre vie, y compris votre environnement ». Et comparez cela à : « Nous voulons garantir que vous pourrez intégrer un programme de reconversion professionnelle si votre emploi est supprimé. » Ces propos sont nettement moins motivants.

En quoi ce défi est-il différent pour eux aujourd'hui ?

Je ne suis pas sûr que ce défi soit spécifique au contexte technologique actuel. Il s'agit plutôt du prolongement d'un problème plus ancien, qui prend vraiment forme dans les années 1970 et 1980, avec la mondialisation, lorsque de nombreux États ont convenu que les capitaux et les marchandises circuleraient librement à travers les frontières, mais pas les travailleurs ni leurs droits.

Les technologies ont permis une répartition mondiale de la production en temps réel. L'« atelier » n'est plus confiné à un seul pays ou continent. Vous pouvez faire travailler des gens éparpillés à travers le monde sur un même processus, ce qui est extrêmement difficile à organiser.

Comment les syndicats devraient-ils réagir à cette situation donnée ?

Une stratégie consiste à tenter de faire en sorte que le processus de travail soit entièrement local, c'est-à-dire circonscrit à un lieu spécifique. L'autre solution consiste à organiser tout le long de la chaîne d'approvisionnement. C'est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, mais c'est probablement le seul moyen réaliste d'avancer dans un monde où le travail est plutôt en réseau que centralisé. Le mouvement visant à organiser chez Amazon en est un bon exemple : il ne s'agit pas d'une seule usine, mais d'un réseau logistique d'entrepôts, de centres de distribution, de centres de données et de sous-traitants qui traverse les frontières. Il n'est pas possible d'organiser cette entreprise usine par usine, car sa structure même est conçue pour contrecarrer cette stratégie. Il faut dresser la carte du processus de travail et organiser horizontalement le long de ses nombreux canaux.

Par ailleurs, nous avons déjà pu voir ce qui se passe lorsque les méthodes traditionnelles sont employées. Lorsque les travailleurs se sont organisés dans un entrepôt au Québec, Amazon a réagi en le fermant purement et simplement. Ils préfèrent abandonner toute une région plutôt que de s'engager dans des négociations avec un syndicat. Ils sont tellement puissants qu'ils peuvent contourner le problème. Mon instinct me dit qu'il en sera de même pour le secteur des technologies. Nous devrons dresser une cartographie du processus de travail, c'est-à-dire déterminer où les données sont générées et traitées et où les profits sont réalisés.

Connaissez-vous un exemple de syndicat qui a su tirer son épingle du jeu face aux défis posés par l'IA ?

Il y a quelques années, lorsque le syndicat des scénaristes des États-Unis (Writers Guild of America) s'est mis en grève, l'un de leurs principaux arguments de négociation était qu'ils ne souhaitaient pas que l'intelligence artificielle écrive des scénarios. Ils ont clairement exprimé leur position en déclarant : « C'est notre travail. C'est ce qui lui donne du sens. » J'ai pensé qu'adopter une telle position était courageux. Et cela ne les a pas fait passer pour des luddites ou des irresponsables. Au contraire : tout le monde a compris qu'ils protégeaient leur métier. Le fait que, à ce moment-là, l'IA ne semblait pas encore inévitable a également joué en leur faveur. Sans compter que leur position semblait d'autant plus forte en raison de leurs adversaires dans les négociations. Les studios ne sont pas vraiment des figures sympathiques, leur motivation étant manifestement le profit.

Et même s'ils n'ont obtenu qu'une demi-mesure, le fait qu'ils aient formulé cette demande était significatif. Ils ont démontré qu'il était possible pour un syndicat de remettre directement en question le discours sur les technologies, de dire « non » sans paraître opposé au progrès. Je pense que les gens ont encore la capacité de décider de leurs propres valeurs et de défendre ce qui devrait avoir de la valeur. Et je ne pense pas que nous devrions renoncer à cette capacité au profit de ce que le capital considère comme ayant de la valeur. Le mouvement syndical a la responsabilité, à tout le moins, d'être capable d'exprimer ce qu'il souhaite réellement. Il n'obtiendra peut-être pas tout ce qu'il souhaite, mais l'important est de le formuler clairement.

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