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04.09.2025 à 05:00

Au Sénégal, le défi de développer le secteur du numérique pour offrir des emplois décents à une jeunesse dynamique et entreprenante

Momar Dieng
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Dans une rue sablonneuse de la grouillante Cité Keur Gorgui non loin du centre-ville de la capitale sénégalaise, les locaux presque vides du Dakar Institute of Technology (DIT) dégagent un air de vacances, en ce milieu de juin 2025. Fatoumata Yarie Camara et Afdel Desmond Kombou y sont étudiants. Ils ont quitté la Guinée et le Cameroun pour suivre un cursus dans cette école d'informatique spécialisée en intelligence artificielle et en gestion des mégadonnées.
Pour eux, comme pour tous ces (…)

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Texte intégral (3018 mots)

Dans une rue sablonneuse de la grouillante Cité Keur Gorgui non loin du centre-ville de la capitale sénégalaise, les locaux presque vides du Dakar Institute of Technology (DIT) dégagent un air de vacances, en ce milieu de juin 2025. Fatoumata Yarie Camara et Afdel Desmond Kombou y sont étudiants. Ils ont quitté la Guinée et le Cameroun pour suivre un cursus dans cette école d'informatique spécialisée en intelligence artificielle et en gestion des mégadonnées.

Pour eux, comme pour tous ces jeunes rêvant de devenir des développeurs, ingénieurs informatiques ou data-scientifiques, le secteur du numérique et des nouvelles technologies est porteur d'emplois et de perspectives d'entrepreneuriat dans un marché à la fois hyper concurrentiel et très sélectif.

Incontournable pour sa transformation économique, le secteur est en pleine croissante en Afrique. Celui-ci peut s'appuyer sur une population active toujours plus importante, relativement jeune et tournée vers l'innovation.

Mais pour ces étudiants, en plus de leur motivation, il faudra compter sur les investissements publics et privés nécessaires pour rendre l'écosystème numérique réellement attractif. Sur ce plan, le Sénégal a déjà commencé à se positionner depuis quelque temps comme leader en Afrique de l'ouest, cherchant à en faire l'un des secteurs-phares de son économie, avec 10 à 15 % de son PIB. Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, élu en 2024, a proposé une nouvelle stratégie ambitieuse, mettant le numérique au cœur des politiques de développement et de souveraineté. Selon les résultats du diagnostic du numérique rapportés dans le projet appelé « New Deal Technologique » (NDT), le pays est classé 8e sur 50 dans l'industrie numérique en Afrique et 11e sur 50 en termes de performance du réseau internet.

Le NDT, lancé en février 2025 par le gouvernement, veut atteindre quatre objectifs à l'horizon 2034 : la souveraineté numérique (par exemple en créant un cloud souverain), la digitalisation des services publics, le développement de l'économie numérique privée (start-ups, fintech…etc.) et du leadership africain dans la recherche et la logistique, via notamment la création d'un centre de calcul spécialisé pour l'intelligence artificielle (IA).

Selon Papa Fall, ingénieur en intelligence artificielle et en big data, il faut espérer que les ambitions fortes du New Deal Technologique ne soient pas contrariées par « les complexités de la bureaucratie administrative sénégalaise » et que les résultats qui en sont attendus ne seront pas transformés en arlésienne.

« Avec plus de 1.000 milliards de francs CFA (environ 1,525 milliard d'euros) d'investissements annoncés à travers la réalisation de 12 programmes-phares et 50 projets touchant à tous les secteurs d'activité, allant de la dématérialisation à la télémédecine en passant par l'intelligence artificielle, le spatial, le satellite, etc., je pense que le New Deal Technologique va participer à l'essor d'un nouveau Sénégal sous l'impulsion de nouveaux leaderships politique, entrepreneurial et digital/numérique », note Papa Fall.

Un « énorme besoin de formation »

Dans cette dynamique de virage numérique et technologique voulu par les autorités sénégalaises, le Dakar Institute of Technology accueille des étudiants de 18 nationalités en espérant leur fournir les compétences nécessaires à leur valorisation sur le marché du travail.

