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17.12.2024 à 10:29

L'indice B-Ready : quand la Banque mondiale balaie les droits du travail sous le tapis

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À l'automne, la Banque mondiale a dévoilé son nouvel indice Business Ready (B-Ready), qui succède au controversé Doing Business Report (DBR), abandonné en 2021 sur fond de scandale de manipulation des données. Ce nouvel indice, qui promet une évaluation plus complète de l'environnement des affaires des pays, ne se limite pas à l'environnement réglementaire et inclut des mesures de la qualité des services publics ainsi que des données d'enquêtes réalisées auprès des entreprises.
Pourtant, (…)

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Texte intégral (1407 mots)

À l'automne, la Banque mondiale a dévoilé son nouvel indice Business Ready (B-Ready), qui succède au controversé Doing Business Report (DBR), abandonné en 2021 sur fond de scandale de manipulation des données. Ce nouvel indice, qui promet une évaluation plus complète de l'environnement des affaires des pays, ne se limite pas à l'environnement réglementaire et inclut des mesures de la qualité des services publics ainsi que des données d'enquêtes réalisées auprès des entreprises.

Pourtant, l'indice B-Ready reprend l'approche qui avait fait du DBR la « coqueluche » des investisseurs et un produit étroitement surveillé par les décideurs politiques : un classement simple qui réduit les processus complexes du cycle de vie des entreprises à des scores simplistes. Cette approche réductionniste peut certes fonctionner pour certaines tâches commerciales opérationnelles, comme la mesure de l'accès à l'électricité, mais son application aux relations de travail souffre de vices fondamentaux.

L'indice rétablit l'indicateur controversé de l'« Embauche des travailleurs », qui avait été retiré du DBR après des années de critiques formulées par le mouvement syndical mondial et des organisations internationales, car il récompensait les pays au niveau de réglementation le plus faible, y compris ceux qui violaient les droits des travailleurs, ce qui est censé rendre leurs économies plus attrayantes pour les affaires.

La nouvelle mouture de l'indice comprend désormais des indicateurs permettant de déterminer si les pays garantissent les droits fondamentaux des travailleurs (de la liberté d'association à la sécurité au travail) et s'ils offrent des régimes de protection sociale essentiels, tels que l'assurance chômage et l'assurance maladie.

Toutefois, une nouvelle analyse réalisée par la Confédération syndicale internationale (CSI) révèle qu'en traitant les politiques du travail comme une question purement technocratique dépourvue de contexte social et politique, l'indice B-Ready perpétue la démarche favorisant les entreprises et la déréglementation de son prédécesseur, encourageant un nivellement par le bas des normes du travail.

Un important vice méthodologique réside dans le fait que B-Ready s'appuie sur un petit nombre de juristes pour évaluer des institutions et des relations complexes dans le domaine du travail. Par exemple, la Géorgie (le pays le mieux noté dans la section sur le travail) obtient un score maximum, car elle avait rendu obligatoire la consultation sociale lors de la fixation ou de l'actualisation du salaire minimum, alors même que le pays n'a pas revalorisé son salaire minimum depuis 1999. De plus, le pays se voit récompensé pour son salaire minimum qui se situe bien en deçà du niveau de subsistance.

Ce fossé entre les cadres juridiques qui protègent les travailleurs et leur mise en œuvre est présent partout dans la section consacrée au travail de l'indice.

Alors que les sondages auprès des entreprises permettent de mesurer l'impact de la réglementation sur ces dernières, l'indice ne tient pas compte des conséquences réelles pour les travailleurs. Les pays peuvent décrocher un score élevé en maintenant des coûts sociaux minimes pour les employeurs, créant ainsi une façade de protection des travailleurs sans réellement la mettre en œuvre. En bref, l'indice B-Ready permet aux gouvernements d'avoir l'air de se conformer à la réglementation tout en portant atteinte aux droits des travailleurs en réalité.

Comment la logique de privatisation de l'indice B-Ready sape-t-elle les droits et les protections des travailleurs ?

L'incohérence frappante entre les institutions internationales et les réalités locales trouve une illustration saisissante en Indonésie. Alors que la Banque mondiale et le FMI ne tarissent pas d'éloges sur les réformes du marché du travail contenues dans la loi Omnibus 2020 sur la création d'emplois, les travailleurs indonésiens ont livré bataille pendant quatre ans contre l'assaut de cette loi sur les protections des travailleurs. Leur résistance a atteint son point culminant en octobre dernier avec une victoire auprès de la Cour constitutionnelle, qui a déclaré la loi conditionnellement inconstitutionnelle — la deuxième décision de ce genre depuis 2021.

Le fossé entre les éloges technocratiques et la résistance sur le terrain révèle à quel point les institutions financières internationales (IFI) restent dangereusement détachées de l'impact humain de leurs prescriptions en matière de politiques.

Cet écart croissant n'est guère surprenant, étant donné que ni la Banque mondiale ni le Fonds ne procèdent à des évaluations préalables ou a posteriori des incidences sur les droits humains.

Les efforts déployés par l'Indonésie pour obtenir un meilleur classement dans la catégorie « B-Ready » montrent comment ces mesures faussent les priorités au niveau des politiques, au profit d'un agenda de privatisation plus large. Profitant de la pandémie de Covid-19, l'administration du président Widodo a adopté à la hâte des politiques de flexibilisation du travail tout en accélérant la privatisation. Cette loi Omnibus accroît les modalités de travail précaire et affaiblit la protection du salaire minimum, offrant aux employeurs une plus grande flexibilité dans la gestion de leur personnel et minimisant les coûts salariaux et de licenciement, conformément aux prescriptions de B-Ready.

Elle facilite le démantèlement d'entreprises publiques, telles que Perusahaan Listrik Negara (PLN), la compagnie d'électricité, au profit de fournisseurs privés. L'État a transféré les coûts sociaux des employeurs vers le gouvernement, créant des programmes sous-financés qui sapent la protection sociale universelle.

Malgré son mauvais classement dans l'indice CSI des droits dans le monde, ces politiques hostiles aux travailleurs ont permis à l'Indonésie d'atteindre le top 10 dans la catégorie consacrée au travail de l'indice B-Ready — reflétant ainsi la tendance de la Banque mondiale à récompenser les pays dont les droits du travail se détériorent.

Pour citer un autre exemple, les Philippines, où les syndicalistes sont confrontés à des persécutions meurtrières, se classent au sixième rang dans la catégorie travail de l'indice B-Ready — une illustration frappante de la façon dont les mesures technocratiques de l'indice masquent des réalités brutales. Dans son dernier jugement, la Cour constitutionnelle indonésienne a donné au gouvernement deux ans pour élaborer une nouvelle loi sur l'emploi, offrant ainsi à l'Indonésie une chance de donner la priorité aux droits des travailleurs plutôt qu'aux compétitions de classement.

Néanmoins, tant que l'indice B-Ready continuera à réduire les droits et les relations de travail à des scores simplistes qui divergent des réalités du terrain, les décideurs politiques seront contraints de lutter pour l'approbation d'investisseurs internationaux, et ce, au détriment des droits et du bien-être des travailleurs.


Cette analyse a initialement été publiée dans l'édition Hiver 2024 du Bretton Woods Observer.

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