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05.11.2025 à 10:59

Elsa Arnaiz Chico : « On ne peut exiger des citoyens qu'ils s'expriment davantage, qu'ils participent davantage, s'ils sont appauvris »

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Elsa Arnaiz Chico est présidente de l'association Talento para el Futuro, une plateforme qui fédère une centaine d'organisations de la société civile et qui met l'accent sur l'autonomisation de la jeunesse et, plus spécifiquement, sur la promotion de la participation des jeunes dans les processus de prise de décision.
Souvent de passage à Bruxelles pour nouer des liens avec d'autres organisations de la société civile et rencontrer des représentants des institutions communautaires (UE), (…)

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Texte intégral (2499 mots)

Elsa Arnaiz Chico est présidente de l'association Talento para el Futuro, une plateforme qui fédère une centaine d'organisations de la société civile et qui met l'accent sur l'autonomisation de la jeunesse et, plus spécifiquement, sur la promotion de la participation des jeunes dans les processus de prise de décision.

Souvent de passage à Bruxelles pour nouer des liens avec d'autres organisations de la société civile et rencontrer des représentants des institutions communautaires (UE), elle a accepté de répondre aux questions d'Equal Times sur le rôle des jeunes (comme collectif civique et effectif) pour le présent et l'avenir de nos démocraties et du monde du travail, ainsi que sur leur rôle pour réduire le fossé entre les générations. L'analyste, professeure d'université et activiste, a aussi saisi cette occasion pour évoquer certaines revendications spécifiques adressées aux gouvernants, aux administrations et aux générations précédentes.

Vu depuis votre poste au sein de la plateforme citoyenne Talento para el Futuro, quelle est votre analyse de l'autonomisation de la société civile, et des jeunes en particulier, compte tenu du fait que l'indépendance économique constitue un facteur clé ?

En effet, il est très important que la société civile dispose des ressources nécessaires. On ne peut pas exiger des citoyens qu'ils s'expriment davantage, qu'ils participent davantage, s'ils sont appauvris. En Espagne, une partie non négligeable de la population est menacée d'exclusion sociale, alors même qu'elle a un emploi.

Si l'on veut comprendre, par exemple, comment fonctionnent le Congrès des députés espagnol ou les institutions européennes (pour ensuite pouvoir peser sur les politiques qui nous affectent), il faut y consacrer du temps, et sans les ressources nécessaires [alors] l'autonomisation se limitera à quelques « tweets » et aux réseaux sociaux.

L'autonomisation politique et la véritable participation citoyenne restent marginales en raison du manque de ressources, en particulier chez les plus jeunes. Autrement dit, les personnes qui débattent de l'avenir du logement ne sont pas celles qui sont confrontées au problème du logement. Les personnes vivant dans un sous-sol à peine éclairé n'ont même pas la possibilité d'en débattre, car elles pensent uniquement à arriver à la fin du mois.

Pour l'immense majorité des personnes, indépendance économique et emploi sont étroitement liés. Comment les jeunes perçoivent-ils le monde du travail ?

Actuellement, je crois qu'il existe une conception très paternaliste (qui consiste à nous traiter comme des garnements capricieux) chaque fois que nous abordons les conditions de travail en évoquant un emploi qui fait sens : nous ne voulons pas vivre uniquement pour travailler ; nous voulons travailler et vivre. Il faut s'opposer à ce discours. En Espagne, les jeunes citoyens sont très instruits, mais ils se heurtent à la réalité d'un monde du travail où ils ne trouvent pas d'emploi ou, s'ils en trouvent un, c'est à travers le piège des faux stagiaires ou des faux indépendants.

Atteindre un avenir désirable dans une démocratie, dans une société, n'est possible que si ses citoyens ont un emploi de qualité. Et je ne parle pas seulement de travailler dans l'entreprise de technologies la plus prestigieuse (même si, pourquoi pas), mais aussi de toucher un salaire digne, de travailler moins d'heures, d'avoir un travail qui a du sens, de ne pas prendre le balayeur, la caissière de supermarché, les agriculteurs de haut… Il faut repenser l'avenir du travail, qui ne se limite pas à l'automatisation, et aspirer à un meilleur avenir du travail.

Pour changer la trajectoire d'une réalité qui semble partir dans une autre direction, quelle serait la stratégie à adopter ?

D'une part, il serait important que l'administration ne se contente pas de les certifier, mais facilite et encourage la création de plus de B Corp (« Benefit Corporation »), à savoir des entreprises qui ne cherchent pas uniquement le profit économique, mais qui ont également un objet, un impact social (et environnemental) positif. Il faudrait également que les gens prennent conscience qu'il existe d'autres façons de construire cet avenir du travail. Il est essentiel de multiplier les exemples de ce type, tout comme les opportunités, et de faire en sorte que les jeunes sachent qu'ils peuvent évoluer pour aller vers des emplois dans ce type d'entreprises.