Son directeur général, le Dr Nicolas Poussielgue, constate l'existence d'un « énorme besoin de formation » qu'il urge de connecter aux besoins des entreprises pour faciliter et doper les recrutements. « Quand les étudiants sont compétents et opérationnels après leur formation, ils ont des opportunités de s'insérer en trouvant des emplois », note-t-il.

Professionnel déjà en activité le jour, Afdel Desmond Kombou a bénéficié d'une recommandation pour suivre, en soirée, des études complémentaires en intelligence artificielle. Sa préférence pour la suite tendrait vers l'auto-entrepreneuriat, avec des projets de développement d'applications, par exemple. Les atouts du Sénégal d'aujourd'hui et les perspectives entrevues pour le futur destinent ce jeune Camerounais à tenter sa chance dans ce pays. « Si tu veux survivre dans ce milieu, soit tu émigres, soit tu crées toi-même les conditions de ton emploi », dit-il avec assurance.

Titulaire d'un bac littéraire dans un lycée français de Conakry, Fatoumata Yarie Camara ne semble pas avoir fait un choix définitif pour son insertion. Elle se spécialise actuellement en gestion de la « Big Data ». Entre l'option du statut de freelance et celle du salariat, il y a encore de la place pour des hésitations. « Revenir dans mon pays, intégrer la fonction publique et faire figure de précurseur dans des secteurs technologiques, cela n'est pas rien », lance-t-elle. Nicolas Poussielgue le reconnaît :

« Les jeunes diplômés ont beaucoup de mal à s'intégrer dans les circuits de l'emploi. En même temps, les entreprises se plaignent de ne pas toujours avoir les profils dont ils souhaitent disposer pour assurer leur croissance. Ceci est souvent dû à l'inadéquation entre les contenus de formation et les besoins des recruteurs ».

Ex-fonctionnaire de l'ambassade de France au Sénégal, puis ex-responsable des formations doctorales et de la recherche à Campus France Paris, le directeur de DIT est convaincu que « lorsque les compétences sont avérées, les opportunités existent ». Mais il déplore l'inexistence ou la faiblesse du soutien de l'État sénégalais au système d'alternance École-Entreprise. Le Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT) appuie certes des étudiants jusqu'à la licence en prenant en charge leurs frais de scolarité, mais cela reste insuffisant face aux besoins et à la demande, estime le directeur de l'établissement supérieur.

L'ingénieur Papa Fall rappelle que l'emploi concernant le secteur numérique ne peut être créé en masse que par le secteur privé et par les initiatives entrepreneuriales. « À l'heure actuelle, il ne s'agit pas du numérique orienté application, [c'est-à-dire de la technologie qui crée du ‘software'], mais du numérique qui crée du matériel électronique, [du ‘hardware']. Car, c'est à partir de ces usines électroniques là que l'on pourra créer des embauches massives ».

Cette ambition exige une accélération au plan national de formations pratiques et techniques et d'autres plus pointues, qui sont enseignées dans les plus grandes universités du monde. « Les universités sénégalaises ne sont pas en retard sur ces matières, mais il faut maintenant les intégrer plus largement dans nos curricula nationaux [c'est-à-dire, les programmes d'enseignement] », dit-il.

En même temps, il faut soutenir la création et le développement des start-ups et fintechs[services financiers numériques] dans tous les secteurs d'activités, pour accompagner une « jeunesse sénégalaise très ouverte sur le digital », face à une demande très forte pour ce type de service, comme partout sur le continent.

Soutenir la montée en compétences de la nouvelle génération

Aboubacar Sadikh Ndiaye s'inscrit également dans cette logique d'excellence où « l'offre de formation doit être déterminée par les besoins actuels et futurs du marché. » Le Sénégal étant encore « une économie informelle avec une population jeune et entreprenante », cet expert, consultant en stratégie numérique et intelligence artificielle, plaide pour un développement maîtrisé « des cursus interdisciplinaires combinant des compétences techniques/informatiques avec des soft skills tout en intégrant la dimension entrepreneuriale dès la formation initiale. »

Selon lui, assez d'études démontrent aujourd'hui que « les compétences les plus recherchées dans le monde d'ici 2030 sont celles montantes autour de l'informatique, du code et de l'intelligence artificielle », loin devant les compétences en gestion. À cet égard, « les universités et instituts supérieurs devraient orienter leurs programmes vers ces compétences techniques prioritaires et émergentes », précise l'ancien chargé de cours à Sciences-Po Paris.