Il convient également d'aborder le discours sur la trop grande charge fiscale qui empêcherait les entrepreneurs de verser des salaires dignes, ou sur le fait que l'augmentation du salaire minimum serait une mauvaise nouvelle… Je pense que nous pouvons parvenir à instaurer la semaine de quatre jours et nous pouvons tenter de la mettre en place progressivement. Il faut continuer à mettre certaines questions sur la table, ce qui n'a rien d'un caprice, mais exigent un effort de pédagogie.

En dernier lieu, du moins dans le cas de l'Espagne, la formation professionnelle doit être davantage valorisée. La stigmatisation qui veut que ces formations soient « réservées aux jeunes qui n'ont pas pu aller à l'université » est en train de disparaître, car l'obsession de l'accès à l'université nous fait du tort. Parallèlement, nous devons repenser le rôle de l'université : elle ne doit pas seulement former des travailleurs, mais aussi des individus. Ne devrait-on pas intégrer davantage d'éthique et de philosophie, même dans les filières techniques ? Et, bien sûr, combler le fossé entre l'université publique et privée.

Comment restaurer la confiance des citoyens dans la politique, la démocratie et les institutions ?

Il convient de commencer là où l'on peut réellement avoir le plus grand impact (dans le cas de Talento para el Futuro, en Espagne) et de montrer que la participation citoyenne est un élément fondamental pour construire cet avenir démocratique désirable qui semble aujourd'hui de plus en plus inaccessible. Il est indispensable que cette participation citoyenne soit réelle. Et pour qu'elle soit réelle, il faut se rapprocher du citoyen, s'adapter à sa réalité et faire preuve de pédagogie.

À propos de la communication intergénérationnelle, comment peut-on l'améliorer ?

En prenant le temps, pour permettre une véritable conversation, et en y consacrant l'espace nécessaire, pas derrière des portes closes. Souvent, le fossé se résorbe en optant pour la simplicité. En effet, il ne s'agit pas seulement de s'adresser à un ministre (même si cela vaut la peine également), mais aussi à son voisin, à son beau-frère que l'on n'apprécie pas nécessairement, etc. Ces beaux-frères ou ces personnes plus âgées d'autres générations doivent également se montrer ouverts et disposés à écouter.

À l'instar des relations que l'on tisse avec les politiciens pour échanger sur la législation et les politiques publiques, entretenez-vous des contacts similaires avec les syndicats pour discuter du monde du travail ?

Nous avons collaboré sur quelques projets, notamment sur un projet qui fait le lien entre l'avenir du travail et l'économie circulaire, mais les contacts ont tendance à être plus fréquents avec la branche jeunesse des syndicats. Je pense que les syndicats sont une structure qui peine à se renouveler, surtout en Espagne. Ils sont perçus comme une structure du siècle dernier…

Pourtant, lorsque l'on évoque, par exemple, le travail sur les plateformes, la précarité professionnelle qui y est déjà associée et la nécessité pour les travailleurs de s'organiser (pour modifier cette réalité hostile), on finit par avoir besoin d'un syndicat ou en créer un, n'est-ce pas ?

Il ne fait aucun doute que les syndicats, pour les questions liées au travail, et les organisations de la société civile sont essentiels, entre autres, pour contrebalancer le poids des lobbies.

Il est toutefois important de comprendre qu'il ne faut pas attendre d'arriver à une situation catastrophique (peu importe qu'il s'agisse des livreurs ou du logement), pour mener une action collective (essentielle pour obtenir des changements). Le fait de s'affilier à un syndicat ne devrait pas être considéré comme une action « de gauche ». Il faut comprendre cette dimension collective comme faisant partie intégrante de notre vie citoyenne, de notre quotidien, chose qui tend à se perdre (dans nos sociétés de plus en plus individualisées). Dans le même temps, il convient de fournir les espaces et les opportunités (c'est-à-dire le temps) nécessaires.

Quels sont vos conseils pour une action civique efficace ?

Il faudrait réintroduire ce cours que l'on appelait « Éducation à la citoyenneté, » dont le but n'était pas d'endoctriner, mais d'enseigner, et qui m'a permis, par exemple, de comprendre le rôle des syndicats. Il est très important de donner une visibilité : souvent, il ne s'agit pas seulement d'un cours, mais aussi d'avoir l'occasion de rencontrer ces personnes, qu'il s'agisse d'un syndicaliste, d'un député, etc. Savoir, par exemple, où se trouve son siège et comment y adhérer. Comment peut-on faire partie d'un collectif si l'on en ignore l'existence ?