Papa Fall cite les exemples de l'École supérieure polytechnique (ESP) de Dakar, la faculté des sciences et techniques de l'université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, le Dakar Institute of Technology (DIT), l'Université nationale Cheikh Hamidou Kane (ex Université virtuelle du Sénégal) comme des modèles à soutenir pour leurs performances « dans des formations très pratiques et au diapason de l'IA. » Il ajoute qu'il faut aider les étudiants à « avoir accès aux plateformes open sources, aux outils payants de l'intelligence artificielle, aux serveurs physiques et autres objets connectés. C'est cela qui leur permettra de produire plus d'applications pertinentes ».

Une autre piste de soutien au secteur, sur laquelle insiste Aboubacar Sadikh Ndiaye, serait la création d'incubateurs dans tous les domaines au sein des établissements d'enseignement supérieur pour pousser les étudiants et les jeunes diplômés à « transformer leurs idées innovantes en projets viables », dans ce qui serait « le premier maillon de la chaîne entrepreneuriale » à venir.

Dans cette lancée, Mouhamadou Lamine Badji, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la Sonatel (SYTS), conseille aux écoles et instituts de faire « beaucoup de mathématiques » dans les formations dispensées aux jeunes. « Aujourd'hui, le Sénégal est à la préhistoire du numérique, même s'il y a des individualités qui se distinguent au niveau mondial dans ce secteur », dit-il à contre-courant des autres interlocuteurs.

« Nous consommons plus de technologies que nous en concevons, en dépit de l'inventivité de nos jeunes et de la dynamique entrepreneuriale en cours. Il faut un travail de longue haleine pour combler ce retard en nous inspirant des modèles chinois, singapourien, américain, etc. ».

La Sonatel est l'opérateur téléphonique national historique, dont le groupe français Orange est l'actionnaire majoritaire aux cotés de l'État sénégalais. Ses activités impactent profondément le secteur du numérique et des nouvelles technologies. Le groupe est un important acteur pourvoyeur d'emplois directs et indirects.

La question brûlante des investissements d'avenir

Les projets de création massive d'emplois, en particulier chez les jeunes, sont au cœur des investissements colossaux envisagés dans la mise en œuvre du New Deal Technologique. L'ambition de 100.000 diplômés du numérique, la création de 100.000 emplois directs et 200.000 emplois indirects figurent dans les indicateurs clés du NDT à l'horizon 2034. En plus, la labélisation de 500 startups-tech servirait alors de maillage du territoire permettant d'aller à la conquête de nouvelles opportunités en Afrique et dans le monde.

Sous ce registre, Papa Fall oppose un préalable : « sans des investisseurs crédibles et engagés, disposés à faire des investissements colossaux à hauteur des ambitions politiques, on ne pourra pas avoir un secteur numérique fort, comme aux États-Unis ou ailleurs, par exemple. »

La construction du Parc des technologies numériques (PTN) de Diamniadio et de datacenters opérationnels ou en voie de l'être, tous financés en grande partie avec des investisseurs privés et des banques de développement locales, constitue un pas important vers l'atteinte des objectifs déclarés, souligne Papa Fall, par ailleurs fondateur de PAFIA, une start-up sénégalaise spécialisée en Intelligence artificielle dans le management et le suivi-évaluation de projets.

« Cependant, il n'est pas souhaitable que l'État condense toutes les initiatives technologiques sur lui-même. La pertinence serait de donner à des start-ups sénégalaises les possibilités de gérer une partie des marchés, comme celui de la digitalisation dans la santé et celui de l'éducation. Cela existe déjà avec des fintechs comme Wave, InTouch, Orange Money ou plus récemment Djamo. C'est avec des modèles comme ceux-là que l'on pourra avoir un développement des secteurs d'activité. »

Garantir des emplois décents

Créer des emplois en masse est une chose, mais faire en sorte que ceux-ci soient dignes en termes de conditions de travail et de rémunération, en est une autre. Mouhamadou Lamine Badji, du SYTS, est aussi coordinateur de l'intersyndicale nationale du secteur des télécommunications. Pour lui, la situation actuelle au Sénégal révèle « toute la complexité que porte le numérique, avec l'émergence sans cesse de nouveaux métiers, comme les livreurs à motos appelés ‘'Tiak-Tiak'' munis d'applications installées sur leurs téléphones ou la vente en ligne de produits. »

Pour défendre les intérêts de ces travailleurs, qui ne sont pas toujours employés formellement, le SYTS travaille à la mise en place d'une convention de branche propre au numérique. « Dans ce secteur, il y a des sociétés prospères qui alignent leurs employés sur la convention de commerce, ce qui leur permet de mal les payer [au taux horaire] », souligne le syndicaliste.

Dans son atelier-boutique du quartier résidentiel de Sacré-Cœur 3 à Dakar, Aïcha Guissé a l'ambition de vivre de sa passion. Cette jeune femme de 26 ans, autonome et bardée de diplômes obtenus entre le Sénégal et la France, est la fondatrice depuis fin 2022 de Solü, une marque de vêtements pour hommes et femmes, pensée et fabriquée avec une touche africaine. Les collections de cette « native du numérique » se vendent directement via Instagram et WhatsApp, à travers des paiements par QR code. Elle échange plusieurs heures par jour sur les messageries numériques avec une clientèle exigeante et qui aime communiquer ; mais aussi avec les livreurs locaux (les ‘'Tiak-Tiak'') et internationaux qui transportent ses colis via les services collaboratifs GP. Pour elle, les technologies numériques sont indispensables.

« La difficulté, c'est la gestion. Il faut surveiller les pages de nos plateformes, avoir l'œil sur les commandes, les stocks et leur suivi. Cela demande que nous soyons actifs et disponibles à tout instant », explique l'entrepreneuse. Malgré son engagement et sa forte discipline de travail, la jeune femme avoue pourtant devoir encore garder, pour le moment, son emploi de salariée dans l'administration d'un établissement d'enseignement supérieur, faute de pouvoir vivre correctement de son métier de styliste.

« On trouve des entrepreneurs et autoentrepreneurs qui, selon notre perception de syndicaliste, pourraient être considérés comme des travailleurs. Ce sont des jeunes qui déploient beaucoup d'inventivité et d'innovation. Mais ils manquent aussi d'accompagnement, notamment en termes de sécurité sociale. Cela rend leur situation assez précaire », concède M. Lamine Badji.

Pour lui, il urge d'encadrer l'effervescence dans cet écosystème : « Nous les accompagnons par la syndicalisation, la formalisation de leurs business et de leurs propres situations et par des conseils pratiques ».

La mise en place d'une coordination intersyndicale vise à aider les milliers de jeunes autoentrepreneurs, comme Aïcha, ou salariés avec l'objectif à terme d'obtenir une convention de branche qui permettrait, par exemple, d'harmoniser les salaires. « Cette convention les protégerait aussi contre les licenciements économiques abusifs ou contre un dumping social qui tirerait tout le monde vers le bas », argumente le leader du SYTS, syndicat affilié à la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS), première centrale du pays.

Payer le prix de l'innovation

Désormais, l'expert Aboubacar Sadikh Ndiaye appelle les autorités sénégalaises à s'inspirer de l'expérience marocaine lancée il y a dix ans : des investissements massifs, ciblés et cohérents dans la formation de milliers d'ingénieurs de haut niveau capables de « concevoir et de coder ».

« Aujourd'hui, cette stratégie porte ses fruits : Starlink et SpaceX d'Elon Musk s'installent dans le royaume, non pour exploiter une main d'œuvre bon marché, mais parce qu'ils trouvent sur place des ingénieurs capables de comprendre leurs technologies complexes, de développer des solutions innovantes et pas seulement des exécutants », signale l'auteur du livre Langage de la transformation digitale.

« Il faut que le Sénégal paie le prix de l'innovation », avertit Mouhamadou Lamine Badji. « Le numérique est aujourd'hui à l'image de l'électricité pendant la 2e Révolution industrielle : les pays en retard dans ce domaine sont condamnés à exister en marge de l'économie mondiale. »

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