Il faut aussi que les jeunes comprennent que nous, citoyens, disposons d'un grand pouvoir lorsque nous nous organisons, et que cela ne se résume pas à une vision conflictuelle (organisation citoyenne contre l'institution), mais simplement à échanger davantage entre nous. [Les partis et les syndicats devraient] adopter une approche plus authentique et sincère en disant « écoute, je souhaite vraiment que tu fasses partie de ce projet, car je veux que tu comprennes que la démocratie se construit au travers de cette dimension collective qui consiste à comprendre que nous avons tous une responsabilité ».

Il faut comprendre et aller à la rencontre des jeunes là où ils se trouvent, trouver de nouvelles façons de communiquer avec eux. Malheureusement, les entités les plus autoritaires sont celles qui y parviennent le mieux.

Dans ce contexte, les « chambres d'écho » semblent indissociables de l'addiction au téléphone portable. Où le bât blesse-t-il ?

À un moment donné, les réseaux sociaux ont permis la création d'une agora numérique et ont favorisé certains mouvements mondiaux. Malheureusement, le pouvoir corrompt : on voit aujourd'hui que ce qui rapporte de l'argent (pour les dirigeants de ces réseaux) est un algorithme polarisateur dont le but est de créer ces chambres d'écho dans lesquelles les gens se mettent de plus en plus en colère. Le problème est encore plus grave lorsque ces forums ne sont pas ouverts.

Les réseaux comme TikTok posent de sérieux problèmes, car ils sont très addictifs. Les créateurs de contenu savent parfaitement ce qu'ils doivent faire et ces chambres d'écho prennent de plus en plus d'ampleur. Les jeunes commencent à avoir des référents qui ne savent pas du tout de quoi ils parlent, mais qui s'expriment avec l'autorité que leur confère le fait d'avoir autant d'abonnés.

Pour les libérer de leur téléphone portable, il faut leur offrir une alternative, créer des espaces culturels, des espaces collectifs qui soient intéressants pour les jeunes citoyens. Le problème est que les loisirs sont de plus en plus privatisés.

Par contre, si le discours ambiant ressasse sans cesse que c'est la fin du monde, il est normal que l'on veuille s'évader, que l'on n'ait pas envie de lire un livre ou de participer à un club de discussion.

Comment vous rebellez-vous contre cela ? Quelles sont vos propositions pour changer de cap ?

Nous soutenons, par exemple, l'interdiction du défilement infini (scrolling) et que cette restriction soit appliquée par défaut, dès la phase de conception. Il importe également d'étudier l'effet des smartphones sur le cerveau des plus petits. Des recherches supplémentaires sont nécessaires, car il est très difficile de savoir quelles propositions avancer si nous ne connaissons pas les impacts exacts.

La télévision publique doit se réinventer et proposer des programmes destinés aux publics plus jeunes. J'en reviens également à ce que je disais précédemment : il est important de proposer des loisirs alternatifs. Il faudrait davantage de rues piétonnes, davantage de rues où les jeunes peuvent jouer au basket, où les jeunes de 25 ans peuvent prendre un café qui ne soit pas un café de spécialité… Retrouver les choses simples, comme être à l'extérieur et se regarder dans les yeux.

Et puis, pour finir, il faut se dire que le problème de l'addiction au téléphone portable, de ces chambres d'écho, de cette polarisation, ne concerne pas seulement les jeunes, mais bien chacun d'entre nous.

Pour terminer, les technologies permettent déjà de vivre dans des bulles personnalisées (triées par goûts, par lieu de résidence). Comment une société civile active peut-elle neutraliser cela ?

Malheureusement, il faut passer par des solutions réglementaires, même si elles ne nous plaisent pas, même si les entreprises technologiques nous sortent l'argument de la liberté d'expression. Il ne faut pas oublier que ce sont justement ces PDG qui la contrôlent.

Même si cela peut sembler utopique, il est essentiel de disposer d'une réglementation sur les droits numériques, car la vie sur les plateformes numériques est aussi la vie réelle, au même titre que nous avons une déclaration des droits humains. Les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous, sinon, une fois encore, peu importe ce que font l'Espagne ou l'Union européenne, si les choses fonctionnent autrement ailleurs.

Un volet d'éducation numérique doit également être intégré à la formation des jeunes et des citoyens, car nous sommes plongés (bien que personne ne veuille l'admettre) dans une guerre numérique. Cette guerre ne se livre pas avec des chars, mais elle est marquée par la polarisation et la reconstruction interne de la démocratie. Il est réconfortant de penser que la politique reste assez humaine. Nous devons donc nous efforcer de rapprocher nos positions.

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